Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-10-25
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 25 octobre 1886 25 octobre 1886
Description : 1886/10/25 (A17,N5402). 1886/10/25 (A17,N5402).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
Dix-septième année. — NI 5402
Prix du numéro : Paris et Départements : 15 centimes
Lundi 25 octobre i886
LE iniT SIÈCLE
JOURNAL 1 RÉPUBLICAIN
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
16, rixe Cadet, 16
Directeur politique :
A.-EDOUARD PORTALIS
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EN VENTE A LONDRES
Et Abonnements pour l'Angleterre
Au bureau dLu XIX. Siècle
76, Finsbury Pavement, E. C.
lt-ÉGISSEURS D'ANA'ÔiT»^. -
MM. LAGRANGE, CERF ET cn:
6, place de la Bourse, 6
BULLETIN
M. le comte de Beust est mort hier, à
Vienne, à l'âge de soixante-dix-sept ans.
Originaire du Brandebourg, M. de Beust
avait débuté dans la diplomatie au minis-
tère des affaires étrangères du royaume
de Saxe. Jusqu'en 1849, il joua un rôle as-
sez effacé; ce n'est qu'à partir de la révo-
lution saxonne, que commença sa vérita-
ble carrière politique.
Nommé ministre des affaires étrangères
pendant cette période critique, il donna
au roi Frédéric-Auguste II le conseil fu-
neste de faire appel à l'intervention armée
de la Prusse pour réprimer le mouvement
révolutionnaire en Saxe. Il devait regretter
plus tard cette ingérence de la monarchie
prussienne qui, dès cette époque, cares-
sait le rêve de l'hégémonie allemande et
ne tarda pas à laisser percer ses secrets
desseins par des prétentions chaque jour
croissantes. Pour se soustraire à ces exi-
gences, M. de Beust orienta la politique
saxonne vers l'Autriche. Mais déjà nais-
sait l'antagonisme entre l'Autriche et la
Prusse, qui, toutes deux, aspiraient à ré-
genter la Confédération des Etats alle-
mands pour l'absorber à leur profit. M. de
Beust essaya de louvoyer entre ces deux
puissants voisins ; quand éclata le conflit
du duché du Sleswig-Holstein, qui mit aux
prises l'Autriche et la Prusse, il tenta
vainement de sauver l'indépendance de la
Confédération et de faire une politique
d'équilibre neutralisant l'un par l'autre les
deux compétiteurs. C'est lui qui inventa la
fameuse théorie des trois «tronçons », que
M. Rouher s'appropria, et qui devint, dès
lors, la formule de la politique impériale.
Cette théorie était — les événements l'ont
prouvé — une pure chimère.
La confédération fut impuissante à dé-
fendre l'indépendance des duchés danois.
L'Autriche et la Prusse s'unirent pour s'ap-
proprier ces provinces , sans se soucier
des protestations énergiques de la Con-
fédération de Francfort. Deux ans plus
tard, la guerre éclatait entre les deux puis-
sances co-partageantes, et la Saxe, en-
traînée dans l'orbite de l'Autriche par
la politique de M. de Beust, subissait la
mauvaise fortune de son alliée à Sadowa.
De ce jour date la déchéance de la Saxe,
qui devint, ipso facto, un Etat vassal
de la Prusse sous la main puissante de M.
de Bismarck..
M. de Beust vit, au contraire, sa fortune
grandir, en même temps que diminuait
d'importance le royaume de Saxe. L em-
pereur d'Autriche l'appela à la cour de
Vienne et lui confia la tâche difficile de re-
constituer la monarchie autrichienne. M.
de Beust s'en acquitta avec une grande ha-
bileté et ne tarda pas à être élevé au rang
de chancelier de l'empire. Grâce à une po-
litique prudente et libérale, il réussit à ré-
concilier l'Autriche et la Hongrie et à faire
sacrer roi de Hongrie l'empereur Fran-
çois-Joseph. En moins de trois ans, M. de
Beust eut la gloire de restaurer complète-
ment l'empire austro-hongrois, de créer
une armée nouvelle, de rétablir l'ordre
dans les finances, en un mot de rendre
à l'Autriche son rang de grande puis-
sance.
M. de Beust qui, au début de sa carrière,
avait pratiqué une politique résolument
réactionnaire, s'était rallié, à partir de 1866,
à la doctrine libérale et avait été l'instiga-
teur d'une série de réformes inspirées par
l'esprit le plus large, telles que l'admis-
sion des juifs aux droits civils et politi-
ques, l'égalité des confessions religieuses
devant la loi, l'adoption du mariage civil.
Il eut à supporter une lutte acharnée
contre la cour de Rome et contre les évê-
ques autrichiens,qui inondèrent l'Autriche
de mandements séditieux. Le chancelier
de l'empire fit tête à l'orage sans faiblesse,
mais sans violence. Il déféra les rebelles
aux tribunaux et imposa silence aux me-
naces du clergé en revisant le Concordat.
Dans cette lutte de trois années contre
la papauté, M. de Beust gagna une popu-
larité de bon aloi, que le temps n'a pas
altérée.
En 1871, M. de Beust quitta volontaire-
ment le pouvoir ; du moins il a eu jusqu'à
sa mort la satisfaction légitime de voir sa
politique prévaloir dans les conseils de
l'empire austro-hongrois. Il remplaça le
prince de Metternich à l'ambassade de
Paris et laissa, en France, les souvenirs
les plus sympathiques.
Louis HENRIQUE.
INPORMATIONS PARTICULIÈRES
Déplacements ministériels
M. Granet, accompagné de son pous-chef
de cabinet, M. Léglise, est arrivé hier à
Bruxelles et a été présenté par M. Bourée à
MM. Van den Peereboom, ministre des postes
et télégraphes, et Bsernaert, ministre des
finances.
M. Granet a eu une assez longue conférence
avec M. Van den Peereboorn, au sujet de
l'établissement du téléphone entre Paris et
Bruxelles, qui paraît avoir été décidé dans
cette entrevue.
» Election sénatoriale de Meurthe-
et-Moselle
Inscrits : 955 — Votants : 945
MM. Volland, républicain. 704 voix Elu
de Ludre, réactionnaire. 241 —
M. Berlet, sénateur républicain, décédé, qu'il
s'agissait de remplacer au Sénat, avait été élu
à l'élection partielle du 10 juin 1883, par 399
voix, contre 241 données à M. Welche, candi-
dat monarchiste.
Bien que le nombre des électeurs sénato-
riaux soit notablement augmenté depuis la
loi du 9 décembre 1884, on remarquera que
la réaction n'a pas gagné une seule voix
dans le scrutin du 24 octobre.
L'élection du dixième arrondissement
Le comité républicain radical démocratique
du dixième arrondissement (quartier de l'Hô-
pital-Saint-Louis) nous informe qu'il soutien-
dra la candidature de M. Emile Dupont, pour
l'élection municipale du 31 octobre.
M. Dupont, connu dans le dixième arrondis-
sement, fait partie depuis fort longtemps de
la Caisse des écoles, du bureau de bienfai-
sance, de la commission d'hygiène, de la
Caisse populaire, etc.
L'élection de l'Aisne
Au moment où nous mettons sous presse,
le résultat définitif de l'élection de l'Aisne
n'est pas encore connu..
Les résultats connus à dix heures du soir
sont les suivants :
MM. Rigaut, républicain. 9,611 voix
Desjardins, conservateur 8,911 —
(Ballottage probable)
Les agriculteurs du Pas-de-Calais
A la suite d'une réunion tenue à Arras, et à
laquelle assistaient des sénateurs, des dépu-
tés et des conseillers généraux, les agricul-
teurs du Pas-de-Calais ont voté des résolu-
tions identiques à celles des agriculteurs du
Nord, et décidé d'envoyer une délégation au-
près du président de la République, de MM.
de Freycinet et Develle.
On se rappelle que les agriculteurs du Nord
avaient insisté près du gouvernement pour
que la question des céréales fût mise, dans le
plus bref délai possible, à l'ordre du jour de
la Chambre des députés.
CORPORATIONS k SYNDICATS
Un congrès régional des cercles ca-
tholiques d'ouvriers se tient en ce mo-
ment à Angers. De ce congrès même, il
n'y a que peu de chose à dire, car les
analyses des séances que publient les
journaux religieux sont moins consa-
crées au résumé des communications
qu'à l'éloge des orateurs. Tout est admi-
rable, merveilleux, magnifique; mais
on néglige un peu trop de nous mettre
en mesure d'apprécier si ces éloges sont
mérités. Il semble cependant, autant
qu'on en peut juger, que le présent con-
grès ressemble fort à ses devanciers et
qu'il n'y a pas de faits bien particuliers
à relever.
