Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-11-05
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 68249 Nombre total de vues : 68249
Description : 05 novembre 1886 05 novembre 1886
Description : 1886/11/05 (A17,N5413). 1886/11/05 (A17,N5413).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75600431
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
Dix-septième année. - N1 5413 ------- Prix du numéro : Paris et Départements : 15 centimes ---- -- -- --- - Vendredi 5 novembre 1886
LE XIX" SIECLE
JOURNAL RÉPUBLICAIN
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
1€3, rixes Cadet, 16
Directeur politique :
A.-EDOUARD PORTALIS
ABONNEMENTS
DEPARTEMENTS
Trois mois. t 6 »»
Six mois. 32 x"
Un an. 62 »»
PARIS
Trois mois. 13 »»
Six mois. 25 >">
Un an. 50 »»
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les abonnemts partent des 1er et 15 de chaque mois
ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrateur
16, rue GacLet, ±6
EN VENTE A LONDRES
Et Abonnements pour l'Angleterre
Au bureau du XIXe Siècle
76, Finsbury Pavement, E. C.
RÉGISSEURS ;
MM. LAGRANGE, CERF ET CIE
6, place de la Bourse, 6
AVIS
MM. les Souscripteurs dont l'abonne-
ment expire le 15 novembre sont priés de
te renouveler s'ils ne veulent pas éprouver
de retard dans la réception du journal.
BULLETIN
Hier, la Chambre a abordé la discussion
générale du budget de 1887. La séance a
été remplie par deux discours, l'un de M.
Daynaud, l'autre de M. d'Aillières, deux
membres de la Droite. La suite de la dis-
cussion a été renvoyée à aujourd'hui.
Au Sénat, courte et peu intéressante
séance, consacrée à la validation des élec-
tions récentes dans Meurthe-et-Moselle et
dans la Marne.
Un incident s'est produit, au début de la
séance, à l'occasion d'une question posée
par M. Bozérian à M. le ministre du com-
merce et de l'industrie; simple affaire
de procédure parlementaire, qui n'a pas
retenu longtemps l'attention du Sénat.
Mardi prochain, aura lieu l'ouverture des
Chambres belges. Cette cérémonie promet
de présenter, cette année, un intérêt tout
particulier pour des causes diverses. On an-
nonce, en effet, que des délégations ou-
vrières de Charleroi se rendront à Bruxelles,
pour faire une manifestation sur le parcours
que suivra le cortège royal. Un groupe de
femmes doit, en outre, remettre à la reine
une pétition demandant l'amnistie en fa-
veur des grévistes compromis dans l'af-
faire Baudoux. D'après les renseignements
venus de Bruxelles, le monde officiel ver-
rait d'assez mauvais œil cette démonstra-
tion populaire.
D'autre part, la lecture du message royal
excite par avance la curiosité du peuple
belge. On chuchote que la rédaction du dis-
cours du trône a donné lieu à de sérieuses
difficultés dans le conseil des ministres. Le
roi Léopold avait l'intention d'annoncer
le dépôt d'un projet de loi sur le service
militaire personnel; mais il aurait ren-
contré, dit on, une vive opposition chez
les membres du gouvernement; qui ne
veulent pas assumer la responsabilité d'un
pareil projet. Ils redoutent de ne pas trou-
ver une majorité dans les Chambres sur
cette question, et font des efforts pour dé-
cider le roi Léopold à composer avec les
nécessités parlementaires, et à se borner à
une déclaration platonique en faveur d'une
revision de la loi de recrutement dans le
sens de l'égalité des charges militaires.
Constitutionnellement, le roi Léopold ne
peut pas passer outre à l'avis de ses mi-
nistres, et il cédera sans doute devant leur
opposition.
Il est intéressant de constater, en pas-
sant, — et c'est une remarque faite déjà
souvent, — que le roi des Belges est plus
libéral que ses ministres, et que, s'il n'eût
tenu qu'à lui, bien des réformes réclamées
par l'opinion publique seraient déjà entrées
dans le domaine des faits. La revision de
la Constitution dans le sens démocratique,
la refonte des institutions organiques de
l'armée sont de ce nombre. On aurait le
droit d'être surpris des divergences d'opi-
nions qui séparent le souverain et ses mi-
nistres, si l'on ne savait que la Belgique
subit depuis deux ans un régime de réac-
tion, qu'elle ne connaissait plus depuis de
longues années.
La réunion des Délégations autrichien-
nes a eu lieu hier. La séance a été ouverte
par un discours du nouveau président,
M. Simoka, qui a fait une allusion très di-
recte aux événements de Bulgarie :
« L'empereur, dans sa sagesse, a-t-il
dit, en substance, a su, jusqu'à présent,
maintenir la paix. Pourra-t-elle être main-
tenue dans l'avenir qui va suivre ? C'est
une question qui, en présence des graves
événements extérieurs, est de nature à
faire naître de sérieuses inquiétudes.
» Fidèle à sa tradition, la Délégation,
cette fois encore, ne se refusera pas à
reconnaître que maintenant, plus que ja-
mais, il convient de tout mettre en œuvre
pour que l'Autriche-Hongrie soit à même
de prendre, dans le conseil des nations,
la place qui impose le respect auquel
elle a droit, de telle sorte qu'on sache
bien que ses peuples loyaux sont ferme-
ment résolus à sauvegarder, quoi qu'il
arrive, sa haute situation et à la défen-
dre par tous les moyens, même par l'ul-
tima ratio. »
Il est utile d'ajouter tout de suite que
le gouvernement, dans son projet de bud-
get, prévoit une augmentation de 121,000
florins pour les dépenses militaires. Il est
permis de penser que le discours, quelque
peu pessimiste, de M. Simoka a été sur-
tout motivé par cette aggravation de char-
ges budgétaires. Peut-être aussi le gou-
vernement n'a-t-il pas été autrement gêné
par l'accent belliqueux du président de
l'Assemblée des délégations autrichien-
nes. Son discours a préparé les esprits au
nouveau sacrifice d'argent qu'on va leur
demander. Ce moyen de persuasion est
couramment pratiqué en Allemagne.
Pourtant, nous serions surpris que M.
Kalnoky, qui aura prochainement à faire
connaître les vues du gouvernement aus-
tro-hongrois, tînt un langage aussi peu
mesuré que M. Simoka.
La situation présente, si troublée qu'elle
soit en Bulgarie, n'autorise pas des pro-
nostics aussi sombres et, fût-elle plus
grave, un homme d'Etat doit à l'intérêt
public de ne pas jeter, du haut de la tri-
bune, un cri d'alarme qui ressemble à un
chant de guerre.
Louis HENRIQUE.
INFORMATIPlfS PARTICULIÈRES
Conseil des ministres
Les ministres se sont réunis hier matin à
l'Elysée, sous la présidence de M. Jules
Grévy.
Deux ministres s'étaient fait excuser : MM.
Baïhaut, démissionnaire et le général Bou-
langer, absent de Paris.
M. de Freycinet a fait signer un décret aux
termes duquel M. Bihourd, directeur des affai-
res départementales et communales, est nom.
mé ministre résident de France en Tunisie,
en remplacement de M. Cambon, nommé am-
bassadeur à Madrid.
M. Sarrien, ministre de l'intérieur, a fait
signer :
Un décret portant réorganisation de l'ad-
ministration centrale du ministère de l'inté-
rieur;
Un décret rendu en exécution du précédent,
et par lequel M. Gazelles, préfet des Bouches-
du-Rhône, est appelé à la tête de la direction
générale de l'Assistance publique, nouvelle-
ment créée au ministère de l'intérieur.
M. Sarrien a également fait signer un dé-
cret portant dissolution du conseil municipal
de Mont-de-Marsan (Landes).
Les considérants de ce décret portent que
les élections partielles pour compléter ce
conseil n'ont pu avoir lieu, les électeurs ne
s'étant présentés qu'au nombre de treize au
premier tour, et s'étant tous abstenus au se-
cond tour, et que, dès lors, des élections gé-
nérales peuvent seules mettre un terme à la
situation actuelle, si préjudiciable aux intérêts
communaux.
Enfin, le conseil a chargé les ministres des
beaux-arts, des finances et du commerce d'é-
tudier, de concert, la question soulevée, par le
conseil municipal de Paris, de l'érection d'un
monument commémoratif de la Révolution
française.
Le nouveau ministre des travaux publics
Le choix du successeur de M. Baïhaut au
ministère des travaux publics a été définiti-
vement arrêté hier soir.
M. Edouard Millaud, sénateur du Rhône,
rapporteur général de la commission sénato-
riale des finances, est, en effet, dès son retour
à Paris hier matin, allé voir M. de Freycinet,
auquel 11 a fait part de son acceptation.
Il a eu une seconde entrevue avec M. le
président du conseil vers les six heures, et il
a été décidé d'un commun accord, dans cette
entrevue, que la nomination du nouveau mi-
nistre paraîtrait à l'Officiel de ce matin.
