Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1874-03-20
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 20 mars 1874 20 mars 1874
Description : 1874/03/20 (A4,N855). 1874/03/20 (A4,N855).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/03/2013
V Aimée — N* 855- * Pau: DU NUMÉRO ; PARIS 1 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS: 20 CENTIMES. < Vëndredi 20 Mars 4874. -
LE XXE SIECLE ..-
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-fi , t, 8. plae de la Boom, 0
.1
On s'abonna à Londrés, chez M. A. MATTRIOÊ généra
s4Yfrtising, agent, 13, Tavistockrow, GoveniGaiden-
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 49 mars 4874.
L'interpellation Lepère et Gambetta a
été développée d'abord hier à la tribune
par M. Challemel-Lacour. M. de Broglie a
répondu, brièvement, mais avec une obs-
curité calculée, comme toujours. M. Ca-
zenove de Pradines, parlant au nom de
la droite extrême, a tenté de jeter un peu
plus de clarté dans la politique septennale;
il n'y a pas réussi. Après une vive allocu-
tion de M. Lepère, la clôture a été pro-
noncée tumultueusement. Deux ordres du
jour étaient proposés, l'un par la gauche
extrême et l'autre par le centre gauche.
L'ordre du jour pur et.simple, réclamé par
le gouvernement, avait la priorité ; il a été
voté par 380 voix contre 318.
Le projet de loi organique militaire ex-
cite toujours, à Berlin, les préoccupations
les plus vives. La Gazette de la Croix
parlé déjà d'une dissolution possible du
Parlement pour le cas où l'article premier
serait rejeté. Il circule, d'ailleurs, à ce
sujet, quantité de bruits contradictoires.
On parle, tour à tour, d'accord fait, défait
et refait, puis d'ajournement jusqu'à la
guérison du prince de Bismarck, qui a la
goutte. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a là
une grosse difficulté parlementaire, et ce
qui paraît le plus probable, c'est que MM.
de Moltke et de Bismarck en triomphe-
ront. La seconds délibération commencera
d'aujourd'hui en huit.
* On mande aussi de Berlin que le con-
* seil fédéral, composé, comme on sait, des
représentants des divers Etats de l'empire,
a adopté, à une majorité considérable, le
projet de loi qui déclare déchus de leur na-
tionalité les membres du clergé catholique
en cas de résistance aux décisions judi-
ciaires qui, dans certains cas, les peuvent
frapper. Loi draconienne; mais c'est du reste
toujours là qu'aboutissent ces sortes de
luttes entre les religions et le pouvoir
civil.
s.
A Vienne, les évêques continuent de pro-
tester contre les lois confessionnelles
avec une énergie qui ne diminue point.
,Les membres ecclésiastiques de la Chambre
'des seigneurs viennent de déposer un mé-
moire dans lequel ils déclarent qu'ils con-
isidôrent le Concordat comme ayant tou-
jours force de loi. La Chambre leur a
-donné acte da cette déclaration ; mais la
majorité paraît devoir être favorable aux
nouveaux projets.
La Presse de Vienne dément l'existence
d'une circulaire du comte Andrassy sur
l'entrevue de Saint-Pétersbourg. On n'a
pas coanaissance, non plus, d'une circu-
laire du prince Gortschakoff sur le même
suj et.
M. Disraëli et sir Stafford Northcote
ont été réélus sans opposition membres
du Parlement anglais. On s'y attendait
bien. La reine, dit une autre dépêche,
n'ouvrira pas en personne la session; c'est
le lord-chancelier, lord Cairns, qui lira
le discours du trône.
——■ 1
UN PEU PLUS D'OBSCURITÉ
La France, la République, le bon sens,
.la logique, la droiture, tout cela vient
d'être encore une fois battu. Nous comp-
tions faire la lumière et nous n'avons
réussi qu'à épaissir les ténèbres ; nous
avions jusqu'ici marché tant bien que
mal à tâtons; nous voici désormais
cloué sur place dans la nuit noire. Tel
est, au juste, le résultat* des explications
fournies par M. le vice-président du
conseil.
Jamais peut-être les ennemis acharnés
du nombre, quand ils savent l'avoir
contre eux, n'avaient prouvé avec tant
de sans-gêne l'usage et l'abus qu'ils
trouvent tout simple d'en faire quand
ils savent l'avoir pour eux ; et ce qui
nous étonne surtout, ce n'est point que
le chef du cabinet ait parlé une demi-
heure pour ne rien dire, c'est qu'il se
soit donné la peine d'adresser un sem-
blant de réponse à ses adversaires. M.
Challemel-Lacour avait eu occasion de
définir, en excellents termes, ce qu'est
la force, en quoi elle consiste, et à
quelles conditions un , gouvernement
prouve qu'il est fort. M. le duc de Bro-
glie pouvait, à peu de frais, s'assurer
une victoire certaine ; il lui suffisait de
monter à la tribune et de dire : Le côté
gauche de l'Assemblée se permet de
m'inlerroger; qu'ai-je bestin de lui ré-
pondre? puisque c'est du côté droit
que se trouve la majorité, et que la ma-
jorité m'est acquise ? Un tonnerre d'ap-
plaudissements eût, à coup sûr, accueilli
ces fières paroles, et de la sorte, M. le
vice-président du conseil, en même
temos qu'il prouvait sa force, la vraie, la
seule force de sa politique, évitait de
prononcer certaines paroles qui, tôt ou
tard, qu'il le sache bien, deviendront la
pierre d'achoppement de son cabinet.
Reprenant les termes mêmes de sa
circulaire du 24 janvier aux préfets,
M. le duc de Broglie a déclaré que le
pouvoir du maréchal de Mac-Mahon de-
vait être placé, pendant sept ans, au-
dessus de tout débat, de toute contesta-
tion ; que pendant sept ans, quelles que
fussent, d'ailleurs, les lois constitution-
nelles à intervenir, le chef de l'Etat ne
pourrait être remplacé. Ces déclarations
sont assurément très-graves; et nous
reconnaissons sans peine q~
mier abord, elles semblaient devWrScf^
tisfaire les auteurs de l'interpellation.
Que demandaient-ils en effet? Une chose
en vérité bien simple ; ils demandaient
que le pays fût enfin fixé sur la question
de savoir si la loi de prorogation votée
le 20 novembre était une loi, ou bien
un badinage, un attrape-nigauds, un
piége à républicains. Ils demandaient
l'opinion du cabinet sur les partis qui,
sous les yeux de M. le vice-président du
conseil, sans plus se gêner que s'ils
étaient assurés de son agrément, ne
parlent de M. le maréchal de Mac-Mahon
que comme d'un factionnaire à l'année
ou au mois, suivant les circonstances,
ou d'un homme de paille prêt à dispa-
raître au premier signe.
Et M. le ministre de l'intérieur répon-
dait que le pouvoir septennal était chose
sérieuse; que l'Assemblée, en votant la
loi du 20 novembre, s'était enlevé le
droit, pendant sept ans, de changer le
chef de l'Etat. C'était pour le mieux ;
mais à une condition toutefois, c'est que
M. le duc de Broglie ne se contentât
point d'une déclaration platonique. Or,
c'est ce qu'il a fait. Pas un mot des pé-
titions quotidiennes déposées sur le bu-
reau de l'Assemblée pour réclamer le
rétablissement immédiat de la monar-
chie ; pas un mot de l'agitation entrete-
nue dans les campagnes par les fauteurs
de restauration ; pas un mot des fac-
tieux qui s'en vont jusque chez nos voi-
sins montrer par leurs pasquinades ef-
frontées le cas qu'ils font des décrets de
l'Assemblée souveraine. Si bien que les
déclarations de M. le vice-président du
conseil sont nulles, sans portée, sans
valeur ; elles se résument ainsi : la loi
du 20 novembre est une loi, mais elle n'a
point de sanction, c'est donc comme si
elle n'existait pas.
L'honorable M. Cazenove de Pradines,
avec une loyauté dont nous le remer-
cions, s'est chargé de faire entendre à la
tribune le commentaire des paroles de
M. le ministre de l'intérieur. M. Caze-
nove de Pradines ne s'inscrit pas en
faux contre l'interprétation officielle de
la loi du 20 novembre; mais, se basant
sur cet axiôme que tout ce qui n'est
point défendu est permis, il déclare que
lui et ses amis continueront, comme par
le passé, à travailler au retour de la mo-
narchie. Qu'un jour vienne où la majo-
rité parlementaire tombe d'accord sur les
conditions du rétablissement de la
royauté, et il compte assez sur le patrio-
tisme, sur la grandeur d'âme et le désin-
téressement du maréchal de Mac-Mahon
pour affirmer à l'avance qu'il ne laissera
point l'héritier de nos rois se morfondre
â la porte du septennat.
