Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1887-02-28
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 28 février 1887 28 février 1887
Description : 1887/02/28 (A18,N5527). 1887/02/28 (A18,N5527).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
Dix-nuitième année Ne 5527
Prix du numéro : Paris et déoartements : 15 centimes
Lundi 28 février 4887
JOURNAL RÉPUBLICAIN
REDACTION --,
9adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
16, rue Cadert, 16
Directeur politique :
A.-EDOUARD PQRTALIS
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois - - - - -16 )II)
Six mois. 32 »»
Un an. 62 »»
PARIS
Trois mois. 13 »»
Six mois. 85 »»
Un an. 50 »»
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les aboanemts partent des 1er et 15 de chaque mois
ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrateur
16s rue GadLet, 16
EN VENTE A LONDRES
Et Abonnements pour l'Angleterre
Au bureau du XIXe Sièclo
76, Finsbury Pavement, E. C.
RÉGISSEURS D'AXNOÏ*OW-R
MM. LAGRANGE, CERF ET æ18
6, place de la Bourse J e
BULLETIN
Le Sénat a donné une fois de plus la
preuve de sa prudence et de sa modération
en adoptant le budget tel que la Chambre
des députés le lui avait renvoyé samedi
soir. Il y a eu, dans la séance tenue ex-
traordinairement hier matin dimanche,
une courte discussion de pure forme.
M. Maze a tenté vainement de faire croire
au Sénat que la décision immédiate solli-
citée par le gouvernement était « une at-
teinte portée à la dignité du Sénat et de
la France. »
M. Léon Say avait fait le vœu de soulever
un conflit entre la Chambre et le Sénat. Il
s'est appliqué de son mieux à empêcher
le vote du budget des dépenses. En vain
M. Tirard, président de la commission des
finances, cherche à lui expliquer que le
temps matériel manque pour continuer
avec la Chambre un dialogue sur les dé-
penses du personnel de l'administration
centrale des finances, et que cette conver-
sation prolongée réduirait fatalement le
cabinet à demander un nouveau douzième
provisoire. Cette perspective n'est pas
pour émouvoir M. Léon Say, qui ne répu-
gne en aucune façon à un expédient aussi
fâcheux : conflit, douzièmes provisoires,
tout ce qu'on voudra, M. Léon Say accepte
* les pires éventualités, plutôt que de transi-
ger avec la Chambre. Ce langage est pour
surprendre dans la bouche d'un ancien
ministre des finances. Les funestes con-
seils de M. Léon Say n'ont pas été enten-
dus, et, par 208 voix contre 9, le Sénat a
adopté le budget des dépenses.
Les nouvelles de. Bulgarie deviennent
chaque jour plus menaçantes. Est-ce une
tactique ou une réalité? Le fait est que, par
un revirement subit, le spectre de la
France a cessé d'affoler l'Allemagne, et
que, tout au contraire, la question bulgare
est devenue plus que jamais un sujet d'a-
larme pour la presse allemande. Tant il y
a que, vrais ou faux, les bruits les plus
fâcheux circulent au sujet de cette affaire
interminable.
Les pourparlers engagés avec la Porte
par les délégués bulgares n'aboutissent
pas et auraient chance d'avorter définiti-
vement.
Le sultan s'est décidé à envoyer à Sofia
un délégué spécial, auquel on se hâte d'at-
tribuer la qualité de « haut commissaire »,
dans l'intention visible d'exciter les défian-
ces de la Russie. On énumère avec com-
plaisance les instructions données à l'a-
gent turc: elles rappellent singulièrement
la mission exercée naguère par le général
Kaulbars; aussi n'a-t-on pas omis d'annon-
cer, du même coup, que le tsar voit d'un
mauvais œil l'envoi du délégué delà Porte et
semble disposé à croire que la mission de
cet agent a pour objet de supplanter la
Russie dans le règlement de la question
bulgare. A telles enseignes que l'ambas-
sade russe à Constantinople aurait fait
d'activés démarches auprès du sultan
pour s'opposer au départ du délégué turc.
Enfin, comme si tous ces détails ne suf-
fisaient pas pour assombrir le tableau, on
ajoute que dans le cas où la mission tur-
que échouerait, la Porte déclarerait aux
puissances qu'elle renonce à régler la
question bulgare, et les mettrait en de-
meure de se conformer au traité de Ber-
lin.
D'où partent ces nouvelles alarmistes ?
Autant demander à qui pourront profiter
les complications redoutées par les uns,
attendues par les autres. Il est visible
qu'en Angleterre on n'éprouverait aucun
déplaisir si le règlement pacifique de l'af-
faire de Bulgarie était impossible. Il est
évident, d'autre part, que plus la situation
sera troublée en Bulgarie, plus la Russie
sera tentée de faire sentir sa prépondé-
rance dans les Balkans, plus aussi l'occa-
sion sera belle pour le chancelier allemand
de faire sentir le prix de ses complaisan-
ces envers le tsar.
Il faut se tenir en garde contre les affir-
mations des dépêches anglaises et les
commentaires agressifs des journaux alle-
mands. Peul-être faut-il ranger dans la
même catégorie des nouvelles intentIOn-
nellement pessimistes, les savantes disser-
tations de la presse étrangère sur l'alliance
défensive de l'Allemagne, l'Autriche et
l'Italie. Il n'est bruit que de cette entente
à trois, dirigée, le cas échéant, soit contre
la Russie, soit contre la France, peut-être
contre toutes les deux. N'oublions pas
qu'en Allemagne on n'a pas encore le droit
de se rassurer: nous sommes à la veille
des élections de ballottage. Les électeurs
ont à rendre un dernier verdict le 2 mars ;
on les tient en haleine.
Louis HENRIQUB.
11 mflini
INFORMATIONS PARTICULIÈRES
Le budget de 1887
Le Journal officiel promulgue, ce matin, la
loi portant fixation du budget des dépensas
de l'exercice 1887.
La loi portant fixation du budget des recet-
tes avait été promulguée hier matin.
Les élections législatives d'hier
Les électeurs des Basses-Pyrénées étaient
convoqué hier pour élire un député en rem-
placement de M. Destandeau, député réac-
tionnaire, décédé.
M. Destaudeau avait été élu aux élections
de ballottage du 18 octobre 1885, par 42,488
voix, contre M. Caioison, candidat républicain.
Deux candidats étaient en présence : MM.
Vignancour, républicain, et M. de Joantho,
réactionnaire.
Une élection législative a eu lieu également
dans l'Aveyron, pour pourvoir au remplace-
ment de M. Roques, député réactionnaire,
décédé.
M. Roques avait été élu le 4 octobre 1885,
par 52.806 voix. M. Mas , le candidat républi-
cain qui avait eu le plug de voix, en avait ob-
tenu 48 020.
Le candidat républicain est M. Rodât an-
cien député.
Au moment où nous mettons sous presse,
aucun résultat ne nous est encore parvenu
an sujet des élections législatives de l'Avey-
ron et des Basses-Pyrénées.
Une réunion électorale tenue en vue de
l'élection législative du 20 mars prochain, par
suite du décès de M. Adam, député , a été te-
nue hier à Saint-Pol.
M. Ribot a affirmé ses sentiments républi-
cains; il a ensuite traité la question de la po-
litique nationale, au milieu des applaudisse-
ments de l'auditoire.
Sa candidature a été acclamée.
Elections au Conseil général
Canton de Beaurepaire (Saône-et-Loire)
Inscrits : 2,564. — Votants : 1,777
Suffrages exprimés : 1,750
MM. Petitjean, républicain 1.047 Elu
Couitlerot, réactionnaire. 703
Canton de Cuiseaux (Saône-et-Loire)
Inscrits : 2,948. — Votants : 1885
M. Puvis do Chavannes, réact. 1,524 Elu
Canton de Denain (Nord)
Inscrits : 6,822. — Votants : 5,284
MM. Delcambre, républicain.. :.. 3.447 Elu
Denis 1.530
Canton de Bouchain (Nord)
M. Caullet, républicain, est élu.
Canton de Cléguérec (Morbihan)
Inscrits : 3,259. — Votants : 2,460
MM. Le B'erre, réactionnaire 1.358 Elu
Le Maguet, républicain. 1.104
En Corse
A Bastia, on prétend qu'nne centaine d'hom-
mes se seraient groupés autour de Leandri,
lequel est actuellement dans l'arrondissement
de Sartène. On leur attribue l'intention de se
rendre à Sartène, pour faire les dernières som-
mations aux membres du tribunal.
Deux compagnies de la garnison d'Ajaccio
ont été dirigées sur Sartène.
