Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1875-04-27
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 27 avril 1875 27 avril 1875
Description : 1875/04/27 (A5,N1240). 1875/04/27 (A5,N1240).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
e-
6* Année. — N° 1240. Prix du numéro .- Paris : 15 centimes. — Départements : 20 centimel.
Mardi 27 Avril 1875.
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JOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR
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de 2 heures à minuit
53, rue de Lafayetto
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MM. les Souscripteurs dont l'ahûnno-
ment expire le 30 aviûlaont "priés de
le renouveler immédiatement s'ils ne
veulent peint éprouver de retard dans
la réception du journal.
Voir à la 4e page l'annonce
de notre nouvelle Prime.
Parts, le 26 avril 1875.
Dans une réunion tenue à Belleville et
qui comptait deux mille personnes, M.
Gambetta a prononcé un discours sur les
lois constitutionnelles. C'est, à proprement
parler, le manifeste du parti radical, et les
applaudissements qui l'ont accueilli en
font l'acte d'adhésion du parti au vote de
ses mandataires dans la séance du 25 fé-
vrier. A ce double point de vue, le dis-
cours de M. Gambetta mérite de fixer l'at-
tention de la France, et ne manquera pas
d'intéresser l'opinion en Europe.
On sait à quels commentaires a donné
lieu la politique de l'extrême gauche dans
ces deux dernières années. Les plus bien-
veillants ne voyaient dans sa modération
qu'une preuve de lassitude et de découra-
gement. Les autres la dénonçaient comme
une comédie. Il fallut bien se rendre à l'é-
vidence quand on vit ces « farouches »
joindre l'action à la parole et devenir les
prineipaux ressorts du grand mouvement
patriotique qui devait aboutir au vote de la
constitution. Mais pourtant on se rappelait
le fameux discours du mois de juillet 1874,
où le due de Broglie invoquait, pour rejeter
la proposition Casimir Périer, l'impossibi-
lité de faire une République selon le eœur*
le tempérament et les doctrines des di-
vers groupes républicains ; et l'on s'é-
tonnait que M. Gambetta pût accepter la
République de M. Wallon. Les « honnêtes
gens », ceux dont le patriotisme consiste à
laisser périr leur pays plutôt que de ne
pas associer le salut de Rome au salut
de la France ne pouvaient s'expliquer le
désintéressement de l'extrême gauche, et
d'un commun accord on décida que c'était
pur machiavélisme. Les radicaux de l'As-
semblée ne montraient patte blanche à la
République conservatrice que pour s'en
faire ouvrir l'huis et y faire pénétrer les
radicaux du pays, qui, une fois dans la
place, tordraient le cou aux modérés et
danseraient la carmagnole autour de leurs
dépouilles.
Il faut convenir que le centre gauche
à qui s'adressaient surtout ces avertisse-
ments ne sembla pas s'en émouvoir beau-
coup. Il avait vu de trop près les ra-
dicaux à l'œuvre , il avait trop mis à
l'épreuve leur esprit de conciliation pour
qu'il pût mettre en doute leur sincérité. Mais
après tout, rien ne lui prouvait que le par-
ti radical ne désavouait pas la politique de
ses commettants, et, dans ce cas, que devien-
drait la constitution quand à cette Assem-
blée en succéderait une autre ? Car enfin,
tout le monde comprend bien que l'œuvre
du 25 février n'a de valeur et n'aura de
portée dans l'avenir qu'autant que l'allian-
ce d'où elle est sortie subsistera tout en-
tière dans la prochaine Assemblée, dans
le Sénat, et, conséquemment, dans les di-
vers groupes d'électeurs républicains.
C'est à cette appréhension, formulée ou
non, sincère ou feinte, que répond le dis-
cours de M. Gambetta, et nous n'hésitons
pas à dire qu'il y répond avec toute l'élo-
quence, toute la loyauté qu'on devait at-
tendre de l'orateur. On lira plus loin les
principaux passages de cette allocution,
sorte d'examen de conscience comme en
devraient faire quelquefois nos adversaires
devant leurs électeurs. Et surtout l'on n'ou-
bliera pas que la scène se passe à Belle-
ville, e'est-à-dire dans le quartier le plus
décrié de la capitale, et que la réaction se
plait à représenter comme le plus hos-
tile à la politique de concorde et d'apaise-
ment prêchée et pratiquée par M.Gambetta.
Que s'est-il donc passé pour que ces loups
se soient ainsi transformés en agneaux? M.
Gambetta aurait-il donné une interprétation
fantaisiste des lois constitutionnelles ? Au-
rait-il flatté les instincts révolutionnaires
de ses électeurs en leur faisant entendre que
la République du 25 février leur serait bien-
tôt livrée et qu'ils pourraient alors la fa-
çonner à leur image ? A-t-il seulement af-
fecté quelque dédain pour cette République
révisable ? Rien de tout cela. M. Gambetta
a parlé de la constitution avec le respect
que doit tout citoyen à la loi de son pays;
il en a expliqué le mécanisme, montré les
avantages et signalé les inconvénients avec
l'accent convaincu d'un homme qui sait
avoir travaillé à une œuvre sans doute in-
complète , mais sérieuse et durable.
Et cela n'a pas empêehé M. Gambetta de
se faire applaudir. C'est peut-être, — on la
dira, du moins, — qu'il a pris soin de pro-
tester contre toute velléité de rompre avec
ce qu'on a appelé « sa queue. » « Non, a-
t-il dit, je n'ai pas coupé ma queue, et je ne
suis pas prêt à le faire. » Après tout, M.
Gambetta n'a peut-être pas tort. Nous sa-
vons tout ce qu'on peut dire à ce sujet ; et
nous-mêmes, plus d'une fois, quand nous
avons été dans l'obligation de combattre
le chef du parti radical, c'est surtout à sa
« queue » que nous en avions. Mais la queue
nous semble s'être coupée'toute seule, du
moins s'il faut en croire les applaudisse-
ments donnés à la politique de M. Gam-
betta. Nous avons eu beau chercher, nous
n'avons pas aperçu le moindre frétillement ;
au contraire, tous les mouvements de l'au-
ditoire notés par la sténographie au cours
de ce long monologue sent la marque du
progrès accompli depuis les - derniers évé-
nements parlementaires dans les esprits
réputés les plus ardents et les plus indis-
ciplinables.
Il serait trop long d'examiner une à
une toutes les questions soulevées par l'ora-
teur républicain ; il faut se borner à met-
tre en lumière ce qui donne à ce dis-
cours son caractère et sa portée véritables.
C'est, suivant nous, qu'il est, pour ainsi
parler, la promulgation du pacte d'alliance
conclu dans l'Assemblée entre tous les
groupes républicains, sans distinction d'ori-
gine. Il convient, à ce propos, de citer
les paroles de M. Blanchet, au moment
d'ouvrir la séance qu'il avait l'honneur de
présider. Après avoir rendu hommage à la
constitution du 25 février, considérée
« comme un premier pas vers la réalisation
progressive et pacifique des idées de jus-
tice politique et sociale qui constituent l'i-
déal du parti républicain, » M. Blanchot a
ajouté : -
A ce titre, nous ne lui marchanderons pas
netre adhésion, et toutes nos sympathies sont
acquises à toutes les fractions de l'ancienne
gauche, au parti constitutionnel; nous prions
le citoyen Gambetta d'être notre interprète au-
près de ses collègues de la nouvelle majorité,
sans distinction de nuane., et nous lui expri-
mons, à lui-même, notre gratitude pour la
part qui lui revient dans ce grand acte du
25 février, pour le rôle qu'il a joué dans la
transformation de nos institutions, transfor-
mation d'autant plus décisive qu'elle a été
plus pacifique.
