Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1875-04-14
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 14 avril 1875 14 avril 1875
Description : 1875/04/14 (A5,N1227). 1875/04/14 (A5,N1227).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
58 Année. — N° 1227.
Prix du numéro : Paris le 16 centimes. - DépaJements : 20 centimes
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Mercredi 14 Avril 1875.
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luiOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR '.,. ,
RRDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
53, rue de Lafayette
Les lettres non affranchies seront refusées
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MM. les Souscripteurs dont liabonae-y
ment expire le 15 avril sont priéa^^de
le renouveler immédiatement s'ils ne
veulent point éprouver de retard dans
la réception du journal.
Paris, le 13 avril 1875.
Nos élections départementales d'avant-
hier sont excellentes.Nous en avons donné
les résultats, et nous avions eu soin de pu-
blier, pendant la période électorale, les
divers documents émanés des oandidats ou
des comités. Ce qui a dû frapper le public,
dans tant de circulaires et de professions
de foi qu'il a pu lire, c'est que tous lecan-
didats (si ce n'est deux réactionnaires
peut-être, dont les circulaires nous ont
manqué), se recommandaient de la consti-
tution et de la République. Un candidat ra-
dical, M. B. Raspail, conseiller sortant, a été
'réélu à Villejuif. St-Denis, Charenton, Cour-
bevoie ont nommé trois républicains dont
la place serait marquée, s'ils siégeaient à
Versailles, sur les bancs de la gauche : ce
sont MM. Moreaux, le docteur Béclard et
Lesage. Deux républicains du centre gau-
che, MM.. Hunebelle et Sueur, représen-
teront les cantons de Sceaux et de Yincen-
nes. Cinq conseillers sortants sont réélus.
13allottage à Pantin et à Neuilly. Par-
tout, comme on l'a vu, c'est entre candi-
dats républicains que la lutte électorale, —
très-pacifique, -d'ailleurs, — s'est enga-
gée. Tel était plus ardent d'opinions ,
tel autre plus conservateur; quelque-
fois encore il est arrivé que la compé-
tition s'est établie à propos de ques-
tions d'intérêt cantonal. Mais, politi-
quement, on est toujours demeuré sur le
vrai terrain, sur le terrain constitutionnel;
et, dans ces conditions, nous devons nous
féliciter, comme du signe le plus favo-
rable, de la diversité et de la multiplicité
des candidatures. C'est ainsi que toutes les
élections devraient désormais se passer ;
et neus voudrions voir partout des candi-
dats, les uns conservateurs, les autres
progressistes, partagés d'avis sur autant
de points qu'on voudra, mais professant
un égal respect pour la forme de gouver-
nement instituée par la constitution, — la
République.
Nous aurions, d'ailleurs, été bien surpris
que certains journaux, à court de sujets
de polémique, n'essayassent point de déna-
turer hardiment le sens du scrutin de di-
manche. Pour le Français ou la Liberté
(c'est tout comme), dès que des élections
n'ont été ni monarchistes ni bonapartistes,
elles sont jugées : ce sont des élections ra-
dicales. Et l'on n'ignore pas que ce mot
de « radical » a pris, sous la plume des ré-
dacteurs de la Liberté ou du Français,l'as-
pect le plus ténébreux et le plus horrible.
Il est donc convenu que les six élus
d'avant-hier doivent être rangés indis-
tinctement parmi les monstres du ra-
dicalisme, et que les deux élus du se-
cond tour de scrutin ne vaudront pas
mieux. Nous pourrions opposer aux appré-
ciations de la Liberté et du Français l'o-
pinion du Moniteur, qui est, comme on
sait, l'un des journaux du centre droit
constitutionnel. « En somme, y lisons-
nons, pour la première fois, dans ces can-
tons où le radicalisme le plus extravagant
était installé en maître, les électeurs sages
et modérés ont pu engager la lutte, en
conservant tous les sièges qui leur appar-
tenaient déjà. » Le Moniteur, rallié loya-
lement à la République, a gardé des pré-
jugés et des allures tant soit peu réaction-
naires; le Français et la Liberté ne trouve-
ront pas que la valeur de son témoignage en
soit infirmée. Mais passons. Il devient, à la
fin, puéril de défendre, après tou-s les scru-
tins,les électeurs et leurs élus contre les at-
taques des journaux qui ne se peuvent con-
soler des progrès de la République. Si l'on
expulsait du pays les millions de « radi-
caux » qu'ils dénoncent à la journée, que
resterait-il? Pour n'y laisser que des justes
selon le cœur de MM. Beslay et Détroyat,
il faudrait dépeupler la France.
- Et maintenant, quand bien même il arri-
verait que le suffrage universel se portât
parfois trop à gauche, qu'en concluraient
les esprits sérieux? Qu'en devrait conclure
surtout le gouvernement ? Après quatre
ans de provisoire et vingt mois de résis-
tance à la politique de combat, nous nous
trouvons enfin en possession de la Répu
blique. De par la constitution, la Répu-
blique est devenue le gouvernement légal
et définitif du pays. Mais, il se trouve au-
jourd'hui que le ministère que les circons-
tances ont créé n'a pu donner encore sa-
tisfaction à des vœux légitimes. Nous ne
voulons pas l'accuser, et nous avons dit
bien souvent" à. quel point nous serions heu-
reux que sa politique nous permit tou-
jours de le soutenir; mais, si les intentious
ne doivent pas être incriminées, on regrette
qu'il y ait, dans la conduite, des lenteurs,
des tâtonnements, causés par des préven-
tions fâcheuses, que le gros des citoyens
ne s'explique guère. Le pays, échappant
à la domination de M. de Broglie, a sup-
posé que le premier souci du ministère
du 10 mars serait de réparer les fau-
tes et les injustices du précédent régime.
Or, il attend toujours les réparations
et s'étonne de ne les pas voir venir. Ainsi
le veut, lui dit-on, la prudence conserva-
trice. Qui pourrait s'étonner, alors, si la
prudence conservatrice n'aboutit; à ses
yeux, qu'à des résultats négatifs, qu'il se
détourne des conservateurs et qu'il aille
frapper à d'autres portes ? Un fait lui sem-
ble acquis : c'est que la République est
constituée, et que la République, si con-
I
servatrice qu'on la fasse, doit être - la
fin du régime réactionnaire, qui, dans la
pensée des coalisés monarchistes, devait
servir à Prép^ièr le retour du comte de
Cu'ambord ou du jeune fils de Napoléon. On
lui dit que des fninistres conservateurs in-
voquent l'intérêt conservateur pour main-
tenir les préfets de M. de Broglie, les mai-
res de M. de Broglie, l'état de siège de M.
de Broglie. — Soit! répond-il; Ce que ne
croient pas pouvoir me donner les conserva-
teurs, je vais donc le demander aux pro-
gressistes. Il y a bien un peu d'impatience
et quelque brutalité dans cette logique;
mais qu'y faire ? Le peuple ne prise, dans
les jugements,que la rectitude et la promp-
titude. Le gouvernement légal est la Répu-
blique , il faut donc une politique républi-
caine, et rien qui ressemble à la politique
du 24 mai. Si les républicains de droite
répugnent à cette réforme indispensable,
place à d'autres ! Les républicains de
gauche l'accompliront. Voilà le raison-
nement dans sa simplicité, qui n'est pas
sans force. Tel est le mouvement des es-
prits ; il est indiqué dans les élections
de dimanche, il le sera dans tous les scru-
tins qui suivront. Et la bonne politique,
pour un ministère composé de conserva-
teurs, ce serait de se mettre à la tête de ce
mouvement républicain, et non d'y ré-
sister.
Eue. LIÉBERT.
C'est aujourd'hui mardi que la Chambre
des représentants belges reprend ses tra-
vaux. VIndépendance belge dit à ce pro-
pos :
« Il est probable qu'une interpellation
sera adressée au gouvernement au sujet de
la note de l'Allemagne, à moins que le
ministère ne tienne à aller au-devant d'une
demande d'explications en exposant tout
d'abord les faits tels qu'ils se sont passés.
» Mais qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas
d'interpellation, ce qui nous paraît indis-
pensable, c'est la communication et la pu-
blication des documents.
» Nous n'avons jusqu'ici que des on-dit,
des dépêches et des récits de journaux, des
analyses plus ou moins développées des
documents diplomatiques.
» Ainsi que nons l'avons dit, en pareille
circonstance, le moindre mot a sa valeur.
Il y a donc un grand intérêt à connaître
les textes officiels. Et la publication que
nous demandons sera sans inconvénient,
car nous croyons que les résumés qui ont
paru sont assez exacts.