Tel est, pour M. Cazenove de Pradines
et ses amis, le véritable sens de la loi
du 20 novembre; et, de fait, nous ne
voyons rien dans le langage de M. le
ministre de l'intérieur qui s'oppose à
cette interprétation. Que nous importe le
soin qu'a pris M. le duc de Broglie de
déclarer que l'opinion de M. Cazenove
de Pradines n'engageait le gouvernement
à aucun degré ? Nous savions, parbleu !
bien, que l'honorable membre de l'extrê-
me droite n'était point du bois dont on
fait les ministres de combat ; mais cette
fois encore nous rappellerons à M. le
vice-président du conseil que tout ce
qu'un gouvernement de combat laisse
faire, il est censé l'approuver. ----
Les bonapartistes étaient en grande
partie absents, pour cause de représen-
tation à Chislehurst; mais supposons
que M. Rouher fût monté à la tribune
après M. Cazenove de Pradines pour dire,
au sujet de l'appel au peuple, ce que
son collègue légitimiste venait de dire
au sujet de la monarchie. Est-ce que M.
de Broglie se fût contenté de répondre
que l'opinion de M. Rouher n'engageait
pas le gouvernement ?
Et si un député républicain, enhardi
par l'exemple, s'était permis de faire
entendre qu'un jour pourrait venir où
la majorité, se déplaçant, entendrait
fonder la République définitive, et que
ce jour-là M. le maréchal de Mac-Mahon|
aurait sans doute le patriotisme , ïa
grandeur d'âme et le désintéressement
de céder la place à un président plus
républicain que lui ? Ah ! pour le coup,
M. le duc de Broglie eût écrasé l'in-
fâme !
Comment donc se fait-il qu'il ait sim-
plement décliné la responsabilité des
déclarations du député royaliste ?
L'explication est aisée ; M. le duc de
Broglie l'a donnée lui-même dans une
phraso de son discours que les amateurs
de conjonction des centres feront bien
de méditer. « Il faut maintenir le gou-
vernement actuel, a-t-il dit, par les cau-
ses, les moyens et les hommes qui l'ont fon-
dé. » Voilà tout le secret de la politique
ambiguë, tortueuse, à triple face, dont
M. le vice-président du conseil tient à
demeurer le prophète aussi longtemps
que possible. Les causes ? La haine de
la République. Les moyens ? La coali-
tion de trois partis monarchiques. Les
hommes ? M. le duc de Broglie, et c'est
assez ; à lui seul il représente les trois
groupes de la coalition ; en lui s'incar-
nent toutes les ambitions ; s'il ne les
favorise pas-toutes également, du moins
il n'en veut désespérer aucune. Le sep-
tennat, c'est lui; que le septennat périsse
plutôt que d'être servi par un autre que
lui ! ce qui arriverait s'il laissait jamais
échapper, dans les déclarations qu'il dai-
gne faire, une parole de nature à diyiser
la coalition d'où il est sorti.
A Après tout, nous avions tort de dire,
au début de cet article, que l'obscurité
était plus grande aujourd'hui qu'hier.
Un grand enseignement ressort de tout
ce qui a été dit dans cette séance, et cet
enseignement, le voici : Aux yeux du
parti qui se dit conservateur et ami de
l'ordre, ceux-là seuls, dans une Assem-
blée, sont astreints au respect d'une loi
qui ne l'ont point votée. Les autres, sans
doute en vertu du proverbe : qui peut
le plus peut le moins, sont maîtres d'in-
terpréter cette loi au mieux de leurs in-
térêts, ou même de la violer le jour où
elle leur devient trop gênante. M. le duc
de Broglie s'est étonné, en effet, de voir
les républicains se montrer (si soucieux
de faire respecter la loi du 19 novem-
bre, à laquelle ils se sont opposés de
toute leur force.
Et quand M. Challemel-Lacour a dit
qu'on pouvait combattre une loi tant
qu'elle n'était qu'à l'état de projet, 'mais
qu'on devait s'y Soumettre dès qu'elle
était devenue définitive, les monarchis-
tes ont ri. Jugez de quel cœur ils riront
le jour où les républicains s'aviseront
de leur rappeler que M le maréchal, de
Mac-Mahon a été nommé pour sept ans
président de la République française, et
que c'est violer la loi que de vouloir in-
troniser un stathouder, un protecteur ou
un roi avant les sept ans révolus !
E. SCHNERB.
———————— Qi 1 »
Monsieur le Rédacteur,
Je me suis permis dans la discussion
d'aujourd'hui de dire à M. de Broglie
qu'on pouvait être hostile à un ministère
sans être hostile à un gouvernement.
Lorsque les ministères de Charles X et
de Louis-Philippe conduisaient ces deux
monarques aux journées de 1830 et de
1848, ceux qui luttaient de bonne foi pour
arrêter ces gouvernements sur la pente où
les entraînaient certains ministères n'é-
taient pas tous des ennemis du gouverne-
ment.
La théorie de M. de Broglie promet de
beaux jours à nos successeurs nommés par
lui; ils peuvent être révoqués et changés à
chaque changement de ministre de l'inté-
rieur.
Mieux encore aujourd'hui que ces jours
derniers, je crois que dans la voie ou l'on
engage le maréchal, on peut lui être très-
dévoué et être l'ennemi politique .de M.
de Broglie.
Veuillez agréer, monsieur le rédacteur,
mes affectueuses salutations.
H. MARGAINE,
Maire révoqué et député.
.—————————— ———————————
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 48 mars 4874.
Ce n'est pas du monde, c'est de la mul-
titude; jamais on n'a vu pareil déborde-
ment de femmes. Il y a là de ces charmantes
figures qu'on ne voit, à Versailles, que les
jours de révolution parlementaire. Est-ce
qu'il y aurait péril en la demeure ?
Pour notre part, nous n'éprouvons pas
la moindre émotion; avant l'engagement,
nous connaissons l'issue de la lutte. Com-
me bien nous le pensions, la veillée des
armes a été employée en pourparlers avec
l'extrême droite, et le ministère a fini par
obtenir — ce qui était obtenu d'avance —
une neutralité bienveillante des légitimistes
les plus récalcitrants; M. Cazenove de Pra-
dines ne présentera pas un ordre du jour,
il se contentera da faire une petite déclara-
tion légitimiste. Il ne nous reste donc plus
qu'à envisager la séance au point de vue
esthétique, dilettantisme littéraire ou po-
litique, façon plus ou moins habile dont
sera menée l'action.
Les ambassadeurs sont à leur poste : M.
de Chaudordy à son banc de droite, M.
Target à son banc du centre droit ; mais
les plus fermes soutiens du Cabinet, les
députés bonapartistes sont encore en villé-
giature d'outre-Manche, non revenus de leur
tournée entreprise pour la consolidation
du septennat.
Et, au milieu d'un grand silence, l'ac-
tion s'engage vers les deux heures qua-
rante.
M. Challemel-Lacour est un homme
bien choisi pour opérer les premiers mou-
vements. Doué d'un esprit méthodique,
stratège politique n'abandonnant rien aux
hasards de l'aventure, sachant admirable-
ment profiter des dispositions du terrain
de bataille, M. Challemel-Lacour est bien
l'homme qu'il faut pour coordonner les
faits, grouper les arguments et faire pren-
dre position aux uns et aux autres. M.
Challemel ne s'est pas contenté de cette
large part qui semblait devoir lui être at-
tribuée dans la lutte; il a poussé à fond
l'action et, dans un discours de près de
deux heures, il a engagé toutes les trou-
pes de l'opposition et a fait donner toutes
les réserves.
Ce n'est pas que nous nous plaignions
que l'attaque ait été mal menée. Au con-
traire. Il eût été difficile de la faire plus
vigoureuse et en même temps plus sage.
Prenant pour texte la circulaire du 22
janvier aux préfats, où JI est dit par M. de
Broglie que le pouvoir de M. le maréchal
de Mac-Mahon «est, dès à présent, et pour
sept ans, élevé au-dessus de toute contes-
tation », l'orateur passe en revue les préten-
tions monarchiques soulevées, après la let-
tre, par la presse, rappelle tous les souvenirs
du passé, depuis le24mai,les idées des uns,
les peosées et arrière-pensées des au-
tres, les discours de ceux-ci et les déc a-
rations de eeux-Ià, les pétitions en faveur
du rétablissement d'Henri V qui conti-
nuent, et les manifestes de Ctlislehurst
qui commencent, et répète sans cessa à M.
le vice-président du conseil : « Voilà ce
que vous avez dit et voilà ce que vous
faites. » Cette nomenclature mène à la con-
clusion suivante :
La France a un immense besoin de sé-
curité ; d'est pourquoi le parti républi-
cain a applaudi aux déclarations ministé-
rielles et gouvernementales qui représen-
taient le septennat comme un pouvoir sé-
rieux de sept ans. Mais ces déclarations
ont besoin d'être répétées, confirmées en
face de l'Assemblée nationale.
