Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-11-07
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 07 novembre 1886 07 novembre 1886
Description : 1886/11/07 (A17,N5415). 1886/11/07 (A17,N5415).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
Dix-septième année. - NI 5415 Prix du numéro et Départements: 15 centimes Dimanche 7 novembre 1886
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6, place de la Bourse, 6
BULLETIN
La séance de la Chambre a été remplie
par un discours de M. Raoul Duval, dé-
puté de l'Eure. On trouvera plus loin une
appréciation de ce discours, qui est à lui
seul un événement politique et un épisode
curieux de la vie parlementaire de l'hono-
rable député de l'Eure. Nous publions les
parties essentielles de ce discours.
Par une singulière coïncidence, le jour
même où un membre de la Droite libé-
rale faisait une évolution très marquée
vers le gouvernement républicain, au
nom de l'intérêt supérieur de la France,
dans une autre enceinte, un député répu-
blicain faisait presque une déclaration de
guerre au cabinet.
Il est difficile de voir autre chose qu'un
ultimatum dans le discours prononcé
par M. Steeg dans le groupe de l'Union
des Gauches, dont il a été réélu président.
Le langage de M. Steeg fait un contraste
fâcheux avec l'appel à la concorde que M.
Raoul Duval a adressé au parti de l'oppo-
sition et de l'obstruction systématiques.
Nous le constatons avec regret.
Les événements se précipitent en Bul-
garie. Les régents, sentant le pouvoir leur
échapper, ont tenté un rapprochement avec
le parti russe de la Sobranié, personnifié
par M. Zankoff. Cette tentative a échoué
devant les exigences de M. Zankoff ; et le
gouvernement de la régence, après cette
démarche, s'est trouvé plus impuissant
que jamais à sortir d'une situation inex-
tricable, et un peu plus discrédité, s'il est
possible.
Mais les régents ne sont pas au bout de
leurs épreuves. Une dépêche de Tirnova
annonce qu'une conspiration a éclaté à
Bourgas, dans la nuit de mercredi à jeudi.
Le chef du complot était le capitaine russe
Nabokof, celui-là même qui avait été im-
pliqué dans le coup d'Etat du mois de mai
dernier.
Un pope monténégrin, du nom de Vest-
, litchkoff, avait été chargé du soin de pré-
parer les voies aux conspirateurs. A la
tête d'une troupe nombreuse de Monté-
négrins, le capitaine Nabokoff s'est em-
paré du préfet de Bourgas et de quelques
officiers de la garnison, a pris possession
des édifices publics et a proclamé le gou-
vernement russe.
Le gouverneur du district de Bourgas et
un employé du télégraphe ont pu gagner
Ridos, d'où ils ont mis le gouvernement
central au courant de ces événements.
Des troupes fidèles ont été envoyées à
Bourgas, et une dépêche de Tirnova, ar-
rivée hier soir, donne comme certain que
les insurgés ont été mis en fuite sans
combat. « Sans combat » paraît quelque
peu optimiste et invraisemblable. Les cor-
respondants anglais disent, de même, que
la population de Bourgas et une compa-
gnie d'un régiment bulgare ont pris fait
et cause pour le gouvernement, contre le s
insurgés. Ils laissent entendre que le com-
plot a été ourdi dans la maison occupée
par le consulat de Russie, qui aurait fourni
l'argent pour payer les soldats monténé-
grins.
Enfin, ils donnent une description aussi
complète que possible de la ville de Bour-
gas, pour démontrer la complicité de la
Russie dans le coup de main.
La ville de Bourgas est située au sud et
à peu de distance de Varna (où sont les
Russes), au fond « d'une large baie », dont
les eaux sont assez profondes pour rece-
voir des bâtiments de fort tonnage (les
navires russes, par exemple).
Bourgas est située à proximité d'Andri-
nople et des plaines de la Roumélie, situa-
tion qui donne à la ville une importance
militaire ; en outre, l'accès est facile dans
l'intérieur, sans qu'il y ait à franchir les
passes des Balkans ; enfin, Bourgas étant
chef-lieu d'un district administratif, son
occupation offre des avantages évidents.
C'est assez dire que la Russie était prête à
procéder à cette occupation, et que la
troupe du capitaine Nabokoff n'était que
l'avant-garde des troupes russes débar-
quées à Varna. Le Times dit même, sans
détour, quela Russie n'a suscité l'insurrec-
tion de Bourgas que pour avoir le pré-
texte de la réprimer.
Ce sont là de simples hypothèses qui
n'ont, d'ailleurs, rien d'invraisemblable.
Quoi qu'il en soit, il est évident que la
situation du gouvernement bulgare est
irrémédiablement compromise. Lundi, il
s'apprête à jouer sa dernière carte. La So-
branié s'est ajournée jusque-là,pour se
concerter sur la conduite à tenir. Deux
partis lui restent à prendre : ou bien ren-
verser le gouvernement de la régence, ou
bien élire un prince quelconque. C'est à
ce dernier expédient que poussent les ré-
gents, qui, vraisemblablement, donneront
leur démission dès qu'ils auront un pré-
texte plausible de quitter le pouvoir, sans
avoir l'air de se soumettre au général
Kaulbars. Eux partis, tout est simplifié;
leur démission est le seul acte de sagesse
qu'on puisse attendre de ces dictateurs
inexpérimentés.
Louis HENRIQUE.
INFORMATIONS PARTIGCLIËRES
Le mouvement préfectoral
Le mouvement préfectoral que nous avons
annoncé est sur le point d'être terminé. Il
sera soumis, mardi prochain, au conseil des
ministres.
Nous croyons savoir que M. Allain-Targé,
préfet de l'Aisne, serait nommé préfet de la
Somme. M. Bogner, préfet des Vosges, serait
nommé préfet de l'Aisne. M. de Lozé, secré-
taire général de la préfecture de police , irait
à Orléans. M. Frémont, préfet de Loir-et-Cher
à Angers, et M. Eynac , préfet de Tarn-et-Ga-
ronne, en Corse. M. Granet passerait, de son
côté, de la Nièvre dans le Loir-et-Cher ou la
Haute-Savoie, et M. Bès-de-Berc, préfet de la
Corse, aurait l'un de ces deux postes.
Conseil des ministres
Les ministres ont tenu conseil, hier matin,
à l'Elysée, sous la présidence de M. Jules
Grévy.
M. de Freycinet, ministre des affaires étran-
gères, a communiqué au conseil un projet de
loi sur la propriété littéraire et artistique qu'il
a signé, de concert avec son collègue de l'in-
struction publique, et qui va être déposé sur
le bureau de la Chambre.
Il a également soumis au conseil un projet
de loi portant approbation de la convention
conclue avec la Suisse, le 26 juillet dernier, et
ayant pour objet de fixer le régime des vins,
alcools et vinaigres et de la parfumerie ex-
portés de France en Suisse.
M. Sarrien, ministre de l'intérieur, a fait si-
gner deux décrets par lesquels M. René Laf-
fon, directeur du cabinet et du personnel, est
nommé directeur des affaires départementa-
les et communales ; et M. Bourgeois, préfet
de la Haute-Garonne, est nommé directeur du-
personnel et du secrétariat.
Le ministre du commerce a fait signer un
décret ayant pour objet de retirer à la Cham-
bre le projet de loi sur les contrefaçons étran-
gères qu'il avait précédemment déposé.
Le ministre du commerce a été autorisé à
déposer à la Chambre un projet de loi régle-
mentant le travail des femmes, filles mineu-
res et enfants dans les établissements indus-
triels.
Le ministre de la marine a fait signer un
décret réorganisant les services de l'adminis-
tration de la marine sur les bases de la loi
du 16 mars 1882, relative à l'administration
de l'armée.
Enfin, le ministre des postes et télégraphes
a fait signer un décret réglant les conditions
d'échange des mandats de poste avec la Ré-
publique Argentine.
M. Millaud, ministre des travaux publics, a
fait connaître qu'il n'avait pas l'intention de
s'adjoindre un sous-secrétaire d'Etat.
Mouvement diplomatique
M. de Laboulaye, le nouvel ambassadeur
de France à Saint-Pétersbourg , est attendu à
Paris. Il sera reçu demain par M. de Freyci-
net. Il regagnera son poste aussitôt que l'on
connaîtra la daie du retour de M. de Mohren-
heim à Paris.
M. Cambon va se rendre à Tunis pour pren-
dre congé du bey ; il ira prendre la succes-
sion de M. de Laboulaye à Madrid, vers le 20
novembre.
M. Bihourd, le nouveau résident général de
France à Tunis, sera reçu dans quelques jours
par M. de Freycinet, qui lui donnera ses der-
nières Instructions avant son départ pour la
Tunisie.
QUESTIONS DU JOUR
A l'Union des Gauches
M. Steeg, réélu président de l'Union
des Gauches, vient de prononcer un dis-
cours qui ne rendra pas la conciliation
plus facile entre les deux groupes répu-
blicains, sans l'union desquels il n'y a
de majorité possible, ni pour le minis-
tère actuel, ni pour un autre. De l'avis
de son président, l'Union des Gauches
doit prendre, dès à présent, la direction
de la politique et passer de « l'abnéga-
tion » à « l'action ». Elle y aurait, selon
M. Steeg, été « conviée par les élec-
teurs eux-mêmes ». C'est une nouvelle
dont nous n'avions pas encore ouï par-
ler ; car, pendant toute la période des
vacances, au contraire, ce que nous
avons entendu applaudir, acclamer, ce
sont les éloquents appels à la concorde
de M. le président du conseil et de tous
les orateurs, ministres ou députés, qui
ont porté la parole dans le même sens
que l'honorable M. de Freycinet. L'union
des républicains, l'ajournement, dans la
Chambre des députés, des questions qui
ne pouvaient être résolues et de tout
débat irritant, voilà la politique qui a
obtenu, dans toute la France, une appro-
bation si chaude, et l'on aurait mal ac-
cueilli tout orateur qui se fût avisé de
soutenir la thèse contraire.
