Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-12-23
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 23 décembre 1873 23 décembre 1873
Description : 1873/12/23 (A3,N768). 1873/12/23 (A3,N768).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75581262
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/03/2013
8*.Année — N° 768.
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Mardi 23 Décembre i < /3
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JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 22 décembre 1873.
Samedi, la discussion du budget des
finances a offert un exemple assez singu-
lier de ce que peut l'obstination des bu-
reaux, qui prévaut souvent contreles déci-
lions des Assemblées, même souveraines.
Une réduction, de 20,000 francs avait été
votée l'année dernière sur le personnel de
l'administration centrale des finances. Les
bureaux ne s'en sont point émus, et la ré-
forme adoptée par la Chambre est encore à
faire. La somme est petite, sans doute ;
mais il nous paraît que l'abus est grand.
Les observations de M. Francisque Rive,
sur ce chapitre du budget, sont excellentes
de tout point. L'Assemblée lui a, du reste,
donné raison, et tort au sous-secrétaire d'E-
tat des finauces, M. Lefébure, dont les
débuts, comme orateur autant que comme
financier, n'ont rien eu de brillant, au con-
traire. Malheureux avec M. Rive, il a été
plus malheureux encore avec M. Tirard,
dont l'amendement sur les frais de maté-
riel de l'adminittration centrale a été pris
-en considération par l'Assemblée. Nous ne
savons pas précisément ce que valait ici la
cause de M. Lefébure ; mais qu'elle a dune
été médiocrement. défendue ! On aurait
juré que le principal souci de l'honorable
sous-secrétaire d'Etat était de clairement
établir son incompétence. Pourquoi donc
accepter des fonctions auxquelles il paraît
si étranger et si improprd ?
Les vacances parlementaires de fin d'an-
née ont déjà commencé à Berlin et à
Rome. La Chambre italienne s'est ajour-
née au 20 janvier après avoir voté le bud-
get des travaux publics. La Chambre des
députés de Berlin s'est ajournée au 12; elle
a adopté en seconde délibération, — on
voit que le prince de Bismarck hâte ce
débat important, — la loi qui rend le ma-
riage civil obligatoire. Les amendements
1 qu'elle y a introduits ne portent que sur
des détails d'ordre secondaire.
E. L.
— ---
M. de la Rochette, un des plus bril-
lants chevau-légers de Versailles, vient
d'adresser au journal Y Oindre et la Liberté,
de Caen, une lettre-manifeste dont nous
voulons mettre quelques passages sous
les yeux de nos lecteurs. On verra qu'en
définitive, bien qu'avec des visées diffé-
rentes, les « hommes d'ordre » envisa-
gent la situation politique issue du ^no-
vembre exactement de la même façon
que les « perturbateurs », dont nous
sommes en notre qualité de républi-
cains.
On nous permettra de passer rapide-
ment sur tout ee qui touche aux ren-
garnes gratuites et obligatoires sur « les
as-fonds de la société » et les profon-
deurs du suffrage universel, où existe
« toute une masse de citoyens sans foi
religieuse, sans morale, n'ayant que des
envies, des haines, des préjugés, et ne
Têvant que les jouissances et les satisfac-
tions matérielles. » Ces façons de parler
du pays ne tirent plus à conséquence. Il
est convenu qu'un mot de travers pro-
noncé sur les élus du peuple est un
crime de lèse-majesté, mais qu'on peut
vilipender à son aise les électeurs.
Après avoir fait bonne mesure à ces
- gueux de républicains, M. de la Ro-
ehette se retourne contre les orléanistes,
et c'est à leur tour d'en entendre de
cruelles. « Ils n'ont pas voulu placer la
France sous le sceptre paternel et répa-
rateur d'un bon roi, et ils en sont ré-
duits à lui donner le régime du sabre et
la dictature d'un soldat. »
Ce n'est point nous qui le lui faisons
dire. Régime du sabre et dictature d'un
soldat ! Voilà de ces choses que nous
écrivions avant le 19 novembre, mais
que, depuis, nous nous contentons de
penser. Heureux M. de la Rochette! Lui,
du moins, quelque chose le console de
la prorogation des pouvoirs du maré-
chal, c'est qu'il n'y croit pas, et malgré
les affirmations contraires de M. le duc de
Broglie, il ne se gêne point pour le dire :
« Nous l'avons fait avec douleur, mais
avec une entière confiance dans la
loyauté et dans l'honneur du maréchal,
et avec la conviction profonde qu'il ne fera
jamais obstacle aux désirs du pays, quand
ces désirs seront légalement exprimés.. »
Par le temps qui court, chacun a sa
façon de comprendre l'honneur et la
loyauté. Les uns s'imaginent que cela
consiste à ne point violer la loi, dans
quelque intérêt que ce soit; d'autres pen-
sent le eontraire. C'est, paraît-il, matière
à controverse sous les gouvernements
d'ordre moral.