Voici, en effet, le texte du décret que pu-
blie ce matin le Journal officiel : >
Art. premier. — M. Edouard Millaud, séna-
teur, est nommé ministre des travaux publics,
en remplacement de M. Baïhaut, dont la dé-
mission est acceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre
des affaires étrangères, est chargé de l'exé-
cution du présent décret.
Fait à Paris, le 4 novembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil, ministre
des affaires étrangères,
G. DE FREYCINET.
Nous pouvons affirmer que M. Edouard
Millaud acquiescera aux projets déposés au
nom du gouvernement par M. Baïhaut, et no-
tamment au projet d'établissement du réseau
métropolitain à Paris.
Un démenti
L'agence Havas nous communique la note
suivante :
« Un journal étranger a prétendu que M. le
ministre du commerce et de l'industrie ne se
préoccupait en rien du Centenaire de 1889.
» Nous sommes autorisés à déclarer, au
contraire, que M. le ministre du commerce a
été chargé, de concert avec les ministres de
l'instruction publique et des finances, d'étu-
dier la question du monument commémora-
tif de la Révolution française.
» Le Centenaire de 1889 n'a, d'ailleurs, ja-
mais cessé d'être une des préoccupations de
M. le ministre du commerce et de l'industrie. »
L'administration des finances
M. Sadi Carnot vient de soumettre à l'exa-
men du conseil d'Etat un projet de loi por-
tant réorganisation de l'administration cen-
trale du ministère des finances. Ce projet a
réduit de 100,000 fr. les dépenses prévues
pour 1887, et de 200,000 fr. les dépenses à
prévoir pour les années suivantes.
Les canaux d'irrigation dans le Midi
La question des canaux d'Irrigation dans la
région du Midi commence à entrer en voie
d'exécution.
On vient d'arrêter définitivement, au mi-
nistère de l'agriculture, les règlements rela-
tifs à la construction des canaux de Glgnai,
de la Bourse, de Pierelatte, de la Neste et de
Saint-Martory.
Quant aux canaux dérivés du Rhône, leur
grande importance va nécessiter un voyage
ministériel.
M. Develle se propose de partir dans les
premiers jours de décembre. Il visitera d'abord
Montpellier, puis la vallée du Rhône.
A son retour, les termes du projet de loi
seront fixés.
A 1' « Officiel »
Le Journal officiel publie ce matin :
1° Un décret aux termes desquels M.
Bihourd, directeur des affaires départementa-
les, est nommé résident général de la Répu-
blique française à Tunis ;
20 Un décret aux termesduquel M. Cazelles,
préfet des Bouches-du-Rhône, est nommé di-
recteur de l'Assistance publique au ministère
de l'intérieur.
Le Journal officiel publie également le dé-
cret de réorganisation de l'administration cen-
trale du ministère de l'intérieur.
Ce décret est conforme à l'analyse que nous
en avons donné.
DISCUSSION OUVERTE
La discussion du budget de 1887 a
commencé hier, à la Chambre. C'est à
cette constatation que peut se borner
l'appréciation de cette première jour-
née. Les deux orateurs qui ont pris la
parole appartiennent à la Droite, et,
fidèles à une habitude qui date de dix
ans, ils ont fait la critique générale de
la politique financière des républicains,
laquelle, suivant eux, mène le pays à la
ruine et n'arrive à reculer l'échéance
fatale qu'en entassant les emprunts sur
les impôts nouveaux. Cette thèse est
chère à la Droite dans les deux Cham-
bres. MM. Daynaud et d'Aillières, qui ont
employé la séance d'hier à la soutenir,
n'ont donc nile mérite de l'avoir inventée,
ni celui de l'avoir rajeunie ; ils l'avaient
soutenue, chaque année, dans la Cham-
bre précédente; ils la soutiennent en-
core dans celle-ci, moins préoccupés
peut-être de prendre la défense des in-
térêts des contribuables, que de plaider
en faveur d'un régime politique et de
porter contre la République les accusa-
tions qu'ils jugent de nature à lui alié-
ner le plus de sympathies.
Nous ne prétendons certes pas que
les orateurs de la Droite se soient écar-
tés, dans ce réquisitoire, de la question
en discussion. Cet examen général et
cette comparaison entre la République
et les gouvernements qui l'ont précé-
dée ne sauraient nous inspirer aucune
crainte, et s'il plaît tous les ans aux
réactionnaires de s'attirer des réponses
comme celles qui leur ont déjà été fai-
tes par les orateurs républicains, ce
n'est pas nous qui pourrons nous en
plaindre. Plus ce débat sera renouvelé,
plus le pays verra ce qu'il faut penser
de la prudence de la monarchie et de
l'économie de l'empire; plus il verra, en
même temps, que si la République a
commis des erreurs, dès longtemps re-
connues, si elle a cédé parfois à des en-
traînements, qu'elle a su réprimer de-
puis, les dépenses ont, du moins, été
engagées dans un intérêt général ; on
verra qu'elles avaient pour but d'amé-
liorer la situation générale du pays et
que, notamment, celles que la Droite
reproche le plus aux républicains, les
dépenses des fameux « palais scolai-
res », avaient pour but de remédier à
l'incurie des gouvernements précédents
et de donner aux générations nouvelles
cet instrument de l'éducation, indis-
pensable dans une démocratie.
La direction donnée hier au débat
n'est donc pas mauvaise, et nous ne
voudrions pas, à peine la discussion en-
gagée, reprocher aux Droites de faire
de l'obstruction. Jusqu'ici, elles sont
restées dans leur rôle, et nous avons
trop le respect de nos adversaires, pour
les blâmer d'user du droit de libre dis-
cussion, qui est une des garanties de
notre régime actuel. Cependant, nous
ne pouvons nous empêcher de remar-
quer que ces critiques générales ne ré-
pondent pas à la préoccupation domi-
nante du moment actuel. Ce qui a, au-
jourd'hui, un intérêt capital, parce que
les conséquences en sont pratiques et
immédiates, c'est de savoir quelles idées
économiques la majorité de la Chambre
va adopter, quel parti elle prendra
entre le gouvernement et la commis-
sion. C'est le point essentiel, celui sur
lequel il devrait être statué tout d'abord.
Une fois qu'il serait réglé, la Droite
pourrait, tout à son aise, se livrer aux
comparaisons et aux discussions rétros-
pectives. Elles ne perdraient rien de
leur actualité, car la commission et le
gouvernement, si divisés qu'ils soient,
sur les voies et moyens, sont d'accord
sur le total du budget et sur ce point,
que les recettes doivent être égales
aux dépenses ; ce serait une seconde
discussion générale qui succéderait à la
première et qui, cette fois, pourrait
être suivie avec moins d'impatience.
Malheureusement, s'il en faut juger
par les noms des orateurs inscrits, il
est à prévoir que les critiques présen-
tées hier par MM. Daynaud et d'Aillières
vont être reprises et répétées à satiété
par leurs collègues de droite, et que
bien du temps s'écoulera avant que la
discussion s'engage sur la question
importante. Là est ce danger d'obstruc-
tion auquel on a, par avance, fait allu-
sion, et il n'est pas difficile de discerner
l'arrière-pensée - de la Droite, arrière-
pensée qu'elle ne se donne guère, d'ail-
leurs, la peine de dissimuler. Elle sait
fort bien que les paroles ont peu d'effet
et que les discussions parlementaires
ne font, sur le pays, qu'une impression
passagère. Pour que l'impression soit
profonde et durable, il faut que des faits
suivent les paroles. Or, quel fait serait
mieux de nature à toucher le pays,
qu'une crise ministérielle survenant aux
derniers jours de l'année et venant jeter
le trouble dans toutes les transactions
commerciales qui s'opèrent à ce mo-
ment ? A défaut de la crise elle-même,
la Droite s'imagine qu'il est de son in-
térêt de prolonger les incertitudes, soi-
gneusement entretenues, sur l'issue du
débat; même ces incertitudes levées, elle
pense encore qu'en retardant la trans-
mission du projet au Luxembourg, elle
provoquera la résistance du Sénat et
que celui-ci, désireux d'exercer enfin,
dans sa plénitude, le droit d'examen,
que lui accorde la Constitution, acculera
le ministère à la nécessité de demander
des douzièmes provisoires. Si fâcheux
que soit l'expédient, le mot est plus
dangereux que la chose ; mais on ne
saurait nier qu'il a sur le pays un effet
certain et que, habilement exploité par
les droitiers, il peut avoir, à un moment
donné, des résultats défavorables à la
République.