» Si les documents avaient été publiés
plus tôt, cela n'en eût valu que mieux ;
mais peut être est-ce par déférence envers
la Chambre que le ministère a voulu atten-
dre la reprise de ses séances pour les lui
soumettre.
» Nous espérons que la communication
ne se fera pas désirer plus longtemps. »
+-
En République
Nous sommes si contents d'avoir vu
adopter par l'Assemblée nationale une
constitution prudemment républicaine,
nous regrettons si peu la part que
nos amis ont prise à la formation
du nouveau cabinet, nous attendons
avec une si ferme confiance les garan-
ties que l'honorable M. Buffet, vice-
président du conseil, nous donnera tôt
ou tard, que nous nous sommes peut-
être un peu hâtés d'applaudir une cir-
culaire dont l'Indépendance belge a
publié l'échantillon.
M. Havas, qui n'est ni Belge ni indé-
pendant, a fauché d'un seul trait de
plume toutes les fleurs de notre jardin.
Lisez plutôt l
La presse s'occupe d'une prétendue circu-
laire de M. Buffet aux préfets. Quelques
journaux vont jusqu'à citer des passages de
cette circulaire. 1
M. Buffet n'a adressé aux préfets aucune
circulaire ayant un caractère de politique
générale. L'on peut donc considérer comme
apocryphes les passages cités de cette circu-
laire.
M. le vice-président du conseil s'est entre-
tenu, dans ces derniers temps, avec les pré-
fets qu'il avait mandés à Paris. Il a eu
mainte occasion de leur donner verbalement
des instructions sur la politique du cabinet
et sur la signification qu'il convient d'attri-
buer au vote des lois constitutionnelles.
Voilà une nouvelle fâcheuse, en ce
qu'elle pourra retarder tant soit peu
les feux de joie dont la modestie de M.
Buffet semble redouter l'éclat. Plusieurs
millions de bons Francais ouvraient
déjà-la bouche pour acclamer le pre-
mier ministre du gouvernement défini.
Allons ! puisqu'il le faut, on ajournera
les réjouissances. Ce qui est différé
n'est pas perdu. Nous avons affaire à
un politicien de profession, à un hom-
me prudentissime, qui ne se compromet-
tra pas même avec la fortune, et qui,
s'il lui fallait absolument monter au
Capitole, s'arrangerait de façon à
triompher sur les sept heures de rele-
vée, entre chien et loup. Le moment ac-,
tuel ne lui semble pas bien choisi; M.
Buffet, sans repousser absolument cette
popularité que la France républicaine
lui garde, aime mieux la reporter fin
courant ou fin prochain. A son aise !
L'opinion publique est assez patiente
pour attendre et assez forte pour sa-
voir qu'elle aura le dernier mot.
Il serait donc superflu d'épiloguer
avec quelques-uns de nos confrères sur
les ambiguïtés des oracles de M. Ha-
vas. Les uns diront que, sans écrire,
un ministre peut faire adresser une cir-
culaire aux préfets par son sous-secré-
taire d'Etat. D'autres insinueront que
les mots : ayant un caractère de poli-
tique générale, sont vagues ; d'autres
enfin, que l'on peut considérer comme
a'pocryphes n'est pas un démenti assez
formel. Tout cela nous soucie fort peu,
et nous avons l'impertineuce de nous
déclarer satisfaits si M. le ministre de
l'intérieur a mandé les préfets à Paris,
s'il leur a expliqué verbalement la poli-
tique du cabinet, et s'il a commenté
pour leur instruction le texte de la
constitution républicaine. Il nous pa-
raît moralement impossible qu'un par-
lementaire consommé comme M. Buffet
n'ait pas transmis à ses agents le véri-
table esprit de la majorité du 25 fé-
vrier.
Notre unique souci, avouons-le en
toute franchise, est de penser qu'un cer-
tain nombre de préfets, par pauvreté
d'esprit, ou par une déformation du
sens politique, ont pu prendre au re-
bours les instructions ministérielles.
Evidemment, M. Buffet n'a pas manqué
de dire à ces estimables débris du 24
mai 1873 : Il y a du nouveau : l'Assem-
blée a voté la République ; toutes les
ambitions des prétendants sont ren-
voyées aux calendes grecques ; le de-
voir vous commande désormais de pro-
téger les conservateurs de l'ordre éta-
bli, c'est-à-dire les républicains, contre
la fraude ou la violence des monarchis-
tes. Mais les préfets ont-ils compris l
Ont-ils voulu comprendre ? L'homme se
refait-il en un jour ? Peut-il rompre à
brûle-pourpoint avec les préjugés, les
habitudes, les passions qui le possè-
dent et l'entraînent depuis une couple
d'années ? Yoilà le hic.
Et tenez ! on m'écrit d'un départe-
ment que je n'indiquerai pas ici, mais
dont je tiens le nom à la disposition de
l'honorable M. Buffet :
« Notre sous-préfet a reçu de la pré-
fecture une demande de renseigne-
ments politiques sur les conseillers
d'arrondissement, en vue des élections
sénatoriales. Il établit sa liste en cons-
cience, et aecompagne chaque nom
d'une qualification vraie : légitimiste,
orléaniste, bonapartiste, républicain
modéré, républicain avancé. Le préfet
lui renvoie cet honnête travail en l'in-
vitant à désigner sous le nom de con-
servateurs les orléanistes, les légiti-
mistes et les bonapartistes. Quant aux
autres, ordre de les diviser en centre
gauche et radicaux. » -
Ainsi donc, un mois et demi après
le vote d'une constitution républicaine,
l'administrateur d'un département fran-
çais qualifie de conservateurs tous les
ennemis déclarés de la République !
Il va plus loin, il supprime le nom de
républicains, et contraint un malheu-
reux sous-préfet à barbouiller de rouge
toute la gauche républicaine, c'est-à-
dire peut-être une moitié de l'arrondis-
sement.
Il faut que la conscience de M. le mi-
nistre de l'intérieur soit éclairée sur
ces fantaisies administrativeu. L'émi-
nent et sage politicien qui a l'honneur
d'inaugurer la nouvelle constitution ne
doit pas ignorer plus longtemps que
ses subordonnés réservent le nom de
conservateurs à ceux qui rêvent de cul-
buter l'ordre établi et effacent du dic-
tionnaire officiel le titre de républicain,
lorsque depuis tantôt deux mois nous
sommes légalement en République.
ABOUT.
— -■ +»
M. le ministre de l'intérieur vient de
signifier sa révocation à M. Désquenne,
maire de la commune de Villers-Vermont
(Oise). Cet acte d'administration, peu inté-
ressant en lui-même, n'est pas sans im-
portance quand on le rapproche des faits
qui se sont produits dans l'Oise, il y a peu
de temps encore.
On se souvient que le parti bonapartiste,
lors de l'élection de M. le duc de Mouchy,
prit le département de l'Oise pour théâtre
de ses exploits les plus audacieux. M. Che-
vreau, ex-préfet de l'Oise sous l'empire,
revint planter sa tente dans son départe-
ment et passa la jambe à M. Chopin, le
préfet actuel, avec une désinvolture assez
grande pour faire croire aux populations que
Chantilly n'était qu'un fief de Mouchy. Le
vrai préfet, — nous voulons dire M. Che-
vreau, — ne se fit pas faute d'offrir aux
maires de sa connaissance les fonctions de
courtiers électoraux. L'un d'eux accepta
avec transport la proposition, s'engageant
« à garder à vue », pendant la période
électorale, les affiches de M. le duc de Mou-
chy, et à distribuer lui-même tout docu-
ment bonapartiste à ceux de ses adminis-
trés sur lesquels il serait sûr de son in-
fluence. Ce maire était M. Desquenne.
Gardien d'affiches nuit et jour, distribu-
teur de documents électoraux entre temps,
maire à ses moments perdus ! Un magistrat
municipal qui se fait une si large idée de
ses devoirs doit finir par succomber. M.
Buffet n'a pas fait seulement un acte de
justice ; il a fait aussi un acte d'humanité.
— ♦
M. de Meaux est une victime, M. de
Meaux est un martyr! Cet affreux parti
radical ne pouvait laisser échapper une
si belle occasion de se venger du ministre
sur le conseiller général ! Et les organes
monarchistes lèvent au ciel des plumes
désolées, attestant que l'invalidation de
cette élection est une œuvre de parti pris
et -d'hostilité ystématique. Et les journaux
bonapartistes répètent, avec une componc-
tion des plus comiques : C'est épouvanta-
ble, épouvantable, nous en convenons;
nous qui souffrons de l'ajournement de l'é-
lection Bourgoing que les orléanistes con-
tribuent à retarder, nous trouvons, plus
que tous autres, que c'est épouvantable,
épouvantable. Oh ! ce parti républicain !