De son côté, M. Gambetta a fait l'histo-
rique du mouvement d'opinion qui a
détaché de l'ancienne majorité monarchi-
que un nombre suffisant de patriotes pour
aider les gauches à fonder. la République :
« La France a, dit M. Gambetta, la reçoit
» aujourd'hui de leurs mains et des nôtres,
» et je suis convaincu que s'ils sent fidèles
> à leurs nouvelles convictions, que s'ils
» veulent revendiquer avec nous les liber-
» tés publiques, s'ils veulent le progrès
» dans l'ordre comme nous voulons l'ordre
» dans le progrès, ce n'est pas la France
» qui leur marchandera sa reconnaissance
» et qui déchirera le pacte que nous avons
» fait ensemble pour la garde de la patrie,
» sous l'œil de l'ennemi. »
Ce n'est pas là seulement le langage de
la raison, du bon sens, et l'expression
d'une sage politique, c'est aussi le langage
de l'honneur. Comme nous le disions tout
à l'heure, la constitution du 25 février n'eût
fait que des dupes, si l'alliance d'où elle
est sertie pouvait être dénoncée par une
des parties contractantes. C'était Pespoir
de nos adversaires ; ils prenaient mesure
des républicains sur eux-mêmes et ne
voyaient ou ne feignaient de voir dans l'ac-
eord du 25 février qu'une comédie , une
intrigue , un mensonge comme dans, le
24 mai et la 20 novembre ! M. Gambetta a
fait justice de ces suppositions outra-
geantes, et il a recueilli les applaudisse-
ments de ceux qui l'écoutaient. Nous ne
croyons pas qu'il ait jamais mieux mérité
de la République et des républicains.
E. SCHNERB.
».
CROMWELL & LA CENSURE
Lorsqu'un directeur de théâtre a reçu
quelque ouvrage, une loi paternelle, ou
soi-disant telle, lui commande, dans son
intérêt, de soumettre le manuscrit à
trois ou quatre auteurs stériles, réfugiés
dans un bureau du ministère. Ces em-
ployés, qui s'honorent du titre de cen-
seurs, ont le droit d'interdire l'exécution
de la pièce, ou de l'autoriser, moyen-
nant une mutilation préalable. « C'est
pour votre bien, mon brave homme.
Vous êtes sûr, à ce prix, de ne pas dé-
bourser, en pure perte, 40 ou 50,000
francs, qui sont peut-être le fond de
votre sac. »
Les directeurs se randent à ces rai-
sons, et l'on assure même que plus d'un
n'est pas fâché de se soustraire ainsi à
la responsabilité de ses choix.
Par surcroît de prudence, l'admi-
nistration, bonne mère, envoie aux ré-
pétitions générales deux inspecteurs
qui sont comme qui dirait les censeurs
de la mise en scène. Ces ouvriers de la
dernière heure ont des ciseaux d'un
modèle particulier et d'un fil spécial,
car ils coupent les gestes du jeune pre-
mier, les intonations du comique, les
regards louches du traître,
Lorsqu'un ouvrage a reçu ces deux
sacrements, le directeur, l'auteur et
len acteurs sont en règle avec le pou-
voir et s'imaginent, non sans quelque
raison, qu'ils n'ont plus rien à redouter,
sinon les sifflets du parterre. Il se peut
que la pièce tombe à plat ; peut-être
sera-t-elle simplement cahotée durant
un certain nombre de représentations,
pour reprendre bientôt un équilibre
stable. C'est un compte à régler entre
le public souverain et les entrepre-
neurs de fêtes dramatiques. Rabagas,
une pièce exécrable de M. Sardou, a
soulevé des orages terribles au début ;
l'autorité ne s'en est point émue, et
l'ouvrage a fini par enrichir un tas de
monde par une série de trois cents re-
présentations.
Une pièce meilleure ou pire, je ne
sais, ne l'ayant pas vue, mais j'hésite
à la supposer pire que Rabagas, le
Cromwell de Victor Séjour et de M.
Maurice Drack, a subi le travail ingé-
nieux de la censure et l'épreuve de
l'inspection. Les bureaux ont donné
leur visa; les cinq ou six invalides
qui grouillent pour la morale dans je
ne sais quel cabinet poudreux, ont
garanti la parfaite innocuité de l'ou-
vrage , et les intéressés, en grand
nombre, qui comptaient sur le succès
d'hier soir peur déjeuner aujourd'hui,
ont Cfu qu'ils avaient cause gagnée, sauf
le verdict des spectateurs..
Or, le public, la grande masse du
public, a pris la pièce en affection;
quelques criailleries d'une infime mino-
rité et quelques dénonciations de jour-
naux sans crédit ne sauraient infirmer,
en pays de suffrage universel, les ap-
plaudissements du nombre. Samedi soir,
on a dû s'embrasser dans les coulisses;
il y avait du pain sur la planche, et
cela pour un certain temps. Mais,
comme dit le suisse de Perrin Dandin,
-
.:.. Sur l'avenir, bien fou qui se flera ;
Tel qui rit samedi, dimanche pleurera.
Hier dimanche, entre midi et une
heure, un arrêté de M. le général de
Ladmirault, interdisait les représen-
tations de Cromwell jusqu'à nouvel
ordre.
Nous préserve le ciel de discuter
une autorité dont le caractère propre
est de supprimer la discussion ! L'é-
tat de siége ne peut avoir .tort aussi
longtemps qu'il dure; il ne relève que
de l'histoire.
Mais en présence d'un événement
qui démontre l'inanité de la censure
préalable et de l'inspection des théâ-
tres, nous signalons à la commission
du budget de 1876 une économie toute
trouvée.
ABOUT.
—— S : ————— ————
Hier dimanche on inaugurait à Marseille
la statue de Berryer, élevée par souscription
publique. Les premières dépêches reçues
donnent peu de détails sur cette fête, en-
core moins sur les discours que des dépu-
tés légitimistes ont prononcés. Mais nous
espérons que l'inauguration de la statue
de Berryer n'aura pas seulement servi de
prétexte à une manifestation du parti
royaliste ; et s'il en était autrement, il fau-
drait le déplorer. Berryer fut quelque
chose de plus et de mieux qu'un partisan
de la monarchie traditionnetle. Volon-
tiers on oublierait ses opinions pour se
souvenir de son talent et de son ca-
ractère. Le 7 décembre 1868, à Augarville,
parmi quel concours d'admiration et de
sympathie se célébrèrent ses obsèques !
C'était un deuil public. Nous voyions s'é-
teindre une de nos gloires, dans un temps
où les gloires n'abondaient pas. Il appar-
tenait à la France.
Il serait inutile et long dé rappeler ici
les circonstances qui attachèrent Berryer,
dès les premiers jours de sa jeunesse, à la
cause de la royauté. L'éducation l'avait fait
légitimiste, et il est resté légitimiste par
point d'honneur. On connaît son mot sur
« le cynisme des apostasies. » Mais ce se-
rait le rabaisser étrangement que de le ré-
duire au rôle d'orateur d'une coterie et
d'homme d'Etat du faubourg Saint Ger-
main. Sa sphère est plus haute. Ne l'a-t-on
pas vu protester, seul, dans son parti, dès
1815, contre les violences de la réaction
royaliste t « C'est une honte aux vainqueurs,
disait-il, de ramasser les blessés du champ
de bataille pour les porter à l'échafaud. »
Ce royaliste dévoué savait rendre homma-
ge aux ennemis de la royauté quand ils
avaient aimé la France, et l'on a bien sou-
vent cité de lui cette parole : « Je n'ou-
blierai jamais que la Convention a sauvé
ma patrie. » Toute cause de justice et de li-
berté lui était bonne; il fut l'avocat de
Ney, de Cambronne et de Donnadieu ; il dé-
fendit Lamennais, puis Chàteaubriand,
Audry de Puyraveau, Voyer d'Argenson, —
combien d'autres ! Par un trait demeuré
célèbre, il a bien fait voir comment il en-
tendait le respect des lois et les devoirs du
patriotisme : lui, le fidèle ami du vieux roi
Charles X, lui qui devait bientôt être un
des flétris de Belgrave-Square, il n'hésita
pas à se prononcer énergiquement contre
les desseins de la duchesse de Berry, quand,
en 1832, elle descendit en Vendée, et il
s'employa de tous ses efforts à prévenir le
soulèvement. C'est qu'il n'était point de
ceux à qui leur parti est plus cher que la
France. Il se donnait à la France d'abord;
à ses amis politiques, après elle.
