Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-12-12
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 12 décembre 1886 12 décembre 1886
Description : 1886/12/12 (A17,N5450). 1886/12/12 (A17,N5450).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
Dix-septième année. — N° 5450 Prix du ïiTmtêr. : Parls e Départements : 15 centimes Dimanche 12 décembre 1885
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SOJVLIVÏAIRE
BULLETIN. — Louis Henrique.
INFORMATIONS.
LE NOUVEAU CABINET.
LA DÉCLARATION MINISTÉRIELLE.
UN QUATORZIÈME MINISTRE DE L'INSTRUCTION
PUBLIQUE. — André Balz.
CHRONIQUE. — Paul Ginisty.
SÉANCE DE LA CHAMBRE. — Paul Gros.
SÉANCE DU SÉNAT. — R. C.
COULISSES PARLEMENTAIRES.
L'AFFAIRE DE BULGARIE.
NOUVELLES DE L'ÉTRANGER.
NOUVELLES COLONIALES.
ECHOS. — Brichanteau.
RBVUE DE LA PRESSE. — P.-P. Dejuinne.
ACADÉMIE DES SCIENCES. — W.
GAZETTE DES TRIBUNAUX. — M0 Gervasy.
ACTES ET DOCUMENTS OFFICIELS.
BULLETIN DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
COURRIER DE LA BOURSE. — Paul Ambroise.
LA TEMPÉRATURE.
FAITS DIVERS.
BIBLIOGRAPHIE.
SOIRÉE THÉATRALE. — Emile Mendel.
COURRIER DES THÉATRES. — lorick.
AVIS ET COMMUNICATIONS.
LE SPORT DU JOUR. — Turba.
FEUILLETON.
BULLETIN
Le cabinet s'est présenté, hier, devant le
Parlement, avec une déclaration dont on
ne saurait trop louer la netteté et la fran-
chise. Nous en publions le texte et nous
l'apprécions plus loin. Nous ne voulons
retenir, ici, que ce qui a trait à la politi-
que extérieure.
La déclaration ministérielle est sobre
sur ce point. Telle qu'elle est, elle dit
juste ce qui devait être dit. Le président
du conseil a rappelé, avec raison, qu'il y a
quelques jours à peine la « Chambre tout
entière » donnait son approbation à l'ex-
posé si précis, si ferme et à la fois si me-
suré que faisait à la tribune M. de Frey-
cinet, lors de la discussion du budget du
ministère des affaires étrangères. Cette
politique « ferme et prudente », le nou-
veau cabinet entend la continuer.
Ce passage de la déclaration ministé-
riélle n'est pas le moins important; le
langage du nouveau président du conseil
sera entendu en Europe. Il réduit à néant
les prédictions pessimistes de la presse
allemande et les appréciations malveillan-
tes de certains journaux anglais. Au dire
des uns et des autres, un changement de
cabinet devait entraîner un changement
de politique, pis que cela, devait livrer à
des mains inhabiles les intérêts extérieurs
de la France et donner libre carrière aux
esprits aventureux, prêts à toutes les im-
prudences.
La déclaration du président du conseil
est de nature à calmer les appréhensions,
plutôt feintes que réelles, que le coup de
tête de nos députés a pu faire naître en
Europe.
Le général Digby Willoughby, qui se dit
ambassadeur de la reine de Madagascar,
tient à ce que le monde entier ait les yeux
fixés sur lui. Il est servi à souhait. Le
Times a donné avec complaisance l'hospi-
talité à de longues lettres émanant de ce
personnage suspect, et aussi du premier
ministre hova. Ces lettres sont adressées
à M. de Freycinet.
De la lettre du premier ministre hova, il
y a peu de chose à dire; elle ne nous
apprend rien que nous ne connaissions
déjà : elle relate une conversation tenue à
Tananarive, le 31 août, entre M. Le Myre
de Vilers et Rainilaiarivony. Elle est anté-
rieure de beaucoup aux/dépêches reçues
du résident général de France, dépêches
qui nous ont fait connaître que le premier
ministre hova, tout en élevant des diffi-
cultés sur l'exécution du traité du 17 dé-
cembre 1885, n'avait pas conservé l'atti-
tude hostile prise dès l'arrivée de M. Le
Mvre de Vilers.
Il convient d'ajouter que, postérieure-
ment à cette entrevue du 31 août, le gou-
vernement malgache, cédant aux sugges-
tions de notre résident général, a concédé
l'installation d'une ligne télégraphique de
Tamatave à Tananarive et a envoyé en
France quatorze jeunes Malgaches, qui sui-
vent les cours de diverses écoles de l'Etat.
Quant à la lettre du général Willoughby,
c'est une audacieuse mystification. Ce per-
sonnage, qui parle au nom de la reine et
nous menace d'en « appeler de nouveau
au sort des armes », se prévaut d'un titre
d'ambassadeur qui n'a été reconnu par
aucune puissance, et d'une autorité qu'il
n'a pas. Ce général, qui joue en Europe le
double rôle de diplomate sans mandat et
de financier en quête d'une bonne affaire,
veut à tout prix asseoir son crédit. Il use
et abuse de sa qualité de négociateur du
traité de paix pour arriver àses fins.
Que le Times se prête aux calculs per-
sonnels d'un aventurier,' c'est son affaire.
Quant à la France, elle ignore ce pseudo-
ambassadeur. Elle s'en tient aux stipula-
tions du traité du 17 décembre, qui sera
exécuté dans toute sa teneur. Les manoeu-
vres financières du sieur Willoughby n'y
changeront rien.
Louis HENRIQUE.
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INFORMATIONS PARTICULIÈRES
La formation du cabinet
Comme nous l'avons annoncé hier, M. Go-
blet a télégraphié, vendredi soir, à M. Billot,
ministre plénipotentiaire de France à Lis-
bonne, pour lui offrir le portefeuille des affai-
res étrangères.
La réponse de M. Billot est arrivée hier
matin au quai d'Orsay.
M. Billot, s'est excusé, ne se croyant pas à
a hauteur de la fonction qu'on lui offrait.
M. René Goblet, pour mettre fin à cette si-
tuation, a décidé de prendre — par intérim
— la direction du ministère des affaires
étrangères.
A une heure, les ministres se sont réunis à
l'Elysée, sous la présidence de M. Jules Grévy,
pour arrêter les termes de la déclaration mi-
nistérielle.
Nous publions, d'autre part, le texte de
cette déclaration, qui a été lue à la Chambre
et au Sénat par M. Goblet.
Dans la soirée, le président du conseil a
télégraphié à M. Decrais, nommé récemment
ambassadeur de France à Vienne, pour lui
offrir le ministère des affaires étrangères.
On assure qu'il est également question,
pour ce poste, de M. Bourée et de M. Cam-
bon.
Au ministère de l'intérieur
Nous croyons savoir que M. Robert, chef
de cabinet de M. Goblet au ministère de l'ins-
truction publique, va être nommé chef de
cabinet du nouveau président du conseil.
Un démenti
Le Nord, dont on connaît les attaches avec
la chancellerie russe, dément formellement
le bruit que l'ambassadeur de Russie à Paris
aurait déclaré qu'il partirait, si M. Floquet
était nommé président du conseil.
L'Alliance républicaine
Le comité central de l'Alliance républi-
caine des comités radicaux et progressistes
de la Seine, dans sa séance du 10 décembre
1886, a décidé que l'Alliance républicaine
tiendra la grande réunion privée de tous ses
adhérents le dimanche 16 janvier 1887, dans
la salle du Tivoli-Vauxhall.