Il a bon dos, le parti républicain.
Malheureusement, ce qui n'est que co-
mique poi# îes initiés peut passer pour sé-
rieux aux yeux du public. Nous-mêmes,
grâce à l'aplomb de nos adversaires, nous
sommes demeurés cofifofidtis pendant vingt-
quatre heures. Nous savions que le conseil
général de la Loire avait pour président
M. ÈouChetâl-Laroche, et pour vice-
président M. de Sugny, l'un et l'autre
monarchistes, et nous nous demandions
comment un conseil général, radical
au point d'invalider « de pârti pris »
l'élection de M. de Meaux, avait été
assez peu républicain pour planter à sa
tête deux monarchistes de la plus belle
eau. Problème insondable pour noliSj car la
douleur faisait oublier à nos adversaires
d'en donner la solution.
La solution nous arrive de la Loire ; le
conseil général est composé de quatorze
- républicains et de seize « conservateurs. »
Ah ! ah !
L'invalidation a été votée par quinze
voix contre treize. AhJ. ah! ah 1
Or, lorsqu'on songe que M. de Meaux
est membre du cabinet, lorsqu'on réflé-
chit à l'influence, légitime d'ailleurs, que
la situation de ministre donne à un con-
seiller général sur ses collègues, on se de-
mande de quel côté devait être le parti
pris, — si le parti pris peut exister en pa-
reille matière ! — pour qu'un « conserva-
teur, » tout au moins, n'ait pas cru pou-
voir sanctionner l'élection de M. le mi-
nistre, -
Que les organes monarchistes pleurent,
nous le comprenons. Mais pourquoi nous
éclabousser de leurs larmes ?
P. L.
* —
Le conseil des ministres se réunit au-
jourd'hui pour résoudre la question des
élections partielles. Nous souhaitons qu'il
se décide à convoquer tous les collèges où
des vacances se sont produites. Si, autre-
fois, avant le vote des lois constitutionel-
les, nous demandions avec instance au
gouvernement de compléter la représenta-
tion nationale, c'est parce que, — et l'évé-
nement nous a donné raison, — les desti-
tinées de la France pouvaient dépendre
d'une voix. Il eut été terrible pour le pays
d'être privé de cette organisation après
laquelle il soupirait, par ce seul motif que
le gouvernement aurait retardé la convoca-
tion d'un collège électoral.
Aujourd'hui, il reste encore à faire les
lois organiques, mais la majorité constitu-
tionnelle est assez forte pour que nous
n'ayons pas besoin des quelques voix que
nous donneraient les élections complémen-
taires. Nous aurions donc souhaité que
l'Assemblée se séparât après avoir donné
un gouvernement à la France, et que l'on
pût supprimer les élections partielles. Tel
n'est pas l'état des choses. La constitution
est promulguée, et, avant qu'elle ne soit
mise en pratique, le cabinet est forcé, par
la loi, d'appeler trois départements à nom-
mer des représentants. C'est pour cela qu'il
ne peut hésiter. Il ne doit pas permettre
que l'on donne à ces élections un caractère
plébiscitaire, et que tel ou tel parti puisse
profiter du hasard et triompher d'un succès
qu'il aurait remporté dans un milieu favo-
rable. Il faut donc convoquer tous les col-
lèges.
En s'adressant à diverses parties de la
France, on pourra connaître à peu près
l'opinion du pays, et du moins la partie
se jouera loyalement.
On avait assuré que les députés républi-
cains de la commission de permanence in-
terrogeraient le gouvernement sur ses
intentions. Si le conseil des ministres sta-
tue aujourd'hui, cette demande n'aura plus
d'objet; mais il en est une autre qu'il ne
faut pas perdre de vue. Dans plusieurs des
départements où des élections doivent
avoir lieu, les journaux républicains sont
suspendus ou supprimés. On faisait derniè-
rement,dans la presse la plus réactionnaire,
appel aux « conservateurs » pour lutter
contre les bonapartistes. Or, partout, les
gens de l'empire ont des organes. Nous ne
nous en plaignons pas, loin de là. Nous
demandons la liberté pour tous, mais
nous réclamons avec instance , ce n'est
pas là une bien grande faveur, qu'on
tienne la balance égale entre eux et
nous. Il est inadmissible qu'ils aient le
moyen de calomnier nos candidats et que
ceux - ci ne puissent pas se défendre.
Nous savons que le cabinet observera la
neutralité la plus absolue et qu'il n'inter-
viendrait que dans le cas où on violerait la
constitution. C'est au nom de cette neu-
tralité qu'il faut lui demander le droit,
pour tous les partis, de lutter à armes
égales. Que M. Buffet, s'il ne veut pas opé-
rer une révision totale, opère au moins
cette révision partielle. Ce sera le meilleur
moyen, pour lui, de rassurer ceux qui ne
demandent qu'à lui prêter leur concours ;
ce sera avant tout un acte de justice.
Quelle raisons pourrait-on alléguer
pour maintenir des peines édictées par les
cabinets précédents ? Autrefois, les répu-
blicains faisaient la guerre ; ils réclamaient
le vote des lois constitutionnelles, ils sa-
vaient qu'ils avaient devant eux des minis-
tres hostiles à la République, et chaque
fois qu'une élection avait lieu, ils appuyaient
des candidats favorables à cette forme de
gouvernement. Ils le faisaient d'une façon
plus ou moins vive, mais ils allaient tou-
jours à l'encontre des sentiments de ceux
qui, à cette époque, dirigeaient les affaires
du pays. La situation aujourd'hui est
changée du tout au tout. Lès républicains
sont les plus fermes défenseurs de la consti-
tution. Ils peuvent encore, cela est leur
droit, critiquer certains actes du ministère;
mais ils n'ont plus devant eux un cabinet
hostile à la République, puisqu'il est chargé
de mettre en œuvre la constitution répu-
blicaine.
C'est bien le moins que dans les dépar-
tements où le scrutin va s'ouvrir, on nous
donne le droit de défendre notre œuvre et
de soutenir ceux qui prêteront leur appui
aux lois organiques. Ce serait un curieux
spectacle que de voir les ennemis déclarés
du gouvernement agir en pleine liberté, et
ceux-là qui ne demandent qu'à consolider
l'état de choses établi traités en suspects.
Les bonapartistes n'auraient-ils pas le
droit d'abuser de cette situation ? Ils n'hé-
siteraient pas à le faire. Ils continueraient
leur propagande et M manqueraient pas
d'exploiter à leur profit l'attitude de l'ad-
ministration. Ils tenteraient de faire
croire qu'on les protège, en s'appuyant sur
ce fait qu'on enlève la parole à leurs ad-
versaires. Ils montreraient les républi-
cains traités en parias sous la République.
Ce n'est pas là ce que veut M. Buffet
nous en sommes sûrs. Pour la première
fois, depuis qu'il est au ministère, des élec-
tions vont avoir lieu. Il tiendra à honneur
qu'elles se fassent avec sincérité. Nous ap-
pelons sur ce point l'attention de nos amis
de la commission de permanence, et nous
ne doutons pas qu'ils n'obtiennent une ré-
ponse favorable.
RAYMOND.
-
LES PRUDERIES OFFICIELLES
Peut-être se souvient-on que j'ai conté
ici même les tribulations d'un honorable
éditeur, M. Barraud, sollicitant du mi-
nistère de l'intérieur l'autorisation de
publier une édition illustrée des Contes
de Lafontaine.
1 Cette édition n'était autre qu'une re-
production exacte de celle qui est cé-
lèbre, dans l'histoire de l'art, sous le
nom d'édition des fermiers-généraux.
M. Barraud avait eu l'heureuse chance
de retrouver les cuivres originaux
d'Eisen , un peu usés , sans doute, et
effacés. Mais il avait confié à un artiste
habile le soin de revivifier les parties
rongées par le temps, et de remettre le
tout à neuf, en respectant, jusqu'en ses
moindres détails, l'œuvre du maître.
Ce travail, qui n'avait pas duré moins
de deux ans, avait été mené à bonne
fin avec une conscience et une habileté
rares. -
Ce n'était donc pas une contrefaçon
bu un fac-simile de l'édition des fer-
miers-généraux que M. Barraud s'était
proposé d'offrir au public ; il y en avait
déjà eu beaucoup d'autres, plus ou
moins heureusement exécutées, soit en
Belgique, soit en France; non, c'était
le livre même qu'on prétendait nous
rendre, tel qu'il était sorti des mains
d'Eisen, tel que l'avaient admiré tous
les honnêtes gens du dix-huitième siè-
cle, tous les artistes du nôtre. L'édi-
tion originale, dont il ne reste qu'un
petit nombre d'exemplaires, presque
tous serrés sous clef dans des biblio-
thèques publiques ou de riches collec-
tions particulières, atteignait en vente
publique des prix inabordables à qui
n'était point plusieurs fois millionnaire.