Mais revenons à nos orléanistes : « Il
ne faut pas se le dissimuler, dit M. de la
Roehette, la France est placée mainte-
nant sous le régime du centre droit, c'est
son influence qui domine, c'est lui qui
gouverno. » Bravo ! cela fait plaisir d'ap-
prendre que les légitimistes voient clair
enfin et ne sont point dupes sans le sa-
voir. Que de fois n'avons-nous point ré-
pété ce que confesse aujourd'hui àl. de la
Rochette! Mais on faisait la sourde oreille;
on se refusait à croire à tant de dupli-
cité. Le mal est fait maintenant; tâche
de t'en tirer et fais tous tes efforts, can-
dide extrême droite.
Terminons enfin par une citation où se
trouvent résumées très-clairement les
différentes hypothèses auxquelles peut
donner lieu la situation actuelle :
Veut-il (le centre droit) arriver à jouer le
même airqueM. Thiers, espérant le jouer mieux
et organiser la République sans prendre la
peine de la proclamer?
Veut-il la proclamer avec le concours des
centres, en laissant de côté la droite et la gau-
che ?
Veut-il organiser un système monarchique
sans le roi? Nous n'en savons rien encore!
mais dans un avenir plus éloigné, il faudra bien
qu'il dessine sa politique.
Ce que nous voyons, en attendant, c'est sa
volonté de prendre le régime et les lois de l'Em-
pire sans l'empereur.
Ce que je crois pouvoir vous affirmer, c'est
que la République ne sera pas organisée sans
que sa proclamation préalable ait été soumise
à l'Assemblée. Un grand pays coaxme la
France ne peut pas permettra qu'on escamote
ainsi ses destinées.
Ce que je puis affirmer, c'est qu'avant la dis-
cussion des fois constitutionnelles, l'Assemblée
sera mise en demeure de choisir entre la Répu-
blique et la monarchie.
Je ne crois pas manquer au respect envers
mes collègues en disant que, si l'Assemblée,
qui a si souvent affirmé son pouvoir constitu-
tionnel, en arrivait, à manifester son impuis-
sance, à ne pouvoir faire ni la République ni la
monarchie, et à ne laisser à ses successeurs
qu'un alibi provisoire de sept ans, exposé à tou-
tes les vicissitudes qui s'attachent à la vie d'un
homme qui compte détà soixante-cinq années,
je ne crains pas de l'affirmer, si l'Assemblée ar-
rivait à cette impuisance, elle tomberait dans le
ridule et serait la risée du monde.
Conclusion irréprochable et que nos
leck urs connaissent de longue date pour
nous l'avoir entendu bien des' fois re-
commander. Notre reconnaissance n'en
est. pas moins acquise à M. de la Roehette
pour nous avoir fourni l'occasion de
prouver, qu'il est des vérités à tel point
indiscutables que les légitimistes se
voient émanés à les confesser, même
après les républicains. -
E. SCHNERB.
* *
RÉUNION DE LA GAUCHE RÉPUBLICAINE
La gauche républicaine a tenu hier une
séance à Paris, sous la présidence de M.
Jules Simon.
Après une discussion sur la loi des
maires et sur les amendements présentés
par divers membres de la gauche et des
autres groupes républicains, un débat ap-
profondi s'est engagé sur le projet de loi
dû à l'initiative de M. Philippoteaux; à la
suite de ce débat, la réunion s'est pronon-
cée unanimement contre une mesure d'ex-
ception qui viendrait pendant la durée
d'une législature créer des cas d'incapacité
électorale et frapper d'exclusion une caté-
gorie d'éligibles.
Avant de lever la séance, le président a
adressé,au nom des membres de la gauche
républicaine, qui a chaudement applaudi
ses paroles, des remercîments à M. Tirard
pour l'énergie avec laquelle il a repoussé
les attaques et les insinuations portées à la
tribune contre la ville de Paris dans la
séance de vendredi.