Ce qui a donné quelque relief à
cette réunion, c'est le discours d'ouver-
1
ture de M. Freppel. Il est vrai que ce
discours tranche un peu avec l'allure
ordinaire de la parole du fougueux pré-
lat. Il y fait de la socéité moderne un
éloge que l'on n'est pas habitué à trou-
ver sur ses lèvres. Il est vrai que c'est
sur un point particulier, et que s'il est
d'accord avec nous sur certains faits, il
tire de ces faits des conséquences et
des prévisions au sujet desquelles le
dissentiment se produit de nouveau.
Néanmoins, c'est déjà beaucoup, on en
conviendra, que de recueillir de la bou-
che de M. Freppel une adhésion, même
entourée de réserves et de restrictions,
à un seul des actes du parti républi-
cain.
M. Freppel, qui se pique d'impartia-
lité, déclare que « l'on manquerait de
justice envers la deuxième moitié du
dix-neuvième siècle, si l'on disait que les
idées saines, en matière économique,
n'y ont pas fait de progrès M. Les hom-
mes de la Révolution avaient poussé à
l'excès les idées du Contrat social, en ne
concevant que deux facteurs dans l'or-
dre économique comme dans tout le
reste, l'individu et l'Etat, et en mécon-
naissant les avantages de l'association.
L'erreur a été reconnue et l'on s'est ef-
forcé d'y remédier : « Le principe d'as-
sociation en matière économique a
triomphé ; il a trouvé sa formule prati-
que dans le syndicat professionnel, lé-
galement et librement constitué. » Voilà
une adhésion en bonne forme et d'au-
tant plus intéressante à enregistrer, que,
si la loi sur les syndicats professionnels
a été adoptée, ce n'a pas été avec le
concours de la Droite.
Mais les réserves suivent de près. Si
M. Freppel accepte les syndicats pro-
fessionnels, c'est parce qu'il y voit l'es-
pérance d'un retour au régime corpo-
ratif. Ce retour est le but des organi-
sateurs des cercles catholiques, dont
« l'établissement n'a jamais été, dans
l'esprit de leur fondateur, qu'un pre-
mier pas vers la reconstitution de tout un
ordre de choses oublié ou détruit. » Par
conséquent, M. Freppel ne montre quel-
que sympathie pour l'œuvre du législa-
teur moderne que parce qu'il espère la
faire servir à la destruction même de la
société moderne et au rétablissement
d'une organisation opposée.
Ces espérances sont évidemment vai-
nes. Il y a, entre le syndicat profession-
nel et la corporation, des différences qui
n'ont pu échapper à l'attention de M.
Freppel. Le syndicat est une association
d'ouvriers unis pour la défense d'inté-
rêts professionnels. La corporation était
une sorte d'institution fermée, avec ses
règles, sa hiérarchie, ses privilèges.
Elle prenait sa source dans l'esprit
féodal, tandis que le syndicat prend la
sienne dans la liberté. Elle était fondée
sur une protection patronale, qui appa-
raît à M. Freppel comme un important
avantage et que les établissements ca-
tholiques s'efforcent de restaurer par
l'usine familiale. Mais cette protection
tourne bien vite au despotisme des uns,
au servage des autres. C'est ce qui
s'était produit avant la Révolution, et
c'est pour cette cause que la suppres-
sion des corporations a paru alors un
immense bienfait.
Quant aux avantages qu'elles pou-
vaient offrir aux ouvriers, d'autres ins-
titutions peuvent les leur fournir égale-
ment. Il n'est pas besoin de les rétablir
pour garantir les intérêts des petits et
des faibles, des enfants, des femmes et
des vieillards. Il a été fait beaucoup
pour eux depuis quelques années, et
M. Freppel, en le reconnaissant, de-
mande que l'on fasse plus encore: que
l'on complète les mesures déjà prises et
que l'on en prenne de nouvelles pour
combler les lacunes. Les désirs de M.
Freppel ne peuvent manquer d'être satis-
faits. Des projets de loi sont soumis
aux Chambres, d'autres sont en prépa-
ration. L'initiative parlementaire riva-
lise avec celle du gouvernement, mais
trop souvent elle se propose surtout de
favoriser, comme le demande M. Frep-
pel, ces retours vers un ordre de choses
disparu. Les hommes de la Droite se sont
fait comme une spécialité de proposi-
tions sociales qui tendent au but souhaité
par l'évêque d'Angers. C'est contre ce
retour à des institutions jugées et con-
damnées, qu'il faut réagir. Si notre
époque peut mériter les éloges que lui
décerne M. Freppel, ce doit être en
donnant au travail une organisation
qui soit un progrès sur les précédentes,
et non un simple retour en arrière, vers
un régime qui n'est en harmonie ni
avec nos mœurs ni avec les conditions
économiques nouvelles qui ont introduit
dans l'industrie des modifications com-
plètes. L
Voici quelques articles bien étranges
que publie, coup sur coup, le rédacteur
militaire d'un journal du soir. Nous l'a-
vons vu, tout dernièrement, réclamer le
système de l'élection par les inférieurs
pour la nomination de leurs supérieurs à
un grade plus élevé. Puis il a émis, sur
l'attitude et les tendances de notre minis-
tre de la guerre, quelques considérations
qui pouvaient avantageusement rivaliser
avec les élucubrations de M. Ph. de Grand-
lieu. Enfin, aujourd'hui, il nous déclare
que l'on ne trouvera dans l'armée aucun
officier général qui consente à servir sous
l'autorité de M. Paul Bert. Ces boutades
ne mériteraient point que l'on s'y arrêtât,
si elles ne servaient de thème aux com-
mentaires malveillants des adversaires de
la République.
Il importe de protester hautement con-
tre de pareilles doctrines, contraires aux
principes démocratiques de nos institu-
tions, aussi bien qu'aux intérêts généraux
de nos possessions extérieures; car il y a,
dans ces manifestations hostiles contre
le pouvoir civil, le symptôme d'un état
d'esprit que nous voulons bien ne pas
croire général, mais qui compte vraisem-
blablement assez de partisans pour que
nous nous fassions un devoir de le signa-
ler et de le combattre.
Si l'armée et la marine sont indispen-
sables pour conquérir et conserver des
colonies, elles sont également inhabiles à
les organiser, à les administrer et à les
faire prospérer. Ce fait est incontestable.
Les exemples que nous pourrions invo-
quer à l'appui de notre assertion sont in-
nombrables. A notre époque, les colonies
les plus florissantes appartiennent, sans
contredit, à l'Angleterre. Or, dans ces colo-
nies, c'est à l'élément civil qu'est dévolue
l'autorité souveraine, et les officiers an-
glais s'y soumettent sans soulever la moin-
dre difficulté, ni le moindre conflit. Leur
mission et leur responsabilité sont assez
étendues pour qu'ils n'élèvent pas la pré-
tention de les développer au point de les
faire sortir du domaine spécial des ques-
tions techniques, qui est de leur ressort
exclusif, où ils ont le devoir de se renfer-
mer, ainsi que le droit d'assurer la prédo-
minance de leur commandement. Hors de
là, l'obéissance aux ordres du représen-
tant officiel du pouvoir central est leur
première, même leur seule ligne de con-
duite.
il est indispensable que les mêmes prin-
cipes soient appliqués dans nos colonies,
comme dans les pays où nous exerçons
notre protectorat. Quelques incidents
prouvent que l'on n'y parviendra pas sans
effort ni sans difficulté. Mais nous nous
plaisons à penser que ces incidents ont
pris leur origine plutôt dans des ques-
tions personnelles que dans des affaires
d'ordre général au point de vue théorique
ou pratique.
Les gouverneurs de nos colonies et les
résidents généraux de nos protectorats
doivent conserver la haute main sur la
direction générale qu'il convient d'impri-
mer pour la sauvegarde de nos intérêts,
et la meilleure preuve qu'il ne s'agit point
toujours de conflits entre l'élément ci-
vil et l'élément militaire quand surgissent
des embarras provoqués par des divergen-
ces d'opinions, c'est que, en extrême Orient
même, le prédécesseur de M. Paul Bert,
M. le général de Courcy, avait dû, à tort
ou à raison, donner à son chef d'état-ma-
jor, M. le général Warnet, l'ordre de ren-
trer en France.