LE BUDGET DE 1887
Il serait injuste de ne pas adresser
de très vives félicitations aux Chambres,
et de ne pas rendre hommage à l'esprit
politique dont elles viennent de faire
preuve. Le Sénat a mis une très patrio-
tique ardeur à voter le budget dans le
délai qui lui était laissé, et il a fait en
quelque sorte un tour de force en ne
dépassant pas ce délai. La première par-
tie de la loi de finances lui a été trans-
mise le 7 février ; la seconde partie , le
11. La discussion s'est engagée le 19,
et elle s'est terminée dans la nuit du
26. Malgré la rapidité de ce débat, il a
été complet. Les observations qu'il y
avait lieu de présenter ont été faites ;
les explications utiles ont été fournies.
Rien n'a été laissé de côté, excepté les
paroles inutiles, pourrait-on ajouter, si
un ou deux orateurs n'avaient donné
cours à leur intempérance ordinaire de
langage. Pour terminer dignement cette
semaine d'efforts, pour éviter un nou-
veau douzième provisoire, le Sénat n'a
pas hésité à tenir séance le dimanche
et à pratiquer, en acceptant les derniè-
res modifications de la Chambre, la po-
litique de conciliation qui lui était re-
commandée par le gouvernement.
La Chambre ne mérite pas de moin-
dres éloges pour la résolution avec la-
quelle elle a pratiqué cette même poli-
tique de conciliation, aussi bien à l'égard
du Sénat qu'à l'égard du gouvernement.
Elle a compris que le moment serait
fort mal choisi pour renverser ou même
pour affaiblir le cabinet, et qu'il fallait
en fiair avec ce budget qui menaçait
de devenir une sorte d'œuvre de Péné-
lope. Elle a pu se convaincre, du reste,
que si, suivant le mot de M. Wilson, le
« budget de préparation » qu'elle avait
envoyé au Sénat lui revenait transformé
en « budget de repos », ce changement
n'avait pas, en réalité, l'importance
qu'on voulait lui attribuer, puisque les
intentions réformatrices qui s'étaient
manifestées avaient été partagées par
le gouvernement, et que celui-ci, s'ins-
pirant des désirs de la majorité, avait
préparé et déposé des projets spéciaux
qui seront étudiés à loisir et qui auront
ensuite leur effet sur nos finances.
Qu'importait à la Chambre, dans ces
conditions, que la question des sous-
préfets fût engagée par voie budgétaire
ou laissée entière, que la loi de finances
contînt oune contînt pas un vœu en fa-
veur de l'impôt sur le revenu? Cela n'a-
vançait ou ne retardait pas d'un jour la
solution de ces questions. Elles sont
dès maintenant posées et la Chambre
n'a plus à craindre de leur voir subir
un ajournement indéfini.
Toutes les situations, aussi bien au
Sénat qu'à la Chambre, se trouvant
ainsi sauvegardées, il n'y avait pas, il ne
pouvait pas y avoir de motif pour re-
tarder encore le vote du budget ou pour
engager un conflit entre les deux Cham-
bres au sujet des modifications qui n'a-
vaient pas été ratifiées au Palais-Bour-
bon. Elles ne touchent pas à l'exécution
de lois organiques et elles n'engagent
aucun principe. Le Sénat n'aurait pas
eu de raison sérieuse pour maintenir
sa décision première. C'est au ministre
compétent qu'il appartient d'étudier avec
la plus sévère exactitude si les services
de son département ne peuvent être
réorganisés - à moins de frais, et à s'ins-
pirer, dans la plus large mesure com-
patible avec le fonctionnement de son
administration, des désirs d'économie
manifestés par la Chambre. Mais on ne
peut supposer que celle-ci ait eu la
pensée de désorganiser des services
administratifs, et si les réductions qu'elle
a opérées en entravent le fonctionne-
ment, nous ne doutons pas qu'elle ne soit
toute disposée à revenir sur ce qu'il y
aurait de trop rigoureux dans ses réso-
lutions. On peut être certain qu'il n'y
aura pas de difficultés sur ce point, et
que personne n'assumerait la respon-
sabilité de compromettre l'accord qui
s'est établi entre tous les pouvoirs pu-
blics et qui s'est maintenu au milieu
de circonstances difficiles, pour une
affaire qui n'a aucune importance poli-
tique et seulement une importance
financière bien faible.
Nous voici donc débarrassés de la
façon la plus favorable de ce budget
4e 1887, dont l'élaboration a été aussi
longue que pénible etfertile en incidents.
Et maintenant, que l'on aborde l'étude
des réformes proposées par le gouver-
nement, et que l'on commence le plus
tôt possible la préparation du budget
de 1888, auquel nous souhaitons d'aller
plus vite et de nous réserver moins de
surprises que son devancier.
Deux élections ont eu lieu hier, dans
l'Aveyron et dans les Basses-Pyrénées. On
ne connait pas encore les résultats du
scrutin. Mais ces résultats sont prévus.
Dans le département de l'Aveyron, le
parti réactionnaire a renoncé à soutenir
la lutte; il a déserté le combat, tellement
la défaite lui a apparu certaine. Les
meneurs du parti essaient de masquer
leur déroute par une explication inatten-
due : « Les comités conservateurs ont
cru devoir réserver leurs efforts pour les
élections générales, qu'ils disent prochai-
nes. »
Cette explication ne satisfait guère cer-
tains organes du parti, pour qui tant de
réserve ressemble fort à une « abdica-
tion ».
Dans le département des Basses-Pyré-
nées, les conservateurs n'ont pas voulu
« abdiquer » ; leur échec ne semble pas
douteux.
C'est l'issue accoutumée des élections
partielles qui se sont faites depuis le re-
nouvellement de la Chambre. Chaque fois
que le suffrage universel a été consulté
depuis le 15 octobre 1885, sa réponse a été
la condamnation sévère de la politique
rétrograde qui comptait près de deux
cents représentants à la Chambre au com-
mencement de la législature.
Le parti républicain compte autant de
victoires que de batailles livrées. Il re-
prend peu à peu les positions dont il
s'était laissé déloger il y a dix-huit mois
à peine. Hier dans l'Aisne, dans l'Aube; au-
jourd'hui dans l'Aveyron, dans les Basses-
Pyrénées; demain dans le Pas-de-Calais.
Et à quel moment se produisent ces ma-
nifestations significatives ? Au lendemain
même des événements qui ont fait naître
de si vives appréhensions dans l'Europe
entière. Alors que les plus graves com-
plications étaient à redouter, nous avons
vu les masses électorales affirmer leur
foi dans la vitalité des institutions répu-
blicaines, témoignant ainsi de la confiance
absolue qu'elles accordent aux hommes
qui sont placés à la tête du pouvoir.
Les électeurs sont las de la politique
stérile, autant qu'acrimonieuse, pratiquée
par les conservateurs de la Chambre ; ils
ne veulent plus de cette politique de piéti-
nement et de chicanes qui paralyse les
efforts de la représentation tout entière et
fait obstacle à la réalisation progressive
des vœux les plus chers de la démocra-
tie si laborieuse.
Les électeurs de l'Aveyron et des Bas-
ses-Pyrénées, trompés par de fausses ap-
parences en octobre 1885, avaient aliéné
leur liberté : ils ont abjuré cette erreur
d'un jour, ils reviennent à la République.
Le scrutin du 27 février en sera la preuve
manifeste.
LA POLITIQUE RUSSE
Voici le principal passage de la corres-
pondance de Saint Pétersbourg publiée
hier matin par le Nord, et dont nous avons
donné la substance d'après une dépêche
de Bruxelles :
La Russie comprend merveilleusement au-
jourd'hui tous les avantages de sa situation.
Elle voit, à n'en pas douter, que le sort de
l'Europe est entre ses mains, qu'aucune puis-
sance n'y saurait rien entreprendre sans sa-
voir préalablemeet de quel côté se rangera
la Russie, et que, loin de se sentir menacée
maintenant d'une coalition, celle-ci constitue
au contraire le précieux appoint dont chacun
voudrait s'assurer la possession en cas de
conflit.
L'attitude impassible du gouvernement
russe par rapport à la question bulgare n'est
donc pas une preuve de faiblesse, mais bien
un témoignage de sa force, qui lui permet la
patience devant des épreuves temporaires,
grâce à son entière confiance dans un résul-
tat final satisfaisant quand le moment propice
sera venu.
La conscience de cette force est même si
profonde chez la Russie, qu'elle croit pouvoir
dédaigner de poursuivre les avantages immé-
diats, mais éphémères, qu'elle serait en état
de tirer des circonstances actuelles, et pré-
fère attendre de l'avenir une solution non
moins profitable, mais plus solide, des ques-
tions qui l'intéressent. Elle n'aurait qu'un mot
à dire aujourd'hui à Berlin pour que l'omni-
potence du prince de Bismarck déterminât aus-
sitôt une profonde évolution en sa faveur
dans les affaires d'Orient; mais ce mot la
conduirait à prendre des engagements vis-à-
vis de l'Allemagne, tandis qu'elle veut, au
contraire, conserver sa pleine liberté d'action,
et c'est pourquoi aucune démarche en ce sens
ne sera faite par le gouvernement russe. En
d'autres termes, la Russie n'aura pas la naï-
veté de se faire simple auxiliaire quand elle
peut devenir arbitre.
Et ce rôle d'arbitre n'est pas seulement con-
forme au sentiment de la dignité nationale
du peuple russe, il ne flatte pas uniquement
son amour-propre et ses aspirations ambi-
tieuses, mais correspond encore à ses inten-
tions pacifiques, en lui permettant de contri-
buer puissamment au maintien de la paix.
Sauf en effet le cas exceptionnel, et d'ail-
leurs peu probable, d'une défaite du prince
de Bismarck aux élections qui l'obligerait à
jouer le tout pour le tout, les éventualités de
paix ou de guerre dépendent presque exclu-
sivement aujourd'hui de la Russie. Il suffirait
que la France reçût d'elle une promesse d'ap-
pui, ou l'Allemagne une assurance de com-
plète neutralité, pour lancer immédiatement
l'une de ces puissances contre l'autre, et nul
doute alors que, dans l'état d'effervescence
où se trouvent tous les pays de l'Europe, une
mêlée générale ne suivît l'explosion du con-
flit franco allemand.
L'Europe est donc redevable à la Russie de
sa sécurité relative actuelle, et l'attituda ob-
servée par notre pays semble promettre que
rien de sa part ne viendra modifier cette si-
tuation, si des circonstances impérieuses ne
l'obligent à sortir de sa réserve. On ne sau-
rait, en effet, prétendre qu'un peuple fasse
abnégation de ses Intérêts essentiels pour ga-
rantir aux autres le repos et la prospérité.
C'est pourquoi, si les puissances européennes
tiennent à recueillir le bénéfice des bonnes
intentions de la Russie, elles ne doivent pas
oublier que celle-ci possède le sentiment de
sa force, de sa position avantageuse, des
égards qui lui sont dus, et qu'il importe de
s'entendre pour satisfaire à ses réclamations,
aussi modérées que légitimes.
Oui, la paix est à ce prix, car 11 ne faut pas
se dissimuler qu'il suffirait à la Russie de
mettre aux prises, comme je l'ai dit plus
haut, la France et l'Allemagne, pour pouvoir
se jeter librement sur l'Aulfiche-Hongrie et
demander au sort des armes ce qu'on s'obs-
tine mprudemment à ne pas lui accorder par
voie diplomatique.
Tels ne sont pourtant pas les projets de la
Russie, car elle comprend trop bien le danger
qu'il y aurait à s'engager dans une entre-
prise capable de paralyser provisoirement
son action internationale, dans une aventure
qui l'empêcherait d'assurer le maintien de
l'équilibre européen s'il se trouvait menacé.
Une rigoureuse expectative qui lui laisse les
mains entièrement libres est, au contraire,
dictée par la sagesse au gouvernement russe,
et c'est à cette nécessité — pas à autre chose
— qu'il faut attribuer son apparente impassi-
bilité actuelle par rapport à la question bul-
gare, aussi bien qu'aux coquetteries rivales
de Paris et de Berlin.
Voici, d'autre part, une déclaration que
le général Ignatieff aurait faite au cours
d'un entretien avec le correspondant à
Saint-Pétersbourg du Daily News.
Le général, parlant de l'effet que pou-
vait produire en Europe sa nomination au
poste de ministre des affaires étrangères,
en remplacement de M. de Giers, s'est
exprimé ainsi :
On sait que je suis un homme d'action et
l'on croit que je ne suis pas un ami de l'Alle-
magne. Mais l'opinion publique de l'Europe se
trompe fort en pensant que mon entrée au
ministère serait une menace pour la paix. La
Russie a besoin de la paix aussi bien que tout
autre Etat, et ce serait une folie d'avoir re-
cours à l'ultima ratio tant qu'on n'aura pas
épuisé les moyens pacifiques pour régler les
questions en litige ; ces moyens sont encore
bien nombreux.
Il est vrai qu'il y a des pays qui me sont
beaucoup plus sympathiques que l'Allemagne,
mais cela ne peut empêcher la Russie et l'Al-
lemagne de vivre en bons termes.
Le général a déclaré, en terminant, que
la Russie ne retombera pas dans la faute
qu'elle a commise en 1870 en laissant
écraser la France, faute dont la consé-
quence a été pour elle le traité de Berlin
de 1878.
CHRONIQUE
SUUM CUIQUE !
Eh bien ! je m'étais grossièrement
trompé.
Je l'avoue en toute candeur, non seu-
lement sans la moindre honte, mais plu-
tôt, au contraire, avec une certaine sa-
tisfaction et une petite pointe de va-
nité. nationale.
J'avais eu tort, à l'occasion du bill du
Sénat de Washington, autorisant la
construction d'un chemin de fer il na-
vires à travers l'isthme de Tehuantepec,
j'avais eu tort de décerner trop tôt et
trop à la lègère, après n'avoir entendu
qu'une cloche et qu'un son, la palme de
la victoire scientifique et industrielle à
MM. les Américains. Dans cette prodi-
gieuse partie jouée là-bas, autour du
nombril du nouveau continent, par le
dessus du panier des ingénieurs cos-
mopolites, avec l'empire du monde com-
mercial pour enjeu, les Yankees n'ont
gagné ni la belle, ni la seconde man-
che, ni la première. Pour eux, tout au
contraire, le match tourne au capot.
S'il tient vraiment à avoir sa revanche
du canal français de Panama, l'oncle Sam
devra mettre son amour-propre et son
honneur ailleurs que sur le miraculeux
railway pour navigation à travers champs,
dont j'avais inconsidérément, sur la foi
de gazettes transatlantiques, prêté la
gloire à M. Eads. Il lui faudra trouver
autre chose, faire plus grand et plus
prodigieux encore.
L'idée du chemin de fer à navires
n'est pas, en effet, une idée américaine.
Comme l'idée du eanal de Panama,
comme — également — l'idée du canal
de Nicaragua, c'est une idée européen-
ne. Qui plus est, c'est une idée française.
Je ne suis pas fâché de m'être trompé
dans ces conditions et à ce prix-là'.
*
* *
C'est un de mes bons amis qui m'a
mis le nez dans mon erreur. Je puis bien
le nommer, car son nom est une garan-
tie de compétence et d'autorité en pa-
reille matière. C'est M. G. Sénéchal,
capitaine d'état-major au troisième corps
de l'armée territoriale, membre corres-
pondant dela Société des études mariti-
mes et coloniales et du Comité de défense
des intérêts français d'outre-mer.
Voici ce que M. Sénéchal, que ma
chronique de l'autre jour avait touché
au vif, est venu tout à l'heure m'appren-
dre, en appuyant ses dires rectificatifs
d'un luxe de pièces, de preuves et de
documents de nature à satisfaire les
plus exigeants et les plus scrupuleux.
C'est un devoir — et un plaisir — pour
moi de vous en faire immédiatement
part.
Le chemin de fer à navires est une
idée française qui, par-dessus le marché,
ne date pas précisément d'hier.
Le 25 décembre 1855, en effet, un
M. Gatineau, né à Versailles le 10 avril
1807, déposait, pour prendre date, au
tribunal de commerce de cette ville,
un mémoire ayant pour titre : Aperçu
et abtégé d'un projet pour le transport
des navires de toutes forces avec leurs
chargement et agrès par voies ferrées
et machines à vapeur, applicable dans
un grand nombre de circonstances et
usages désignés.
Le 15 janvier 1856, ce travail fut
adressé à l'empereur Napoléon III, mais
il demeura sans réponse.
Le 27 septembre 1859, une copie en
fut de nouveau adressée au chef de
l'Etat. Cette fois, l'accueil fut meilleur.
Le 3 octobre suivant, en effet, avis était
donné à M. Gatineau que le travail
venait d'être transmis au conseil d'Etat,
enregistré sous le numéro 12648 (on
voit que je précise 1), puis renvoyé au
feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 28 février 1887
CAUSERIE
DRAMATIQUE
- THÉÂTRE DE LA GAITÉ : Orphée aux Enfers
(reprise). — LA QUESTION DE LA. CENSURE.
LA QUESTION DU CONSERVATOIRE.
Orphée aux Enfers, lorsqu'il fut donné
pour la première fois aux Parisiens, en
.1858, était un simple opéra-bouffe, en
- deux actes et quatre petits tableaux, qui
n'était pas très éloigné, comme genre,
de certains opéras-bouffes italiens (tel
que la Sonnette de l'apothicaire, de
Donizetti), quoiqu'il en fût différent par
un esprit de parodie tout à fait nouveau.
Le succès en fut immense, un des plus
grands qu'ait connus le théâtre contem-
porain. Sur la petite scène des Bouffes,
très à la mode, l'œuvre fit un effet énor-
me, interprétée d'ailleurs avec la plus
- grande perfection. A cette date, M.
Léonce était encore un comédien fort
drôle. Désiré, mort depuis, jouait Jupin
avec une rare fantaisie. Les plus belles
filles du temps portèrent successive-
ment le maillot de Vénus, et les Eury-
dices se succédèrent, toutes avec des
qualités particulières, sans lasser la eu-
riosité du public.
Depuis, Orphée aux Enfers, souvent
repris avant la dernière reprise de lçt
Gaîté, a changé de caractère. Ses deux
actes se sont doublés; les quatre ta-
bleaux primitifs se sont multipliés en
dix ou douze. On y a ajouté des ballets,
des cortèges, un spectacle superbe que
ne comportait pas la petite scène des
Bouffes. On pourrait discuter la ques-
tion de savoir si une pièce legère, où
l'esprit abonde dans le livret et dans la
musique, gagne ou perd quelque chose
à changer ainsi de proportions et si les
mérites des auteurs ne sont pas écrasés
par les inventions des décorateurs, des
machinistes et des maîtres de ballet.
Mais, à quoi bon cette discussion, à
quoi bon mon avis, qu'on connaît, sur
la prépondérance toujours croissante de
la mise en scène, parlant aux yeux et
ne laissant pas grand'chose pour l'es-
prit ? Le courant et la mode me donne-
raient tort et aussi l'événement, car
Orphée aux Enfers, devenu une féerie-
ballet, a emporté les suffrages du pu-
blic. C'est, du reste, tout à fait beau.
Mme Granier, assez longtemps éloignée
de la scène, y a fait une rentrée triom-
phale. Elle a joué et chanté Eurydice
d'une façon qui, non seulement ne fait
pas regretter les Eurydices d'antan, mais
qui s'approche tout à fait de la perfec-
tion. Le rôle de Vénus a été rempli —
et bien rempli, au'moins s'il s'agit du
costume — par une personne plus
connue jusqu'ici à la ville qu'à la scène,
Mlle Marsy. J'ai remarqué encore une
belle Marseillaise, qui s'est baptisée, je
crois, Fontange, et qui est une Po-
mone superbe, portant avec fierté dans
son corsage, les attributs de déesse des
fruits appétissants. Pour le reste, il m'a
semblé que les interprètes avaient bien
suivi la tradition, car il y a une tradi-
tion pour Orphée aux Enfers comme
pour le Misanthrope ; et, par exemple,
le fumiste Bâche, ce long et maigre per-
sonnage, avait donné au rôle de John
Styx, roi de Béotie et domestique de
Plut on, une physionomie qu'il n'y a plus
qu'à rappeler et à imiter.
Abstraction faite de tout ce qu'on y
a ajouté de magnificences, la pièce reste
amusante, étant une bonne parodie,
qui a eu le mérite d'arriver la première,
ouvrant la voie à la Belle Hélène. Peut-
être n'y avait-il pas, pendant les pre-
mières années de l'empire, de raison
bien spéciale pour parodier l'antiquité
grecque. Cette pauvre antiquité était
déjà fort délaissée, et la parodie eût eu
peut-être une importance littéraire plus
considérable, si elle fût venue en d'au-
tres temps, alors que les souvenirs et
les formes classiques pesaient trop lour-
dement sur notre art et en altéraient
l'originalité. Mais, sans chercher si
loin, sans vouloir donner à leurs dis-
tractions une portée quelconque, les
joyeux Parisiens avaient, au sortir des
émotions de la politique, sans cesse
renouvelées depuis 1848, une extraordi-
naire fringale de plaisirs, de raillerie
et de folle gaieté. Protestant contre le
sérieux, ils ont ri d'Orphée, le chantre
divin, et des héros d'Homère, absolu-
ment comme ils auraient ri d'autre
chose, pour la joie de rire et parce que
la parodie était vraiment drôle, servie
par un musicien qui, dans son genre, a
eu là des inspirations de génie. L'air
d' « Evohé » et la « Bacchanale » sont
tout simplement des chefs-d'œuvre, et
cette parodie outrée des classiques a
mérité, par eux, de devenir classique.
Il y eut, cependant, des protestations,
violentes même. Certains esprits, im-
pératifs et poétiques (même sans que
ceux qui les possèdent soient des poè-
tes de leur métier), ont une répugnance
instinctive pour la parodie, qu'ils trou-
vent d'un art facile et bas, ce qui est
vrai quand la fantaisie lui fait défaut et
que la gaieté de la forme l'abandonne.
Et cette répugnance s'exaspère lorsque
la parodie s'attaque à des hommes sacrés
par le génie, à des œuvres consacrées par
l'admiration des siècles. Saint-Victor,
Gautier, d'autres encore, acceptèrent
mal de voir Orphée, dompteur de tigres
et conquérant la Thrace, sa grande lyre
en écaille de tortue à la main, devenir
un violoneux courant le cachet, sa
pochette à la ceinture. J'ai bien éprouvé
quelque chose de ce sentiment. Il y a
si peu de choses qui aient, dans le
monde, réalité ou souvenirs, une grande
allure, qu'on en voit mal volontiers di-
minuer le nombre par la raillerie. Et il
faut ajouter à cela que la foi au catho-
licisme disparaissant de plus en plus
chez les lettrés, l'esprit religieux, qui
est indestructible, a justement quelque
tendance à s'éorendre du souvenir des
dieux et des héros helléniques, - que la
critique et la science n'ont fait que
grandir en les expliquant et en en faisant
des dieux très logiques. Car ils sont à la
fois les symboles des forces de la na-
ture et des efforts de l'homme. Mais, à
ces colères ou à ees réserves, on peut
répondre que les Grecs eux-mêmes en
prenaient bien librement avec leurs
dieux, avec certains de leurs dieux au
moins. L'Hercule d'Aristophane, par
exemple, glouton, vantard et le reste,
est tout à fait, dans les Grenouilles, un
personnage de la foire. Et puis, si la
parodie de l'Olympe grec a pu inquiéter
quelques-uns des nobles païens de Pa-
ris, cette inquiétude est calmée.
Les Parisiens ont ri et rient encore
des fredaines de « papa Piter », ce qui
n'empêche pas que l'art continue, comme
la philosophie et la morale, à s'abreuver
aux sources helléniques, si pures que
les eaux n'en restent pas troublées pour
un satyre railleur qui s'y roule un ins-
tant. « Trois mille ans ont passé sur la
cendre d'Homère », dit le poète, sans
altérer sa gloire. La fantaisie aimable
d'un moqueur a bien pu y passer en-
core, par-dessus le marché! Et d'ail-
leurs, si on voulait philosopher sur les
choses, n'est-ce pas, dans la parodie
même de l'antiquité, un hommage rendu
à l'antiquité, que cette recherche du
beau plastique qui fut un de ses dogmes ?
Et qui sait si l'impie Offenbach lui-
même, quand il a écrit l'« Evohé », véri-
table cantique de la sainte religion hel-
lénique, n'a pas eu son heure charmante
de trouble et de dévotion païenne ?
Comme les théâtres ont tous leur affi-
che réglée pour quelque temps, nous
voici de loisir et je puis revenir sur un
incident de ces derniers temps, qui m'a
paru curieux et que je n'avais pu que
signaler. Je veux parler de la coupure
pratiquée dans le drame intéressant:
les Mystères de Paris, dont on a sup-
primé un tableau. Ce tableau est celui
où le vieux notaire scélérat, Jacques
Ferrand, meurt d'amour pour la belle
Cécily. Quand je dis qu'il mourait d'a-
mour, c'est pour parler comme on parle
et entrer dans la convention théâtrale.
Car, ô misère des cœurs ! on ne meurt
pas d'amour. On meurt de folies déter-
minées par l'amour. Ces folies sont de
genres divers, folie du suicide, mono-
manie délirante, et aussi, la plus terri-
ble de toutes, le satyriasis. Or, c'est de
cette dernière folie que meurt en scène
le misérable notaire. Son étude fermée,
il monte dans un boudoir, où la diabo-
lique Cécily a reçu la consigne de l'exci-
ter et de le désespérer, ce dont elle
s'acquitte en lui fermant la porte au
nez, après s'être promenée devant lui en
Turque.
Cette turquerie m'avait donné une
formidable envie de rire, qui avait em-
porté tout ce que le tableau avait, au
fond, de répugnant. -- Que voulez-vous?
Je ne suis ni très jeune, ni très vieux ;
je vais souvent au bal masqué et j'y ai
tant vu d'odalisques semblables à Cé-
cily, que l'idée qu'on meurt d'un souper
refusé me paraît falote. Mais le publie
des matinées n'a pas pris gaiement la
chose. Il a vu l'horreur du tableau et il
s'est regimbé de la belle façon. Des
mères ont quitté la salle, emmenant
leurs filles, comme dans le Roi Can-
daule, — et des pères de famille ont
protesté avec quelque vacarme. Cet in-
cident est particulièrement intéressant
à l'heure où les questions relatives à la
censure sont constamment remises sur
le tapis. Je n'ai jamais caché que j'étais
partisan de la censure. Mais, avec la
bonne foi qu'il faut avoir en toutes cho-
Prix du numéro : Paris et déoartements : 15 centimes
Lundi 28 février 4887
JOURNAL RÉPUBLICAIN
REDACTION --,
9adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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Directeur politique :
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Six mois. 32 »»
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MM. LAGRANGE, CERF ET æ18
6, place de la Bourse J e
BULLETIN
Le Sénat a donné une fois de plus la
preuve de sa prudence et de sa modération
en adoptant le budget tel que la Chambre
des députés le lui avait renvoyé samedi
soir. Il y a eu, dans la séance tenue ex-
traordinairement hier matin dimanche,
une courte discussion de pure forme.
M. Maze a tenté vainement de faire croire
au Sénat que la décision immédiate solli-
citée par le gouvernement était « une at-
teinte portée à la dignité du Sénat et de
la France. »
M. Léon Say avait fait le vœu de soulever
un conflit entre la Chambre et le Sénat. Il
s'est appliqué de son mieux à empêcher
le vote du budget des dépenses. En vain
M. Tirard, président de la commission des
finances, cherche à lui expliquer que le
temps matériel manque pour continuer
avec la Chambre un dialogue sur les dé-
penses du personnel de l'administration
centrale des finances, et que cette conver-
sation prolongée réduirait fatalement le
cabinet à demander un nouveau douzième
provisoire. Cette perspective n'est pas
pour émouvoir M. Léon Say, qui ne répu-
gne en aucune façon à un expédient aussi
fâcheux : conflit, douzièmes provisoires,
tout ce qu'on voudra, M. Léon Say accepte
* les pires éventualités, plutôt que de transi-
ger avec la Chambre. Ce langage est pour
surprendre dans la bouche d'un ancien
ministre des finances. Les funestes con-
seils de M. Léon Say n'ont pas été enten-
dus, et, par 208 voix contre 9, le Sénat a
adopté le budget des dépenses.
Les nouvelles de. Bulgarie deviennent
chaque jour plus menaçantes. Est-ce une
tactique ou une réalité? Le fait est que, par
un revirement subit, le spectre de la
France a cessé d'affoler l'Allemagne, et
que, tout au contraire, la question bulgare
est devenue plus que jamais un sujet d'a-
larme pour la presse allemande. Tant il y
a que, vrais ou faux, les bruits les plus
fâcheux circulent au sujet de cette affaire
interminable.
Les pourparlers engagés avec la Porte
par les délégués bulgares n'aboutissent
pas et auraient chance d'avorter définiti-
vement.
Le sultan s'est décidé à envoyer à Sofia
un délégué spécial, auquel on se hâte d'at-
tribuer la qualité de « haut commissaire »,
dans l'intention visible d'exciter les défian-
ces de la Russie. On énumère avec com-
plaisance les instructions données à l'a-
gent turc: elles rappellent singulièrement
la mission exercée naguère par le général
Kaulbars; aussi n'a-t-on pas omis d'annon-
cer, du même coup, que le tsar voit d'un
mauvais œil l'envoi du délégué delà Porte et
semble disposé à croire que la mission de
cet agent a pour objet de supplanter la
Russie dans le règlement de la question
bulgare. A telles enseignes que l'ambas-
sade russe à Constantinople aurait fait
d'activés démarches auprès du sultan
pour s'opposer au départ du délégué turc.
Enfin, comme si tous ces détails ne suf-
fisaient pas pour assombrir le tableau, on
ajoute que dans le cas où la mission tur-
que échouerait, la Porte déclarerait aux
puissances qu'elle renonce à régler la
question bulgare, et les mettrait en de-
meure de se conformer au traité de Ber-
lin.
D'où partent ces nouvelles alarmistes ?
Autant demander à qui pourront profiter
les complications redoutées par les uns,
attendues par les autres. Il est visible
qu'en Angleterre on n'éprouverait aucun
déplaisir si le règlement pacifique de l'af-
faire de Bulgarie était impossible. Il est
évident, d'autre part, que plus la situation
sera troublée en Bulgarie, plus la Russie
sera tentée de faire sentir sa prépondé-
rance dans les Balkans, plus aussi l'occa-
sion sera belle pour le chancelier allemand
de faire sentir le prix de ses complaisan-
ces envers le tsar.
Il faut se tenir en garde contre les affir-
mations des dépêches anglaises et les
commentaires agressifs des journaux alle-
mands. Peul-être faut-il ranger dans la
même catégorie des nouvelles intentIOn-
nellement pessimistes, les savantes disser-
tations de la presse étrangère sur l'alliance
défensive de l'Allemagne, l'Autriche et
l'Italie. Il n'est bruit que de cette entente
à trois, dirigée, le cas échéant, soit contre
la Russie, soit contre la France, peut-être
contre toutes les deux. N'oublions pas
qu'en Allemagne on n'a pas encore le droit
de se rassurer: nous sommes à la veille
des élections de ballottage. Les électeurs
ont à rendre un dernier verdict le 2 mars ;
on les tient en haleine.
Louis HENRIQUB.
11 mflini
INFORMATIONS PARTICULIÈRES
Le budget de 1887
Le Journal officiel promulgue, ce matin, la
loi portant fixation du budget des dépensas
de l'exercice 1887.
La loi portant fixation du budget des recet-
tes avait été promulguée hier matin.
Les élections législatives d'hier
Les électeurs des Basses-Pyrénées étaient
convoqué hier pour élire un député en rem-
placement de M. Destandeau, député réac-
tionnaire, décédé.
M. Destaudeau avait été élu aux élections
de ballottage du 18 octobre 1885, par 42,488
voix, contre M. Caioison, candidat républicain.
Deux candidats étaient en présence : MM.
Vignancour, républicain, et M. de Joantho,
réactionnaire.
Une élection législative a eu lieu également
dans l'Aveyron, pour pourvoir au remplace-
ment de M. Roques, député réactionnaire,
décédé.
M. Roques avait été élu le 4 octobre 1885,
par 52.806 voix. M. Mas , le candidat républi-
cain qui avait eu le plug de voix, en avait ob-
tenu 48 020.
Le candidat républicain est M. Rodât an-
cien député.
Au moment où nous mettons sous presse,
aucun résultat ne nous est encore parvenu
an sujet des élections législatives de l'Avey-
ron et des Basses-Pyrénées.
Une réunion électorale tenue en vue de
l'élection législative du 20 mars prochain, par
suite du décès de M. Adam, député , a été te-
nue hier à Saint-Pol.
M. Ribot a affirmé ses sentiments républi-
cains; il a ensuite traité la question de la po-
litique nationale, au milieu des applaudisse-
ments de l'auditoire.
Sa candidature a été acclamée.
Elections au Conseil général
Canton de Beaurepaire (Saône-et-Loire)
Inscrits : 2,564. — Votants : 1,777
Suffrages exprimés : 1,750
MM. Petitjean, républicain 1.047 Elu
Couitlerot, réactionnaire. 703
Canton de Cuiseaux (Saône-et-Loire)
Inscrits : 2,948. — Votants : 1885
M. Puvis do Chavannes, réact. 1,524 Elu
Canton de Denain (Nord)
Inscrits : 6,822. — Votants : 5,284
MM. Delcambre, républicain.. :.. 3.447 Elu
Denis 1.530
Canton de Bouchain (Nord)
M. Caullet, républicain, est élu.
Canton de Cléguérec (Morbihan)
Inscrits : 3,259. — Votants : 2,460
MM. Le B'erre, réactionnaire 1.358 Elu
Le Maguet, républicain. 1.104
En Corse
A Bastia, on prétend qu'nne centaine d'hom-
mes se seraient groupés autour de Leandri,
lequel est actuellement dans l'arrondissement
de Sartène. On leur attribue l'intention de se
rendre à Sartène, pour faire les dernières som-
mations aux membres du tribunal.
Deux compagnies de la garnison d'Ajaccio
ont été dirigées sur Sartène.
LE BUDGET DE 1887
Il serait injuste de ne pas adresser
de très vives félicitations aux Chambres,
et de ne pas rendre hommage à l'esprit
politique dont elles viennent de faire
preuve. Le Sénat a mis une très patrio-
tique ardeur à voter le budget dans le
délai qui lui était laissé, et il a fait en
quelque sorte un tour de force en ne
dépassant pas ce délai. La première par-
tie de la loi de finances lui a été trans-
mise le 7 février ; la seconde partie , le
11. La discussion s'est engagée le 19,
et elle s'est terminée dans la nuit du
26. Malgré la rapidité de ce débat, il a
été complet. Les observations qu'il y
avait lieu de présenter ont été faites ;
les explications utiles ont été fournies.
Rien n'a été laissé de côté, excepté les
paroles inutiles, pourrait-on ajouter, si
un ou deux orateurs n'avaient donné
cours à leur intempérance ordinaire de
langage. Pour terminer dignement cette
semaine d'efforts, pour éviter un nou-
veau douzième provisoire, le Sénat n'a
pas hésité à tenir séance le dimanche
et à pratiquer, en acceptant les derniè-
res modifications de la Chambre, la po-
litique de conciliation qui lui était re-
commandée par le gouvernement.
La Chambre ne mérite pas de moin-
dres éloges pour la résolution avec la-
quelle elle a pratiqué cette même poli-
tique de conciliation, aussi bien à l'égard
du Sénat qu'à l'égard du gouvernement.
Elle a compris que le moment serait
fort mal choisi pour renverser ou même
pour affaiblir le cabinet, et qu'il fallait
en fiair avec ce budget qui menaçait
de devenir une sorte d'œuvre de Péné-
lope. Elle a pu se convaincre, du reste,
que si, suivant le mot de M. Wilson, le
« budget de préparation » qu'elle avait
envoyé au Sénat lui revenait transformé
en « budget de repos », ce changement
n'avait pas, en réalité, l'importance
qu'on voulait lui attribuer, puisque les
intentions réformatrices qui s'étaient
manifestées avaient été partagées par
le gouvernement, et que celui-ci, s'ins-
pirant des désirs de la majorité, avait
préparé et déposé des projets spéciaux
qui seront étudiés à loisir et qui auront
ensuite leur effet sur nos finances.
Qu'importait à la Chambre, dans ces
conditions, que la question des sous-
préfets fût engagée par voie budgétaire
ou laissée entière, que la loi de finances
contînt oune contînt pas un vœu en fa-
veur de l'impôt sur le revenu? Cela n'a-
vançait ou ne retardait pas d'un jour la
solution de ces questions. Elles sont
dès maintenant posées et la Chambre
n'a plus à craindre de leur voir subir
un ajournement indéfini.
Toutes les situations, aussi bien au
Sénat qu'à la Chambre, se trouvant
ainsi sauvegardées, il n'y avait pas, il ne
pouvait pas y avoir de motif pour re-
tarder encore le vote du budget ou pour
engager un conflit entre les deux Cham-
bres au sujet des modifications qui n'a-
vaient pas été ratifiées au Palais-Bour-
bon. Elles ne touchent pas à l'exécution
de lois organiques et elles n'engagent
aucun principe. Le Sénat n'aurait pas
eu de raison sérieuse pour maintenir
sa décision première. C'est au ministre
compétent qu'il appartient d'étudier avec
la plus sévère exactitude si les services
de son département ne peuvent être
réorganisés - à moins de frais, et à s'ins-
pirer, dans la plus large mesure com-
patible avec le fonctionnement de son
administration, des désirs d'économie
manifestés par la Chambre. Mais on ne
peut supposer que celle-ci ait eu la
pensée de désorganiser des services
administratifs, et si les réductions qu'elle
a opérées en entravent le fonctionne-
ment, nous ne doutons pas qu'elle ne soit
toute disposée à revenir sur ce qu'il y
aurait de trop rigoureux dans ses réso-
lutions. On peut être certain qu'il n'y
aura pas de difficultés sur ce point, et
que personne n'assumerait la respon-
sabilité de compromettre l'accord qui
s'est établi entre tous les pouvoirs pu-
blics et qui s'est maintenu au milieu
de circonstances difficiles, pour une
affaire qui n'a aucune importance poli-
tique et seulement une importance
financière bien faible.
Nous voici donc débarrassés de la
façon la plus favorable de ce budget
4e 1887, dont l'élaboration a été aussi
longue que pénible etfertile en incidents.
Et maintenant, que l'on aborde l'étude
des réformes proposées par le gouver-
nement, et que l'on commence le plus
tôt possible la préparation du budget
de 1888, auquel nous souhaitons d'aller
plus vite et de nous réserver moins de
surprises que son devancier.
Deux élections ont eu lieu hier, dans
l'Aveyron et dans les Basses-Pyrénées. On
ne connait pas encore les résultats du
scrutin. Mais ces résultats sont prévus.
Dans le département de l'Aveyron, le
parti réactionnaire a renoncé à soutenir
la lutte; il a déserté le combat, tellement
la défaite lui a apparu certaine. Les
meneurs du parti essaient de masquer
leur déroute par une explication inatten-
due : « Les comités conservateurs ont
cru devoir réserver leurs efforts pour les
élections générales, qu'ils disent prochai-
nes. »
Cette explication ne satisfait guère cer-
tains organes du parti, pour qui tant de
réserve ressemble fort à une « abdica-
tion ».
Dans le département des Basses-Pyré-
nées, les conservateurs n'ont pas voulu
« abdiquer » ; leur échec ne semble pas
douteux.
C'est l'issue accoutumée des élections
partielles qui se sont faites depuis le re-
nouvellement de la Chambre. Chaque fois
que le suffrage universel a été consulté
depuis le 15 octobre 1885, sa réponse a été
la condamnation sévère de la politique
rétrograde qui comptait près de deux
cents représentants à la Chambre au com-
mencement de la législature.
Le parti républicain compte autant de
victoires que de batailles livrées. Il re-
prend peu à peu les positions dont il
s'était laissé déloger il y a dix-huit mois
à peine. Hier dans l'Aisne, dans l'Aube; au-
jourd'hui dans l'Aveyron, dans les Basses-
Pyrénées; demain dans le Pas-de-Calais.
Et à quel moment se produisent ces ma-
nifestations significatives ? Au lendemain
même des événements qui ont fait naître
de si vives appréhensions dans l'Europe
entière. Alors que les plus graves com-
plications étaient à redouter, nous avons
vu les masses électorales affirmer leur
foi dans la vitalité des institutions répu-
blicaines, témoignant ainsi de la confiance
absolue qu'elles accordent aux hommes
qui sont placés à la tête du pouvoir.
Les électeurs sont las de la politique
stérile, autant qu'acrimonieuse, pratiquée
par les conservateurs de la Chambre ; ils
ne veulent plus de cette politique de piéti-
nement et de chicanes qui paralyse les
efforts de la représentation tout entière et
fait obstacle à la réalisation progressive
des vœux les plus chers de la démocra-
tie si laborieuse.
Les électeurs de l'Aveyron et des Bas-
ses-Pyrénées, trompés par de fausses ap-
parences en octobre 1885, avaient aliéné
leur liberté : ils ont abjuré cette erreur
d'un jour, ils reviennent à la République.
Le scrutin du 27 février en sera la preuve
manifeste.
LA POLITIQUE RUSSE
Voici le principal passage de la corres-
pondance de Saint Pétersbourg publiée
hier matin par le Nord, et dont nous avons
donné la substance d'après une dépêche
de Bruxelles :
La Russie comprend merveilleusement au-
jourd'hui tous les avantages de sa situation.
Elle voit, à n'en pas douter, que le sort de
l'Europe est entre ses mains, qu'aucune puis-
sance n'y saurait rien entreprendre sans sa-
voir préalablemeet de quel côté se rangera
la Russie, et que, loin de se sentir menacée
maintenant d'une coalition, celle-ci constitue
au contraire le précieux appoint dont chacun
voudrait s'assurer la possession en cas de
conflit.
L'attitude impassible du gouvernement
russe par rapport à la question bulgare n'est
donc pas une preuve de faiblesse, mais bien
un témoignage de sa force, qui lui permet la
patience devant des épreuves temporaires,
grâce à son entière confiance dans un résul-
tat final satisfaisant quand le moment propice
sera venu.
La conscience de cette force est même si
profonde chez la Russie, qu'elle croit pouvoir
dédaigner de poursuivre les avantages immé-
diats, mais éphémères, qu'elle serait en état
de tirer des circonstances actuelles, et pré-
fère attendre de l'avenir une solution non
moins profitable, mais plus solide, des ques-
tions qui l'intéressent. Elle n'aurait qu'un mot
à dire aujourd'hui à Berlin pour que l'omni-
potence du prince de Bismarck déterminât aus-
sitôt une profonde évolution en sa faveur
dans les affaires d'Orient; mais ce mot la
conduirait à prendre des engagements vis-à-
vis de l'Allemagne, tandis qu'elle veut, au
contraire, conserver sa pleine liberté d'action,
et c'est pourquoi aucune démarche en ce sens
ne sera faite par le gouvernement russe. En
d'autres termes, la Russie n'aura pas la naï-
veté de se faire simple auxiliaire quand elle
peut devenir arbitre.
Et ce rôle d'arbitre n'est pas seulement con-
forme au sentiment de la dignité nationale
du peuple russe, il ne flatte pas uniquement
son amour-propre et ses aspirations ambi-
tieuses, mais correspond encore à ses inten-
tions pacifiques, en lui permettant de contri-
buer puissamment au maintien de la paix.
Sauf en effet le cas exceptionnel, et d'ail-
leurs peu probable, d'une défaite du prince
de Bismarck aux élections qui l'obligerait à
jouer le tout pour le tout, les éventualités de
paix ou de guerre dépendent presque exclu-
sivement aujourd'hui de la Russie. Il suffirait
que la France reçût d'elle une promesse d'ap-
pui, ou l'Allemagne une assurance de com-
plète neutralité, pour lancer immédiatement
l'une de ces puissances contre l'autre, et nul
doute alors que, dans l'état d'effervescence
où se trouvent tous les pays de l'Europe, une
mêlée générale ne suivît l'explosion du con-
flit franco allemand.
L'Europe est donc redevable à la Russie de
sa sécurité relative actuelle, et l'attituda ob-
servée par notre pays semble promettre que
rien de sa part ne viendra modifier cette si-
tuation, si des circonstances impérieuses ne
l'obligent à sortir de sa réserve. On ne sau-
rait, en effet, prétendre qu'un peuple fasse
abnégation de ses Intérêts essentiels pour ga-
rantir aux autres le repos et la prospérité.
C'est pourquoi, si les puissances européennes
tiennent à recueillir le bénéfice des bonnes
intentions de la Russie, elles ne doivent pas
oublier que celle-ci possède le sentiment de
sa force, de sa position avantageuse, des
égards qui lui sont dus, et qu'il importe de
s'entendre pour satisfaire à ses réclamations,
aussi modérées que légitimes.
Oui, la paix est à ce prix, car 11 ne faut pas
se dissimuler qu'il suffirait à la Russie de
mettre aux prises, comme je l'ai dit plus
haut, la France et l'Allemagne, pour pouvoir
se jeter librement sur l'Aulfiche-Hongrie et
demander au sort des armes ce qu'on s'obs-
tine mprudemment à ne pas lui accorder par
voie diplomatique.
Tels ne sont pourtant pas les projets de la
Russie, car elle comprend trop bien le danger
qu'il y aurait à s'engager dans une entre-
prise capable de paralyser provisoirement
son action internationale, dans une aventure
qui l'empêcherait d'assurer le maintien de
l'équilibre européen s'il se trouvait menacé.
Une rigoureuse expectative qui lui laisse les
mains entièrement libres est, au contraire,
dictée par la sagesse au gouvernement russe,
et c'est à cette nécessité — pas à autre chose
— qu'il faut attribuer son apparente impassi-
bilité actuelle par rapport à la question bul-
gare, aussi bien qu'aux coquetteries rivales
de Paris et de Berlin.
Voici, d'autre part, une déclaration que
le général Ignatieff aurait faite au cours
d'un entretien avec le correspondant à
Saint-Pétersbourg du Daily News.
Le général, parlant de l'effet que pou-
vait produire en Europe sa nomination au
poste de ministre des affaires étrangères,
en remplacement de M. de Giers, s'est
exprimé ainsi :
On sait que je suis un homme d'action et
l'on croit que je ne suis pas un ami de l'Alle-
magne. Mais l'opinion publique de l'Europe se
trompe fort en pensant que mon entrée au
ministère serait une menace pour la paix. La
Russie a besoin de la paix aussi bien que tout
autre Etat, et ce serait une folie d'avoir re-
cours à l'ultima ratio tant qu'on n'aura pas
épuisé les moyens pacifiques pour régler les
questions en litige ; ces moyens sont encore
bien nombreux.
Il est vrai qu'il y a des pays qui me sont
beaucoup plus sympathiques que l'Allemagne,
mais cela ne peut empêcher la Russie et l'Al-
lemagne de vivre en bons termes.
Le général a déclaré, en terminant, que
la Russie ne retombera pas dans la faute
qu'elle a commise en 1870 en laissant
écraser la France, faute dont la consé-
quence a été pour elle le traité de Berlin
de 1878.
CHRONIQUE
SUUM CUIQUE !
Eh bien ! je m'étais grossièrement
trompé.
Je l'avoue en toute candeur, non seu-
lement sans la moindre honte, mais plu-
tôt, au contraire, avec une certaine sa-
tisfaction et une petite pointe de va-
nité. nationale.
J'avais eu tort, à l'occasion du bill du
Sénat de Washington, autorisant la
construction d'un chemin de fer il na-
vires à travers l'isthme de Tehuantepec,
j'avais eu tort de décerner trop tôt et
trop à la lègère, après n'avoir entendu
qu'une cloche et qu'un son, la palme de
la victoire scientifique et industrielle à
MM. les Américains. Dans cette prodi-
gieuse partie jouée là-bas, autour du
nombril du nouveau continent, par le
dessus du panier des ingénieurs cos-
mopolites, avec l'empire du monde com-
mercial pour enjeu, les Yankees n'ont
gagné ni la belle, ni la seconde man-
che, ni la première. Pour eux, tout au
contraire, le match tourne au capot.
S'il tient vraiment à avoir sa revanche
du canal français de Panama, l'oncle Sam
devra mettre son amour-propre et son
honneur ailleurs que sur le miraculeux
railway pour navigation à travers champs,
dont j'avais inconsidérément, sur la foi
de gazettes transatlantiques, prêté la
gloire à M. Eads. Il lui faudra trouver
autre chose, faire plus grand et plus
prodigieux encore.
L'idée du chemin de fer à navires
n'est pas, en effet, une idée américaine.
Comme l'idée du eanal de Panama,
comme — également — l'idée du canal
de Nicaragua, c'est une idée européen-
ne. Qui plus est, c'est une idée française.
Je ne suis pas fâché de m'être trompé
dans ces conditions et à ce prix-là'.
*
* *
C'est un de mes bons amis qui m'a
mis le nez dans mon erreur. Je puis bien
le nommer, car son nom est une garan-
tie de compétence et d'autorité en pa-
reille matière. C'est M. G. Sénéchal,
capitaine d'état-major au troisième corps
de l'armée territoriale, membre corres-
pondant dela Société des études mariti-
mes et coloniales et du Comité de défense
des intérêts français d'outre-mer.
Voici ce que M. Sénéchal, que ma
chronique de l'autre jour avait touché
au vif, est venu tout à l'heure m'appren-
dre, en appuyant ses dires rectificatifs
d'un luxe de pièces, de preuves et de
documents de nature à satisfaire les
plus exigeants et les plus scrupuleux.
C'est un devoir — et un plaisir — pour
moi de vous en faire immédiatement
part.
Le chemin de fer à navires est une
idée française qui, par-dessus le marché,
ne date pas précisément d'hier.
Le 25 décembre 1855, en effet, un
M. Gatineau, né à Versailles le 10 avril
1807, déposait, pour prendre date, au
tribunal de commerce de cette ville,
un mémoire ayant pour titre : Aperçu
et abtégé d'un projet pour le transport
des navires de toutes forces avec leurs
chargement et agrès par voies ferrées
et machines à vapeur, applicable dans
un grand nombre de circonstances et
usages désignés.
Le 15 janvier 1856, ce travail fut
adressé à l'empereur Napoléon III, mais
il demeura sans réponse.
Le 27 septembre 1859, une copie en
fut de nouveau adressée au chef de
l'Etat. Cette fois, l'accueil fut meilleur.
Le 3 octobre suivant, en effet, avis était
donné à M. Gatineau que le travail
venait d'être transmis au conseil d'Etat,
enregistré sous le numéro 12648 (on
voit que je précise 1), puis renvoyé au
feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 28 février 1887
CAUSERIE
DRAMATIQUE
- THÉÂTRE DE LA GAITÉ : Orphée aux Enfers
(reprise). — LA QUESTION DE LA. CENSURE.
LA QUESTION DU CONSERVATOIRE.
Orphée aux Enfers, lorsqu'il fut donné
pour la première fois aux Parisiens, en
.1858, était un simple opéra-bouffe, en
- deux actes et quatre petits tableaux, qui
n'était pas très éloigné, comme genre,
de certains opéras-bouffes italiens (tel
que la Sonnette de l'apothicaire, de
Donizetti), quoiqu'il en fût différent par
un esprit de parodie tout à fait nouveau.
Le succès en fut immense, un des plus
grands qu'ait connus le théâtre contem-
porain. Sur la petite scène des Bouffes,
très à la mode, l'œuvre fit un effet énor-
me, interprétée d'ailleurs avec la plus
- grande perfection. A cette date, M.
Léonce était encore un comédien fort
drôle. Désiré, mort depuis, jouait Jupin
avec une rare fantaisie. Les plus belles
filles du temps portèrent successive-
ment le maillot de Vénus, et les Eury-
dices se succédèrent, toutes avec des
qualités particulières, sans lasser la eu-
riosité du public.
Depuis, Orphée aux Enfers, souvent
repris avant la dernière reprise de lçt
Gaîté, a changé de caractère. Ses deux
actes se sont doublés; les quatre ta-
bleaux primitifs se sont multipliés en
dix ou douze. On y a ajouté des ballets,
des cortèges, un spectacle superbe que
ne comportait pas la petite scène des
Bouffes. On pourrait discuter la ques-
tion de savoir si une pièce legère, où
l'esprit abonde dans le livret et dans la
musique, gagne ou perd quelque chose
à changer ainsi de proportions et si les
mérites des auteurs ne sont pas écrasés
par les inventions des décorateurs, des
machinistes et des maîtres de ballet.
Mais, à quoi bon cette discussion, à
quoi bon mon avis, qu'on connaît, sur
la prépondérance toujours croissante de
la mise en scène, parlant aux yeux et
ne laissant pas grand'chose pour l'es-
prit ? Le courant et la mode me donne-
raient tort et aussi l'événement, car
Orphée aux Enfers, devenu une féerie-
ballet, a emporté les suffrages du pu-
blic. C'est, du reste, tout à fait beau.
Mme Granier, assez longtemps éloignée
de la scène, y a fait une rentrée triom-
phale. Elle a joué et chanté Eurydice
d'une façon qui, non seulement ne fait
pas regretter les Eurydices d'antan, mais
qui s'approche tout à fait de la perfec-
tion. Le rôle de Vénus a été rempli —
et bien rempli, au'moins s'il s'agit du
costume — par une personne plus
connue jusqu'ici à la ville qu'à la scène,
Mlle Marsy. J'ai remarqué encore une
belle Marseillaise, qui s'est baptisée, je
crois, Fontange, et qui est une Po-
mone superbe, portant avec fierté dans
son corsage, les attributs de déesse des
fruits appétissants. Pour le reste, il m'a
semblé que les interprètes avaient bien
suivi la tradition, car il y a une tradi-
tion pour Orphée aux Enfers comme
pour le Misanthrope ; et, par exemple,
le fumiste Bâche, ce long et maigre per-
sonnage, avait donné au rôle de John
Styx, roi de Béotie et domestique de
Plut on, une physionomie qu'il n'y a plus
qu'à rappeler et à imiter.
Abstraction faite de tout ce qu'on y
a ajouté de magnificences, la pièce reste
amusante, étant une bonne parodie,
qui a eu le mérite d'arriver la première,
ouvrant la voie à la Belle Hélène. Peut-
être n'y avait-il pas, pendant les pre-
mières années de l'empire, de raison
bien spéciale pour parodier l'antiquité
grecque. Cette pauvre antiquité était
déjà fort délaissée, et la parodie eût eu
peut-être une importance littéraire plus
considérable, si elle fût venue en d'au-
tres temps, alors que les souvenirs et
les formes classiques pesaient trop lour-
dement sur notre art et en altéraient
l'originalité. Mais, sans chercher si
loin, sans vouloir donner à leurs dis-
tractions une portée quelconque, les
joyeux Parisiens avaient, au sortir des
émotions de la politique, sans cesse
renouvelées depuis 1848, une extraordi-
naire fringale de plaisirs, de raillerie
et de folle gaieté. Protestant contre le
sérieux, ils ont ri d'Orphée, le chantre
divin, et des héros d'Homère, absolu-
ment comme ils auraient ri d'autre
chose, pour la joie de rire et parce que
la parodie était vraiment drôle, servie
par un musicien qui, dans son genre, a
eu là des inspirations de génie. L'air
d' « Evohé » et la « Bacchanale » sont
tout simplement des chefs-d'œuvre, et
cette parodie outrée des classiques a
mérité, par eux, de devenir classique.
Il y eut, cependant, des protestations,
violentes même. Certains esprits, im-
pératifs et poétiques (même sans que
ceux qui les possèdent soient des poè-
tes de leur métier), ont une répugnance
instinctive pour la parodie, qu'ils trou-
vent d'un art facile et bas, ce qui est
vrai quand la fantaisie lui fait défaut et
que la gaieté de la forme l'abandonne.
Et cette répugnance s'exaspère lorsque
la parodie s'attaque à des hommes sacrés
par le génie, à des œuvres consacrées par
l'admiration des siècles. Saint-Victor,
Gautier, d'autres encore, acceptèrent
mal de voir Orphée, dompteur de tigres
et conquérant la Thrace, sa grande lyre
en écaille de tortue à la main, devenir
un violoneux courant le cachet, sa
pochette à la ceinture. J'ai bien éprouvé
quelque chose de ce sentiment. Il y a
si peu de choses qui aient, dans le
monde, réalité ou souvenirs, une grande
allure, qu'on en voit mal volontiers di-
minuer le nombre par la raillerie. Et il
faut ajouter à cela que la foi au catho-
licisme disparaissant de plus en plus
chez les lettrés, l'esprit religieux, qui
est indestructible, a justement quelque
tendance à s'éorendre du souvenir des
dieux et des héros helléniques, - que la
critique et la science n'ont fait que
grandir en les expliquant et en en faisant
des dieux très logiques. Car ils sont à la
fois les symboles des forces de la na-
ture et des efforts de l'homme. Mais, à
ces colères ou à ees réserves, on peut
répondre que les Grecs eux-mêmes en
prenaient bien librement avec leurs
dieux, avec certains de leurs dieux au
moins. L'Hercule d'Aristophane, par
exemple, glouton, vantard et le reste,
est tout à fait, dans les Grenouilles, un
personnage de la foire. Et puis, si la
parodie de l'Olympe grec a pu inquiéter
quelques-uns des nobles païens de Pa-
ris, cette inquiétude est calmée.
Les Parisiens ont ri et rient encore
des fredaines de « papa Piter », ce qui
n'empêche pas que l'art continue, comme
la philosophie et la morale, à s'abreuver
aux sources helléniques, si pures que
les eaux n'en restent pas troublées pour
un satyre railleur qui s'y roule un ins-
tant. « Trois mille ans ont passé sur la
cendre d'Homère », dit le poète, sans
altérer sa gloire. La fantaisie aimable
d'un moqueur a bien pu y passer en-
core, par-dessus le marché! Et d'ail-
leurs, si on voulait philosopher sur les
choses, n'est-ce pas, dans la parodie
même de l'antiquité, un hommage rendu
à l'antiquité, que cette recherche du
beau plastique qui fut un de ses dogmes ?
Et qui sait si l'impie Offenbach lui-
même, quand il a écrit l'« Evohé », véri-
table cantique de la sainte religion hel-
lénique, n'a pas eu son heure charmante
de trouble et de dévotion païenne ?
Comme les théâtres ont tous leur affi-
che réglée pour quelque temps, nous
voici de loisir et je puis revenir sur un
incident de ces derniers temps, qui m'a
paru curieux et que je n'avais pu que
signaler. Je veux parler de la coupure
pratiquée dans le drame intéressant:
les Mystères de Paris, dont on a sup-
primé un tableau. Ce tableau est celui
où le vieux notaire scélérat, Jacques
Ferrand, meurt d'amour pour la belle
Cécily. Quand je dis qu'il mourait d'a-
mour, c'est pour parler comme on parle
et entrer dans la convention théâtrale.
Car, ô misère des cœurs ! on ne meurt
pas d'amour. On meurt de folies déter-
minées par l'amour. Ces folies sont de
genres divers, folie du suicide, mono-
manie délirante, et aussi, la plus terri-
ble de toutes, le satyriasis. Or, c'est de
cette dernière folie que meurt en scène
le misérable notaire. Son étude fermée,
il monte dans un boudoir, où la diabo-
lique Cécily a reçu la consigne de l'exci-
ter et de le désespérer, ce dont elle
s'acquitte en lui fermant la porte au
nez, après s'être promenée devant lui en
Turque.
Cette turquerie m'avait donné une
formidable envie de rire, qui avait em-
porté tout ce que le tableau avait, au
fond, de répugnant. -- Que voulez-vous?
Je ne suis ni très jeune, ni très vieux ;
je vais souvent au bal masqué et j'y ai
tant vu d'odalisques semblables à Cé-
cily, que l'idée qu'on meurt d'un souper
refusé me paraît falote. Mais le publie
des matinées n'a pas pris gaiement la
chose. Il a vu l'horreur du tableau et il
s'est regimbé de la belle façon. Des
mères ont quitté la salle, emmenant
leurs filles, comme dans le Roi Can-
daule, — et des pères de famille ont
protesté avec quelque vacarme. Cet in-
cident est particulièrement intéressant
à l'heure où les questions relatives à la
censure sont constamment remises sur
le tapis. Je n'ai jamais caché que j'étais
partisan de la censure. Mais, avec la
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