Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1887-04-02
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 02 avril 1887 02 avril 1887
Description : 1887/04/02 (A18,N5560). 1887/04/02 (A18,N5560).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
Dix-huitième annés. — N* 5560
Prix du numéro ::Paris et départements : 15 centimes Samedi 2 avril 1887
JOURNAL RÉPUBLICAIN
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76, Finsbury Pavement, E. C.
RÉGISSEURS I>'AlSriVTOT*ow- -
MM. LAGRANGE, CERF ET Æl.
6, place de la Bourses e
BULLETIN
Le Sénat a adopté, hier, le projet de
loi relatif à l'augmentation des droits de
douane sur l'importation du bétail. MM.
de Verninac, Lacombg, Tirard, ont pris
part à la discussion générale, qui n'a eu,
d'ailleurs, qu'un intérêt relatif. Il n'a été
produit aucun argument nouveau de la
part des adversaires du projet, qui a été
finalement voté par 194 voix contre 78.
La cour de Russie est soumise à deux
influences contraires, qui caractérisent
deux politiques bien tranchées. L'une a
pour représentant très autorisé M. de
Giers, ministre des affaires étrangères,
que l'on sait favorable, dans une certaine
mesure, aux vues du chancelier allemand,
et que l'on dit assez disposé au renouvelle-
ment de l'alliance des trois empereurs
L'autre politique est celle du pansla-
visme, dont M. Katkoff, directeur de la
Gazette de Moscou, est le champion ré-
solu et audacieux.
Il semble que la lutte doive être fort
inégale entre les deux hommes qui per-
sonnifient des systèmes si différents, entre
un puissant homme d'Etat et un simple
directeur de journal dont l'idguence doit
être médiocre dans un pays où la presse
est soumise au régime du bon plaisir. Il
n'en est rien, cependant. M. Katkoff est
l'ami particulier du tsar, qui lui a, en
maintes occasions, donné des témoigna-
ges publics de sympathie, sinon d'affec-
tion. De plus, il est soutenu par un parti
ardent qui nourrit contre l'Allemagne ,
mieux encore, contre les Allemands, si
nombreux en Russie, une haine implaca-
ble. Pour ces deux raisons, M. Katkoff
jouit d'une popularité qui donne à ses
écrits une autorité exceptionnelle et qui
lui a permis d'accentuer, dans ces der-
Biers temps, ses attaques contre l'Allema-
gne, et de se poser en antagoniste déclaré
de la politique dont M. de Giers s'est fait
le défenseur.
Les choses en sont venues à ce point,
que le tsar a dû intervenir. Il l'a fait avec
un tact parfait et un juste sentiment des
nécessités politiques. Il n'a point permis
que M. Katkoff fût officiellement désavoué
par le Messager du gouvernement, ainsi
que M. de Giers l'avait demandé. Il s'est
borné à lui donner une réprimande qui
parait avoir eu plutôt le caractère d'un
conseil amical. Quant à M. de Giers, qui
avait offert sa démission, il a dû la retirer,
sur la demande pressante du tsar. Par
cette solution moyenne, le tsar parait avoir
voulu indiquer ses dispositions pacifiques
à l'égard de l'Allemagne, sans décourager
les partisans du panslavisme. Il est à croire
que ni l'Allemagne ni les panslavistes ne
seront satisfaits de cette sentence mitigée.
Elle n'en doit pas moins être approuvée
par ceux que préoccupe avant tout le main-
tien de la paix entre les puissants empires
du Nord.
Mais, d'autre part, l'attitude prise par
le tsar signifie assez clairement qu'il est
aussi éloigné de rentrer dans la triple al-
liance que de rompre avec l'Allemagne.
La Post, de Berlin, mène grand tapage
à propos de l'affaire d'espionnage dont on
a parlé ces jours-ci dans la presse. Le
journal allemand s'étonne que la presse
française ait formulé des « accusations
outrageantes » contre l'Allemagne et ma-
nifesté des exigences intempestives au su-
jet d'un fait qu'elle déclarait par ailleurs
n'avoir aucune importance.
Nous n'avons pas souvenir des « accu-
sations outrageantes » dont parle la Post.
Il y a eu dans toute la presse un vif senti-
ment d'indignation contre le misérable
qui s'apprêtait à vendre son pays, si on ne
lui eût enlevé à temps les moyens d'être
nuisible. La Post peut-elle s'en plaindre ?
Il n'y a, dans l'indignation de l'opinion
publique, rien que de fort légitime. Les
espions sont de vilaines gens pour qui, en
France du moins, ou ne professe qu'une
faible estime, alors même qu'on est obligé
d'avoir recours à leurs services. Quant
aux traîtres, ils sont dans tous les pays,
en Allemagne comme ailleurs, l'objet de
l'animadversion publique.
La Post nous apprend que le gouverne-
ment français entretient des espions en
Allemagne. Nous nous en doutions un
peu ; il serait étonnant qu'il en fût autre-
ment. Il ne nous semble pas que l'Alle-
magne ait négligé ces moyens d'informa-
tion , ni avant ni après 1870.
La Post, qui, décidément, a du goût
pour les querelles d'Allemands, ajoute
que les journaux français ont demandé le
rappel de l'attaché militaire d'Allemagne,
soupçonné d'avoir entretenu des relations
suspectes avec l'employé du ministère de
la guerre dont il s'agit. C'est encore là une
imputation gratuite. Un journal a de-
mandé que les fonctions d'attaché mili-
taire fussent supprimées. C'est une opi-
nion isolée, qui se peut défendre, mais qui
n'a pas encore la valeur d'une décision ac-
ceptée par le gouvernement français et n'a
aucune chance de l'être de longtemps.
Le journal allemand n'a pas, sans doute,
la prétentiom de refléter la pensée de
l'empereur d'Allemagne, quand il nous
laisse entendre que le rappel de l'ambas-
sadeur allemand pourrait être la réponse
aux « exigences » de la presse française.
De même l'opinion individuelle d'un jour-
naliste français passera difficilement pour
un ultimatum du gouvernement de la
République. Avec un peu plus de sang-
froid, la Post en aurait jugé ainsi.
LOUIS HENEIQTOE.
INFORMATIONS PAR TICULIBRES
L'élection de l'Eure
Les délégués conservateurs, réunis hier à
Evreux, on choisi M. Mettais-Carrier, ancien
sous-préfet de Louviers, comme candidat aux
élections législatives, en remplacement de
M. Raoul Duval.
Les renseignements qui nous parviennent
de l'Eure ne laissent aucun doute sur le ré-
sultat do l'élection du 17 mars. De tous les
points du département, la candidature ré-
publicaine de M. Victor Milliard reçoit le meil-
leur accueil. Son succès est assure.
Les trains à prix réduit
M. Edouard Millaud, ministre des travaux
publics, a reçu, hier, une délégation des ou-
vriers de la banlieue parisienne qui lui a été
présentée par MM. Basly, Gamélinat et La-
bordère.
La délégation était chargée de réclamer
quelques modifications aux conventions que
l'Etat doit passer avec les compagnies, au su-
jet de l'organisation des trains ouvriers à prix
réduit.
Ces réclamations intéressent exclusivement
les ouvriers de la banlieue parisienne.
M. Millaud a promis d'étudier cette intéres-
sante question.
La convention franco-roumaine
Le Journal officiel a fait connaître que la
convention provisoire entre la France et la
Roumanie venait d'être prorogée.
A la suite de cet arrangement, des ordres
ont été donnés, par les deux gouvernements,
à leurs bureaux des douanes, pour que les
marchandises continuent à être admises aux
conditions contenues dans le traité, jusqu'à
ce qu'une nouvelle convention soit interve-
nue.
Les frontières du Tonkin v
La commission de délimitation des frontiè-
res du Tonkin est sur le point de terminer la
campagne commencée. Le différend qu'a sou-
levé la question du tracé de la ligne de dé-
marcation du côté du cap Pak-Lung est l'ob-
jet de négociations entre MM. Constans et le
Tsong-li-Yamen.
Aucun nouvel incident n'est signalé par les
nouvelles du Tonkin et de l'Annam. Il y a
toujours des actes de piraterie isolés.
QUESTIONS DU.JOUR
Le conseil municipal de Paris
devant le Sénat
Les deux commissions nommées par
le Sénat sont favorables en majorité,
l'une au projet de loi sur l'élection du
conseil municipal de Paris, l'autre à sa
disjonction d'avec le conseil général de
la Seine. Mais nous sommes aujour-
d'hui témoins d'un phénomène parle-
mentaire assez commun, tel que nous
en avons constaté déjà quelques-uns.