Or, c'est justement ce que vient de
faire
Or, l'honorable député de la Gironde
dans sa harangue à l'Union des Gau-
ches. Après avoir recommandé une
politique « qui écarte les questions ha-
sardeuses et qui s'attache aux problè-
mes solubles », il s'empresse d'ajouter :
« Cela ne signifie pas que nous nous
supprimerons, que nous ne nous sou-
viendrons plus que nous sommes la
partie la plus considérable de la majorité
républicaine, que nous ne chercherons
pas à faire triompher nos vues quand
nous le croirons nécessaire, que nous
laisserons sans organe et sans voix les
masses républicaines que nous repré-
sentons et dont les aspirations ont le
droit de prévaloir dans les conseils du
gouvernement. Il faut montrer que
nous sommes un parti vivant, que nous
avons des doctrines, que nous savons
vouloir et intervenir, etc. » Tout cela
est habilement dit ; mais il n'en est pas
moins certain que, si l'on tourne et re-
tourne ce texte, on n'y trouvera pas
autre chose qu'une vive revendication
de la direction de l'œuvre parlemen-
taire. Or, en admettant que l'Union des
Gauches soit, comme son président l'af-
firme, « la partie la plus considérable de
la @ majorité », elle n'en forme cepen-
qu'une partie, et elle ne saurait douter
que cette majorité ne soit anéantie, le
jour où s'en retireraient les républicains
radicaux qui la complètent. Je cherche
en vain quel intérêt peut trouver l'ho-
norable M. Steeg à provoquer ainsi une
dislocation de la majorité, la rupture de
son groupe avec le groupe radical, dans
le moment même où ce dernier groupe,
sans abandonner ses principes, paraît
avoir sincèrement reconnu la nécessité
de ne pas se conduire en parti d'oppo-
sition à l'égard du gouvernement.
Si l'un ou l'autre, ou l'un et l'autre
des deux groupes en revient à pratiquer
exclusivement sa politique propre, s'il
refuse toute concession à l'autre groupe,
s'il se propose de se conduire à sa fan-
taisie et de ne pas tenir plus de compte
de la Droite réactionnaire que si celle-ci
n'existait pas, alors, où faudra-t-il cher-
cher une majorité, je le demande? Fe-
rons-nous de nouveau la démonstration
qu'il n'y a pas de place au gouverne-
ment ni pour un ministère radical, ni'
pour un ministère opportuniste, ni pour
un ministère réactionnaire ? Ce serait
superflu, presque puéril, tant la chose
est indiscutable. Alors, si l'on me per-
met de répéter ce que nous disions
hier, comment peut-il venir à l'idée de
députés républicains, quel que soit le
groupe où ils se sont rangés, de prati-
quer une politique de discorde dans un
temps où la plus évidente nécessité qui
s'aperçoive est celle d'une politique de
conciliation?
Qu'est-ce qui a disposé favorable-
ment l'opinion publique quand le mi-
nistère actuel a été formé par M. de
Freycinet? C'est que la constitution du
nouveau cabinet parut à tout le monde
être le gage d'un rapprochement indis-
pensable au sein de la représentation
républicaine, d'une trêve pour la durée
de la législature, si ce n'est d'une paix
définitive, et de l'ajournement, enfin, de
tout ce qui risquerait de raviver les an-
ciennes querelles. Or, si un ministère
où se rencontraient M. Goblet et M. De-
môle, M. Sadi Carnot et M. Granet, M.
Lockroy et M. Develle, a pu tomber
d'accord sur un programme et se con-
sacrer à une oeuvre commune, pourquoi
les députés républicains ne suivraient-
ils pas l'exemple qui leur est donné par
les ministres? Pourquoi ce qui s'est
trouvé possible pour le cabinet serait-il
impossible pour la majorité républi-
caine? Ce sont des questions qui se pose-
ront d'elles-mêmes dans le pays, si la
majorité républicaine, au lieu de soute-
nir un ministère qui lui donne les plus
sûres garanties, venait à se rompre. Il
est fâcheux que des considération s
aussi simples n'aient frappé ni le pré-
sident de l'Union des Gauches, ni ses
collègues qui l'ont, en vérité, un peu
trop abondamment applaudi.
ErG. LIÉBERT,
LA DROITE CONSTITUTIONNELLE
A LA CHAMBRE
M. Raoul Duval a obtenu, hier, un vif
succès, en exposant devant la Chambre le
programme de la Droite constitutionnelle.
Mais, ce succès, c'est la majorité républi-
caine qui l'a fait. A peine quelques rares
membres de la minorité ont-ils marqué
leur adhésion aux idées que l'orateur ex-
primait, tandis que les protestations vio-
lentes et les interruptions venaient toutes
de la Droite. Celle-ci mettait son honneur
à placer, en face de l'opposition constitu-
tionnelle de M. Raoul Duval, l'opposition
systématique, irréconciliable des hommes
qui cherchent moins l'intérêt du pays, par
une direction conforme à leurs idées, que
la satisfaction de leurs rancunes ou de
leurs ambitions par un bouleversement.
Cette constatation suffit à montrer que
la Chambre actuelle est un terrain mal
préparé pour la germination de la graine
que M. Raoul Duval veut y semer. La
Droite n'est pas un parti politique : c'est
la coterie que M. Raoul Duval avait raison
de railler, pour laquelle le mot de Répu-
blique sonne mal, et qui considère comme
de mauvais ton de se dire républicain. Ses
opinions sont faites de préjugés. La raison
ne saurait en triompher.
Il n'y a donc pas d'illusion à se faire sur
le succès qui attend l'entreprise de M.
Raoul Duval. Lui-même n'a, du reste, pas
craint de reconnaître qu'il n'espérait pas
vaincre les résistances de ses collègues,
et c'est peut-être moins pour les convain-
cre, que pour plaider sa cause devant le
pays, qu'il parlait. Si son intention était,
en effet, de faire connaître au pays le but
qu'il poursuit et de faire, enfin, sortir le
programme de la Droite constitutionnelle
de la trop discrète obscurité où l'avaient
laissé jusqu'ici les fragments de lettres pu-
bliés et les récits des reporters, M. Raoul
Duval n'aura peut-être pas perdu son
temps et le temps de la Chambre, hier ; et
sa parole trouvera sans doute un écho
dans ces départements qui, au 4 octobre
dernier, ont cru voter pour des conserva-
teurs et se sont aperçus, le lendemain, avec
une douloureuse surprise, qu'ils avaient
élu des monarchistes.
On nous croira sans peine si nous décla-
rons que nous ne sommes pas plus les
partisans de la Droite constitutionnelle
que de la Droite monarchique. Entre la
Droite, de quelque étiquette qu'elle se re-
vête, et nous, le désaccord ne porte pas
seulement sur la question constitution-
nelle : il est général. Cependant, l'entre-
prise de M. Raoul Duval nous intéresse,
parce que nous y voyons l'espérance —
encore lointaine — d'un classement des
partis plus avantageux pour le pays. Nous
y voyons la preuve que, même les parti-
sans des régimes déchus commencent à
s'apercevoir de l'inanité de leurs efforts
pour renverser la République, et un com-
mencement d'apaisement des luttes politi-
ques dans lesquelles s'est usé le plus clair
des forces de ce siècle.
Depuis soixante-ans au moins, tous les
gouvernements qui se sont succédé ont dû
se préoccuper surtout de se défendre con-
tre des adversaires qui n'aspiraient qu'à
les renverser. Toutes les questions d'orga-
nisation ont dû être subordonnées à cette
lutte pour l'existence, chaque jour re-
nouvelée. La République actuelle n'a pas
échappé à cette nécessité plus que ses de-
vancières. Elle a eu à lutter pour l'exis-
tence au 24 Mai et au 16 Mai. La lutte a
recommencé à chaque élection. Dans tous
les scrutins, la véritable question, la seule
que l'on ait débattue, a été la question
constitutionnelle. Si elle n'a pas été posée
ouvertement par les réactionnaires au
4 octobre, c'est que, l'aveu en a encore été
fait hier, « la loi le défendait ». Mais, der-
rière les programmes d'apparence cons-
titutionnelle, c'était bien la monarchie
qui s'agitait, et si les prétendus candidats
agricoles étaient arrivés en majorité à la
Chambre, nous serions, pour le moment,
en pleine guerre civile.
Nous ne pouvons pas empêcher les
réactionnaires d'être réactionnaires. Mais
ce que nous pouvons désirer, c'est que
la lutte entre eux et nous se déplace,
et qu'au lieu de consumer toutes les for-
ces dans des entreprises stériles, dans une
sorte de question préjudicielle, elle porte
enfin sur les questions à la solution des-
quelles l'avenir du pays est attaché. La
République est le gouvernement qui per-
met le mieux à toutes les initiatives de se
produire, à tous les partis d'exercer leur
action. Il leur suffit de plaider leur cause
devant les électeurs et de la gagner. Quel
avantage quelqu'un peut-il voir à de nou-
veaux bouleversements, qui ne se produi-
raient que pour être suivis, à courte
échéance, de bouleversements nouveaux ?