Aussi n'est-il pas possible de croire qu'il
eût encouragé ou approuvé, s'il eût vécu,
la tactique des royalistes dits habiles, sous
la troisième République, après la grande
catastrophe de 1870. Sans doute, il appar-
tint, il y a vingt-cinq ans, à ce triste co-
mité de la rue de Poitiers, qui voulut ra-
mener la monarchie et ne sut qu'amener
le second empire. Ce fut la plus condam-
nable des fautes, et il ne nous convient
pas de l'atténuer. Il faut remarquer seule-
ment que les circonstances n'étaient pas
alors ce qu'elles furent en 1872 et 1873. En
ce temps-ci, le parti royaliste a eu sous
les yeux les plus graves leçons de l'expé-
rience : le 2 décembre, vingt ans d'empire
et Sedan. Lorsque tout ce passé se dressait
devant lui, la conduite du parti royaliste,
en 1873, était sans excuse. Non, ce n'est
pas Berryer qui, en haine des républicains,
aurait entrepris de gaieté de-cœur le relè-
vement des bonapartistes ; ce n'est pas lui
.qui aurait conclu avee eux un pacte d'il-
liance inavouable et cependant public! Qui
oserait se le figurer^ sans craindre de lui
faire injure, épousant en plein Paris la
candidature de M. Stoffel, et donnant ce
gage à la faction qui venait de ruiner le
pays? Et, le 24 mai accompli, qui se serait
risqué, parmi ses amis politiques, à lui of-
frir d'être garde des sceaux dans un mi-
nistère qui ne devait sa majorité qu'au
concours imposé de M. Magne et à la com-
plicité, payée si chèrement, de M. Rouher?
Sans doute, Berryer n'eût pas cessé de
faire profession de dévouement à M. le
comte de Chambord ; mais du moins il au-
rait fallu, lui présent, que son parti chan-
geât de tactique. Il aurait repoussé avec
humiliation, avec dégoût, des compromis
contre lesquels protestait sa vie tout en-
tière. Il aurait pensé surtout à la France ;
quelque attachement qui l'attirât vers
Frohsdorf, il était avant tout du grand
parti français. Il aurait pu déplorer l'aveu-
glement républicain de son pays ; mai* il
ne se fût pas reconnu le droit de violenter
la nation ou de la surprendre. Et qui sait si
son ascendant, obligeant liRe partie de la
droite à se détourner d'une alliance mons-
trueuse, n'aurait pas épargné à la Républi-
que deux années de crise, dont la cause de
la monarchie n'a pas profité? M. de Larcy et
d'autres, orateurs légitimistes ont prononcé
hier, à Marseille, des harangues à la
louange de Berryer. Nous ignorons ce
qu'a produit cette éloquence ; mais nous
ne serions pas surpris que ces panégyristes
se fussent sentis parfois un peu gênés dans
leurs discours. Un orateur républicain eût
peut-être été plus à l'aise pour rappeler,
dans cette fête, aux acclamations de la
foule émue, la noble devise de Berryer :
Forum et jus!
Eu.. LIÉBERT.
Dernier Mot
M. l'abbé d'Alzon m'a fait l'honneur
de m'infliger encore, coup sur coup,
deux réponses dans les journaux dont
il dispose à Nîmes. Comme il ne s'y
trouve aucun argument nouveau, je me
dispense d'y répliquer. Ce qui semble
mettre M. l'abbé hors de lui, c'est que
j'aide, dit-il, au triomphe de la franc-
maçonnerie. Pour un peu, il jurerait
que je suis soudoyé par les francs-ma-
cons.
Si j'aide à ce triomphe, c'est bien in-
nocemment. Je ne suis point franc-
maçon; j'ignore absolument les rites,
les symboles et les croyances de la
franc-maçonnerie. C'est par principe
que je suis toujours resté indépendant
de toute association. Je ne blâme point
ceux qui s'affilient à une confrérie,
quelle qu'elle soit. Mais je tàch0 da
penser par moi-même, et je vais, droit
devant moi, tout seul, ne m'inquiétant
de suivre personne, ni de savoir si je
serai suivi moi-même.
J'apprends, par une foule de lettres
qui m'arrivent de Nîmes, que j'ai trouvé
dans co coin du Midi de nombreux et
ardents défensQur. Je les en remer-
cie.
Mais j'avoue qu'à Paris nous avons
quelque peine à comprendre ces longues
tiimQsitég, ces querelles qui n'en finis-
sent pas, que le temps qui s'écoule en-
venime au lieu de les apaiser.
Ainsi cette mince affaire n'est pas
encore terminée! La polémique se pour-
suit entre universitaires et cléricaux
autour d'un menu fait de la vie ordi-
naire, qui n'aurait dù soulever ni récri-
minations, ni étonnement! L'honnête
homme de proviseur qui a eu le bon
sens de conduire ses élèves à l'enterre-
ment d'un de leurs maîtres continue
d'être insulté et menacé dans sa posi-
Feuilleton du XH* SIÈCLE du 26 Avril 1875
Causerie Dramatique
THÉÂTRE DE L'AMBIGU : L'Affaire Coverley, drame
en 5 actes, par M. Barusse. — THÉÂTRE DU
CHÂTELET : Cromwell, drame en 5 actes, par
feu Victor Séjour. — THÉÂTRE DES FOLIES-
DRAMATIQUES : Alice de Nevers, opérette-fan-
taisiste en 5 tableaux, paroles et musique
de M. Hervé. — PUBLICATIONS : Poésies de
Victor Hugo, — Notes de musique. par Er-
nest Reyer. - L'Almanach des spectacles.
Je ne sais si vous avez eu l'occasion
de constater et d'apprécier le sens que
le peuple de Paris donne au mot « mal-
adroit » ? Ce mot, dont l'usage s'est
considérablement accru, a pris dans le
dialecte de mes compatriotes une exten-
sion de sens des plus curieuses.
Le hasard me rendit un jour témoin
d'une rixe populaire. L'affaire, qui avait
commencé dans un cabaret, venait de se
terminer dans la rue. Une discussion
animée s'étant émue entre deux amis,
l'un d'eux, à bout d'arguments, avait
asséné un violent coup de bouteille sur
le crâne de son contradicteur , l'avait
foulé aux pieds et, dans l'emportement
aveugle de sa rage, l'avait craellément
mordu au visage. Avec une férocité
dont l'exemple n'est malheureusement
pas assez rare, il lui avait littérale-
ment coupé le nez avec ses dents : hor-
rible et sauvage pratique positivement
consacrée par cette ignoble phrase de
défi: « Je vais te manger le nez ! »
Le farouche misérable, auteur de
l'attentat, était arrêté , péniblement
protégé contre l'exaspération de la
foule par deux sergents de ville, aux-
quels un homme d'une cinquantaine
d'années racontait le fait avec la plus
honorableindignation. Son récit achevé,
il se tourna vers le coupable et crut de-
voir lui adresser une courte admones-
tation : « C'est abominable, lui dit-il,
ce que vous avez fait là ; c'est votre
ami, un brave garçon ; parce qu'il ne
pense pas comme vous. vous vous jetez
sur lui comme une bête féroce, vous
l'assommez, vous le dévorez! Allez,
vous n'êtes qu'un maladroit ! »
Un maladroit! Assurément l'expres-
sion n'avait pas, pour ce brave homme,
dont l'indignation était réelle, le sens
anodin et limité qu'elle a pour nous. Le
mot, pris dans cette acception com-
plexe, n'était pas nouveau pour moi ;
mais jamais je n'en avais pu constater
l'emploi dans une circonstance aussi
grave et aussi caractéristique. Vous
n'êtes qu'un maladroit, cela veut dire :
votre acte est féroce ; mais il est sur-
tout absurde; il est en disproportion
avec la cause ; vous n'avez pas su sor-
tir honnêtement, judicieusement, adroi-
tement du conflit; vous ne pouviez pas
compter sur l'impunité; vous avez fait
ce qu'il ne fallait pas faire; vous ne
deviez pas échapper à la capture et au
châtiment ; vous voila pris, c'est bien
fait: « Vous n'êtes qu'un maladroit! »
Le mot résume tout cela, et contient,
en fin de compte, l'idée simple que nous
attribuons à cet adjectif.
Je ne connais pas de meilleur
terme à appliquer au sieur Arthur
Gordon, le garçon boucher, assassin, et
spoliateur de sir Roger Coverley ; car
il n'est pas possible de trouver un mal-
faiteur plus maladroit.
Il n'y a pas ici, j'en conviens, dispro-
portion entre le mobile et l'attentat;
mais l'ensemble de la conduite de ce
Gordon et la collection des moyens
qu'il emploie sont assurément tout ce
qu'il y a de plus bêtement conçu au,
monde. On peut donc, sans diminuer
en rien l'horreur que ce forfait inspire,
appliquer à ce misérable le vocable po-
pulare., et le proclamer un bien grand
maladroit.