Il s'est trouvé que nombre de sénateurs
se sont ravisés après l'élection dans les
bureaux de ces deux commissions fa-
vorables, et qu'il n'est plus question,
depuis hier, que de l'opposition rencon-
trée par les deux projets au Luxem-
bourg. Le Centre gauche demande
l'ajournement. L'Union républicaine
aussi. La Gauche républicaine a réservé
jusqu'à lundi son opinion, qui ne sera
sans doute pas dissemblable. Quant à la
Droite, elle s'est nettement prononcée
contre la disjonction des deux projets
et contre toute innovation dans l'élec-
tion de notre conseil municipal. Les
deux commissions, réunies sous un
même président, ont interrogé M. Go-
blet, qui a déclaré accepter la sépara-
tion des conseils et même y voir quel-
que avantage. Nous ne parlons pas de
l'augmentation des conseillers, puis-
qu'elle est le fait de l'honorable minis-
tre autant que de M. Sigismond La-
croix.
Ce coup de théâtre diminue incontes-
tablement, pour les Barisiens, les chan-
ces de faire les élections de mai au nou-
veau scrutin. Quoi qu'en puissent pen-
ser les no mbres du conseil municipal
qui ont réclamé le tout ou rien, il recule
aussi l'époque de la réorganisation pro-
jetée. C'était du terrain gagné, on aura
beau dire, que cette réforme électorale
et cette disjonction des conseils. Les
objections soulevées dans les entretiens
des sénateurs ne nous paraissent pas
aussi graves que nos confrères du Temps
nous les présentent dans l'article qu'ils
y consacrent. Ce sont plutôt les préven-
tions qui sont sérieuses, ces préven-
tions dont la naissance a été si tardive.
Le Temps. s'émeut d'un saut dans l'in-
connu. Le premier saut du moins ne
sera pas un saut périlleux. Qu'on pré-
sente des objections sur l'inconvénient
qu'il peut y avoir à opérer la séparation
des deux conseils, le municipal et le
départemental, avant que l'un et l'autre
aient reçu leur organisation particulière,
c'est un point sur lequel je comprends
que le Sénat ait des scrupules. A cet
égard, la discussion où M. Goblet pren-
dra la parole l'instruira suffisamment et
le rassurera peut-être. Nous le souhai-
tons fort. Mais, quant à procéder aux
élections de mai d'après le système
adopté par la Chambre, quel inconvé-
nient y aurait-il? Quel « péril » sérieux
la prudence du Sénat peut-elle allé-
guer ?
Nous le saurons dans quelques jours,
sans doute. En attendant, il serait dé-
sirable que les sénateurs républicains
n'apportent pas trop de parti pris dans
l'examen, non seulement des deux pro-
jets préliminaires, mais encore dans
les prévisions auxquelles ils se livreront
au suiet du projet d'ensemble crui leur
arrivera du Palais-Bourbon. Paris n'i-
gnore pas que sa liberté municipale
doit être gênée par sa situation de ca-
pitale, et que la prévoyance des gou-
vernements, même républicains, a le
droit d'invoquer quelques raisons pour
que nous ne soyons pas traités exacte-
ment sur le pied des autres communes.
Mais, quand nous réclamons la plus
grande somme de liberté possible, nous
sommes dans notre droit et dans notre
rôle, et nous regretterions que l'on con-
tinuât trop longtemps d'ajourner l'oc-
troi de franchises qui ne sauraient cau-
ser d'inquiétude au sein d'une démo-
cratie bien assise.
Dans le parti conservateur, et même
dans le parti conservateur républicain,
on n'a pas cessé d'entretenir de sévères
préventions contre Paris. Pour être
franc, notre conseil municipal a quel-
quefois contribué à les alimenter. On
n'en doit pas moins rendre à notre po-
pulation la justice de la considérer sous
son véritable aspect. Certes, il y a main-
tenant, et il y aura toujours sans doute
dans Paris, une majorité radicale, plus
ou moins teintée de socialisme, — je
prends le mot dans son meilleur sens,
— et il ne se fera point de loi électo-
rale, municipale ou autre, qui réussisse
à changer sa couleur. C'est qu'on n'est
pas deux millions d'habitants à se ser-
rer les coudes, dans une ville immense,
amoureuse de progrès et de liberté,
sans qu'il en résulte une grande pous-
sée d'esprit démocratique. Quant à
la tourbe ultra-révolutionnaire, com-
primée ou non, nous- l'aurons tou-
jours. Mais, la réflexion, l'expérience
et l'instruction progressive aidant, la
démocratie parisienne a réduit les grou-
pes de la révolution à outrance à se can-
tonner de plus en plus. Sous ce rapport,
les réunions publiques les plus tumul-
tueuses ont eu un résultat intéressant :
sans épigramme, quelques-uns de nos
conseillers autonomistes y ont trouvé
leur salle Graffard, — un enseignement,
une leçon! Rendons-leur, après cela,
cette justice, ainsi qu'à tous les répu-
blicains du conseil, qu'ils n'ont point
épargné leurs efforts, et qu'ils sont, au-
tant que cela dépend d'eux, des admi-
nistrateurs actifs, zélés, soucieux, avant
tout, des intérêts de la ville. Quant à la
politique, la France vient d'applaudir au
vote où notre conseil municipal a con-
densé en quatre lignes ce que nous
pensons tous, nous républicains qui,
dans des conditions diverses, avons vu
le 18 Mars et connu la suite. Paris n'est
donc pas tant que l'on veut bien le dire
la ville révolutionnaire que l'on pense
avoir découverte hier à l'observatoire
du Luxembourg. Son ambition d'étendre
sa liberté municipale est naturelle ; elle
ne sera point dangereuse dans les limi-
tes où le gouvernement a tracé l'en-
semble de la future loi.
EUG. LItBERT.
M. Ranc consacre son article du
Matin au discours de M. Goblet dans la
discussion des erédits supplémentaires,
et il entremêle l'appréciation du dis-
cours d'appréciations sur la personne
qui ne sont pas 'particulièrement obli-
geantes. M. Ranc, entre autres assertions,
prétend qu'il fut un temps où M. Goblet
ne dédaignait pas la politique de cou-
loirs et où il se mêlait activement à tou-
tes les intrigues, a toutes les manœu-
vres dirigées contre Gambetta.
Les souvenirs de M. Ranc le servent
mal. M. Goblet ne s'est jamais associé
à ces manœuvres. Quand l'opposition
contre Gambetta devint le mot d'ordre
d'une fraction de la Chambre, M. Goblet
refusa de faire partie d'aucun des grou-
pes qui se formèrent dans ce but. Il a
sans cesse montré qu'il n'était pas parti-
san de la politique des groupes, en refu-
sant toujours d'aliéner son indépen-
dance en entrant dans un quelconque
d'entre eux. Il a toujours voulu rester et
il est toujours resté un indépendant,
agissant suivant ses opinions person-
nelles, sans vouloir participer aux intri-
gues ou aux manœuvres, de quelque
nature qu'elles pussent être.
Puisque M. Ranc rappelle le souve-
nir de la lutte contre Gambetta, nous
pouvons, nous aussi, rappeler le souve-
nir de l'époque où le cabinet Gambetta
présenta le projet de revision de la
Constitution, dont l'échec devait entraî-
ner sa chute. Au moment où ce projet
fut soumis à l'examen des bureaux
de la Chambre, M. Goblet faisait partie
du neuvième bureau, ainsi que MM. An-
tonin Proust, ministre des arts, Raynal,
ministre des travaux publics, et Rou-
vier, ministre du commerce. Nous avons
eu la curiosité de rechercher le compte
rendu de la discussion qui s'engagea
dans ce bureau au sujet du projet de
Gambetta. Onze membres prirent la
parole. C'étaient MM. Barbedette,
Ganne, Jules Maigne, Lockroy, Ernest
Lefèvre, Franck Chauveau, Goblet, Pey-
tral, Louis Legrand, de Hérédia et Mar-
tin Nadaud. Aucun des membres du
gouvernement ne défendit le projet, qui
fut successivement critiqué, pour diver-
ses raisons, par neuf membres du bureau.
Les deux députés qui le soutinrent furent
MM. Martin Nadaud et Goblet. Celui-ci
disait qu'on ne pouvait pas ne pas faire
la revision, parce qu'il y avait sur ce
point un contrat entre le pays et la
Chambre. Il défendait la théorie de la
revision limitée. Il faisait ses réserves
sur le mode de recrutement proposé
pour.le Sénat, mais il annonçait qu'il
voterait pour le scrutin de liste, « parce
qu'il ne faut laisser échapper aucune
occasion de l'établir. » Il critiquait la
procédure proposée par le gouverne-
ment, mais il ajoutait: « Le pays, qui en
veut au bénat d'avoir rejeté, l'an der-
nier, le scrutin de liste, ne compren-
drait pas que nous ouvrions une crise
sur cette question de mauvaise procé-
dure ».