Celle que M. Barraud méditait devait
encore coûter fort cher, puisqu'elle se
vend 40 francs le volume, ce qui met
l'ouvrage entier à quatre louis ; et il n'y
a pas déjà tant d'amateurs à Paris en
humeur de dépenser 80 francs pour un
livre qui ne saurait être offert en ca-
deau à une femme.
Aussi M. Barraud n'avait-il tiré les
Contes de Lafontaine qu'à sept cents
exemplaires, et s'était-il assuré par
avance de cinq ou six cents souscrip-
teurs, afin d'être certain de rentrer
dans ses frais.
Le premier volume, qui parut en 1874,
n'avait soulevé aucune objection à la
censure; il était allé, sans opposition,
trouver ses souscripteurs, il avait été
mis en vente, et personne ne s'en était
scandalisé.
Le second volume trouva de moins
grandes facilités. J'ai fait, à l'époque,
le récit des démarches auxquelles dut
se livrer M. Barraud pour emporter une
autorisation qu'on lui refusait. Il ne
l'obtint que grâce à l'intervention de
deux ou trois bibliophiles trop spiri-
tuels pour ne pas être dépourvus de
sots préjugés, et qui se trouvaient être
des personnages influents.
L'autorisation fut enfin accordée, et
j'en fus bien content pour ma part. J'é-
tais d'abord enchanté de voir que l'ad-
ministration n'avait pas en France
des idées aussi étroites que je l'aurais
pu craindre ; et puis j'entrais en pos-
session de mon second volume. Il est
resté bien des jours sur ma table, et
tous les amis qui me sont venus voir
ont pris plaisir à le feuilleter, à lire
par ci, par-là, quelques pages du texte,
en regardant- les jolis dessins dont il
est illustré.
Je ne m'imaginais pas que mes amis
et moi nous faisions là une lecture
malsaine, à laquelle s'ajoutait l'at-
trait de gravures licencieuses.
Je le sais à présent ; les journaux
judiciaires me l'ont appris, en, nous
donnant le compte-rendu de la condam-
nation que vient de subir M. Barraud.
M. Barraud se croyait fort en règle
avec la loi de son pays, ayant en poche
l'autorisation du ministre. Mais il pa-
raît que l'autorisation administrative
laisse subsister entière l'action du mi-
nistère public, qui se réserve toujours
le droit de poursuivre l'ouvrage auto-
risé. Nous nous demandons alors à
quoi elle sert et pourquoi on l'exige !
Mais ce ne sont pas nos affaires.
Le parquet poursuivit donc M. Bar-
raud.
La défense de l'éditeur était vrai-
ment trop facile. Il répondit que son édi-
tion, reproduisant celle des Fermiers-
générauœf avait un caractère histo-
rique aussi bien qu'un intérêt d'art;
que son prix élevé l'empêchait de tom-
ber dans le commerce courant ; que les
gravures, ne pouvant être vendues
qu'intercalées dans le texte, ne pou-
vaient blesser la décence publique;
que les 700 exemplaires tirés ne s'a-
dressaient qu'à de riches amateurs;
qui les garderaient dans leur biblio-
thèque et ne les communiqueraient
qu'aux personnes capables de les
goûter.
C'étaient pourtant là d'exoollentes
excuses.
Rien n'y fit. M. Barraud vient d'êtrè
condamné pour outrage à la morale
publique. L'amende est légère sans
doute ; mais le jugement porte que les
exemplaires non saisis seront vendus,
et que. les planches d'Eisen seront
brisée~
-. Cet arrêt est déjà sans doute frappé
d'appel, et nous osons croire qu'il sera
réformé par des juges moins timorés et
plus amoureux d'art.
Que diraient les magistrats d'autre-
fois, un de Brosses, par exemple, le
spirituel président dijonnais, s'il pou-
vait revenir au monde et lire ce juge-
ment d'un de sa successeur o'Î'Les Contes
de Lafontaine, cette fleur do gaîté
gauloise et de vive poésie, une lecture
màîsâme!
Eh ! mon Dieu 1 je le sais bien ; ce
n'est pas un livre à mettre aux mains
des demoiselles, et j'aime autant que
nos jeunes collégiens attendent, pour le
lire, qu'ils soient sortis du collège.
Mais une fois émancipés, c'est avec le
Gargantua de Rabelais, les épîtres dé
Marot, les poésies légères de Voltaire,
et les chansons de Béranger, l'un des
premiers ouvrages où je voudrais les
voir appliquer leur esprit.
Cette veine de contes badins et de
plaisanteries joyeuses est une veine
essentiellement française; elle n'est pas
bien profonde, je l'avoue, et ne mène-
rait pas fort loin. Il serait fâcheux que
notre esprit s'y fût attaché trop exclu-
sivement ; qu'il n'eût pas poussé dans
d'autres sens,visé des idées plus hautes.
Mais les chefs-d'œuvre qu'elle a pro-
duits ont un si joli goût de terroir î
Songez que durant deux siècles les
hommes les plus délicats et les plus
honnêtes femmes les ont goûtés, sans
s'inquiéter plus-que de raison de cer-
taines gaillardises un peu vives, qui
étaient dans les habitudes du temps,
et n'effarouchaient personne au sei-
zième siècle, et même dans les pre-
mières années du dix-septième.
Ces détails risqués, ces mots parfois
crus et de saveur gauloise ont pour eux
l'autorité de la tradition, qui a tant
d'empire sur les gens instruits. Quand
un homme connaît notre vieille littéra-
ture et l'aime, comme la connaissaient
et l'aimaient nos vieux magistrats, mê-
me ceux de la Restauration et de la
monarchie de Juillet, il est familiarisé
avec ces verdeurs de langage, et il n'y
trouve rien de malsain.
Ce qui est malsain dans un livre, ce
n'est pas un mot plus ou moins vif tiré
de notre vieille langue, ce n'est -pas
même la nudité de l'image, quand cette
nudité est sauvée par un caractère de
gaieté spirituelle et narrO; non, si la
grivoiserie peut parfois être offensante
pour des pudeurs trop délicates, on ne
saurait dire qu'elle est malsaine.
Il n'y a de malsain que ce qui ébranla
l'imagination et la porte aux rêveries
sensuelles, aux mystiques ardeurs, aux
passions débridées. Tel livre où l'on ne
saurait reprendre un mot qui ne fût
pas chaste exerce sur le lecteur une
influence bien plus pernicieuse que tes
gaillardises de nos vieux conteurs. • ,
Entre les Proverbes de M. Octave
Feuillet, pour prendre un exemple, et
les Contes de Lafontaine, je n'hésite
pas ; ce sont les Proverbes que je pros-
crirais, sous prétexte de, morale, si
j'avais le goût de la. proscription. --
Les Contes du fabuliste amusent et
égaient; les Proverbes de Feuillet font
rêver; il n'y a rien de plus dangereux
que la rêverie.
Où allons-nôus, si l'on retranché de
la circulation les - Cbntes de Lafontaine
comme malsains, et les gravures d'Ei-
sen comme licencieuses !
On veut donc faire de la France un
vaste couvent, sans la foi ?
FRANCISQUE SARCBY.
—~——
INFORMATIONS ,
Un journal bonapartiste de la nuit an-*
nonce qu'il a été question, parmi les mi-
nistres, de convoquer au ministère de l'in-
térieur tous les rédacteurs en chef des
journaux de Paris, pour - leur recomman-
der la plus extrême réserve dans toutes les
questions politiques qui touchent de près
ou de loin à l'incident germano-belge. Une
décision à ce sujet ne pourrait être prise
qu'aujourd'hui parce qu'on voulait avoir
l'assentiment de tous les ministres. J
Cette recommandation nous semble bien
inutile, et c'est faire injure à la presse que
de croire qu'elle peut se départir un ins:
tant de la sage réserve que lui impose son -
patriotisme.
M. le duc DeeuéS, ministre des affaires
étrangères, part aujourd'hui pour aller
présider le conseil général de la Gironde.
Son absence durera une quinzaine de
jours.
M. Léon Say a qaitté Paris hier, sur les
conseils de son médecin.
Le ministre des finances se rend à Pau,
où il séjournera une huitaine de jours.
M. Charles de Rémusat, vient de partir
Prix du numéro : Paris le 16 centimes. - DépaJements : 20 centimes
( i :.: s'ii -'-- ;. ;-. :,! ¿
t ( ., 1
'l -/ i f- ?l
iâo
Mercredi 14 Avril 1875.