Je n'ai pas lu les comptes-rendus- de 1
l'affaire Tichborne, dont nos voisins
l sont tant émus et
dont tous nos journaux ont donné des
extraits ; c'est là que l'auteur de VAf-
faire Coverley a puisé l'idée-mère de
son drame, mais en s'éloignant considé-
rablement de la réalité et en corsant
son œuvre de tous les éléments que
pouvait lui fournir l'arsenal de non
vieux mélodrames.
'L'ancien garçon boucher Arthur Gor-
don, devenu tenancier d'une métairie
appartenant à sir Henri Coverley, s'é-
prend d'une passion furibonde pour la
fille de son maître, miss Emily, fiancée
à Roger Coverley, neveu de sir Henri.
Il fait si bien, par ses machinations et
ses calomnies, que sir Henri rompt le
mariage et que Roger, dans son déses-
poir, s'embarque pour l'Australie.
Mais Gordon a conçu un projet dia-
bolique. Comptant mettre à profit sa
ressemblance extraordinaire avec Ro-
ger Coverley, il s'embarque avec lui,
bien résolu à l'assassiner à la première
occasion, à s'emparer de ses papiers et
à revenir ensuite en son lieu et place
épouser miss Emily,
Le naufrage de la Bella, navire sur
lequel sont embarqués les deux rivaux,
lui fournit tout à point l'occasion cher-
chée. Les projets de Gordon s'accom-
plissent de point en point : il revient en
Angleterre, se présente à mistress Co-
verley comme son fils et se fait accep-
ter d'emblée dans la famille. Mais il a
compté sans sa propre mère, mistress
Gordon, qui le reconnaît pour son fils
et n'en veut pas démordre. Il a beau
lui chanter comme dans le Prophète;
- Quelle est cette femme r
Elle lui répond :
Je suis la pauvre femme
Qui t'a nourri, t'a porté dans ses bras.
Pour comble d'embarras, Ellen, sa
légitime, — car il est marié, le gredin,
— survient avec sa petite fille, qui crie
papa à tout rompre.
C'est alors que l'idée lumineuse de la
lôcomotive éclôt dans son esprit et il
charge un misérable, nommé Ned, eon-
vict en rupture de déportation, d'exé-
cuter son ingénieuse conception.
Ned attire donc ses victimes le long
d'une voie ferrée, et au moment où le
train sort en mugissant d'un tunnel, il
pousse Ellen et sa fille sur les rails.
Par bonheur, mistress Gordon, qui n'a
qu'une confiance limitée en son aima-
ble fils, conçoit des soupçons et accourt
sur les traces de sa belle-fille. Elle
arrive à temps, se laisse glisser le long
d'une tranchée, et détourne au bon
moment la malheureuse Ellen et son
enfant. Dans la lutte, Ned tombe lui-
même et est broyé sous la locomo-
tive !
Pour dénouement, Gordon, accablé
sous d'irrécusables témoignages, con-
fesse son crime, et miss Emily épouse
son cousin Sidney; car Roger Coverley
est bien véritablement mort assassiné,
et oublié depuis longtemps.
Paul Deshayes a fort bien joué son
double personnage, fort bien secondé,
d'ailleurs, par Mlle Duguéret, qui, dans
le rôle de mistress Gordon, a trouvé
des accents irrésistibles.
Toutefois, les succès réunis de ces
deux artistes, joints à celui du drame
lui-même, restent bien loin derrière le
succès personnel obtenu par. la loco-
motive! Honneur et gloire à l'art dra-
matique français! Si j'ai cru pouvoir,
sans-manquer de respect à la Comé-
die-Française, donner la préférence à
la première représentation de VA/faire
Coverley sur la reprise de Julie, qui
avait lieu le même jour, c'est que
j'ai pensé qu'il fallait donner le pas
à la pièce nouvelle sans tenir compte
de la valeur respective des ouvrages ;
c'est par la même raison que j'ai fait
passer Cromwell avant Fànny Lear,
que le Vaudeville reprenait pour les
représentations de Mme Fasca, car,
cette semaine les pr-emières ont mar-
ché deux par deux. Julie .et an-
ny Lear auront Ion (' -Iour la semaine
prochaine .,tlr.la semaine
..,.
Le Châtelet a donc joué Cromwell
sombre héros, sujet sombre, et qui s
prête assez mal aux combinaisons dré
matiques, si l'on ne veut point trop t01
turer l'histoire. Et déjà l'auteur a ét
forcé de lui substituer son imaginatio
sur deux points : l'un, peu importar
d'ailleurs,où il insiste sur les désirs d
royauté de Cromwell, désirs suppc
sés et exagérésv par les royalistes, qi
n'y croyaient pas eux-mêmes autan
qu'ils voulaient bien le dire ; l'autre
tout-à-fait positif, la mort du protec
teur. Ludlow, qui était l'ennemi d
Cromwell, dit qu'à l'heure suprême
il avait plutôt l'air « d'un médiateu
que d'un mourant ».
Cromwell, en effet, mourut dans 1
plus grand calme et dans la reeu:'lc
ment religieux le plus profond. L'at
teur du drame lui a donné "ne fin tou
à-fait dramatique et fort belle, et qu
Taillade a joués de la façon la plu
remarquable, aux applaudissement
de la sall. entière. Donc il a eu ra
son,
Victor Hugo, qui, dans son drame voli
mineux de Cromwell, a donné aussi à c
grand homme un violent appétit d
royauté, dont il a fait le pivot de sa corr
position, dit dans sa préface :.« Olivie
Cromwell est du nombre de ces personnî
ges de l'histoire qui sont tout ensembl
très-célèbres et très-peu connus. » L'ol
servation reste vraie dans une certain
mesure ; car si Villemain, Guizot, Phi
larète Chasles. Macaulay ont par leur
travaux répandu la lumière sur cett
grande personnalité peu connue ou me
connue, ces mêmes travaux n'ont ét
lus que par un public restreint. C'es
assurément fort regrettable : il y
dans l'histoire un certain nombre d
grandes figures dont il est importai]
de connaître le sens et qui sont comm
tes phares destinés à nous guider su
l'COéan des faits secondaires. Croni
l well est une de ces figures-là, comm
Charlemagne, Louis XI, niQb.lieu, N;
çoléon, o' -_.
: Les royalistes ont eu beau s'égayer
18 sur le nez rouge du protecteur de la
l~ République d'Angleterre et inonder le
r- monde de leurs pamphlets injurieux et
é de leurs libelles diffamatoires, il suffit
n de considérer l'état de la Graïade-Hre-
Lt tagne, avant et après Cromwell, pour
e se convaincre du puissanj génie de ce
grand homme.
Quoi qu'en aient dit ses détracteurs
lt Cromwell fut sincère : ce rustaud éner-
giquo et gagaco, d'un ;oup d'œil si sûr,
d'un esprit politiP'd0 si complet, était
véritablement convaincu. Dans une
ettre écrite par lui au beau-
r perq a© son filg Richard, et où il lui
rf}onlma"é.de de pousser l'indolent per-
0 sonnage à l'étude sérieuse de l'histoire
3- et des mathématiques, en vue de la
i- destinée qui l'attend, se trouve cette
t- phrase caractéristique -: « Ces choses
le rendent propre à servir le peuple, et
iS c'est pour cela que l'homme est, né /»
,8 L'étude d'une pareille physionomie est
i- certainement plus philosophique que
dramatique. Dans le drame représenté
i- au Châtelet, l'intérêt de l'action ré-
e side dans l'amour d'un gentilhomme
e royaliste, le jeune Warwick, pour Tune
i- des filles de Cromwell, l'enfant de sa
ir prédilection. -
l- Le troisième et le dernier acte sont
e véritablement fort beaux. Au troisième
)- acte, Warwick pénètre dans la chambre
e du protecteur pour l'assassiner, et la
i- fille de Ciomwell l'y surprend le poi-
's gnard à la main, Cromwell survient
e et pardonne, dans une scène véritable-
- ment saisissante et du plus grande
;é effet.
st Au dernier acte, Cromwell, affaibli
a par la maladie, mais sans avoir rien
e pardu de son énergie morale, meurt
It dans un paroxysme de désespoir, après
e avoir douloureusement constaté que
r- sen fils est absolument incapable de
i- 1 poursuivre son œuvre.
e Ces deux actes magnifiques suffl-
i- saient pour assurer le succès de ce
drame, dont la place était assurément à
6* Année. — N° 1240. Prix du numéro .- Paris : 15 centimes. — Départements : 20 centimel.