Non, ce n'est pas là qu'est la source du
mal. Les désaccords proviennent unique-
ment de ce que certains des principaux
chefs de notre armée de terre ou de mer,
se plient difficilement aux exigences de la
subordination. L'histoire de notre pays
le prouve. L'article contre lequel nous pro-
testons aujourd'hui en est un nouveau té-
moignage. Dans notre campagne au Ton-
kin même, le début des opérations n'a-t-il
pas été entrav épar les dissensions du com-
missaire du gouvernement, du comman-
dant des forces de terre et du comman-
dant de la flotte de guerre? Et lors de
l'expédition de Chine, est-ce que le com-
mandant en chef ne réclamait pas la supré-
matie, non-seulement sur l'escadre, mais
encore sur l'agent diplomatique de notre
gouvernement, ce qu'on lui refusa, du reste,
à partir du jour où nos troupes eurent
accompli leur rôle.
C'est donc là surtout que se trouve l'ap-
plication de la maxime romaine cedant
arma togse, dont la traduction véritable
est qu'une fois la guerre finie, il appartient
à l'autorité civile d'organiser et d'adminis-
trer, la mission de l'autorité militaire n'é-
tant plus que de concourir, par ses moyens
d'action, à la conservation de ce qui a été
acquis.
Lus Tombes d'Alsace-Larraine
Nous avons reçu, hier, de nombreuses
souscriptions nouvelles. L'honorable directeur
du Gaulois, M. Arthur Meyer, nous a envoyé,
en même temps que son offrande, une lettre
qui affirme le sens exclusivement patriotique
de l'œuvre des Tombes d'Alsace-Lorraine. La
souscription que nous avons ouverte n'a et
ne doit avoir aucun caractère politique : les
Français de toutes les opinions peuvent y
prendre part. Nous remercions M. Arthur
Meyer d'avoir bien voulu le déclarer, et nous
le remercions aussi de son excellent concours.
Voici la lettre du directeur du Gaulois au
directeur du XIXe Siècle:
Paris, le 24 octobre.
Mon cher Portalis,
L'idée excellente que vous patronnez n'a
pas de couleur. Si elle en avait, elle serait
tricolore, comme la Patrie qui la dicte.
Chacun a donc le droit — pour ne pas dire
le devoir — de s'associer à votre géné-
reuse initiative. Permettez-moi de vous
envoyer ma modeste souscription.
Veuillez croire, je vous prie, à mes
meilleurs sentiments de confraternité.
ARTHUR MEYER.
Nous publierons prochainement la seconde
liste de souscriptions.
Nous rappelons que le produit de la sous-
cription de I'oeuvre patriotique des Tombes
d'Alsace-Lorraine sera affecté à l'entretien
des sépultures éparses au pays annexé, à l'é-
rection de monuments nouveaux ou, un jour
prochain peut-être, à Vexhumation des osse-
ments sacrés qui, restés dans la terre d'exil,
devraient être rapportés au sein de la terre
natale.
CHRONIQUE
Ah ! les animaux sont bien heureux !
Tandis que la « Ligue pour la paix uni-
verselle » réunit à peine, parmi les rê-
veurs obstinés et les rentiers timides,
quelques adhérents sans influence, les
antivivisectionnistes recrutent leurs as-
sociés jusque chez les gens de science
et trouvent un médecin — le docteur
Combet, de Lyon — pour demander au
Parlement l'interdiction légale « des opé-
rations d'études sur les animaux vi-
vants ». Il faut rendre cette justice aux
citoyens essentiellement compatissants
et doux ligués « contre l'abus de la vi-
visection », qu'ils déploient à défendre
leur mauvaise cause une belle activité.
De véritables paladins, héroïques et ta-
pageurs, auxquels tous les moyens sont
bons : ils organisent des meetings, pro-
duisent des brochures, lancent des jour-
naux, pétitionnent et tueraient un chré-
tien pour protéger la vie d'un cochon
d'Inde. N'avons-nous pas vu, l'année
dernière, une dame respectable s'élan-
cer, le parapluie haut, sur un profes-
seur de Sorbonne qui allait sacrifier un
pigeon ? Ah ! les animaux sont bien
- heureux !
— L'antivivisectionnisme, disait un
jour devant moi un aliéniste célèbre,
c'est une monomanie classée : la douche,
le brômure de potassium, les distrac-
tions fréquentes, les voyages à l'étran-
ger, en ont quelquefois raison, mais
elle est fort opiniâtre et très difficile à
guérir.
L'Angleterre, pays, comme chacun
sait, des âmes sensibles, doit être évi-
demment la patrie de l'antivivisection-
nisme. On signale cependant à Paris, en
1841, un antivivisectionniste américain.
Ce Yankee, vêtu de noir des pieds à
la tête, se présenta au cours de Magen-
die.
— J'avais entendu parler de toi, dit-il
cavalièrement à l'illustre professeur, et
je viens te demander de quel droit tu
fais souffrir ces pauvres bêtes. Magen-
die, tu donnes un mauvais exemple et tu
habitues tes semblables à la cruauté I
Magendie, très bon homme, ne fit
point jeter le quaker à la porte, écouta
le sermon, daigna y répondre.
— Il faut, monsieur, dit-il, se placer
à un autre point de vue pour juger nos
expériences et songer à leur but, qui
est l'intérêt supérieur de l'humanité.
Pensez-vous qu'Harvey eût découvert la
circulation sans verser le sang des bi-
ches de Charles 1er? La vivisection,
comme la guerre, comme la chasse.
— La guerre ! la chasse ! interrompit
le quaker. Mais je les condamne, mais
je les réprouve, et je vais de lieux en
lieux, prêchant la paix pour les faire dis-
paraître du monde !
Ce quaker naïf, s'il n'est pas mort à
la peine, doit avoir depuis longtemps
pris sa retraite, écœuré sans doute de
la barbarie des humains. Je doute que
M. Combet, qui accepte la guerre, sup-
porte la chasse et combat seulement la
vivisection, ait plus de succès que lui.
La Chambre, cependant, a pris en
considération sa requête et demandé au
ministre de l'agriculture de « faire res-
treindre à des cas déterminés par les
seuls besoins de la science les expé-
riences de vivisection dans les écoles
vétérinaires. » Aussitôt, M. Develle a
répondu (un journal publiait hier sa
lettre) que « la vivisection n'avait jamais
été pratiquée par les élèves vétérinaires
que dans les limites indiquées par la
Chambre. » M. Goblet, si on l'interroge,
pourra, au nom des Facultés de méde-
cine et des sciences, répondre pareille-
ment, et nous n'aurons nul besoin
d'ajouter à « l'arsenal de nos lois » un
chapitre sur la vivisection.
C'est là une nécessité à laquelle l'Al-
lemagne n'a pas pu se soustraire,; il y
a deux ans, le gouvernement prussien,
fatigué sans doute des criailleries inces-
santes des antivivisectionnistes, prit
une résolution en six articles, par la-
quelle, « les expériences sur des ani-
euîllcton du XIXe SIECLE
Du 24 octobre 1886
CAUSERIE
DRAMATIQUE
OPÉRA : Les Deux Pigeons, ballet eA deux
actes et trois tableaux, par M. H. Régnier.
Musique de M. Messager. — ODÉON: Les
Fils de Jahel, drame en cinq actes, en vers,
par Mme Simone Arnaud. Musique de M.
Bourgault-Ducoudray. <
Un ballet en trois actes, à l'Opéra,
passe, en général, pour une assez grosse
affaire, et il est assez rare qu'on n'at-
tende pas, pour le donner, la pleine
saison d'hiver, alors que les chasses ne
retiennent plus à la campagne les abon-
nés, qui sont particulièrement amateurs
du ballet. Cependant, on a joué, cette
semaine, les Deux Pigeons, accompa-
gnés de l'éternel Freyschûtz. Pourquoi,
gnés de
disons-le tout de suite, ne pas donner
aux ballets nouveaux l'attrait d'une re-
prise autre que celle de ce Freyschûtz,
qui, si on en retirait l'invitation à la
valse si puissamment orchestrée par
Berlioz, pourrait passer pour le plus en-
nuyeux des opéras? Quant aux Deux
pzgeons, ils ont réussi à peu près, sans
enthousiasme. Le succès le plus franc a
été pour les interprètes, Mmes Mauri et
Sanlaville. Le reste a paru simplement
convenable, musique, décors, libretto.
On a même été quelque peu sévère, dans
la critique, pour les inventions du li-
brettiste, M. Henri Régnier. Quand je
dis inventions, c'est arrangements que
je devrais dire, car M. Henri Régnier,
dans la circonstance, n'a rien inventé
du tout. Il a mis en action, en substi-
tuant des hommes aux animaux, la fable
de La Fontaine, les Deux Pigeons, et
même, dans la brochure, il a conservé,
ne les citant pas toujours très bien, les
vers du fabuliste, enchâssés dans une
prose poétique un peu naïve. Entre au-
tres choses qui font sourire, on trouve,
dans cette brochure, que la tourterelle
est la femelle du pigeon. C'est à peu
près comme si M. Régnier s'avisait de
croire, ce qui serait impardonnable pour
un habitué de l'Opéra, que le rat est le
mâle de la souris. L'erreur est d'ailleurs
vénielle et ne mériterait pas d'être re-
levée, si elle avait échappé à l'attention
d'un véritable poète dans la composi-
tion d'un libretto. Malheureusement,
comme nous ne trouvons dans les Deux
Pigeons aucune espèce d'idée neuve et
originale, nous sommes contraints de
chercher au moins dans le détail quel-
que trace d'application, que nous ne
rencontrons pas, ce qui justifie ample-
ment l'opinion de notre confrère M. Au-
rélien Scholl : que, des ballets comme
les Deux Pigeons, un homme d'une in-
telligence moyenne en composerait ai-
sément deux par jour, avant son dé-
jeuner !
L'Opéra se contentant, pour en con-
fier la musique à M. Messager, d'un
ballet médiocre et véritablement l'œuvre
du premier venu, une autre question se
pose : celle de savoir s'il était conve-
nable d'en charger M. Henry Régnier?
En effet, M. H. Régnier occupe dans
l'administration des beaux-arts et des
théâtres une situation bien rétribuée et
fort enviable, qui lui donne une cer-
taine autorité sur les directeurs des
théâtres subventionnés. Qu'il s'agisse
de choisir les uns, de récompenser les
autres, par ses fonctions, M. II. Régnier
peut être consulté et son amitié est, en
tout cas, utile autant que précieuse
pour les directeurs qui ont des rapports
avec l'Etat. Il serait très fâcheux qu'on
pût arriver à penser que les directeurs
de théâtre cherchent à s'assurer la fa-
veur des fonctionnaires du ministère
des beaux-arts en jouant leurs œuvres.
Certes, si les Deux Pigeons étaient
quelque chef-d'œuvre, comme Gisèle,
nous passerions condamnation sur la
situation de son auteur. Mais du mo-
ment que l'œuvre est « quelconque »,
les petits avantages et agréments atta-
chés à la représentation d'un ballet à
l'Opéra auraient dû aller à un homme
de lettres et non à un employé de l'ad-
ministration des théâtres. Le règlement
de la Société des auteurs dramatiques
interdit à un directeur de jouer ses
pièces ; il interdit même à un secrétaire
de théâtre de donner ses œuvres sur ce
même théâtre où il est employé. N'est-il
pas -visible que l'esprit de ce règlement
doit conseiller aux théâtres subvention-
nés de ne pas demander des œuvres aux
employés de l'Etat qui sont en rapport
avec eux? Que dirait-on de M. Goblet
ou de M. Turquet imposant une tragédie
ou une comédie à l'Odéon ou aux Fran-
çais ? Je ne dois pas cacher que le début
de M. Régnier sur la scène de l'Opéra
a paru plus fâcheux encore par sa qua-
lité d'employé de l'Etat aux beaux-arts,
que par la médiocrité de l'œuvre qu'il a
donnée.
Le ballet des Deux Pigeons, pour en
finir avec le libretto, a lieu « sur les
bords de la mer, aux confins de la Thes-
salie », et se passe au dix-huitième
siècle. Bonne précaution pour ne pas
permettre à la critique de s'exercer sur
le plus ou moins de vérité des costumes,
car, du diable s'il est aisé de savoir
comment s'habillaient, il y a cent ou
deux cents ans, les paysans des confins
de la Thessalie, qui pouvaient être de
trois ou quatre races différentes. Or
donc, sur ces confins, on célèbre la fête
de Mikelia, fermière et mère-grand de
Gourouli. Cette Gourouli est fianeée à
Pepio. Mais Pepio s'ennuie au logis et
il part à la suite d'une troupe de Tziga-
nes. Gourouli lui court après, s'engage
dans la troupe des Bohèmes sous une
perruque noire, et, avec ce travestisse-
ment élémentaire, tourne la tête à Pe-
pio. Il faut seulement qu'il soit puni.
Pour cela, Gourouli le fait voler au jeu
par les Tziganes, puis le laisse exposé à
la pluie et le livre enfin à la malice des
gamins du pays, dont ce grand dadais
ne sait pas se débarrasser. Enfin, il
rentre à la maison et tout finit par des
entrechats..
Sur ces situations très banales, M.
Messager a écrit une musique qui est
très agréable, quand elle est de la sim-
ple musique de danse, et qui paraît in-
suffisante, quand la situation devient
dramatique ou exige un cadre sympho-
nique. Pour tout dire, le compositeur a
écrit un divertissement plus qu'un bal-
let. Mais ce divertissement a plu, grâce
à Mme Mauri (Gourouli), à Mme Sanla-
ville (Pepio), et à la bohémienne Djali,-
c'est un nom de chèvre dans Notre-
Dame de Paris, — qui est représentée
par Mlle Hirsch. Ne parlons pas des
hommes. Il est convenu, une fois pour
toutes, qu'ils dansent tous très bien à
l'Opéra. Mme Mauri a été particulière-
ment fêtée. Sans parler de l'exécution
très parfaite de sa danse, sa physiono-
mie se prète à merveille au mélange de
malice et d'émotion que comporte son
personnage. Celui de Pepio est si piteux,
qu'on eût pu le pousser, par instants,
au franc comique. Quant à Mlle Hirsch,
qui marche de plus en plus vers les pre-
miers rôles, il ne faut pas qu'elle né-
glige de donner à ses qualités d'expres-
sion l'appui sérieux d'un entraînement
constant par les exercices classiques.
Ce qui peut lui manquer encore de ce
côté a été sensible dans la seconde va-
riation du « Pas des Voiles », qu'elle
danse de suite après Mme Mauri.
Les Deux Pigeons comportent deux
décors. Le premier représente « un par-
loir » dans une ferme. Un « parloir »
chez des paysans des confins de la
Thessalie. Enfin, passons, puisque le
décor est agréable. Le second, très
supérieur à mon gré, nous montre un
site pris de la mer, avec un grand pla-
tane occupant le milieu de la scène, et
que nous voyons foudroyé. pendant
l'orage pour rire qui apprend à Pepio
qu'on ne doit pas courir les aventures
sans manteau ni parapluie. Le second
décor, clair, selon la mode, est fort
plaisant. Pour les costumes, je n'ai
point remarqué que l'on soit sorti du
bon goût un peu banal qui est ordinaire
à l'Opéra. L'impression générale est
que tout a été fait un peu petitement,
comme si on avait eu d'avance la con-
viction que le succès ne dépasserait pas
certaines limites, qu'il a atteintes, en
effet, mais au delà desquelles je ne
pense pas qu'il aille.
Dans mon dernier feuilleton, je n'ai
pu que dire un mot des Fils de Jahel,
l'œuvre de Mme Simone Arnaud, que
joue l'Odéon. Ce n'est pas assez. Dans
sa dédicace à M. Porel, Mme Arnaud
dit : « Je vous dédie cette pièce. C'est
une œuvre de conviction et vous y avez
cru. » Il faut, en effet, une certaine dose
de conviction pour écrire une tragédie
biblique et pour la jouer; conviction
dont je félicite et le poète et le directeur
de théâtre, car je ne cache pas mon
goût pour la tragédie, à qui je ne de-
mande même pas de prendre, comme un
masque, le nom de drame. Les Fils de
Jahel sont une tragédie et doivent res-
ter ce qu'ils sont, car leurs plus grands
mérites sont ceux qu'on demande aux
tragédies et qu'on trouve dans les bon-
nes, des situations assez simples, qui
valent surtout par les passions en jeu.
Il y a une dizaine d'années environ,
un peintre, élève de M. Gérôme, M.
Becker, exposa un tableau d'un très
grand effet, représentant une vieille
femme juive défendant contre les oi-
seaux de proie des corps de suppliciés.
Cette femme était Respha, de la maison
de Saul. Le roi David, qui fut un des
plus grands scélérats du monde, avait,
en effet, fait mettre en croix sept des-
cendants de Saul. Le public, dans ces
sept crucifiés, voulut voir les sept Mac-
chabées, et, dans la vieille femme, leur
mère Salomé. Cette confusion fut si
générale, qu'un de nos collègues de la
critique, particulièrement soigneux du
détail historique, a pensé que c'est ce
tableau qui avait inspiré Mme Arnaud.
Il ne saurait en être ainsi, car les fils
de Respha furent crucifiés par leurs
compatriotes et sacrifiés à l'abominable
politique de David, l'élu du Seigneur !