Ïj j S E ÎBS l^i BS
luiOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR '.,. ,
RRDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
53, rue de Lafayette
Les lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois..Î3 fr.
Six mois. 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS.
Trois mois.;.,. 16 [te
Six mois 32
Un an - a 6%
- 1
Annoaoes, chez MM. LAGRANGE) CERF et a
0, place de la Boarae; n -':
r:
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Adresser lettres et mandats à L'Administrateur
53, rue de Lafayette
Les manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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Six moil. 32
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6, place de la Bourse, 8
On s'abonne À Londres, chez M. A. MAtmlCBrinéral
advertising, agent, 13, Ta-Tiitookrew, Coveai Gorioa.
-
MM. les Souscripteurs dont liabonae-y
ment expire le 15 avril sont priéa^^de
le renouveler immédiatement s'ils ne
veulent point éprouver de retard dans
la réception du journal.
Paris, le 13 avril 1875.
Nos élections départementales d'avant-
hier sont excellentes.Nous en avons donné
les résultats, et nous avions eu soin de pu-
blier, pendant la période électorale, les
divers documents émanés des oandidats ou
des comités. Ce qui a dû frapper le public,
dans tant de circulaires et de professions
de foi qu'il a pu lire, c'est que tous lecan-
didats (si ce n'est deux réactionnaires
peut-être, dont les circulaires nous ont
manqué), se recommandaient de la consti-
tution et de la République. Un candidat ra-
dical, M. B. Raspail, conseiller sortant, a été
'réélu à Villejuif. St-Denis, Charenton, Cour-
bevoie ont nommé trois républicains dont
la place serait marquée, s'ils siégeaient à
Versailles, sur les bancs de la gauche : ce
sont MM. Moreaux, le docteur Béclard et
Lesage. Deux républicains du centre gau-
che, MM.. Hunebelle et Sueur, représen-
teront les cantons de Sceaux et de Yincen-
nes. Cinq conseillers sortants sont réélus.
13allottage à Pantin et à Neuilly. Par-
tout, comme on l'a vu, c'est entre candi-
dats républicains que la lutte électorale, —
très-pacifique, -d'ailleurs, — s'est enga-
gée. Tel était plus ardent d'opinions ,
tel autre plus conservateur; quelque-
fois encore il est arrivé que la compé-
tition s'est établie à propos de ques-
tions d'intérêt cantonal. Mais, politi-
quement, on est toujours demeuré sur le
vrai terrain, sur le terrain constitutionnel;
et, dans ces conditions, nous devons nous
féliciter, comme du signe le plus favo-
rable, de la diversité et de la multiplicité
des candidatures. C'est ainsi que toutes les
élections devraient désormais se passer ;
et neus voudrions voir partout des candi-
dats, les uns conservateurs, les autres
progressistes, partagés d'avis sur autant
de points qu'on voudra, mais professant
un égal respect pour la forme de gouver-
nement instituée par la constitution, — la
République.
Nous aurions, d'ailleurs, été bien surpris
que certains journaux, à court de sujets
de polémique, n'essayassent point de déna-
turer hardiment le sens du scrutin de di-
manche. Pour le Français ou la Liberté
(c'est tout comme), dès que des élections
n'ont été ni monarchistes ni bonapartistes,
elles sont jugées : ce sont des élections ra-
dicales. Et l'on n'ignore pas que ce mot
de « radical » a pris, sous la plume des ré-
dacteurs de la Liberté ou du Français,l'as-
pect le plus ténébreux et le plus horrible.
Il est donc convenu que les six élus
d'avant-hier doivent être rangés indis-
tinctement parmi les monstres du ra-
dicalisme, et que les deux élus du se-
cond tour de scrutin ne vaudront pas
mieux. Nous pourrions opposer aux appré-
ciations de la Liberté et du Français l'o-
pinion du Moniteur, qui est, comme on
sait, l'un des journaux du centre droit
constitutionnel. « En somme, y lisons-
nons, pour la première fois, dans ces can-
tons où le radicalisme le plus extravagant
était installé en maître, les électeurs sages
et modérés ont pu engager la lutte, en
conservant tous les sièges qui leur appar-
tenaient déjà. » Le Moniteur, rallié loya-
lement à la République, a gardé des pré-
jugés et des allures tant soit peu réaction-
naires; le Français et la Liberté ne trouve-
ront pas que la valeur de son témoignage en
soit infirmée. Mais passons. Il devient, à la
fin, puéril de défendre, après tou-s les scru-
tins,les électeurs et leurs élus contre les at-
taques des journaux qui ne se peuvent con-
soler des progrès de la République. Si l'on
expulsait du pays les millions de « radi-
caux » qu'ils dénoncent à la journée, que
resterait-il? Pour n'y laisser que des justes
selon le cœur de MM. Beslay et Détroyat,
il faudrait dépeupler la France.
- Et maintenant, quand bien même il arri-
verait que le suffrage universel se portât
parfois trop à gauche, qu'en concluraient
les esprits sérieux? Qu'en devrait conclure
surtout le gouvernement ? Après quatre
ans de provisoire et vingt mois de résis-
tance à la politique de combat, nous nous
trouvons enfin en possession de la Répu
blique. De par la constitution, la Répu-
blique est devenue le gouvernement légal
et définitif du pays. Mais, il se trouve au-
jourd'hui que le ministère que les circons-
tances ont créé n'a pu donner encore sa-
tisfaction à des vœux légitimes. Nous ne
voulons pas l'accuser, et nous avons dit
bien souvent" à. quel point nous serions heu-
reux que sa politique nous permit tou-
jours de le soutenir; mais, si les intentious
ne doivent pas être incriminées, on regrette
qu'il y ait, dans la conduite, des lenteurs,
des tâtonnements, causés par des préven-
tions fâcheuses, que le gros des citoyens
ne s'explique guère. Le pays, échappant
à la domination de M. de Broglie, a sup-
posé que le premier souci du ministère
du 10 mars serait de réparer les fau-
tes et les injustices du précédent régime.
Or, il attend toujours les réparations
et s'étonne de ne les pas voir venir. Ainsi
le veut, lui dit-on, la prudence conserva-
trice. Qui pourrait s'étonner, alors, si la
prudence conservatrice n'aboutit; à ses
yeux, qu'à des résultats négatifs, qu'il se
détourne des conservateurs et qu'il aille
frapper à d'autres portes ? Un fait lui sem-
ble acquis : c'est que la République est
constituée, et que la République, si con-
I
servatrice qu'on la fasse, doit être - la
fin du régime réactionnaire, qui, dans la
pensée des coalisés monarchistes, devait
servir à Prép^ièr le retour du comte de
Cu'ambord ou du jeune fils de Napoléon. On
lui dit que des fninistres conservateurs in-
voquent l'intérêt conservateur pour main-
tenir les préfets de M. de Broglie, les mai-
res de M. de Broglie, l'état de siège de M.
de Broglie. — Soit! répond-il; Ce que ne
croient pas pouvoir me donner les conserva-
teurs, je vais donc le demander aux pro-
gressistes. Il y a bien un peu d'impatience
et quelque brutalité dans cette logique;
mais qu'y faire ? Le peuple ne prise, dans
les jugements,que la rectitude et la promp-
titude. Le gouvernement légal est la Répu-
blique , il faut donc une politique républi-
caine, et rien qui ressemble à la politique
du 24 mai. Si les républicains de droite
répugnent à cette réforme indispensable,
place à d'autres ! Les républicains de
gauche l'accompliront. Voilà le raison-
nement dans sa simplicité, qui n'est pas
sans force. Tel est le mouvement des es-
prits ; il est indiqué dans les élections
de dimanche, il le sera dans tous les scru-
tins qui suivront. Et la bonne politique,
pour un ministère composé de conserva-
teurs, ce serait de se mettre à la tête de ce
mouvement républicain, et non d'y ré-
sister.
Eue. LIÉBERT.
C'est aujourd'hui mardi que la Chambre
des représentants belges reprend ses tra-
vaux. VIndépendance belge dit à ce pro-
pos :
« Il est probable qu'une interpellation
sera adressée au gouvernement au sujet de
la note de l'Allemagne, à moins que le
ministère ne tienne à aller au-devant d'une
demande d'explications en exposant tout
d'abord les faits tels qu'ils se sont passés.
» Mais qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas
d'interpellation, ce qui nous paraît indis-
pensable, c'est la communication et la pu-
blication des documents.
» Nous n'avons jusqu'ici que des on-dit,
des dépêches et des récits de journaux, des
analyses plus ou moins développées des
documents diplomatiques.
» Ainsi que nons l'avons dit, en pareille
circonstance, le moindre mot a sa valeur.