Mardi 27 Avril 1875.
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MM. les Souscripteurs dont l'ahûnno-
ment expire le 30 aviûlaont "priés de
le renouveler immédiatement s'ils ne
veulent peint éprouver de retard dans
la réception du journal.
Voir à la 4e page l'annonce
de notre nouvelle Prime.
Parts, le 26 avril 1875.
Dans une réunion tenue à Belleville et
qui comptait deux mille personnes, M.
Gambetta a prononcé un discours sur les
lois constitutionnelles. C'est, à proprement
parler, le manifeste du parti radical, et les
applaudissements qui l'ont accueilli en
font l'acte d'adhésion du parti au vote de
ses mandataires dans la séance du 25 fé-
vrier. A ce double point de vue, le dis-
cours de M. Gambetta mérite de fixer l'at-
tention de la France, et ne manquera pas
d'intéresser l'opinion en Europe.
On sait à quels commentaires a donné
lieu la politique de l'extrême gauche dans
ces deux dernières années. Les plus bien-
veillants ne voyaient dans sa modération
qu'une preuve de lassitude et de découra-
gement. Les autres la dénonçaient comme
une comédie. Il fallut bien se rendre à l'é-
vidence quand on vit ces « farouches »
joindre l'action à la parole et devenir les
prineipaux ressorts du grand mouvement
patriotique qui devait aboutir au vote de la
constitution. Mais pourtant on se rappelait
le fameux discours du mois de juillet 1874,
où le due de Broglie invoquait, pour rejeter
la proposition Casimir Périer, l'impossibi-
lité de faire une République selon le eœur*
le tempérament et les doctrines des di-
vers groupes républicains ; et l'on s'é-
tonnait que M. Gambetta pût accepter la
République de M. Wallon. Les « honnêtes
gens », ceux dont le patriotisme consiste à
laisser périr leur pays plutôt que de ne
pas associer le salut de Rome au salut
de la France ne pouvaient s'expliquer le
désintéressement de l'extrême gauche, et
d'un commun accord on décida que c'était
pur machiavélisme. Les radicaux de l'As-
semblée ne montraient patte blanche à la
République conservatrice que pour s'en
faire ouvrir l'huis et y faire pénétrer les
radicaux du pays, qui, une fois dans la
place, tordraient le cou aux modérés et
danseraient la carmagnole autour de leurs
dépouilles.
Il faut convenir que le centre gauche
à qui s'adressaient surtout ces avertisse-
ments ne sembla pas s'en émouvoir beau-
coup. Il avait vu de trop près les ra-
dicaux à l'œuvre , il avait trop mis à
l'épreuve leur esprit de conciliation pour
qu'il pût mettre en doute leur sincérité. Mais
après tout, rien ne lui prouvait que le par-
ti radical ne désavouait pas la politique de
ses commettants, et, dans ce cas, que devien-
drait la constitution quand à cette Assem-
blée en succéderait une autre ? Car enfin,
tout le monde comprend bien que l'œuvre
du 25 février n'a de valeur et n'aura de
portée dans l'avenir qu'autant que l'allian-
ce d'où elle est sortie subsistera tout en-
tière dans la prochaine Assemblée, dans
le Sénat, et, conséquemment, dans les di-
vers groupes d'électeurs républicains.
C'est à cette appréhension, formulée ou
non, sincère ou feinte, que répond le dis-
cours de M. Gambetta, et nous n'hésitons
pas à dire qu'il y répond avec toute l'élo-
quence, toute la loyauté qu'on devait at-
tendre de l'orateur. On lira plus loin les
principaux passages de cette allocution,
sorte d'examen de conscience comme en
devraient faire quelquefois nos adversaires
devant leurs électeurs. Et surtout l'on n'ou-
bliera pas que la scène se passe à Belle-
ville, e'est-à-dire dans le quartier le plus
décrié de la capitale, et que la réaction se
plait à représenter comme le plus hos-
tile à la politique de concorde et d'apaise-
ment prêchée et pratiquée par M.Gambetta.
Que s'est-il donc passé pour que ces loups
se soient ainsi transformés en agneaux? M.
Gambetta aurait-il donné une interprétation
fantaisiste des lois constitutionnelles ? Au-
rait-il flatté les instincts révolutionnaires
de ses électeurs en leur faisant entendre que
la République du 25 février leur serait bien-
tôt livrée et qu'ils pourraient alors la fa-
çonner à leur image ? A-t-il seulement af-
fecté quelque dédain pour cette République
révisable ? Rien de tout cela. M. Gambetta
a parlé de la constitution avec le respect
que doit tout citoyen à la loi de son pays;
il en a expliqué le mécanisme, montré les
avantages et signalé les inconvénients avec
l'accent convaincu d'un homme qui sait
avoir travaillé à une œuvre sans doute in-
complète , mais sérieuse et durable.
Et cela n'a pas empêehé M. Gambetta de
se faire applaudir. C'est peut-être, — on la
dira, du moins, — qu'il a pris soin de pro-
tester contre toute velléité de rompre avec
ce qu'on a appelé « sa queue. » « Non, a-
t-il dit, je n'ai pas coupé ma queue, et je ne
suis pas prêt à le faire. » Après tout, M.
Gambetta n'a peut-être pas tort. Nous sa-
vons tout ce qu'on peut dire à ce sujet ; et
nous-mêmes, plus d'une fois, quand nous
avons été dans l'obligation de combattre
le chef du parti radical, c'est surtout à sa
« queue » que nous en avions. Mais la queue
nous semble s'être coupée'toute seule, du
moins s'il faut en croire les applaudisse-
ments donnés à la politique de M. Gam-
betta. Nous avons eu beau chercher, nous
n'avons pas aperçu le moindre frétillement ;
au contraire, tous les mouvements de l'au-
ditoire notés par la sténographie au cours
de ce long monologue sent la marque du
progrès accompli depuis les - derniers évé-
nements parlementaires dans les esprits
réputés les plus ardents et les plus indis-
ciplinables.
Il serait trop long d'examiner une à
une toutes les questions soulevées par l'ora-
teur républicain ; il faut se borner à met-
tre en lumière ce qui donne à ce dis-
cours son caractère et sa portée véritables.
C'est, suivant nous, qu'il est, pour ainsi
parler, la promulgation du pacte d'alliance
conclu dans l'Assemblée entre tous les
groupes républicains, sans distinction d'ori-
gine. Il convient, à ce propos, de citer
les paroles de M. Blanchet, au moment
d'ouvrir la séance qu'il avait l'honneur de
présider. Après avoir rendu hommage à la
constitution du 25 février, considérée
« comme un premier pas vers la réalisation
progressive et pacifique des idées de jus-
tice politique et sociale qui constituent l'i-
déal du parti républicain, » M. Blanchot a
ajouté : -
A ce titre, nous ne lui marchanderons pas
netre adhésion, et toutes nos sympathies sont
acquises à toutes les fractions de l'ancienne
gauche, au parti constitutionnel; nous prions
le citoyen Gambetta d'être notre interprète au-
près de ses collègues de la nouvelle majorité,
sans distinction de nuane., et nous lui expri-
mons, à lui-même, notre gratitude pour la
part qui lui revient dans ce grand acte du
25 février, pour le rôle qu'il a joué dans la
transformation de nos institutions, transfor-
mation d'autant plus décisive qu'elle a été
plus pacifique.