- ————————————
LE NOUVEAU CABINET
Le Journal officiel publie, ce matin, les dé-
crets suivants :
Le président de la République française,
Sur la proposition du président du conseil, mi-
nistre des affaires étrangères,
Décrète :
Art. 1er. — L'administration des cultes est dé-
tachée du ministère de l'instruction publique et
des beaux-arts et rattachée au ministère de l'in-
térieur.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre des
affaires étrangères, est chargé de l'exécution du
présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre des affaires étrangères,
C. DE FREYCINET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. René Goblet, député, est nommé
ministre de l'intérieur et des cultes, en rempla-
cement de M. Sarrien, dont la démission est ac-
ceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre des
affaires étrangères, est chargé de l'exécution du
présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre des affaires étrangères,
C. DE FREYCINET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. René Goblet, ministre de l'inté-
rieur et des cultes, est chargé, par intérim, du
ministère des affaires étrangères.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre des
affaires étrangères; est chargé de l'exécution du
présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre des affaires étrangères,
C. DE FREYCINET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. René Goblet, député, ministre de
l'intérieur et des cultes, est nommé président du
conseil des ministres, en remplacement de M. de
Freycinet, dont la démission est acceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre des
affaires étrangères, est chargé de l'exécution du
présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre des affaires étrangères,
C. DE FREYCINET.
Le président de la République françàise,
Décrète :
Article 1er. — M.arrien, député, est nommé
garde des sceaux, ministre de la justice, en rem-
placement de M. Demôle, dont la démission est
acceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
, RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. Dauphin, sénateur, est nommé
ministre des finances, en remplacement de M.
Sadi Carnot, dont la démission est acceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. lor. — M. le général de division Boulanger
est nommé ministre de la guerre.
Art. 2. -r Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. le vice-amiral Aube est nommé
ministre de la marine et des colonies.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. Berthelot, sénateur, membre de
l'Institut,: est nommé ministre de l'instruction
publique et des beaux-arts, en remplacement de
M. René Goblet, dont la démission est acceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. M. Edouard Millaud, sénateur, est
nommé ministre des travaux publics.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. Lockroy, député, est nommé mi-
nistre du commerce et de l'industrie.
Art, 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le li décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. Develle, député, est nommé mi-
nistre de l'agriculture.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. Granet, député, est nommé mi-
nistre des postes et des télégraphes.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
La Déclaration ministérielle
Le nouveau cabinet s'est présenté
hier devant les Chambres, et M. Go-
blet, président du conseil, a donné lec-
ture de la déclaration ministérielle dont
on lira plus loin le texte. Nous n'hési-
tons pas à dire que cette déclaration
tiftérite une approbation complète et
sans réserve. C'est le langage du bon
sens et du patriotisme; c'est le langage
qu'un gouvernement doit tenir, auquel
tous les républicains doivent applaudir.
Le cabinet ne se fait pas fort de tenir
la solution de toutes les questions ; il
n'annonce pas l'intention de tout faire,
de tout liquider et de contenter en
même temps ceux qui ont des opinions
contradictoires. Il se hâte, au contraire,
de proclamer qu'il est des questions
qu'il ne soumettra pas à l'examen du
Parlement. Il y a un incontestable cou-
rage à faire cette déclaration et à écar-
ter résolument, dès le premier jour,
tout un ordre de questions que les im-
patients voudraient, au contraire, met-
tre sans retard en discussion, moins,
peut-être, par hâte de les résoudre que
pour s'en faire un instrument élec-
toral.
Mais à côté de ces prétendues réfor-
mes, pour lesquelles il n'y a pas de ma-
jorité dans le Parlement, que le pays ne
voit que très confusément, il y a d'au-
tres sujets d'études que l'on peut abor-
der sans retard, que le cabinet annonce
la ferme volonté de résoudre et dans
l'examen desquels il sera certainement
soutenu par une majorité compacte.
La déclaration indique les principaux
de ces sujets. Elle donne, comme il
convient, la première place à la ques-
tion financière, en constatant que le be-
soin lë plus urgent du pays est la sin-
cérité et la régularité des budgets. Sans
entrer dans des détails qui côtoieraient
de bien près la discussion, elle indique
d'une façon générale que le cabinet n'est
pas disposé à se prêter à cette méthode
hâtive et inconsidérée qui consiste à
supprimer les services par simples sup-
pressions de crédits, et elle contient l'en-
gagement de déposer, en même temps
que le budget de 1888, les projets de
loi qui modifieront l'organisation admi-
nistrative afin de la mettre en harmonie
avec les besoins actuels de notre so-
ciété, d'une part, et, de l'autre, avec les
propositions budgétaires. C'est la mé-
thode logique et féconde qui modifie
sans désorganiser, qui engendre les rér
formes et qui évite les bouleverse-
ments.
Le gouvernement indique en même
temps un petit nombre de questions à la
solution desquelles il a l'intention de
consacrer ses efforts. Si cette énuméra-
tion est courte, les sujets sont vastes.
Compléter notre organisation scolaire,
voter les lois militaires et un certain
nombre de mesures concernant les in-
dustriels et les travailleurs, voilà certes
un ensemble de travaux digne de solli-
citer l'attention d'un Parlement et capa-
ble de remplir utilement la durée d'une
législature. Loin de trouver que ce ne
sont pas de grandes ambitions, nous
estimerions volontiers qu'aucun pro-
gramme de travaux ne peut être préféré
à celui-ci. Si la Chambre et le gouver-
nement s'unissaient étroitement pour le
réaliser et le réalisaient au cours de la
législature, nous estimerions que ce
Parlement et que le gouvernement dont
il aurait suivi l'impulsion mériteraient
une place à part dans l'histoire de la
France et seraient dignes d'éloges. Nous
souhaitons vivement que la majorité ré-
publicaine comprenne l'importance de
la tâche à laquelle elle est conviée ;
nous espérons qu'elle fera tous ses ef-
forts pour se montrer à la hauteur de
l'œuvre dans l'exécution de laquelle
le gouvernement lui demande de lui
prêter son concours.
Au début de la séance d'hier, M. le pré-
sident du conseil a donné lecture de la dé-
claration suivante :
Messieurs,
En nous présentant aujourd'hui devant
vous, nous ne nous dissimulons pas les diffi-
cultés de notre tâche. Le dévouement absolu,
sans réserve, supérieur à toutes considéra-
tions personnelles que tous les républicains
doivent au pays et à la République, nous a
fait une loi de l'accepter; il nous donne aussi
l'espérance de pouvoir l'accomplir.
Animés des mêmes sentiments, poursui-
vant le même but, il est impossible que nous
ne parvenions pas à nous unir pour l'œuvre
commune que les circonstances nous impo-
sent.
Quelle est cette oeiiyre ? Nous voulons es-
sayer de la déterminer exactement : A l'exté-
rieur, vous penserez certainement, avec nous,
que nous ne saurions mieux faire que de con-
tinuer la politique « à la fois prudente et
ferme » récemment exposée à cette tribune
avec tant d'autorité par l'éminent président
du précédent cabinet, et à laquelle la Cham-
bre tout entière a donné son approbation.
A l'intérieur, la situation que nous ont faite
les élections d'octobre 1885 ne nous permet
pas de grandes améliorations. Notre principal
devoir est de bien gouverner et de bien ad-
ministrer, de façon à rattacher définitivement
à la République les populations qu'on avait
cherché à en éloigner. Les derniers scru-
tins montrent que tel est, en effet, l'heureux
résultat de la politique suivie depuis cette
époque.