Quel intérêt les réactionnaires peuvent-ils
avoir à prolonger une lutte stérile et à pa-
ralyser toutes les forces du pays ? Il sem-
ble qu'ils devraient avoir, depuis long-
temps, renoncé à cette attitude et compris
l'avantage qu'il pourraient tirer de l'aban-
don d'espérances désormais chimériques.
Mais ils sont entièrement dominés par la
passion de parti. Ils l'ont bien montré hier
encore, et l'accueil qu'ils ont fait au dis-
cours de M. Raoul Duval doit avoir enlevé
à celui-ci sa dernière espérance de les ral-
lier à sa cause.
CHRONIQUE
Trafics sidéraux
Nous vivons dans des temps étran-
ges.
Ni l'infiniment petit, ni l'infiniment
grand n'ont, pour ainsi dire, plus de se-
crets pour nous. Il y a, de par le monde,
un tas de gens qui vivent dans l'intimité
des microorganismes - bactéries, vi-
brions, microbes, etc., —invisibles et
impalpables. Ils en connaissent à fond la
structure, les habitudes, les caractères,
les moeurs ; ils en distinguent les espè-
ces et les variétés; ils en expliquent le
rôle et les fonctions ; ils en racontent
l'histoire; ils vous en montrent des pho-
tographies , tirées d'après nature ; ils
font mieux : ils les « cultivent » les
apprivoisent, les disciplinent et les obli-
gent à réparer eux-mêmes ou à prévenir,
sous le nom de « virus atténués » ou
de « vaccins » , les ravages que pour-
raient opérer, au sein de l'organisme,
leur effroyable pullulation, les prome-
nades vagabondes et la mystérieuse al-
chimie dont ils sont coutumiers.
D'autres ne se lassent pas de fouiller
de l'œil la voûte azurée. Rien ne leur
échappe. Impossible à un astre nouveau
de se mêler à la foule stellaire sans être
dénoncé par leur infatigable contrôle,
pointé, classé, numéroté, baptisé. Il y a
quelques mois, le merveilleux écrin qui,
par les belles nuits, diapre de mille feux
le velours bleu du firmament, vint à
s'enrichir inopinément d'un diamant
neuf : au moment où l'on s'y attendait
le moins, une étoile inédite s'allumait
au front de la nébuleuse d'Andromède.
Le soir même, de tous les observatoires
de l'univers civilisé partaient, dans tou-
tes les directions, des télégrammes de
bienvenue; en vérité, je vous le dis, il
n'est point d'état civil aussi régulière-
ment tenu que celui de l'empyrée.
Des messieurs, qu'on appelle astro-
nomes, et auxquels, — en vertu de la
formule : « Le besoin crée l'organe » —
il a fini par pousser au-devant de la
prunelle — ante ojos — une enfilade de
tubes de cuivre munis de miroirs et de
lentilles baroques, ne se contentent pas
de voir et d'enregistrer les astres qui
sont là-haut. Ils signalent encore, par-
dessus le marché, et décrivent même,
ce qui est mieux, les astres qui n'y sont
pas encore. Ce fut le cas de Leverrier,
calculant mathématiquement la masse,
l'orbite. et les mœurs de Neptune, et
lui assignant d'avance, en un point pré-
cis de l'espace, l'inéluctable rendez-
vous auquel cette planète était de trop
bonne compagnie pour ne pas se trou-
ver à l'heure dite.
Avec une méthode aussi sûre et des
observateurs aussi scrupuleux, la carte
du ciel est nécessairement dressée jour
par jour, avec une ponctualité qui tient
du miracle. Le ciel est mieux balisé
que l'Océan. S'il arrive, un jour, que
l'homme surprenne enfin le mot de
l'énigme de la navigation aérienne, les
voyages « autour de la lune» et « à tra-
vers le monde solaire », dont Michel
Ardan et Hector Servadac nous ont déjà
donné l'avant-goût, offriront moins de
difficultés et de périls que la traversée
actuelle du Sahara ou du Grand-Chaco.
Il est vrai qu'il faudra avoir trouvé la res-
piration factice et modifié les lois de la
gravitation ; mais ce n'est là qu'un dé-
tail secondaire pour les Jules Vernes de
l'avenir.
+ «
Il y a mieux. Non seulement les as-
tres ne peuvent plus échapper à la sur-
veillance des friands du télescope ni
leur brûler la politesse; mais ils sont de-
venus objets de trafic, choses vénales
et « marchandes H. Ils sont tombés dans
le commerce. En ce siècle de positi-
visme et d'affaires, où l'ont fait argent
de tout, depuis les indulgences jus-
qu'aux vieux chiffons, depuis les déco-
rations jusqu'aux timbres-poste « après
la lettre », cela devait leur arriver.
M. Palisa, de Vienne — un homme
qui a déjà sur la conscience quelque
chose comme deux ou trois cents étoi-
les n'ayant pas encore servi — M. Palisa
ne réclamait-il pas, l'année dernière, à
tous les échos, un parrain de bonne vo-
lonté pour l'astéroïde 244 qu'il venait
de découvrir? Ça coûtait 1,250 francs,
mais c'était une galanterie originale à
faire à une dame.
Il nous revient aujourd'hui de « l'autre
côté de l'eau», une histoire plus « forte »
encore et qui jette un singulier jour sur
les « dessous » de l'astronomie.
La petite ville de Rochester, située
dans l'état de New-York, à quelque dis-
tance du lac Ontario, possède depuis
quelques années un observatoire portant
le nom d'un M. Warner, son fondateur.
Ces fondations scientifiques ne
sont pas rares aux Etats-Unis, où nom-
bre d'Universités,- coûtant chacune plu-
sieurs millions, -l'Université Hopkins,
par exemple, représente une dotation
de 25 millions, fournie par un seul
homme ! — doivent leur existence et
leur prospérité à des libéralités parti-
culières. Dans l'analyse que je me pro-
pose de faire ici, un de ces jours pro-
chains, du beau livre d'Andrew Carne-
gie, le Triomphe de la démocratie, je
reviendrai sur ces « américanismes ».
M. Warner ne s'est pas contenté
de fonder un établissement astronomi-
que. Il a laissé, en outre, des fonds
destinés à récompenser pécuniairement
les astronomes qui découvrent des co-
mètes. Or, il y a un mois, ce legs a
donné naissance à un curieux incident.
Le 5 octobre dernier, le professeur
Swift, qui est chargé de distribuer les
primes, recevait de son confrère M.
E.-E. Bernard, directeur de l'Observa-
toire Vanderbilt (encore un observa-
toire privé!) situé à Nashville, capitale
du Tennessee, une dépêche lui annon-
çant qu'il venait de découvrir une co-
mète assez brillante, visible dans la
constellation du Lion, et réclamant le
paiement de la somme promise. A peine
M. Swift avait-il vérifié la découverte,
qu'il recevait un autre télégramme de
M. Hartwig, directeur de l'Observatoire
de Strasbourg, pour l'avertir qu'il avait
aperçu une comète dont les coordon-
nées célestes correspondaient identi-
quement à celles de l'astre du profes-
seur Bernard. Vous voyez d'ici l'embar-
ras de l'arbitre, convaincu désormais
que l'espace infini allait devenir trop
petit pour les astronomes, puisqu'ils
s'y rencontrent et s'y font concurrence.
D'après le lVew-York Herald, à qui
j'emprunte ces renseignements, on va
cependant juger que c'est l'astronome
américain qui, étant arrivé bon premier,
a seul le droit d'émarger au budget si-
déral constitué par M. Warner. « Cela
n'étonnera personne, ajoute notre con-
frère transatlantique, car, depuis qua-
tre ans, M. Bernard n'a pas découvert
moins de six comètes, et le montant des
primes encaissées par lui, de ce chef, ne
s'élève pas à moins de 5 ou 6,000
francs. »
C'est égal! Pour une drôle de profes-
sion, c'est une drôle de profession.
« Chercheur d'étoiles », cela vaut le lé-
gendaire « fabricant de verres noircis
pour regarder les éclipses », mais c'est
plus lucratif, avec un pénétrant ragoût
de modernisme qui n'est pas sans
poésie. -
*
* *
« L'art de pister les comètes et de
s'en faire six mille francs de rentes » !
Il ne manquera pas de particuliers
pour vous soutenir sérieusement que la
chose est faite pour nous donner une
crâne idée du Grand Architecte du Cos-
mos : Cœli enarrant gloriam Dei.
Quand on songe, au contraire, à la pré-
cision et à la sûreté que cela suppose ;
quand on songe, d'autre part, que pour
en venir là, à être « comme chez soi »
dans les incommensurables solitudes
de l'Infini, il suffit à l'observateur d'un
cerveau et d'un œil imparfaits, plus ou
moins bien armés de quelques morceaux
de métal et de cristal taillé, on est tenté
plutôt de conclure : Cœli enarrant glo-
riam Iwrninis.
Traduction libre, d'après Thomas Vi-
reloque :
— C'est ça, qui vous donne une crâne
idée de l'homme !
RAOUL LUCET.
LE PARLEMENT
SF ANCE DE LA CHAMBRE
La dise ssion du budget
L'événement du jour est le discours de M.
Raoul Duval, député de l'Eure.
L'orateur a commencé par déplorer l'exclu-
sion de la Droite de la commission du budget.
Puis, après avoir reconnu le caractère de sin-
cérité du projet de loi déposé par le gouver-
nement, il avoue que le parti républicain a
été amené à doter la génération présente de
tout ce qu'elle désirait, si bien que l'équilibre
du budget ne peut plus être obtenu, aujour-
d'hui, que par la diminution des dépenses.
M. Raoul Duval cherche à établir que les
dépenses ont constamment dépassé les re-
cettes. Cet examen amène l'orateur à consta-
ter le déficit causé par le vote de la loi des
sucres.