De son côté, M. Gambetta a fait l'histo-
rique du mouvement d'opinion qui a
détaché de l'ancienne majorité monarchi-
que un nombre suffisant de patriotes pour
aider les gauches à fonder. la République :
« La France a, dit M. Gambetta, la reçoit
» aujourd'hui de leurs mains et des nôtres,
» et je suis convaincu que s'ils sent fidèles
> à leurs nouvelles convictions, que s'ils
» veulent revendiquer avec nous les liber-
» tés publiques, s'ils veulent le progrès
» dans l'ordre comme nous voulons l'ordre
» dans le progrès, ce n'est pas la France
» qui leur marchandera sa reconnaissance
» et qui déchirera le pacte que nous avons
» fait ensemble pour la garde de la patrie,
» sous l'œil de l'ennemi. »
Ce n'est pas là seulement le langage de
la raison, du bon sens, et l'expression
d'une sage politique, c'est aussi le langage
de l'honneur. Comme nous le disions tout
à l'heure, la constitution du 25 février n'eût
fait que des dupes, si l'alliance d'où elle
est sertie pouvait être dénoncée par une
des parties contractantes. C'était Pespoir
de nos adversaires ; ils prenaient mesure
des républicains sur eux-mêmes et ne
voyaient ou ne feignaient de voir dans l'ac-
eord du 25 février qu'une comédie , une
intrigue , un mensonge comme dans, le
24 mai et la 20 novembre ! M. Gambetta a
fait justice de ces suppositions outra-
geantes, et il a recueilli les applaudisse-
ments de ceux qui l'écoutaient. Nous ne
croyons pas qu'il ait jamais mieux mérité
de la République et des républicains.
E. SCHNERB.
».
CROMWELL & LA CENSURE
Lorsqu'un directeur de théâtre a reçu
quelque ouvrage, une loi paternelle, ou
soi-disant telle, lui commande, dans son
intérêt, de soumettre le manuscrit à
trois ou quatre auteurs stériles, réfugiés
dans un bureau du ministère. Ces em-
ployés, qui s'honorent du titre de cen-
seurs, ont le droit d'interdire l'exécution
de la pièce, ou de l'autoriser, moyen-
nant une mutilation préalable. « C'est
pour votre bien, mon brave homme.
Vous êtes sûr, à ce prix, de ne pas dé-
bourser, en pure perte, 40 ou 50,000
francs, qui sont peut-être le fond de
votre sac. »
Les directeurs se randent à ces rai-
sons, et l'on assure même que plus d'un
n'est pas fâché de se soustraire ainsi à
la responsabilité de ses choix.
Par surcroît de prudence, l'admi-
nistration, bonne mère, envoie aux ré-
pétitions générales deux inspecteurs
qui sont comme qui dirait les censeurs
de la mise en scène. Ces ouvriers de la
dernière heure ont des ciseaux d'un
modèle particulier et d'un fil spécial,
car ils coupent les gestes du jeune pre-
mier, les intonations du comique, les
regards louches du traître,
Lorsqu'un ouvrage a reçu ces deux
sacrements, le directeur, l'auteur et
len acteurs sont en règle avec le pou-
voir et s'imaginent, non sans quelque
raison, qu'ils n'ont plus rien à redouter,
sinon les sifflets du parterre. Il se peut
que la pièce tombe à plat ; peut-être
sera-t-elle simplement cahotée durant
un certain nombre de représentations,
pour reprendre bientôt un équilibre
stable. C'est un compte à régler entre
le public souverain et les entrepre-
neurs de fêtes dramatiques. Rabagas,
une pièce exécrable de M. Sardou, a
soulevé des orages terribles au début ;
l'autorité ne s'en est point émue, et
l'ouvrage a fini par enrichir un tas de
monde par une série de trois cents re-
présentations.
Une pièce meilleure ou pire, je ne
sais, ne l'ayant pas vue, mais j'hésite
à la supposer pire que Rabagas, le
Cromwell de Victor Séjour et de M.
Maurice Drack, a subi le travail ingé-
nieux de la censure et l'épreuve de
l'inspection. Les bureaux ont donné
leur visa; les cinq ou six invalides
qui grouillent pour la morale dans je
ne sais quel cabinet poudreux, ont
garanti la parfaite innocuité de l'ou-
vrage , et les intéressés, en grand
nombre, qui comptaient sur le succès
d'hier soir peur déjeuner aujourd'hui,
ont Cfu qu'ils avaient cause gagnée, sauf
le verdict des spectateurs..
Or, le public, la grande masse du
public, a pris la pièce en affection;
quelques criailleries d'une infime mino-
rité et quelques dénonciations de jour-
naux sans crédit ne sauraient infirmer,
en pays de suffrage universel, les ap-
plaudissements du nombre. Samedi soir,
on a dû s'embrasser dans les coulisses;
il y avait du pain sur la planche, et
cela pour un certain temps. Mais,
comme dit le suisse de Perrin Dandin,
-
.:.. Sur l'avenir, bien fou qui se flera ;
Tel qui rit samedi, dimanche pleurera.
Hier dimanche, entre midi et une
heure, un arrêté de M. le général de
Ladmirault, interdisait les représen-
tations de Cromwell jusqu'à nouvel
ordre.
Nous préserve le ciel de discuter
une autorité dont le caractère propre
est de supprimer la discussion ! L'é-
tat de siége ne peut avoir .tort aussi
longtemps qu'il dure; il ne relève que
de l'histoire.
Mais en présence d'un événement
qui démontre l'inanité de la censure
préalable et de l'inspection des théâ-
tres, nous signalons à la commission
du budget de 1876 une économie toute
trouvée.
ABOUT.
—— S : ————— ————
Hier dimanche on inaugurait à Marseille
la statue de Berryer, élevée par souscription
publique. Les premières dépêches reçues
donnent peu de détails sur cette fête, en-
core moins sur les discours que des dépu-
tés légitimistes ont prononcés. Mais nous
espérons que l'inauguration de la statue
de Berryer n'aura pas seulement servi de
prétexte à une manifestation du parti
royaliste ; et s'il en était autrement, il fau-
drait le déplorer. Berryer fut quelque
chose de plus et de mieux qu'un partisan
de la monarchie traditionnetle. Volon-
tiers on oublierait ses opinions pour se
souvenir de son talent et de son ca-
ractère. Le 7 décembre 1868, à Augarville,
parmi quel concours d'admiration et de
sympathie se célébrèrent ses obsèques !
C'était un deuil public. Nous voyions s'é-
teindre une de nos gloires, dans un temps
où les gloires n'abondaient pas. Il appar-
tenait à la France.
Il serait inutile et long dé rappeler ici
les circonstances qui attachèrent Berryer,
dès les premiers jours de sa jeunesse, à la
cause de la royauté. L'éducation l'avait fait
légitimiste, et il est resté légitimiste par
point d'honneur. On connaît son mot sur
« le cynisme des apostasies. » Mais ce se-
rait le rabaisser étrangement que de le ré-
duire au rôle d'orateur d'une coterie et
d'homme d'Etat du faubourg Saint Ger-
main. Sa sphère est plus haute. Ne l'a-t-on
pas vu protester, seul, dans son parti, dès
1815, contre les violences de la réaction
royaliste t « C'est une honte aux vainqueurs,
disait-il, de ramasser les blessés du champ
de bataille pour les porter à l'échafaud. »
Ce royaliste dévoué savait rendre homma-
ge aux ennemis de la royauté quand ils
avaient aimé la France, et l'on a bien sou-
vent cité de lui cette parole : « Je n'ou-
blierai jamais que la Convention a sauvé
ma patrie. » Toute cause de justice et de li-
berté lui était bonne; il fut l'avocat de
Ney, de Cambronne et de Donnadieu ; il dé-
fendit Lamennais, puis Chàteaubriand,
Audry de Puyraveau, Voyer d'Argenson, —
combien d'autres ! Par un trait demeuré
célèbre, il a bien fait voir comment il en-
tendait le respect des lois et les devoirs du
patriotisme : lui, le fidèle ami du vieux roi
Charles X, lui qui devait bientôt être un
des flétris de Belgrave-Square, il n'hésita
pas à se prononcer énergiquement contre
les desseins de la duchesse de Berry, quand,
en 1832, elle descendit en Vendée, et il
s'employa de tous ses efforts à prévenir le
soulèvement. C'est qu'il n'était point de
ceux à qui leur parti est plus cher que la
France. Il se donnait à la France d'abord;
à ses amis politiques, après elle.