La majorité ne saurait trop se tenir
en garde contre les pièges semés sur sa
route par la Droite, et, dans le débat
qui va se dérouler à la Chambre, elle ne
doit pas perdre de vue un seul instant
que toute fausse manœuvre de sa part
tournera immédiatement à l'avantage
de ses adversaires. S'il était, parmi les
républicains, des hommes disposés à pré-
férer leurs doctrines économiques per-
sonnelles àla concentration de toutes les
forces du parti, et à compromettre l'exis-
tence du cabinet plutôt que de faire le
sacrifice partiel et momentané de cer-
taines théories, leur obstination serait
bien plutôt favorable à la réaction qu'à
leurs opinions les plus chères. Si pé-
nible que puisse être ce sacrifice, nul
ne peut contester que l'intérêt supérieur
de la République l'exige, et nous comp-
tons sur le patriotisme de la majorité
pour opposer, par sa cohésion et sa fer-
meté à soutenir le cabinet, une barrière
infranchissable aux conspirations et aux
manœuvres de la Droite.
DE LA SUGGESTION
AU POINT DE VUE PEDAGOGIQUE
Ce titre est celui d'un très curieux
rapport présenté par le docteur Edgar
Bérillon à l'Association française pour
l'avancement des sciences, lors du ré-
cent congrès de Nancy. Tout le monde
connaît les expériences du docteur Char-
cot à la Salpêtrière et les nombreux
travaux entrepris depuis, un peu par-
tout, sur le sommeil hypnotique. Pen-
dant ce sommeil, l'individu est réduit à
l'état d'automate et subit, sans aucune
réaction de la volonté, toutes les impul-
sions qu'on lui donne. Il devient une
machine dont le ressort est entre les
mains de l'hypnotiseur, qui impose au
patient ses affirmations et ses ordres.
C'est ce qu'on appelle la suggestion.
Un assez grand nombre d'expérien-
ces avaient établi, dernièrement, la pos-
sibilité de modifier par la suggestion le
caractère et les habitudes « des sujets »,
de faire, en un mot, du sommeil hypno-
tique un agent moralisateur. A la Sal-
pêtrière, le docteur Voisin était parve-
nu à transformer une malade, âgée de
vingt-deux ans, « voleuse, prostituée,
brutale, ordurière, paresseuse, malpro-
pre et incorrigible, en une personne
obéissante, soumise, honnête, laborieuse
et propre. » Appliquant ses tentatives
à sa clientèle de la ville, le même doc-
teur avait obtenu, par la suggestion,
« qu'une femme, dont le caractère était
insupportable, devînt douce, affectueuse
avec son mari et cessât de se laisser al-
ler à la colère » ; ce qui, soit dit en pas-
sant, supprime le divorce pour incompa-
tibilité d'humeur, sublatd causa, tolli-
tur effeclus.
Mais enfin, jusqu'à présent, ces ex-
périences n'avaient porté que sur des
adultes. D'autres médecins imaginèrent
de tenter sur des enfants des expérien-
ces analogues. Laissons parler ici la
brochure :
On avait amené, à la clinique du docteur
Liébeault, un enfant atteint d'une affection
nerveuse et qui refusait de se laisser hyp-
notiser.. Un frère du petit malade, collégien
robuste et bien portant, qui assistait à la
séance, offrit spontanément de se laisser
hypnotiser, pour montrer qu'il n'avait pas
peur.
Pendant qu'il dormait, la mère raconta au
docteur Liébeault que son fils n'avait jamais
été que le dernier de sa classe, parce qu'il se
refusait obstinément à travailler. On profita
de son sommeil pour lui suggérer de mettre
plus d'application dans ses études, de tra-
vailler avec ardeur. Le résultat fut complet.
Pendant six semaines, il donna l'exemple
d'une assiduité et d'une application inaccou-
tumées, à tel point qu'il fut deux fois le pre-
mier de sa classe.
Dans le second cas, il s'agissait d'un jeune
idiot, qui fut amené pour une incontinence
d'urine. Ce malade n'avait été jusqu'alors ac-
cessible à aucune culture intellectuelle. On
n'avait pu lui apprendre ni à lire ni à comp-
ter. M. Liébeault le soumit à de fréquentes
séances d'hypnotisme, pendant lesquelles il
s'efforça, par suggestion, de développer chez
lui la faculté d'attention, tout à fait absente.
Au bout de deux mois, cet idiot connaissait
ses lettres et avait appris les quatre règles
de l'arithmétique.
D'autres observations de même nature,
recueillies par le docteur Dumont et le
professeur Bernheim, ont amené le doc-
teur Bérillon à déclarer, au congrès de
Nancy, qu'il serait temps de songer à
appliquer la suggestion hypnotique,
« comme moyen pédagogique,à des su-
jets mauvais, vicieux ou malades», ce
qui est tout un aux yeux de certains
médecins.
On l'imagine aisément, une pareille
proposition, qui déroute si complètement
les idées courantes, ne pouvait manquer
de soulever une vive opposition. Com-
ment ! vous allez réduire l'enfant à
l'état d'automate, perinde ac cadaver !
Vous allez le livrer comme un jouet à
toutes les impulsions étrangères, mau-
vaises ou bonnes ! Que faites-vous de
la liberté morale ? « L'éducation, a
objecté un professeur de philosophie, ne
doit pas tendre à transformer l'homme
en une machine ; elle doit, au contraire,
susciter l'effort, favoriser l'éclosion des
bons germes et faire avorter les mau-
vais. Les idées morales sont innées dans
l'homme, et il faut se borner à en sur-
veiller le développement. — Etes-vous
bien sûr, a riposté un membre du con-
grès, que l'enfant soit en possession de
sa liberté morale ? Et, si vous le croyez,
ne violez-vous pas à chaque instant cette
prétendue liberté par les punitions que
vous lui infligez ou par les doctrines
philosophiques que vous lui imposez ?
Vous craignez pour l'enfant les impul-
sions mauvaises et les hypnotisants
malhonnêtes; mais on peut réprimer les
crimes de cette nature comme tous les
crimes, et faut-il, pour cela, se priver
des secours de la suggestion quand elle
vise un but utile et moral à la fois? »
Bref, à la presque unanimité, la sec-
tion de pédagogie s'est montrée favo-
rable à l'idée d'avoir recours, en certains
cas déterminés, à la suggestion hypno-
tique. Il ne peut être question, bien en-
tendu, d'en faire une méthode d'édu-
cation générale ; mais de l'appliquer
comme traitement curatif aux natures
rebelles et profondément vicieuses. Les
médecins seuls pourraient appliquer ce
traitement, car on ne saurait, comme
l'a dit fort justement le docteur Ladame,
s'en remettre sans danger aux soins des
empiriques et des incompétents.
C'est à coups de trique, qu'on domp-
tait autrefois les enfants vicieux et les
animaux rétifs. Allons-nous changer
tout cela ? La suggestion est-elle des-
tinée à remplacer les verges ? Les écoles
ont eu jadis leurs pères fouettards, au-
ront-elles désormais leurs médecins
hypnotiseurs?
Peut-être trouvera-t-on, de ce côté,
la solution d'une difficulté qui ne laisse
pas d'être assez embarrassante. Les
châtiments corporels ne figurent plus
depuis longtemps au nombre des péna-
lités scolaires; maîtres et élèves le sa-
vent: ces derniers, peut-être, le savent
trop. D'autre part, l'enseignement pri-
maire est devenu obligatoire. Je suppose
qu'un enfant, par ses instincts vicieux
et sa rébellion, se rende impossible à
l'école : que fera l'instituteur, après
avoir épuisé l'arsenal des punitions ré-
glementaires ? Le renverra-t-il à sa fa-
mille? Mais alors, quand la loi viendra
demander compte au père de l'igno-
rance de son fils, ce père ne sera-t-il
pas en droit de dire : « Je vous l'avais
envoyé pour le corriger et l'instruire,
c'est vous-même qui déclarez qu'on
n'en peut rien faire. Il Jl.est ignorant,
c'est vrai; mais c'est votre faute et non
la mienne » ? L'hypnotisme, qui rem-
placera les châtiments corporels, ren-
dra-t-il aussi les expulsions inutiles?
Au lieu de mettre un élève à la porte,
l'enverra-t-on désormais à l'infirmerie
ou à la consultation du docteur ?
Gardons-nous de plaisanter ou de
conclure à la hâte. Un dédain affecté
serait aussi déplacé qu'un engouement
irréfléchi. N'allons point dire aux hyp-
notiseurs et à leurs adversaires : Clau-
dite jam rivos, pueri. Au contraire,
encourageons-les dans leurs controver-
ses. Il faut que la lice reste ouverte et
que la presse marque les coups. Nous
serons reconnaissant au docteur Béril-
Ion et à ses amis de nous apporter bien-
tôt les résultats de leurs nouvelles
recherches et de songer, en même
temps, aux moyens pratiques de mettre
à profit des expériences bien curieuses,
et renfermées jusqu'à présent dans un
petit cercle d'amateur.
ANDRÉ BALZ.