Quant aux questions soulevées par les pro-
grammes électoraux, plusieurs, sur lesquelles
nous sommes incontestablement divisés, ne
nous semblent pas pouvoir être utilement
abordées à cette heure. Ce n'est pas être in-
fidèle à son programme que d'en ajourner les
points où l'on a la certitude de ne pas ren-
contrer de majorité. Tout en réservant sur
chacune de ces questions nos idées particu-
lières, nous vous annonçons nettement que
nous ne nous proposons pas de les soumettre
à votre examen.
Il est, en effet, des réformes pour lesquel-
les il n'appartient ni au Parlement ni au gou-
vernement de devancer l'opinion publique,
et que l'on ne peut entreprendre avant que
le pays se soit expressément prononcé.
D'autres questions, non moins graves et
dont la majorité tout entière nous parait at-
tendre impatiemment la solution, seront, au
contraire, abordées par nous sans retard,
avec la ferme volonté de les résoudre.
Le premier besoin du pays, c'est l'ordre fi-
nancier, la sincérité et la régularité de notre
budget. Nous serons, dès l'ouverture de la
session prochaine, en mesure de vous per-
mettre d'achever le vote du budget de 1887.
Convaincus que de sérieuses économies,
combinées avec le remaniement de notre sys-
tème d'impôts, peuvent seules assurer aux di-
vers services publics les ressources indis-
pensables, sans augmenter les charges déjà
très lourdes, nous vous proposerons en même
temps que le budget de 1888 les mesures
législatives nécessaires pour réaliser ces ré-
formes.
La Chambre a manifesté sa volonté de sim-
plifier notre organisation administrative, qui
date du commencement de ce siècle. Nous
n'avons pas la prétention d'opérer d'un seul
coup une semblable transformation, mais
nous l'entreprendrons dès à présent et nous
la poursuivrons dans la mesure où elle nous
paraîtra compatible avec les besoins des ser-
vices et les nécessités gouvernementales.
Nous ne voulons ni désorganiser l'adminis-
tration ni désarmer le gouvernement, tou-
jours aux prises avec les partis inconstitu-
tionnels.
Nous continuerons d'appliquer les lois d'en-
seignement que vous avez votées.
Nous ferons ainsi entrer pacifiquement et
régulièrement dans la pratique une réforme
dont on a pu dire qu'elle est peut-être « la
plus profonde révolution sociale qui ait été
effectuée en France depuis 1789. »
Vous aurez à compléter l'autre législation
scolaire par le vote du projet de loi qui a
pour objet de fixer la situation et les traite-
ments des maîtres de l'enseignement pri-
maire.
Si nous joignons à cet ensemble de travaux
le vote des lois militaires, l'examen des pro-
jets concernant l'agriculture, de ceux qui in-
téressent l'industrie et les travailleurs, l'orga-
nisation de l'Exposition de 1889, nous vous
aurons mis sous les yeux le tableau exact des
diverses parties de la tâche à accomplir.
Messieurs, si nous pouvons mener à bien
cette œuvre, n'aurons-nous pas répondu aux
vœux du pays, donné satisfaction à ses be-
soins les plus urgents et raffermi sa con-
fiance dans la République ?
Ne croyez-vous pas que semblable entre-
prise vaille la peine de grouper une majorité?
Quant à nous, nous voulons mériter votre
confiance moins par l'étendue de nos promes-
ses que par notre fidélité et notre empresse-
ment à les tenir.
Aujourxnul nous vous demandons crédit
pour quelques semaines ; vous nous l'accor-
derez, si vous approuvez nos déclarations, en
votant les douzièmes provisoires que l'épo-
que de l'année où nous sommes parvenus
nous met dans la nécessité de réclamer.
A une époque où il n'est pas d'homme
politique si mince 'qui ne se croie mé-
connu s'il n'est pas appelé à faire partie
d'une combinaison ministérielle, il est dif-
ficile que la constitution d'un cabinet, quel
qu'il soit, ne soulève pas de sourdes co-
lères et des mécontentements plus ou
moins avoués. Le cabinet qui est entré
hier en fonction n'a pas échappé à la
règle ordinaire. Il est juste, toutefois, de
constater que, si l'accueil qui lui a été fait
par la presse républicaine n'est pas tou-
jours enthousiaste, les journaux qui se
sont lancés contre lui, dès le premier jour,
dans une opposition de parti pris, sont en
nombre infiniment restreint.
La Justice elle-même promet à M. Go-
blet la bonne volonté de tous les républi-
cains. Le Radical est moins encourageant.
Selon lui, le ministère durera un mois si
les députés vont en vacances, huit jours
s'ils restent là. Il est vrai qu'il ne donne
aucune raison pour justifier cette sombre
prédiction. C'est une simple boutade de son
rédacteur en chef, M. Henry Maret, qu'on
embarrasserait sans doute beaucoup en le
priant de bien vouloir dévoiler quel est
l'homme que M. Grévy aurait dù charger
de la composition du nouveau cabinet,
pour que ce cabinet ait la vie plus longue.
Est-ce M. Clêmenceau? Mais M. Clémen-
ceau est le premier à déclarer qu'il se
sent incapable de réunir dans la Cham-
bre une majorité pour appliquer son
programme, et que son ministère ne dure-
rait pas. Est-ce M. Floquet, qui a décliné
l'offre que lui a faite le président de la
République ? Si ce n'est ni M. Clémenceau
ni M. Floquet, qui cela peut-il être ? Nous
l'ignorons, mais ce dont nous sommes con-
vaincus, et ce que nous mettons M. Henry
Maret au défi de contredire, c'est qu'avec
la Chambre telle qu'elle est composée, ni
M. Floquet, ni M. Clémenceau ne seraient
capables de mener à bien un nombre de
réformes plus grand, ni même peut-être
aussi grand que M. Goblet, qui, sous ce
rapport, a fait ses preuves comme minis-
tre de l'instruction publique. Ou nous
tre de
nous trompons fort, ou cette conviction
doit être partagée par la grande majorité
des députés radicaux.
UN QUATORZIÈME MINISTRE
DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
La République apporte pour étrennes
à l'Université un quatorzième ministre.
C'est un cadeau qu'elle n'avait point
sollicité et qui lui causera tout d'abord
moins de plaisir que de surprise. Si l'on
avait pris son avis, nul doute qu'elle
n'eût demandé à conserver ce qu'elle
avait.
M. Goblet ne semblait pas, il est vrai,
à ses débuts, préparé à sa nouvelle tâ-
che. Il devait tout à la politique, et l'on
pouvait craindre qu'il ne fût un peu
dépaysé dans son rôle de grand maître.
Mais M. Goblet est un esprit actif et sou-
ple, pour qui tout travail est facile et
qu'aucun détail ne rebute. Il ne tarda
pas à montrer à ses bureaux qu'il vou-
lait être tout autre chose qu'une ma-
chine à signer.
Il ne nous déplaît nullement, au reste,
de voir appeler à la direction de l'en-
seignement public des ministres qui ne
sont point « de la carrière ». Sauf une
ou deux exceptions — le ministère Du-
ruy en première ligne — les universi-
taires devenus ministres ne se sont
guère signalés par des réformes. Ils ne
voient point au delà de l'horizon étroit
de la corporation.
Ils sont circonvenus par leur entou-
rage, qui leur persuade facilement que
tout est pour le mieux tant qu'ils sont
ministres. Ils tâtonnent, ils hésitent
devant le plus petit changement, de peur
de « faire crier ». Ils agissent le plus
souvent en commis, pendant que les
commis agissent en ministres.