Où M. Rane voit-il dans ces paroles
trace de la malveillance qu'il attribue à
M. Goblet à l'égard de Gambetta? Le re-
proche est aussi exact que celui par
lequel M. Ranc termine son article, lors-
qu'il soutient que M. Goblet, dans son
discours de mercredi dernier, a adressé
des invites à la Droite. Que M. Ranc re-
lise dans le discours de M. Goblet le
passage incriminé. Il y verra que l'invite
consiste à dire à la Droite : « Nous
serions fort heureux si, renonçant à vos
illusions monarchiques et à toutes les
théories réactionnaires qui font la base
de votre système politique, vous veniez
grossir les rangs de la majorité répu-
blicaine. » Est-il, sur les bancs de la
Chambre un seul républicain qui puisse
refuser d'accueillir les nouvelles recrues
que la majorité ferait parmi les oppo-
sants, dans ces conditions ? III ne s'agis-
sait même pas, dans la pensée de M.
Goblet, et rien dans ses paroles ne per-
mettait de croire qu'il s'agît de la Droite
constitutionnelle. Il s'agissait purement
et simplement de l'accession de la Droite
aux opinions de la majorité. Nous insis-
tons sur ce point, afin de ne pas per-
mettre à une nouvelle légende de se
former, car, une fois les légendes éta-
blies, il est très difficile de les détruire,
et l'article de M. Rane nous en fournit
une preuve manifeste.
La France soutient que la Chambre ne
devrait nommer la commission du budget
qu'au retour des vacances, parce que, « en
la formant dès à présent, elle aurait l'air
de croire et l'apparence de vouloir faire
croire qu'elle a en face d'elle un budget
accepté ou tout au moins acceptable. »
L'argument nous paraît assez bizarre. La
Chambre, en effet, n'a pas à apprécier si
les projets qui lui sont présentés sont
acceptables ou s'ils ne méritent même
pas d'être soumis à une commission. Elle
doit renvoyer ces projets à l'examen d'une
commission. Suivant qu'elle les croit bons
ou mauvais, elle nomme une commission
favorable ou opposée, qui conclut à l'adop-
tion ou au rejet et dont les conclusions
sont discutées par la Chambre.
Quel que soit, d'ailleurs, le sentiment
que l'on puisse avoir sur le projet de bud-
get, nous ne voyons pas comment ce pro-
jet sera modifié pendant les vacances. La
Chambre le retrouvera à la rentrée tel
qu'elle le possède aujourd'hui, car le gou-
vernement n'a pas annoncé l'intention de
le retirer pour lui en substituer un autre.
On se demande ce que la commission
élue « sur des négations accumulées »
pourrait bien faire dans ses réunions,
et on soutient qu'elle travaillerait mal ou
pas du tout sur des « projets provisoi-
res ». Ce n'est pas le renvoi de l'élection
à un mois qui rendra les projets définitifs.
On aura seulement gagné ceci, que la
commission élue en mai ne - se - mettra
guère au travail avant le mois de juin,
et qu'on pourra préparer, sans plus tar-
der, un projet de douzièmes provisoires
pour 1888, et ce ne sera pas seulement
deux douxièmes qu'il faudra demander.
Nous comprenons d'autant moins la
valeur du raisonnement de la France,
qu'elle nous apprend que « la majorité de
la Chambre a pour doctrine que les com-
missions du budget ne sont pas faites
pour substituer des plans nouveaux aux
plans du gouvernement ». Doctrine de
fraîche date, on l'avouera, que la commis-
sion de l'impôt sur le revenu a prétendu
instituer, mais que la commission du
budget de 1887 avait paru ignorer, et dont
la commission relative à la réforme ad-
ministrative n'a jamais semblé se dou-
ter.
Ce que la France paraît surtout pour-
suivre, c'est la campagne ouverte contre
les projets financiers de M. Dauphin. Elle
semble compter que le ministre des finan-
ces sera mis en minorité sur la réforme de
la contribution mobilière, et qu'après cet
échec, il sera obligé de se retirer. On ne
nommerait la commission du budget
qu'après que son successeur aurait repris
le projet de loi qu'il a déposé et en aurait
présenté un autre. Le plan est ingénieux ;
mais la conspiration est percée à jour. Il
faut que la Chambre s'explique sur le pro-
jet de réforme de la contribution mobi-
lière avant de discuter le budget; mais on
ne peut ajourner la nomination de la com-
mission du budget sous ce prétexte. Le
projet de réforme n'entre dans la balance
du budget que pour une quarantaine de
millions, et M. Dauphin a déjà fait savoir
que, si cette ressource lui manquait, il en
trouverait une autre. Il est donc inexact
de dire que cette réforme est la base du
budget.
Quant à soutenir qu'il « n'y a pas de
budget, et que quand il n'y a pas de bud-
get il n'y a pas lieu de nommer une com-
mission du budget », c'est une allégation
qui est contredite matériellement. Il y a
un projet qui a été déposé et distribué. La
Chambre ne peut l'écarter par prétérition
et lui opposer par avance une sorte de
question préalable. Il faut donc nommer
la commission du budget au plus vite et
donner à cette commission mandat de sai-
sir la Chambre de son rapport dans le dé-
lai le plus court qu'on pourra.
CHRONIQUE
C'est la vie parisienne, que le passage
perpétuel, sans transition, d'un spectacle
aimable à un spectacle lugubre. Je me
suis laissé conduire, l'autre jour, au
cours de médecine légale qui a lieu à
la Morgue. Les assistants sont tenus au
secret sur le résultat des autopsies
qui sont faites devant eux, mais rien ne
défend un croquis de ce cours, professé
avec autorité par M. Brouardel. Il faut
dire que ce cours n'existe nulle part
ailleurs et que l'honneur de sa création
revient tout entier à la Faculté et à la
municipalité de Paris.
On pénètre dans la salle par un couloir
étroit, sur lequel deux portes s'ouvrent.
La première est le salon, mélancolique-
ment meublé de fauteuils du velours
vert administratif, où se réunissent les
magistrats, lors d'une confrontation. La
seconde donne accès à ce que l'on ap-
pelle, bien pompeusement, à ce qu'il
semble, la « salle des familles» : sinistre
réduit bitumé, froid, sombre, affreux,
qui est le seul endroit où des parents en
deuil peuvent dire adieu à leurs morts.
A Paris, où le respect des choses funè-
bres est si grand, cette espèce de cellule
misérable réservée à la douleur produit
une impression désolante.
Nous voici dans l'amphithéâtre, dont
l'exiguïté frappe tout de suite. Des gra-
dins s'élèvent, terminés par une espèce
de plate-forme où doivent s'entasser
ceux qui ne sont pas arrivés longtemps
avant l'heure. Une odeur- fade persiste,
malgré l'air saturé de phénol et malgré
la fumée du tabac, car presque tout le
monde fume.
Au centre, la table d'autopsie. Au mo-
ment où nous arrivons, M. Brouardel,
en tablier blanc, une calotte sur la tête,
un cigare à la bouche, fouille, avec les
mains, dans les entrailles d'une jeune
femme assez belle, bien que d'une ef-
frayante maigreur, qu'un de ses aides
vient de mettre à découvert. Négligem-
ment,- en apparence du moins,— avec
l'aisance de l'habitude, il essuie, par
moment, lorsqu'il s'en est servi, son
scalpel sur les cuisses du cadavre.
Il est, ce jour-là, fort enrhumé, et, sans
que la gravité de la leçon soit en rien
compromise, il s'excuse familièrement
d'être obligé de s'interrompre de temps
en temps pour se laver les mains à une
petite fontaine suspendue au mur et
pour se moucher. Ce naturel, cette tran-
quillité au milieu de son œuvre tra-
gique, ces - détails vulgaires dans le
grand sérieux de ce qui se passe, ne
risquent pas de diminuer l'espèce de
majesté de la scène, pour nos yeux
profanes.
Puis, délicatement, il plonge de nou-
veau dans ce corps béant et en retire
les viscères, qu'il fait examiner, trou-
vant, sans hésitation, le - - mot juste et
expressif. Il s'agit, je crois, d'un soup-
çon d'empoisonnement : il examine d'a-
bord si la mort ne peut pas être due à
des causes naturelles. Le mystère de
l'organisme humain s'étale là, et, dans
la large déchirure qui met à nu le cœur,
le foie, l'estomac, un étonnement un
peu puéril de demi-ignorant nous vient
de la disposition merveilleuse de leur
entassement dans ce frêle corps, qui ne
semblait point pouvoir les contenir.
Tous ces organes, remués dans la main,
paraissent énormes, démesurés.