L'un des représentants de la Seine à la
Chambre des députés a, paraît-il, annoncé
l'intention de demander, par un amende-
ment au projet de loi militaire organique,
que les militaires présents sous les dra-
peaux soient désormais appelés à parti-
ciper aux diverses élections. L'idée n'est
point neuve. Elle a été mise en pratique
déjà sous la République de 1848, et aussi
lors des plébiscites impériaux. S'il y a
dans l'armée peu d'officiers généraux qui
puissent se rappeler les inconvénients des
droits électoraux des soldats, tels qu'ils
avaient pu les constater il y a quarante
ans, il reste encore au service un grand
nombre d'officiers de tous grades qui ont
pris part au plébiscite de 1870. Ceux-là
sauraient dire, au besoin, que rien n'est
plus dangereux que l'intervention des
militaires, quel que soit leur grade, dans
les affaires de la politique.
La proposition de M. Maillard ne nous
paraît pas de celles qu'il soit nécessaire
de combattre.
Une seule observation, cependant. Tout
électeur étant par là même éligible, les
officiers, les sous-officiers et les soldats
auraient droit de poser leur candidature,
si jamais M. Maillard avait gain de cause
devant le Parlement. Il faudrait donc
donner des permissions , et sans tenir
compte de leurs chances de succès, à tous
ceux qui prétendraient solliciter un man-
dat législatif. Il faudrait aussi les autoriser
à parler en public et à se mêler aux
luttes électorales. Ah ! la jolie armée que
nous aurions !
LA VIE DE PARIS
Il y aura, dans quelques jours, une
élection à l'Académie française. Il s'agit
de remplacer M. le comte de Falloux.
Jusqu'à présent, il paraît que deux hom-
mes seulement se sont mis sur les rangs
et ont fait les visites, que le règlement
défend, mais que l'usage impose aux
candidats. Ce sont MM. Gréard et Ga-
briel -Othenin Cléron d'Haussonville.
Ces candidatures ne sont pas très pas-
sionnantes. C'est à peine si les journaux
en ont parlé, et, dans les salons où se
brassent volontiers les élections acadé-
miques, on cause de celle-ci sans inté-
rêt. Pour cette fois, les Philamintes et
les Bélises ne se mettent point en l'air,
ne se donnent pas de mouvement et
laissent aller les choses. Quant au pu-
blic, sincèrement, il ignore soit le nom,
soit les titres des candidats, et il incline
tout à fait à croire que l'élection pro-
chaine, faite sans que l'opinion soit con-
sultée, restera plus ignorée encore que
blâmée par elle.
Il y a quelque injustice dans cette fa-
çon de penser. L'élection de M. Gréard
serait moins extraordinaire qu'on ne le
pense sur)e boulevard, et celle de M.
Othenin d'Haussonville serait plus fâ-
cheuse, pour l'Académie elle-même, qu'on
ne l'estime dans les salons. M. Gréard
est un universitaire très distingué. Son
nom, il est vrai, ne se trouve ni dans les
dictionnaires des contemporains, ni sur
les lèvres de la foule. Mais il est fort
connu dans un milieu spécial, et, mêlé
au gouvernement de l'Université, il s'y
est fait des amis et des ennemis, ce qui
est le bon signe. Si ses travaux sont peu
lus des Parisiens, ils le sont des univer-
sitaires et des lettrés classiques, et fort
estimés. Son élection, à tout dire, lais-
serait le public froid; mais, dûment ex-
pliquée, ne le contrarierait pas. On se
dirait tout au plus que notre Université
possède assez d'hommes ayant, comme
M. Gréard, des titres classiques, pour
qu'il y ait un peu d'imprévu, et comme
une part faite au hasard, dans le choix de
l'un plus que de l'autre. Mais on com-
prendrait que l'Académie, qui a fait ré-
cemment bon visage à l'esprit moderne
et accueilli les poètes romantiques, fît
un retour vers les défenseurs des étu-
des classiques, et M. Gréard, à l'Acadé-
mie, s'il ne donnerait pas un renouveau
de jeunesse à la Compagnie ni un lustre
bien éclatant, ne lui ferait aucun tort.
Je n'en dirais pas autant du choix
possible de M. le vicomte d'Hausson-
ville. Ce candidat, jeune encore pour
l'Académie —il a quarante-trois ans,—
n'a pas la qualité particulière de M.
Gréard, d'être un professeur, de repré-
senter l'enseignement. C'est un homme
de lettres obscur, derrière lequel se
cache un homme politique détestable.
Son élection irriterait, et à bon droit,
les adversaires de la Compagnie. Je ne
suis pas de ces adversaires. Il y a bel
âge que j'ai renoncé aux faciles épi-
grammes dont la jeunesse lettrée s'a-
muse à taquiner l'Académie, qui devient
la secrète ambition de son âge mur. Et,
bien plus, il m'est arrivé souvent de dé-
fendre l'Académie contre certains re-
proches, particulièrement contre ceux
qu'on lui adresse, quand elle fait des
élections de convenance, que je trouve,
pour ma part, fort bien dans sa tradi-
tion. Je ne pense pas davantage qu'il
faille conseiller à l'Académie la platitude
en matière électorale et lui interdire de
faire un choix qui peut déplaire au pou-
voir, quand ce choix est justifié. Mais,
dans le cas présent, si on regarde l'é-
lection de M. le vicomte Othenin d'Haus-
sonville comme une élection de conve-
nance, les convenances n'y sont pas ; et
si on la considère comme une élection
politique, une élection de protestation,
le personnage de M. d'Haussonville n'est
pas davantage bien choisi. J'éoàrte
même, sans en parler, l'idée d'une élec-
tion littéraire, car cette idée serait trop
comique !
Il y a, a 1 Académie, deux camps en
présence : le parti des ducs et le parti
des lettrés. Les ducs, orléanistes, sont
les artisans des élections de convenance
et des élections politiques ; les lettrés,
se rapprochant de l'opinion publique,
sont les défenseurs des candidatures
littéraires. Les deux partis ont besoin,
souvent, de transiger entre eux. Je ne
blâme pas ces transactions ; mais il y
faut des limites. Il faut que le nom sur
lequel elles se font soit acceptable pour
le groupe à qui on le propose. Or, si on
considère M. d'Haussonville comme un
candidat de « convenance », il y a à ob-
jecter que l'élection de M. le duc de
Broglie et celle de M. le comte d'Haus-
sonville, père du candidat actuel, suf-
fisent pour une seule -maison. Que si on
fait intervenir la politique, les acadé-
miciens qui ont des sentiments libéraux
ou qui tiennent, par leurs affections,
au parti de l'empire, sont également
choqués. Pour ne parler que des pre-
miers, peut-on oublier que, député,
M. d'Haussonville, étant qui il était, a
voté pour la circulaire Pascal, pour cette
élucubration immonde qui a soulevé un
cri de dégoût et fait rejeter son auteur
par le cabinet réactionnaire lui-même?
Si M. d'Haussonville le père a été élu,
n'oublions pas qu'il le dut à son libéralis-
me, à la netteté de ses sentiments, à une
certaine tournure de caractère et d'es-
prit qui le fit estimer de ses ennemis
mêmes. Rien de pareil ne se trouve dans
la vie politique, hésitante et assez plate
de monsieur son fils. Un fauteuil à l'A-
cadémie ne se réclame pas comme un
héritage. Et pourquoi un homme tel
que M. A. Dumas irait-il baisser pavil-
lon, — ce pavillon, c'est le drapeau des
lettres, — devant le vicomte, à moins
que ce ne fût dans l'idée de lui rendre,
en le recevant, quelques-unes des épi-
grammes de son père contre le théâtre
moderne et son principal représentant ?
Si l'Académie veut faire une élection
de convenance, qu elle cherche un grand
seigneur ami des lettres, ou qu'elle s'ar-
rête sur un universitaire. Si elle veut
faire une élection politique, peut-être
témoigner de sa reconnaissance envers
le duc d'Aumale, qu'elle nomme M.
Bocher, qui est un excellent orateur.
Qu'elle cherche un conservateur, si elle
veut, mais un conservateur qui soit un
lettré de valeur. M. le vicomte d'Haus-
sonville n'a, à son actif, qu'un rapport,
très bien fait, sur le régime des prisons ;
et il a, à son passif, un volume de cri-
tique consacré à Sainte-Beuve, qui est
le dernier mot de l'injustice ennuyeuse
et de la rancune lourde. C'est pourtant
comme littérateur que certains amis ont
la naïveté de le présenter. Mais, en ce
cas, d'ici à ce soir, j'écrirais à la queue
leu leu les noms d'hommes de lettres
qui ont plus de titres que lui.
Aussi, le besoin d'un troisième larron
se fait-il sentir. Un sentiment, qui est
celui de l'Académie, au fond, et, très
visiblement, celui du public, s'est fait
jour. Il faut à l'Académie une élection
qui ne soit pas une élection sans éclat,
comme celle de M. Gréard, — encore
que fort explicable, — et qui ne soit
pas surtout une élection irritante et in-
justifiée, comme la petite affaire de
famille arrangée pour M. le vicomte.
Divers noms se présentent à l'esprit,
que je trouve inutiles à dire. Un seul a
été mis en avant dans les journaux, que
je me contente de rappeler: c'est celui
de M. Gounod. Mais, de grâce, si on
veut faire réussir le musicien de Faust,
que les reporters y mettent un peu de
discrétion ! Ils peuvent rappeler certains
travaux catholiques qui sont des titres.