On n'avait pas à craindre avec M. Go-
blet des abus - de ce - genre. En moins d'un
an, il sut donner a tous les services une
impulsion vigoureuse. Dans l'enseigne-
ment supérieur, les Facultés ont vu
leurs attributions accrues, leur esprit
d'initiative encouragé, leur cercle d'ac-
tion élargi. Ce sont maintenant des
personnes civiles capables de grandir
par leurs libres efforts, de se dévelop-
per avec leur originalité propre, de
nous rendre enfin, dans un avenir pro-
chain, ces Universités provinciales,
foyers depuis longtemps éteints et dont
Paris avait absorbé la chaleur et la lu-
mière.
M. Goblet avait également entrepris
la tâche d'adapter notre enseignement
secondaire aux besoins les plus mani-
festes de notre temps. Par la refonte
du plan d'études de l'enseignement
spécial, par les sanctions accordées à
son baccalauréat devenu l'équivalent
des diplômes classiques, il a assuré
l'avenir de cette seconde forme d'en-
seignement, parallèle aux études gréco-
latines, et qui finira par s'appeler de
son vrai nom : l'enséignement secon-
daire moderne.
C'est, enfin, sous son administration
que le triple vœu des républicains en
matière d'enseignement primaire, gra-
tuité, obligation y laïcité, est devenu une
réalité. On n'a pas oublié les vifs débats
qu'a fait naître la loi organique du 30
octobre 1886. A la Chambre comme au
Sénat, M. Goblet fut toujours sur la
brèche et remporta ses plus beaux suc-
cès oratoires. C'est sur ce terrain qu'il
parvint à résoudre un moment ce pro-
blème plus compliqué que la quadrature
du cercle : la conjonction de tous les
républicains sans épithète contre 'tous
les réactionnaires.
Par une singulière ironie, c'est peut-
être le souvenir de ces belles et trop
rares majorités formées sur des ques-
tions d'instruction publique qui enlève
à l'instruction publique M. Goblet au
moment où, les réformes étudiées, les
programmes vus, revus, annotés, cor-
rigés, remaniés, on allait entrer enfin
dans la période la plus active et passer
de la théorie à l'application.
Nous avons déjà dit notre avis sur les
effets déplorables de ces changements
ministériels en matière d'enseignement.
Nous croyons qu'ils pourront être atté-
nués en partie si l'on s'attache à rendre
désormais de moins en moins sensible
la transition d'un ministre à l'autre.
Nous serions bien surpris si ce n'était
pas l'avis de M. Berthelot, le nouveau
titulaire de l'instruction publique.
On avait d'abord, il est vrai, prononcé
d'autres noms, et peut-être ce choix
surprendra-t-il ceux qui ne voyaient en
M. Berthelot que l'éminent chimiste dont
la science française est justement fière.
Beaucoup sans doute croyaient l'hono-
rable savant absorbé, dans son labora-
toire du collège de France, par l'analyse
des métaux assyriens, contemporains
de Sargon et d'Assour-bani-pal.
Mais M. Berthelot est en même temps
sénateur inamovible et inspecteur géné-
ral de l'enseignement supérieur. Il a
contribué dans une large mesure aux
progrès accomplis depuis vingt ans dans
l'instruction publique. Il a tout récem-
ment défendu devant le Sénat la loi sur
l'enseignement primaire. Il s'est mon-
tré très favorable aussi à la réforme de
l'enseignement secondaire et a pris une
part importante aux travaux de la com-
mission chargée de reviser les program-
mes de l'enseignement secondaire spé-
cial.
Il est vrai que, depuis , nous avons
connu un second Berthelot qui semblait
regretter ce qu'avait fait l'autre. De ces
deux Berthelot, quel est le ministre ?
Nous souhaitons vivement que ce soit
le premier.
Un homme de cette valeur ne peut
songer à être ministre pour le vain plai-
sir d'ajouter un titre à tant d'autres. Il
est de ceux qui apportent à cette charge
plus d'éclat qu'elle ne pourrait leur en
donner. Ce ministère ne sera pas, comme
on l'annonce déjà, un ministère d'at-
tente, et encore moins de réaction. Fai-
sons des vœux pour que M. Berthelot
soit à la fois le collaborateur et le conti-
nuateur du nouveau président du con-
seil.
ANDRÉ; BALZ.
CHRONIQUE
Pour la troisième ou quatrième fois,
voici qu'il est question, au ministère de
la guerre, de rétablir les lanciers. On
annonçait même, hier, un peu prématu-
rément, que cette mesure avait été dé-
cidée. Quoi qu'il en soit, il paraît exact
qu'on se demande si l'on n'a pas agi
un peu hâtivement, après la guerre,
lorsqu'on les a supprimés, d'un trait de
plume.
Les lanciers! c'est toute une évocation
que ce mot-là ! Il semble revoir ces su-
perbes escadrons, autour desquels une
légende s'était attachée, défiler dans un
éblouissement de fanions multicolores.
Et quels uniformes charmants ! la veste
bleue à revers jonquille, le coquet
shapska incliné sur l'oreille, — un air
crâne qui faisait tout de suite vibrer la
fibre chauvine malgré soi! Le moyen
de ne pas admirer ces gaillards-là,
avec leur belle mine conquérante? Ceux
qui, comme moi, n'ont aucune préten-
tion à donner leur avis dans une discus-
sion technique, les regrettent au sim-
ple point de vue pittoresque.
Ce ne fut pas sans chagrin que les
lanciers, versés dans les régiments de
cuirassiers, abandonnèrent leurs attri-
buts distinctifs. Avouez qu'une mau-
vaise veine les poursuivait. A quelque
temps de là, lorsqu'ils s'étaient habitués
à la cuirasse, on les « décuirassait a. Il
semblait qu'on leur en voulait, décidé-
ment.
Je connais plus d'un officier de cette
arme condamnée qui n'a jamais déses-
péré de la voir rappelée dans notre ar-
mée, et qui a conservé son shapska,
avec l'espérance qu'il reservirait un jour.
Le moment approche-t-il de le faire
fourbir pour tout de bon ? Presque tou-
tes les armées étrangères ont gardé
leurs lanciers, ne trouvant pas que ce
corps, en dépit des changements de
tactique, fût devenu démodé. Il n'y au-
rait donc rien d'impossible à ce tque
l'on revînt, au ministère de la guerre,
des premières préventions.
Les lanciers ont, d'ailleurs, un passé
glorieux qui justifie, mieux que leur bel
équipement, l'estime singulière en la-
quelle ils furent toujours tenus.
C'est une chose curieuse, que le pre-
mier régiment de lanciers ait été formé
précisément dans la ville où ils devaient
disparaître, — après que leurs rangs se
fussent terriblement éclaircis au feu.
C'est à Sedan, en effet, en 1811, qu'ils
furent organisés. La France avait déjà
eu à son service trois régiments de lan-
ciers polonais.
Par une particularité tragique, les
lanciers ont toujours été la troupe la
plus engagée dans nos batailles néfas-
tes. A Waterloo, ils furent presque en-
tièrement décimés ; mais ils firent payer
chèrement leur vie. Le 48 lanciers, com-
mandé par le colonel Bro, détruisit, à
lui seul, la brigade des gardes anglaises
et reprit les drapeaux que l'infanterie
s'était laissé arracher. Mais combien
d'hommes revinrent de cette charge hé-
roïque ? Quarante-deux!
Les régiments de lanciers avaient été
réduits sous la Restauration. Ils furent
reconstitués après 1830, et le maréchal
Soult leur rendit leur premier uniforme.
Mais ceci est bien loin de nous : ce qui
doit rester dans notre souvenir, c'est
l'admirable conduite de nos lanciers en
1870.
On a fait aux cuirassiers tout l'hon-
neur de la merveilleuse charge de Reish-
choffen, qui arracha aux officiers prus-
siens eux-mêmes des cris d'admiration.