Il y a donc un grand intérêt à connaître
les textes officiels. Et la publication que
nous demandons sera sans inconvénient,
car nous croyons que les résumés qui ont
paru sont assez exacts.
» Si les documents avaient été publiés
plus tôt, cela n'en eût valu que mieux ;
mais peut être est-ce par déférence envers
la Chambre que le ministère a voulu atten-
dre la reprise de ses séances pour les lui
soumettre.
» Nous espérons que la communication
ne se fera pas désirer plus longtemps. »
+-
En République
Nous sommes si contents d'avoir vu
adopter par l'Assemblée nationale une
constitution prudemment républicaine,
nous regrettons si peu la part que
nos amis ont prise à la formation
du nouveau cabinet, nous attendons
avec une si ferme confiance les garan-
ties que l'honorable M. Buffet, vice-
président du conseil, nous donnera tôt
ou tard, que nous nous sommes peut-
être un peu hâtés d'applaudir une cir-
culaire dont l'Indépendance belge a
publié l'échantillon.
M. Havas, qui n'est ni Belge ni indé-
pendant, a fauché d'un seul trait de
plume toutes les fleurs de notre jardin.
Lisez plutôt l
La presse s'occupe d'une prétendue circu-
laire de M. Buffet aux préfets. Quelques
journaux vont jusqu'à citer des passages de
cette circulaire. 1
M. Buffet n'a adressé aux préfets aucune
circulaire ayant un caractère de politique
générale. L'on peut donc considérer comme
apocryphes les passages cités de cette circu-
laire.
M. le vice-président du conseil s'est entre-
tenu, dans ces derniers temps, avec les pré-
fets qu'il avait mandés à Paris. Il a eu
mainte occasion de leur donner verbalement
des instructions sur la politique du cabinet
et sur la signification qu'il convient d'attri-
buer au vote des lois constitutionnelles.
Voilà une nouvelle fâcheuse, en ce
qu'elle pourra retarder tant soit peu
les feux de joie dont la modestie de M.
Buffet semble redouter l'éclat. Plusieurs
millions de bons Francais ouvraient
déjà-la bouche pour acclamer le pre-
mier ministre du gouvernement défini.
Allons ! puisqu'il le faut, on ajournera
les réjouissances. Ce qui est différé
n'est pas perdu. Nous avons affaire à
un politicien de profession, à un hom-
me prudentissime, qui ne se compromet-
tra pas même avec la fortune, et qui,
s'il lui fallait absolument monter au
Capitole, s'arrangerait de façon à
triompher sur les sept heures de rele-
vée, entre chien et loup. Le moment ac-,
tuel ne lui semble pas bien choisi; M.
Buffet, sans repousser absolument cette
popularité que la France républicaine
lui garde, aime mieux la reporter fin
courant ou fin prochain. A son aise !
L'opinion publique est assez patiente
pour attendre et assez forte pour sa-
voir qu'elle aura le dernier mot.
Il serait donc superflu d'épiloguer
avec quelques-uns de nos confrères sur
les ambiguïtés des oracles de M. Ha-
vas. Les uns diront que, sans écrire,
un ministre peut faire adresser une cir-
culaire aux préfets par son sous-secré-
taire d'Etat. D'autres insinueront que
les mots : ayant un caractère de poli-
tique générale, sont vagues ; d'autres
enfin, que l'on peut considérer comme
a'pocryphes n'est pas un démenti assez
formel. Tout cela nous soucie fort peu,
et nous avons l'impertineuce de nous
déclarer satisfaits si M. le ministre de
l'intérieur a mandé les préfets à Paris,
s'il leur a expliqué verbalement la poli-
tique du cabinet, et s'il a commenté
pour leur instruction le texte de la
constitution républicaine. Il nous pa-
raît moralement impossible qu'un par-
lementaire consommé comme M. Buffet
n'ait pas transmis à ses agents le véri-
table esprit de la majorité du 25 fé-
vrier.
Notre unique souci, avouons-le en
toute franchise, est de penser qu'un cer-
tain nombre de préfets, par pauvreté
d'esprit, ou par une déformation du
sens politique, ont pu prendre au re-
bours les instructions ministérielles.
Evidemment, M. Buffet n'a pas manqué
de dire à ces estimables débris du 24
mai 1873 : Il y a du nouveau : l'Assem-
blée a voté la République ; toutes les
ambitions des prétendants sont ren-
voyées aux calendes grecques ; le de-
voir vous commande désormais de pro-
téger les conservateurs de l'ordre éta-
bli, c'est-à-dire les républicains, contre
la fraude ou la violence des monarchis-
tes. Mais les préfets ont-ils compris l
Ont-ils voulu comprendre ? L'homme se
refait-il en un jour ? Peut-il rompre à
brûle-pourpoint avec les préjugés, les
habitudes, les passions qui le possè-
dent et l'entraînent depuis une couple
d'années ? Yoilà le hic.
Et tenez ! on m'écrit d'un départe-
ment que je n'indiquerai pas ici, mais
dont je tiens le nom à la disposition de
l'honorable M. Buffet :
« Notre sous-préfet a reçu de la pré-
fecture une demande de renseigne-
ments politiques sur les conseillers
d'arrondissement, en vue des élections
sénatoriales. Il établit sa liste en cons-
cience, et aecompagne chaque nom
d'une qualification vraie : légitimiste,
orléaniste, bonapartiste, républicain
modéré, républicain avancé. Le préfet
lui renvoie cet honnête travail en l'in-
vitant à désigner sous le nom de con-
servateurs les orléanistes, les légiti-
mistes et les bonapartistes. Quant aux
autres, ordre de les diviser en centre
gauche et radicaux. » -
Ainsi donc, un mois et demi après
le vote d'une constitution républicaine,
l'administrateur d'un département fran-
çais qualifie de conservateurs tous les
ennemis déclarés de la République !
Il va plus loin, il supprime le nom de
républicains, et contraint un malheu-
reux sous-préfet à barbouiller de rouge
toute la gauche républicaine, c'est-à-
dire peut-être une moitié de l'arrondis-
sement.
Il faut que la conscience de M. le mi-
nistre de l'intérieur soit éclairée sur
ces fantaisies administrativeu. L'émi-
nent et sage politicien qui a l'honneur
d'inaugurer la nouvelle constitution ne
doit pas ignorer plus longtemps que
ses subordonnés réservent le nom de
conservateurs à ceux qui rêvent de cul-
buter l'ordre établi et effacent du dic-
tionnaire officiel le titre de républicain,
lorsque depuis tantôt deux mois nous
sommes légalement en République.
ABOUT.
— -■ +»
M. le ministre de l'intérieur vient de
signifier sa révocation à M. Désquenne,
maire de la commune de Villers-Vermont
(Oise). Cet acte d'administration, peu inté-
ressant en lui-même, n'est pas sans im-
portance quand on le rapproche des faits
qui se sont produits dans l'Oise, il y a peu
de temps encore.
On se souvient que le parti bonapartiste,
lors de l'élection de M. le duc de Mouchy,
prit le département de l'Oise pour théâtre
de ses exploits les plus audacieux. M. Che-
vreau, ex-préfet de l'Oise sous l'empire,
revint planter sa tente dans son départe-
ment et passa la jambe à M. Chopin, le
préfet actuel, avec une désinvolture assez
grande pour faire croire aux populations que
Chantilly n'était qu'un fief de Mouchy. Le
vrai préfet, — nous voulons dire M. Che-
vreau, — ne se fit pas faute d'offrir aux
maires de sa connaissance les fonctions de
courtiers électoraux. L'un d'eux accepta
avec transport la proposition, s'engageant
« à garder à vue », pendant la période
électorale, les affiches de M. le duc de Mou-
chy, et à distribuer lui-même tout docu-
ment bonapartiste à ceux de ses adminis-
trés sur lesquels il serait sûr de son in-
fluence. Ce maire était M. Desquenne.
Gardien d'affiches nuit et jour, distribu-
teur de documents électoraux entre temps,
maire à ses moments perdus ! Un magistrat
municipal qui se fait une si large idée de
ses devoirs doit finir par succomber. M.
Buffet n'a pas fait seulement un acte de
justice ; il a fait aussi un acte d'humanité.
— ♦
M. de Meaux est une victime, M. de
Meaux est un martyr! Cet affreux parti
radical ne pouvait laisser échapper une
si belle occasion de se venger du ministre
sur le conseiller général ! Et les organes
monarchistes lèvent au ciel des plumes
désolées, attestant que l'invalidation de
cette élection est une œuvre de parti pris
et -d'hostilité ystématique. Et les journaux
bonapartistes répètent, avec une componc-
tion des plus comiques : C'est épouvanta-
ble, épouvantable, nous en convenons;
nous qui souffrons de l'ajournement de l'é-
lection Bourgoing que les orléanistes con-
tribuent à retarder, nous trouvons, plus
que tous autres, que c'est épouvantable,
épouvantable. Oh ! ce parti républicain !