Aussi n'est-il pas possible de croire qu'il
eût encouragé ou approuvé, s'il eût vécu,
la tactique des royalistes dits habiles, sous
la troisième République, après la grande
catastrophe de 1870. Sans doute, il appar-
tint, il y a vingt-cinq ans, à ce triste co-
mité de la rue de Poitiers, qui voulut ra-
mener la monarchie et ne sut qu'amener
le second empire. Ce fut la plus condam-
nable des fautes, et il ne nous convient
pas de l'atténuer. Il faut remarquer seule-
ment que les circonstances n'étaient pas
alors ce qu'elles furent en 1872 et 1873. En
ce temps-ci, le parti royaliste a eu sous
les yeux les plus graves leçons de l'expé-
rience : le 2 décembre, vingt ans d'empire
et Sedan. Lorsque tout ce passé se dressait
devant lui, la conduite du parti royaliste,
en 1873, était sans excuse. Non, ce n'est
pas Berryer qui, en haine des républicains,
aurait entrepris de gaieté de-cœur le relè-
vement des bonapartistes ; ce n'est pas lui
.qui aurait conclu avee eux un pacte d'il-
liance inavouable et cependant public! Qui
oserait se le figurer^ sans craindre de lui
faire injure, épousant en plein Paris la
candidature de M. Stoffel, et donnant ce
gage à la faction qui venait de ruiner le
pays? Et, le 24 mai accompli, qui se serait
risqué, parmi ses amis politiques, à lui of-
frir d'être garde des sceaux dans un mi-
nistère qui ne devait sa majorité qu'au
concours imposé de M. Magne et à la com-
plicité, payée si chèrement, de M. Rouher?
Sans doute, Berryer n'eût pas cessé de
faire profession de dévouement à M. le
comte de Chambord ; mais du moins il au-
rait fallu, lui présent, que son parti chan-
geât de tactique. Il aurait repoussé avec
humiliation, avec dégoût, des compromis
contre lesquels protestait sa vie tout en-
tière. Il aurait pensé surtout à la France ;
quelque attachement qui l'attirât vers
Frohsdorf, il était avant tout du grand
parti français. Il aurait pu déplorer l'aveu-
glement républicain de son pays ; mai* il
ne se fût pas reconnu le droit de violenter
la nation ou de la surprendre. Et qui sait si
son ascendant, obligeant liRe partie de la
droite à se détourner d'une alliance mons-
trueuse, n'aurait pas épargné à la Républi-
que deux années de crise, dont la cause de
la monarchie n'a pas profité? M. de Larcy et
d'autres, orateurs légitimistes ont prononcé
hier, à Marseille, des harangues à la
louange de Berryer. Nous ignorons ce
qu'a produit cette éloquence ; mais nous
ne serions pas surpris que ces panégyristes
se fussent sentis parfois un peu gênés dans
leurs discours. Un orateur républicain eût
peut-être été plus à l'aise pour rappeler,
dans cette fête, aux acclamations de la
foule émue, la noble devise de Berryer :
Forum et jus!
Eu.. LIÉBERT.
Dernier Mot
M. l'abbé d'Alzon m'a fait l'honneur
de m'infliger encore, coup sur coup,
deux réponses dans les journaux dont
il dispose à Nîmes. Comme il ne s'y
trouve aucun argument nouveau, je me
dispense d'y répliquer. Ce qui semble
mettre M. l'abbé hors de lui, c'est que
j'aide, dit-il, au triomphe de la franc-
maçonnerie. Pour un peu, il jurerait
que je suis soudoyé par les francs-ma-
cons.
Si j'aide à ce triomphe, c'est bien in-
nocemment. Je ne suis point franc-
maçon; j'ignore absolument les rites,
les symboles et les croyances de la
franc-maçonnerie. C'est par principe
que je suis toujours resté indépendant
de toute association. Je ne blâme point
ceux qui s'affilient à une confrérie,
quelle qu'elle soit. Mais je tàch0 da
penser par moi-même, et je vais, droit
devant moi, tout seul, ne m'inquiétant
de suivre personne, ni de savoir si je
serai suivi moi-même.
J'apprends, par une foule de lettres
qui m'arrivent de Nîmes, que j'ai trouvé
dans co coin du Midi de nombreux et
ardents défensQur. Je les en remer-
cie.
Mais j'avoue qu'à Paris nous avons
quelque peine à comprendre ces longues
tiimQsitég, ces querelles qui n'en finis-
sent pas, que le temps qui s'écoule en-
venime au lieu de les apaiser.
Ainsi cette mince affaire n'est pas
encore terminée! La polémique se pour-
suit entre universitaires et cléricaux
autour d'un menu fait de la vie ordi-
naire, qui n'aurait dù soulever ni récri-
minations, ni étonnement! L'honnête
homme de proviseur qui a eu le bon
sens de conduire ses élèves à l'enterre-
ment d'un de leurs maîtres continue
d'être insulté et menacé dans sa posi-
Feuilleton du XH* SIÈCLE du 26 Avril 1875
Causerie Dramatique
THÉÂTRE DE L'AMBIGU : L'Affaire Coverley, drame
en 5 actes, par M. Barusse. — THÉÂTRE DU
CHÂTELET : Cromwell, drame en 5 actes, par
feu Victor Séjour. — THÉÂTRE DES FOLIES-
DRAMATIQUES : Alice de Nevers, opérette-fan-
taisiste en 5 tableaux, paroles et musique
de M. Hervé. — PUBLICATIONS : Poésies de
Victor Hugo, — Notes de musique. par Er-
nest Reyer. - L'Almanach des spectacles.
Je ne sais si vous avez eu l'occasion
de constater et d'apprécier le sens que
le peuple de Paris donne au mot « mal-
adroit » ? Ce mot, dont l'usage s'est
considérablement accru, a pris dans le
dialecte de mes compatriotes une exten-
sion de sens des plus curieuses.
Le hasard me rendit un jour témoin
d'une rixe populaire. L'affaire, qui avait
commencé dans un cabaret, venait de se
terminer dans la rue. Une discussion
animée s'étant émue entre deux amis,
l'un d'eux, à bout d'arguments, avait
asséné un violent coup de bouteille sur
le crâne de son contradicteur , l'avait
foulé aux pieds et, dans l'emportement
aveugle de sa rage, l'avait craellément
mordu au visage. Avec une férocité
dont l'exemple n'est malheureusement
pas assez rare, il lui avait littérale-
ment coupé le nez avec ses dents : hor-
rible et sauvage pratique positivement
consacrée par cette ignoble phrase de
défi: « Je vais te manger le nez ! »
Le farouche misérable, auteur de
l'attentat, était arrêté , péniblement
protégé contre l'exaspération de la
foule par deux sergents de ville, aux-
quels un homme d'une cinquantaine
d'années racontait le fait avec la plus
honorableindignation. Son récit achevé,
il se tourna vers le coupable et crut de-
voir lui adresser une courte admones-
tation : « C'est abominable, lui dit-il,
ce que vous avez fait là ; c'est votre
ami, un brave garçon ; parce qu'il ne
pense pas comme vous. vous vous jetez
sur lui comme une bête féroce, vous
l'assommez, vous le dévorez! Allez,
vous n'êtes qu'un maladroit ! »
Un maladroit! Assurément l'expres-
sion n'avait pas, pour ce brave homme,
dont l'indignation était réelle, le sens
anodin et limité qu'elle a pour nous. Le
mot, pris dans cette acception com-
plexe, n'était pas nouveau pour moi ;
mais jamais je n'en avais pu constater
l'emploi dans une circonstance aussi
grave et aussi caractéristique. Vous
n'êtes qu'un maladroit, cela veut dire :
votre acte est féroce ; mais il est sur-
tout absurde; il est en disproportion
avec la cause ; vous n'avez pas su sor-
tir honnêtement, judicieusement, adroi-
tement du conflit; vous ne pouviez pas
compter sur l'impunité; vous avez fait
ce qu'il ne fallait pas faire; vous ne
deviez pas échapper à la capture et au
châtiment ; vous voila pris, c'est bien
fait: « Vous n'êtes qu'un maladroit! »
Le mot résume tout cela, et contient,
en fin de compte, l'idée simple que nous
attribuons à cet adjectif.
Je ne connais pas de meilleur
terme à appliquer au sieur Arthur
Gordon, le garçon boucher, assassin, et
spoliateur de sir Roger Coverley ; car
il n'est pas possible de trouver un mal-
faiteur plus maladroit.
Il n'y a pas ici, j'en conviens, dispro-
portion entre le mobile et l'attentat;
mais l'ensemble de la conduite de ce
Gordon et la collection des moyens
qu'il emploie sont assurément tout ce
qu'il y a de plus bêtement conçu au,
monde. On peut donc, sans diminuer
en rien l'horreur que ce forfait inspire,
appliquer à ce misérable le vocable po-
pulare., et le proclamer un bien grand
maladroit.