LE XIX" SIECLE
JOURNAL RÉPUBLICAIN
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
1€3, rixes Cadet, 16
Directeur politique :
A.-EDOUARD PORTALIS
ABONNEMENTS
DEPARTEMENTS
Trois mois. t 6 »»
Six mois. 32 x"
Un an. 62 »»
PARIS
Trois mois. 13 »»
Six mois. 25 >">
Un an. 50 »»
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les abonnemts partent des 1er et 15 de chaque mois
ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrateur
16, rue GacLet, ±6
EN VENTE A LONDRES
Et Abonnements pour l'Angleterre
Au bureau du XIXe Siècle
76, Finsbury Pavement, E. C.
RÉGISSEURS ;
MM. LAGRANGE, CERF ET CIE
6, place de la Bourse, 6
AVIS
MM. les Souscripteurs dont l'abonne-
ment expire le 15 novembre sont priés de
te renouveler s'ils ne veulent pas éprouver
de retard dans la réception du journal.
BULLETIN
Hier, la Chambre a abordé la discussion
générale du budget de 1887. La séance a
été remplie par deux discours, l'un de M.
Daynaud, l'autre de M. d'Aillières, deux
membres de la Droite. La suite de la dis-
cussion a été renvoyée à aujourd'hui.
Au Sénat, courte et peu intéressante
séance, consacrée à la validation des élec-
tions récentes dans Meurthe-et-Moselle et
dans la Marne.
Un incident s'est produit, au début de la
séance, à l'occasion d'une question posée
par M. Bozérian à M. le ministre du com-
merce et de l'industrie; simple affaire
de procédure parlementaire, qui n'a pas
retenu longtemps l'attention du Sénat.
Mardi prochain, aura lieu l'ouverture des
Chambres belges. Cette cérémonie promet
de présenter, cette année, un intérêt tout
particulier pour des causes diverses. On an-
nonce, en effet, que des délégations ou-
vrières de Charleroi se rendront à Bruxelles,
pour faire une manifestation sur le parcours
que suivra le cortège royal. Un groupe de
femmes doit, en outre, remettre à la reine
une pétition demandant l'amnistie en fa-
veur des grévistes compromis dans l'af-
faire Baudoux. D'après les renseignements
venus de Bruxelles, le monde officiel ver-
rait d'assez mauvais œil cette démonstra-
tion populaire.
D'autre part, la lecture du message royal
excite par avance la curiosité du peuple
belge. On chuchote que la rédaction du dis-
cours du trône a donné lieu à de sérieuses
difficultés dans le conseil des ministres. Le
roi Léopold avait l'intention d'annoncer
le dépôt d'un projet de loi sur le service
militaire personnel; mais il aurait ren-
contré, dit on, une vive opposition chez
les membres du gouvernement; qui ne
veulent pas assumer la responsabilité d'un
pareil projet. Ils redoutent de ne pas trou-
ver une majorité dans les Chambres sur
cette question, et font des efforts pour dé-
cider le roi Léopold à composer avec les
nécessités parlementaires, et à se borner à
une déclaration platonique en faveur d'une
revision de la loi de recrutement dans le
sens de l'égalité des charges militaires.
Constitutionnellement, le roi Léopold ne
peut pas passer outre à l'avis de ses mi-
nistres, et il cédera sans doute devant leur
opposition.
Il est intéressant de constater, en pas-
sant, — et c'est une remarque faite déjà
souvent, — que le roi des Belges est plus
libéral que ses ministres, et que, s'il n'eût
tenu qu'à lui, bien des réformes réclamées
par l'opinion publique seraient déjà entrées
dans le domaine des faits. La revision de
la Constitution dans le sens démocratique,
la refonte des institutions organiques de
l'armée sont de ce nombre. On aurait le
droit d'être surpris des divergences d'opi-
nions qui séparent le souverain et ses mi-
nistres, si l'on ne savait que la Belgique
subit depuis deux ans un régime de réac-
tion, qu'elle ne connaissait plus depuis de
longues années.
La réunion des Délégations autrichien-
nes a eu lieu hier. La séance a été ouverte
par un discours du nouveau président,
M. Simoka, qui a fait une allusion très di-
recte aux événements de Bulgarie :
« L'empereur, dans sa sagesse, a-t-il
dit, en substance, a su, jusqu'à présent,
maintenir la paix. Pourra-t-elle être main-
tenue dans l'avenir qui va suivre ? C'est
une question qui, en présence des graves
événements extérieurs, est de nature à
faire naître de sérieuses inquiétudes.
» Fidèle à sa tradition, la Délégation,
cette fois encore, ne se refusera pas à
reconnaître que maintenant, plus que ja-
mais, il convient de tout mettre en œuvre
pour que l'Autriche-Hongrie soit à même
de prendre, dans le conseil des nations,
la place qui impose le respect auquel
elle a droit, de telle sorte qu'on sache
bien que ses peuples loyaux sont ferme-
ment résolus à sauvegarder, quoi qu'il
arrive, sa haute situation et à la défen-
dre par tous les moyens, même par l'ul-
tima ratio. »
Il est utile d'ajouter tout de suite que
le gouvernement, dans son projet de bud-
get, prévoit une augmentation de 121,000
florins pour les dépenses militaires. Il est
permis de penser que le discours, quelque
peu pessimiste, de M. Simoka a été sur-
tout motivé par cette aggravation de char-
ges budgétaires. Peut-être aussi le gou-
vernement n'a-t-il pas été autrement gêné
par l'accent belliqueux du président de
l'Assemblée des délégations autrichien-
nes. Son discours a préparé les esprits au
nouveau sacrifice d'argent qu'on va leur
demander. Ce moyen de persuasion est
couramment pratiqué en Allemagne.
Pourtant, nous serions surpris que M.
Kalnoky, qui aura prochainement à faire
connaître les vues du gouvernement aus-
tro-hongrois, tînt un langage aussi peu
mesuré que M. Simoka.
La situation présente, si troublée qu'elle
soit en Bulgarie, n'autorise pas des pro-
nostics aussi sombres et, fût-elle plus
grave, un homme d'Etat doit à l'intérêt
public de ne pas jeter, du haut de la tri-
bune, un cri d'alarme qui ressemble à un
chant de guerre.
Louis HENRIQUE.
INFORMATIPlfS PARTICULIÈRES
Conseil des ministres
Les ministres se sont réunis hier matin à
l'Elysée, sous la présidence de M. Jules
Grévy.
Deux ministres s'étaient fait excuser : MM.
Baïhaut, démissionnaire et le général Bou-
langer, absent de Paris.
M. de Freycinet a fait signer un décret aux
termes duquel M. Bihourd, directeur des affai-
res départementales et communales, est nom.
mé ministre résident de France en Tunisie,
en remplacement de M. Cambon, nommé am-
bassadeur à Madrid.
M. Sarrien, ministre de l'intérieur, a fait
signer :
Un décret portant réorganisation de l'ad-
ministration centrale du ministère de l'inté-
rieur;
Un décret rendu en exécution du précédent,
et par lequel M. Gazelles, préfet des Bouches-
du-Rhône, est appelé à la tête de la direction
générale de l'Assistance publique, nouvelle-
ment créée au ministère de l'intérieur.
M. Sarrien a également fait signer un dé-
cret portant dissolution du conseil municipal
de Mont-de-Marsan (Landes).
Les considérants de ce décret portent que
les élections partielles pour compléter ce
conseil n'ont pu avoir lieu, les électeurs ne
s'étant présentés qu'au nombre de treize au
premier tour, et s'étant tous abstenus au se-
cond tour, et que, dès lors, des élections gé-
nérales peuvent seules mettre un terme à la
situation actuelle, si préjudiciable aux intérêts
communaux.
Enfin, le conseil a chargé les ministres des
beaux-arts, des finances et du commerce d'é-
tudier, de concert, la question soulevée, par le
conseil municipal de Paris, de l'érection d'un
monument commémoratif de la Révolution
française.
Le nouveau ministre des travaux publics
Le choix du successeur de M. Baïhaut au
ministère des travaux publics a été définiti-
vement arrêté hier soir.
M. Edouard Millaud, sénateur du Rhône,
rapporteur général de la commission sénato-
riale des finances, est, en effet, dès son retour
à Paris hier matin, allé voir M. de Freycinet,
auquel 11 a fait part de son acceptation.
Il a eu une seconde entrevue avec M. le
président du conseil vers les six heures, et il
a été décidé d'un commun accord, dans cette
entrevue, que la nomination du nouveau mi-
nistre paraîtrait à l'Officiel de ce matin.
Voici, en effet, le texte du décret que pu-
blie ce matin le Journal officiel : >
Art. premier. — M. Edouard Millaud, séna-
teur, est nommé ministre des travaux publics,
en remplacement de M. Baïhaut, dont la dé-
mission est acceptée.
Art. 2. — Le président du conseil, ministre
des affaires étrangères, est chargé de l'exé-
cution du présent décret.