Mais l'histoire ne peut pas oublier, dans
cette journée épique, le 6* lanciers, qui
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REDACTION
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de retard dans la réception du journal.
SOJVLIVÏAIRE
BULLETIN. — Louis Henrique.
INFORMATIONS.
LE NOUVEAU CABINET.
LA DÉCLARATION MINISTÉRIELLE.
UN QUATORZIÈME MINISTRE DE L'INSTRUCTION
PUBLIQUE. — André Balz.
CHRONIQUE. — Paul Ginisty.
SÉANCE DE LA CHAMBRE. — Paul Gros.
SÉANCE DU SÉNAT. — R. C.
COULISSES PARLEMENTAIRES.
L'AFFAIRE DE BULGARIE.
NOUVELLES DE L'ÉTRANGER.
NOUVELLES COLONIALES.
ECHOS. — Brichanteau.
RBVUE DE LA PRESSE. — P.-P. Dejuinne.
ACADÉMIE DES SCIENCES. — W.
GAZETTE DES TRIBUNAUX. — M0 Gervasy.
ACTES ET DOCUMENTS OFFICIELS.
BULLETIN DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
COURRIER DE LA BOURSE. — Paul Ambroise.
LA TEMPÉRATURE.
FAITS DIVERS.
BIBLIOGRAPHIE.
SOIRÉE THÉATRALE. — Emile Mendel.
COURRIER DES THÉATRES. — lorick.
AVIS ET COMMUNICATIONS.
LE SPORT DU JOUR. — Turba.
FEUILLETON.
BULLETIN
Le cabinet s'est présenté, hier, devant le
Parlement, avec une déclaration dont on
ne saurait trop louer la netteté et la fran-
chise. Nous en publions le texte et nous
l'apprécions plus loin. Nous ne voulons
retenir, ici, que ce qui a trait à la politi-
que extérieure.
La déclaration ministérielle est sobre
sur ce point. Telle qu'elle est, elle dit
juste ce qui devait être dit. Le président
du conseil a rappelé, avec raison, qu'il y a
quelques jours à peine la « Chambre tout
entière » donnait son approbation à l'ex-
posé si précis, si ferme et à la fois si me-
suré que faisait à la tribune M. de Frey-
cinet, lors de la discussion du budget du
ministère des affaires étrangères. Cette
politique « ferme et prudente », le nou-
veau cabinet entend la continuer.
Ce passage de la déclaration ministé-
riélle n'est pas le moins important; le
langage du nouveau président du conseil
sera entendu en Europe. Il réduit à néant
les prédictions pessimistes de la presse
allemande et les appréciations malveillan-
tes de certains journaux anglais. Au dire
des uns et des autres, un changement de
cabinet devait entraîner un changement
de politique, pis que cela, devait livrer à
des mains inhabiles les intérêts extérieurs
de la France et donner libre carrière aux
esprits aventureux, prêts à toutes les im-
prudences.
La déclaration du président du conseil
est de nature à calmer les appréhensions,
plutôt feintes que réelles, que le coup de
tête de nos députés a pu faire naître en
Europe.
Le général Digby Willoughby, qui se dit
ambassadeur de la reine de Madagascar,
tient à ce que le monde entier ait les yeux
fixés sur lui. Il est servi à souhait. Le
Times a donné avec complaisance l'hospi-
talité à de longues lettres émanant de ce
personnage suspect, et aussi du premier
ministre hova. Ces lettres sont adressées
à M. de Freycinet.
De la lettre du premier ministre hova, il
y a peu de chose à dire; elle ne nous
apprend rien que nous ne connaissions
déjà : elle relate une conversation tenue à
Tananarive, le 31 août, entre M. Le Myre
de Vilers et Rainilaiarivony. Elle est anté-
rieure de beaucoup aux/dépêches reçues
du résident général de France, dépêches
qui nous ont fait connaître que le premier
ministre hova, tout en élevant des diffi-
cultés sur l'exécution du traité du 17 dé-
cembre 1885, n'avait pas conservé l'atti-
tude hostile prise dès l'arrivée de M. Le
Mvre de Vilers.
Il convient d'ajouter que, postérieure-
ment à cette entrevue du 31 août, le gou-
vernement malgache, cédant aux sugges-
tions de notre résident général, a concédé
l'installation d'une ligne télégraphique de
Tamatave à Tananarive et a envoyé en
France quatorze jeunes Malgaches, qui sui-
vent les cours de diverses écoles de l'Etat.
Quant à la lettre du général Willoughby,
c'est une audacieuse mystification. Ce per-
sonnage, qui parle au nom de la reine et
nous menace d'en « appeler de nouveau
au sort des armes », se prévaut d'un titre
d'ambassadeur qui n'a été reconnu par
aucune puissance, et d'une autorité qu'il
n'a pas. Ce général, qui joue en Europe le
double rôle de diplomate sans mandat et
de financier en quête d'une bonne affaire,
veut à tout prix asseoir son crédit. Il use
et abuse de sa qualité de négociateur du
traité de paix pour arriver àses fins.
Que le Times se prête aux calculs per-
sonnels d'un aventurier,' c'est son affaire.
Quant à la France, elle ignore ce pseudo-
ambassadeur. Elle s'en tient aux stipula-
tions du traité du 17 décembre, qui sera
exécuté dans toute sa teneur. Les manoeu-
vres financières du sieur Willoughby n'y
changeront rien.
Louis HENRIQUE.
80
INFORMATIONS PARTICULIÈRES
La formation du cabinet
Comme nous l'avons annoncé hier, M. Go-
blet a télégraphié, vendredi soir, à M. Billot,
ministre plénipotentiaire de France à Lis-
bonne, pour lui offrir le portefeuille des affai-
res étrangères.
La réponse de M. Billot est arrivée hier
matin au quai d'Orsay.
M. Billot, s'est excusé, ne se croyant pas à
a hauteur de la fonction qu'on lui offrait.
M. René Goblet, pour mettre fin à cette si-
tuation, a décidé de prendre — par intérim
— la direction du ministère des affaires
étrangères.
A une heure, les ministres se sont réunis à
l'Elysée, sous la présidence de M. Jules Grévy,
pour arrêter les termes de la déclaration mi-
nistérielle.
Nous publions, d'autre part, le texte de
cette déclaration, qui a été lue à la Chambre
et au Sénat par M. Goblet.
Dans la soirée, le président du conseil a
télégraphié à M. Decrais, nommé récemment
ambassadeur de France à Vienne, pour lui
offrir le ministère des affaires étrangères.
On assure qu'il est également question,
pour ce poste, de M. Bourée et de M. Cam-
bon.
Au ministère de l'intérieur
Nous croyons savoir que M. Robert, chef
de cabinet de M. Goblet au ministère de l'ins-
truction publique, va être nommé chef de
cabinet du nouveau président du conseil.
Un démenti
Le Nord, dont on connaît les attaches avec
la chancellerie russe, dément formellement
le bruit que l'ambassadeur de Russie à Paris
aurait déclaré qu'il partirait, si M. Floquet
était nommé président du conseil.
L'Alliance républicaine
Le comité central de l'Alliance républi-
caine des comités radicaux et progressistes
de la Seine, dans sa séance du 10 décembre
1886, a décidé que l'Alliance républicaine
tiendra la grande réunion privée de tous ses
adhérents le dimanche 16 janvier 1887, dans
la salle du Tivoli-Vauxhall.