Ce que noui ne pouvons rendre, c'est
l'admirable langage dans lequel ces choses-
là sont dites. N'ayant rien voulu laisser à
l'improvisation, M. Challemel-Lacour s'est
imposé une grande modération; il doit à
sa nature des tournures de phrases qui
cautérisent ses adversaires et au travail des
périodes d'une puissance extraordinaire, des
aperçus de philosophie politique d'une élé-
vation incontestable. Jamais cet orateur
ne sera sympathique ; nul, sans un parti
pris flagrant, ne peut refuser de saluer en
lui ua véritable talent. ,1.
Ce discours ne soulève pas de tempêtes,
sauf les bourrasques que l'orateur s'est in-
telligemment ménagées. C'est ainsi que
l'ar-
M. Challemel-Lacour, en parlant de que
rière-pensée de substitution de monarchie
que conservent certains, se fait envoyer un
« C'est vrai! » plein de franchise de M.
Dahirel. C'est ainsi qu'en citant l'Union,
IlSïÇâne -de iar légitimité, il le fait désa-
vouer bruyamment par un groupe de roya-
listes.
Mais où M. Challemel-Lacour, orateur
froid, a remporté certainement les plus
brillants succès, c'est dans des ripostes
inattendues, chaudes, vibrantes, qu'on
pouvait considérer comme des filles de
l'improvisation. Il parlait dela République,
— Laquelle ? a crié une voix de la droite.
Et, au milieu des applaudissements et des
hurrahs, l'orateur a lancé une magnifique
tirade, s'éteignant, reprenant, jaillissant
sans cesse en nouvelles périodes.
Il venait de dire encore : « Le vieux et
intelligent pilote. » L'éloge à M. Thiers
n'était pas démesuré, et cependant les rica-
nements de la droite l'avaient accueilli.
Alors, au milieu des doubles et triples
salves d'applaudissements du côté gauche,
M. Challemel a fait.une sortie contre ces
murmures, contre ces gens qui prétendent
restaurer le respect en Frànce et qui ne
peuvent laisser passer, sans insultes, ua
des plus grands noms du pays.
Jusqu'alors le centre gauche avait été
froid, se contentant d'admirer l'éloquence,
sans soutenir l'orateur; à partir de ce mo-
ment, il était gagné et faisait chorus avec
les deux autres groupes de la gauche.
Le coup de la fia porté par M. Challe-
mel-Lacour est un petit bijou politique. Il
tire de son dossier une simple feuille de
papier et * lit deux questions qu'il adresse
à M. le vice-président du conseil. L'orateur
connaît les habitudes de M. le duc de
Broglie, il sait que chez lui la réponse
fait rarement suite à la question; et, pour
éviter à M. le vice-président du conseil
une contention d'esprit désagréable, il
lui laisse par écrit les deux questions
posées :
- 1° En déclarant dans sa circulaire que le
pouvoir du président de la République
était au-dessus de toute contestation, M.
le duc de Broglie n'a-t-il pas entendu dé-
clarer que toute tentative de restauration
monarchique était, dès aujourd'hui, in-
terdite?
20 M. le duc de Broglie ne se propose-
t-il pas de veiller à l'application des lois qui
punissent comme délictueuses les manœu-
vres ayant pour but de changer la forme
du gouvernement établi ?
Le petit papier est là, sur la tribune.
Il demeure seulet pendant que M. Challe-
mel-Lacour a son petit triomphe. Il de-
meure seulet, et ce n'est qu au bout de
vjngt-cinq minutes que M. le duc de Bro-
glie peut aller le rejoindre. Il est cinq
heures : nous sommes arrivés au moment
où la buée de vapeurs et le nuage de pous-
sière obscurcissent les idées.
Une attaque dirigée contre la personna-
lité de M. Challemel. — C'est le vieux
jeu, mais il réussit toujours. — Puis, M.
le vice-président du conseil parle de la fa-
con dont il a appliqué la loi des maires.
— Je demande la parole ! crie une voix
dans le centre gauche. Et les bravos de la
gauche éclatent. C'est M. Lenoël, un
maire révoqué de la Manche, qui se lève.
M. de Broglie continue.
— Je demande la parole! cris une voix
de la gauche républicaine : c'est celle de
M. Fourcmd, le maire de Bordeaux révo-
qué.
« Mais personne n'a pu croire, continue
M. de Broglie, que je garderais, à la tête
des municipalités, des ennemis acharnés du
gouvernement actuel.»
— Je demande la parole !
Et les applaudissements du côté gauche
vont en augmentant. La dernière protes-
tation vient de M. Rameau, maire de
Versailles.
Plus M. de Broglie avance, plus il voit
se dresser devant lui les ombres des mai-
res révoqués. Pour échapper à ces ombres,
M. le vice-président du conseil se jette
dans l'explication du septennat :
« L'Assemblée a confié, d'une façon in-
commutable, sept ans de pouvoir à M. le
maréchai de Mac-Mahon. »
Le silence est grand, immense ; M. de
Broglie craint que son incommutable - une
trouvaille! —ne soit hasardé, et, après
avoir discrètement erré sur le terrain des
lois constitutiGDDelles, il déclare qu'il
n'en dira pas davantage. Mais sur ce
point, par exemple, il ne ménage pas les
déclarations catégoriques !
Il refuse dédaigneusement de répondre
au petit papier de M. Challemel-Lacour; il
engage la Chambre à ne pas lui demander
de llus amples explications « qui peuvent
jeter le trouble dans une majorité unie,
dans une majorité qui ne peut se mainte-
nir que par les causes, les moyens, les
hommes qui l'ont fondée. » Il y a une fin-
filade d'aveux naïfs qui mettent le côté
gauche en liesse; Ah ça ! M. le duc de Bro-
glie se croit donc, selon l'expression de M.
Challemel-Lacour, rivé pour sept ans à
son portefeuille ?
Nous touchons à la fin: voici M. Caze-
nove de Praline, c'est-à-dire la déclara-
tion; et, après la déclaration, la clôture
votée par la bonne majorité. L'ordre et la
marche doivent être arrêtés d'avance.
M. Cazenove de Pradine est un homme
jeune, un secrétaire de la Chambre, appar-
tenant au vrai parti légitimiste. Glorieu-
sement blessé à Patay, ce n'est pas lui
qu'on a jamais entendu jeter l'insulte à
la face de ses collègues parce qu'ils sont
républicains. Ceux qui se sont battus sa-
vent à côté de qui ils ont combattu.
La personnalité de M. Cazenove de Pra-
dine suffirait, à elle seule, à assurer à l'o-
rateur légitimiste un accueil sympathique ;
la franchise de sa déclaration le fait écou-
ter avec un intérêt marqué. En quelques
paroles simples, M. Cazênove de Pradine
commente ainsi la portée du vote du 19
novembre : a Le jour où l'Assemblée re-
connaîtra pour chef Henri V, ce n'est pas
le maréchal qui, pris d'une passion subite
du pouvoir, viendra imposer des délais
légaux à l'établissement de la royauté; il
ne fera pas attendre le roi de France à la
porte du septennat. » l'
Ils sont trente environ à applaudir,
trente seulement — mais trente.
— L'opinion de l'hoaorable préopinant
est personnelle et n'engage pas le gou-
vernement. »
C'est toute la riposte de M. le vice-pré-
sident du conseil, de l'inventeur breveté
du septennat.
N'importe; la situation se dessine : le
septennat est mis en doute par ceux-là
mêmes qui s'en sont déclarés les défen-
seurs patentés ; chacun a quelque chose à
dire: M. de Carayon-Latour veut parler,M.
Bertauld veut parler, M. Lepère tient à
maintenir son tour de parole ; M. Buffet
ne sait plus à qui entendre ni comment se
faire entendre, car la droite veut faire taire
tout le monde.
Assez de clarté! ca obscurcit tout! Telle
semble être l'opinion dominante de cette
bonne droite.
M. Lepère parle; il pirle au milieu du
tumulte; et, bien que M. Buffet fasse de
sincères efforts pour obtenir un semblant
de silence, l'orateur ne parvient à se faire
écouter.
M. Lepère, en présence « de l'acte de
décès du septennat dressé par M. Cazeno-
ve Pradine, » voudrait entraîner M. le
vice-président du conseil à des déclara-
tions catégoriques. Mais M. - le duc de
Brogliese sent déjà en trop mauvaise pos-
ture, il se gardera bien de parler. Ea ou-
tre, M. Lepère est visiblement démonté
par l'incident ; il a un plan de campagne
arrêté d'avance et il veut en improviser
un nouveau, sur l'heure ; il mêle l'ancien,
la nouveau, se perd, se retrouve et finale-
ment ne montre pas son habileté habi-
tuelle et sa mesure ordinaire.