— C'est la Droite qui a fait cette loi, crie-t-
on à gauche.
— La Droite et la Gauche n'ont pas de re-
proches à se faire sur ce point, répond l'ora-
teur.
Après avoir rendu à M. Wilson l'hommage
qui est dû à son «remarquable talent de mise
en scène », le député de l'Eure arrive au
projet financier de la commission.
A propos de la conversion des obligations
sexennaires proposée par M. Sadi Carnot,
M. Raoul Duval attaque la commission, qui a
repoussé ce procédé :
A mon sens, dit-il, il n'y avait rien de plus pré-
voyant et de plus juste que ce que proposait M.
le ministre des finances.
La préoccupation d'un ministre des finances
doit être, en effet, d'assurer avant tout l'élasticité
de ses ressources de trésorerie : en y pourvoyant,
M. Sadi Carnot s'est donc montre un ministre
clairvoyant et un patriote vigilant.
Il défend encore la suppression du budget
extraordinaire, proposée par le gouverne-
ment.
En face du gouvernement qui, pour que le pays
puisse voir plus clair dans ses finances, réclame
la l suppression du budget extraordinaire, la com-
mission en demande le maintien, et, elle qui ne
veut pas rouvrir le grand-livre de la dette publi-
que, elle propose d'autoriser l'emprunt sous sa
forme la plus dangertuse, sous celle d'une nou-
velle émission d'obligations à court terme.
Le seul point sur lequel l'orateur soit d'ac-
cord avec la commission, est le maintien du
privilège des bouilleurs de cru. « Supprimant
l'exercice chez le débitant, la commission a
reculé devant la perspective de l'établir chez
le propriétaire. »
*
* *
Si M. Raoul Duval n'a que des compliments
à adresser à la commission du budget à pro-
pos des bouilleurs de cru, il se montre beau-
coup moins bienveillant à l'égard de la pro-
position d'établir un impôt sur le revenu.
La commission inscrit, de ce chef, 15 millions
pour 1887. Pourquoi 15 millions ? Parce qu'elle a
besoin de 15 millions pour aligner ses comptes.
Elle aurait mis 20, 25 millions, si elle avait eu be-
soin de ces chiffres. C'est là un impôt, en effet,
absolument en l'air. Rien n'est arrêté : ni la quo-
tité, ni le mode de perception ; rien, absolument
rien. (Très bien ! très bien ! à droite.)
Ce n'est pas sérieux ; on inscrit comme prévi-
sion de recettes une idée ! Et M. Dreyfus nous
dit : « Voyez les professions de foi : plus de 200
d'entre nous ont promis l'impôt sur le revenu ; la
majorité des électeurs le réclame. »
M. Camille Dreyfus. — J'ai parlé de la majo-
rité républicaine ; cela me suffit, en y compre-
nant peut-être les républicains de droite.
M. Raoul Duval. — Je vous répondrai que
c'est une des choses les plus fatales pour les ré-
publicains, que de s'imaginer que ceux qui n'ap-
partiennent pas à ce parti ne comptent pas ;
ils comptent comme citoyens et surtout com-
me contribuables. (Très bien ! très bien! à
droite.)
Si on les oubliait, si on ne comptait pas avec
eux, on s'exposerait à de graves mécomptes,, le
jour des règlements; ces règlements arrivent tous
les quatre ans, les balances s'établissent au lende-
main du scrutin, et, s'il y a eu des mécomptes au
dernier scrutin, la faute n'en est-elle pas à ceux
qui n'avaient voulu voir que les électeurs répu-
blicains sans compter avec les autres ?
L'impôt sur le revenu avait été proposé; en
1876, par M. Gambetta, M. Raoul Duval le rap-
pelle et établit, en somme, que nous sommes
aujourd'hui moins avancés qu'alors sur ce
sujet.
Ce n'est pas la première fois qu'on propose
l'impôt sur le revenu. En 1876, j'appartenais à la
commission présidée par l'un des hommes d'Etat
les plus distingués du parti républicain, M. Gam-
betta, qui proposait l'impôt sur le revenu; mais
M. Gambetta n'y allait pas par quatre chemins.
Il voulait établir l'impôt sur le revenu général,
mais il supprimait tous les autres impôts. Il par-
lait d'entreprendre l'œuvre d'assurer la contribu-
tion directe sur la seule base du revenu, en éli-
minant toutes les autres bases introduites dans
notre législation, et qui répugnent au principe
supérieur de la proportionnalité.
*
* *
Le député de l'Eure a été quelquefois ac-
cusé de versatilité dans ses opinions politiques;
personne, du moins, ne pourra lui reprocher
de n'être pas resté fidèle à la doctrine du li-
bre-échange. M. Andrieux avait soulevé, hier,
les passions protectionnistes de la Droite et
de certains républicains; M. Duval lui répond
avec un grand bonheur d'expressions. Et,
cette fois, les applaudissements partent de la
Gauche.
Pour aligner votre budget, vous avez la bonne
fortune — le mot est exact — de vous trouver
dans une année de mauvaise récolte. Vous éva-
luez la recette que vous donnera l'impôt sur le blé.
Mais — M. Dreyfus vous l'a dit avec raison - c'est
là une ressource instable. Si le blé arrive à des
prix de famine, il faudra bien, par humanité, sup-
primer l'impôt, et quand l'année sera bonne, l'im-
pôt ne donnera rien. Vous êtes donc obligés de
spéculer sur la médiocrité.
L'honorable M. Andrieux a dit que la taxe sur
les blés serait facilement payée et que les ports
seuls la combattaient. Je veux répondre à l'argu-
ment.
Grâce au rapport très savant de M. Wilson,
nous savons que, par suite de l'abaissement du
prix du blé, la consommation française s'est éle-
vée.
C'est là un résultat dont nous devons nous féli-
citer, car il signifie que les plus mal nourris de
nos concitoyens se nourrissent mieux.
Pour que, cette année, nous puissions manger
la même quantité de pain, il faudra demander
15 millions d'hectolitres de blé à l'étranger. Ces
15 millions d'hectolitres rapporteront au Trésor
de 33 à 34 millions. Mais qui est-ce qui les
payera ?
M. Cuneo d'Ornano. — Le consommateur.
M. Raoul Duval. — Le consommateur, assuré-
ment. Je n'ai qu'à ouvrir la Mercuriale des halles
et marchés pour y voir que le froment roux
d'Amérique vaut 19 fr. 25 à Anvers et 22 fr. 75 au
Havre. Les voilà, vos 3 fr. de taxe, et par consé-
quent, vous êtes obligés de vous féliciter d'une
mauvaise récolte.
«
* *
Jusqu'ici, l'orateur s'est maintenu dans la
discussion des détails du budget. Il a été par-
fois heureux et souvent applaudi, mais la
péroraison de son discours mérite d'être en-
tièrement citée :
J'aurais fini, si, avant de descendre de la. tri-
bune, je ne croyais devoir aborder un ordre d'i-
dées qui touche plus à la politique proprement
dite. Ceux qui ont eu l'honneur d'être les col-
lègues de M. Thiers lui ont entendu bien souvent
répéter un adage, qui serait devenu banal, si la
vérité pouvait jamais le devenir : c'est que tout
ce que nous ferons dans l'ordre financier restera
à l'état d'expédients plus ou moins heureux, si
nous ne parvenons pas à faire de meilleure poli-
tique.
Et, en effet, si nous ne faisons pas de meilleure
politique, tous nos expédients sont voués à un
avortement rapide.
Il faut, aujourd'hui, que tous, tant que nous
sommes, sur quelques bancs que nous siégions,
nous nous demandions si, depuis dix ans, nous
n'avons pas été, les uns et les autres, un peu trop
entraînés par la passion politique et les rancunes
électorales.
Nous sommes en 1886 et nous discutons le bud-
get de 1887; si je fermais les yeux, je pourrais
me demander si nous ne sommes pas encore en
1877, au lendemain du 16 Mai. Toutes ces vieilles
rancunes, qui devraient être assoupies, je les
trouve vivantes.
Si je me retourne du côté de mes collègues de
la Gauche, j'y vois les mêmes ardeurs, les mêmes
méfiances, les mêmes suspicions. Si je regarde à
droite, j'y vois bien des préjugés, j'y vois bien
des collègues qui, par peur d'un mot, ne font pas
la politique qui est au fond de leur cœur.
Cependant, nous sommes à une heure de notre
existence nationale où le devoir des sacrifices
réciproques s'impose à tous. Quelle est notre si-
tuation intérieure et extérieure ?
A l'intérieur, le commerce, l'industrie, l'agri-
culture, tout souffre, tout se plaint.
A côté de cela, est-ce que vous n'êtes pas frap-
pés, chaque fois qu'on nous distribue les docu-
ments de la statistique criminelle, de voir avec
quelle rapidité se développe l'armée du crime? Ne
constatez-vous pas aussi que cette armée recrute
de plus en plus ses cadres jusque dans l'enfance ?
Est-ce que vous n'êtes pas frappés de ce fait
que ceux qui veulent arriver à la réalisation de
leurs idées, même par la force, se croient permis
de s'en prendre au pouvoir, sauvegarde de toute
société? Quel symptôme, [que ce fait d'un chef de
l'armée révolutionnaire s'adressant au chef de la
justice du pays pour lui dire : « Si vous avez la
paix dans la rue, ce n'est pas à vous qu'on le
doit, c'est à nous. »
Mais détournons, si vous le voulez, nos regards
de la situation intérieure. Vous êtes les représen-
tants de la France. Il y a une chose dont vous ne
pouvez pas vous désintéresser : c'est la situation
extérieure. Ne voyez-vous pas partout l'Europe en
armes, l'Orient en ébullition?