Fait à Paris, le 4 novembre 1886.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République :
Le président du conseil, ministre
des affaires étrangères,
G. DE FREYCINET.
Nous pouvons affirmer que M. Edouard
Millaud acquiescera aux projets déposés au
nom du gouvernement par M. Baïhaut, et no-
tamment au projet d'établissement du réseau
métropolitain à Paris.
Un démenti
L'agence Havas nous communique la note
suivante :
« Un journal étranger a prétendu que M. le
ministre du commerce et de l'industrie ne se
préoccupait en rien du Centenaire de 1889.
» Nous sommes autorisés à déclarer, au
contraire, que M. le ministre du commerce a
été chargé, de concert avec les ministres de
l'instruction publique et des finances, d'étu-
dier la question du monument commémora-
tif de la Révolution française.
» Le Centenaire de 1889 n'a, d'ailleurs, ja-
mais cessé d'être une des préoccupations de
M. le ministre du commerce et de l'industrie. »
L'administration des finances
M. Sadi Carnot vient de soumettre à l'exa-
men du conseil d'Etat un projet de loi por-
tant réorganisation de l'administration cen-
trale du ministère des finances. Ce projet a
réduit de 100,000 fr. les dépenses prévues
pour 1887, et de 200,000 fr. les dépenses à
prévoir pour les années suivantes.
Les canaux d'irrigation dans le Midi
La question des canaux d'Irrigation dans la
région du Midi commence à entrer en voie
d'exécution.
On vient d'arrêter définitivement, au mi-
nistère de l'agriculture, les règlements rela-
tifs à la construction des canaux de Glgnai,
de la Bourse, de Pierelatte, de la Neste et de
Saint-Martory.
Quant aux canaux dérivés du Rhône, leur
grande importance va nécessiter un voyage
ministériel.
M. Develle se propose de partir dans les
premiers jours de décembre. Il visitera d'abord
Montpellier, puis la vallée du Rhône.
A son retour, les termes du projet de loi
seront fixés.
A 1' « Officiel »
Le Journal officiel publie ce matin :
1° Un décret aux termes desquels M.
Bihourd, directeur des affaires départementa-
les, est nommé résident général de la Répu-
blique française à Tunis ;
20 Un décret aux termesduquel M. Cazelles,
préfet des Bouches-du-Rhône, est nommé di-
recteur de l'Assistance publique au ministère
de l'intérieur.
Le Journal officiel publie également le dé-
cret de réorganisation de l'administration cen-
trale du ministère de l'intérieur.
Ce décret est conforme à l'analyse que nous
en avons donné.
DISCUSSION OUVERTE
La discussion du budget de 1887 a
commencé hier, à la Chambre. C'est à
cette constatation que peut se borner
l'appréciation de cette première jour-
née. Les deux orateurs qui ont pris la
parole appartiennent à la Droite, et,
fidèles à une habitude qui date de dix
ans, ils ont fait la critique générale de
la politique financière des républicains,
laquelle, suivant eux, mène le pays à la
ruine et n'arrive à reculer l'échéance
fatale qu'en entassant les emprunts sur
les impôts nouveaux. Cette thèse est
chère à la Droite dans les deux Cham-
bres. MM. Daynaud et d'Aillières, qui ont
employé la séance d'hier à la soutenir,
n'ont donc nile mérite de l'avoir inventée,
ni celui de l'avoir rajeunie ; ils l'avaient
soutenue, chaque année, dans la Cham-
bre précédente; ils la soutiennent en-
core dans celle-ci, moins préoccupés
peut-être de prendre la défense des in-
térêts des contribuables, que de plaider
en faveur d'un régime politique et de
porter contre la République les accusa-
tions qu'ils jugent de nature à lui alié-
ner le plus de sympathies.
Nous ne prétendons certes pas que
les orateurs de la Droite se soient écar-
tés, dans ce réquisitoire, de la question
en discussion. Cet examen général et
cette comparaison entre la République
et les gouvernements qui l'ont précé-
dée ne sauraient nous inspirer aucune
crainte, et s'il plaît tous les ans aux
réactionnaires de s'attirer des réponses
comme celles qui leur ont déjà été fai-
tes par les orateurs républicains, ce
n'est pas nous qui pourrons nous en
plaindre. Plus ce débat sera renouvelé,
plus le pays verra ce qu'il faut penser
de la prudence de la monarchie et de
l'économie de l'empire; plus il verra, en
même temps, que si la République a
commis des erreurs, dès longtemps re-
connues, si elle a cédé parfois à des en-
traînements, qu'elle a su réprimer de-
puis, les dépenses ont, du moins, été
engagées dans un intérêt général ; on
verra qu'elles avaient pour but d'amé-
liorer la situation générale du pays et
que, notamment, celles que la Droite
reproche le plus aux républicains, les
dépenses des fameux « palais scolai-
res », avaient pour but de remédier à
l'incurie des gouvernements précédents
et de donner aux générations nouvelles
cet instrument de l'éducation, indis-
pensable dans une démocratie.
La direction donnée hier au débat
n'est donc pas mauvaise, et nous ne
voudrions pas, à peine la discussion en-
gagée, reprocher aux Droites de faire
de l'obstruction. Jusqu'ici, elles sont
restées dans leur rôle, et nous avons
trop le respect de nos adversaires, pour
les blâmer d'user du droit de libre dis-
cussion, qui est une des garanties de
notre régime actuel. Cependant, nous
ne pouvons nous empêcher de remar-
quer que ces critiques générales ne ré-
pondent pas à la préoccupation domi-
nante du moment actuel. Ce qui a, au-
jourd'hui, un intérêt capital, parce que
les conséquences en sont pratiques et
immédiates, c'est de savoir quelles idées
économiques la majorité de la Chambre
va adopter, quel parti elle prendra
entre le gouvernement et la commis-
sion. C'est le point essentiel, celui sur
lequel il devrait être statué tout d'abord.
Une fois qu'il serait réglé, la Droite
pourrait, tout à son aise, se livrer aux
comparaisons et aux discussions rétros-
pectives. Elles ne perdraient rien de
leur actualité, car la commission et le
gouvernement, si divisés qu'ils soient,
sur les voies et moyens, sont d'accord
sur le total du budget et sur ce point,
que les recettes doivent être égales
aux dépenses ; ce serait une seconde
discussion générale qui succéderait à la
première et qui, cette fois, pourrait
être suivie avec moins d'impatience.
Malheureusement, s'il en faut juger
par les noms des orateurs inscrits, il
est à prévoir que les critiques présen-
tées hier par MM. Daynaud et d'Aillières
vont être reprises et répétées à satiété
par leurs collègues de droite, et que
bien du temps s'écoulera avant que la
discussion s'engage sur la question
importante. Là est ce danger d'obstruc-
tion auquel on a, par avance, fait allu-
sion, et il n'est pas difficile de discerner
l'arrière-pensée - de la Droite, arrière-
pensée qu'elle ne se donne guère, d'ail-
leurs, la peine de dissimuler. Elle sait
fort bien que les paroles ont peu d'effet
et que les discussions parlementaires
ne font, sur le pays, qu'une impression
passagère. Pour que l'impression soit
profonde et durable, il faut que des faits
suivent les paroles. Or, quel fait serait
mieux de nature à toucher le pays,
qu'une crise ministérielle survenant aux
derniers jours de l'année et venant jeter
le trouble dans toutes les transactions
commerciales qui s'opèrent à ce mo-
ment ? A défaut de la crise elle-même,
la Droite s'imagine qu'il est de son in-
térêt de prolonger les incertitudes, soi-
gneusement entretenues, sur l'issue du
débat; même ces incertitudes levées, elle
pense encore qu'en retardant la trans-
mission du projet au Luxembourg, elle
provoquera la résistance du Sénat et
que celui-ci, désireux d'exercer enfin,
dans sa plénitude, le droit d'examen,
que lui accorde la Constitution, acculera
le ministère à la nécessité de demander
des douzièmes provisoires. Si fâcheux
que soit l'expédient, le mot est plus
dangereux que la chose ; mais on ne
saurait nier qu'il a sur le pays un effet
certain et que, habilement exploité par
les droitiers, il peut avoir, à un moment
donné, des résultats défavorables à la
République.
La majorité ne saurait trop se tenir
en garde contre les pièges semés sur sa
route par la Droite, et, dans le débat
qui va se dérouler à la Chambre, elle ne
doit pas perdre de vue un seul instant
que toute fausse manœuvre de sa part
tournera immédiatement à l'avantage
de ses adversaires. S'il était, parmi les
républicains, des hommes disposés à pré-
férer leurs doctrines économiques per-
sonnelles àla concentration de toutes les
forces du parti, et à compromettre l'exis-
tence du cabinet plutôt que de faire le
sacrifice partiel et momentané de cer-
taines théories, leur obstination serait
bien plutôt favorable à la réaction qu'à
leurs opinions les plus chères. Si pé-
nible que puisse être ce sacrifice, nul
ne peut contester que l'intérêt supérieur
de la République l'exige, et nous comp-
tons sur le patriotisme de la majorité
pour opposer, par sa cohésion et sa fer-
meté à soutenir le cabinet, une barrière
infranchissable aux conspirations et aux
manœuvres de la Droite.