Selon nous, il s'efforce de reprendre une
piste ancienne, quand il n'a qu'à s'élan-
cer sur une nouvelle, toute chaude, qu'à
pousser un vigoureux à-vue en terme de
chasse. -
C'est affaire manquée, M. le duc de
Broglie a décidément plus de bonheur que
de mérite. Personne ne s'oppose à la clô-
ture.
Restent les ordres du jour. Celui de
l'extrême gauche déclare que l'Assemblée
« n'a pas confiance » dans le Cabinet.
Celui du centre gauche « regrette que les
actes du ministère ne soient pas. confor-
mes à ses déclarations. »
C'est ce dernier que M. Lacaze, dans un
langage des plus modérés, essaie en vain
de développer au milieu du bruit calculé
que soulèvent les amis du ministère. M. le
président fait ce qu'il peut, mais ce qu'il
peut est peu.
- M. le duc de Broglie, qui se contente
d'esquiver un ordre du jour de blâme, ne
réclame qu'un ordre du jour pur et simple.
Il est à remarquer, d'ailleurs, que ce ca-
binet n'ose jamais demander un ordre du
jour d'approbation. — Est-il beso:n d'é-
loges pour avoir fait son devoir ! (Nous
recommandons cette pensée à M. le duc
de Broglie ; traitée académiquement par
lui, elle fera un certain effet.)
Et 380 voix contre 318 sanctionnent la
politique de M. le vice-président du Con-
seil. Les légitimistes les plus purs ont
voté blanc. Et ils ont eu bien raison ! Ce
sont eux qui viennent de battre les sep-
tennalistes du ministère.
0 mutos deloi eti nous avons un septen-
nat incommutable. que M. Cazenove de
Pradine ou touk autre peut entreprendre
de changer à sa guise.
PAUL LAFARGUI.
————————————— + —————————————
LE MANDAT IMPÉRATIF
Au moment de déposer le projet de loi
électorale, 1 a commission des Trente, fldèle
au précepte classique, polit et repolit son
ouvrage. Elle en a retouché quelques
articles, entre autres l'article 35, sur le
mandat impératif, que M. Dufaure avait
assez vivement critiqué. A la première
rédaction : Les députés ne peuvent, à peine
de nullité d'élection, recevoir de mandat
impératif, elle a substitué celle-ci : Le
mandat impératif est interdit.
On' assure que c'est une atténuation ;
nous ne trouvons pas cependant qu'une
rédaction vaille mieux que l'autre, et
cet article 35 n'en reste pas moins une
des erreurs les plus singulières' que la.
commission ait tenté d'introduire dans
notre législation.
Le mandat impératif est interdit f Mais
qu'est-ce que le mandat impératif ? Et il
est interdit sous peine de quoi ? Ni défi-
nition, ni sanction. C'est plus de raisons
qu'il n'en faut pour rejeter un tel ar-
ticle, quand il s'agit d'une loi politique
surtout. Et puis, où l'Assemblée pren-
drait-elle le droit de s'interposer entre le
corps électoral et ses mandataires ? Les
électeurs et les candidats doivent, nous
semble-t-il, rester les premiers juges des
conditions du contrat qu'ils passent en..
semble, et nous comprenons encore
moins ces restrictions menaçantes et va"
gues que la création, déjà condamnée,
des catégories d'éligibles. -
Rien de plus curieux, d'ailleurs, que
les précautions oratoires dont se sont ar-
més les membres de la commission, quand
ils abordaient le mandat impératif dans
leurs discours. Vous auriez cra qu'il
s'agissait du monstre le plus effroyable.
M. Dufaure et M. Laiboulaye ont com-
mencé par cet exorde : Quoique le man-
dat impératif nous inspire une horreur
profonde, été. Voilà donc une expression
qui devient un épouvantail, et l'on croi-
rait manquer à tous ses devoirs d'hon-
ûêiô homme si l'on prononçait ces deux
mots de : mandat impératif, sans frémir.
Pourquoi cela ? Toujours les bâtons flot-
tants de la fable :
De loin c'est quelque chose, et de près ce n'est rien.
Que ne s'est-on risqué à regarder
d'un peu plus près ?
M. Lambert Sainte-Croix a bien parlé
de démissions en blanc, d'engagements
pris par les candidats de sortir de la
Chambre au commandement de leurs
électeurs. C'est dans les caricatures du.
Charivari que cela se voit. Mais nous
voudrions qu'on nous dît combien il se
trouve à Versailles de députés qui aient
souscrit à de pareilles conditions ? Qu'il
se rencontre çà et là quelques enragés
pour les proposer, nous n'en disconve-
nons pas ; mais qui les accepte ? Si on
ne les accepte point, où est le danger?
Et si tel candidat voulait les accepter,
où serait le délit? Il nuirait à sa propre
considération? N'en a-t-il pas le droit? Et
d'ailleurs on peut nuire à sa considéra-
tion de tant d'autres manières ! Nous
voyons cela tous les jours ; la loi;
cependant, ne s'en inquiète pas, et elle
fait bien. 1 1
., Mais le mandat impératif n'est-il pas
encore autre chose ? Est-ce que tout en-
gagement quelconque, pris par un dé-
puté envers le corps électoral, ne peut
pas être assimilé à ce mandat impératif
aussi peu défini qu'il est abhorré ? Vous
promettez publiquement et formellement
(c'est un exemple que M. Dufaure a choisi)
de voter contre l'impôt du sel ; qui dé-
cidera si votre promesse n'équivaut
point à l'acceptation du mandat prohibé ?
Dans les questions politiques , ce sera.
bien pis. Tout échange d'opinions et
toute entente préalable avec le corps
électoral seront suspectés. Il faudra
proscrira les termes coupables de
commettanls, de mandataires. Nous con-
damnons, dans le passé, les cahiers de
1789, et tout ce qui, de près ou de loin,
y ressemble ; dans l'avenir, nous trai-
tons d'illégale toute profession de foi qui
ne finira point par ce post-scriptum :
« Vous savez, électeurs, que tout ce que
je vous ai dit ne m'engage à rien, qu'au-
tant en emporte le vent, et que je me
réserva le droit d'agir dans un sens tout
contraire à ce que je vous ai déclaré. »
Voilà nos objections. Et maintenant il
nous semble qu'on aura beau tourner et
retourner ce nouvel article 35 du projet
de loi électorale, personne ne trouvera
moyen de l'amender dans un sens sup-
portable. Il faut le rayer de la loi. Sinon,
l'on fera subir à la liberté le plus grave
outrage. Nous tomberons dans le pur
arbitraire en matière de vérifications de
pouvoirs. On aura préparé pour les ma-
jorités futures un instrument d'exclusion
contre les élus des minorités.
EUG. LIÉBERT.
——— : ———— 4 ———————
L'Union républicaine s'est réunie avant
la séance de l'Assemblée. Elle a procédé à
la nomination d'une commission chargée
d'examiner le projet de loi électorale éla-
boré par la commission des Trente. Cette
commission se compose de MM. Cazot,
Brisson, Louis Blanc, Tolain, Lepère,
Brillier, de Mahy, Gambetta, Dréo, Pey-
rat. * ,.
La réunion a délibéré ensuite sur la
conduite à tenir dans la discussion de
l'interpellation. A
t ——————————
La commission chargée d'examiner le projet
de loi de M. Depevre, pour l'organisation du
conseil d'Etat, s'est réunie hier. Une discussion
s'est engagée, à laquelle ont pris part MM. Ber-
tauld, Hamille, Ernest Picard, Foubert et Jules
Simon.
Aucune décision n'a été prise, M. Baze ayant
fait observer qu'il était indispensable d'entendre
le ministre de la justice.
♦ ——————
Un Mot de comédie
C'était à Chislehurst.
Les pèlerins qui avaient traversé la
Manche pour contempler le visage du
jouvenceau s'en allaient à la queue-leu-
leu chercher, au guichet de distribu-
tion, les cartes qui devaient leur donner
droit d'entrée dans le salon impérial.
Là, ils étaient naturellement obligés
de décliner leurs nom, prénoms et qua-
lités ; car on ne voulait point qu'un faux
frère se glissât parmi les fidèles.
M. Lagrange surveillait ce défilé. Vous
n'avez pas, sans doute, oublié le nom
de M. Lagrange. C'était jadis le chef de
la police du château ; et il n'y a guère
eu, sous l'empire, de complot vrai ou
faux où il n'ait joué son rôle.
Or, il arriva que M. Lagrange eut un
moment de distraction. On était venu
LE XXE SIECLE ..-
!
REDACTION
adresser au Secrétaire de la RédacSOB
de 2 heures à minuit
2» rue Drouet, »
Les manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ABONNEMENTS
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Trois mois 13 fr.