Je n'ai pas lu les comptes-rendus- de 1
l'affaire Tichborne, dont nos voisins
l sont tant émus et
dont tous nos journaux ont donné des
extraits ; c'est là que l'auteur de VAf-
faire Coverley a puisé l'idée-mère de
son drame, mais en s'éloignant considé-
rablement de la réalité et en corsant
son œuvre de tous les éléments que
pouvait lui fournir l'arsenal de non
vieux mélodrames.
'L'ancien garçon boucher Arthur Gor-
don, devenu tenancier d'une métairie
appartenant à sir Henri Coverley, s'é-
prend d'une passion furibonde pour la
fille de son maître, miss Emily, fiancée
à Roger Coverley, neveu de sir Henri.
Il fait si bien, par ses machinations et
ses calomnies, que sir Henri rompt le
mariage et que Roger, dans son déses-
poir, s'embarque pour l'Australie.
Mais Gordon a conçu un projet dia-
bolique. Comptant mettre à profit sa
ressemblance extraordinaire avec Ro-
ger Coverley, il s'embarque avec lui,
bien résolu à l'assassiner à la première
occasion, à s'emparer de ses papiers et
à revenir ensuite en son lieu et place
épouser miss Emily,
Le naufrage de la Bella, navire sur
lequel sont embarqués les deux rivaux,
lui fournit tout à point l'occasion cher-
chée. Les projets de Gordon s'accom-
plissent de point en point : il revient en
Angleterre, se présente à mistress Co-
verley comme son fils et se fait accep-
ter d'emblée dans la famille. Mais il a
compté sans sa propre mère, mistress
Gordon, qui le reconnaît pour son fils
et n'en veut pas démordre. Il a beau
lui chanter comme dans le Prophète;
- Quelle est cette femme r
Elle lui répond :
Je suis la pauvre femme
Qui t'a nourri, t'a porté dans ses bras.
Pour comble d'embarras, Ellen, sa
légitime, — car il est marié, le gredin,
— survient avec sa petite fille, qui crie
papa à tout rompre.
C'est alors que l'idée lumineuse de la
lôcomotive éclôt dans son esprit et il
charge un misérable, nommé Ned, eon-
vict en rupture de déportation, d'exé-
cuter son ingénieuse conception.
Ned attire donc ses victimes le long
d'une voie ferrée, et au moment où le
train sort en mugissant d'un tunnel, il
pousse Ellen et sa fille sur les rails.
Par bonheur, mistress Gordon, qui n'a
qu'une confiance limitée en son aima-
ble fils, conçoit des soupçons et accourt
sur les traces de sa belle-fille. Elle
arrive à temps, se laisse glisser le long
d'une tranchée, et détourne au bon
moment la malheureuse Ellen et son
enfant. Dans la lutte, Ned tombe lui-
même et est broyé sous la locomo-
tive !
Pour dénouement, Gordon, accablé
sous d'irrécusables témoignages, con-
fesse son crime, et miss Emily épouse
son cousin Sidney; car Roger Coverley
est bien véritablement mort assassiné,
et oublié depuis longtemps.
Paul Deshayes a fort bien joué son
double personnage, fort bien secondé,
d'ailleurs, par Mlle Duguéret, qui, dans
le rôle de mistress Gordon, a trouvé
des accents irrésistibles.
Toutefois, les succès réunis de ces
deux artistes, joints à celui du drame
lui-même, restent bien loin derrière le
succès personnel obtenu par. la loco-
motive! Honneur et gloire à l'art dra-
matique français! Si j'ai cru pouvoir,
sans-manquer de respect à la Comé-
die-Française, donner la préférence à
la première représentation de VA/faire
Coverley sur la reprise de Julie, qui
avait lieu le même jour, c'est que
j'ai pensé qu'il fallait donner le pas
à la pièce nouvelle sans tenir compte
de la valeur respective des ouvrages ;
c'est par la même raison que j'ai fait
passer Cromwell avant Fànny Lear,
que le Vaudeville reprenait pour les
représentations de Mme Fasca, car,
cette semaine les pr-emières ont mar-
ché deux par deux. Julie .et an-
ny Lear auront Ion (' -Iour la semaine
prochaine .,tlr.la semaine
..,.
Le Châtelet a donc joué Cromwell
sombre héros, sujet sombre, et qui s
prête assez mal aux combinaisons dré
matiques, si l'on ne veut point trop t01
turer l'histoire. Et déjà l'auteur a ét
forcé de lui substituer son imaginatio
sur deux points : l'un, peu importar
d'ailleurs,où il insiste sur les désirs d
royauté de Cromwell, désirs suppc
sés et exagérésv par les royalistes, qi
n'y croyaient pas eux-mêmes autan
qu'ils voulaient bien le dire ; l'autre
tout-à-fait positif, la mort du protec
teur. Ludlow, qui était l'ennemi d
Cromwell, dit qu'à l'heure suprême
il avait plutôt l'air « d'un médiateu
que d'un mourant ».
Cromwell, en effet, mourut dans 1
plus grand calme et dans la reeu:'lc
ment religieux le plus profond. L'at
teur du drame lui a donné "ne fin tou
à-fait dramatique et fort belle, et qu
Taillade a joués de la façon la plu
remarquable, aux applaudissement
de la sall. entière. Donc il a eu ra
son,
Victor Hugo, qui, dans son drame voli
mineux de Cromwell, a donné aussi à c
grand homme un violent appétit d
royauté, dont il a fait le pivot de sa corr
position, dit dans sa préface :.« Olivie
Cromwell est du nombre de ces personnî
ges de l'histoire qui sont tout ensembl
très-célèbres et très-peu connus. » L'ol
servation reste vraie dans une certain
mesure ; car si Villemain, Guizot, Phi
larète Chasles. Macaulay ont par leur
travaux répandu la lumière sur cett
grande personnalité peu connue ou me
connue, ces mêmes travaux n'ont ét
lus que par un public restreint. C'es
assurément fort regrettable : il y
dans l'histoire un certain nombre d
grandes figures dont il est importai]
de connaître le sens et qui sont comm
tes phares destinés à nous guider su
l'COéan des faits secondaires. Croni
l well est une de ces figures-là, comm
Charlemagne, Louis XI, niQb.lieu, N;
çoléon, o' -_.
: Les royalistes ont eu beau s'égayer
18 sur le nez rouge du protecteur de la
l~ République d'Angleterre et inonder le
r- monde de leurs pamphlets injurieux et
é de leurs libelles diffamatoires, il suffit
n de considérer l'état de la Graïade-Hre-
Lt tagne, avant et après Cromwell, pour
e se convaincre du puissanj génie de ce
grand homme.
Quoi qu'en aient dit ses détracteurs
lt Cromwell fut sincère : ce rustaud éner-
giquo et gagaco, d'un ;oup d'œil si sûr,
d'un esprit politiP'd0 si complet, était
véritablement convaincu. Dans une
ettre écrite par lui au beau-
r perq a© son filg Richard, et où il lui
rf}onlma"é.de de pousser l'indolent per-
0 sonnage à l'étude sérieuse de l'histoire
3- et des mathématiques, en vue de la
i- destinée qui l'attend, se trouve cette
t- phrase caractéristique -: « Ces choses
le rendent propre à servir le peuple, et
iS c'est pour cela que l'homme est, né /»
,8 L'étude d'une pareille physionomie est
i- certainement plus philosophique que
dramatique. Dans le drame représenté
i- au Châtelet, l'intérêt de l'action ré-
e side dans l'amour d'un gentilhomme
e royaliste, le jeune Warwick, pour Tune
i- des filles de Cromwell, l'enfant de sa
ir prédilection. -
l- Le troisième et le dernier acte sont
e véritablement fort beaux. Au troisième
)- acte, Warwick pénètre dans la chambre
e du protecteur pour l'assassiner, et la
i- fille de Ciomwell l'y surprend le poi-
's gnard à la main, Cromwell survient
e et pardonne, dans une scène véritable-
- ment saisissante et du plus grande
;é effet.
st Au dernier acte, Cromwell, affaibli
a par la maladie, mais sans avoir rien
e pardu de son énergie morale, meurt
It dans un paroxysme de désespoir, après
e avoir douloureusement constaté que
r- sen fils est absolument incapable de
i- 1 poursuivre son œuvre.
e Ces deux actes magnifiques suffl-
i- saient pour assurer le succès de ce
drame, dont la place était assurément à
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