DE LA SUGGESTION
AU POINT DE VUE PEDAGOGIQUE
Ce titre est celui d'un très curieux
rapport présenté par le docteur Edgar
Bérillon à l'Association française pour
l'avancement des sciences, lors du ré-
cent congrès de Nancy. Tout le monde
connaît les expériences du docteur Char-
cot à la Salpêtrière et les nombreux
travaux entrepris depuis, un peu par-
tout, sur le sommeil hypnotique. Pen-
dant ce sommeil, l'individu est réduit à
l'état d'automate et subit, sans aucune
réaction de la volonté, toutes les impul-
sions qu'on lui donne. Il devient une
machine dont le ressort est entre les
mains de l'hypnotiseur, qui impose au
patient ses affirmations et ses ordres.
C'est ce qu'on appelle la suggestion.
Un assez grand nombre d'expérien-
ces avaient établi, dernièrement, la pos-
sibilité de modifier par la suggestion le
caractère et les habitudes « des sujets »,
de faire, en un mot, du sommeil hypno-
tique un agent moralisateur. A la Sal-
pêtrière, le docteur Voisin était parve-
nu à transformer une malade, âgée de
vingt-deux ans, « voleuse, prostituée,
brutale, ordurière, paresseuse, malpro-
pre et incorrigible, en une personne
obéissante, soumise, honnête, laborieuse
et propre. » Appliquant ses tentatives
à sa clientèle de la ville, le même doc-
teur avait obtenu, par la suggestion,
« qu'une femme, dont le caractère était
insupportable, devînt douce, affectueuse
avec son mari et cessât de se laisser al-
ler à la colère » ; ce qui, soit dit en pas-
sant, supprime le divorce pour incompa-
tibilité d'humeur, sublatd causa, tolli-
tur effeclus.
Mais enfin, jusqu'à présent, ces ex-
périences n'avaient porté que sur des
adultes. D'autres médecins imaginèrent
de tenter sur des enfants des expérien-
ces analogues. Laissons parler ici la
brochure :
On avait amené, à la clinique du docteur
Liébeault, un enfant atteint d'une affection
nerveuse et qui refusait de se laisser hyp-
notiser.. Un frère du petit malade, collégien
robuste et bien portant, qui assistait à la
séance, offrit spontanément de se laisser
hypnotiser, pour montrer qu'il n'avait pas
peur.
Pendant qu'il dormait, la mère raconta au
docteur Liébeault que son fils n'avait jamais
été que le dernier de sa classe, parce qu'il se
refusait obstinément à travailler. On profita
de son sommeil pour lui suggérer de mettre
plus d'application dans ses études, de tra-
vailler avec ardeur. Le résultat fut complet.
Pendant six semaines, il donna l'exemple
d'une assiduité et d'une application inaccou-
tumées, à tel point qu'il fut deux fois le pre-
mier de sa classe.
Dans le second cas, il s'agissait d'un jeune
idiot, qui fut amené pour une incontinence
d'urine. Ce malade n'avait été jusqu'alors ac-
cessible à aucune culture intellectuelle. On
n'avait pu lui apprendre ni à lire ni à comp-
ter. M. Liébeault le soumit à de fréquentes
séances d'hypnotisme, pendant lesquelles il
s'efforça, par suggestion, de développer chez
lui la faculté d'attention, tout à fait absente.
Au bout de deux mois, cet idiot connaissait
ses lettres et avait appris les quatre règles
de l'arithmétique.
D'autres observations de même nature,
recueillies par le docteur Dumont et le
professeur Bernheim, ont amené le doc-
teur Bérillon à déclarer, au congrès de
Nancy, qu'il serait temps de songer à
appliquer la suggestion hypnotique,
« comme moyen pédagogique,à des su-
jets mauvais, vicieux ou malades», ce
qui est tout un aux yeux de certains
médecins.
On l'imagine aisément, une pareille
proposition, qui déroute si complètement
les idées courantes, ne pouvait manquer
de soulever une vive opposition. Com-
ment ! vous allez réduire l'enfant à
l'état d'automate, perinde ac cadaver !
Vous allez le livrer comme un jouet à
toutes les impulsions étrangères, mau-
vaises ou bonnes ! Que faites-vous de
la liberté morale ? « L'éducation, a
objecté un professeur de philosophie, ne
doit pas tendre à transformer l'homme
en une machine ; elle doit, au contraire,
susciter l'effort, favoriser l'éclosion des
bons germes et faire avorter les mau-
vais. Les idées morales sont innées dans
l'homme, et il faut se borner à en sur-
veiller le développement. — Etes-vous
bien sûr, a riposté un membre du con-
grès, que l'enfant soit en possession de
sa liberté morale ? Et, si vous le croyez,
ne violez-vous pas à chaque instant cette
prétendue liberté par les punitions que
vous lui infligez ou par les doctrines
philosophiques que vous lui imposez ?
Vous craignez pour l'enfant les impul-
sions mauvaises et les hypnotisants
malhonnêtes; mais on peut réprimer les
crimes de cette nature comme tous les
crimes, et faut-il, pour cela, se priver
des secours de la suggestion quand elle
vise un but utile et moral à la fois? »
Bref, à la presque unanimité, la sec-
tion de pédagogie s'est montrée favo-
rable à l'idée d'avoir recours, en certains
cas déterminés, à la suggestion hypno-
tique. Il ne peut être question, bien en-
tendu, d'en faire une méthode d'édu-
cation générale ; mais de l'appliquer
comme traitement curatif aux natures
rebelles et profondément vicieuses. Les
médecins seuls pourraient appliquer ce
traitement, car on ne saurait, comme
l'a dit fort justement le docteur Ladame,
s'en remettre sans danger aux soins des
empiriques et des incompétents.
C'est à coups de trique, qu'on domp-
tait autrefois les enfants vicieux et les
animaux rétifs. Allons-nous changer
tout cela ? La suggestion est-elle des-
tinée à remplacer les verges ? Les écoles
ont eu jadis leurs pères fouettards, au-
ront-elles désormais leurs médecins
hypnotiseurs?
Peut-être trouvera-t-on, de ce côté,
la solution d'une difficulté qui ne laisse
pas d'être assez embarrassante. Les
châtiments corporels ne figurent plus
depuis longtemps au nombre des péna-
lités scolaires; maîtres et élèves le sa-
vent: ces derniers, peut-être, le savent
trop. D'autre part, l'enseignement pri-
maire est devenu obligatoire. Je suppose
qu'un enfant, par ses instincts vicieux
et sa rébellion, se rende impossible à
l'école : que fera l'instituteur, après
avoir épuisé l'arsenal des punitions ré-
glementaires ? Le renverra-t-il à sa fa-
mille? Mais alors, quand la loi viendra
demander compte au père de l'igno-
rance de son fils, ce père ne sera-t-il
pas en droit de dire : « Je vous l'avais
envoyé pour le corriger et l'instruire,
c'est vous-même qui déclarez qu'on
n'en peut rien faire. Il Jl.est ignorant,
c'est vrai; mais c'est votre faute et non
la mienne » ? L'hypnotisme, qui rem-
placera les châtiments corporels, ren-
dra-t-il aussi les expulsions inutiles?
Au lieu de mettre un élève à la porte,
l'enverra-t-on désormais à l'infirmerie
ou à la consultation du docteur ?
Gardons-nous de plaisanter ou de
conclure à la hâte. Un dédain affecté
serait aussi déplacé qu'un engouement
irréfléchi. N'allons point dire aux hyp-
notiseurs et à leurs adversaires : Clau-
dite jam rivos, pueri. Au contraire,
encourageons-les dans leurs controver-
ses. Il faut que la lice reste ouverte et
que la presse marque les coups. Nous
serons reconnaissant au docteur Béril-
Ion et à ses amis de nous apporter bien-
tôt les résultats de leurs nouvelles
recherches et de songer, en même
temps, aux moyens pratiques de mettre
à profit des expériences bien curieuses,
et renfermées jusqu'à présent dans un
petit cercle d'amateur.
ANDRÉ BALZ.
L'un des représentants de la Seine à la
Chambre des députés a, paraît-il, annoncé
l'intention de demander, par un amende-
ment au projet de loi militaire organique,
que les militaires présents sous les dra-
peaux soient désormais appelés à parti-
ciper aux diverses élections. L'idée n'est
point neuve. Elle a été mise en pratique
déjà sous la République de 1848, et aussi
lors des plébiscites impériaux. S'il y a
dans l'armée peu d'officiers généraux qui
puissent se rappeler les inconvénients des
droits électoraux des soldats, tels qu'ils
avaient pu les constater il y a quarante
ans, il reste encore au service un grand
nombre d'officiers de tous grades qui ont
pris part au plébiscite de 1870. Ceux-là
sauraient dire, au besoin, que rien n'est
plus dangereux que l'intervention des
militaires, quel que soit leur grade, dans
les affaires de la politique.