Les sept Macchabées, martyrs de leur
foi, furent mis à mort beaucoup plus
tard, par un prince syrien. Ils ne s'ap-
pelaient pas, d'ailleurs, Macchabées. Ce
Prix du numéro : Paris et Départements : 15 centimes
Lundi 25 octobre i886
LE iniT SIÈCLE
JOURNAL 1 RÉPUBLICAIN
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
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lt-ÉGISSEURS D'ANA'ÔiT»^. -
MM. LAGRANGE, CERF ET cn:
6, place de la Bourse, 6
BULLETIN
M. le comte de Beust est mort hier, à
Vienne, à l'âge de soixante-dix-sept ans.
Originaire du Brandebourg, M. de Beust
avait débuté dans la diplomatie au minis-
tère des affaires étrangères du royaume
de Saxe. Jusqu'en 1849, il joua un rôle as-
sez effacé; ce n'est qu'à partir de la révo-
lution saxonne, que commença sa vérita-
ble carrière politique.
Nommé ministre des affaires étrangères
pendant cette période critique, il donna
au roi Frédéric-Auguste II le conseil fu-
neste de faire appel à l'intervention armée
de la Prusse pour réprimer le mouvement
révolutionnaire en Saxe. Il devait regretter
plus tard cette ingérence de la monarchie
prussienne qui, dès cette époque, cares-
sait le rêve de l'hégémonie allemande et
ne tarda pas à laisser percer ses secrets
desseins par des prétentions chaque jour
croissantes. Pour se soustraire à ces exi-
gences, M. de Beust orienta la politique
saxonne vers l'Autriche. Mais déjà nais-
sait l'antagonisme entre l'Autriche et la
Prusse, qui, toutes deux, aspiraient à ré-
genter la Confédération des Etats alle-
mands pour l'absorber à leur profit. M. de
Beust essaya de louvoyer entre ces deux
puissants voisins ; quand éclata le conflit
du duché du Sleswig-Holstein, qui mit aux
prises l'Autriche et la Prusse, il tenta
vainement de sauver l'indépendance de la
Confédération et de faire une politique
d'équilibre neutralisant l'un par l'autre les
deux compétiteurs. C'est lui qui inventa la
fameuse théorie des trois «tronçons », que
M. Rouher s'appropria, et qui devint, dès
lors, la formule de la politique impériale.
Cette théorie était — les événements l'ont
prouvé — une pure chimère.
La confédération fut impuissante à dé-
fendre l'indépendance des duchés danois.
L'Autriche et la Prusse s'unirent pour s'ap-
proprier ces provinces , sans se soucier
des protestations énergiques de la Con-
fédération de Francfort. Deux ans plus
tard, la guerre éclatait entre les deux puis-
sances co-partageantes, et la Saxe, en-
traînée dans l'orbite de l'Autriche par
la politique de M. de Beust, subissait la
mauvaise fortune de son alliée à Sadowa.
De ce jour date la déchéance de la Saxe,
qui devint, ipso facto, un Etat vassal
de la Prusse sous la main puissante de M.
de Bismarck..
M. de Beust vit, au contraire, sa fortune
grandir, en même temps que diminuait
d'importance le royaume de Saxe. L em-
pereur d'Autriche l'appela à la cour de
Vienne et lui confia la tâche difficile de re-
constituer la monarchie autrichienne. M.
de Beust s'en acquitta avec une grande ha-
bileté et ne tarda pas à être élevé au rang
de chancelier de l'empire. Grâce à une po-
litique prudente et libérale, il réussit à ré-
concilier l'Autriche et la Hongrie et à faire
sacrer roi de Hongrie l'empereur Fran-
çois-Joseph. En moins de trois ans, M. de
Beust eut la gloire de restaurer complète-
ment l'empire austro-hongrois, de créer
une armée nouvelle, de rétablir l'ordre
dans les finances, en un mot de rendre
à l'Autriche son rang de grande puis-
sance.
M. de Beust qui, au début de sa carrière,
avait pratiqué une politique résolument
réactionnaire, s'était rallié, à partir de 1866,
à la doctrine libérale et avait été l'instiga-
teur d'une série de réformes inspirées par
l'esprit le plus large, telles que l'admis-
sion des juifs aux droits civils et politi-
ques, l'égalité des confessions religieuses
devant la loi, l'adoption du mariage civil.
Il eut à supporter une lutte acharnée
contre la cour de Rome et contre les évê-
ques autrichiens,qui inondèrent l'Autriche
de mandements séditieux. Le chancelier
de l'empire fit tête à l'orage sans faiblesse,
mais sans violence. Il déféra les rebelles
aux tribunaux et imposa silence aux me-
naces du clergé en revisant le Concordat.
Dans cette lutte de trois années contre
la papauté, M. de Beust gagna une popu-
larité de bon aloi, que le temps n'a pas
altérée.
En 1871, M. de Beust quitta volontaire-
ment le pouvoir ; du moins il a eu jusqu'à
sa mort la satisfaction légitime de voir sa
politique prévaloir dans les conseils de
l'empire austro-hongrois. Il remplaça le
prince de Metternich à l'ambassade de
Paris et laissa, en France, les souvenirs
les plus sympathiques.
Louis HENRIQUE.
INPORMATIONS PARTICULIÈRES
Déplacements ministériels
M. Granet, accompagné de son pous-chef
de cabinet, M. Léglise, est arrivé hier à
Bruxelles et a été présenté par M. Bourée à
MM. Van den Peereboom, ministre des postes
et télégraphes, et Bsernaert, ministre des
finances.
M. Granet a eu une assez longue conférence
avec M. Van den Peereboorn, au sujet de
l'établissement du téléphone entre Paris et
Bruxelles, qui paraît avoir été décidé dans
cette entrevue.
» Election sénatoriale de Meurthe-
et-Moselle
Inscrits : 955 — Votants : 945
MM. Volland, républicain. 704 voix Elu
de Ludre, réactionnaire. 241 —
M. Berlet, sénateur républicain, décédé, qu'il
s'agissait de remplacer au Sénat, avait été élu
à l'élection partielle du 10 juin 1883, par 399
voix, contre 241 données à M. Welche, candi-
dat monarchiste.
Bien que le nombre des électeurs sénato-
riaux soit notablement augmenté depuis la
loi du 9 décembre 1884, on remarquera que
la réaction n'a pas gagné une seule voix
dans le scrutin du 24 octobre.
L'élection du dixième arrondissement
Le comité républicain radical démocratique
du dixième arrondissement (quartier de l'Hô-
pital-Saint-Louis) nous informe qu'il soutien-
dra la candidature de M. Emile Dupont, pour
l'élection municipale du 31 octobre.
M. Dupont, connu dans le dixième arrondis-
sement, fait partie depuis fort longtemps de
la Caisse des écoles, du bureau de bienfai-
sance, de la commission d'hygiène, de la
Caisse populaire, etc.
L'élection de l'Aisne
Au moment où nous mettons sous presse,
le résultat définitif de l'élection de l'Aisne
n'est pas encore connu..
Les résultats connus à dix heures du soir
sont les suivants :
MM. Rigaut, républicain. 9,611 voix
Desjardins, conservateur 8,911 —
(Ballottage probable)
Les agriculteurs du Pas-de-Calais
A la suite d'une réunion tenue à Arras, et à
laquelle assistaient des sénateurs, des dépu-
tés et des conseillers généraux, les agricul-
teurs du Pas-de-Calais ont voté des résolu-
tions identiques à celles des agriculteurs du
Nord, et décidé d'envoyer une délégation au-
près du président de la République, de MM.
de Freycinet et Develle.
On se rappelle que les agriculteurs du Nord
avaient insisté près du gouvernement pour
que la question des céréales fût mise, dans le
plus bref délai possible, à l'ordre du jour de
la Chambre des députés.
CORPORATIONS k SYNDICATS
Un congrès régional des cercles ca-
tholiques d'ouvriers se tient en ce mo-
ment à Angers. De ce congrès même, il
n'y a que peu de chose à dire, car les
analyses des séances que publient les
journaux religieux sont moins consa-
crées au résumé des communications
qu'à l'éloge des orateurs. Tout est admi-
rable, merveilleux, magnifique; mais
on néglige un peu trop de nous mettre
en mesure d'apprécier si ces éloges sont
mérités. Il semble cependant, autant
qu'on en peut juger, que le présent con-
grès ressemble fort à ses devanciers et
qu'il n'y a pas de faits bien particuliers
à relever.
Ce qui a donné quelque relief à
cette réunion, c'est le discours d'ouver-
1
ture de M. Freppel. Il est vrai que ce
discours tranche un peu avec l'allure
ordinaire de la parole du fougueux pré-
lat. Il y fait de la socéité moderne un
éloge que l'on n'est pas habitué à trou-
ver sur ses lèvres. Il est vrai que c'est
sur un point particulier, et que s'il est
d'accord avec nous sur certains faits, il
tire de ces faits des conséquences et
des prévisions au sujet desquelles le
dissentiment se produit de nouveau.
Néanmoins, c'est déjà beaucoup, on en
conviendra, que de recueillir de la bou-
che de M. Freppel une adhésion, même
entourée de réserves et de restrictions,
à un seul des actes du parti républi-
cain.
M. Freppel, qui se pique d'impartia-
lité, déclare que « l'on manquerait de
justice envers la deuxième moitié du
dix-neuvième siècle, si l'on disait que les
idées saines, en matière économique,
n'y ont pas fait de progrès M. Les hom-
mes de la Révolution avaient poussé à
l'excès les idées du Contrat social, en ne
concevant que deux facteurs dans l'or-
dre économique comme dans tout le
reste, l'individu et l'Etat, et en mécon-
naissant les avantages de l'association.
L'erreur a été reconnue et l'on s'est ef-
forcé d'y remédier : « Le principe d'as-
sociation en matière économique a
triomphé ; il a trouvé sa formule prati-
que dans le syndicat professionnel, lé-
galement et librement constitué. » Voilà
une adhésion en bonne forme et d'au-
tant plus intéressante à enregistrer, que,
si la loi sur les syndicats professionnels
a été adoptée, ce n'a pas été avec le
concours de la Droite.
Mais les réserves suivent de près. Si
M. Freppel accepte les syndicats pro-
fessionnels, c'est parce qu'il y voit l'es-
pérance d'un retour au régime corpo-
ratif. Ce retour est le but des organi-
sateurs des cercles catholiques, dont
« l'établissement n'a jamais été, dans
l'esprit de leur fondateur, qu'un pre-
mier pas vers la reconstitution de tout un
ordre de choses oublié ou détruit. » Par
conséquent, M. Freppel ne montre quel-
que sympathie pour l'œuvre du législa-
teur moderne que parce qu'il espère la
faire servir à la destruction même de la
société moderne et au rétablissement
d'une organisation opposée.
Ces espérances sont évidemment vai-
nes. Il y a, entre le syndicat profession-
nel et la corporation, des différences qui
n'ont pu échapper à l'attention de M.
Freppel. Le syndicat est une association
d'ouvriers unis pour la défense d'inté-
rêts professionnels. La corporation était
une sorte d'institution fermée, avec ses
règles, sa hiérarchie, ses privilèges.
Elle prenait sa source dans l'esprit
féodal, tandis que le syndicat prend la
sienne dans la liberté. Elle était fondée
sur une protection patronale, qui appa-
raît à M. Freppel comme un important
avantage et que les établissements ca-
tholiques s'efforcent de restaurer par
l'usine familiale. Mais cette protection
tourne bien vite au despotisme des uns,
au servage des autres. C'est ce qui
s'était produit avant la Révolution, et
c'est pour cette cause que la suppres-
sion des corporations a paru alors un
immense bienfait.
Quant aux avantages qu'elles pou-
vaient offrir aux ouvriers, d'autres ins-
titutions peuvent les leur fournir égale-
ment. Il n'est pas besoin de les rétablir
pour garantir les intérêts des petits et
des faibles, des enfants, des femmes et
des vieillards. Il a été fait beaucoup
pour eux depuis quelques années, et
M. Freppel, en le reconnaissant, de-
mande que l'on fasse plus encore: que
l'on complète les mesures déjà prises et
que l'on en prenne de nouvelles pour
combler les lacunes. Les désirs de M.
Freppel ne peuvent manquer d'être satis-
faits. Des projets de loi sont soumis
aux Chambres, d'autres sont en prépa-
ration. L'initiative parlementaire riva-
lise avec celle du gouvernement, mais
trop souvent elle se propose surtout de
favoriser, comme le demande M. Frep-
pel, ces retours vers un ordre de choses
disparu. Les hommes de la Droite se sont
fait comme une spécialité de proposi-
tions sociales qui tendent au but souhaité
par l'évêque d'Angers. C'est contre ce
retour à des institutions jugées et con-
damnées, qu'il faut réagir. Si notre
époque peut mériter les éloges que lui
décerne M. Freppel, ce doit être en
donnant au travail une organisation
qui soit un progrès sur les précédentes,
et non un simple retour en arrière, vers
un régime qui n'est en harmonie ni
avec nos mœurs ni avec les conditions
économiques nouvelles qui ont introduit
dans l'industrie des modifications com-
plètes. L
Voici quelques articles bien étranges
que publie, coup sur coup, le rédacteur
militaire d'un journal du soir. Nous l'a-
vons vu, tout dernièrement, réclamer le
système de l'élection par les inférieurs
pour la nomination de leurs supérieurs à
un grade plus élevé. Puis il a émis, sur
l'attitude et les tendances de notre minis-
tre de la guerre, quelques considérations
qui pouvaient avantageusement rivaliser
avec les élucubrations de M. Ph. de Grand-
lieu. Enfin, aujourd'hui, il nous déclare
que l'on ne trouvera dans l'armée aucun
officier général qui consente à servir sous
l'autorité de M. Paul Bert. Ces boutades
ne mériteraient point que l'on s'y arrêtât,
si elles ne servaient de thème aux com-
mentaires malveillants des adversaires de
la République.
Il importe de protester hautement con-
tre de pareilles doctrines, contraires aux
principes démocratiques de nos institu-
tions, aussi bien qu'aux intérêts généraux
de nos possessions extérieures; car il y a,
dans ces manifestations hostiles contre
le pouvoir civil, le symptôme d'un état
d'esprit que nous voulons bien ne pas
croire général, mais qui compte vraisem-
blablement assez de partisans pour que
nous nous fassions un devoir de le signa-
ler et de le combattre.
Si l'armée et la marine sont indispen-
sables pour conquérir et conserver des
colonies, elles sont également inhabiles à
les organiser, à les administrer et à les
faire prospérer. Ce fait est incontestable.
Les exemples que nous pourrions invo-
quer à l'appui de notre assertion sont in-
nombrables. A notre époque, les colonies
les plus florissantes appartiennent, sans
contredit, à l'Angleterre. Or, dans ces colo-
nies, c'est à l'élément civil qu'est dévolue
l'autorité souveraine, et les officiers an-
glais s'y soumettent sans soulever la moin-
dre difficulté, ni le moindre conflit. Leur
mission et leur responsabilité sont assez
étendues pour qu'ils n'élèvent pas la pré-
tention de les développer au point de les
faire sortir du domaine spécial des ques-
tions techniques, qui est de leur ressort
exclusif, où ils ont le devoir de se renfer-
mer, ainsi que le droit d'assurer la prédo-
minance de leur commandement. Hors de
là, l'obéissance aux ordres du représen-
tant officiel du pouvoir central est leur
première, même leur seule ligne de con-
duite.
il est indispensable que les mêmes prin-
cipes soient appliqués dans nos colonies,
comme dans les pays où nous exerçons
notre protectorat. Quelques incidents
prouvent que l'on n'y parviendra pas sans
effort ni sans difficulté. Mais nous nous
plaisons à penser que ces incidents ont
pris leur origine plutôt dans des ques-
tions personnelles que dans des affaires
d'ordre général au point de vue théorique
ou pratique.
Les gouverneurs de nos colonies et les
résidents généraux de nos protectorats
doivent conserver la haute main sur la
direction générale qu'il convient d'impri-
mer pour la sauvegarde de nos intérêts,
et la meilleure preuve qu'il ne s'agit point
toujours de conflits entre l'élément ci-
vil et l'élément militaire quand surgissent
des embarras provoqués par des divergen-
ces d'opinions, c'est que, en extrême Orient
même, le prédécesseur de M. Paul Bert,
M. le général de Courcy, avait dû, à tort
ou à raison, donner à son chef d'état-ma-
jor, M. le général Warnet, l'ordre de ren-
trer en France.
Non, ce n'est pas là qu'est la source du
mal. Les désaccords proviennent unique-
ment de ce que certains des principaux
chefs de notre armée de terre ou de mer,
se plient difficilement aux exigences de la
subordination. L'histoire de notre pays
le prouve. L'article contre lequel nous pro-
testons aujourd'hui en est un nouveau té-
moignage. Dans notre campagne au Ton-
kin même, le début des opérations n'a-t-il
pas été entrav épar les dissensions du com-
missaire du gouvernement, du comman-
dant des forces de terre et du comman-
dant de la flotte de guerre? Et lors de
l'expédition de Chine, est-ce que le com-
mandant en chef ne réclamait pas la supré-
matie, non-seulement sur l'escadre, mais
encore sur l'agent diplomatique de notre
gouvernement, ce qu'on lui refusa, du reste,
à partir du jour où nos troupes eurent
accompli leur rôle.