Le professeur, après les avoir extraits,
les dépose sur la table de marbre, dans
l'espace laissé libre par le cadavre. Il
en montre magistralement les anoma-
lies, les plaies, les imperfections. Der-
rière lui, un garçon de laboratoire, en
tablier blanc souillé de sang, se tient,
un bocal à la main, prêt à recueillir le
contenu des viscères, pour l'analyse chi-
mique. Tout le long de la pièce, d'ail-
leurs, courent, sur des planches de bois
blanc, des bocaux semblables, couverts
d'étiquettes multiples et timbrées du
sceau de la Morgue, car ces débris sont
maintenant des pièces administratives,
comme les dossiers de ministères qui
dorment dans les cartons verts. De cette
morte qui est là et dont, pour nous qui
ne sommes pas médecin, l'histoire se
pose comme un irritant problème, de
cette femme, qui a succombé jeune, —
à quelle aventure ? — il ne restera bien-
tôt que de pareils fragments, dans de
pareils vases de verre ! mais les assis-
tants, qui écoutent religieusement la
parole du maître, n'ont pas souci de
faire de la philosophie, qui serait là fort
inopportune. Ils se pressent autour du
professeur, si près de lui, dans l'exi-
guïté du local, qu'ils gênent ses mouve-
ments et qu'il est obligé de leur deman-
der courtoisement de lui laisser plus de
place. Sur une toute petite table voi-
sine, un gros registre est placé, et, de-
bout, un autre aide écrit le procès-ver-
bal de l'autopsie. Des élèves prennent
des notes, difficilement, tant ils sont
serrés les uns sur les autres ; le cahier
d'un d'entre eux s'appuie sur le front du
cadavre.
Peu à peu, le scalpel fait son œuvre,
tranche les chairs, abat de larges mor-
ceaux de ce pauvre corps. Dans un ré-
sumé d'une admirable clarté, M. Brouar-
del fait ses conclusions, établit l'enquête
scientifique à laquelle il s'est livré,
retrace la marche de ses investigations.
Puis il s'adresse à quelques-uns de ses
auditeurs, répond à leurs questions,
tout en se lavant de nouveau les mains.
Enfin, un grand brouhaha, les gradins
se vident et quelques élèves le suivent
dans le hideux salon de velours vert,
où il va signer son rapport. Et nous res-
tons une minute dans la salle abandon-
née, devant cette carcasse maintenant
ouverte entièrement, qui gît là, jus-
qu'aumoment où des employés s'en em-
pareront. Par la double fenêtre, large
et placée très haut, qui éclaire la pièce,
silencieuse à présent, un rayon de so-
leil reflète sur le cadavre l'ombre des
barreaux.
Mais il ne s'agit pas de vaines émo-
tions, encore qu'elles soient excusa-
bles pour d'autres que pour des méde-
cins. Ce qui est à retenir, c'est ceci :
Voici un enseignement d'une haute uti-
lité, un enseignement admirable et uni-
que. Il apprend aux praticiens qui peu-
vent avoir, à un moment donné, la ter-
rible responsabilité de conclure sur
l'innocence ou la culpabilité d'un pré-
venu, à répondre fermement aux ques-
tions de la justice. Sur leur verdict, la
vie d'un accusé pourra être en jeu ; ils
seront chargés d'une des missions les
plus graves qui soient. Or, cet enseigne-
ment est donné dans des conditions
matérielles déplorables. Le docteur
Gilles de la Tourette a raconté - que,
faute de place, près de trois cents ins-
criptions doivent être refusées, et que
ceux qui sont admis, forcés sans cesse
de faire place à d'autres, ne peuvent
guère assister à plus de douze cours, ce
qui est insuffisant. Faute de place en-
core, les élèves ne peuvent assister à
d'autres parties de l'enseignement : Jea
préparations microscopiques ne se font
pas aussi souvent qu'il le faudrait, les
analyses chimiques ont lieu, non sur
place, mais au laboratoire établi dans
l'ancien collège Rollin. Au point de vue
judiciaire, de là aussi des pertes de
temps qui sont très préjudiciables aux
enquêtes.Tous les médecins demandent
instamment l'édification d'un vaste am-
phithéâtre, avec une série de laboratoi-
res, des dispositions pratiques et com-
modes. Un enseignement aussi élevé
que celui-là aurait bien droit à être
traité avec plus d'égards, et il est re-
grettable que de simples raisons d'es-
pace trop limité empêchent son déve-
loppement. Le seul remède, ce serait la
reconstruction de la Morgue, devenue,
aujourd'hui surtout, un établissement
scientifique. Les autopsies y sont natu-
rellement fréquentes ; or, les experts
doivent souvent attendre, au grand
détriment des instructions criminelles,
car il n'y a là qu'une seule table d'au-
topsie ! Cette reconstruction, on l'a de-
mandée depuis longtemps et on l'a
même promise : mais rien ne semble
devoir être fait dans un avenir prochain.
Quand on a assisté par hasard à Ice
cours imposant, professé dans un loal
mal éclairé, de forme irrégulière, piteu-
sement construit, au milieu d'un entas-
ment de personnes qui toutes ne peu-
vent suivre le maître; quand on réflé-
chit aux moyens mesquins qui sont mis
à la disposition des enquêteurs de si
graves problèmes, il n'y a pas besoin
d'être médecin pour se joindre à ceux
qui réclament avec instance des modi-
fications matérielles à un enseignement
dont la science française a le droit
d'être fière, comme d'une chose unique.
PAUL GINISTY.
en
LE PARLEMENT
SÉANCE OU- SÉNAT
Le tarif général des douanes
Dans sa séance d'hier le Sénat a continué la
discussion du projet de loi portant modifica-
tion du tarif général des .douanes. C'est la
partie du projet relative à la protection du dé-
tail, qu'on a discutée.
M. de Verninac n'est pas partisan de la
protection des bestiaux ainsi comprisei. Il
croit que la loi que l'on propose n'aura aucun
effet et n'amènera aucun résultat pratique.
M. Lacombe déclare qu'il votera la loi. Il
établit, à l'aide de chiffres, que l'application
de la loi procurera aux éleveurs français un
placement avantageux de leurs produits sans
que les prix de consommation en soient sensi-
blement augmentés.
M. Tirard a prononcé ensuite un admirable
discours. L'orateur est libre- échangiste, il a
voté contre le droit sur les céréales, il votera
également contre le droit sur le bétail.
M. Tirard explique ainsi les motifs de son
attitude :
En premier lieu, il est toujours grave de
toucher aux lois qui peuvent modifier le prix
des substances alimentaires ; l'élévation des
droits d'entrée n'est pas, le plus souveàt,
utile aux producteurs, mais elle amène tou-
jours la hausse du prix de la viande pour le
consommateur, et cela se comprend, car elle
donne un prétexte aux intermédiaires.
M. le ministre a dit qu'on ne pouvait se -
courir l'agriculture que par des augmenta-
tions de droits ; c'est un bien grand malheur,
et cela est bien effrayant pour l'avenir de no-
tre agriculture ; mais je ne suis pas de l'avis
de M. le ministre. Avec des lois bien justes,
on peut obtenir des résultats absolument
inespérés. Je vais en donner la preuve.
En 1871, la population chevaline avait dis-
paru. L'Assemblée a fait une loi composée
de quelques articles, sur le rapport de M. Bo-
cher. A l'aide de cette loi, qui a augmenté le
nombre de nos étalons, qui a donné des pri-
mes aux éleveurs, on est arrivé sans aug-
mentation de droits de douane, à ce résultat
heureux, que naguère M. le ministre dôla
guerre a déclaré qu'il n'avait nul besoin de
faire venir des chevaux de l'étranger.
M. Tirard termine en exprimant l'espoir
que le Sénat repoussera la loi.
La discussion générale est close.
M. Guyot (Rhône), sur l'article 1er, qui
porte de 25 à 38 fr. le droit sur les bœufs,
fait remarquer que le prix de la viande sur
pied a baissé. L'élevage souffre incontestable-
ment, mais il fait néanmoins de très beaux
bénéfiees.
L'orateur demande au Sénat de ne pas vo-
ter l'augmentation de droit. - |
Il est procédé, sur le paragraphe premier
de l'article premier (bœufs), à un scrutin dont
voici le résultat :
Nombre de votants. 272
Majorité absolue. 137
Pour l'adoption 194
Contre. : 78
Les trois articles et l'ensemble de la loi
sont adoptés. Le Sénat se sépare ensuite do
s'ajournant à aujourd'hui.
COULISSES mmmkm
L'organisation municipale de Paris. — Les émi-
grants et la loi militaire. — L'arbitrage entre
patrons et ouvriers. — La réforme adminis-
trative.
Trois groupes se sont réunis hier, au Sénat,
pour délibérer sur les deux projets , adoptés
par la Chambre et relatifs : l'un, à l'élection
du conseil municipal de Paris au scrutin de
liste par arrondissement; l'autre, à la sépara-
tion du conseil général de la Seine du conseil
municipal de Paris.
Nous avons dit que la commission nommée
avant-hier par les bureaux pour le premier
projet lui est en majorité favorable. La com-
mission pour le second projet a également
émis un avis favorable et nommé rapporteur
M. Georges Martin, sénateur de Paris. Ces
deux résultats ont produit une certaine émo-
tion dans les groupes républicains du Sénat.
Les bureaux des trois groupes, réunis avant-
hier, avaient pensé que ces graves questions
méritaient un examen moins rapide et plus
approfondi, et avaient décidé d'en saisir leurs
groupos respectifs.
C'est afin de pousser le Sénat à prendre une
décision avant les vacances de Pâques, que
ces groupes se sont réunis hier.