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BULLETIN
La séance de la Chambre a été remplie
par un discours de M. Raoul Duval, dé-
puté de l'Eure. On trouvera plus loin une
appréciation de ce discours, qui est à lui
seul un événement politique et un épisode
curieux de la vie parlementaire de l'hono-
rable député de l'Eure. Nous publions les
parties essentielles de ce discours.
Par une singulière coïncidence, le jour
même où un membre de la Droite libé-
rale faisait une évolution très marquée
vers le gouvernement républicain, au
nom de l'intérêt supérieur de la France,
dans une autre enceinte, un député répu-
blicain faisait presque une déclaration de
guerre au cabinet.
Il est difficile de voir autre chose qu'un
ultimatum dans le discours prononcé
par M. Steeg dans le groupe de l'Union
des Gauches, dont il a été réélu président.
Le langage de M. Steeg fait un contraste
fâcheux avec l'appel à la concorde que M.
Raoul Duval a adressé au parti de l'oppo-
sition et de l'obstruction systématiques.
Nous le constatons avec regret.
Les événements se précipitent en Bul-
garie. Les régents, sentant le pouvoir leur
échapper, ont tenté un rapprochement avec
le parti russe de la Sobranié, personnifié
par M. Zankoff. Cette tentative a échoué
devant les exigences de M. Zankoff ; et le
gouvernement de la régence, après cette
démarche, s'est trouvé plus impuissant
que jamais à sortir d'une situation inex-
tricable, et un peu plus discrédité, s'il est
possible.
Mais les régents ne sont pas au bout de
leurs épreuves. Une dépêche de Tirnova
annonce qu'une conspiration a éclaté à
Bourgas, dans la nuit de mercredi à jeudi.
Le chef du complot était le capitaine russe
Nabokof, celui-là même qui avait été im-
pliqué dans le coup d'Etat du mois de mai
dernier.
Un pope monténégrin, du nom de Vest-
, litchkoff, avait été chargé du soin de pré-
parer les voies aux conspirateurs. A la
tête d'une troupe nombreuse de Monté-
négrins, le capitaine Nabokoff s'est em-
paré du préfet de Bourgas et de quelques
officiers de la garnison, a pris possession
des édifices publics et a proclamé le gou-
vernement russe.
Le gouverneur du district de Bourgas et
un employé du télégraphe ont pu gagner
Ridos, d'où ils ont mis le gouvernement
central au courant de ces événements.
Des troupes fidèles ont été envoyées à
Bourgas, et une dépêche de Tirnova, ar-
rivée hier soir, donne comme certain que
les insurgés ont été mis en fuite sans
combat. « Sans combat » paraît quelque
peu optimiste et invraisemblable. Les cor-
respondants anglais disent, de même, que
la population de Bourgas et une compa-
gnie d'un régiment bulgare ont pris fait
et cause pour le gouvernement, contre le s
insurgés. Ils laissent entendre que le com-
plot a été ourdi dans la maison occupée
par le consulat de Russie, qui aurait fourni
l'argent pour payer les soldats monténé-
grins.
Enfin, ils donnent une description aussi
complète que possible de la ville de Bour-
gas, pour démontrer la complicité de la
Russie dans le coup de main.
La ville de Bourgas est située au sud et
à peu de distance de Varna (où sont les
Russes), au fond « d'une large baie », dont
les eaux sont assez profondes pour rece-
voir des bâtiments de fort tonnage (les
navires russes, par exemple).
Bourgas est située à proximité d'Andri-
nople et des plaines de la Roumélie, situa-
tion qui donne à la ville une importance
militaire ; en outre, l'accès est facile dans
l'intérieur, sans qu'il y ait à franchir les
passes des Balkans ; enfin, Bourgas étant
chef-lieu d'un district administratif, son
occupation offre des avantages évidents.
C'est assez dire que la Russie était prête à
procéder à cette occupation, et que la
troupe du capitaine Nabokoff n'était que
l'avant-garde des troupes russes débar-
quées à Varna. Le Times dit même, sans
détour, quela Russie n'a suscité l'insurrec-
tion de Bourgas que pour avoir le pré-
texte de la réprimer.
Ce sont là de simples hypothèses qui
n'ont, d'ailleurs, rien d'invraisemblable.
Quoi qu'il en soit, il est évident que la
situation du gouvernement bulgare est
irrémédiablement compromise. Lundi, il
s'apprête à jouer sa dernière carte. La So-
branié s'est ajournée jusque-là,pour se
concerter sur la conduite à tenir. Deux
partis lui restent à prendre : ou bien ren-
verser le gouvernement de la régence, ou
bien élire un prince quelconque. C'est à
ce dernier expédient que poussent les ré-
gents, qui, vraisemblablement, donneront
leur démission dès qu'ils auront un pré-
texte plausible de quitter le pouvoir, sans
avoir l'air de se soumettre au général
Kaulbars. Eux partis, tout est simplifié;
leur démission est le seul acte de sagesse
qu'on puisse attendre de ces dictateurs
inexpérimentés.
Louis HENRIQUE.
INFORMATIONS PARTIGCLIËRES
Le mouvement préfectoral
Le mouvement préfectoral que nous avons
annoncé est sur le point d'être terminé. Il
sera soumis, mardi prochain, au conseil des
ministres.
Nous croyons savoir que M. Allain-Targé,
préfet de l'Aisne, serait nommé préfet de la
Somme. M. Bogner, préfet des Vosges, serait
nommé préfet de l'Aisne. M. de Lozé, secré-
taire général de la préfecture de police , irait
à Orléans. M. Frémont, préfet de Loir-et-Cher
à Angers, et M. Eynac , préfet de Tarn-et-Ga-
ronne, en Corse. M. Granet passerait, de son
côté, de la Nièvre dans le Loir-et-Cher ou la
Haute-Savoie, et M. Bès-de-Berc, préfet de la
Corse, aurait l'un de ces deux postes.
Conseil des ministres
Les ministres ont tenu conseil, hier matin,
à l'Elysée, sous la présidence de M. Jules
Grévy.
M. de Freycinet, ministre des affaires étran-
gères, a communiqué au conseil un projet de
loi sur la propriété littéraire et artistique qu'il
a signé, de concert avec son collègue de l'in-
struction publique, et qui va être déposé sur
le bureau de la Chambre.
Il a également soumis au conseil un projet
de loi portant approbation de la convention
conclue avec la Suisse, le 26 juillet dernier, et
ayant pour objet de fixer le régime des vins,
alcools et vinaigres et de la parfumerie ex-
portés de France en Suisse.
M. Sarrien, ministre de l'intérieur, a fait si-
gner deux décrets par lesquels M. René Laf-
fon, directeur du cabinet et du personnel, est
nommé directeur des affaires départementa-
les et communales ; et M. Bourgeois, préfet
de la Haute-Garonne, est nommé directeur du-
personnel et du secrétariat.
Le ministre du commerce a fait signer un
décret ayant pour objet de retirer à la Cham-
bre le projet de loi sur les contrefaçons étran-
gères qu'il avait précédemment déposé.
Le ministre du commerce a été autorisé à
déposer à la Chambre un projet de loi régle-
mentant le travail des femmes, filles mineu-
res et enfants dans les établissements indus-
triels.
Le ministre de la marine a fait signer un
décret réorganisant les services de l'adminis-
tration de la marine sur les bases de la loi
du 16 mars 1882, relative à l'administration
de l'armée.
Enfin, le ministre des postes et télégraphes
a fait signer un décret réglant les conditions
d'échange des mandats de poste avec la Ré-
publique Argentine.
M. Millaud, ministre des travaux publics, a
fait connaître qu'il n'avait pas l'intention de
s'adjoindre un sous-secrétaire d'Etat.
Mouvement diplomatique
M. de Laboulaye, le nouvel ambassadeur
de France à Saint-Pétersbourg , est attendu à
Paris. Il sera reçu demain par M. de Freyci-
net. Il regagnera son poste aussitôt que l'on
connaîtra la daie du retour de M. de Mohren-
heim à Paris.
M. Cambon va se rendre à Tunis pour pren-
dre congé du bey ; il ira prendre la succes-
sion de M. de Laboulaye à Madrid, vers le 20
novembre.
M. Bihourd, le nouveau résident général de
France à Tunis, sera reçu dans quelques jours
par M. de Freycinet, qui lui donnera ses der-
nières Instructions avant son départ pour la
Tunisie.
QUESTIONS DU JOUR
A l'Union des Gauches
M. Steeg, réélu président de l'Union
des Gauches, vient de prononcer un dis-
cours qui ne rendra pas la conciliation
plus facile entre les deux groupes répu-
blicains, sans l'union desquels il n'y a
de majorité possible, ni pour le minis-
tère actuel, ni pour un autre. De l'avis
de son président, l'Union des Gauches
doit prendre, dès à présent, la direction
de la politique et passer de « l'abnéga-
tion » à « l'action ». Elle y aurait, selon
M. Steeg, été « conviée par les élec-
teurs eux-mêmes ». C'est une nouvelle
dont nous n'avions pas encore ouï par-
ler ; car, pendant toute la période des
vacances, au contraire, ce que nous
avons entendu applaudir, acclamer, ce
sont les éloquents appels à la concorde
de M. le président du conseil et de tous
les orateurs, ministres ou députés, qui
ont porté la parole dans le même sens
que l'honorable M. de Freycinet. L'union
des républicains, l'ajournement, dans la
Chambre des députés, des questions qui
ne pouvaient être résolues et de tout
débat irritant, voilà la politique qui a
obtenu, dans toute la France, une appro-
bation si chaude, et l'on aurait mal ac-
cueilli tout orateur qui se fût avisé de
soutenir la thèse contraire.