Il a bon dos, le parti républicain.
Malheureusement, ce qui n'est que co-
mique poi# îes initiés peut passer pour sé-
rieux aux yeux du public. Nous-mêmes,
grâce à l'aplomb de nos adversaires, nous
sommes demeurés cofifofidtis pendant vingt-
quatre heures. Nous savions que le conseil
général de la Loire avait pour président
M. ÈouChetâl-Laroche, et pour vice-
président M. de Sugny, l'un et l'autre
monarchistes, et nous nous demandions
comment un conseil général, radical
au point d'invalider « de pârti pris »
l'élection de M. de Meaux, avait été
assez peu républicain pour planter à sa
tête deux monarchistes de la plus belle
eau. Problème insondable pour noliSj car la
douleur faisait oublier à nos adversaires
d'en donner la solution.
La solution nous arrive de la Loire ; le
conseil général est composé de quatorze
- républicains et de seize « conservateurs. »
Ah ! ah !
L'invalidation a été votée par quinze
voix contre treize. AhJ. ah! ah 1
Or, lorsqu'on songe que M. de Meaux
est membre du cabinet, lorsqu'on réflé-
chit à l'influence, légitime d'ailleurs, que
la situation de ministre donne à un con-
seiller général sur ses collègues, on se de-
mande de quel côté devait être le parti
pris, — si le parti pris peut exister en pa-
reille matière ! — pour qu'un « conserva-
teur, » tout au moins, n'ait pas cru pou-
voir sanctionner l'élection de M. le mi-
nistre, -
Que les organes monarchistes pleurent,
nous le comprenons. Mais pourquoi nous
éclabousser de leurs larmes ?
P. L.
* —
Le conseil des ministres se réunit au-
jourd'hui pour résoudre la question des
élections partielles. Nous souhaitons qu'il
se décide à convoquer tous les collèges où
des vacances se sont produites. Si, autre-
fois, avant le vote des lois constitutionel-
les, nous demandions avec instance au
gouvernement de compléter la représenta-
tion nationale, c'est parce que, — et l'évé-
nement nous a donné raison, — les desti-
tinées de la France pouvaient dépendre
d'une voix. Il eut été terrible pour le pays
d'être privé de cette organisation après
laquelle il soupirait, par ce seul motif que
le gouvernement aurait retardé la convoca-
tion d'un collège électoral.
Aujourd'hui, il reste encore à faire les
lois organiques, mais la majorité constitu-
tionnelle est assez forte pour que nous
n'ayons pas besoin des quelques voix que
nous donneraient les élections complémen-
taires. Nous aurions donc souhaité que
l'Assemblée se séparât après avoir donné
un gouvernement à la France, et que l'on
pût supprimer les élections partielles. Tel
n'est pas l'état des choses. La constitution
est promulguée, et, avant qu'elle ne soit
mise en pratique, le cabinet est forcé, par
la loi, d'appeler trois départements à nom-
mer des représentants. C'est pour cela qu'il
ne peut hésiter. Il ne doit pas permettre
que l'on donne à ces élections un caractère
plébiscitaire, et que tel ou tel parti puisse
profiter du hasard et triompher d'un succès
qu'il aurait remporté dans un milieu favo-
rable. Il faut donc convoquer tous les col-
lèges.
En s'adressant à diverses parties de la
France, on pourra connaître à peu près
l'opinion du pays, et du moins la partie
se jouera loyalement.
On avait assuré que les députés républi-
cains de la commission de permanence in-
terrogeraient le gouvernement sur ses
intentions. Si le conseil des ministres sta-
tue aujourd'hui, cette demande n'aura plus
d'objet; mais il en est une autre qu'il ne
faut pas perdre de vue. Dans plusieurs des
départements où des élections doivent
avoir lieu, les journaux républicains sont
suspendus ou supprimés. On faisait derniè-
rement,dans la presse la plus réactionnaire,
appel aux « conservateurs » pour lutter
contre les bonapartistes. Or, partout, les
gens de l'empire ont des organes. Nous ne
nous en plaignons pas, loin de là. Nous
demandons la liberté pour tous, mais
nous réclamons avec instance , ce n'est
pas là une bien grande faveur, qu'on
tienne la balance égale entre eux et
nous. Il est inadmissible qu'ils aient le
moyen de calomnier nos candidats et que
ceux - ci ne puissent pas se défendre.
Nous savons que le cabinet observera la
neutralité la plus absolue et qu'il n'inter-
viendrait que dans le cas où on violerait la
constitution. C'est au nom de cette neu-
tralité qu'il faut lui demander le droit,
pour tous les partis, de lutter à armes
égales. Que M. Buffet, s'il ne veut pas opé-
rer une révision totale, opère au moins
cette révision partielle. Ce sera le meilleur
moyen, pour lui, de rassurer ceux qui ne
demandent qu'à lui prêter leur concours ;
ce sera avant tout un acte de justice.
Quelle raisons pourrait-on alléguer
pour maintenir des peines édictées par les
cabinets précédents ? Autrefois, les répu-
blicains faisaient la guerre ; ils réclamaient
le vote des lois constitutionnelles, ils sa-
vaient qu'ils avaient devant eux des minis-
tres hostiles à la République, et chaque
fois qu'une élection avait lieu, ils appuyaient
des candidats favorables à cette forme de
gouvernement. Ils le faisaient d'une façon
plus ou moins vive, mais ils allaient tou-
jours à l'encontre des sentiments de ceux
qui, à cette époque, dirigeaient les affaires
du pays. La situation aujourd'hui est
changée du tout au tout. Lès républicains
sont les plus fermes défenseurs de la consti-
tution. Ils peuvent encore, cela est leur
droit, critiquer certains actes du ministère;
mais ils n'ont plus devant eux un cabinet
hostile à la République, puisqu'il est chargé
de mettre en œuvre la constitution répu-
blicaine.
C'est bien le moins que dans les dépar-
tements où le scrutin va s'ouvrir, on nous
donne le droit de défendre notre œuvre et
de soutenir ceux qui prêteront leur appui
aux lois organiques. Ce serait un curieux
spectacle que de voir les ennemis déclarés
du gouvernement agir en pleine liberté, et
ceux-là qui ne demandent qu'à consolider
l'état de choses établi traités en suspects.
Les bonapartistes n'auraient-ils pas le
droit d'abuser de cette situation ? Ils n'hé-
siteraient pas à le faire. Ils continueraient
leur propagande et M manqueraient pas
d'exploiter à leur profit l'attitude de l'ad-
ministration. Ils tenteraient de faire
croire qu'on les protège, en s'appuyant sur
ce fait qu'on enlève la parole à leurs ad-
versaires. Ils montreraient les républi-
cains traités en parias sous la République.
Ce n'est pas là ce que veut M. Buffet
nous en sommes sûrs. Pour la première
fois, depuis qu'il est au ministère, des élec-
tions vont avoir lieu. Il tiendra à honneur
qu'elles se fassent avec sincérité. Nous ap-
pelons sur ce point l'attention de nos amis
de la commission de permanence, et nous
ne doutons pas qu'ils n'obtiennent une ré-
ponse favorable.
RAYMOND.
-
LES PRUDERIES OFFICIELLES
Peut-être se souvient-on que j'ai conté
ici même les tribulations d'un honorable
éditeur, M. Barraud, sollicitant du mi-
nistère de l'intérieur l'autorisation de
publier une édition illustrée des Contes
de Lafontaine.
1 Cette édition n'était autre qu'une re-
production exacte de celle qui est cé-
lèbre, dans l'histoire de l'art, sous le
nom d'édition des fermiers-généraux.
M. Barraud avait eu l'heureuse chance
de retrouver les cuivres originaux
d'Eisen , un peu usés , sans doute, et
effacés. Mais il avait confié à un artiste
habile le soin de revivifier les parties
rongées par le temps, et de remettre le
tout à neuf, en respectant, jusqu'en ses
moindres détails, l'œuvre du maître.
Ce travail, qui n'avait pas duré moins
de deux ans, avait été mené à bonne
fin avec une conscience et une habileté
rares. -
Ce n'était donc pas une contrefaçon
bu un fac-simile de l'édition des fer-
miers-généraux que M. Barraud s'était
proposé d'offrir au public ; il y en avait
déjà eu beaucoup d'autres, plus ou
moins heureusement exécutées, soit en
Belgique, soit en France; non, c'était
le livre même qu'on prétendait nous
rendre, tel qu'il était sorti des mains
d'Eisen, tel que l'avaient admiré tous
les honnêtes gens du dix-huitième siè-
cle, tous les artistes du nôtre. L'édi-
tion originale, dont il ne reste qu'un
petit nombre d'exemplaires, presque
tous serrés sous clef dans des biblio-
thèques publiques ou de riches collec-
tions particulières, atteignait en vente
publique des prix inabordables à qui
n'était point plusieurs fois millionnaire.