La proposition de M. Maillard ne nous
paraît pas de celles qu'il soit nécessaire
de combattre.
Une seule observation, cependant. Tout
électeur étant par là même éligible, les
officiers, les sous-officiers et les soldats
auraient droit de poser leur candidature,
si jamais M. Maillard avait gain de cause
devant le Parlement. Il faudrait donc
donner des permissions , et sans tenir
compte de leurs chances de succès, à tous
ceux qui prétendraient solliciter un man-
dat législatif. Il faudrait aussi les autoriser
à parler en public et à se mêler aux
luttes électorales. Ah ! la jolie armée que
nous aurions !
LA VIE DE PARIS
Il y aura, dans quelques jours, une
élection à l'Académie française. Il s'agit
de remplacer M. le comte de Falloux.
Jusqu'à présent, il paraît que deux hom-
mes seulement se sont mis sur les rangs
et ont fait les visites, que le règlement
défend, mais que l'usage impose aux
candidats. Ce sont MM. Gréard et Ga-
briel -Othenin Cléron d'Haussonville.
Ces candidatures ne sont pas très pas-
sionnantes. C'est à peine si les journaux
en ont parlé, et, dans les salons où se
brassent volontiers les élections acadé-
miques, on cause de celle-ci sans inté-
rêt. Pour cette fois, les Philamintes et
les Bélises ne se mettent point en l'air,
ne se donnent pas de mouvement et
laissent aller les choses. Quant au pu-
blic, sincèrement, il ignore soit le nom,
soit les titres des candidats, et il incline
tout à fait à croire que l'élection pro-
chaine, faite sans que l'opinion soit con-
sultée, restera plus ignorée encore que
blâmée par elle.
Il y a quelque injustice dans cette fa-
çon de penser. L'élection de M. Gréard
serait moins extraordinaire qu'on ne le
pense sur)e boulevard, et celle de M.
Othenin d'Haussonville serait plus fâ-
cheuse, pour l'Académie elle-même, qu'on
ne l'estime dans les salons. M. Gréard
est un universitaire très distingué. Son
nom, il est vrai, ne se trouve ni dans les
dictionnaires des contemporains, ni sur
les lèvres de la foule. Mais il est fort
connu dans un milieu spécial, et, mêlé
au gouvernement de l'Université, il s'y
est fait des amis et des ennemis, ce qui
est le bon signe. Si ses travaux sont peu
lus des Parisiens, ils le sont des univer-
sitaires et des lettrés classiques, et fort
estimés. Son élection, à tout dire, lais-
serait le public froid; mais, dûment ex-
pliquée, ne le contrarierait pas. On se
dirait tout au plus que notre Université
possède assez d'hommes ayant, comme
M. Gréard, des titres classiques, pour
qu'il y ait un peu d'imprévu, et comme
une part faite au hasard, dans le choix de
l'un plus que de l'autre. Mais on com-
prendrait que l'Académie, qui a fait ré-
cemment bon visage à l'esprit moderne
et accueilli les poètes romantiques, fît
un retour vers les défenseurs des étu-
des classiques, et M. Gréard, à l'Acadé-
mie, s'il ne donnerait pas un renouveau
de jeunesse à la Compagnie ni un lustre
bien éclatant, ne lui ferait aucun tort.
Je n'en dirais pas autant du choix
possible de M. le vicomte d'Hausson-
ville. Ce candidat, jeune encore pour
l'Académie —il a quarante-trois ans,—
n'a pas la qualité particulière de M.
Gréard, d'être un professeur, de repré-
senter l'enseignement. C'est un homme
de lettres obscur, derrière lequel se
cache un homme politique détestable.
Son élection irriterait, et à bon droit,
les adversaires de la Compagnie. Je ne
suis pas de ces adversaires. Il y a bel
âge que j'ai renoncé aux faciles épi-
grammes dont la jeunesse lettrée s'a-
muse à taquiner l'Académie, qui devient
la secrète ambition de son âge mur. Et,
bien plus, il m'est arrivé souvent de dé-
fendre l'Académie contre certains re-
proches, particulièrement contre ceux
qu'on lui adresse, quand elle fait des
élections de convenance, que je trouve,
pour ma part, fort bien dans sa tradi-
tion. Je ne pense pas davantage qu'il
faille conseiller à l'Académie la platitude
en matière électorale et lui interdire de
faire un choix qui peut déplaire au pou-
voir, quand ce choix est justifié. Mais,
dans le cas présent, si on regarde l'é-
lection de M. le vicomte Othenin d'Haus-
sonville comme une élection de conve-
nance, les convenances n'y sont pas ; et
si on la considère comme une élection
politique, une élection de protestation,
le personnage de M. d'Haussonville n'est
pas davantage bien choisi. J'éoàrte
même, sans en parler, l'idée d'une élec-
tion littéraire, car cette idée serait trop
comique !
Il y a, a 1 Académie, deux camps en
présence : le parti des ducs et le parti
des lettrés. Les ducs, orléanistes, sont
les artisans des élections de convenance
et des élections politiques ; les lettrés,
se rapprochant de l'opinion publique,
sont les défenseurs des candidatures
littéraires. Les deux partis ont besoin,
souvent, de transiger entre eux. Je ne
blâme pas ces transactions ; mais il y
faut des limites. Il faut que le nom sur
lequel elles se font soit acceptable pour
le groupe à qui on le propose. Or, si on
considère M. d'Haussonville comme un
candidat de « convenance », il y a à ob-
jecter que l'élection de M. le duc de
Broglie et celle de M. le comte d'Haus-
sonville, père du candidat actuel, suf-
fisent pour une seule -maison. Que si on
fait intervenir la politique, les acadé-
miciens qui ont des sentiments libéraux
ou qui tiennent, par leurs affections,
au parti de l'empire, sont également
choqués. Pour ne parler que des pre-
miers, peut-on oublier que, député,
M. d'Haussonville, étant qui il était, a
voté pour la circulaire Pascal, pour cette
élucubration immonde qui a soulevé un
cri de dégoût et fait rejeter son auteur
par le cabinet réactionnaire lui-même?
Si M. d'Haussonville le père a été élu,
n'oublions pas qu'il le dut à son libéralis-
me, à la netteté de ses sentiments, à une
certaine tournure de caractère et d'es-
prit qui le fit estimer de ses ennemis
mêmes. Rien de pareil ne se trouve dans
la vie politique, hésitante et assez plate
de monsieur son fils. Un fauteuil à l'A-
cadémie ne se réclame pas comme un
héritage. Et pourquoi un homme tel
que M. A. Dumas irait-il baisser pavil-
lon, — ce pavillon, c'est le drapeau des
lettres, — devant le vicomte, à moins
que ce ne fût dans l'idée de lui rendre,
en le recevant, quelques-unes des épi-
grammes de son père contre le théâtre
moderne et son principal représentant ?
Si l'Académie veut faire une élection
de convenance, qu elle cherche un grand
seigneur ami des lettres, ou qu'elle s'ar-
rête sur un universitaire. Si elle veut
faire une élection politique, peut-être
témoigner de sa reconnaissance envers
le duc d'Aumale, qu'elle nomme M.
Bocher, qui est un excellent orateur.
Qu'elle cherche un conservateur, si elle
veut, mais un conservateur qui soit un
lettré de valeur. M. le vicomte d'Haus-
sonville n'a, à son actif, qu'un rapport,
très bien fait, sur le régime des prisons ;
et il a, à son passif, un volume de cri-
tique consacré à Sainte-Beuve, qui est
le dernier mot de l'injustice ennuyeuse
et de la rancune lourde. C'est pourtant
comme littérateur que certains amis ont
la naïveté de le présenter. Mais, en ce
cas, d'ici à ce soir, j'écrirais à la queue
leu leu les noms d'hommes de lettres
qui ont plus de titres que lui.
Aussi, le besoin d'un troisième larron
se fait-il sentir. Un sentiment, qui est
celui de l'Académie, au fond, et, très
visiblement, celui du public, s'est fait
jour. Il faut à l'Académie une élection
qui ne soit pas une élection sans éclat,
comme celle de M. Gréard, — encore
que fort explicable, — et qui ne soit
pas surtout une élection irritante et in-
justifiée, comme la petite affaire de
famille arrangée pour M. le vicomte.
Divers noms se présentent à l'esprit,
que je trouve inutiles à dire. Un seul a
été mis en avant dans les journaux, que
je me contente de rappeler: c'est celui
de M. Gounod. Mais, de grâce, si on
veut faire réussir le musicien de Faust,
que les reporters y mettent un peu de
discrétion ! Ils peuvent rappeler certains
travaux catholiques qui sont des titres.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k75600431/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k75600431/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k75600431/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k75600431/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k75600431
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k75600431
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k75600431/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest