Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-10-31
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 31 octobre 1886 31 octobre 1886
Description : 1886/10/31 (A17,N5408). 1886/10/31 (A17,N5408).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
Dix-septième année. — NI 5408 Prix du numéro : Paris et Départements : 15 centimes Dimanche 31 octobre 1886
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JOURNAL RÉPUBLICAIN
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AVIS
Nous appelons l'attention de nos lec-
teurs sur notre tableau de la Bourse, qui
vient d'être entièrement modifié. Il est
maintenant plus complet que dans aucun
autre journal, il contient toutes les va-
leurs journellement cotées. Parmi les
innovations que nous y avons intro-
duites , nous signalerons, notamment,
l'indication des intérêts et dividendes
réservés ou garantis aux actions des
Compagnies de chemins de fer par les
dernières conventions. Nous avons éga-
lement spécifié les obligations qui jouis-
sent de garanties, et les remboursements
différents de cinq cents francs.
BULLETIN
La situation est de plus en plus trou-
blée en Bulgarie. Le gouvernement de la
régence est divisé en deux partis bien
tranchés : le parti intransigeant et le parti
russe. Les deux régents hostiles au tsar
se sont rendus à Tirnova avec les mem-
bres de la Chambre bulgare ; le troisième,
M. Karaveloff, est resté à Sofia, et un rap-
prochement s'est effectué entre ce dernier
et M. Zankoff, partisan dévoué de l'in-
fluence russe.
A Tirnova et à Sofia, on intrigue suivant
l'humeur des personnages qui exercent
une action dirigeante. A Tirnova, on ne
serait pas éloigné de faire un coup d'éclat
et de protester contre l'arrivée de navires
russes à Varna, par la réélection du prince
de Battenberg. Là aussi, on fait des vœux
secrets pour que la Russie prenne une ré-
solution violente, qui pourrait avoir pour
conséquence de précipiter les événements
et d'obliger les puissances intéressées,
l'Angleterre en particulier, à une inter-
vention directe. Ce que désirent le plus
vivement les ardents du parti gouverne-
mental, c'est un conflit sérieux, qui ne se-
rait pas sans profit pour les habiles.
A Sofia, le général Kaulbars réclame
avec insistance la mise en liberté des offi-
ciers bulgares compromis dans le complot
du 21 août. Il a adressé aux membres du
gouvernement à Tirnova plusieurs dépê-
ches successives : les unes pour réclamer
l'élargissement des officiers détenus, l'au-
tre pour demander lalevéedel'étatdesiège.
Aux dernières nouvelles, le général russe
a envoyé un ultimatum aux régents de Tir-
nova, d'accord, en cela, avec le régent de
Sofia. Dans cet ultimatum, il proteste
contre les agissements du gouvernement
bulgare à l'égard des sujets russes et
contre les manœuvres déloyales du parti
de l'opposition. Il assignait un délai de
trois jours au gouvernement pour lui
donner une réponse satisfaisante. Il me-
naçait de quitter Sofia avec le personnel
de l'agence, et de laisser au gouvernement
de la régence la responsabilité des événe-
ments qui seraient la conséquence de son
départ, si cette communication — la der-
nière — restait sans réponse. Il était diffi-
cile de se méprendre sur la portée de cet
avertissement.
Les régents de Tirnova l'ont compris, et
ils ont répondu par l'envoi d'une circu-
laire aux préfets, qui ont ordre de protéger
les sujets du tsar. Mais, en même temps
que ces instructions, conciliantes en ap-
parence, sont données aux agents du
gouvernement, on est étonné d'apprendre
que, par ordre des régents, l'enseignement
de la langue russe est prohibé dans les
écoles publiques, et que l'usage de la lan-
gue allemande est prescrit officiellement.
Si cette information, d'origine anglaise,
a quelque valeur, le gouvernement russe
ne tardera pas à riposter au coup droit
que lui porte le gouvernement bulgare.
A l'heure actuelle, il est difficile de sa-
voir de façon précise si la Russie est réso-
lue à envahir la Bulgarie. Elle ne le fera,
selon toute vraisemblance, qu'à la dernière
extrémité. A la tournure que prennent les
événements, il est à croire que les divi-
sions mêmes des trois régents amèneront
la chute du gouvernement, qui est absolu-
ment discrédité, à bout de ressources et
d'expédients, au total, impuissant à conju-
rer le péril qui le menace.
Ce qui est, en tous les cas, certain dès
à présent, c'est que les empires du centre
sont d'accord pour ne pas s'interposer en-
tre la Bulgarie et la Russie.
Les négociations pour le règlement de la
question d'Egypte se poursuivent mysté-
rieusement, et personne ne peut savoir
sur quelles bases elles sont engagées.
Les journaux anglais, qui ont reçu sans
doute un mot d'ordre, se sont radoucis.
Leur ton est devenu moins arrogant et ils
se bornent aujourd'hui à plaider les cir-
constances atténuantes pour expliquer le
maintien des troupes en Egypte. Au dire
du Daily lelegraph, c'est dans l'intérêt
de la France, pour améliorer la situation
des créanciers de l'Egypte, que l'Angle-
terre ne rappelle pas encore ses troupes ;
mais elle évacuera le pays « avec un soupir
de soulagement ». Personne ne croira à
tant de dévouement mêlé d'un désintéres-
sement si insolite.
La Correspondance de Vienne apprécie
autrement la question et la voit sous son
vrai jour en disant :
« L'Angleterre a formellement indiqué,
dans une convention dont M. Waddington
lui-même a été le négociateur, la date à
laquelle ses troupes évacueraient l'Egypte.
Le représentant de la France est donc
parfaitement en droit de lui demander,
avec toutes les formes courtoises dont
s'entoure le langage diplomatique, si elle a
toujours l'intention de tenir sa promesse.
» Que la question ne soit pas agréable
à l'Angleterre, c'est fort probable ; mais
sa solution est une des nécessités de la
situation. Quant à la faire sortir du do-
maine de la diplomatie, nous sommes bien
convaincus que personne n'y songe. Les
négociations seront d'ailleurs menées avec
une fermeté qui permet d'espérer le suc-
cès final. »
Cette opinion sera celle de tous les es-
prits prudents, qui ne se laissent tromper
ni par les démonstrations bruyantes des
impatients, ni par les cris de détresse des
apeurés.
LOUIS HENRIQUE.
INFORMATIONS PARTICULIÈRES
Conseil des ministres
Les ministres ont tenu conseil, hier matin, à
l'Elysée, sous la présidence de M. Jules Grévy.
M. Demôle, garde des sceaux, et M. Baïhaut,
ministre des travaux publics, n'assistaient
pas à la réunion.
Le ministre des finances a soumis à la si-
gnature du président de la République un
décret aux termes duquel M. Pradines, direc-
teur de la manufacture des tabacs du Gros-
Caillou, est nommé directeur général des
manufactures de l'Etat, en remplacement de
M. Regnault, décédé.
Le ministre des postes et télégraphes a été
autorisé à déposer sur le bureau de la Cham-
bre un projet de loi ayant pour objet d'aug-
menter les dimensions des boîtes renfermant
des valeurs déclarées. Actuellement, les boî-
tes de cette sorte doivent avoir, au maximum,
5 centimètres de hauteur, 8 de largeur et
10 de longueur. D'après le nouveau projet, les
boîtes pourraient avoir 10 centimètres dans
les trois dimensions.
M. Baïhaut
En faisant remarquer l'absence de M. Baï-
haut au conseil d'hier matin, plusieurs jour-
naux ont cru pouvoir affirmer que le ministre
des travaux publics avait renouvelé sa dé-
mission.
La vérité est que la situation de M. Baïhaut
est restée la même qu'il y a quelques jours ;
il n'a pas retiré la démission qu'il avait of-
ferte, il ne l'a pas renouvelée non plus.
Ajoutons que cette démission date des pre-
miers jours de septembre.
M. Cambon
M. Cambon, le nouvel ambassadeur de
France à Madrid, partira demain pour Tunis,
où il va prendre congé du bey.
L'Exposition de 1889
Le ministre de l'agriculture a reçu, hier, une
délégation de la Société nationale d'encoura-
gement à l'agriculture, qui lui a été présentée
par M. Foucher de Careil.
M. Foucher de Careil a exposé au ministre
les préoccupations du monde agricole au su-
jet de l'Exposition universelle de 1889, et la
nécessité de donner à la première de nos in-
dustries la part et le rôle qui lui reviennent.
Il a demandé que l'emplacement consacré
à l'agriculture comprenne non seulement les
quais situés entre le pont des Invalides et ce-
lui de l'Aima, mais encore l'esplanade des In-
valides, indispensable pour les divers con-
cours d'animaux.
Il a, en outre, sollicité du ministre la nomi-
nation d'une commission préparatoire, à l'ins-
tar de celle qui a été déjà nommée pour les
beaux-arts.
M. le ministre a remercié la délégation, en
l'assurant qu'il tiendrait le plus grand compte,
dans les résolutions définitives qu'il prendra
prochainement, de ces deux réclamations.
Une réforme utile
On se plaint fréquemment de ce que les
administrations de l'Etat n'affranchissent pas
les lettres qu'elles adressent au public, et im-
posent ainsi, aux destinataires, le paiement de
taxes doubles.
Nous apprenons avec plaisir que cette ques-
tion a attiré l'attention de M. Granet, qui étu-
die en ce moment un projet d'abaissement à
15 centimes de la taxe des lettres non affran-
chies émanées des grandes administrations
publiques.
———————— ——- -——————————.
QUESTIONS DU JOUR
Derniers échos du congrès de Lyon
Le télégraphe nous annonçait, hier, la
protestation de l'Union des chambres
ouvrières de Bordeaux contre le congrès
de Lyon. Nous en avons, aujourd'hui, le
texte, qui mérite assurément d'être pu-
blié. Le voici donc :
L'Union des chambres syndicales ouvrières
de Bordeaux, dans sa réunion du 27 octobre
courant, après avoir entendu les explications
fournies par les délégués des chambres syn-
dicales adhérentes à l'Union au congrès de
Lyon;
Considérant que certains personnages soi-
disant ouvriers, notoirement connus parleurs
doctrines révolutionnaires, étaient en majo-
rité au congrès de Lyon ;
Considérant que, pour la plupart, Ils n'é-
taient pas syndiqués et ne devaient leur man-
dat qu'à la complaisance de quelques syndi-
cats peu scrupuleux ;
Considérant que, par leur odieuse manœu-
vre, ces révolutionnaires ont empêché les tra-
vailleurs pratiques d'émettre leurs Idées et de
collaborer à la préparation des réformes ins-
crites dans le programme du congrès ;
Considérant qu'à la dernière séance du con-
grès, les révolutionnaires, malgré les protes-
tations indignées de la salla entière, ont la-
céré et foulé aux pieds le drapeau tricolore,
et arboré ensuite à la tribune deux étendards
rouges, provenant d'une partie du drapeau
national ainsi lacéré ;
Attendu que les faits dont il s'agit ont em-
pêché le congrès d'aboutir ;
Attendu qu'une telle conduite doit être non
seulement relevée, mais encore fortement
flétrie :
Protéste avec la plus grande énergie contre
la conduite inqualifiable et les agissements
scandaleux de ces révolutionnaires au con-
grès de Lyon.
Voilà une déclaration qui atténuera
singulièrement l'impression fâcheuse
que les comptes rendus au congrès de
Lyon avaient répandue. On y apprend la
vérité, de même que l'on s'y instruit des
sentiments réels des travailleurs, des
« travailleurs pratiques ». Ce qui résulte
de cet authentique témoignage, c'est
que le parti révolutionnaire socialiste a
su manœuvrer avec assez d'adresse
pour s'emparer de la majorité dans le
congrès.
Ce n'est pas d'aujourd'hui, que nous
connaissons l'activité et le peu de scru-
pule du parti révolutionnaire socialiste.
S'il n'est fort ni par l'influence ni par le
nombre, il travaille à le paraître, et il
s'y emploie très habilement. Il court les
congrès et les grèves, il se faufile aux pre-
miers rangs, il parle et sait empêcher
de parler ceux qui seraient capables de
répondre ; enfin, l'audace aidant, et la
violence au besoin, il s'installe en
maître.
Que deviennent, pendant ce temps-là,
les vrais ouvriers, les «travailleurs pra-
tiques », comme les caractérise d'un
mot heureux la protestation des cham-
bres ouvrières de Bordeaux? Ils sont
obligés de renoncer à toute action comme
à tout débat ; on les a, en quelque sorte,
délogés du congrès, où ce seraient eux
qui devraient avoir le franc-parler et
l'influence; et pour que ce fâcheux ré-
sultat soit atteint, il n'est même pas
nécessaire que le parti socialiste révo-
lutionnaire se trouve en majorité :
pourvu qu'il dispose de bons poings et
de bons poumons, il ne dépend que
de lui d'entraver toute délibération sé-
rieuse et d'étouffer sous les clameurs
les opinions opposées aux siennes.
La protestation des syndicats borde-
lais nous révèle, d'ailleurs, un trait
d'insouciance de plusieurs syndicats qui
a dû singulièrement contribuer à ren-
forcer le groupe des délégués socia-
listes. On a vu, dans le document re-
produit plus haut, que la plupart de
ceux-ci ne possédaient pas de délégation
régulière : « Ils n'étaient pas syndiqués
et ils ne devaient leur mandat qu'à la
complaisance de quelques syndicats peu
scrupuleux. » Ce trait marque, en vé-
rité, de la part des syndicats, beaucoup
de légèreté et bien peu de scrupule.
Comment! voilà des syndicats qui ont
l'imprudence, pour ne pas dire pis, de
confier leur délégation à des inconnus !
Et ceux-ci, ces faux mandataires d'inté-
rêts qu'ils ne connaissent même point,
ont été accueillis dans le congrès, y ont
pris d'autorité la tribune, et ont em-
pêché les mandataires véritablement
chargés par leurs syndicats, « d'émettre
leurs idées et de collaborer à la prépa-
ration des réformes inscrites dans le
programme»! N'est-ce pas à découra-
ger les ouvriers de ces grands congrès ?
Avec quelques hommes d'une initia-
tive énergique, il ne serait pas impos-
sible, pourtant, d'organiser un vrai con-
grès ouvrier, où ne seraient admis que
des représentants réels des syndicats,
et non pas des représentants fictifs, ve-
nus avec des mandats de complaisance.
Il faudrait établir, alors, une sorte de vé-
rification de pouvoirs et ne prononcer
l'admission que pour les délégués fai-
sant réellement partie des syndicats au
nom desquels ils se présentent. Les
difficultés ne seraient pas si grandes
que peut-être on l'imagine. Mais si, par
malheur, ils n'arrivaient pas à être maî-
tres dans leurs congrès, les « ouvriers
pratiques » y resteraient encore à la
merci des révolutionnaires socialistes,
et ce serait vraiment pour eux un jeu
de dupes, que de recommencer périodi-
quement le congrès de Lyon.
EUG. LIÉBERT.
+
L'ÉLECTION DE L'AISNE
La lutte est vive, en ce moment, dans le
département de l'Aisne, où le second tour
de scrutin aura lieu dimanche prochain
pour l'élection d'un député. Au premier
tour, dimanche dernier, le candidat répu-
blicain, M. Rigaut, est arrivé en tête de la
liste ; mais l'écart entre lui et le candidat
réactionnaire était assez faible. Quelques
abstentions, d'une part; quelques suffrages
nouveaux, d'autre part, en pouvaient chan-
ger le sens au second tour. Avec un esprit
de discipline qui n'est pas dans les habi-
tudes du parti socialiste, le candidat de
cette nuance, M. Langrand, qui avait ob-
tenu environ 6,000 voix au premier scru-
tin, s'est désisté en faveur de M. Rigaut,
dont l'élection semble désormais assurée.
Cependant, la candidature de M. Rigaut
est combattue non seulement par les mo-
narchistes, mais aussi par certains répu-
blicains, qui ont conclu un pacte d'alliance
avec la Droite lors de la dernière élection
sénatoriale. Ces républicains ont contracté,
alors, une dette envers les monarchistes,
dont les voix se sont portées trois fois de
suite sur M. Sébline, et qui ont largement
contribué à son succès. Aujourd'hui, c'est
au tour de ces républicains à rendre le
service dont ils ont profité, et ils s'em-
ploient avec ardeur au succès de M. Des-
jardins.
- Celui-ci a eu, il est vrai, la prudence de
ne pas se poser en adversaire de la Répu-
blique. Il se déclare « soumis aux lois
constitutionnelles » et se dit animé du
désir de « travailler au relèvement du
pays, sans secousses et sans révolution ».
Il pourrait donc, à la rigueur, être consi-
déré comme un adhérent futur du groupe
problématique de MM. Raoul Duval et Le-
poutre; mais cette adhésion à la Républi-
que est bien vague et ne rappelle que trop
la conduite tenue par tous les réactionnai-
res au moment des élections générales
du 4 octobre, sur le programme desquels
le programme de M. Desjardins est fort
exactement calqué.
Entre ce programme incolore et le pro-
gramme nettement républicain de M. Ri-
gaut, les électeurs de l'Aisne n'éprouve-
ront certainement aucune hésitation, et
c'est au candidat républicain qu'ils donne-
ront leurs suffrages. Les monarchistes ne
se feraient pas faute de considérer, diman-
che prochain, comme un recul de la Ré-
publique, l'élection de M. Desjardins. Le
candidat constitutionnel d'aujourd'hui de-
viendrait, aux yeux de tous les réaction-
naires, le porte-drapeau de la monarchie,
et ils donneraient cette signification à son
élection avec un empressement d'autant
plus grand, que le département de l'Aisne
est, dès longtemps, connu pour la fermeté
de ses opinions républicaines.
CHRONIQUE
Les récidivistes à l'île des Pins
Alea jacta est!
C'est vendredi prochain, 5 novembre,
qu'un premier convoi de 300 récidivis-
tes partira du dépôt de Saint-Martin-de-
Ré, par le transport la Ville-de-Saint-
Nazaire, à destination de l'île des Pins.
Cette solution n'est pas du goût de
tout le monde. En tout cas, elle n'est
pas du mien ; je l'ai déjà dit nettement,
ici même, à l'avance.
Non pas, entendez-moi bien, que je
pousse le sentimentalisme jusqu'à m'a-
pitoyer outre mesure sur le sort des
pauvres scélérats violemment arrachés
au sol qui les a vus naître et grandir,
comme une ivraie malfaisante. Défec-
tueuse dans sa forme, et d'exécution dé-
licate et périlleuse, la loi d'ostracisme
qu'on inaugure me paraît, en revanche,
inattaquable dans son principe. Ce que
je critique, ce n'est pas la déportation
des trois cents « chevaux de retour »
expédiés vers d'autres cieux : c'est l'em-
ploi auquel on les destine. Débarrasser
les honnêtes gens d'un voisinage en-
combrant et dangereux, c'est bien. Uti-
liser ces détritus sociaux au mieux des
intérêts de la fortune publique et de la
colonisation, ce serait mieux encore.
Ces deux desiderata sont inséparables.
Or, si la première partie du programme
est effectivement remplie, je doute qu'on
ait pris le meilleur moyen de réaliser la
seconde.
m
* *
C'est sur l'île des Pins qu'on dirige le
premier convoi des récidivistes.
Que va-t-on en faire, à l'île des Pins?
Quel profit va-t-on en tirer ?
— « Ils seront employés, répond-on,
dans les ateliers, à divers travaux ma-
nuels, suivant leurs aptitudes. »
Comme s'il n'y avait pas déjà, là-bas,
surabondance de main d'œuvre pénale !
Comme si tous les travaux de maçonne-
rie, de cordonnerie, de menuiserie, etc.,
que l'administration y fait exécuter par
les transportés, soit pour elle-même,
soit pour les particuliers, ne lui coû-
taient pas beaucoup plus cher que s'ils
étaient exécutés par des ouvriers li-
bres !
Sans. doute, à la Nouvelle-Calédonie,
où, sur une surface égale à trois ou
quatre départements français, le nom-
bre des colons ne dépasse guère 2,500,
les ouvriers libres font défaut. Mais
n'est-ce pas précisément l'impossibilité
de soutenir la concurrence péniten-
tiaire, jointe à la répugnance légitime
inspirée par l'obligation d'un contact
journalier avec la pire des lies humai-
nes, qui écarte les émigrants honnêtes
de l'une de nos plus belles colonies et
d'un climat dont les Niçois eux-mêmes
ne connaissent pas la douceur?
En vérité, je vous le dis, dans ces ate-
liers, déjà encombrés, les 300 récidi-
vistes de la Ville-de-Saint-Nazaire —
l'avant-grarde d'une armée ! — ne servi-
ront absolument à rien. si ce n'est à
écorner le budget davantage. Cela fera
300 bouches inutiles de plus à nourrir.
Je suppose bien qu'on ne recommen-
cera pas avec eux les essais de colo-
nisation agricole qui ont, avec les for-
çats et les libérés, trop piteusement
échoué sur la Grande-Terre, aux fer-
mes de Bourraï et de Koé, notamment,
pour ne pas avoir découragé les plus
optimistes. Les 1,200 hectares de réser-
ves pénitentiaires de l'île des Pins
peuvent et doivent assurément recevoir
un emploi plus avantageux.
Mais, tout d'abord, il faudra que la
colonisation pénale y cède la place à la
colonisation libre, et que, au lieu d'y
expédier les récidivistes, on en retire
les forçats !
Nous sommes, comme on le voit,
loin de compte.
*
* *
Ce qu'il y a de particulièrement grave
dans la détermination que vient de
prendre et de mettre à exécution le
gouvernement, c'est qu'on y peut re-
connaitre l'indice formel de son obsti-
nation à vouloir, quand même, continuer
de faire de nos établissements de l'O-
céanie occidentale le dépôt général de
la transportation.
Or, ce sont là précisément les seules
colonies où les Européens peuvent tra-
vailler la terre sans noviciat préalable
et sans plus d'inconvénients que dans
leur pays natal !
Cela privera les émigrants honnêtes
du refuge sur lequel ils avaient bien un
peu le droit de compter ; cela nous vau-
dra probablement, par-dessus le mar-
ché, des « histoires » avec nos voisins
d'Australie, qui n'avaient plus que cet
argument à opposer à la prise de pos-
session des Nouvelles-Hébrides.
Si encore l'œuvre supérieure de la
colonisation devait en bénéficier! Mais
il s'en faut qu'on puisse raisonnable-
ment concevoir cette mirifique espé-
rance. Jamais le travail pénal ne vaudra,
pour la colonisation, le travail libre ; ja-
mais on ne fondera, avec la seule main
d'œuvre pénitentiaire, une colonie pros-
père et vivace. Contrairement, en effet,
à une légende trop répandue, ce n'est
pas aux convicts que l'Australie doit
son succès et sa richesse. Sans l'élé-
ment libre, les convicts auraient été in-
capables de lui imprimer son essor inouï,
qui ne date que du jour où les officiers
anglais et les colons libres sont inter-
venus dans l'entreprise, surpassant bien-
tôt par leur zèle, leur activité, leur in-
telligence, tout ce que le gouvernement
n'avait obtenu jusque-là que pénible-
ment et à grands frais.
Les convicts ont cependant rendu un
incomparable service à l'Australie en
préparant la colonisation. C'est le même
service que nous avons à demander,
non seulement aux récidivistes, mais
aux forçats, à tous les condamnés à la
transportation.
*
* *
A eux de faire les grands travaux
publics, routes, ports, canaux, fortifica-
tions, etc., dont l'ensemble, en assurant
la sécurité du pays, la facilité des com-
munications, les débouchés commer-
ciaux, constitue l'outillage économique
de la colonisation qui débute. A eux de
défricher les terres propres à la culture,
de construire des habitations et des fer-
mes, de procéder à toutes les opéra-
tions préliminaires de la mise en valeur
des terres destinées ensuite à être of-
fertes, déjà prêtes, ensemencées, pro-
ductives, aux émigrants libres, qui, dès
lors, garantis contre les risques du len-
demain, afflueront en foule. A eux,
même, au moins aux plus jeunes et aux
plus robustes, enrégimentés en une
nouvelle sorte de bataillons disciplinai-
res, d'occuper les postes militaires ex-
trêmes des « marches » coloniales !
Mais il faudra commencer par rompre
avec la tradition néfaste qui consiste à
sursaturer d'éléments pénitentiaires
telle ou telle de nos colonies, sacrifiée
à l'avance, transformée en cloaque, en
« collection purulente », avec cette ag-
gravation, surtout, que ce sont d'ordi-
naire les plus saines, comme la Nou-
velle-Calédonie, ou les plus riches,
comme la Guyane — que Chessé, l'ex-
gouverneur de Cayenne, appelle « le
Java français» — qu'on réserve pour cet
usage ingrat et stérile.
Plus de vastes établissements coû-
teux ! Rien que des dépôts provisoires,
des camps mobiles, répartis entre
toutes nos possessions d'outre-mer, au
hasard variable des besoins de chaume!
Sans doute, toutes nos colonies, —
sauf Mayotte, — ont protesté, avec un
ensemble touchant, quand on leur a de-
mandé s'il leur plairait de recevoir et
d'héberger le trop-plein des « immondi-
ces » de la mère-patrie. Parbleu! Le
décret du 26 novembre 1885, qui orga-
nise ces « escouades volantes », et dont
l'honorable M. Dislère, conseiller d'Etat
et président de la commission de clas-
sement des récidivistes, réclame avec
tant d'insistance la mise immédiate en
vigueur, le décret du 26 novembre
1885 n'ayant jamais été appliqué, les co-
lonies ont eru qu'il s'agissait de les
transformer en « dépotoirs ». Le mot
a été écrit!. Elles ont cru que la Nou-
velle-Calédonie et la Guyanne allaient
leur passer la main. Et, ma foi! elles
ont poussé des cris d'horreur et d'épou-
vante. Il y avait bien de quoi !
Croyez-vous que s'il avait été ques-
tion de leur envoyer des compagnies
disciplinaires, — cent hommes ici, cin-
quante hommes la, cinq cents plus
loin, — juste le nombre, — et le temps!
— nécessaire pour procéder aux tra-
vaux publics les plus urgents, ne croyez-
vous pas qu'elles eussent témoigné, au
lieu de la répugnance que vous savez et
qu'on exploite, de l'empressement et de
la gratitude?
En ce qui me concerne, je ne garde
plus le moindre doute, ayant souventes
fois discuté l'hypothèse, avec des per-
sonnages notables de l'Indo-Chine, de
Madagascar, du Sénégal, de la Guyane
et des archipels d'Océanie.
*
4r *
Qu'on se le dise ! La solution est là.
Il ne doit rester à la Nouvelle-Calédo-
nie que le nombre strict de condamnés
indispensable au parachèvement de
l'œuvre si bien inaugurée autrefois par
le commandant Pallu de la Barrière,
mais malencontreusement abandonnée
depuis son départ : à la création de rou-
tes, à la réfection du port de Nouméa,
à l'édification de forts de défense, au dé-
frichement des futures concessions, etc.
On a déjà décidé que les condamnés
arabes seraient expédiés à Obock; il est
également question de faire faire par
les récidivistes — par le génie péniten-
tiaire — les travaux d'aménagement du
port et de l'établissement de Diego-
Suarez. C'est un premier pas fait dans
la bonne voie. La mise à part, sur le
premier convoi, d'une « escouade vo-
lante » de treize hommes triés parmi
les anciens soldats en est un second.
Tant il est vrai que la logique des cho-
ses s'impose aux plus routiniers et aux
plus réfractaires !
Qu'on ne nous dise pas que « la main-
d'œuvre indigène coûtera toujours moins
cher que la main-d'œuvre pénale » ! Cela
peut être vrai souvent ; mais il n'en est
pas moins urgent d'employer la main-
d'œuvre pénale à des opérations moins
dispendieuses que la fabrication de sou-
liers - ou - de sucre, à la Nouvelle-Calé-
donie, aux exorbitantes conditions enre-
gistrées par les statistiques officielles.
Mieux vaut entretenir des récidivistes
ou des forçats à empierrer les routes
du Tonkin ou à fortifier Rapa, que de
les entretenir, à l'île des Pins, comme
« rationnaires » improductifs. D'autant
mieux que les routes du Tonkin et les
fortifications de Rapa devraient se faire
quand même, et qu'il faudrait toujours
payer, par-dessus le marché, de ce chef,
des « corvéables », Annamites ou Poly-
nésiens.
La meilleure preuve, d'ailleurs, que
la main-d'œuvre indigène ne suffit pas
toute seule, c'est qu'il a fallu, au Tonkin,
pour les grands travaux publics, y ad-
joindre la main-d'œuvre militaire.
Demandez plutôt à M. Paul Bert !
Il ne faudrait pourtant pas qu'on
pût dire que les récidivistes ont été
envoyés à l'île des Pins dans le but
unique de fournir aux éleveurs et aux
fabricants de conserves de la Nouvelle-
Calédonie un débouché sûr et un moyen
infaillible de réparer lucrativement leur
imprévoyance et leur fautes.
RAOUL LUCET.
COULISSES PARlJlENTADmS
Les inondations. — Demande de crédit. — A la
commission du budget. — Le rapport de M.
Laguerre. — Les services postaux. — Les mes-
sageries maritimes.
En présence des désastres causés dans le
sud-est et le midi de la France par les inon-
dations de cette semaine, M. Sarrien, minis-
tre de l'intérieur, prépare un projet de loi
tendant à obtenir des Chambres un crédit en
faveur des départements ravagés. Le gouver-
nement avait songé un moment à envoyer
deux ou trois de ses membres sur les lieux
des sinistres, mais il est probable qu'il ne
sera pas donné suite à cettte idée. Les derniè-
res nouvelles signalent, heureusement, une
amélioriation générale très sensible.
*
* *
La commission du budget, après avoir
adopté les conclusions du rapport de M. La-
guerre sur le budget du ministère de la jus-
tice, a entendu, hier, M. Granet, ministre des
postes et télégraphes, sur le projet de loi
portant approbation de la convention passée
le 30 juin dernier avec la Compagnie des
Messageries maritimes, pour l'exploitation
des services postaux de la Méditerranée, de
l'Indo-Chine, du Brésil et de la Plata, de
l'Australie, de la Nouvelle-Calédonie et de
la côte orientale d'Afrique.
< M. Granet s'est expliqué sur les questions
relatives aux Itinéraires et aux vitesses.
Les réseaux actuels seraient complètement
réorganisés ; on supprimerait la ligne de
Marseille à 'Constantinople; on remanierait
les lignes d'Egypte et de Syrie ; on établirait
une ligne directe entre Salonique et l'Egypte,
on prolongerait jusqu'à Yokohama la ligne
qui s'arrête actuellement à Shanghaï; notre
pavillon postal paraîtrait à Bombay; il y au-
rait seulement un service mensuel subven-
tionné et à grande vitesse sur la ligne du
Brésil et de la Plata ; enfin,notre colonie de la
Réunion et nos établissements des Comores
et de Madagascar seraient desservis désor-
mais deux fois par mois au lieu d'une. Quant
à la vitesse moyenne, elle serait fixée à
13 nœuds dans la Méditerranée, ainsi que sur
les lignes principales de l'Indo-Chine et de
l'Australie ; à 14 nœuds sur la ligne du Brésil
et de la Plata ; à 11 nœuds sur les autres li-
gnes.
Aux termes de la convention intervenue,
tout paquebot neuf qui sera affecté aux ser-
vices mentionnés dans le cahier des charges
devra être construit en France. La réorgani-
sation des itinéraires aurait pour effet de di-
minuer annuellement le parcours de 81,051
lieues marines, sur l'ensemble des services
concédés à la Compagnie des Messageries
maritimes.
L'application de la nouvelle convention
n'entraînerait pour le Trésor aucune augmen-
tation de dépense. Au contraire, le chiffre
total des subventions payées à la Compa-
gnie serait réduit de 15,764,111 francs à
13,763,498 francs, d'où résulterait une écono-
mie de 3,000,613 francs.
La convention recevrait son plein effet à
partir du 22 juillet 1888, date de l'échéance
des contrats actuels, et demeurerait en vi-
gueur jusqu'au 22 juillet 1903. — Le rema-
niement des réseaux pendant la période tran-
sitoire du 1er janvier 1887 au 22 juillet 1888
procurerait au budget de 1887 un allègement
de 2,028,738 francs. Après le départ du minis-
tre des postes et télégraphes, la commission
du budget a entendu trois délégués de la
Compagnie des Messageries maritimes sur
les diverses questibns techniques.
La commission s'est ensuite ajournée à
mardi.
LETTRES DE RUSSIE
(D'un correspondant spécial)
Saint-Pétersbourg, 25 octobre.
La bruyante campagne que mènent nos
journaux, poussant à l'occupation de la
Bulgarie, m'a donné l'idée d'aller inter-
viewer le baron ***, un des hauts fonc-
tionnaires du département des affaires
étrangères. Je me disais qu'un homme qui
est dans le secret des dieux ne pouvait
manquer, quelle que fût sa réserve, de
me fournir, sur la situation, quelque infor-
mation précieuse au moins par son exac-
titude.
M. le baron *** m'a fait l'honneur de me
recevoir ces jours-ci. Il m'a accueilli avec
la courtoisie et la bienveillance particu-
lières aux hommes d'Etat russes.
Je lui ai demandé la permission de l'in-
terroger sur les affaires de la Bulgarie.
— Je ne vous ferai pas l'historique de la
question, m'a dit le baron. Vous savez
quel a toujours été le programme de notre
politique : la libération de tous les peuples
de la péninsule des Balkans, sans excep-
tion, et des races slaves, en particulier.
Vous savez aussi jusqu'où nous a en-
traînés l'exécution de ce programme. Ce
que vous ignorez peut-être, c'est ce que
l'indépendance de la Bulgarie nous a
coûté : plus de 1,400,000,000 de roubles et
plus de 100,000 braves, morts à l'ennemi.
De ces pertes de soldats et d'argent, la
Russie n'est pas encore remise. Elle porte
encore, sous la forme de nouveaux impôts,
le poids accablant de ses désastreuses vic-
toires. Comment a-t-elle été payée de ses
sacrifices ? Par l'ingratitude. Les Bulgares
ne l'ont point écoutée, alors qu'elle ne
leur demandait que de suivre la voie, qui
leur était ouverte, de la civilisation et du
progrès. Aujourd'hui, ils se sont abandon-
nés aux mains des créatures du prince de
Battenberg, qui n'a pas perdu tout espoir
de recouvrer sa couronne; ils sont prêts à
se jeter entre les bras des Anglais, qui ne
travaillent qu'à renverser ce qui fut notre
ouvrage. Nous avons protesté, nous en
avons appelé à l'Europe, de la violation
des traités; mais l'Europe , se méprenant
sur nos intentions, a laissé les choses aller
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AVIS
Nous appelons l'attention de nos lec-
teurs sur notre tableau de la Bourse, qui
vient d'être entièrement modifié. Il est
maintenant plus complet que dans aucun
autre journal, il contient toutes les va-
leurs journellement cotées. Parmi les
innovations que nous y avons intro-
duites , nous signalerons, notamment,
l'indication des intérêts et dividendes
réservés ou garantis aux actions des
Compagnies de chemins de fer par les
dernières conventions. Nous avons éga-
lement spécifié les obligations qui jouis-
sent de garanties, et les remboursements
différents de cinq cents francs.
BULLETIN
La situation est de plus en plus trou-
blée en Bulgarie. Le gouvernement de la
régence est divisé en deux partis bien
tranchés : le parti intransigeant et le parti
russe. Les deux régents hostiles au tsar
se sont rendus à Tirnova avec les mem-
bres de la Chambre bulgare ; le troisième,
M. Karaveloff, est resté à Sofia, et un rap-
prochement s'est effectué entre ce dernier
et M. Zankoff, partisan dévoué de l'in-
fluence russe.
A Tirnova et à Sofia, on intrigue suivant
l'humeur des personnages qui exercent
une action dirigeante. A Tirnova, on ne
serait pas éloigné de faire un coup d'éclat
et de protester contre l'arrivée de navires
russes à Varna, par la réélection du prince
de Battenberg. Là aussi, on fait des vœux
secrets pour que la Russie prenne une ré-
solution violente, qui pourrait avoir pour
conséquence de précipiter les événements
et d'obliger les puissances intéressées,
l'Angleterre en particulier, à une inter-
vention directe. Ce que désirent le plus
vivement les ardents du parti gouverne-
mental, c'est un conflit sérieux, qui ne se-
rait pas sans profit pour les habiles.
A Sofia, le général Kaulbars réclame
avec insistance la mise en liberté des offi-
ciers bulgares compromis dans le complot
du 21 août. Il a adressé aux membres du
gouvernement à Tirnova plusieurs dépê-
ches successives : les unes pour réclamer
l'élargissement des officiers détenus, l'au-
tre pour demander lalevéedel'étatdesiège.
Aux dernières nouvelles, le général russe
a envoyé un ultimatum aux régents de Tir-
nova, d'accord, en cela, avec le régent de
Sofia. Dans cet ultimatum, il proteste
contre les agissements du gouvernement
bulgare à l'égard des sujets russes et
contre les manœuvres déloyales du parti
de l'opposition. Il assignait un délai de
trois jours au gouvernement pour lui
donner une réponse satisfaisante. Il me-
naçait de quitter Sofia avec le personnel
de l'agence, et de laisser au gouvernement
de la régence la responsabilité des événe-
ments qui seraient la conséquence de son
départ, si cette communication — la der-
nière — restait sans réponse. Il était diffi-
cile de se méprendre sur la portée de cet
avertissement.
Les régents de Tirnova l'ont compris, et
ils ont répondu par l'envoi d'une circu-
laire aux préfets, qui ont ordre de protéger
les sujets du tsar. Mais, en même temps
que ces instructions, conciliantes en ap-
parence, sont données aux agents du
gouvernement, on est étonné d'apprendre
que, par ordre des régents, l'enseignement
de la langue russe est prohibé dans les
écoles publiques, et que l'usage de la lan-
gue allemande est prescrit officiellement.
Si cette information, d'origine anglaise,
a quelque valeur, le gouvernement russe
ne tardera pas à riposter au coup droit
que lui porte le gouvernement bulgare.
A l'heure actuelle, il est difficile de sa-
voir de façon précise si la Russie est réso-
lue à envahir la Bulgarie. Elle ne le fera,
selon toute vraisemblance, qu'à la dernière
extrémité. A la tournure que prennent les
événements, il est à croire que les divi-
sions mêmes des trois régents amèneront
la chute du gouvernement, qui est absolu-
ment discrédité, à bout de ressources et
d'expédients, au total, impuissant à conju-
rer le péril qui le menace.
Ce qui est, en tous les cas, certain dès
à présent, c'est que les empires du centre
sont d'accord pour ne pas s'interposer en-
tre la Bulgarie et la Russie.
Les négociations pour le règlement de la
question d'Egypte se poursuivent mysté-
rieusement, et personne ne peut savoir
sur quelles bases elles sont engagées.
Les journaux anglais, qui ont reçu sans
doute un mot d'ordre, se sont radoucis.
Leur ton est devenu moins arrogant et ils
se bornent aujourd'hui à plaider les cir-
constances atténuantes pour expliquer le
maintien des troupes en Egypte. Au dire
du Daily lelegraph, c'est dans l'intérêt
de la France, pour améliorer la situation
des créanciers de l'Egypte, que l'Angle-
terre ne rappelle pas encore ses troupes ;
mais elle évacuera le pays « avec un soupir
de soulagement ». Personne ne croira à
tant de dévouement mêlé d'un désintéres-
sement si insolite.
La Correspondance de Vienne apprécie
autrement la question et la voit sous son
vrai jour en disant :
« L'Angleterre a formellement indiqué,
dans une convention dont M. Waddington
lui-même a été le négociateur, la date à
laquelle ses troupes évacueraient l'Egypte.
Le représentant de la France est donc
parfaitement en droit de lui demander,
avec toutes les formes courtoises dont
s'entoure le langage diplomatique, si elle a
toujours l'intention de tenir sa promesse.
» Que la question ne soit pas agréable
à l'Angleterre, c'est fort probable ; mais
sa solution est une des nécessités de la
situation. Quant à la faire sortir du do-
maine de la diplomatie, nous sommes bien
convaincus que personne n'y songe. Les
négociations seront d'ailleurs menées avec
une fermeté qui permet d'espérer le suc-
cès final. »
Cette opinion sera celle de tous les es-
prits prudents, qui ne se laissent tromper
ni par les démonstrations bruyantes des
impatients, ni par les cris de détresse des
apeurés.
LOUIS HENRIQUE.
INFORMATIONS PARTICULIÈRES
Conseil des ministres
Les ministres ont tenu conseil, hier matin, à
l'Elysée, sous la présidence de M. Jules Grévy.
M. Demôle, garde des sceaux, et M. Baïhaut,
ministre des travaux publics, n'assistaient
pas à la réunion.
Le ministre des finances a soumis à la si-
gnature du président de la République un
décret aux termes duquel M. Pradines, direc-
teur de la manufacture des tabacs du Gros-
Caillou, est nommé directeur général des
manufactures de l'Etat, en remplacement de
M. Regnault, décédé.
Le ministre des postes et télégraphes a été
autorisé à déposer sur le bureau de la Cham-
bre un projet de loi ayant pour objet d'aug-
menter les dimensions des boîtes renfermant
des valeurs déclarées. Actuellement, les boî-
tes de cette sorte doivent avoir, au maximum,
5 centimètres de hauteur, 8 de largeur et
10 de longueur. D'après le nouveau projet, les
boîtes pourraient avoir 10 centimètres dans
les trois dimensions.
M. Baïhaut
En faisant remarquer l'absence de M. Baï-
haut au conseil d'hier matin, plusieurs jour-
naux ont cru pouvoir affirmer que le ministre
des travaux publics avait renouvelé sa dé-
mission.
La vérité est que la situation de M. Baïhaut
est restée la même qu'il y a quelques jours ;
il n'a pas retiré la démission qu'il avait of-
ferte, il ne l'a pas renouvelée non plus.
Ajoutons que cette démission date des pre-
miers jours de septembre.
M. Cambon
M. Cambon, le nouvel ambassadeur de
France à Madrid, partira demain pour Tunis,
où il va prendre congé du bey.
L'Exposition de 1889
Le ministre de l'agriculture a reçu, hier, une
délégation de la Société nationale d'encoura-
gement à l'agriculture, qui lui a été présentée
par M. Foucher de Careil.
M. Foucher de Careil a exposé au ministre
les préoccupations du monde agricole au su-
jet de l'Exposition universelle de 1889, et la
nécessité de donner à la première de nos in-
dustries la part et le rôle qui lui reviennent.
Il a demandé que l'emplacement consacré
à l'agriculture comprenne non seulement les
quais situés entre le pont des Invalides et ce-
lui de l'Aima, mais encore l'esplanade des In-
valides, indispensable pour les divers con-
cours d'animaux.
Il a, en outre, sollicité du ministre la nomi-
nation d'une commission préparatoire, à l'ins-
tar de celle qui a été déjà nommée pour les
beaux-arts.
M. le ministre a remercié la délégation, en
l'assurant qu'il tiendrait le plus grand compte,
dans les résolutions définitives qu'il prendra
prochainement, de ces deux réclamations.
Une réforme utile
On se plaint fréquemment de ce que les
administrations de l'Etat n'affranchissent pas
les lettres qu'elles adressent au public, et im-
posent ainsi, aux destinataires, le paiement de
taxes doubles.
Nous apprenons avec plaisir que cette ques-
tion a attiré l'attention de M. Granet, qui étu-
die en ce moment un projet d'abaissement à
15 centimes de la taxe des lettres non affran-
chies émanées des grandes administrations
publiques.
———————— ——- -——————————.
QUESTIONS DU JOUR
Derniers échos du congrès de Lyon
Le télégraphe nous annonçait, hier, la
protestation de l'Union des chambres
ouvrières de Bordeaux contre le congrès
de Lyon. Nous en avons, aujourd'hui, le
texte, qui mérite assurément d'être pu-
blié. Le voici donc :
L'Union des chambres syndicales ouvrières
de Bordeaux, dans sa réunion du 27 octobre
courant, après avoir entendu les explications
fournies par les délégués des chambres syn-
dicales adhérentes à l'Union au congrès de
Lyon;
Considérant que certains personnages soi-
disant ouvriers, notoirement connus parleurs
doctrines révolutionnaires, étaient en majo-
rité au congrès de Lyon ;
Considérant que, pour la plupart, Ils n'é-
taient pas syndiqués et ne devaient leur man-
dat qu'à la complaisance de quelques syndi-
cats peu scrupuleux ;
Considérant que, par leur odieuse manœu-
vre, ces révolutionnaires ont empêché les tra-
vailleurs pratiques d'émettre leurs Idées et de
collaborer à la préparation des réformes ins-
crites dans le programme du congrès ;
Considérant qu'à la dernière séance du con-
grès, les révolutionnaires, malgré les protes-
tations indignées de la salla entière, ont la-
céré et foulé aux pieds le drapeau tricolore,
et arboré ensuite à la tribune deux étendards
rouges, provenant d'une partie du drapeau
national ainsi lacéré ;
Attendu que les faits dont il s'agit ont em-
pêché le congrès d'aboutir ;
Attendu qu'une telle conduite doit être non
seulement relevée, mais encore fortement
flétrie :
Protéste avec la plus grande énergie contre
la conduite inqualifiable et les agissements
scandaleux de ces révolutionnaires au con-
grès de Lyon.
Voilà une déclaration qui atténuera
singulièrement l'impression fâcheuse
que les comptes rendus au congrès de
Lyon avaient répandue. On y apprend la
vérité, de même que l'on s'y instruit des
sentiments réels des travailleurs, des
« travailleurs pratiques ». Ce qui résulte
de cet authentique témoignage, c'est
que le parti révolutionnaire socialiste a
su manœuvrer avec assez d'adresse
pour s'emparer de la majorité dans le
congrès.
Ce n'est pas d'aujourd'hui, que nous
connaissons l'activité et le peu de scru-
pule du parti révolutionnaire socialiste.
S'il n'est fort ni par l'influence ni par le
nombre, il travaille à le paraître, et il
s'y emploie très habilement. Il court les
congrès et les grèves, il se faufile aux pre-
miers rangs, il parle et sait empêcher
de parler ceux qui seraient capables de
répondre ; enfin, l'audace aidant, et la
violence au besoin, il s'installe en
maître.
Que deviennent, pendant ce temps-là,
les vrais ouvriers, les «travailleurs pra-
tiques », comme les caractérise d'un
mot heureux la protestation des cham-
bres ouvrières de Bordeaux? Ils sont
obligés de renoncer à toute action comme
à tout débat ; on les a, en quelque sorte,
délogés du congrès, où ce seraient eux
qui devraient avoir le franc-parler et
l'influence; et pour que ce fâcheux ré-
sultat soit atteint, il n'est même pas
nécessaire que le parti socialiste révo-
lutionnaire se trouve en majorité :
pourvu qu'il dispose de bons poings et
de bons poumons, il ne dépend que
de lui d'entraver toute délibération sé-
rieuse et d'étouffer sous les clameurs
les opinions opposées aux siennes.
La protestation des syndicats borde-
lais nous révèle, d'ailleurs, un trait
d'insouciance de plusieurs syndicats qui
a dû singulièrement contribuer à ren-
forcer le groupe des délégués socia-
listes. On a vu, dans le document re-
produit plus haut, que la plupart de
ceux-ci ne possédaient pas de délégation
régulière : « Ils n'étaient pas syndiqués
et ils ne devaient leur mandat qu'à la
complaisance de quelques syndicats peu
scrupuleux. » Ce trait marque, en vé-
rité, de la part des syndicats, beaucoup
de légèreté et bien peu de scrupule.
Comment! voilà des syndicats qui ont
l'imprudence, pour ne pas dire pis, de
confier leur délégation à des inconnus !
Et ceux-ci, ces faux mandataires d'inté-
rêts qu'ils ne connaissent même point,
ont été accueillis dans le congrès, y ont
pris d'autorité la tribune, et ont em-
pêché les mandataires véritablement
chargés par leurs syndicats, « d'émettre
leurs idées et de collaborer à la prépa-
ration des réformes inscrites dans le
programme»! N'est-ce pas à découra-
ger les ouvriers de ces grands congrès ?
Avec quelques hommes d'une initia-
tive énergique, il ne serait pas impos-
sible, pourtant, d'organiser un vrai con-
grès ouvrier, où ne seraient admis que
des représentants réels des syndicats,
et non pas des représentants fictifs, ve-
nus avec des mandats de complaisance.
Il faudrait établir, alors, une sorte de vé-
rification de pouvoirs et ne prononcer
l'admission que pour les délégués fai-
sant réellement partie des syndicats au
nom desquels ils se présentent. Les
difficultés ne seraient pas si grandes
que peut-être on l'imagine. Mais si, par
malheur, ils n'arrivaient pas à être maî-
tres dans leurs congrès, les « ouvriers
pratiques » y resteraient encore à la
merci des révolutionnaires socialistes,
et ce serait vraiment pour eux un jeu
de dupes, que de recommencer périodi-
quement le congrès de Lyon.
EUG. LIÉBERT.
+
L'ÉLECTION DE L'AISNE
La lutte est vive, en ce moment, dans le
département de l'Aisne, où le second tour
de scrutin aura lieu dimanche prochain
pour l'élection d'un député. Au premier
tour, dimanche dernier, le candidat répu-
blicain, M. Rigaut, est arrivé en tête de la
liste ; mais l'écart entre lui et le candidat
réactionnaire était assez faible. Quelques
abstentions, d'une part; quelques suffrages
nouveaux, d'autre part, en pouvaient chan-
ger le sens au second tour. Avec un esprit
de discipline qui n'est pas dans les habi-
tudes du parti socialiste, le candidat de
cette nuance, M. Langrand, qui avait ob-
tenu environ 6,000 voix au premier scru-
tin, s'est désisté en faveur de M. Rigaut,
dont l'élection semble désormais assurée.
Cependant, la candidature de M. Rigaut
est combattue non seulement par les mo-
narchistes, mais aussi par certains répu-
blicains, qui ont conclu un pacte d'alliance
avec la Droite lors de la dernière élection
sénatoriale. Ces républicains ont contracté,
alors, une dette envers les monarchistes,
dont les voix se sont portées trois fois de
suite sur M. Sébline, et qui ont largement
contribué à son succès. Aujourd'hui, c'est
au tour de ces républicains à rendre le
service dont ils ont profité, et ils s'em-
ploient avec ardeur au succès de M. Des-
jardins.
- Celui-ci a eu, il est vrai, la prudence de
ne pas se poser en adversaire de la Répu-
blique. Il se déclare « soumis aux lois
constitutionnelles » et se dit animé du
désir de « travailler au relèvement du
pays, sans secousses et sans révolution ».
Il pourrait donc, à la rigueur, être consi-
déré comme un adhérent futur du groupe
problématique de MM. Raoul Duval et Le-
poutre; mais cette adhésion à la Républi-
que est bien vague et ne rappelle que trop
la conduite tenue par tous les réactionnai-
res au moment des élections générales
du 4 octobre, sur le programme desquels
le programme de M. Desjardins est fort
exactement calqué.
Entre ce programme incolore et le pro-
gramme nettement républicain de M. Ri-
gaut, les électeurs de l'Aisne n'éprouve-
ront certainement aucune hésitation, et
c'est au candidat républicain qu'ils donne-
ront leurs suffrages. Les monarchistes ne
se feraient pas faute de considérer, diman-
che prochain, comme un recul de la Ré-
publique, l'élection de M. Desjardins. Le
candidat constitutionnel d'aujourd'hui de-
viendrait, aux yeux de tous les réaction-
naires, le porte-drapeau de la monarchie,
et ils donneraient cette signification à son
élection avec un empressement d'autant
plus grand, que le département de l'Aisne
est, dès longtemps, connu pour la fermeté
de ses opinions républicaines.
CHRONIQUE
Les récidivistes à l'île des Pins
Alea jacta est!
C'est vendredi prochain, 5 novembre,
qu'un premier convoi de 300 récidivis-
tes partira du dépôt de Saint-Martin-de-
Ré, par le transport la Ville-de-Saint-
Nazaire, à destination de l'île des Pins.
Cette solution n'est pas du goût de
tout le monde. En tout cas, elle n'est
pas du mien ; je l'ai déjà dit nettement,
ici même, à l'avance.
Non pas, entendez-moi bien, que je
pousse le sentimentalisme jusqu'à m'a-
pitoyer outre mesure sur le sort des
pauvres scélérats violemment arrachés
au sol qui les a vus naître et grandir,
comme une ivraie malfaisante. Défec-
tueuse dans sa forme, et d'exécution dé-
licate et périlleuse, la loi d'ostracisme
qu'on inaugure me paraît, en revanche,
inattaquable dans son principe. Ce que
je critique, ce n'est pas la déportation
des trois cents « chevaux de retour »
expédiés vers d'autres cieux : c'est l'em-
ploi auquel on les destine. Débarrasser
les honnêtes gens d'un voisinage en-
combrant et dangereux, c'est bien. Uti-
liser ces détritus sociaux au mieux des
intérêts de la fortune publique et de la
colonisation, ce serait mieux encore.
Ces deux desiderata sont inséparables.
Or, si la première partie du programme
est effectivement remplie, je doute qu'on
ait pris le meilleur moyen de réaliser la
seconde.
m
* *
C'est sur l'île des Pins qu'on dirige le
premier convoi des récidivistes.
Que va-t-on en faire, à l'île des Pins?
Quel profit va-t-on en tirer ?
— « Ils seront employés, répond-on,
dans les ateliers, à divers travaux ma-
nuels, suivant leurs aptitudes. »
Comme s'il n'y avait pas déjà, là-bas,
surabondance de main d'œuvre pénale !
Comme si tous les travaux de maçonne-
rie, de cordonnerie, de menuiserie, etc.,
que l'administration y fait exécuter par
les transportés, soit pour elle-même,
soit pour les particuliers, ne lui coû-
taient pas beaucoup plus cher que s'ils
étaient exécutés par des ouvriers li-
bres !
Sans. doute, à la Nouvelle-Calédonie,
où, sur une surface égale à trois ou
quatre départements français, le nom-
bre des colons ne dépasse guère 2,500,
les ouvriers libres font défaut. Mais
n'est-ce pas précisément l'impossibilité
de soutenir la concurrence péniten-
tiaire, jointe à la répugnance légitime
inspirée par l'obligation d'un contact
journalier avec la pire des lies humai-
nes, qui écarte les émigrants honnêtes
de l'une de nos plus belles colonies et
d'un climat dont les Niçois eux-mêmes
ne connaissent pas la douceur?
En vérité, je vous le dis, dans ces ate-
liers, déjà encombrés, les 300 récidi-
vistes de la Ville-de-Saint-Nazaire —
l'avant-grarde d'une armée ! — ne servi-
ront absolument à rien. si ce n'est à
écorner le budget davantage. Cela fera
300 bouches inutiles de plus à nourrir.
Je suppose bien qu'on ne recommen-
cera pas avec eux les essais de colo-
nisation agricole qui ont, avec les for-
çats et les libérés, trop piteusement
échoué sur la Grande-Terre, aux fer-
mes de Bourraï et de Koé, notamment,
pour ne pas avoir découragé les plus
optimistes. Les 1,200 hectares de réser-
ves pénitentiaires de l'île des Pins
peuvent et doivent assurément recevoir
un emploi plus avantageux.
Mais, tout d'abord, il faudra que la
colonisation pénale y cède la place à la
colonisation libre, et que, au lieu d'y
expédier les récidivistes, on en retire
les forçats !
Nous sommes, comme on le voit,
loin de compte.
*
* *
Ce qu'il y a de particulièrement grave
dans la détermination que vient de
prendre et de mettre à exécution le
gouvernement, c'est qu'on y peut re-
connaitre l'indice formel de son obsti-
nation à vouloir, quand même, continuer
de faire de nos établissements de l'O-
céanie occidentale le dépôt général de
la transportation.
Or, ce sont là précisément les seules
colonies où les Européens peuvent tra-
vailler la terre sans noviciat préalable
et sans plus d'inconvénients que dans
leur pays natal !
Cela privera les émigrants honnêtes
du refuge sur lequel ils avaient bien un
peu le droit de compter ; cela nous vau-
dra probablement, par-dessus le mar-
ché, des « histoires » avec nos voisins
d'Australie, qui n'avaient plus que cet
argument à opposer à la prise de pos-
session des Nouvelles-Hébrides.
Si encore l'œuvre supérieure de la
colonisation devait en bénéficier! Mais
il s'en faut qu'on puisse raisonnable-
ment concevoir cette mirifique espé-
rance. Jamais le travail pénal ne vaudra,
pour la colonisation, le travail libre ; ja-
mais on ne fondera, avec la seule main
d'œuvre pénitentiaire, une colonie pros-
père et vivace. Contrairement, en effet,
à une légende trop répandue, ce n'est
pas aux convicts que l'Australie doit
son succès et sa richesse. Sans l'élé-
ment libre, les convicts auraient été in-
capables de lui imprimer son essor inouï,
qui ne date que du jour où les officiers
anglais et les colons libres sont inter-
venus dans l'entreprise, surpassant bien-
tôt par leur zèle, leur activité, leur in-
telligence, tout ce que le gouvernement
n'avait obtenu jusque-là que pénible-
ment et à grands frais.
Les convicts ont cependant rendu un
incomparable service à l'Australie en
préparant la colonisation. C'est le même
service que nous avons à demander,
non seulement aux récidivistes, mais
aux forçats, à tous les condamnés à la
transportation.
*
* *
A eux de faire les grands travaux
publics, routes, ports, canaux, fortifica-
tions, etc., dont l'ensemble, en assurant
la sécurité du pays, la facilité des com-
munications, les débouchés commer-
ciaux, constitue l'outillage économique
de la colonisation qui débute. A eux de
défricher les terres propres à la culture,
de construire des habitations et des fer-
mes, de procéder à toutes les opéra-
tions préliminaires de la mise en valeur
des terres destinées ensuite à être of-
fertes, déjà prêtes, ensemencées, pro-
ductives, aux émigrants libres, qui, dès
lors, garantis contre les risques du len-
demain, afflueront en foule. A eux,
même, au moins aux plus jeunes et aux
plus robustes, enrégimentés en une
nouvelle sorte de bataillons disciplinai-
res, d'occuper les postes militaires ex-
trêmes des « marches » coloniales !
Mais il faudra commencer par rompre
avec la tradition néfaste qui consiste à
sursaturer d'éléments pénitentiaires
telle ou telle de nos colonies, sacrifiée
à l'avance, transformée en cloaque, en
« collection purulente », avec cette ag-
gravation, surtout, que ce sont d'ordi-
naire les plus saines, comme la Nou-
velle-Calédonie, ou les plus riches,
comme la Guyane — que Chessé, l'ex-
gouverneur de Cayenne, appelle « le
Java français» — qu'on réserve pour cet
usage ingrat et stérile.
Plus de vastes établissements coû-
teux ! Rien que des dépôts provisoires,
des camps mobiles, répartis entre
toutes nos possessions d'outre-mer, au
hasard variable des besoins de chaume!
Sans doute, toutes nos colonies, —
sauf Mayotte, — ont protesté, avec un
ensemble touchant, quand on leur a de-
mandé s'il leur plairait de recevoir et
d'héberger le trop-plein des « immondi-
ces » de la mère-patrie. Parbleu! Le
décret du 26 novembre 1885, qui orga-
nise ces « escouades volantes », et dont
l'honorable M. Dislère, conseiller d'Etat
et président de la commission de clas-
sement des récidivistes, réclame avec
tant d'insistance la mise immédiate en
vigueur, le décret du 26 novembre
1885 n'ayant jamais été appliqué, les co-
lonies ont eru qu'il s'agissait de les
transformer en « dépotoirs ». Le mot
a été écrit!. Elles ont cru que la Nou-
velle-Calédonie et la Guyanne allaient
leur passer la main. Et, ma foi! elles
ont poussé des cris d'horreur et d'épou-
vante. Il y avait bien de quoi !
Croyez-vous que s'il avait été ques-
tion de leur envoyer des compagnies
disciplinaires, — cent hommes ici, cin-
quante hommes la, cinq cents plus
loin, — juste le nombre, — et le temps!
— nécessaire pour procéder aux tra-
vaux publics les plus urgents, ne croyez-
vous pas qu'elles eussent témoigné, au
lieu de la répugnance que vous savez et
qu'on exploite, de l'empressement et de
la gratitude?
En ce qui me concerne, je ne garde
plus le moindre doute, ayant souventes
fois discuté l'hypothèse, avec des per-
sonnages notables de l'Indo-Chine, de
Madagascar, du Sénégal, de la Guyane
et des archipels d'Océanie.
*
4r *
Qu'on se le dise ! La solution est là.
Il ne doit rester à la Nouvelle-Calédo-
nie que le nombre strict de condamnés
indispensable au parachèvement de
l'œuvre si bien inaugurée autrefois par
le commandant Pallu de la Barrière,
mais malencontreusement abandonnée
depuis son départ : à la création de rou-
tes, à la réfection du port de Nouméa,
à l'édification de forts de défense, au dé-
frichement des futures concessions, etc.
On a déjà décidé que les condamnés
arabes seraient expédiés à Obock; il est
également question de faire faire par
les récidivistes — par le génie péniten-
tiaire — les travaux d'aménagement du
port et de l'établissement de Diego-
Suarez. C'est un premier pas fait dans
la bonne voie. La mise à part, sur le
premier convoi, d'une « escouade vo-
lante » de treize hommes triés parmi
les anciens soldats en est un second.
Tant il est vrai que la logique des cho-
ses s'impose aux plus routiniers et aux
plus réfractaires !
Qu'on ne nous dise pas que « la main-
d'œuvre indigène coûtera toujours moins
cher que la main-d'œuvre pénale » ! Cela
peut être vrai souvent ; mais il n'en est
pas moins urgent d'employer la main-
d'œuvre pénale à des opérations moins
dispendieuses que la fabrication de sou-
liers - ou - de sucre, à la Nouvelle-Calé-
donie, aux exorbitantes conditions enre-
gistrées par les statistiques officielles.
Mieux vaut entretenir des récidivistes
ou des forçats à empierrer les routes
du Tonkin ou à fortifier Rapa, que de
les entretenir, à l'île des Pins, comme
« rationnaires » improductifs. D'autant
mieux que les routes du Tonkin et les
fortifications de Rapa devraient se faire
quand même, et qu'il faudrait toujours
payer, par-dessus le marché, de ce chef,
des « corvéables », Annamites ou Poly-
nésiens.
La meilleure preuve, d'ailleurs, que
la main-d'œuvre indigène ne suffit pas
toute seule, c'est qu'il a fallu, au Tonkin,
pour les grands travaux publics, y ad-
joindre la main-d'œuvre militaire.
Demandez plutôt à M. Paul Bert !
Il ne faudrait pourtant pas qu'on
pût dire que les récidivistes ont été
envoyés à l'île des Pins dans le but
unique de fournir aux éleveurs et aux
fabricants de conserves de la Nouvelle-
Calédonie un débouché sûr et un moyen
infaillible de réparer lucrativement leur
imprévoyance et leur fautes.
RAOUL LUCET.
COULISSES PARlJlENTADmS
Les inondations. — Demande de crédit. — A la
commission du budget. — Le rapport de M.
Laguerre. — Les services postaux. — Les mes-
sageries maritimes.
En présence des désastres causés dans le
sud-est et le midi de la France par les inon-
dations de cette semaine, M. Sarrien, minis-
tre de l'intérieur, prépare un projet de loi
tendant à obtenir des Chambres un crédit en
faveur des départements ravagés. Le gouver-
nement avait songé un moment à envoyer
deux ou trois de ses membres sur les lieux
des sinistres, mais il est probable qu'il ne
sera pas donné suite à cettte idée. Les derniè-
res nouvelles signalent, heureusement, une
amélioriation générale très sensible.
*
* *
La commission du budget, après avoir
adopté les conclusions du rapport de M. La-
guerre sur le budget du ministère de la jus-
tice, a entendu, hier, M. Granet, ministre des
postes et télégraphes, sur le projet de loi
portant approbation de la convention passée
le 30 juin dernier avec la Compagnie des
Messageries maritimes, pour l'exploitation
des services postaux de la Méditerranée, de
l'Indo-Chine, du Brésil et de la Plata, de
l'Australie, de la Nouvelle-Calédonie et de
la côte orientale d'Afrique.
< M. Granet s'est expliqué sur les questions
relatives aux Itinéraires et aux vitesses.
Les réseaux actuels seraient complètement
réorganisés ; on supprimerait la ligne de
Marseille à 'Constantinople; on remanierait
les lignes d'Egypte et de Syrie ; on établirait
une ligne directe entre Salonique et l'Egypte,
on prolongerait jusqu'à Yokohama la ligne
qui s'arrête actuellement à Shanghaï; notre
pavillon postal paraîtrait à Bombay; il y au-
rait seulement un service mensuel subven-
tionné et à grande vitesse sur la ligne du
Brésil et de la Plata ; enfin,notre colonie de la
Réunion et nos établissements des Comores
et de Madagascar seraient desservis désor-
mais deux fois par mois au lieu d'une. Quant
à la vitesse moyenne, elle serait fixée à
13 nœuds dans la Méditerranée, ainsi que sur
les lignes principales de l'Indo-Chine et de
l'Australie ; à 14 nœuds sur la ligne du Brésil
et de la Plata ; à 11 nœuds sur les autres li-
gnes.
Aux termes de la convention intervenue,
tout paquebot neuf qui sera affecté aux ser-
vices mentionnés dans le cahier des charges
devra être construit en France. La réorgani-
sation des itinéraires aurait pour effet de di-
minuer annuellement le parcours de 81,051
lieues marines, sur l'ensemble des services
concédés à la Compagnie des Messageries
maritimes.
L'application de la nouvelle convention
n'entraînerait pour le Trésor aucune augmen-
tation de dépense. Au contraire, le chiffre
total des subventions payées à la Compa-
gnie serait réduit de 15,764,111 francs à
13,763,498 francs, d'où résulterait une écono-
mie de 3,000,613 francs.
La convention recevrait son plein effet à
partir du 22 juillet 1888, date de l'échéance
des contrats actuels, et demeurerait en vi-
gueur jusqu'au 22 juillet 1903. — Le rema-
niement des réseaux pendant la période tran-
sitoire du 1er janvier 1887 au 22 juillet 1888
procurerait au budget de 1887 un allègement
de 2,028,738 francs. Après le départ du minis-
tre des postes et télégraphes, la commission
du budget a entendu trois délégués de la
Compagnie des Messageries maritimes sur
les diverses questibns techniques.
La commission s'est ensuite ajournée à
mardi.
LETTRES DE RUSSIE
(D'un correspondant spécial)
Saint-Pétersbourg, 25 octobre.
La bruyante campagne que mènent nos
journaux, poussant à l'occupation de la
Bulgarie, m'a donné l'idée d'aller inter-
viewer le baron ***, un des hauts fonc-
tionnaires du département des affaires
étrangères. Je me disais qu'un homme qui
est dans le secret des dieux ne pouvait
manquer, quelle que fût sa réserve, de
me fournir, sur la situation, quelque infor-
mation précieuse au moins par son exac-
titude.
M. le baron *** m'a fait l'honneur de me
recevoir ces jours-ci. Il m'a accueilli avec
la courtoisie et la bienveillance particu-
lières aux hommes d'Etat russes.
Je lui ai demandé la permission de l'in-
terroger sur les affaires de la Bulgarie.
— Je ne vous ferai pas l'historique de la
question, m'a dit le baron. Vous savez
quel a toujours été le programme de notre
politique : la libération de tous les peuples
de la péninsule des Balkans, sans excep-
tion, et des races slaves, en particulier.
Vous savez aussi jusqu'où nous a en-
traînés l'exécution de ce programme. Ce
que vous ignorez peut-être, c'est ce que
l'indépendance de la Bulgarie nous a
coûté : plus de 1,400,000,000 de roubles et
plus de 100,000 braves, morts à l'ennemi.
De ces pertes de soldats et d'argent, la
Russie n'est pas encore remise. Elle porte
encore, sous la forme de nouveaux impôts,
le poids accablant de ses désastreuses vic-
toires. Comment a-t-elle été payée de ses
sacrifices ? Par l'ingratitude. Les Bulgares
ne l'ont point écoutée, alors qu'elle ne
leur demandait que de suivre la voie, qui
leur était ouverte, de la civilisation et du
progrès. Aujourd'hui, ils se sont abandon-
nés aux mains des créatures du prince de
Battenberg, qui n'a pas perdu tout espoir
de recouvrer sa couronne; ils sont prêts à
se jeter entre les bras des Anglais, qui ne
travaillent qu'à renverser ce qui fut notre
ouvrage. Nous avons protesté, nous en
avons appelé à l'Europe, de la violation
des traités; mais l'Europe , se méprenant
sur nos intentions, a laissé les choses aller
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