L'Union républicaine, sous la présidence de
M. Cazot, s'est prononcée pour l'ajournement
du débat. Le groupe demande que la discus-
Prix du numéro ::Paris et départements : 15 centimes Samedi 2 avril 1887
JOURNAL RÉPUBLICAIN
REDACTION
adresser au Secrétaire de la Rédaction
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Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrateur
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RÉGISSEURS I>'AlSriVTOT*ow- -
MM. LAGRANGE, CERF ET Æl.
6, place de la Bourses e
BULLETIN
Le Sénat a adopté, hier, le projet de
loi relatif à l'augmentation des droits de
douane sur l'importation du bétail. MM.
de Verninac, Lacombg, Tirard, ont pris
part à la discussion générale, qui n'a eu,
d'ailleurs, qu'un intérêt relatif. Il n'a été
produit aucun argument nouveau de la
part des adversaires du projet, qui a été
finalement voté par 194 voix contre 78.
La cour de Russie est soumise à deux
influences contraires, qui caractérisent
deux politiques bien tranchées. L'une a
pour représentant très autorisé M. de
Giers, ministre des affaires étrangères,
que l'on sait favorable, dans une certaine
mesure, aux vues du chancelier allemand,
et que l'on dit assez disposé au renouvelle-
ment de l'alliance des trois empereurs
L'autre politique est celle du pansla-
visme, dont M. Katkoff, directeur de la
Gazette de Moscou, est le champion ré-
solu et audacieux.
Il semble que la lutte doive être fort
inégale entre les deux hommes qui per-
sonnifient des systèmes si différents, entre
un puissant homme d'Etat et un simple
directeur de journal dont l'idguence doit
être médiocre dans un pays où la presse
est soumise au régime du bon plaisir. Il
n'en est rien, cependant. M. Katkoff est
l'ami particulier du tsar, qui lui a, en
maintes occasions, donné des témoigna-
ges publics de sympathie, sinon d'affec-
tion. De plus, il est soutenu par un parti
ardent qui nourrit contre l'Allemagne ,
mieux encore, contre les Allemands, si
nombreux en Russie, une haine implaca-
ble. Pour ces deux raisons, M. Katkoff
jouit d'une popularité qui donne à ses
écrits une autorité exceptionnelle et qui
lui a permis d'accentuer, dans ces der-
Biers temps, ses attaques contre l'Allema-
gne, et de se poser en antagoniste déclaré
de la politique dont M. de Giers s'est fait
le défenseur.
Les choses en sont venues à ce point,
que le tsar a dû intervenir. Il l'a fait avec
un tact parfait et un juste sentiment des
nécessités politiques. Il n'a point permis
que M. Katkoff fût officiellement désavoué
par le Messager du gouvernement, ainsi
que M. de Giers l'avait demandé. Il s'est
borné à lui donner une réprimande qui
parait avoir eu plutôt le caractère d'un
conseil amical. Quant à M. de Giers, qui
avait offert sa démission, il a dû la retirer,
sur la demande pressante du tsar. Par
cette solution moyenne, le tsar parait avoir
voulu indiquer ses dispositions pacifiques
à l'égard de l'Allemagne, sans décourager
les partisans du panslavisme. Il est à croire
que ni l'Allemagne ni les panslavistes ne
seront satisfaits de cette sentence mitigée.
Elle n'en doit pas moins être approuvée
par ceux que préoccupe avant tout le main-
tien de la paix entre les puissants empires
du Nord.
Mais, d'autre part, l'attitude prise par
le tsar signifie assez clairement qu'il est
aussi éloigné de rentrer dans la triple al-
liance que de rompre avec l'Allemagne.
La Post, de Berlin, mène grand tapage
à propos de l'affaire d'espionnage dont on
a parlé ces jours-ci dans la presse. Le
journal allemand s'étonne que la presse
française ait formulé des « accusations
outrageantes » contre l'Allemagne et ma-
nifesté des exigences intempestives au su-
jet d'un fait qu'elle déclarait par ailleurs
n'avoir aucune importance.
Nous n'avons pas souvenir des « accu-
sations outrageantes » dont parle la Post.
Il y a eu dans toute la presse un vif senti-
ment d'indignation contre le misérable
qui s'apprêtait à vendre son pays, si on ne
lui eût enlevé à temps les moyens d'être
nuisible. La Post peut-elle s'en plaindre ?
Il n'y a, dans l'indignation de l'opinion
publique, rien que de fort légitime. Les
espions sont de vilaines gens pour qui, en
France du moins, ou ne professe qu'une
faible estime, alors même qu'on est obligé
d'avoir recours à leurs services. Quant
aux traîtres, ils sont dans tous les pays,
en Allemagne comme ailleurs, l'objet de
l'animadversion publique.
La Post nous apprend que le gouverne-
ment français entretient des espions en
Allemagne. Nous nous en doutions un
peu ; il serait étonnant qu'il en fût autre-
ment. Il ne nous semble pas que l'Alle-
magne ait négligé ces moyens d'informa-
tion , ni avant ni après 1870.
La Post, qui, décidément, a du goût
pour les querelles d'Allemands, ajoute
que les journaux français ont demandé le
rappel de l'attaché militaire d'Allemagne,
soupçonné d'avoir entretenu des relations
suspectes avec l'employé du ministère de
la guerre dont il s'agit. C'est encore là une
imputation gratuite. Un journal a de-
mandé que les fonctions d'attaché mili-
taire fussent supprimées. C'est une opi-
nion isolée, qui se peut défendre, mais qui
n'a pas encore la valeur d'une décision ac-
ceptée par le gouvernement français et n'a
aucune chance de l'être de longtemps.
Le journal allemand n'a pas, sans doute,
la prétentiom de refléter la pensée de
l'empereur d'Allemagne, quand il nous
laisse entendre que le rappel de l'ambas-
sadeur allemand pourrait être la réponse
aux « exigences » de la presse française.
De même l'opinion individuelle d'un jour-
naliste français passera difficilement pour
un ultimatum du gouvernement de la
République. Avec un peu plus de sang-
froid, la Post en aurait jugé ainsi.
LOUIS HENEIQTOE.
INFORMATIONS PAR TICULIBRES
L'élection de l'Eure
Les délégués conservateurs, réunis hier à
Evreux, on choisi M. Mettais-Carrier, ancien
sous-préfet de Louviers, comme candidat aux
élections législatives, en remplacement de
M. Raoul Duval.
Les renseignements qui nous parviennent
de l'Eure ne laissent aucun doute sur le ré-
sultat do l'élection du 17 mars. De tous les
points du département, la candidature ré-
publicaine de M. Victor Milliard reçoit le meil-
leur accueil. Son succès est assure.
Les trains à prix réduit
M. Edouard Millaud, ministre des travaux
publics, a reçu, hier, une délégation des ou-
vriers de la banlieue parisienne qui lui a été
présentée par MM. Basly, Gamélinat et La-
bordère.
La délégation était chargée de réclamer
quelques modifications aux conventions que
l'Etat doit passer avec les compagnies, au su-
jet de l'organisation des trains ouvriers à prix
réduit.
Ces réclamations intéressent exclusivement
les ouvriers de la banlieue parisienne.
M. Millaud a promis d'étudier cette intéres-
sante question.
La convention franco-roumaine
Le Journal officiel a fait connaître que la
convention provisoire entre la France et la
Roumanie venait d'être prorogée.
A la suite de cet arrangement, des ordres
ont été donnés, par les deux gouvernements,
à leurs bureaux des douanes, pour que les
marchandises continuent à être admises aux
conditions contenues dans le traité, jusqu'à
ce qu'une nouvelle convention soit interve-
nue.
Les frontières du Tonkin v
La commission de délimitation des frontiè-
res du Tonkin est sur le point de terminer la
campagne commencée. Le différend qu'a sou-
levé la question du tracé de la ligne de dé-
marcation du côté du cap Pak-Lung est l'ob-
jet de négociations entre MM. Constans et le
Tsong-li-Yamen.
Aucun nouvel incident n'est signalé par les
nouvelles du Tonkin et de l'Annam. Il y a
toujours des actes de piraterie isolés.
QUESTIONS DU.JOUR
Le conseil municipal de Paris
devant le Sénat
Les deux commissions nommées par
le Sénat sont favorables en majorité,
l'une au projet de loi sur l'élection du
conseil municipal de Paris, l'autre à sa
disjonction d'avec le conseil général de
la Seine. Mais nous sommes aujour-
d'hui témoins d'un phénomène parle-
mentaire assez commun, tel que nous
en avons constaté déjà quelques-uns.