- ————————————
LE NOUVEAU CABINET
Le Journal officiel publie, ce matin, les dé-
crets suivants :
Le président de la République française,
Sur la proposition du président du conseil, mi-
nistre des affaires étrangères,
Décrète :
Art. 1er. — L'administration des cultes est dé-
tachée du ministère de l'instruction publique et
des beaux-arts et rattachée au ministère de l'in-
térieur.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre des
affaires étrangères, est chargé de l'exécution du
présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre des affaires étrangères,
C. DE FREYCINET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. René Goblet, député, est nommé
ministre de l'intérieur et des cultes, en rempla-
cement de M. Sarrien, dont la démission est ac-
ceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre des
affaires étrangères, est chargé de l'exécution du
présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre des affaires étrangères,
C. DE FREYCINET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. René Goblet, ministre de l'inté-
rieur et des cultes, est chargé, par intérim, du
ministère des affaires étrangères.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre des
affaires étrangères; est chargé de l'exécution du
présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre des affaires étrangères,
C. DE FREYCINET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. René Goblet, député, ministre de
l'intérieur et des cultes, est nommé président du
conseil des ministres, en remplacement de M. de
Freycinet, dont la démission est acceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre des
affaires étrangères, est chargé de l'exécution du
présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre des affaires étrangères,
C. DE FREYCINET.
Le président de la République françàise,
Décrète :
Article 1er. — M.arrien, député, est nommé
garde des sceaux, ministre de la justice, en rem-
placement de M. Demôle, dont la démission est
acceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
, RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. Dauphin, sénateur, est nommé
ministre des finances, en remplacement de M.
Sadi Carnot, dont la démission est acceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. lor. — M. le général de division Boulanger
est nommé ministre de la guerre.
Art. 2. -r Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. le vice-amiral Aube est nommé
ministre de la marine et des colonies.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. Berthelot, sénateur, membre de
l'Institut,: est nommé ministre de l'instruction
publique et des beaux-arts, en remplacement de
M. René Goblet, dont la démission est acceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. M. Edouard Millaud, sénateur, est
nommé ministre des travaux publics.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. Lockroy, député, est nommé mi-
nistre du commerce et de l'industrie.
Art, 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le li décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. Develle, député, est nommé mi-
nistre de l'agriculture.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
Le président de la République française,
Décrète :
Art. 1er. — M. Granet, député, est nommé mi-
nistre des postes et des télégraphes.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre de
l'intérieur et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 11 décembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil,
ministre de l'intérieur et des cultes,
RENÉ GOBLET.
La Déclaration ministérielle
Le nouveau cabinet s'est présenté
hier devant les Chambres, et M. Go-
blet, président du conseil, a donné lec-
ture de la déclaration ministérielle dont
on lira plus loin le texte. Nous n'hési-
tons pas à dire que cette déclaration
tiftérite une approbation complète et
sans réserve. C'est le langage du bon
sens et du patriotisme; c'est le langage
qu'un gouvernement doit tenir, auquel
tous les républicains doivent applaudir.
Le cabinet ne se fait pas fort de tenir
la solution de toutes les questions ; il
n'annonce pas l'intention de tout faire,
de tout liquider et de contenter en
même temps ceux qui ont des opinions
contradictoires. Il se hâte, au contraire,
de proclamer qu'il est des questions
qu'il ne soumettra pas à l'examen du
Parlement. Il y a un incontestable cou-
rage à faire cette déclaration et à écar-
ter résolument, dès le premier jour,
tout un ordre de questions que les im-
patients voudraient, au contraire, met-
tre sans retard en discussion, moins,
peut-être, par hâte de les résoudre que
pour s'en faire un instrument élec-
toral.
Mais à côté de ces prétendues réfor-
mes, pour lesquelles il n'y a pas de ma-
jorité dans le Parlement, que le pays ne
voit que très confusément, il y a d'au-
tres sujets d'études que l'on peut abor-
der sans retard, que le cabinet annonce
la ferme volonté de résoudre et dans
l'examen desquels il sera certainement
soutenu par une majorité compacte.
La déclaration indique les principaux
de ces sujets. Elle donne, comme il
convient, la première place à la ques-
tion financière, en constatant que le be-
soin lë plus urgent du pays est la sin-
cérité et la régularité des budgets. Sans
entrer dans des détails qui côtoieraient
de bien près la discussion, elle indique
d'une façon générale que le cabinet n'est
pas disposé à se prêter à cette méthode
hâtive et inconsidérée qui consiste à
supprimer les services par simples sup-
pressions de crédits, et elle contient l'en-
gagement de déposer, en même temps
que le budget de 1888, les projets de
loi qui modifieront l'organisation admi-
nistrative afin de la mettre en harmonie
avec les besoins actuels de notre so-
ciété, d'une part, et, de l'autre, avec les
propositions budgétaires. C'est la mé-
thode logique et féconde qui modifie
sans désorganiser, qui engendre les rér
formes et qui évite les bouleverse-
ments.
Le gouvernement indique en même
temps un petit nombre de questions à la
solution desquelles il a l'intention de
consacrer ses efforts. Si cette énuméra-
tion est courte, les sujets sont vastes.
Compléter notre organisation scolaire,
voter les lois militaires et un certain
nombre de mesures concernant les in-
dustriels et les travailleurs, voilà certes
un ensemble de travaux digne de solli-
citer l'attention d'un Parlement et capa-
ble de remplir utilement la durée d'une
législature. Loin de trouver que ce ne
sont pas de grandes ambitions, nous
estimerions volontiers qu'aucun pro-
gramme de travaux ne peut être préféré
à celui-ci. Si la Chambre et le gouver-
nement s'unissaient étroitement pour le
réaliser et le réalisaient au cours de la
législature, nous estimerions que ce
Parlement et que le gouvernement dont
il aurait suivi l'impulsion mériteraient
une place à part dans l'histoire de la
France et seraient dignes d'éloges. Nous
souhaitons vivement que la majorité ré-
publicaine comprenne l'importance de
la tâche à laquelle elle est conviée ;
nous espérons qu'elle fera tous ses ef-
forts pour se montrer à la hauteur de
l'œuvre dans l'exécution de laquelle
le gouvernement lui demande de lui
prêter son concours.
Au début de la séance d'hier, M. le pré-
sident du conseil a donné lecture de la dé-
claration suivante :
Messieurs,
En nous présentant aujourd'hui devant
vous, nous ne nous dissimulons pas les diffi-
cultés de notre tâche. Le dévouement absolu,
sans réserve, supérieur à toutes considéra-
tions personnelles que tous les républicains
doivent au pays et à la République, nous a
fait une loi de l'accepter; il nous donne aussi
l'espérance de pouvoir l'accomplir.
Animés des mêmes sentiments, poursui-
vant le même but, il est impossible que nous
ne parvenions pas à nous unir pour l'œuvre
commune que les circonstances nous impo-
sent.
Quelle est cette oeiiyre ? Nous voulons es-
sayer de la déterminer exactement : A l'exté-
rieur, vous penserez certainement, avec nous,
que nous ne saurions mieux faire que de con-
tinuer la politique « à la fois prudente et
ferme » récemment exposée à cette tribune
avec tant d'autorité par l'éminent président
du précédent cabinet, et à laquelle la Cham-
bre tout entière a donné son approbation.
A l'intérieur, la situation que nous ont faite
les élections d'octobre 1885 ne nous permet
pas de grandes améliorations. Notre principal
devoir est de bien gouverner et de bien ad-
ministrer, de façon à rattacher définitivement
à la République les populations qu'on avait
cherché à en éloigner. Les derniers scru-
tins montrent que tel est, en effet, l'heureux
résultat de la politique suivie depuis cette
époque.