——————
M. le garde des sceaux a déposé u n
projet de loi sur la librairie, dont nou s
avons donné le texte dans notre numéro
du 21 décembre. Il ne paraît pas néces-
saire d'y insister aujourd'hui longue-
ment ; mais nous aurons l'occasion d'y
revenir, car la commission qui l'exami-
nera n'est pas encore nommée.
Bornons-nous donc, cette fois, à y
signaler les deux tendances générales
que l'on retrouve presque toujours dans
les projets de loi de ce ministère. Le gou-
vernement actuel est d'abord hanté du
désir de faire passer le plus qu'il peut
anx mains de l'exécutif les attributions
judiciaires ;- et la seconde idée fixe qui
le tourmente, c'est de s'armer de toutes
pièces en vue d'une bataille électorale
qu'il croit prochaine et qu'il redoute.
Faire les élections, les faire autoritai-
rement avec des pouvoirs discrétionnai-
res, c'est la fin dernière de sa politique H
Donc, selon le projet de M. Depeyre,
le décret du 10 septembre 1870 sur la
liberté de la librairie doit être abrogé.
Ce "décret, longtemps -attendu et qui
avait rendu, chez nous, au commerce des
livres le régime de droit commun qui est
celui de tous les pays libres, ce décret
a-t-il donc produit, depuis trois ans, des
effets regrettables, des inconvénients
fâcheux? En aucune façon, et les parti-
sans de la liberté de la librairie ne se-
ront pas embarrassés d'en fournir des
Ereuves. M. Depeyre, — en invoquant,
bien entendu, des nécessités dé « dé-
fense. sociale, » — se garde d'alléguer
aucun fait précis. - Z>
Au régime établi en 1870, quel systè-
me propose-t-il de substituer ?
« Nui ne pourra exercer le commerce
de la librairie s'il n'a été breveté ou au-
torisé, dit-il dans un premier article. »
1 Voici donc deux catégories. Tousses
libraires auront à se pourvoir de brevets
ou d'autorisations. Les libraires brevetés
seront soumis aux règlements antérieurs
à 1870 ; les libraires simplementautorisés,
qui seront, croyons-nous, les plus nom-
breux, devront réduire leur commerce aux
livres d'enseignement classique, aux ou-
vrages estampillés par la commission de
colportage, et enfin aux journaux dont
.la vente est permise sur la voie publi-
ée* ■
Cela fait, comme on voit, un beau dé-
bouché pour nos éditeurs ! Mais nous né-
gligeons aujourd'hui ce côté de la ques-
tion. Ainsi, — dans les petites librai-
ries, — si ce n'est pour les livres sco
laires, le gouvernement mettra l'embargo
sur tout ce que la commission de col-
portage n'a point approuvé. Elle approu-
ve quelquefois de jolies choses, la com-
mission de colportage ! Mais apparem-
ment elle estime, comme M. Numa Ba-
ragnon, que la Déclaration des droits de
l'homme est un opuscule immoral. Pour
le cabinet, c'est l'essentiel.
A nos yeux, cet essentiel constitue-une
véritable usurpation des attributions ju-
diciaires. Un livre est-il contraire aux
lois, aux mœurs, dangereux enfin ? Pour-
suivez-le, faites-le condamner. Sinon, de
quel droit le proserivez-vous et en empê-
chez-vous la vente? Qu'est-ce que cette
assimilation 'du libraire « autorisé, » qui
tient boutique, au distributeur et au col-
porteur ?
Même observation pour les journaux.
Le projet interdit la vente, dans les librai-
ries « autorisées, » des journaux auxquels
les préfets ont retiré le droit de circuler
sur la voie publique. C'est quelque ehose
d'inouï. Et où les vendra-t-on, ces mal-
heureux journaux, si les préfets les chas-
sent des boutiques en même temps que de
la rue? Pure confiscation, et, qui pis est,
arbitraire entre toutes. Encore un grave
empiètement sur les attributions de la
iustice.
Est-ce qu'il n'y a plus de magistrats en
France pour qu'un projet 'de loi défère
soit à la commission de colportage, soit
aux préfets, le droit de régler sans
appel le sort des ouvrages, de décider
irrévocablement que tels écrits pourront
être vendus et que tels autres ne le
seront point ?
Voyons maintenant, en deux mots, la
situation que le projet Depeyre impose
aux libraires.