C'est donc là surtout que se trouve l'ap-
plication de la maxime romaine cedant
arma togse, dont la traduction véritable
est qu'une fois la guerre finie, il appartient
à l'autorité civile d'organiser et d'adminis-
trer, la mission de l'autorité militaire n'é-
tant plus que de concourir, par ses moyens
d'action, à la conservation de ce qui a été
acquis.
Lus Tombes d'Alsace-Larraine
Nous avons reçu, hier, de nombreuses
souscriptions nouvelles. L'honorable directeur
du Gaulois, M. Arthur Meyer, nous a envoyé,
en même temps que son offrande, une lettre
qui affirme le sens exclusivement patriotique
de l'œuvre des Tombes d'Alsace-Lorraine. La
souscription que nous avons ouverte n'a et
ne doit avoir aucun caractère politique : les
Français de toutes les opinions peuvent y
prendre part. Nous remercions M. Arthur
Meyer d'avoir bien voulu le déclarer, et nous
le remercions aussi de son excellent concours.
Voici la lettre du directeur du Gaulois au
directeur du XIXe Siècle:
Paris, le 24 octobre.
Mon cher Portalis,
L'idée excellente que vous patronnez n'a
pas de couleur. Si elle en avait, elle serait
tricolore, comme la Patrie qui la dicte.
Chacun a donc le droit — pour ne pas dire
le devoir — de s'associer à votre géné-
reuse initiative. Permettez-moi de vous
envoyer ma modeste souscription.
Veuillez croire, je vous prie, à mes
meilleurs sentiments de confraternité.
ARTHUR MEYER.
Nous publierons prochainement la seconde
liste de souscriptions.
Nous rappelons que le produit de la sous-
cription de I'oeuvre patriotique des Tombes
d'Alsace-Lorraine sera affecté à l'entretien
des sépultures éparses au pays annexé, à l'é-
rection de monuments nouveaux ou, un jour
prochain peut-être, à Vexhumation des osse-
ments sacrés qui, restés dans la terre d'exil,
devraient être rapportés au sein de la terre
natale.
CHRONIQUE
Ah ! les animaux sont bien heureux !
Tandis que la « Ligue pour la paix uni-
verselle » réunit à peine, parmi les rê-
veurs obstinés et les rentiers timides,
quelques adhérents sans influence, les
antivivisectionnistes recrutent leurs as-
sociés jusque chez les gens de science
et trouvent un médecin — le docteur
Combet, de Lyon — pour demander au
Parlement l'interdiction légale « des opé-
rations d'études sur les animaux vi-
vants ». Il faut rendre cette justice aux
citoyens essentiellement compatissants
et doux ligués « contre l'abus de la vi-
visection », qu'ils déploient à défendre
leur mauvaise cause une belle activité.
De véritables paladins, héroïques et ta-
pageurs, auxquels tous les moyens sont
bons : ils organisent des meetings, pro-
duisent des brochures, lancent des jour-
naux, pétitionnent et tueraient un chré-
tien pour protéger la vie d'un cochon
d'Inde. N'avons-nous pas vu, l'année
dernière, une dame respectable s'élan-
cer, le parapluie haut, sur un profes-
seur de Sorbonne qui allait sacrifier un
pigeon ? Ah ! les animaux sont bien
- heureux !
— L'antivivisectionnisme, disait un
jour devant moi un aliéniste célèbre,
c'est une monomanie classée : la douche,
le brômure de potassium, les distrac-
tions fréquentes, les voyages à l'étran-
ger, en ont quelquefois raison, mais
elle est fort opiniâtre et très difficile à
guérir.
L'Angleterre, pays, comme chacun
sait, des âmes sensibles, doit être évi-
demment la patrie de l'antivivisection-
nisme. On signale cependant à Paris, en
1841, un antivivisectionniste américain.
Ce Yankee, vêtu de noir des pieds à
la tête, se présenta au cours de Magen-
die.
— J'avais entendu parler de toi, dit-il
cavalièrement à l'illustre professeur, et
je viens te demander de quel droit tu
fais souffrir ces pauvres bêtes. Magen-
die, tu donnes un mauvais exemple et tu
habitues tes semblables à la cruauté I
Magendie, très bon homme, ne fit
point jeter le quaker à la porte, écouta
le sermon, daigna y répondre.
— Il faut, monsieur, dit-il, se placer
à un autre point de vue pour juger nos
expériences et songer à leur but, qui
est l'intérêt supérieur de l'humanité.
Pensez-vous qu'Harvey eût découvert la
circulation sans verser le sang des bi-
ches de Charles 1er? La vivisection,
comme la guerre, comme la chasse.
— La guerre ! la chasse ! interrompit
le quaker. Mais je les condamne, mais
je les réprouve, et je vais de lieux en
lieux, prêchant la paix pour les faire dis-
paraître du monde !
Ce quaker naïf, s'il n'est pas mort à
la peine, doit avoir depuis longtemps
pris sa retraite, écœuré sans doute de
la barbarie des humains. Je doute que
M. Combet, qui accepte la guerre, sup-
porte la chasse et combat seulement la
vivisection, ait plus de succès que lui.
La Chambre, cependant, a pris en
considération sa requête et demandé au
ministre de l'agriculture de « faire res-
treindre à des cas déterminés par les
seuls besoins de la science les expé-
riences de vivisection dans les écoles
vétérinaires. » Aussitôt, M. Develle a
répondu (un journal publiait hier sa
lettre) que « la vivisection n'avait jamais
été pratiquée par les élèves vétérinaires
que dans les limites indiquées par la
Chambre. » M. Goblet, si on l'interroge,
pourra, au nom des Facultés de méde-
cine et des sciences, répondre pareille-
ment, et nous n'aurons nul besoin
d'ajouter à « l'arsenal de nos lois » un
chapitre sur la vivisection.
C'est là une nécessité à laquelle l'Al-
lemagne n'a pas pu se soustraire,; il y
a deux ans, le gouvernement prussien,
fatigué sans doute des criailleries inces-
santes des antivivisectionnistes, prit
une résolution en six articles, par la-
quelle, « les expériences sur des ani-
euîllcton du XIXe SIECLE
Du 24 octobre 1886
CAUSERIE
DRAMATIQUE
OPÉRA : Les Deux Pigeons, ballet eA deux
actes et trois tableaux, par M. H. Régnier.
Musique de M. Messager. — ODÉON: Les
Fils de Jahel, drame en cinq actes, en vers,
par Mme Simone Arnaud. Musique de M.
Bourgault-Ducoudray. <
Un ballet en trois actes, à l'Opéra,
passe, en général, pour une assez grosse
affaire, et il est assez rare qu'on n'at-
tende pas, pour le donner, la pleine
saison d'hiver, alors que les chasses ne
retiennent plus à la campagne les abon-
nés, qui sont particulièrement amateurs
du ballet. Cependant, on a joué, cette
semaine, les Deux Pigeons, accompa-
gnés de l'éternel Freyschûtz. Pourquoi,
gnés de
disons-le tout de suite, ne pas donner
aux ballets nouveaux l'attrait d'une re-
prise autre que celle de ce Freyschûtz,
qui, si on en retirait l'invitation à la
valse si puissamment orchestrée par
Berlioz, pourrait passer pour le plus en-
nuyeux des opéras? Quant aux Deux
pzgeons, ils ont réussi à peu près, sans
enthousiasme. Le succès le plus franc a
été pour les interprètes, Mmes Mauri et
Sanlaville. Le reste a paru simplement
convenable, musique, décors, libretto.