Quant aux questions soulevées par les pro-
grammes électoraux, plusieurs, sur lesquelles
nous sommes incontestablement divisés, ne
nous semblent pas pouvoir être utilement
abordées à cette heure. Ce n'est pas être in-
fidèle à son programme que d'en ajourner les
points où l'on a la certitude de ne pas ren-
contrer de majorité. Tout en réservant sur
chacune de ces questions nos idées particu-
lières, nous vous annonçons nettement que
nous ne nous proposons pas de les soumettre
à votre examen.
Il est, en effet, des réformes pour lesquel-
les il n'appartient ni au Parlement ni au gou-
vernement de devancer l'opinion publique,
et que l'on ne peut entreprendre avant que
le pays se soit expressément prononcé.
D'autres questions, non moins graves et
dont la majorité tout entière nous parait at-
tendre impatiemment la solution, seront, au
contraire, abordées par nous sans retard,
avec la ferme volonté de les résoudre.
Le premier besoin du pays, c'est l'ordre fi-
nancier, la sincérité et la régularité de notre
budget. Nous serons, dès l'ouverture de la
session prochaine, en mesure de vous per-
mettre d'achever le vote du budget de 1887.
Convaincus que de sérieuses économies,
combinées avec le remaniement de notre sys-
tème d'impôts, peuvent seules assurer aux di-
vers services publics les ressources indis-
pensables, sans augmenter les charges déjà
très lourdes, nous vous proposerons en même
temps que le budget de 1888 les mesures
législatives nécessaires pour réaliser ces ré-
formes.
La Chambre a manifesté sa volonté de sim-
plifier notre organisation administrative, qui
date du commencement de ce siècle. Nous
n'avons pas la prétention d'opérer d'un seul
coup une semblable transformation, mais
nous l'entreprendrons dès à présent et nous
la poursuivrons dans la mesure où elle nous
paraîtra compatible avec les besoins des ser-
vices et les nécessités gouvernementales.
Nous ne voulons ni désorganiser l'adminis-
tration ni désarmer le gouvernement, tou-
jours aux prises avec les partis inconstitu-
tionnels.
Nous continuerons d'appliquer les lois d'en-
seignement que vous avez votées.
Nous ferons ainsi entrer pacifiquement et
régulièrement dans la pratique une réforme
dont on a pu dire qu'elle est peut-être « la
plus profonde révolution sociale qui ait été
effectuée en France depuis 1789. »
Vous aurez à compléter l'autre législation
scolaire par le vote du projet de loi qui a
pour objet de fixer la situation et les traite-
ments des maîtres de l'enseignement pri-
maire.
Si nous joignons à cet ensemble de travaux
le vote des lois militaires, l'examen des pro-
jets concernant l'agriculture, de ceux qui in-
téressent l'industrie et les travailleurs, l'orga-
nisation de l'Exposition de 1889, nous vous
aurons mis sous les yeux le tableau exact des
diverses parties de la tâche à accomplir.
Messieurs, si nous pouvons mener à bien
cette œuvre, n'aurons-nous pas répondu aux
vœux du pays, donné satisfaction à ses be-
soins les plus urgents et raffermi sa con-
fiance dans la République ?
Ne croyez-vous pas que semblable entre-
prise vaille la peine de grouper une majorité?
Quant à nous, nous voulons mériter votre
confiance moins par l'étendue de nos promes-
ses que par notre fidélité et notre empresse-
ment à les tenir.
Aujourxnul nous vous demandons crédit
pour quelques semaines ; vous nous l'accor-
derez, si vous approuvez nos déclarations, en
votant les douzièmes provisoires que l'épo-
que de l'année où nous sommes parvenus
nous met dans la nécessité de réclamer.
A une époque où il n'est pas d'homme
politique si mince 'qui ne se croie mé-
connu s'il n'est pas appelé à faire partie
d'une combinaison ministérielle, il est dif-
ficile que la constitution d'un cabinet, quel
qu'il soit, ne soulève pas de sourdes co-
lères et des mécontentements plus ou
moins avoués. Le cabinet qui est entré
hier en fonction n'a pas échappé à la
règle ordinaire. Il est juste, toutefois, de
constater que, si l'accueil qui lui a été fait
par la presse républicaine n'est pas tou-
jours enthousiaste, les journaux qui se
sont lancés contre lui, dès le premier jour,
dans une opposition de parti pris, sont en
nombre infiniment restreint.
La Justice elle-même promet à M. Go-
blet la bonne volonté de tous les républi-
cains. Le Radical est moins encourageant.
Selon lui, le ministère durera un mois si
les députés vont en vacances, huit jours
s'ils restent là. Il est vrai qu'il ne donne
aucune raison pour justifier cette sombre
prédiction. C'est une simple boutade de son
rédacteur en chef, M. Henry Maret, qu'on
embarrasserait sans doute beaucoup en le
priant de bien vouloir dévoiler quel est
l'homme que M. Grévy aurait dù charger
de la composition du nouveau cabinet,
pour que ce cabinet ait la vie plus longue.
Est-ce M. Clêmenceau? Mais M. Clémen-
ceau est le premier à déclarer qu'il se
sent incapable de réunir dans la Cham-
bre une majorité pour appliquer son
programme, et que son ministère ne dure-
rait pas. Est-ce M. Floquet, qui a décliné
l'offre que lui a faite le président de la
République ? Si ce n'est ni M. Clémenceau
ni M. Floquet, qui cela peut-il être ? Nous
l'ignorons, mais ce dont nous sommes con-
vaincus, et ce que nous mettons M. Henry
Maret au défi de contredire, c'est qu'avec
la Chambre telle qu'elle est composée, ni
M. Floquet, ni M. Clémenceau ne seraient
capables de mener à bien un nombre de
réformes plus grand, ni même peut-être
aussi grand que M. Goblet, qui, sous ce
rapport, a fait ses preuves comme minis-
tre de l'instruction publique. Ou nous
tre de
nous trompons fort, ou cette conviction
doit être partagée par la grande majorité
des députés radicaux.
UN QUATORZIÈME MINISTRE
DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
La République apporte pour étrennes
à l'Université un quatorzième ministre.
C'est un cadeau qu'elle n'avait point
sollicité et qui lui causera tout d'abord
moins de plaisir que de surprise. Si l'on
avait pris son avis, nul doute qu'elle
n'eût demandé à conserver ce qu'elle
avait.
M. Goblet ne semblait pas, il est vrai,
à ses débuts, préparé à sa nouvelle tâ-
che. Il devait tout à la politique, et l'on
pouvait craindre qu'il ne fût un peu
dépaysé dans son rôle de grand maître.
Mais M. Goblet est un esprit actif et sou-
ple, pour qui tout travail est facile et
qu'aucun détail ne rebute. Il ne tarda
pas à montrer à ses bureaux qu'il vou-
lait être tout autre chose qu'une ma-
chine à signer.
Il ne nous déplaît nullement, au reste,
de voir appeler à la direction de l'en-
seignement public des ministres qui ne
sont point « de la carrière ». Sauf une
ou deux exceptions — le ministère Du-
ruy en première ligne — les universi-
taires devenus ministres ne se sont
guère signalés par des réformes. Ils ne
voient point au delà de l'horizon étroit
de la corporation.
Ils sont circonvenus par leur entou-
rage, qui leur persuade facilement que
tout est pour le mieux tant qu'ils sont
ministres. Ils tâtonnent, ils hésitent
devant le plus petit changement, de peur
de « faire crier ». Ils agissent le plus
souvent en commis, pendant que les
commis agissent en ministres.
On n'avait pas à craindre avec M. Go-
blet des abus - de ce - genre. En moins d'un
an, il sut donner a tous les services une
impulsion vigoureuse. Dans l'enseigne-
ment supérieur, les Facultés ont vu
leurs attributions accrues, leur esprit
d'initiative encouragé, leur cercle d'ac-
tion élargi. Ce sont maintenant des
personnes civiles capables de grandir
par leurs libres efforts, de se dévelop-
per avec leur originalité propre, de
nous rendre enfin, dans un avenir pro-
chain, ces Universités provinciales,
foyers depuis longtemps éteints et dont
Paris avait absorbé la chaleur et la lu-
mière.