Ceux de la première catégorie, les li-
braires brevetés, seront soumis au dé-
cret de 1810 et à la loi de 1814, c'est- à-
dire qu'ils redeviendront une classe à
part et tiendront le milieu entre les ci-
toyens et les fonctionnaires. Quant aux li-
braires « autorisés » de l'invention r de
M. le garde des sceaux, leur précaire
existence dépendra d'un signe, d'un geste
des préfets. L'autorisation qui leur est
accordée, dit l'article 4 du projet, est
incessible et demeurera toujours révocable.
Toujours révocable ! Combien d'agents
électoraux M. Depeyre espère-t-il créer
au gouvernement par cette disposition
savante? Pauvres diables, qui vivez dans
votre petite ville ou votre village de votre
chétive industrie. nrenez- v carde ! Si vous
ne votez pas bien et si vous ne faites pas
bien voter autour de vous, l'administra-
tion vous retirera votre autorisation
« toujours révocable'! » Vous servirez
donc, bon gré, mal gré, désormais les
candidatures officieuses ou officielles,
comme les servaient, au bon temps de
l'Empire, les cabaretiers, les débitants
et tous les malheureux condamnés à
choisir entre la complicité et la rtiine.
Sans aucun doute, les journaux offi-
cieux du gouvernement le défendront
d'un si noir dessein, avec leurs protes-
tations accoutumées. Nous entendrons
se récrier leur libéralisme. Mais que
veut donc dire l'article 4 avec son
autorisation toujours révocable, quand
il y a surtout un article 5 qui dit
à combien de jours de prison et à quelles
amendes les libraires contrevenants pour-
raient être condamnés par les tribunaux ?
Pourquoi établir ce pouvoir administra-
tif discrétionnaire à côté ou plutôt au-
dessus du pouvoir du juge ? Est-ce
qu'on en peut fournir quelque autre
explication? On n'essayera même pas d'en
produire ; et l'on ne .cherchera que des
faux-fuyants, comme toujours.
EUG. LIÉBERT.
——————— ———.————
LA CHAMBRE ET LE PAYS
TABLEAU DE L'HISTOIRE DE FRANCE (LJ.
8 février 1871. — 26 novembre 1875.
L'Assemblée et le pays ne sont pas
d'accord. Telle est la cause du marasme
dans lequel la France est plongée. Cette
opposition de l'Assemblée et dujpays,
déjà bien ancienne, va s'aggravant tous
les jours, et des esprits sérieux se de-
mandent si elle n'aura pas pour consé-
quence fatale une guerre civile à bref dé-
lai. Nous ne voyons pas les choses si en
noir.,
Néanmoins nous croyons utile de
montrer aux personnes trop absorbées
par l'événement du jour l'enchaînement
logique des faits qui se sont succédé de-
puis près de trois ans. C'est le seul
moyen d'augurer d'une manière plus ou
moins certaine « notre lendemain », si
obscur et si redouté. Nous n'oublierons
pas qu'une pareille étude ne peut valoir
que par l'impartialité. — Cettq impartia-
lité, on nous la pardonnera, on nous la
permettra sans doute en vue de la
science et du bien public.
I
Le 8 février 1871 — lors des élections
générales — la majorité des Français
voulait deux choses : la paix et la Répu-
blique ; la paix, — hâtons-nous de le
dire en toute sincérité — plus résolù-
ment et plus unanimement que la Répu-
blique.
Voilà pourquoi le nom de M. Thiers
fut salué avec enthousiasme dans vingt-
cinq départements. Il est vrai que M.
Thiers avait, dit-on, prononcé une pa-
role très-catégorique : « Si l'empire tom-
be, je soutiendrai la République aussi
énergiquement que je l'ai combattue
autrefois. » Mais on peut, somme toute,
estimer que c'est à titre « de pacificateur
nécessaire* » qu'il était devenu, — moins
de six mois après la chute de l'empereur
— « l'Elu populaire. » Il fut, en quelque
sorte, imposé par le pays à l'Assemblée,
qui l'accepta de la meilleure grâce du
monde. Malgré le mot singulièrement
compromettant que nous avons rappelé
(1) L'auteur de l'étude qu'on va lire n'appar-
tient pas à la rédaction du journal, et l'on s'a-
percevra d'ailleurs que ce n'est point en
journaliste, mais bien plutôt en historien
qu'il a écrit. Le journal n'a pas, il ne peut
avoir une impartialité si complète ; et ce n'est
point au milieu des luttes que nous soutenons
chaque jour que nous pouvons apprécier les
événements contemporains comme nous jugerions
la guerre de Cent ans, par exemple. Nous n'a-
vons pas pensé que ce fût une raison pour
priver nos lecteurs d'un remarquable et curieux
morceau d'histoire; et peut-être trouveront-ils
qu'une revue si désintéressée des faits n'est dé-
pourvue ni d'attrait ni d'enseignements.
(Note de la rédaction).
plus. haut, il devint chef du pouvoir
exécutif; il eut la permission de s'as-
surer le concours de ministres républi-
cains, tels que MM. Jules Favre, Ernest
Picard et Jules Simon. Bien plus, c'est
un républicain, M. Grévy, qui présida
l'Assemblée et resta pendant plus de
deux ans le second personnage de
l'Etat. -
L'Assemblée même n'était pas répu-
blicaine. On le savait, mais le plus grand
nombre des Français se consolait en
pensant qu'elle était non moins dévouée
que M. Thiers lui-même au grand inté-
rêt du moment, « la paix. »
Quant aux républicains — nous avons
surtout en vue. ceux qui siégeaient à
Bordeaux — ils s'étaient, très-patrioti-
quement, compromis dans une guerre
désespérée, dont ils auraient dû laisser
toute la responsabilité à l'Empire. Après
un échec qui n'avait, après tout, rien
d'imprévu ni de déshonorant, ils de-
vaient au moins se soumettre à la force
des choses. Mais pour plaire à leur parti,
ils refusèrent de voter la paix. Beaucoup
d'entre eux donnèrent leur démission,
laissant le champ libre aux pacifieateurs,
c'est-à-dire aux monarchistes (1).
La République ne fût pas proclamée,
parce que. les républicains, battus par
les Prussiens, ne voulurent point accep-
ter la conséquence nécessaire de leur
défaite. Ils protestèrent avec éclat, mais
il était évident que le coupable, dans
cette circonstance, n'était pas l'Assem-
blée, mais uniquement le destin. Les
bruyantes déclamations de nos Ajax
trouvèrent peu d'écho. Néanmoins
elles entretinrent dans le, peuple des
grandes villes de funestes illusions.
L'Assemblée, qui devait être, un peu par
sa faute, attaquée comme étant l'ennemie
de la République, lé* fut d'abord, à l'ins-
tigation dès radicaux, comme ayant dé-
membré la France.
Au lieu de Ja République on eut le
pacte de Bordeaux, pacificateur lui aussi
à sa manière, mais qui trahissait trop
l'intention formelle de restaurer tôt ou
tard la monarchie. Le pacte de Bordeaux
déplut dans toutes les grandes villes, où
la République seule était reçue. Les mena-
ces à l'adresse de Paris-capitale] étaient
pour elles un commentaire suffisant du
pacte de Bordeaux.
Il est bien manifeste que nous dûmes
la Commune de Paris à l'attitude anti-
pacificatrice de l'extrême gauche et à
1 attitude anti-républicaine de l'extrême
droite.
Les ressentiments patriotiques et po-
litiques, en partie aveugles, en partie
clairvoyants, furent, comme on le sait
exploités par des énergumènes et par
des scélérats qui abusaient étrangement
des mots de revanche et de République.
Plus de cent mille hommes se lais-
sèrent entraîner. Tout en faisant la part
de la légèreté française, qui dégénère fa-
cilement en cruauté, on ne pouvait pas
nier qu'on ne fût en présence d'un phé-
nomène psychologique et d'un cas pa-
thologique sans précédent. M. Thiers
lorsqu il opposait l'armée régulière -. à
l'armée insurrectionnelle, dut penser
que la force brutale ne suffirait pas à
trancher le prqblème qui venait de sur-
gir. Au nom de la République (qui était
l'indispensable calmant), au moyen de
ministres républicains et de promesses
(1) Il n est pas jusqu'à la retraite bien naturelle
presque inévifable, des députés alsaciens )or..
rain$, qui n'ait eu son effet. C'est elle qui a rendu
possible le 24 mai.
FEUILLETON DU XIX. SIÊCLB
CAUSERIE
- DRAMATIQUE
THÉÂTRE DES VARIÉTÉS : Les Merveilleuses, comédie
en 5 actes de Victorien Sardou.
LIVRES : Histoire de notre petite sœur Jeanne d'Arc.
Un volume in-4° illustre de 53 grandes gravures
à l'eau-forte. — La Comédie de notre temps, étu-
des au crayon et à la plume par Bertall ; 1 vol-
grand 'in-8°, enrichi de près de 1,000 gravures
dent plus de 100 imprimées hors texte. — L'E-
corce terrestre, par With, un volume m-8", enri-
chi de 140 gravuies, dont 22 hors texte. — Chez
Henri Pion, 8, rue Garancière.
Vùgage en Espagne, par Théophile Gautier ; un
magnifique volume in-4", illustré de splendid- s
gravures sur acier. — Théâtre complet de Voltaire,
enrichi de 20 portraits en pied coloriés. - Azur
le page et la, fée Candour, joli volume in-41, ori-ié
de gravures sur bois. — Chez Laplace et Sanchez,
3, rue Séguier.
Contss à mes petits enfants, sur l'histoire de France,
par le bibliophile Jacob, avec 11 grandes gra-
• vures d'après Philippoteaux. — Chez Firmin Di-
idot, 56, rue Jacob.
Sardou vient -de nous jouer un bon
tour : faut-il pour cela le traiter de Turc
à Maure? Non vraiment; il n'y a pas de
quoi et, pour ma part, je trouve assez
drôle qu'un lettré et un artiste se passe,
aux frais d'autrui et pour son ébattement
particulier, une fantaisie ruineuse qui, si
elle ne met pas grand chose dans son es-
carcelle — primes à part, — ne coûtera
rien à sa cassette. Son crédit auprès des
directeurs de théâtre en souffrira seul un
peu peut-être, et peut-être deiiadrnt-ils
par là plus circonspects t moins dispaséf
-- -
propre de l'auteur, je le crois assez désinté-
ressé dans l'affaire, Sardou ayant suffi-
samment d'orgueil, je suppose, et je l'en
félicite, pour dédaigner les menues égra-
tignures de la vanité. Il sait bien ce qu'il
vaut, et il a fait ses preuves. La petite
mystification qu'il vient de se payer avec
un si spirituel aplomb aux dépens de tout
le monde ne le diminue en' rien, et per-
sonne ne lui en gardera rancune.
Il sait bien, et nul non plus ne l'ignore,
qu'il pourra la faire oublier, quand il
voudra, à ses bons Parisiens, en leur ser-
vant un de ces jours quelqu'une de ces
jolies comédies, comme il en sait faire
quand il veut s'en donner la peine. Andréa,
l'Oncle Sam et, en dernier lieu, les Mer-
veilleuses, n'effaceront pas les Palles de
mouches, les Ganaches, Nos bons villageois,
Séraphine, et dix autres comédies, qui lui
ont si légitimement valu la place qu'il
occupe en maître dans le théâtre moderne.
IL a dépensé assez d'esprit pour pouvoir
s'en trouver impunément à court, quel-
quefois. Qui douterait des millions de
Rothschild, si on le voyait, monté à l'im-
proviste, un jour, en omnibus, ne pas
trouver dans sa poche les six sous néces- -
saires pour payer sa place ?
D'ailleurs, si l'esprit n'est pas dans les
Merveilleuses, c'est qu'il est tout autour.
Telle on voit, parfois, dans un repas, une
couronne de persil verdoyante et touffue
entourer un médiocre bouilli,
Donc la pièce des Merveilleuses n'est pas
une pièce, c'est une fantaisie d'artiste, une
fantaisie d'amateur çt dé grand seigneur,
exécutée sans souci de toutes ces condii-
tions incommodes, de toutes ces combi-
naisoNs, de tous ces soins où s'empêtrent
ces croquants d'auteurs dramatiques, qui
prennent niaisemebt le public au sérieux
et s'inquiètent de ses appréciations. Fou-
quet n'y regardait pas de si près pour
amuser Lpuis XIV durant quelques heu- j
res, d directeur du châj J
teau de Vaux., — je veux dire du théâtre
dea Variétés, — a eu, pour une centaine de
mille francs, le bonheur d'amuser Sardou
durant de longs jours. Ce n'était vraiment
pas la peine de s'en priver!
Ce doit être en effet une chose délicieuse
de pouvoir ainsi donner un corps à ses
rêves ! On a une époque. de prédilection,
on s'y, complaît: on s'est fait peu à peu
dans sa tête un répertoire abondant de
tout ce qui a été dessiné, professé, raconté,
publié à ce sujet ; on a tout emmagasiné
soigneusement dans sa mémoire ou sur ses
calepins; on a bouquiné, couru le bibelot
hanté les bric-à-brac, portant en tous lieux
avec soi ses songeries, sur les quais, dans
les musées, parmi les foules et dans les
solitudes, sous les ombrages verts.
Un jour on évoque tout ce monde d'un
autre âge que l'on portait en soi, on fait
surgir de son cerveau tous ces types épars
dans les livres, tous ces tableaux que re1-
cèlent les galeries et les cartons des mar-
chands de gravures et des bibliothèques
publiques. Les dessinateurs, les costu-
miers, les décorateurs se mettent à l'am-
vre; les documents abondent, on en a
à remuer à la pelle, tout le monde les con-
naît, on n'a que l'embarras du choix. Tout
cela s'est, dit, s'est vu, s'est fait cent fois
çà et là; on en fait un tout compact, un
amalgame serré, on accumule, on entasse,
et voilà comme il se fait qu'un beau soir
on joue sur le théâtre des Variétés les
Merveilleuses.
Mais que de jouissances savourées !
Comme c'est amusant d'ordonner tout cela,
de défaire et de refaire pour rectifier un
trait, une moulure, un feston, une nuance!
D'être le maître Pierre de toute cette be-
sogne, la cheville ouvrière de tout ce tra-
vail des infiniment petits ; d'avoir deti
ailes, soi, et de commander du haut de son
monticule de brimborions à toutes ces au-
tres fourmis qui n'ont que des pattes et
qui vont, viennent, courent, s'agitent, af-
fairées, effaréeg, pour ramasser des fétus
et pour en faire un tas !
Et puis au bout de a gaudissement de
chaque jour, de cette délectation de chaque
heure, en arriver, en riant dans sa barbe,
à apprendre à Géronte ébaubi. que sa
fille est muette !
Je trouve cela spirituel, comme il n'est
pas possible, et il me semble que tout le
monde devrait le comprendre, et au lieu
d'en faire la moue ou de s'en fâcher, en
rire, comme je le fais ; car je le fais de tout
mon cœur. Je n'admets qu'une exception
pour le directeur des Variétés, auquel je
permets les réflexions amères. Il en a bien
le droit, il a payé pour cela.
0 directeurs, mes amis et anciens con-
frères, permettez moi, sous formedecompa-
raison, de vous offrir un conseil : si j'étais
éditeur de livres de piété et que le Seigneur
descendît sur terre pour m'offrir une ver-
sion des saints Evangiles écrite par lui-mê-
me, je lui demanderais la permission,
avant de la publier, de parcourir l'ouvrage 1
Je n'espère pas toutefois, vous conver-
tir à cette sage défiance, pour toutes sortes
de raisons qu'il est inutile d'énumérer;
mais quand vous vous serez fait mordre
ainsi, n'exigez pas qu'on en pleure.
On conclura peut-être de tout ceci que
je ne crois que faiblement au succès des
Merveilleuses? Il y a du vrai dans cette sup-
position, j'essaierais en vain de le contes-
ter. Malgré le trémoussement considérable
organisé sur la scène et qui est à propre-
ment parler comme le fond même de l'ou-
vrage, il est, — à quoi bon le nier? — du
genre qu'on appelle le pire. Quelques esprits
moroses ont accusé l'Oncle Sam d'être peu
divertissant; mais j'aimerais mieux ap-
prendre l'Oncle Sam par cœur et le réciter
dans une conférence, au milieu de tout ce
qu'une tentative aussi téméraire pqurrait
m'attirer, que de revoir les Merveilleuses.
J'exagère peut-être un peu ; mais, vrai !
ce que j'aimerais réellement beaucoup mieux,?
c'est de relire purement et simplement au
coin de mon feu un livre parfait que les
messieurs de Goncourt ont écrit jadis sur
l'époque du Directoire et qui contient tout
ce que nous avons de connaissances acqui-
ses sur cette époque, après tout, médiocre-
ment intéressante. Faut-il savoir gré à l'au-
teur de ce qu'il n'y a pas dans sa pièce, à
savoir des diatribes politiques et des allu-
sions irritantes ? Mon Dieu! il a fait ce
qu'il a pu et je crois que l'incertitude sur
la façon dont certaines choses auraient pu
être accueillies avait rendu l'administra-
tion circonspecte. L'auteur de Rubaças me
paraît injurier assez convenablement la
Révolution, sans laquelle peut-être il
allumerait les réverbères ou cirerait des
bottes, ne remontant, que je sache, ni aux 1
Rohan, ni même à Pépin-le-Bref.