Or, c'est justement ce que vient de
faire
Or, l'honorable député de la Gironde
dans sa harangue à l'Union des Gau-
ches. Après avoir recommandé une
politique « qui écarte les questions ha-
sardeuses et qui s'attache aux problè-
mes solubles », il s'empresse d'ajouter :
« Cela ne signifie pas que nous nous
supprimerons, que nous ne nous sou-
viendrons plus que nous sommes la
partie la plus considérable de la majorité
républicaine, que nous ne chercherons
pas à faire triompher nos vues quand
nous le croirons nécessaire, que nous
laisserons sans organe et sans voix les
masses républicaines que nous repré-
sentons et dont les aspirations ont le
droit de prévaloir dans les conseils du
gouvernement. Il faut montrer que
nous sommes un parti vivant, que nous
avons des doctrines, que nous savons
vouloir et intervenir, etc. » Tout cela
est habilement dit ; mais il n'en est pas
moins certain que, si l'on tourne et re-
tourne ce texte, on n'y trouvera pas
autre chose qu'une vive revendication
de la direction de l'œuvre parlemen-
taire. Or, en admettant que l'Union des
Gauches soit, comme son président l'af-
firme, « la partie la plus considérable de
la @ majorité », elle n'en forme cepen-
qu'une partie, et elle ne saurait douter
que cette majorité ne soit anéantie, le
jour où s'en retireraient les républicains
radicaux qui la complètent. Je cherche
en vain quel intérêt peut trouver l'ho-
norable M. Steeg à provoquer ainsi une
dislocation de la majorité, la rupture de
son groupe avec le groupe radical, dans
le moment même où ce dernier groupe,
sans abandonner ses principes, paraît
avoir sincèrement reconnu la nécessité
de ne pas se conduire en parti d'oppo-
sition à l'égard du gouvernement.
Si l'un ou l'autre, ou l'un et l'autre
des deux groupes en revient à pratiquer
exclusivement sa politique propre, s'il
refuse toute concession à l'autre groupe,
s'il se propose de se conduire à sa fan-
taisie et de ne pas tenir plus de compte
de la Droite réactionnaire que si celle-ci
n'existait pas, alors, où faudra-t-il cher-
cher une majorité, je le demande? Fe-
rons-nous de nouveau la démonstration
qu'il n'y a pas de place au gouverne-
ment ni pour un ministère radical, ni'
pour un ministère opportuniste, ni pour
un ministère réactionnaire ? Ce serait
superflu, presque puéril, tant la chose
est indiscutable. Alors, si l'on me per-
met de répéter ce que nous disions
hier, comment peut-il venir à l'idée de
députés républicains, quel que soit le
groupe où ils se sont rangés, de prati-
quer une politique de discorde dans un
temps où la plus évidente nécessité qui
s'aperçoive est celle d'une politique de
conciliation?
Qu'est-ce qui a disposé favorable-
ment l'opinion publique quand le mi-
nistère actuel a été formé par M. de
Freycinet? C'est que la constitution du
nouveau cabinet parut à tout le monde
être le gage d'un rapprochement indis-
pensable au sein de la représentation
républicaine, d'une trêve pour la durée
de la législature, si ce n'est d'une paix
définitive, et de l'ajournement, enfin, de
tout ce qui risquerait de raviver les an-
ciennes querelles. Or, si un ministère
où se rencontraient M. Goblet et M. De-
môle, M. Sadi Carnot et M. Granet, M.
Lockroy et M. Develle, a pu tomber
d'accord sur un programme et se con-
sacrer à une oeuvre commune, pourquoi
les députés républicains ne suivraient-
ils pas l'exemple qui leur est donné par
les ministres? Pourquoi ce qui s'est
trouvé possible pour le cabinet serait-il
impossible pour la majorité républi-
caine? Ce sont des questions qui se pose-
ront d'elles-mêmes dans le pays, si la
majorité républicaine, au lieu de soute-
nir un ministère qui lui donne les plus
sûres garanties, venait à se rompre. Il
est fâcheux que des considération s
aussi simples n'aient frappé ni le pré-
sident de l'Union des Gauches, ni ses
collègues qui l'ont, en vérité, un peu
trop abondamment applaudi.
ErG. LIÉBERT,
LA DROITE CONSTITUTIONNELLE
A LA CHAMBRE
M. Raoul Duval a obtenu, hier, un vif
succès, en exposant devant la Chambre le
programme de la Droite constitutionnelle.
Mais, ce succès, c'est la majorité républi-
caine qui l'a fait. A peine quelques rares
membres de la minorité ont-ils marqué
leur adhésion aux idées que l'orateur ex-
primait, tandis que les protestations vio-
lentes et les interruptions venaient toutes
de la Droite. Celle-ci mettait son honneur
à placer, en face de l'opposition constitu-
tionnelle de M. Raoul Duval, l'opposition
systématique, irréconciliable des hommes
qui cherchent moins l'intérêt du pays, par
une direction conforme à leurs idées, que
la satisfaction de leurs rancunes ou de
leurs ambitions par un bouleversement.
Cette constatation suffit à montrer que
la Chambre actuelle est un terrain mal
préparé pour la germination de la graine
que M. Raoul Duval veut y semer. La
Droite n'est pas un parti politique : c'est
la coterie que M. Raoul Duval avait raison
de railler, pour laquelle le mot de Répu-
blique sonne mal, et qui considère comme
de mauvais ton de se dire républicain. Ses
opinions sont faites de préjugés. La raison
ne saurait en triompher.
Il n'y a donc pas d'illusion à se faire sur
le succès qui attend l'entreprise de M.
Raoul Duval. Lui-même n'a, du reste, pas
craint de reconnaître qu'il n'espérait pas
vaincre les résistances de ses collègues,
et c'est peut-être moins pour les convain-
cre, que pour plaider sa cause devant le
pays, qu'il parlait. Si son intention était,
en effet, de faire connaître au pays le but
qu'il poursuit et de faire, enfin, sortir le
programme de la Droite constitutionnelle
de la trop discrète obscurité où l'avaient
laissé jusqu'ici les fragments de lettres pu-
bliés et les récits des reporters, M. Raoul
Duval n'aura peut-être pas perdu son
temps et le temps de la Chambre, hier ; et
sa parole trouvera sans doute un écho
dans ces départements qui, au 4 octobre
dernier, ont cru voter pour des conserva-
teurs et se sont aperçus, le lendemain, avec
une douloureuse surprise, qu'ils avaient
élu des monarchistes.
On nous croira sans peine si nous décla-
rons que nous ne sommes pas plus les
partisans de la Droite constitutionnelle
que de la Droite monarchique. Entre la
Droite, de quelque étiquette qu'elle se re-
vête, et nous, le désaccord ne porte pas
seulement sur la question constitution-
nelle : il est général. Cependant, l'entre-
prise de M. Raoul Duval nous intéresse,
parce que nous y voyons l'espérance —
encore lointaine — d'un classement des
partis plus avantageux pour le pays. Nous
y voyons la preuve que, même les parti-
sans des régimes déchus commencent à
s'apercevoir de l'inanité de leurs efforts
pour renverser la République, et un com-
mencement d'apaisement des luttes politi-
ques dans lesquelles s'est usé le plus clair
des forces de ce siècle.
Depuis soixante-ans au moins, tous les
gouvernements qui se sont succédé ont dû
se préoccuper surtout de se défendre con-
tre des adversaires qui n'aspiraient qu'à
les renverser. Toutes les questions d'orga-
nisation ont dû être subordonnées à cette
lutte pour l'existence, chaque jour re-
nouvelée. La République actuelle n'a pas
échappé à cette nécessité plus que ses de-
vancières. Elle a eu à lutter pour l'exis-
tence au 24 Mai et au 16 Mai. La lutte a
recommencé à chaque élection. Dans tous
les scrutins, la véritable question, la seule
que l'on ait débattue, a été la question
constitutionnelle. Si elle n'a pas été posée
ouvertement par les réactionnaires au
4 octobre, c'est que, l'aveu en a encore été
fait hier, « la loi le défendait ». Mais, der-
rière les programmes d'apparence cons-
titutionnelle, c'était bien la monarchie
qui s'agitait, et si les prétendus candidats
agricoles étaient arrivés en majorité à la
Chambre, nous serions, pour le moment,
en pleine guerre civile.
Nous ne pouvons pas empêcher les
réactionnaires d'être réactionnaires. Mais
ce que nous pouvons désirer, c'est que
la lutte entre eux et nous se déplace,
et qu'au lieu de consumer toutes les for-
ces dans des entreprises stériles, dans une
sorte de question préjudicielle, elle porte
enfin sur les questions à la solution des-
quelles l'avenir du pays est attaché. La
République est le gouvernement qui per-
met le mieux à toutes les initiatives de se
produire, à tous les partis d'exercer leur
action. Il leur suffit de plaider leur cause
devant les électeurs et de la gagner. Quel
avantage quelqu'un peut-il voir à de nou-
veaux bouleversements, qui ne se produi-
raient que pour être suivis, à courte
échéance, de bouleversements nouveaux ?
Quel intérêt les réactionnaires peuvent-ils
avoir à prolonger une lutte stérile et à pa-
ralyser toutes les forces du pays ? Il sem-
ble qu'ils devraient avoir, depuis long-
temps, renoncé à cette attitude et compris
l'avantage qu'il pourraient tirer de l'aban-
don d'espérances désormais chimériques.