Il s'est trouvé que nombre de sénateurs
se sont ravisés après l'élection dans les
bureaux de ces deux commissions fa-
vorables, et qu'il n'est plus question,
depuis hier, que de l'opposition rencon-
trée par les deux projets au Luxem-
bourg. Le Centre gauche demande
l'ajournement. L'Union républicaine
aussi. La Gauche républicaine a réservé
jusqu'à lundi son opinion, qui ne sera
sans doute pas dissemblable. Quant à la
Droite, elle s'est nettement prononcée
contre la disjonction des deux projets
et contre toute innovation dans l'élec-
tion de notre conseil municipal. Les
deux commissions, réunies sous un
même président, ont interrogé M. Go-
blet, qui a déclaré accepter la sépara-
tion des conseils et même y voir quel-
que avantage. Nous ne parlons pas de
l'augmentation des conseillers, puis-
qu'elle est le fait de l'honorable minis-
tre autant que de M. Sigismond La-
croix.
Ce coup de théâtre diminue incontes-
tablement, pour les Barisiens, les chan-
ces de faire les élections de mai au nou-
veau scrutin. Quoi qu'en puissent pen-
ser les no mbres du conseil municipal
qui ont réclamé le tout ou rien, il recule
aussi l'époque de la réorganisation pro-
jetée. C'était du terrain gagné, on aura
beau dire, que cette réforme électorale
et cette disjonction des conseils. Les
objections soulevées dans les entretiens
des sénateurs ne nous paraissent pas
aussi graves que nos confrères du Temps
nous les présentent dans l'article qu'ils
y consacrent. Ce sont plutôt les préven-
tions qui sont sérieuses, ces préven-
tions dont la naissance a été si tardive.
Le Temps. s'émeut d'un saut dans l'in-
connu. Le premier saut du moins ne
sera pas un saut périlleux. Qu'on pré-
sente des objections sur l'inconvénient
qu'il peut y avoir à opérer la séparation
des deux conseils, le municipal et le
départemental, avant que l'un et l'autre
aient reçu leur organisation particulière,
c'est un point sur lequel je comprends
que le Sénat ait des scrupules. A cet
égard, la discussion où M. Goblet pren-
dra la parole l'instruira suffisamment et
le rassurera peut-être. Nous le souhai-
tons fort. Mais, quant à procéder aux
élections de mai d'après le système
adopté par la Chambre, quel inconvé-
nient y aurait-il? Quel « péril » sérieux
la prudence du Sénat peut-elle allé-
guer ?
Nous le saurons dans quelques jours,
sans doute. En attendant, il serait dé-
sirable que les sénateurs républicains
n'apportent pas trop de parti pris dans
l'examen, non seulement des deux pro-
jets préliminaires, mais encore dans
les prévisions auxquelles ils se livreront
au suiet du projet d'ensemble crui leur
arrivera du Palais-Bourbon. Paris n'i-
gnore pas que sa liberté municipale
doit être gênée par sa situation de ca-
pitale, et que la prévoyance des gou-
vernements, même républicains, a le
droit d'invoquer quelques raisons pour
que nous ne soyons pas traités exacte-
ment sur le pied des autres communes.
Mais, quand nous réclamons la plus
grande somme de liberté possible, nous
sommes dans notre droit et dans notre
rôle, et nous regretterions que l'on con-
tinuât trop longtemps d'ajourner l'oc-
troi de franchises qui ne sauraient cau-
ser d'inquiétude au sein d'une démo-
cratie bien assise.
Dans le parti conservateur, et même
dans le parti conservateur républicain,
on n'a pas cessé d'entretenir de sévères
préventions contre Paris. Pour être
franc, notre conseil municipal a quel-
quefois contribué à les alimenter. On
n'en doit pas moins rendre à notre po-
pulation la justice de la considérer sous
son véritable aspect. Certes, il y a main-
tenant, et il y aura toujours sans doute
dans Paris, une majorité radicale, plus
ou moins teintée de socialisme, — je
prends le mot dans son meilleur sens,
— et il ne se fera point de loi électo-
rale, municipale ou autre, qui réussisse
à changer sa couleur. C'est qu'on n'est
pas deux millions d'habitants à se ser-
rer les coudes, dans une ville immense,
amoureuse de progrès et de liberté,
sans qu'il en résulte une grande pous-
sée d'esprit démocratique. Quant à
la tourbe ultra-révolutionnaire, com-
primée ou non, nous- l'aurons tou-
jours. Mais, la réflexion, l'expérience
et l'instruction progressive aidant, la
démocratie parisienne a réduit les grou-
pes de la révolution à outrance à se can-
tonner de plus en plus. Sous ce rapport,
les réunions publiques les plus tumul-
tueuses ont eu un résultat intéressant :
sans épigramme, quelques-uns de nos
conseillers autonomistes y ont trouvé
leur salle Graffard, — un enseignement,
une leçon! Rendons-leur, après cela,
cette justice, ainsi qu'à tous les répu-
blicains du conseil, qu'ils n'ont point
épargné leurs efforts, et qu'ils sont, au-
tant que cela dépend d'eux, des admi-
nistrateurs actifs, zélés, soucieux, avant
tout, des intérêts de la ville. Quant à la
politique, la France vient d'applaudir au
vote où notre conseil municipal a con-
densé en quatre lignes ce que nous
pensons tous, nous républicains qui,
dans des conditions diverses, avons vu
le 18 Mars et connu la suite. Paris n'est
donc pas tant que l'on veut bien le dire
la ville révolutionnaire que l'on pense
avoir découverte hier à l'observatoire
du Luxembourg. Son ambition d'étendre
sa liberté municipale est naturelle ; elle
ne sera point dangereuse dans les limi-
tes où le gouvernement a tracé l'en-
semble de la future loi.
EUG. LItBERT.
M. Ranc consacre son article du
Matin au discours de M. Goblet dans la
discussion des erédits supplémentaires,
et il entremêle l'appréciation du dis-
cours d'appréciations sur la personne
qui ne sont pas 'particulièrement obli-
geantes. M. Ranc, entre autres assertions,
prétend qu'il fut un temps où M. Goblet
ne dédaignait pas la politique de cou-
loirs et où il se mêlait activement à tou-
tes les intrigues, a toutes les manœu-
vres dirigées contre Gambetta.
Les souvenirs de M. Ranc le servent
mal. M. Goblet ne s'est jamais associé
à ces manœuvres. Quand l'opposition
contre Gambetta devint le mot d'ordre
d'une fraction de la Chambre, M. Goblet
refusa de faire partie d'aucun des grou-
pes qui se formèrent dans ce but. Il a
sans cesse montré qu'il n'était pas parti-
san de la politique des groupes, en refu-
sant toujours d'aliéner son indépen-
dance en entrant dans un quelconque
d'entre eux. Il a toujours voulu rester et
il est toujours resté un indépendant,
agissant suivant ses opinions person-
nelles, sans vouloir participer aux intri-
gues ou aux manœuvres, de quelque
nature qu'elles pussent être.
Puisque M. Ranc rappelle le souve-
nir de la lutte contre Gambetta, nous
pouvons, nous aussi, rappeler le souve-
nir de l'époque où le cabinet Gambetta
présenta le projet de revision de la
Constitution, dont l'échec devait entraî-
ner sa chute. Au moment où ce projet
fut soumis à l'examen des bureaux
de la Chambre, M. Goblet faisait partie
du neuvième bureau, ainsi que MM. An-
tonin Proust, ministre des arts, Raynal,
ministre des travaux publics, et Rou-
vier, ministre du commerce. Nous avons
eu la curiosité de rechercher le compte
rendu de la discussion qui s'engagea
dans ce bureau au sujet du projet de
Gambetta. Onze membres prirent la
parole. C'étaient MM. Barbedette,
Ganne, Jules Maigne, Lockroy, Ernest
Lefèvre, Franck Chauveau, Goblet, Pey-
tral, Louis Legrand, de Hérédia et Mar-
tin Nadaud. Aucun des membres du
gouvernement ne défendit le projet, qui
fut successivement critiqué, pour diver-
ses raisons, par neuf membres du bureau.
Les deux députés qui le soutinrent furent
MM. Martin Nadaud et Goblet. Celui-ci
disait qu'on ne pouvait pas ne pas faire
la revision, parce qu'il y avait sur ce
point un contrat entre le pays et la
Chambre. Il défendait la théorie de la
revision limitée. Il faisait ses réserves
sur le mode de recrutement proposé
pour.le Sénat, mais il annonçait qu'il
voterait pour le scrutin de liste, « parce
qu'il ne faut laisser échapper aucune
occasion de l'établir. » Il critiquait la
procédure proposée par le gouverne-
ment, mais il ajoutait: « Le pays, qui en
veut au bénat d'avoir rejeté, l'an der-
nier, le scrutin de liste, ne compren-
drait pas que nous ouvrions une crise
sur cette question de mauvaise procé-
dure ».
Où M. Rane voit-il dans ces paroles
trace de la malveillance qu'il attribue à
M. Goblet à l'égard de Gambetta? Le re-
proche est aussi exact que celui par
lequel M. Ranc termine son article, lors-
qu'il soutient que M. Goblet, dans son
discours de mercredi dernier, a adressé
des invites à la Droite. Que M. Ranc re-
lise dans le discours de M. Goblet le
passage incriminé. Il y verra que l'invite
consiste à dire à la Droite : « Nous
serions fort heureux si, renonçant à vos
illusions monarchiques et à toutes les
théories réactionnaires qui font la base
de votre système politique, vous veniez
grossir les rangs de la majorité répu-
blicaine. » Est-il, sur les bancs de la
Chambre un seul républicain qui puisse
refuser d'accueillir les nouvelles recrues
que la majorité ferait parmi les oppo-
sants, dans ces conditions ? III ne s'agis-
sait même pas, dans la pensée de M.