M. Goblet avait également entrepris
la tâche d'adapter notre enseignement
secondaire aux besoins les plus mani-
festes de notre temps. Par la refonte
du plan d'études de l'enseignement
spécial, par les sanctions accordées à
son baccalauréat devenu l'équivalent
des diplômes classiques, il a assuré
l'avenir de cette seconde forme d'en-
seignement, parallèle aux études gréco-
latines, et qui finira par s'appeler de
son vrai nom : l'enséignement secon-
daire moderne.
C'est, enfin, sous son administration
que le triple vœu des républicains en
matière d'enseignement primaire, gra-
tuité, obligation y laïcité, est devenu une
réalité. On n'a pas oublié les vifs débats
qu'a fait naître la loi organique du 30
octobre 1886. A la Chambre comme au
Sénat, M. Goblet fut toujours sur la
brèche et remporta ses plus beaux suc-
cès oratoires. C'est sur ce terrain qu'il
parvint à résoudre un moment ce pro-
blème plus compliqué que la quadrature
du cercle : la conjonction de tous les
républicains sans épithète contre 'tous
les réactionnaires.
Par une singulière ironie, c'est peut-
être le souvenir de ces belles et trop
rares majorités formées sur des ques-
tions d'instruction publique qui enlève
à l'instruction publique M. Goblet au
moment où, les réformes étudiées, les
programmes vus, revus, annotés, cor-
rigés, remaniés, on allait entrer enfin
dans la période la plus active et passer
de la théorie à l'application.
Nous avons déjà dit notre avis sur les
effets déplorables de ces changements
ministériels en matière d'enseignement.
Nous croyons qu'ils pourront être atté-
nués en partie si l'on s'attache à rendre
désormais de moins en moins sensible
la transition d'un ministre à l'autre.
Nous serions bien surpris si ce n'était
pas l'avis de M. Berthelot, le nouveau
titulaire de l'instruction publique.
On avait d'abord, il est vrai, prononcé
d'autres noms, et peut-être ce choix
surprendra-t-il ceux qui ne voyaient en
M. Berthelot que l'éminent chimiste dont
la science française est justement fière.
Beaucoup sans doute croyaient l'hono-
rable savant absorbé, dans son labora-
toire du collège de France, par l'analyse
des métaux assyriens, contemporains
de Sargon et d'Assour-bani-pal.
Mais M. Berthelot est en même temps
sénateur inamovible et inspecteur géné-
ral de l'enseignement supérieur. Il a
contribué dans une large mesure aux
progrès accomplis depuis vingt ans dans
l'instruction publique. Il a tout récem-
ment défendu devant le Sénat la loi sur
l'enseignement primaire. Il s'est mon-
tré très favorable aussi à la réforme de
l'enseignement secondaire et a pris une
part importante aux travaux de la com-
mission chargée de reviser les program-
mes de l'enseignement secondaire spé-
cial.
Il est vrai que, depuis , nous avons
connu un second Berthelot qui semblait
regretter ce qu'avait fait l'autre. De ces
deux Berthelot, quel est le ministre ?
Nous souhaitons vivement que ce soit
le premier.
Un homme de cette valeur ne peut
songer à être ministre pour le vain plai-
sir d'ajouter un titre à tant d'autres. Il
est de ceux qui apportent à cette charge
plus d'éclat qu'elle ne pourrait leur en
donner. Ce ministère ne sera pas, comme
on l'annonce déjà, un ministère d'at-
tente, et encore moins de réaction. Fai-
sons des vœux pour que M. Berthelot
soit à la fois le collaborateur et le conti-
nuateur du nouveau président du con-
seil.
ANDRÉ; BALZ.
CHRONIQUE
Pour la troisième ou quatrième fois,
voici qu'il est question, au ministère de
la guerre, de rétablir les lanciers. On
annonçait même, hier, un peu prématu-
rément, que cette mesure avait été dé-
cidée. Quoi qu'il en soit, il paraît exact
qu'on se demande si l'on n'a pas agi
un peu hâtivement, après la guerre,
lorsqu'on les a supprimés, d'un trait de
plume.
Les lanciers! c'est toute une évocation
que ce mot-là ! Il semble revoir ces su-
perbes escadrons, autour desquels une
légende s'était attachée, défiler dans un
éblouissement de fanions multicolores.
Et quels uniformes charmants ! la veste
bleue à revers jonquille, le coquet
shapska incliné sur l'oreille, — un air
crâne qui faisait tout de suite vibrer la
fibre chauvine malgré soi! Le moyen
de ne pas admirer ces gaillards-là,
avec leur belle mine conquérante? Ceux
qui, comme moi, n'ont aucune préten-
tion à donner leur avis dans une discus-
sion technique, les regrettent au sim-
ple point de vue pittoresque.
Ce ne fut pas sans chagrin que les
lanciers, versés dans les régiments de
cuirassiers, abandonnèrent leurs attri-
buts distinctifs. Avouez qu'une mau-
vaise veine les poursuivait. A quelque
temps de là, lorsqu'ils s'étaient habitués
à la cuirasse, on les « décuirassait a. Il
semblait qu'on leur en voulait, décidé-
ment.
Je connais plus d'un officier de cette
arme condamnée qui n'a jamais déses-
péré de la voir rappelée dans notre ar-
mée, et qui a conservé son shapska,
avec l'espérance qu'il reservirait un jour.
Le moment approche-t-il de le faire
fourbir pour tout de bon ? Presque tou-
tes les armées étrangères ont gardé
leurs lanciers, ne trouvant pas que ce
corps, en dépit des changements de
tactique, fût devenu démodé. Il n'y au-
rait donc rien d'impossible à ce tque
l'on revînt, au ministère de la guerre,
des premières préventions.
Les lanciers ont, d'ailleurs, un passé
glorieux qui justifie, mieux que leur bel
équipement, l'estime singulière en la-
quelle ils furent toujours tenus.
C'est une chose curieuse, que le pre-
mier régiment de lanciers ait été formé
précisément dans la ville où ils devaient
disparaître, — après que leurs rangs se
fussent terriblement éclaircis au feu.
C'est à Sedan, en effet, en 1811, qu'ils
furent organisés. La France avait déjà
eu à son service trois régiments de lan-
ciers polonais.
Par une particularité tragique, les
lanciers ont toujours été la troupe la
plus engagée dans nos batailles néfas-
tes. A Waterloo, ils furent presque en-
tièrement décimés ; mais ils firent payer
chèrement leur vie. Le 48 lanciers, com-
mandé par le colonel Bro, détruisit, à
lui seul, la brigade des gardes anglaises
et reprit les drapeaux que l'infanterie
s'était laissé arracher. Mais combien
d'hommes revinrent de cette charge hé-
roïque ? Quarante-deux!
Les régiments de lanciers avaient été
réduits sous la Restauration. Ils furent
reconstitués après 1830, et le maréchal
Soult leur rendit leur premier uniforme.
Mais ceci est bien loin de nous : ce qui
doit rester dans notre souvenir, c'est
l'admirable conduite de nos lanciers en
1870.
On a fait aux cuirassiers tout l'hon-
neur de la merveilleuse charge de Reish-
choffen, qui arracha aux officiers prus-
siens eux-mêmes des cris d'admiration.
Mais l'histoire ne peut pas oublier, dans
cette journée épique, le 6* lanciers, qui
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