Mais ils sont entièrement dominés par la
passion de parti. Ils l'ont bien montré hier
encore, et l'accueil qu'ils ont fait au dis-
cours de M. Raoul Duval doit avoir enlevé
à celui-ci sa dernière espérance de les ral-
lier à sa cause.
CHRONIQUE
Trafics sidéraux
Nous vivons dans des temps étran-
ges.
Ni l'infiniment petit, ni l'infiniment
grand n'ont, pour ainsi dire, plus de se-
crets pour nous. Il y a, de par le monde,
un tas de gens qui vivent dans l'intimité
des microorganismes - bactéries, vi-
brions, microbes, etc., —invisibles et
impalpables. Ils en connaissent à fond la
structure, les habitudes, les caractères,
les moeurs ; ils en distinguent les espè-
ces et les variétés; ils en expliquent le
rôle et les fonctions ; ils en racontent
l'histoire; ils vous en montrent des pho-
tographies , tirées d'après nature ; ils
font mieux : ils les « cultivent » les
apprivoisent, les disciplinent et les obli-
gent à réparer eux-mêmes ou à prévenir,
sous le nom de « virus atténués » ou
de « vaccins » , les ravages que pour-
raient opérer, au sein de l'organisme,
leur effroyable pullulation, les prome-
nades vagabondes et la mystérieuse al-
chimie dont ils sont coutumiers.
D'autres ne se lassent pas de fouiller
de l'œil la voûte azurée. Rien ne leur
échappe. Impossible à un astre nouveau
de se mêler à la foule stellaire sans être
dénoncé par leur infatigable contrôle,
pointé, classé, numéroté, baptisé. Il y a
quelques mois, le merveilleux écrin qui,
par les belles nuits, diapre de mille feux
le velours bleu du firmament, vint à
s'enrichir inopinément d'un diamant
neuf : au moment où l'on s'y attendait
le moins, une étoile inédite s'allumait
au front de la nébuleuse d'Andromède.
Le soir même, de tous les observatoires
de l'univers civilisé partaient, dans tou-
tes les directions, des télégrammes de
bienvenue; en vérité, je vous le dis, il
n'est point d'état civil aussi régulière-
ment tenu que celui de l'empyrée.
Des messieurs, qu'on appelle astro-
nomes, et auxquels, — en vertu de la
formule : « Le besoin crée l'organe » —
il a fini par pousser au-devant de la
prunelle — ante ojos — une enfilade de
tubes de cuivre munis de miroirs et de
lentilles baroques, ne se contentent pas
de voir et d'enregistrer les astres qui
sont là-haut. Ils signalent encore, par-
dessus le marché, et décrivent même,
ce qui est mieux, les astres qui n'y sont
pas encore. Ce fut le cas de Leverrier,
calculant mathématiquement la masse,
l'orbite. et les mœurs de Neptune, et
lui assignant d'avance, en un point pré-
cis de l'espace, l'inéluctable rendez-
vous auquel cette planète était de trop
bonne compagnie pour ne pas se trou-
ver à l'heure dite.
Avec une méthode aussi sûre et des
observateurs aussi scrupuleux, la carte
du ciel est nécessairement dressée jour
par jour, avec une ponctualité qui tient
du miracle. Le ciel est mieux balisé
que l'Océan. S'il arrive, un jour, que
l'homme surprenne enfin le mot de
l'énigme de la navigation aérienne, les
voyages « autour de la lune» et « à tra-
vers le monde solaire », dont Michel
Ardan et Hector Servadac nous ont déjà
donné l'avant-goût, offriront moins de
difficultés et de périls que la traversée
actuelle du Sahara ou du Grand-Chaco.
Il est vrai qu'il faudra avoir trouvé la res-
piration factice et modifié les lois de la
gravitation ; mais ce n'est là qu'un dé-
tail secondaire pour les Jules Vernes de
l'avenir.
+ «
Il y a mieux. Non seulement les as-
tres ne peuvent plus échapper à la sur-
veillance des friands du télescope ni
leur brûler la politesse; mais ils sont de-
venus objets de trafic, choses vénales
et « marchandes H. Ils sont tombés dans
le commerce. En ce siècle de positi-
visme et d'affaires, où l'ont fait argent
de tout, depuis les indulgences jus-
qu'aux vieux chiffons, depuis les déco-
rations jusqu'aux timbres-poste « après
la lettre », cela devait leur arriver.
M. Palisa, de Vienne — un homme
qui a déjà sur la conscience quelque
chose comme deux ou trois cents étoi-
les n'ayant pas encore servi — M. Palisa
ne réclamait-il pas, l'année dernière, à
tous les échos, un parrain de bonne vo-
lonté pour l'astéroïde 244 qu'il venait
de découvrir? Ça coûtait 1,250 francs,
mais c'était une galanterie originale à
faire à une dame.
Il nous revient aujourd'hui de « l'autre
côté de l'eau», une histoire plus « forte »
encore et qui jette un singulier jour sur
les « dessous » de l'astronomie.
La petite ville de Rochester, située
dans l'état de New-York, à quelque dis-
tance du lac Ontario, possède depuis
quelques années un observatoire portant
le nom d'un M. Warner, son fondateur.
Ces fondations scientifiques ne
sont pas rares aux Etats-Unis, où nom-
bre d'Universités,- coûtant chacune plu-
sieurs millions, -l'Université Hopkins,
par exemple, représente une dotation
de 25 millions, fournie par un seul
homme ! — doivent leur existence et
leur prospérité à des libéralités parti-
culières. Dans l'analyse que je me pro-
pose de faire ici, un de ces jours pro-
chains, du beau livre d'Andrew Carne-
gie, le Triomphe de la démocratie, je
reviendrai sur ces « américanismes ».
M. Warner ne s'est pas contenté
de fonder un établissement astronomi-
que. Il a laissé, en outre, des fonds
destinés à récompenser pécuniairement
les astronomes qui découvrent des co-
mètes. Or, il y a un mois, ce legs a
donné naissance à un curieux incident.
Le 5 octobre dernier, le professeur
Swift, qui est chargé de distribuer les
primes, recevait de son confrère M.
E.-E. Bernard, directeur de l'Observa-
toire Vanderbilt (encore un observa-
toire privé!) situé à Nashville, capitale
du Tennessee, une dépêche lui annon-
çant qu'il venait de découvrir une co-
mète assez brillante, visible dans la
constellation du Lion, et réclamant le
paiement de la somme promise. A peine
M. Swift avait-il vérifié la découverte,
qu'il recevait un autre télégramme de
M. Hartwig, directeur de l'Observatoire
de Strasbourg, pour l'avertir qu'il avait
aperçu une comète dont les coordon-
nées célestes correspondaient identi-
quement à celles de l'astre du profes-
seur Bernard. Vous voyez d'ici l'embar-
ras de l'arbitre, convaincu désormais
que l'espace infini allait devenir trop
petit pour les astronomes, puisqu'ils
s'y rencontrent et s'y font concurrence.
D'après le lVew-York Herald, à qui
j'emprunte ces renseignements, on va
cependant juger que c'est l'astronome
américain qui, étant arrivé bon premier,
a seul le droit d'émarger au budget si-
déral constitué par M. Warner. « Cela
n'étonnera personne, ajoute notre con-
frère transatlantique, car, depuis qua-
tre ans, M. Bernard n'a pas découvert
moins de six comètes, et le montant des
primes encaissées par lui, de ce chef, ne
s'élève pas à moins de 5 ou 6,000
francs. »
C'est égal! Pour une drôle de profes-
sion, c'est une drôle de profession.
« Chercheur d'étoiles », cela vaut le lé-
gendaire « fabricant de verres noircis
pour regarder les éclipses », mais c'est
plus lucratif, avec un pénétrant ragoût
de modernisme qui n'est pas sans
poésie. -
*
* *
« L'art de pister les comètes et de
s'en faire six mille francs de rentes » !
Il ne manquera pas de particuliers
pour vous soutenir sérieusement que la
chose est faite pour nous donner une
crâne idée du Grand Architecte du Cos-
mos : Cœli enarrant gloriam Dei.
Quand on songe, au contraire, à la pré-
cision et à la sûreté que cela suppose ;
quand on songe, d'autre part, que pour
en venir là, à être « comme chez soi »
dans les incommensurables solitudes
de l'Infini, il suffit à l'observateur d'un
cerveau et d'un œil imparfaits, plus ou
moins bien armés de quelques morceaux
de métal et de cristal taillé, on est tenté
plutôt de conclure : Cœli enarrant glo-
riam Iwrninis.
Traduction libre, d'après Thomas Vi-
reloque :
— C'est ça, qui vous donne une crâne
idée de l'homme !
RAOUL LUCET.
LE PARLEMENT
SF ANCE DE LA CHAMBRE
La dise ssion du budget
L'événement du jour est le discours de M.
Raoul Duval, député de l'Eure.
L'orateur a commencé par déplorer l'exclu-
sion de la Droite de la commission du budget.
Puis, après avoir reconnu le caractère de sin-
cérité du projet de loi déposé par le gouver-
nement, il avoue que le parti républicain a
été amené à doter la génération présente de
tout ce qu'elle désirait, si bien que l'équilibre
du budget ne peut plus être obtenu, aujour-
d'hui, que par la diminution des dépenses.
M. Raoul Duval cherche à établir que les
dépenses ont constamment dépassé les re-
cettes. Cet examen amène l'orateur à consta-
ter le déficit causé par le vote de la loi des
sucres.
— C'est la Droite qui a fait cette loi, crie-t-
on à gauche.