Goblet, et rien dans ses paroles ne per-
mettait de croire qu'il s'agît de la Droite
constitutionnelle. Il s'agissait purement
et simplement de l'accession de la Droite
aux opinions de la majorité. Nous insis-
tons sur ce point, afin de ne pas per-
mettre à une nouvelle légende de se
former, car, une fois les légendes éta-
blies, il est très difficile de les détruire,
et l'article de M. Rane nous en fournit
une preuve manifeste.
La France soutient que la Chambre ne
devrait nommer la commission du budget
qu'au retour des vacances, parce que, « en
la formant dès à présent, elle aurait l'air
de croire et l'apparence de vouloir faire
croire qu'elle a en face d'elle un budget
accepté ou tout au moins acceptable. »
L'argument nous paraît assez bizarre. La
Chambre, en effet, n'a pas à apprécier si
les projets qui lui sont présentés sont
acceptables ou s'ils ne méritent même
pas d'être soumis à une commission. Elle
doit renvoyer ces projets à l'examen d'une
commission. Suivant qu'elle les croit bons
ou mauvais, elle nomme une commission
favorable ou opposée, qui conclut à l'adop-
tion ou au rejet et dont les conclusions
sont discutées par la Chambre.
Quel que soit, d'ailleurs, le sentiment
que l'on puisse avoir sur le projet de bud-
get, nous ne voyons pas comment ce pro-
jet sera modifié pendant les vacances. La
Chambre le retrouvera à la rentrée tel
qu'elle le possède aujourd'hui, car le gou-
vernement n'a pas annoncé l'intention de
le retirer pour lui en substituer un autre.
On se demande ce que la commission
élue « sur des négations accumulées »
pourrait bien faire dans ses réunions,
et on soutient qu'elle travaillerait mal ou
pas du tout sur des « projets provisoi-
res ». Ce n'est pas le renvoi de l'élection
à un mois qui rendra les projets définitifs.
On aura seulement gagné ceci, que la
commission élue en mai ne - se - mettra
guère au travail avant le mois de juin,
et qu'on pourra préparer, sans plus tar-
der, un projet de douzièmes provisoires
pour 1888, et ce ne sera pas seulement
deux douxièmes qu'il faudra demander.
Nous comprenons d'autant moins la
valeur du raisonnement de la France,
qu'elle nous apprend que « la majorité de
la Chambre a pour doctrine que les com-
missions du budget ne sont pas faites
pour substituer des plans nouveaux aux
plans du gouvernement ». Doctrine de
fraîche date, on l'avouera, que la commis-
sion de l'impôt sur le revenu a prétendu
instituer, mais que la commission du
budget de 1887 avait paru ignorer, et dont
la commission relative à la réforme ad-
ministrative n'a jamais semblé se dou-
ter.
Ce que la France paraît surtout pour-
suivre, c'est la campagne ouverte contre
les projets financiers de M. Dauphin. Elle
semble compter que le ministre des finan-
ces sera mis en minorité sur la réforme de
la contribution mobilière, et qu'après cet
échec, il sera obligé de se retirer. On ne
nommerait la commission du budget
qu'après que son successeur aurait repris
le projet de loi qu'il a déposé et en aurait
présenté un autre. Le plan est ingénieux ;
mais la conspiration est percée à jour. Il
faut que la Chambre s'explique sur le pro-
jet de réforme de la contribution mobi-
lière avant de discuter le budget; mais on
ne peut ajourner la nomination de la com-
mission du budget sous ce prétexte. Le
projet de réforme n'entre dans la balance
du budget que pour une quarantaine de
millions, et M. Dauphin a déjà fait savoir
que, si cette ressource lui manquait, il en
trouverait une autre. Il est donc inexact
de dire que cette réforme est la base du
budget.
Quant à soutenir qu'il « n'y a pas de
budget, et que quand il n'y a pas de bud-
get il n'y a pas lieu de nommer une com-
mission du budget », c'est une allégation
qui est contredite matériellement. Il y a
un projet qui a été déposé et distribué. La
Chambre ne peut l'écarter par prétérition
et lui opposer par avance une sorte de
question préalable. Il faut donc nommer
la commission du budget au plus vite et
donner à cette commission mandat de sai-
sir la Chambre de son rapport dans le dé-
lai le plus court qu'on pourra.
CHRONIQUE
C'est la vie parisienne, que le passage
perpétuel, sans transition, d'un spectacle
aimable à un spectacle lugubre. Je me
suis laissé conduire, l'autre jour, au
cours de médecine légale qui a lieu à
la Morgue. Les assistants sont tenus au
secret sur le résultat des autopsies
qui sont faites devant eux, mais rien ne
défend un croquis de ce cours, professé
avec autorité par M. Brouardel. Il faut
dire que ce cours n'existe nulle part
ailleurs et que l'honneur de sa création
revient tout entier à la Faculté et à la
municipalité de Paris.
On pénètre dans la salle par un couloir
étroit, sur lequel deux portes s'ouvrent.
La première est le salon, mélancolique-
ment meublé de fauteuils du velours
vert administratif, où se réunissent les
magistrats, lors d'une confrontation. La
seconde donne accès à ce que l'on ap-
pelle, bien pompeusement, à ce qu'il
semble, la « salle des familles» : sinistre
réduit bitumé, froid, sombre, affreux,
qui est le seul endroit où des parents en
deuil peuvent dire adieu à leurs morts.
A Paris, où le respect des choses funè-
bres est si grand, cette espèce de cellule
misérable réservée à la douleur produit
une impression désolante.
Nous voici dans l'amphithéâtre, dont
l'exiguïté frappe tout de suite. Des gra-
dins s'élèvent, terminés par une espèce
de plate-forme où doivent s'entasser
ceux qui ne sont pas arrivés longtemps
avant l'heure. Une odeur- fade persiste,
malgré l'air saturé de phénol et malgré
la fumée du tabac, car presque tout le
monde fume.
Au centre, la table d'autopsie. Au mo-
ment où nous arrivons, M. Brouardel,
en tablier blanc, une calotte sur la tête,
un cigare à la bouche, fouille, avec les
mains, dans les entrailles d'une jeune
femme assez belle, bien que d'une ef-
frayante maigreur, qu'un de ses aides
vient de mettre à découvert. Négligem-
ment,- en apparence du moins,— avec
l'aisance de l'habitude, il essuie, par
moment, lorsqu'il s'en est servi, son
scalpel sur les cuisses du cadavre.
Il est, ce jour-là, fort enrhumé, et, sans
que la gravité de la leçon soit en rien
compromise, il s'excuse familièrement
d'être obligé de s'interrompre de temps
en temps pour se laver les mains à une
petite fontaine suspendue au mur et
pour se moucher. Ce naturel, cette tran-
quillité au milieu de son œuvre tra-
gique, ces - détails vulgaires dans le
grand sérieux de ce qui se passe, ne
risquent pas de diminuer l'espèce de
majesté de la scène, pour nos yeux
profanes.
Puis, délicatement, il plonge de nou-
veau dans ce corps béant et en retire
les viscères, qu'il fait examiner, trou-
vant, sans hésitation, le - - mot juste et
expressif. Il s'agit, je crois, d'un soup-
çon d'empoisonnement : il examine d'a-
bord si la mort ne peut pas être due à
des causes naturelles. Le mystère de
l'organisme humain s'étale là, et, dans
la large déchirure qui met à nu le cœur,
le foie, l'estomac, un étonnement un
peu puéril de demi-ignorant nous vient
de la disposition merveilleuse de leur
entassement dans ce frêle corps, qui ne
semblait point pouvoir les contenir.
Tous ces organes, remués dans la main,
paraissent énormes, démesurés.
Le professeur, après les avoir extraits,
les dépose sur la table de marbre, dans
l'espace laissé libre par le cadavre. Il
en montre magistralement les anoma-
lies, les plaies, les imperfections. Der-
rière lui, un garçon de laboratoire, en
tablier blanc souillé de sang, se tient,
un bocal à la main, prêt à recueillir le
contenu des viscères, pour l'analyse chi-
mique. Tout le long de la pièce, d'ail-
leurs, courent, sur des planches de bois
blanc, des bocaux semblables, couverts
d'étiquettes multiples et timbrées du
sceau de la Morgue, car ces débris sont
maintenant des pièces administratives,
comme les dossiers de ministères qui
dorment dans les cartons verts. De cette
morte qui est là et dont, pour nous qui
ne sommes pas médecin, l'histoire se
pose comme un irritant problème, de
cette femme, qui a succombé jeune, —
à quelle aventure ? — il ne restera bien-
tôt que de pareils fragments, dans de
pareils vases de verre ! mais les assis-
tants, qui écoutent religieusement la
parole du maître, n'ont pas souci de
faire de la philosophie, qui serait là fort
inopportune. Ils se pressent autour du
professeur, si près de lui, dans l'exi-
guïté du local, qu'ils gênent ses mouve-
ments et qu'il est obligé de leur deman-
der courtoisement de lui laisser plus de
place. Sur une toute petite table voi-
sine, un gros registre est placé, et, de-
bout, un autre aide écrit le procès-ver-
bal de l'autopsie. Des élèves prennent
des notes, difficilement, tant ils sont
serrés les uns sur les autres ; le cahier
d'un d'entre eux s'appuie sur le front du
cadavre.