Celle que M. Barraud méditait devait
encore coûter fort cher, puisqu'elle se
vend 40 francs le volume, ce qui met
l'ouvrage entier à quatre louis ; et il n'y
a pas déjà tant d'amateurs à Paris en
humeur de dépenser 80 francs pour un
livre qui ne saurait être offert en ca-
deau à une femme.
Aussi M. Barraud n'avait-il tiré les
Contes de Lafontaine qu'à sept cents
exemplaires, et s'était-il assuré par
avance de cinq ou six cents souscrip-
teurs, afin d'être certain de rentrer
dans ses frais.
Le premier volume, qui parut en 1874,
n'avait soulevé aucune objection à la
censure; il était allé, sans opposition,
trouver ses souscripteurs, il avait été
mis en vente, et personne ne s'en était
scandalisé.
Le second volume trouva de moins
grandes facilités. J'ai fait, à l'époque,
le récit des démarches auxquelles dut
se livrer M. Barraud pour emporter une
autorisation qu'on lui refusait. Il ne
l'obtint que grâce à l'intervention de
deux ou trois bibliophiles trop spiri-
tuels pour ne pas être dépourvus de
sots préjugés, et qui se trouvaient être
des personnages influents.
L'autorisation fut enfin accordée, et
j'en fus bien content pour ma part. J'é-
tais d'abord enchanté de voir que l'ad-
ministration n'avait pas en France
des idées aussi étroites que je l'aurais
pu craindre ; et puis j'entrais en pos-
session de mon second volume. Il est
resté bien des jours sur ma table, et
tous les amis qui me sont venus voir
ont pris plaisir à le feuilleter, à lire
par ci, par-là, quelques pages du texte,
en regardant- les jolis dessins dont il
est illustré.
Je ne m'imaginais pas que mes amis
et moi nous faisions là une lecture
malsaine, à laquelle s'ajoutait l'at-
trait de gravures licencieuses.
Je le sais à présent ; les journaux
judiciaires me l'ont appris, en, nous
donnant le compte-rendu de la condam-
nation que vient de subir M. Barraud.
M. Barraud se croyait fort en règle
avec la loi de son pays, ayant en poche
l'autorisation du ministre. Mais il pa-
raît que l'autorisation administrative
laisse subsister entière l'action du mi-
nistère public, qui se réserve toujours
le droit de poursuivre l'ouvrage auto-
risé. Nous nous demandons alors à
quoi elle sert et pourquoi on l'exige !
Mais ce ne sont pas nos affaires.
Le parquet poursuivit donc M. Bar-
raud.
La défense de l'éditeur était vrai-
ment trop facile. Il répondit que son édi-
tion, reproduisant celle des Fermiers-
générauœf avait un caractère histo-
rique aussi bien qu'un intérêt d'art;
que son prix élevé l'empêchait de tom-
ber dans le commerce courant ; que les
gravures, ne pouvant être vendues
qu'intercalées dans le texte, ne pou-
vaient blesser la décence publique;
que les 700 exemplaires tirés ne s'a-
dressaient qu'à de riches amateurs;
qui les garderaient dans leur biblio-
thèque et ne les communiqueraient
qu'aux personnes capables de les
goûter.
C'étaient pourtant là d'exoollentes
excuses.
Rien n'y fit. M. Barraud vient d'êtrè
condamné pour outrage à la morale
publique. L'amende est légère sans
doute ; mais le jugement porte que les
exemplaires non saisis seront vendus,
et que. les planches d'Eisen seront
brisée~
-. Cet arrêt est déjà sans doute frappé
d'appel, et nous osons croire qu'il sera
réformé par des juges moins timorés et
plus amoureux d'art.
Que diraient les magistrats d'autre-
fois, un de Brosses, par exemple, le
spirituel président dijonnais, s'il pou-
vait revenir au monde et lire ce juge-
ment d'un de sa successeur o'Î'Les Contes
de Lafontaine, cette fleur do gaîté
gauloise et de vive poésie, une lecture
màîsâme!
Eh ! mon Dieu 1 je le sais bien ; ce
n'est pas un livre à mettre aux mains
des demoiselles, et j'aime autant que
nos jeunes collégiens attendent, pour le
lire, qu'ils soient sortis du collège.
Mais une fois émancipés, c'est avec le
Gargantua de Rabelais, les épîtres dé
Marot, les poésies légères de Voltaire,
et les chansons de Béranger, l'un des
premiers ouvrages où je voudrais les
voir appliquer leur esprit.
Cette veine de contes badins et de
plaisanteries joyeuses est une veine
essentiellement française; elle n'est pas
bien profonde, je l'avoue, et ne mène-
rait pas fort loin. Il serait fâcheux que
notre esprit s'y fût attaché trop exclu-
sivement ; qu'il n'eût pas poussé dans
d'autres sens,visé des idées plus hautes.
Mais les chefs-d'œuvre qu'elle a pro-
duits ont un si joli goût de terroir î
Songez que durant deux siècles les
hommes les plus délicats et les plus
honnêtes femmes les ont goûtés, sans
s'inquiéter plus-que de raison de cer-
taines gaillardises un peu vives, qui
étaient dans les habitudes du temps,
et n'effarouchaient personne au sei-
zième siècle, et même dans les pre-
mières années du dix-septième.
Ces détails risqués, ces mots parfois
crus et de saveur gauloise ont pour eux
l'autorité de la tradition, qui a tant
d'empire sur les gens instruits. Quand
un homme connaît notre vieille littéra-
ture et l'aime, comme la connaissaient
et l'aimaient nos vieux magistrats, mê-
me ceux de la Restauration et de la
monarchie de Juillet, il est familiarisé
avec ces verdeurs de langage, et il n'y
trouve rien de malsain.
Ce qui est malsain dans un livre, ce
n'est pas un mot plus ou moins vif tiré
de notre vieille langue, ce n'est -pas
même la nudité de l'image, quand cette
nudité est sauvée par un caractère de
gaieté spirituelle et narrO; non, si la
grivoiserie peut parfois être offensante
pour des pudeurs trop délicates, on ne
saurait dire qu'elle est malsaine.
Il n'y a de malsain que ce qui ébranla
l'imagination et la porte aux rêveries
sensuelles, aux mystiques ardeurs, aux
passions débridées. Tel livre où l'on ne
saurait reprendre un mot qui ne fût
pas chaste exerce sur le lecteur une
influence bien plus pernicieuse que tes
gaillardises de nos vieux conteurs. • ,
Entre les Proverbes de M. Octave
Feuillet, pour prendre un exemple, et
les Contes de Lafontaine, je n'hésite
pas ; ce sont les Proverbes que je pros-
crirais, sous prétexte de, morale, si
j'avais le goût de la. proscription. --
Les Contes du fabuliste amusent et
égaient; les Proverbes de Feuillet font
rêver; il n'y a rien de plus dangereux
que la rêverie.
Où allons-nôus, si l'on retranché de
la circulation les - Cbntes de Lafontaine
comme malsains, et les gravures d'Ei-
sen comme licencieuses !
On veut donc faire de la France un
vaste couvent, sans la foi ?
FRANCISQUE SARCBY.
—~——
INFORMATIONS ,
Un journal bonapartiste de la nuit an-*
nonce qu'il a été question, parmi les mi-
nistres, de convoquer au ministère de l'in-
térieur tous les rédacteurs en chef des
journaux de Paris, pour - leur recomman-
der la plus extrême réserve dans toutes les
questions politiques qui touchent de près
ou de loin à l'incident germano-belge. Une
décision à ce sujet ne pourrait être prise
qu'aujourd'hui parce qu'on voulait avoir
l'assentiment de tous les ministres. J
Cette recommandation nous semble bien
inutile, et c'est faire injure à la presse que
de croire qu'elle peut se départir un ins:
tant de la sage réserve que lui impose son -
patriotisme.
M. le duc DeeuéS, ministre des affaires
étrangères, part aujourd'hui pour aller
présider le conseil général de la Gironde.
Son absence durera une quinzaine de
jours.
M. Léon Say a qaitté Paris hier, sur les
conseils de son médecin.
Le ministre des finances se rend à Pau,
où il séjournera une huitaine de jours.
M. Charles de Rémusat, vient de partir
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