Six mois 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32 4
Un an 62
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.t.; PARIS ,
Trois mois.,. 13 fr.
Six mois.25
Un an. 50
câPARTsuanvi t..
Trçis mois. 16 flr.
Six mois SZ ,
Un an. ''l' y
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
!!Ii»Oo
Annoscea, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
G, place de la Bourse, 6
On î'âboeaie à LOB 1res, chez M. A. RUIMIAB général
advertiging. agent, 13, Tavistockrow, Govent darde d.
f -
Annonce», chez MM. LAGRANGE, CBRF et CM
-fi , t, 8. plae de la Boom, 0
.1
On s'abonna à Londrés, chez M. A. MATTRIOÊ généra
s4Yfrtising, agent, 13, Tavistockrow, GoveniGaiden-
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 49 mars 4874.
L'interpellation Lepère et Gambetta a
été développée d'abord hier à la tribune
par M. Challemel-Lacour. M. de Broglie a
répondu, brièvement, mais avec une obs-
curité calculée, comme toujours. M. Ca-
zenove de Pradines, parlant au nom de
la droite extrême, a tenté de jeter un peu
plus de clarté dans la politique septennale;
il n'y a pas réussi. Après une vive allocu-
tion de M. Lepère, la clôture a été pro-
noncée tumultueusement. Deux ordres du
jour étaient proposés, l'un par la gauche
extrême et l'autre par le centre gauche.
L'ordre du jour pur et.simple, réclamé par
le gouvernement, avait la priorité ; il a été
voté par 380 voix contre 318.
Le projet de loi organique militaire ex-
cite toujours, à Berlin, les préoccupations
les plus vives. La Gazette de la Croix
parlé déjà d'une dissolution possible du
Parlement pour le cas où l'article premier
serait rejeté. Il circule, d'ailleurs, à ce
sujet, quantité de bruits contradictoires.
On parle, tour à tour, d'accord fait, défait
et refait, puis d'ajournement jusqu'à la
guérison du prince de Bismarck, qui a la
goutte. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a là
une grosse difficulté parlementaire, et ce
qui paraît le plus probable, c'est que MM.
de Moltke et de Bismarck en triomphe-
ront. La seconds délibération commencera
d'aujourd'hui en huit.
* On mande aussi de Berlin que le con-
* seil fédéral, composé, comme on sait, des
représentants des divers Etats de l'empire,
a adopté, à une majorité considérable, le
projet de loi qui déclare déchus de leur na-
tionalité les membres du clergé catholique
en cas de résistance aux décisions judi-
ciaires qui, dans certains cas, les peuvent
frapper. Loi draconienne; mais c'est du reste
toujours là qu'aboutissent ces sortes de
luttes entre les religions et le pouvoir
civil.
s.
A Vienne, les évêques continuent de pro-
tester contre les lois confessionnelles
avec une énergie qui ne diminue point.
,Les membres ecclésiastiques de la Chambre
'des seigneurs viennent de déposer un mé-
moire dans lequel ils déclarent qu'ils con-
isidôrent le Concordat comme ayant tou-
jours force de loi. La Chambre leur a
-donné acte da cette déclaration ; mais la
majorité paraît devoir être favorable aux
nouveaux projets.
La Presse de Vienne dément l'existence
d'une circulaire du comte Andrassy sur
l'entrevue de Saint-Pétersbourg. On n'a
pas coanaissance, non plus, d'une circu-
laire du prince Gortschakoff sur le même
suj et.
M. Disraëli et sir Stafford Northcote
ont été réélus sans opposition membres
du Parlement anglais. On s'y attendait
bien. La reine, dit une autre dépêche,
n'ouvrira pas en personne la session; c'est
le lord-chancelier, lord Cairns, qui lira
le discours du trône.
——■ 1
UN PEU PLUS D'OBSCURITÉ
La France, la République, le bon sens,
.la logique, la droiture, tout cela vient
d'être encore une fois battu. Nous comp-
tions faire la lumière et nous n'avons
réussi qu'à épaissir les ténèbres ; nous
avions jusqu'ici marché tant bien que
mal à tâtons; nous voici désormais
cloué sur place dans la nuit noire. Tel
est, au juste, le résultat* des explications
fournies par M. le vice-président du
conseil.
Jamais peut-être les ennemis acharnés
du nombre, quand ils savent l'avoir
contre eux, n'avaient prouvé avec tant
de sans-gêne l'usage et l'abus qu'ils
trouvent tout simple d'en faire quand
ils savent l'avoir pour eux ; et ce qui
nous étonne surtout, ce n'est point que
le chef du cabinet ait parlé une demi-
heure pour ne rien dire, c'est qu'il se
soit donné la peine d'adresser un sem-
blant de réponse à ses adversaires. M.
Challemel-Lacour avait eu occasion de
définir, en excellents termes, ce qu'est
la force, en quoi elle consiste, et à
quelles conditions un , gouvernement
prouve qu'il est fort. M. le duc de Bro-
glie pouvait, à peu de frais, s'assurer
une victoire certaine ; il lui suffisait de
monter à la tribune et de dire : Le côté
gauche de l'Assemblée se permet de
m'inlerroger; qu'ai-je bestin de lui ré-
pondre? puisque c'est du côté droit
que se trouve la majorité, et que la ma-
jorité m'est acquise ? Un tonnerre d'ap-
plaudissements eût, à coup sûr, accueilli
ces fières paroles, et de la sorte, M. le
vice-président du conseil, en même
temos qu'il prouvait sa force, la vraie, la
seule force de sa politique, évitait de
prononcer certaines paroles qui, tôt ou
tard, qu'il le sache bien, deviendront la
pierre d'achoppement de son cabinet.
Reprenant les termes mêmes de sa
circulaire du 24 janvier aux préfets,
M. le duc de Broglie a déclaré que le
pouvoir du maréchal de Mac-Mahon de-
vait être placé, pendant sept ans, au-
dessus de tout débat, de toute contesta-
tion ; que pendant sept ans, quelles que
fussent, d'ailleurs, les lois constitution-
nelles à intervenir, le chef de l'Etat ne
pourrait être remplacé. Ces déclarations
sont assurément très-graves; et nous
reconnaissons sans peine q~
mier abord, elles semblaient devWrScf^
tisfaire les auteurs de l'interpellation.
Que demandaient-ils en effet? Une chose
en vérité bien simple ; ils demandaient
que le pays fût enfin fixé sur la question
de savoir si la loi de prorogation votée
le 20 novembre était une loi, ou bien
un badinage, un attrape-nigauds, un
piége à républicains. Ils demandaient
l'opinion du cabinet sur les partis qui,
sous les yeux de M. le vice-président du
conseil, sans plus se gêner que s'ils
étaient assurés de son agrément, ne
parlent de M. le maréchal de Mac-Mahon
que comme d'un factionnaire à l'année
ou au mois, suivant les circonstances,
ou d'un homme de paille prêt à dispa-
raître au premier signe.
Et M. le ministre de l'intérieur répon-
dait que le pouvoir septennal était chose
sérieuse; que l'Assemblée, en votant la
loi du 20 novembre, s'était enlevé le
droit, pendant sept ans, de changer le
chef de l'Etat. C'était pour le mieux ;
mais à une condition toutefois, c'est que
M. le duc de Broglie ne se contentât
point d'une déclaration platonique. Or,
c'est ce qu'il a fait. Pas un mot des pé-
titions quotidiennes déposées sur le bu-
reau de l'Assemblée pour réclamer le
rétablissement immédiat de la monar-
chie ; pas un mot de l'agitation entrete-
nue dans les campagnes par les fauteurs
de restauration ; pas un mot des fac-
tieux qui s'en vont jusque chez nos voi-
sins montrer par leurs pasquinades ef-
frontées le cas qu'ils font des décrets de
l'Assemblée souveraine. Si bien que les
déclarations de M. le vice-président du
conseil sont nulles, sans portée, sans
valeur ; elles se résument ainsi : la loi
du 20 novembre est une loi, mais elle n'a
point de sanction, c'est donc comme si
elle n'existait pas.
L'honorable M. Cazenove de Pradines,
avec une loyauté dont nous le remer-
cions, s'est chargé de faire entendre à la
tribune le commentaire des paroles de
M. le ministre de l'intérieur. M. Caze-
nove de Pradines ne s'inscrit pas en
faux contre l'interprétation officielle de
la loi du 20 novembre; mais, se basant
sur cet axiôme que tout ce qui n'est
point défendu est permis, il déclare que
lui et ses amis continueront, comme par
le passé, à travailler au retour de la mo-
narchie. Qu'un jour vienne où la majo-
rité parlementaire tombe d'accord sur les
conditions du rétablissement de la
royauté, et il compte assez sur le patrio-
tisme, sur la grandeur d'âme et le désin-
téressement du maréchal de Mac-Mahon
pour affirmer à l'avance qu'il ne laissera
point l'héritier de nos rois se morfondre
â la porte du septennat.