— La Droite et la Gauche n'ont pas de re-
proches à se faire sur ce point, répond l'ora-
teur.
Après avoir rendu à M. Wilson l'hommage
qui est dû à son «remarquable talent de mise
en scène », le député de l'Eure arrive au
projet financier de la commission.
A propos de la conversion des obligations
sexennaires proposée par M. Sadi Carnot,
M. Raoul Duval attaque la commission, qui a
repoussé ce procédé :
A mon sens, dit-il, il n'y avait rien de plus pré-
voyant et de plus juste que ce que proposait M.
le ministre des finances.
La préoccupation d'un ministre des finances
doit être, en effet, d'assurer avant tout l'élasticité
de ses ressources de trésorerie : en y pourvoyant,
M. Sadi Carnot s'est donc montre un ministre
clairvoyant et un patriote vigilant.
Il défend encore la suppression du budget
extraordinaire, proposée par le gouverne-
ment.
En face du gouvernement qui, pour que le pays
puisse voir plus clair dans ses finances, réclame
la l suppression du budget extraordinaire, la com-
mission en demande le maintien, et, elle qui ne
veut pas rouvrir le grand-livre de la dette publi-
que, elle propose d'autoriser l'emprunt sous sa
forme la plus dangertuse, sous celle d'une nou-
velle émission d'obligations à court terme.
Le seul point sur lequel l'orateur soit d'ac-
cord avec la commission, est le maintien du
privilège des bouilleurs de cru. « Supprimant
l'exercice chez le débitant, la commission a
reculé devant la perspective de l'établir chez
le propriétaire. »
*
* *
Si M. Raoul Duval n'a que des compliments
à adresser à la commission du budget à pro-
pos des bouilleurs de cru, il se montre beau-
coup moins bienveillant à l'égard de la pro-
position d'établir un impôt sur le revenu.
La commission inscrit, de ce chef, 15 millions
pour 1887. Pourquoi 15 millions ? Parce qu'elle a
besoin de 15 millions pour aligner ses comptes.
Elle aurait mis 20, 25 millions, si elle avait eu be-
soin de ces chiffres. C'est là un impôt, en effet,
absolument en l'air. Rien n'est arrêté : ni la quo-
tité, ni le mode de perception ; rien, absolument
rien. (Très bien ! très bien ! à droite.)
Ce n'est pas sérieux ; on inscrit comme prévi-
sion de recettes une idée ! Et M. Dreyfus nous
dit : « Voyez les professions de foi : plus de 200
d'entre nous ont promis l'impôt sur le revenu ; la
majorité des électeurs le réclame. »
M. Camille Dreyfus. — J'ai parlé de la majo-
rité républicaine ; cela me suffit, en y compre-
nant peut-être les républicains de droite.
M. Raoul Duval. — Je vous répondrai que
c'est une des choses les plus fatales pour les ré-
publicains, que de s'imaginer que ceux qui n'ap-
partiennent pas à ce parti ne comptent pas ;
ils comptent comme citoyens et surtout com-
me contribuables. (Très bien ! très bien! à
droite.)
Si on les oubliait, si on ne comptait pas avec
eux, on s'exposerait à de graves mécomptes,, le
jour des règlements; ces règlements arrivent tous
les quatre ans, les balances s'établissent au lende-
main du scrutin, et, s'il y a eu des mécomptes au
dernier scrutin, la faute n'en est-elle pas à ceux
qui n'avaient voulu voir que les électeurs répu-
blicains sans compter avec les autres ?
L'impôt sur le revenu avait été proposé; en
1876, par M. Gambetta, M. Raoul Duval le rap-
pelle et établit, en somme, que nous sommes
aujourd'hui moins avancés qu'alors sur ce
sujet.
Ce n'est pas la première fois qu'on propose
l'impôt sur le revenu. En 1876, j'appartenais à la
commission présidée par l'un des hommes d'Etat
les plus distingués du parti républicain, M. Gam-
betta, qui proposait l'impôt sur le revenu; mais
M. Gambetta n'y allait pas par quatre chemins.
Il voulait établir l'impôt sur le revenu général,
mais il supprimait tous les autres impôts. Il par-
lait d'entreprendre l'œuvre d'assurer la contribu-
tion directe sur la seule base du revenu, en éli-
minant toutes les autres bases introduites dans
notre législation, et qui répugnent au principe
supérieur de la proportionnalité.
*
* *
Le député de l'Eure a été quelquefois ac-
cusé de versatilité dans ses opinions politiques;
personne, du moins, ne pourra lui reprocher
de n'être pas resté fidèle à la doctrine du li-
bre-échange. M. Andrieux avait soulevé, hier,
les passions protectionnistes de la Droite et
de certains républicains; M. Duval lui répond
avec un grand bonheur d'expressions. Et,
cette fois, les applaudissements partent de la
Gauche.
Pour aligner votre budget, vous avez la bonne
fortune — le mot est exact — de vous trouver
dans une année de mauvaise récolte. Vous éva-
luez la recette que vous donnera l'impôt sur le blé.
Mais — M. Dreyfus vous l'a dit avec raison - c'est
là une ressource instable. Si le blé arrive à des
prix de famine, il faudra bien, par humanité, sup-
primer l'impôt, et quand l'année sera bonne, l'im-
pôt ne donnera rien. Vous êtes donc obligés de
spéculer sur la médiocrité.
L'honorable M. Andrieux a dit que la taxe sur
les blés serait facilement payée et que les ports
seuls la combattaient. Je veux répondre à l'argu-
ment.
Grâce au rapport très savant de M. Wilson,
nous savons que, par suite de l'abaissement du
prix du blé, la consommation française s'est éle-
vée.
C'est là un résultat dont nous devons nous féli-
citer, car il signifie que les plus mal nourris de
nos concitoyens se nourrissent mieux.
Pour que, cette année, nous puissions manger
la même quantité de pain, il faudra demander
15 millions d'hectolitres de blé à l'étranger. Ces
15 millions d'hectolitres rapporteront au Trésor
de 33 à 34 millions. Mais qui est-ce qui les
payera ?
M. Cuneo d'Ornano. — Le consommateur.
M. Raoul Duval. — Le consommateur, assuré-
ment. Je n'ai qu'à ouvrir la Mercuriale des halles
et marchés pour y voir que le froment roux
d'Amérique vaut 19 fr. 25 à Anvers et 22 fr. 75 au
Havre. Les voilà, vos 3 fr. de taxe, et par consé-
quent, vous êtes obligés de vous féliciter d'une
mauvaise récolte.
«
* *
Jusqu'ici, l'orateur s'est maintenu dans la
discussion des détails du budget. Il a été par-
fois heureux et souvent applaudi, mais la
péroraison de son discours mérite d'être en-
tièrement citée :
J'aurais fini, si, avant de descendre de la. tri-
bune, je ne croyais devoir aborder un ordre d'i-
dées qui touche plus à la politique proprement
dite. Ceux qui ont eu l'honneur d'être les col-
lègues de M. Thiers lui ont entendu bien souvent
répéter un adage, qui serait devenu banal, si la
vérité pouvait jamais le devenir : c'est que tout
ce que nous ferons dans l'ordre financier restera
à l'état d'expédients plus ou moins heureux, si
nous ne parvenons pas à faire de meilleure poli-
tique.
Et, en effet, si nous ne faisons pas de meilleure
politique, tous nos expédients sont voués à un
avortement rapide.
Il faut, aujourd'hui, que tous, tant que nous
sommes, sur quelques bancs que nous siégions,
nous nous demandions si, depuis dix ans, nous
n'avons pas été, les uns et les autres, un peu trop
entraînés par la passion politique et les rancunes
électorales.
Nous sommes en 1886 et nous discutons le bud-
get de 1887; si je fermais les yeux, je pourrais
me demander si nous ne sommes pas encore en
1877, au lendemain du 16 Mai. Toutes ces vieilles
rancunes, qui devraient être assoupies, je les
trouve vivantes.
Si je me retourne du côté de mes collègues de
la Gauche, j'y vois les mêmes ardeurs, les mêmes
méfiances, les mêmes suspicions. Si je regarde à
droite, j'y vois bien des préjugés, j'y vois bien
des collègues qui, par peur d'un mot, ne font pas
la politique qui est au fond de leur cœur.
Cependant, nous sommes à une heure de notre
existence nationale où le devoir des sacrifices
réciproques s'impose à tous. Quelle est notre si-
tuation intérieure et extérieure ?
A l'intérieur, le commerce, l'industrie, l'agri-
culture, tout souffre, tout se plaint.
A côté de cela, est-ce que vous n'êtes pas frap-
pés, chaque fois qu'on nous distribue les docu-
ments de la statistique criminelle, de voir avec
quelle rapidité se développe l'armée du crime? Ne
constatez-vous pas aussi que cette armée recrute
de plus en plus ses cadres jusque dans l'enfance ?
Est-ce que vous n'êtes pas frappés de ce fait
que ceux qui veulent arriver à la réalisation de
leurs idées, même par la force, se croient permis
de s'en prendre au pouvoir, sauvegarde de toute
société? Quel symptôme, [que ce fait d'un chef de
l'armée révolutionnaire s'adressant au chef de la
justice du pays pour lui dire : « Si vous avez la
paix dans la rue, ce n'est pas à vous qu'on le
doit, c'est à nous. »
Mais détournons, si vous le voulez, nos regards
de la situation intérieure. Vous êtes les représen-
tants de la France. Il y a une chose dont vous ne
pouvez pas vous désintéresser : c'est la situation
extérieure. Ne voyez-vous pas partout l'Europe en
armes, l'Orient en ébullition?
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