On a même été quelque peu sévère, dans
la critique, pour les inventions du li-
brettiste, M. Henri Régnier. Quand je
dis inventions, c'est arrangements que
je devrais dire, car M. Henri Régnier,
dans la circonstance, n'a rien inventé
du tout. Il a mis en action, en substi-
tuant des hommes aux animaux, la fable
de La Fontaine, les Deux Pigeons, et
même, dans la brochure, il a conservé,
ne les citant pas toujours très bien, les
vers du fabuliste, enchâssés dans une
prose poétique un peu naïve. Entre au-
tres choses qui font sourire, on trouve,
dans cette brochure, que la tourterelle
est la femelle du pigeon. C'est à peu
près comme si M. Régnier s'avisait de
croire, ce qui serait impardonnable pour
un habitué de l'Opéra, que le rat est le
mâle de la souris. L'erreur est d'ailleurs
vénielle et ne mériterait pas d'être re-
levée, si elle avait échappé à l'attention
d'un véritable poète dans la composi-
tion d'un libretto. Malheureusement,
comme nous ne trouvons dans les Deux
Pigeons aucune espèce d'idée neuve et
originale, nous sommes contraints de
chercher au moins dans le détail quel-
que trace d'application, que nous ne
rencontrons pas, ce qui justifie ample-
ment l'opinion de notre confrère M. Au-
rélien Scholl : que, des ballets comme
les Deux Pigeons, un homme d'une in-
telligence moyenne en composerait ai-
sément deux par jour, avant son dé-
jeuner !
L'Opéra se contentant, pour en con-
fier la musique à M. Messager, d'un
ballet médiocre et véritablement l'œuvre
du premier venu, une autre question se
pose : celle de savoir s'il était conve-
nable d'en charger M. Henry Régnier?
En effet, M. H. Régnier occupe dans
l'administration des beaux-arts et des
théâtres une situation bien rétribuée et
fort enviable, qui lui donne une cer-
taine autorité sur les directeurs des
théâtres subventionnés. Qu'il s'agisse
de choisir les uns, de récompenser les
autres, par ses fonctions, M. II. Régnier
peut être consulté et son amitié est, en
tout cas, utile autant que précieuse
pour les directeurs qui ont des rapports
avec l'Etat. Il serait très fâcheux qu'on
pût arriver à penser que les directeurs
de théâtre cherchent à s'assurer la fa-
veur des fonctionnaires du ministère
des beaux-arts en jouant leurs œuvres.
Certes, si les Deux Pigeons étaient
quelque chef-d'œuvre, comme Gisèle,
nous passerions condamnation sur la
situation de son auteur. Mais du mo-
ment que l'œuvre est « quelconque »,
les petits avantages et agréments atta-
chés à la représentation d'un ballet à
l'Opéra auraient dû aller à un homme
de lettres et non à un employé de l'ad-
ministration des théâtres. Le règlement
de la Société des auteurs dramatiques
interdit à un directeur de jouer ses
pièces ; il interdit même à un secrétaire
de théâtre de donner ses œuvres sur ce
même théâtre où il est employé. N'est-il
pas -visible que l'esprit de ce règlement
doit conseiller aux théâtres subvention-
nés de ne pas demander des œuvres aux
employés de l'Etat qui sont en rapport
avec eux? Que dirait-on de M. Goblet
ou de M. Turquet imposant une tragédie
ou une comédie à l'Odéon ou aux Fran-
çais ? Je ne dois pas cacher que le début
de M. Régnier sur la scène de l'Opéra
a paru plus fâcheux encore par sa qua-
lité d'employé de l'Etat aux beaux-arts,
que par la médiocrité de l'œuvre qu'il a
donnée.
Le ballet des Deux Pigeons, pour en
finir avec le libretto, a lieu « sur les
bords de la mer, aux confins de la Thes-
salie », et se passe au dix-huitième
siècle. Bonne précaution pour ne pas
permettre à la critique de s'exercer sur
le plus ou moins de vérité des costumes,
car, du diable s'il est aisé de savoir
comment s'habillaient, il y a cent ou
deux cents ans, les paysans des confins
de la Thessalie, qui pouvaient être de
trois ou quatre races différentes. Or
donc, sur ces confins, on célèbre la fête
de Mikelia, fermière et mère-grand de
Gourouli. Cette Gourouli est fianeée à
Pepio. Mais Pepio s'ennuie au logis et
il part à la suite d'une troupe de Tziga-
nes. Gourouli lui court après, s'engage
dans la troupe des Bohèmes sous une
perruque noire, et, avec ce travestisse-
ment élémentaire, tourne la tête à Pe-
pio. Il faut seulement qu'il soit puni.
Pour cela, Gourouli le fait voler au jeu
par les Tziganes, puis le laisse exposé à
la pluie et le livre enfin à la malice des
gamins du pays, dont ce grand dadais
ne sait pas se débarrasser. Enfin, il
rentre à la maison et tout finit par des
entrechats..
Sur ces situations très banales, M.
Messager a écrit une musique qui est
très agréable, quand elle est de la sim-
ple musique de danse, et qui paraît in-
suffisante, quand la situation devient
dramatique ou exige un cadre sympho-
nique. Pour tout dire, le compositeur a
écrit un divertissement plus qu'un bal-
let. Mais ce divertissement a plu, grâce
à Mme Mauri (Gourouli), à Mme Sanla-
ville (Pepio), et à la bohémienne Djali,-
c'est un nom de chèvre dans Notre-
Dame de Paris, — qui est représentée
par Mlle Hirsch. Ne parlons pas des
hommes. Il est convenu, une fois pour
toutes, qu'ils dansent tous très bien à
l'Opéra. Mme Mauri a été particulière-
ment fêtée. Sans parler de l'exécution
très parfaite de sa danse, sa physiono-
mie se prète à merveille au mélange de
malice et d'émotion que comporte son
personnage. Celui de Pepio est si piteux,
qu'on eût pu le pousser, par instants,
au franc comique. Quant à Mlle Hirsch,
qui marche de plus en plus vers les pre-
miers rôles, il ne faut pas qu'elle né-
glige de donner à ses qualités d'expres-
sion l'appui sérieux d'un entraînement
constant par les exercices classiques.
Ce qui peut lui manquer encore de ce
côté a été sensible dans la seconde va-
riation du « Pas des Voiles », qu'elle
danse de suite après Mme Mauri.
Les Deux Pigeons comportent deux
décors. Le premier représente « un par-
loir » dans une ferme. Un « parloir »
chez des paysans des confins de la
Thessalie. Enfin, passons, puisque le
décor est agréable. Le second, très
supérieur à mon gré, nous montre un
site pris de la mer, avec un grand pla-
tane occupant le milieu de la scène, et
que nous voyons foudroyé. pendant
l'orage pour rire qui apprend à Pepio
qu'on ne doit pas courir les aventures
sans manteau ni parapluie. Le second
décor, clair, selon la mode, est fort
plaisant. Pour les costumes, je n'ai
point remarqué que l'on soit sorti du
bon goût un peu banal qui est ordinaire
à l'Opéra. L'impression générale est
que tout a été fait un peu petitement,
comme si on avait eu d'avance la con-
viction que le succès ne dépasserait pas
certaines limites, qu'il a atteintes, en
effet, mais au delà desquelles je ne
pense pas qu'il aille.
Dans mon dernier feuilleton, je n'ai
pu que dire un mot des Fils de Jahel,
l'œuvre de Mme Simone Arnaud, que
joue l'Odéon. Ce n'est pas assez. Dans
sa dédicace à M. Porel, Mme Arnaud
dit : « Je vous dédie cette pièce. C'est
une œuvre de conviction et vous y avez
cru. » Il faut, en effet, une certaine dose
de conviction pour écrire une tragédie
biblique et pour la jouer; conviction
dont je félicite et le poète et le directeur
de théâtre, car je ne cache pas mon
goût pour la tragédie, à qui je ne de-
mande même pas de prendre, comme un
masque, le nom de drame. Les Fils de
Jahel sont une tragédie et doivent res-
ter ce qu'ils sont, car leurs plus grands
mérites sont ceux qu'on demande aux
tragédies et qu'on trouve dans les bon-
nes, des situations assez simples, qui
valent surtout par les passions en jeu.
Il y a une dizaine d'années environ,
un peintre, élève de M. Gérôme, M.
Becker, exposa un tableau d'un très
grand effet, représentant une vieille
femme juive défendant contre les oi-
seaux de proie des corps de suppliciés.
Cette femme était Respha, de la maison
de Saul. Le roi David, qui fut un des
plus grands scélérats du monde, avait,
en effet, fait mettre en croix sept des-
cendants de Saul. Le public, dans ces
sept crucifiés, voulut voir les sept Mac-
chabées, et, dans la vieille femme, leur
mère Salomé. Cette confusion fut si
générale, qu'un de nos collègues de la
critique, particulièrement soigneux du
détail historique, a pensé que c'est ce
tableau qui avait inspiré Mme Arnaud.
Il ne saurait en être ainsi, car les fils
de Respha furent crucifiés par leurs
compatriotes et sacrifiés à l'abominable
politique de David, l'élu du Seigneur !
Les sept Macchabées, martyrs de leur
foi, furent mis à mort beaucoup plus
tard, par un prince syrien. Ils ne s'ap-
pelaient pas, d'ailleurs, Macchabées. Ce
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