Peu à peu, le scalpel fait son œuvre,
tranche les chairs, abat de larges mor-
ceaux de ce pauvre corps. Dans un ré-
sumé d'une admirable clarté, M. Brouar-
del fait ses conclusions, établit l'enquête
scientifique à laquelle il s'est livré,
retrace la marche de ses investigations.
Puis il s'adresse à quelques-uns de ses
auditeurs, répond à leurs questions,
tout en se lavant de nouveau les mains.
Enfin, un grand brouhaha, les gradins
se vident et quelques élèves le suivent
dans le hideux salon de velours vert,
où il va signer son rapport. Et nous res-
tons une minute dans la salle abandon-
née, devant cette carcasse maintenant
ouverte entièrement, qui gît là, jus-
qu'aumoment où des employés s'en em-
pareront. Par la double fenêtre, large
et placée très haut, qui éclaire la pièce,
silencieuse à présent, un rayon de so-
leil reflète sur le cadavre l'ombre des
barreaux.
Mais il ne s'agit pas de vaines émo-
tions, encore qu'elles soient excusa-
bles pour d'autres que pour des méde-
cins. Ce qui est à retenir, c'est ceci :
Voici un enseignement d'une haute uti-
lité, un enseignement admirable et uni-
que. Il apprend aux praticiens qui peu-
vent avoir, à un moment donné, la ter-
rible responsabilité de conclure sur
l'innocence ou la culpabilité d'un pré-
venu, à répondre fermement aux ques-
tions de la justice. Sur leur verdict, la
vie d'un accusé pourra être en jeu ; ils
seront chargés d'une des missions les
plus graves qui soient. Or, cet enseigne-
ment est donné dans des conditions
matérielles déplorables. Le docteur
Gilles de la Tourette a raconté - que,
faute de place, près de trois cents ins-
criptions doivent être refusées, et que
ceux qui sont admis, forcés sans cesse
de faire place à d'autres, ne peuvent
guère assister à plus de douze cours, ce
qui est insuffisant. Faute de place en-
core, les élèves ne peuvent assister à
d'autres parties de l'enseignement : Jea
préparations microscopiques ne se font
pas aussi souvent qu'il le faudrait, les
analyses chimiques ont lieu, non sur
place, mais au laboratoire établi dans
l'ancien collège Rollin. Au point de vue
judiciaire, de là aussi des pertes de
temps qui sont très préjudiciables aux
enquêtes.Tous les médecins demandent
instamment l'édification d'un vaste am-
phithéâtre, avec une série de laboratoi-
res, des dispositions pratiques et com-
modes. Un enseignement aussi élevé
que celui-là aurait bien droit à être
traité avec plus d'égards, et il est re-
grettable que de simples raisons d'es-
pace trop limité empêchent son déve-
loppement. Le seul remède, ce serait la
reconstruction de la Morgue, devenue,
aujourd'hui surtout, un établissement
scientifique. Les autopsies y sont natu-
rellement fréquentes ; or, les experts
doivent souvent attendre, au grand
détriment des instructions criminelles,
car il n'y a là qu'une seule table d'au-
topsie ! Cette reconstruction, on l'a de-
mandée depuis longtemps et on l'a
même promise : mais rien ne semble
devoir être fait dans un avenir prochain.
Quand on a assisté par hasard à Ice
cours imposant, professé dans un loal
mal éclairé, de forme irrégulière, piteu-
sement construit, au milieu d'un entas-
ment de personnes qui toutes ne peu-
vent suivre le maître; quand on réflé-
chit aux moyens mesquins qui sont mis
à la disposition des enquêteurs de si
graves problèmes, il n'y a pas besoin
d'être médecin pour se joindre à ceux
qui réclament avec instance des modi-
fications matérielles à un enseignement
dont la science française a le droit
d'être fière, comme d'une chose unique.
PAUL GINISTY.
en
LE PARLEMENT
SÉANCE OU- SÉNAT
Le tarif général des douanes
Dans sa séance d'hier le Sénat a continué la
discussion du projet de loi portant modifica-
tion du tarif général des .douanes. C'est la
partie du projet relative à la protection du dé-
tail, qu'on a discutée.
M. de Verninac n'est pas partisan de la
protection des bestiaux ainsi comprisei. Il
croit que la loi que l'on propose n'aura aucun
effet et n'amènera aucun résultat pratique.
M. Lacombe déclare qu'il votera la loi. Il
établit, à l'aide de chiffres, que l'application
de la loi procurera aux éleveurs français un
placement avantageux de leurs produits sans
que les prix de consommation en soient sensi-
blement augmentés.
M. Tirard a prononcé ensuite un admirable
discours. L'orateur est libre- échangiste, il a
voté contre le droit sur les céréales, il votera
également contre le droit sur le bétail.
M. Tirard explique ainsi les motifs de son
attitude :
En premier lieu, il est toujours grave de
toucher aux lois qui peuvent modifier le prix
des substances alimentaires ; l'élévation des
droits d'entrée n'est pas, le plus souveàt,
utile aux producteurs, mais elle amène tou-
jours la hausse du prix de la viande pour le
consommateur, et cela se comprend, car elle
donne un prétexte aux intermédiaires.
M. le ministre a dit qu'on ne pouvait se -
courir l'agriculture que par des augmenta-
tions de droits ; c'est un bien grand malheur,
et cela est bien effrayant pour l'avenir de no-
tre agriculture ; mais je ne suis pas de l'avis
de M. le ministre. Avec des lois bien justes,
on peut obtenir des résultats absolument
inespérés. Je vais en donner la preuve.
En 1871, la population chevaline avait dis-
paru. L'Assemblée a fait une loi composée
de quelques articles, sur le rapport de M. Bo-
cher. A l'aide de cette loi, qui a augmenté le
nombre de nos étalons, qui a donné des pri-
mes aux éleveurs, on est arrivé sans aug-
mentation de droits de douane, à ce résultat
heureux, que naguère M. le ministre dôla
guerre a déclaré qu'il n'avait nul besoin de
faire venir des chevaux de l'étranger.
M. Tirard termine en exprimant l'espoir
que le Sénat repoussera la loi.
La discussion générale est close.
M. Guyot (Rhône), sur l'article 1er, qui
porte de 25 à 38 fr. le droit sur les bœufs,
fait remarquer que le prix de la viande sur
pied a baissé. L'élevage souffre incontestable-
ment, mais il fait néanmoins de très beaux
bénéfiees.
L'orateur demande au Sénat de ne pas vo-
ter l'augmentation de droit. - |
Il est procédé, sur le paragraphe premier
de l'article premier (bœufs), à un scrutin dont
voici le résultat :
Nombre de votants. 272
Majorité absolue. 137
Pour l'adoption 194
Contre. : 78
Les trois articles et l'ensemble de la loi
sont adoptés. Le Sénat se sépare ensuite do
s'ajournant à aujourd'hui.
COULISSES mmmkm
L'organisation municipale de Paris. — Les émi-
grants et la loi militaire. — L'arbitrage entre
patrons et ouvriers. — La réforme adminis-
trative.
Trois groupes se sont réunis hier, au Sénat,
pour délibérer sur les deux projets , adoptés
par la Chambre et relatifs : l'un, à l'élection
du conseil municipal de Paris au scrutin de
liste par arrondissement; l'autre, à la sépara-
tion du conseil général de la Seine du conseil
municipal de Paris.
Nous avons dit que la commission nommée
avant-hier par les bureaux pour le premier
projet lui est en majorité favorable. La com-
mission pour le second projet a également
émis un avis favorable et nommé rapporteur
M. Georges Martin, sénateur de Paris. Ces
deux résultats ont produit une certaine émo-
tion dans les groupes républicains du Sénat.
Les bureaux des trois groupes, réunis avant-
hier, avaient pensé que ces graves questions
méritaient un examen moins rapide et plus
approfondi, et avaient décidé d'en saisir leurs
groupos respectifs.
C'est afin de pousser le Sénat à prendre une
décision avant les vacances de Pâques, que
ces groupes se sont réunis hier.
L'Union républicaine, sous la présidence de
M. Cazot, s'est prononcée pour l'ajournement
du débat. Le groupe demande que la discus-
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