Tel est, pour M. Cazenove de Pradines
et ses amis, le véritable sens de la loi
du 20 novembre; et, de fait, nous ne
voyons rien dans le langage de M. le
ministre de l'intérieur qui s'oppose à
cette interprétation. Que nous importe le
soin qu'a pris M. le duc de Broglie de
déclarer que l'opinion de M. Cazenove
de Pradines n'engageait le gouvernement
à aucun degré ? Nous savions, parbleu !
bien, que l'honorable membre de l'extrê-
me droite n'était point du bois dont on
fait les ministres de combat ; mais cette
fois encore nous rappellerons à M. le
vice-président du conseil que tout ce
qu'un gouvernement de combat laisse
faire, il est censé l'approuver. ----
Les bonapartistes étaient en grande
partie absents, pour cause de représen-
tation à Chislehurst; mais supposons
que M. Rouher fût monté à la tribune
après M. Cazenove de Pradines pour dire,
au sujet de l'appel au peuple, ce que
son collègue légitimiste venait de dire
au sujet de la monarchie. Est-ce que M.
de Broglie se fût contenté de répondre
que l'opinion de M. Rouher n'engageait
pas le gouvernement ?
Et si un député républicain, enhardi
par l'exemple, s'était permis de faire
entendre qu'un jour pourrait venir où
la majorité, se déplaçant, entendrait
fonder la République définitive, et que
ce jour-là M. le maréchal de Mac-Mahon|
aurait sans doute le patriotisme , ïa
grandeur d'âme et le désintéressement
de céder la place à un président plus
républicain que lui ? Ah ! pour le coup,
M. le duc de Broglie eût écrasé l'in-
fâme !
Comment donc se fait-il qu'il ait sim-
plement décliné la responsabilité des
déclarations du député royaliste ?
L'explication est aisée ; M. le duc de
Broglie l'a donnée lui-même dans une
phraso de son discours que les amateurs
de conjonction des centres feront bien
de méditer. « Il faut maintenir le gou-
vernement actuel, a-t-il dit, par les cau-
ses, les moyens et les hommes qui l'ont fon-
dé. » Voilà tout le secret de la politique
ambiguë, tortueuse, à triple face, dont
M. le vice-président du conseil tient à
demeurer le prophète aussi longtemps
que possible. Les causes ? La haine de
la République. Les moyens ? La coali-
tion de trois partis monarchiques. Les
hommes ? M. le duc de Broglie, et c'est
assez ; à lui seul il représente les trois
groupes de la coalition ; en lui s'incar-
nent toutes les ambitions ; s'il ne les
favorise pas-toutes également, du moins
il n'en veut désespérer aucune. Le sep-
tennat, c'est lui; que le septennat périsse
plutôt que d'être servi par un autre que
lui ! ce qui arriverait s'il laissait jamais
échapper, dans les déclarations qu'il dai-
gne faire, une parole de nature à diyiser
la coalition d'où il est sorti.
A Après tout, nous avions tort de dire,
au début de cet article, que l'obscurité
était plus grande aujourd'hui qu'hier.
Un grand enseignement ressort de tout
ce qui a été dit dans cette séance, et cet
enseignement, le voici : Aux yeux du
parti qui se dit conservateur et ami de
l'ordre, ceux-là seuls, dans une Assem-
blée, sont astreints au respect d'une loi
qui ne l'ont point votée. Les autres, sans
doute en vertu du proverbe : qui peut
le plus peut le moins, sont maîtres d'in-
terpréter cette loi au mieux de leurs in-
térêts, ou même de la violer le jour où
elle leur devient trop gênante. M. le duc
de Broglie s'est étonné, en effet, de voir
les républicains se montrer (si soucieux
de faire respecter la loi du 19 novem-
bre, à laquelle ils se sont opposés de
toute leur force.
Et quand M. Challemel-Lacour a dit
qu'on pouvait combattre une loi tant
qu'elle n'était qu'à l'état de projet, 'mais
qu'on devait s'y Soumettre dès qu'elle
était devenue définitive, les monarchis-
tes ont ri. Jugez de quel cœur ils riront
le jour où les républicains s'aviseront
de leur rappeler que M le maréchal, de
Mac-Mahon a été nommé pour sept ans
président de la République française, et
que c'est violer la loi que de vouloir in-
troniser un stathouder, un protecteur ou
un roi avant les sept ans révolus !
E. SCHNERB.
———————— Qi 1 »
Monsieur le Rédacteur,
Je me suis permis dans la discussion
d'aujourd'hui de dire à M. de Broglie
qu'on pouvait être hostile à un ministère
sans être hostile à un gouvernement.
Lorsque les ministères de Charles X et
de Louis-Philippe conduisaient ces deux
monarques aux journées de 1830 et de
1848, ceux qui luttaient de bonne foi pour
arrêter ces gouvernements sur la pente où
les entraînaient certains ministères n'é-
taient pas tous des ennemis du gouverne-
ment.
La théorie de M. de Broglie promet de
beaux jours à nos successeurs nommés par
lui; ils peuvent être révoqués et changés à
chaque changement de ministre de l'inté-
rieur.
Mieux encore aujourd'hui que ces jours
derniers, je crois que dans la voie ou l'on
engage le maréchal, on peut lui être très-
dévoué et être l'ennemi politique .de M.
de Broglie.
Veuillez agréer, monsieur le rédacteur,
mes affectueuses salutations.
H. MARGAINE,
Maire révoqué et député.
.—————————— ———————————
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 48 mars 4874.
Ce n'est pas du monde, c'est de la mul-
titude; jamais on n'a vu pareil déborde-
ment de femmes. Il y a là de ces charmantes
figures qu'on ne voit, à Versailles, que les
jours de révolution parlementaire. Est-ce
qu'il y aurait péril en la demeure ?
Pour notre part, nous n'éprouvons pas
la moindre émotion; avant l'engagement,
nous connaissons l'issue de la lutte. Com-
me bien nous le pensions, la veillée des
armes a été employée en pourparlers avec
l'extrême droite, et le ministère a fini par
obtenir — ce qui était obtenu d'avance —
une neutralité bienveillante des légitimistes
les plus récalcitrants; M. Cazenove de Pra-
dines ne présentera pas un ordre du jour,
il se contentera da faire une petite déclara-
tion légitimiste. Il ne nous reste donc plus
qu'à envisager la séance au point de vue
esthétique, dilettantisme littéraire ou po-
litique, façon plus ou moins habile dont
sera menée l'action.
Les ambassadeurs sont à leur poste : M.
de Chaudordy à son banc de droite, M.
Target à son banc du centre droit ; mais
les plus fermes soutiens du Cabinet, les
députés bonapartistes sont encore en villé-
giature d'outre-Manche, non revenus de leur
tournée entreprise pour la consolidation
du septennat.
Et, au milieu d'un grand silence, l'ac-
tion s'engage vers les deux heures qua-
rante.
M. Challemel-Lacour est un homme
bien choisi pour opérer les premiers mou-
vements. Doué d'un esprit méthodique,
stratège politique n'abandonnant rien aux
hasards de l'aventure, sachant admirable-
ment profiter des dispositions du terrain
de bataille, M. Challemel-Lacour est bien
l'homme qu'il faut pour coordonner les
faits, grouper les arguments et faire pren-
dre position aux uns et aux autres. M.
Challemel ne s'est pas contenté de cette
large part qui semblait devoir lui être at-
tribuée dans la lutte; il a poussé à fond
l'action et, dans un discours de près de
deux heures, il a engagé toutes les trou-
pes de l'opposition et a fait donner toutes
les réserves.
Ce n'est pas que nous nous plaignions
que l'attaque ait été mal menée. Au con-
traire. Il eût été difficile de la faire plus
vigoureuse et en même temps plus sage.
Prenant pour texte la circulaire du 22
janvier aux préfats, où JI est dit par M. de
Broglie que le pouvoir de M. le maréchal
de Mac-Mahon «est, dès à présent, et pour
sept ans, élevé au-dessus de toute contes-
tation », l'orateur passe en revue les préten-
tions monarchiques soulevées, après la let-
tre, par la presse, rappelle tous les souvenirs
du passé, depuis le24mai,les idées des uns,
les peosées et arrière-pensées des au-
tres, les discours de ceux-ci et les déc a-
rations de eeux-Ià, les pétitions en faveur
du rétablissement d'Henri V qui conti-
nuent, et les manifestes de Ctlislehurst
qui commencent, et répète sans cessa à M.
le vice-président du conseil : « Voilà ce
que vous avez dit et voilà ce que vous
faites. » Cette nomenclature mène à la con-
clusion suivante :
La France a un immense besoin de sé-
curité ; d'est pourquoi le parti républi-
cain a applaudi aux déclarations ministé-
rielles et gouvernementales qui représen-
taient le septennat comme un pouvoir sé-
rieux de sept ans. Mais ces déclarations
ont besoin d'être répétées, confirmées en
face de l'Assemblée nationale.
Ce que noui ne pouvons rendre, c'est
l'admirable langage dans lequel ces choses-
là sont dites. N'ayant rien voulu laisser à
l'improvisation, M. Challemel-Lacour s'est
imposé une grande modération; il doit à
sa nature des tournures de phrases qui
cautérisent ses adversaires et au travail des
périodes d'une puissance extraordinaire, des
aperçus de philosophie politique d'une élé-
vation incontestable. Jamais cet orateur
ne sera sympathique ; nul, sans un parti
pris flagrant, ne peut refuser de saluer en
lui ua véritable talent. ,1.
Ce discours ne soulève pas de tempêtes,
sauf les bourrasques que l'orateur s'est in-
telligemment ménagées. C'est ainsi que
l'ar-
M. Challemel-Lacour, en parlant de que
rière-pensée de substitution de monarchie
que conservent certains, se fait envoyer un
« C'est vrai! » plein de franchise de M.
Dahirel. C'est ainsi qu'en citant l'Union,
IlSïÇâne -de iar légitimité, il le fait désa-
vouer bruyamment par un groupe de roya-
listes.
Mais où M. Challemel-Lacour, orateur
froid, a remporté certainement les plus
brillants succès, c'est dans des ripostes
inattendues, chaudes, vibrantes, qu'on
pouvait considérer comme des filles de
l'improvisation. Il parlait dela République,
— Laquelle ? a crié une voix de la droite.
Et, au milieu des applaudissements et des
hurrahs, l'orateur a lancé une magnifique
tirade, s'éteignant, reprenant, jaillissant
sans cesse en nouvelles périodes.
Il venait de dire encore : « Le vieux et
intelligent pilote. » L'éloge à M. Thiers
n'était pas démesuré, et cependant les rica-
nements de la droite l'avaient accueilli.
Alors, au milieu des doubles et triples
salves d'applaudissements du côté gauche,
M. Challemel a fait.une sortie contre ces
murmures, contre ces gens qui prétendent
restaurer le respect en Frànce et qui ne
peuvent laisser passer, sans insultes, ua
des plus grands noms du pays.
Jusqu'alors le centre gauche avait été
froid, se contentant d'admirer l'éloquence,
sans soutenir l'orateur; à partir de ce mo-
ment, il était gagné et faisait chorus avec
les deux autres groupes de la gauche.
Le coup de la fia porté par M. Challe-
mel-Lacour est un petit bijou politique. Il
tire de son dossier une simple feuille de
papier et * lit deux questions qu'il adresse
à M. le vice-président du conseil. L'orateur
connaît les habitudes de M. le duc de
Broglie, il sait que chez lui la réponse
fait rarement suite à la question; et, pour
éviter à M. le vice-président du conseil
une contention d'esprit désagréable, il
lui laisse par écrit les deux questions
posées :
- 1° En déclarant dans sa circulaire que le
pouvoir du président de la République
était au-dessus de toute contestation, M.
le duc de Broglie n'a-t-il pas entendu dé-
clarer que toute tentative de restauration
monarchique était, dès aujourd'hui, in-
terdite?
20 M. le duc de Broglie ne se propose-
t-il pas de veiller à l'application des lois qui
punissent comme délictueuses les manœu-
vres ayant pour but de changer la forme
du gouvernement établi ?
Le petit papier est là, sur la tribune.
Il demeure seulet pendant que M. Challe-
mel-Lacour a son petit triomphe. Il de-
meure seulet, et ce n'est qu au bout de
vjngt-cinq minutes que M. le duc de Bro-
glie peut aller le rejoindre. Il est cinq
heures : nous sommes arrivés au moment
où la buée de vapeurs et le nuage de pous-
sière obscurcissent les idées.
Une attaque dirigée contre la personna-
lité de M. Challemel. — C'est le vieux
jeu, mais il réussit toujours. — Puis, M.
le vice-président du conseil parle de la fa-
con dont il a appliqué la loi des maires.
— Je demande la parole ! crie une voix
dans le centre gauche. Et les bravos de la
gauche éclatent. C'est M. Lenoël, un
maire révoqué de la Manche, qui se lève.
M. de Broglie continue.
— Je demande la parole! cris une voix
de la gauche républicaine : c'est celle de
M. Fourcmd, le maire de Bordeaux révo-
qué.
« Mais personne n'a pu croire, continue
M. de Broglie, que je garderais, à la tête
des municipalités, des ennemis acharnés du
gouvernement actuel.»
— Je demande la parole !
Et les applaudissements du côté gauche
vont en augmentant. La dernière protes-
tation vient de M. Rameau, maire de
Versailles.
Plus M. de Broglie avance, plus il voit
se dresser devant lui les ombres des mai-
res révoqués. Pour échapper à ces ombres,
M. le vice-président du conseil se jette
dans l'explication du septennat :
« L'Assemblée a confié, d'une façon in-
commutable, sept ans de pouvoir à M. le
maréchai de Mac-Mahon. »
Le silence est grand, immense ; M. de
Broglie craint que son incommutable - une
trouvaille! —ne soit hasardé, et, après
avoir discrètement erré sur le terrain des
lois constitutiGDDelles, il déclare qu'il
n'en dira pas davantage. Mais sur ce
point, par exemple, il ne ménage pas les
déclarations catégoriques !
Il refuse dédaigneusement de répondre
au petit papier de M. Challemel-Lacour; il
engage la Chambre à ne pas lui demander
de llus amples explications « qui peuvent
jeter le trouble dans une majorité unie,
dans une majorité qui ne peut se mainte-
nir que par les causes, les moyens, les
hommes qui l'ont fondée. » Il y a une fin-
filade d'aveux naïfs qui mettent le côté
gauche en liesse; Ah ça ! M. le duc de Bro-
glie se croit donc, selon l'expression de M.
Challemel-Lacour, rivé pour sept ans à
son portefeuille ?
Nous touchons à la fin: voici M. Caze-
nove de Praline, c'est-à-dire la déclara-
tion; et, après la déclaration, la clôture
votée par la bonne majorité. L'ordre et la
marche doivent être arrêtés d'avance.
M. Cazenove de Pradine est un homme
jeune, un secrétaire de la Chambre, appar-
tenant au vrai parti légitimiste. Glorieu-
sement blessé à Patay, ce n'est pas lui
qu'on a jamais entendu jeter l'insulte à
la face de ses collègues parce qu'ils sont
républicains. Ceux qui se sont battus sa-
vent à côté de qui ils ont combattu.
La personnalité de M. Cazenove de Pra-
dine suffirait, à elle seule, à assurer à l'o-
rateur légitimiste un accueil sympathique ;
la franchise de sa déclaration le fait écou-
ter avec un intérêt marqué. En quelques
paroles simples, M. Cazênove de Pradine
commente ainsi la portée du vote du 19
novembre : a Le jour où l'Assemblée re-
connaîtra pour chef Henri V, ce n'est pas
le maréchal qui, pris d'une passion subite
du pouvoir, viendra imposer des délais
légaux à l'établissement de la royauté; il
ne fera pas attendre le roi de France à la
porte du septennat. » l'
Ils sont trente environ à applaudir,
trente seulement — mais trente.
— L'opinion de l'hoaorable préopinant
est personnelle et n'engage pas le gou-
vernement. »
C'est toute la riposte de M. le vice-pré-
sident du conseil, de l'inventeur breveté
du septennat.
N'importe; la situation se dessine : le
septennat est mis en doute par ceux-là
mêmes qui s'en sont déclarés les défen-
seurs patentés ; chacun a quelque chose à
dire: M. de Carayon-Latour veut parler,M.
Bertauld veut parler, M. Lepère tient à
maintenir son tour de parole ; M. Buffet
ne sait plus à qui entendre ni comment se
faire entendre, car la droite veut faire taire
tout le monde.
Assez de clarté! ca obscurcit tout! Telle
semble être l'opinion dominante de cette
bonne droite.
M. Lepère parle; il pirle au milieu du
tumulte; et, bien que M. Buffet fasse de
sincères efforts pour obtenir un semblant
de silence, l'orateur ne parvient à se faire
écouter.
M. Lepère, en présence « de l'acte de
décès du septennat dressé par M. Cazeno-
ve Pradine, » voudrait entraîner M. le
vice-président du conseil à des déclara-
tions catégoriques. Mais M. - le duc de
Brogliese sent déjà en trop mauvaise pos-
ture, il se gardera bien de parler. Ea ou-
tre, M. Lepère est visiblement démonté
par l'incident ; il a un plan de campagne
arrêté d'avance et il veut en improviser
un nouveau, sur l'heure ; il mêle l'ancien,
la nouveau, se perd, se retrouve et finale-
ment ne montre pas son habileté habi-
tuelle et sa mesure ordinaire.
Selon nous, il s'efforce de reprendre une
piste ancienne, quand il n'a qu'à s'élan-
cer sur une nouvelle, toute chaude, qu'à
pousser un vigoureux à-vue en terme de
chasse. -
C'est affaire manquée, M. le duc de
Broglie a décidément plus de bonheur que
de mérite. Personne ne s'oppose à la clô-
ture.
Restent les ordres du jour. Celui de
l'extrême gauche déclare que l'Assemblée
« n'a pas confiance » dans le Cabinet.
Celui du centre gauche « regrette que les
actes du ministère ne soient pas. confor-
mes à ses déclarations. »
C'est ce dernier que M. Lacaze, dans un
langage des plus modérés, essaie en vain
de développer au milieu du bruit calculé
que soulèvent les amis du ministère. M. le
président fait ce qu'il peut, mais ce qu'il
peut est peu.
- M. le duc de Broglie, qui se contente
d'esquiver un ordre du jour de blâme, ne
réclame qu'un ordre du jour pur et simple.
Il est à remarquer, d'ailleurs, que ce ca-
binet n'ose jamais demander un ordre du
jour d'approbation. — Est-il beso:n d'é-
loges pour avoir fait son devoir ! (Nous
recommandons cette pensée à M. le duc
de Broglie ; traitée académiquement par
lui, elle fera un certain effet.)
Et 380 voix contre 318 sanctionnent la
politique de M. le vice-président du Con-
seil. Les légitimistes les plus purs ont
voté blanc. Et ils ont eu bien raison ! Ce
sont eux qui viennent de battre les sep-
tennalistes du ministère.
0 mutos deloi eti nous avons un septen-
nat incommutable. que M. Cazenove de
Pradine ou touk autre peut entreprendre
de changer à sa guise.
PAUL LAFARGUI.
————————————— + —————————————
LE MANDAT IMPÉRATIF
Au moment de déposer le projet de loi
électorale, 1 a commission des Trente, fldèle
au précepte classique, polit et repolit son
ouvrage. Elle en a retouché quelques
articles, entre autres l'article 35, sur le
mandat impératif, que M. Dufaure avait
assez vivement critiqué. A la première
rédaction : Les députés ne peuvent, à peine
de nullité d'élection, recevoir de mandat
impératif, elle a substitué celle-ci : Le
mandat impératif est interdit.
On' assure que c'est une atténuation ;
nous ne trouvons pas cependant qu'une
rédaction vaille mieux que l'autre, et
cet article 35 n'en reste pas moins une
des erreurs les plus singulières' que la.
commission ait tenté d'introduire dans
notre législation.
Le mandat impératif est interdit f Mais
qu'est-ce que le mandat impératif ? Et il
est interdit sous peine de quoi ? Ni défi-
nition, ni sanction. C'est plus de raisons
qu'il n'en faut pour rejeter un tel ar-
ticle, quand il s'agit d'une loi politique
surtout. Et puis, où l'Assemblée pren-
drait-elle le droit de s'interposer entre le
corps électoral et ses mandataires ? Les
électeurs et les candidats doivent, nous
semble-t-il, rester les premiers juges des
conditions du contrat qu'ils passent en..
semble, et nous comprenons encore
moins ces restrictions menaçantes et va"
gues que la création, déjà condamnée,
des catégories d'éligibles. -
Rien de plus curieux, d'ailleurs, que
les précautions oratoires dont se sont ar-
més les membres de la commission, quand
ils abordaient le mandat impératif dans
leurs discours. Vous auriez cra qu'il
s'agissait du monstre le plus effroyable.
M. Dufaure et M. Laiboulaye ont com-
mencé par cet exorde : Quoique le man-
dat impératif nous inspire une horreur
profonde, été. Voilà donc une expression
qui devient un épouvantail, et l'on croi-
rait manquer à tous ses devoirs d'hon-
ûêiô homme si l'on prononçait ces deux
mots de : mandat impératif, sans frémir.
Pourquoi cela ? Toujours les bâtons flot-
tants de la fable :
De loin c'est quelque chose, et de près ce n'est rien.
Que ne s'est-on risqué à regarder
d'un peu plus près ?
M. Lambert Sainte-Croix a bien parlé
de démissions en blanc, d'engagements
pris par les candidats de sortir de la
Chambre au commandement de leurs
électeurs. C'est dans les caricatures du.
Charivari que cela se voit. Mais nous
voudrions qu'on nous dît combien il se
trouve à Versailles de députés qui aient
souscrit à de pareilles conditions ? Qu'il
se rencontre çà et là quelques enragés
pour les proposer, nous n'en disconve-
nons pas ; mais qui les accepte ? Si on
ne les accepte point, où est le danger?
Et si tel candidat voulait les accepter,
où serait le délit? Il nuirait à sa propre
considération? N'en a-t-il pas le droit? Et
d'ailleurs on peut nuire à sa considéra-
tion de tant d'autres manières ! Nous
voyons cela tous les jours ; la loi;
cependant, ne s'en inquiète pas, et elle
fait bien. 1 1
., Mais le mandat impératif n'est-il pas
encore autre chose ? Est-ce que tout en-
gagement quelconque, pris par un dé-
puté envers le corps électoral, ne peut
pas être assimilé à ce mandat impératif
aussi peu défini qu'il est abhorré ? Vous
promettez publiquement et formellement
(c'est un exemple que M. Dufaure a choisi)
de voter contre l'impôt du sel ; qui dé-
cidera si votre promesse n'équivaut
point à l'acceptation du mandat prohibé ?
Dans les questions politiques , ce sera.
bien pis. Tout échange d'opinions et
toute entente préalable avec le corps
électoral seront suspectés. Il faudra
proscrira les termes coupables de
commettanls, de mandataires. Nous con-
damnons, dans le passé, les cahiers de
1789, et tout ce qui, de près ou de loin,
y ressemble ; dans l'avenir, nous trai-
tons d'illégale toute profession de foi qui
ne finira point par ce post-scriptum :
« Vous savez, électeurs, que tout ce que
je vous ai dit ne m'engage à rien, qu'au-
tant en emporte le vent, et que je me
réserva le droit d'agir dans un sens tout
contraire à ce que je vous ai déclaré. »
Voilà nos objections. Et maintenant il
nous semble qu'on aura beau tourner et
retourner ce nouvel article 35 du projet
de loi électorale, personne ne trouvera
moyen de l'amender dans un sens sup-
portable. Il faut le rayer de la loi. Sinon,
l'on fera subir à la liberté le plus grave
outrage. Nous tomberons dans le pur
arbitraire en matière de vérifications de
pouvoirs. On aura préparé pour les ma-
jorités futures un instrument d'exclusion
contre les élus des minorités.
EUG. LIÉBERT.
——— : ———— 4 ———————
L'Union républicaine s'est réunie avant
la séance de l'Assemblée. Elle a procédé à
la nomination d'une commission chargée
d'examiner le projet de loi électorale éla-
boré par la commission des Trente. Cette
commission se compose de MM. Cazot,
Brisson, Louis Blanc, Tolain, Lepère,
Brillier, de Mahy, Gambetta, Dréo, Pey-
rat. * ,.
La réunion a délibéré ensuite sur la
conduite à tenir dans la discussion de
l'interpellation. A
t ——————————
La commission chargée d'examiner le projet
de loi de M. Depevre, pour l'organisation du
conseil d'Etat, s'est réunie hier. Une discussion
s'est engagée, à laquelle ont pris part MM. Ber-
tauld, Hamille, Ernest Picard, Foubert et Jules
Simon.
Aucune décision n'a été prise, M. Baze ayant
fait observer qu'il était indispensable d'entendre
le ministre de la justice.
♦ ——————
Un Mot de comédie
C'était à Chislehurst.
Les pèlerins qui avaient traversé la
Manche pour contempler le visage du
jouvenceau s'en allaient à la queue-leu-
leu chercher, au guichet de distribu-
tion, les cartes qui devaient leur donner
droit d'entrée dans le salon impérial.
Là, ils étaient naturellement obligés
de décliner leurs nom, prénoms et qua-
lités ; car on ne voulait point qu'un faux
frère se glissât parmi les fidèles.
M. Lagrange surveillait ce défilé. Vous
n'avez pas, sans doute, oublié le nom
de M. Lagrange. C'était jadis le chef de
la police du château ; et il n'y a guère
eu, sous l'empire, de complot vrai ou
faux où il n'ait joué son rôle.
Or, il arriva que M. Lagrange eut un
moment de distraction. On était venu
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