* Ce héros du travail, cet ouvrier de lui-
a j, - 1 t
même, ce fils de ses œuvres, comme on
dit, n'est donc pas fier de ce titre glorieux
de parvenu, dont il a bien un peu sans
doute les petits côtés, mais qui a de la
grandeur aussi, et qu'il a nobjemejit'.Cog.
quis par son intelligence, son travaî1 son
talent, sa volonté? Ne vaut-^ pas mieux
talent, sa. volonté? e autl pas mieux
avoir loyalement ;i.:jié ce château au'il
-- - - 0
habite que d'y être né par- hasard ? Et si
l'odieuse révolution de 89 n'avait pas eu
lieu, l'auteur des Merveilleuses s'imagine-
t-U qu'il fut jamais devenu le seigneur de
Marly, ni d'aucun lieu quelconque? Com-
me dit le vieux Montaigne ex c'est le four-*
gon qui se moque de la pelle. »
Avant et depuis la représentation des
Merveilleuses, on a répété sur tous les
tons : Ne vous y trompez pas, l'auteur n'a
pas voulu faire une pièce; ce qu'il vous
présente, c'est une étude sur l'époque du
Directoire; c'est le fruit de fies profondes
et savantes recherches mis à la portée du
vulgaire, qui n'aura jamais rien vu de
pareil et qui est appelé à prendre -
naissance sur le vif, dans une forme d?a-
matiçue et palpable, de tous les docu-
ments propres à reconstituer cette époque
grotesque, transition confuse de la déma-
gogie au despotisme, qui commence à
poindre dans la personnalité glorieuse et
envahissante du jeune Bonaparte.
Vous me la baillez belle 1 Vous me di..
tes : il n'y a pas là de pièce ; je le vois par
bleu bien; mais ce que je vais chercher -
au théâtre, c'est une pièce précisément.
Que pensenez-vous d'un restaurateur chez
lequel vous entrez pour dîner et qui vous
servirait sur ses plats des fleurs, des papil-
Ions, des oiseaux empaillés, des poissons
d'avril en carton, des papillottes avec des
devises et une foule de jolis petits riens,
très-agréables en eux-mêmes, mais qui
ne tiendront jamais lieu d'une dinde M-
fée ni d'un savoureux salmis ? Vous im-
1
piorerez avec des larmes des œufs sur le
plat et une salade de pommes de terre.
Qu'on nous traite de profanes et
nous compare, si l'on veut, au cbq'de la
fable; mai. Je moindre grain de mji ellt
fait bisn mieux notre affaire.
Et puis Re neas emballons pas, mes
amisl Qu'est-ce, après tout, que ee erand
étalage de prétendue érudition et de re-
cherches ? Un rat de bibliothèque, conve-
nablement rétribué, vous en lit en une
quinzaine de jours, apport ioutl;
gent, dessin, croq-ui, notes, renseigM.
ments, anecdote» stàattlicsHtl9/Y «es, et tout,es
les pTnuîéérriilliittéàs a mêmes sur lesquilles 0ott n a
insisté plus que de raison.
Que serait-il arrivé si l'auteur ou un
auteur quelconque, eut apporté à un thé-
tre soucieux. de bien faire une œnyre
réelle et sincèrement dramatique sur
laquelle on pût faire fond à bon escient
et dont - l'action eût été nlJ £
directoire ? On se fût aidé pour J dïcar*.
lJuectoire ? On se füt aidé pour Ids décora
en pareil cas, des grav- u pratique
sont à la disposé* f * temps, qui
sont à 1,% disposj.ton de tout le monde,
ÇI44 trad i i * -
ÕQ tradi_t.:Õns encore toutes vivantes, de
"Lo les documents épars. dont vint t. J1111-
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Mardi 23 Décembre i < /3
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 22 décembre 1873.
Samedi, la discussion du budget des
finances a offert un exemple assez singu-
lier de ce que peut l'obstination des bu-
reaux, qui prévaut souvent contreles déci-
lions des Assemblées, même souveraines.
Une réduction, de 20,000 francs avait été
votée l'année dernière sur le personnel de
l'administration centrale des finances. Les
bureaux ne s'en sont point émus, et la ré-
forme adoptée par la Chambre est encore à
faire. La somme est petite, sans doute ;
mais il nous paraît que l'abus est grand.
Les observations de M. Francisque Rive,
sur ce chapitre du budget, sont excellentes
de tout point. L'Assemblée lui a, du reste,
donné raison, et tort au sous-secrétaire d'E-
tat des finauces, M. Lefébure, dont les
débuts, comme orateur autant que comme
financier, n'ont rien eu de brillant, au con-
traire. Malheureux avec M. Rive, il a été
plus malheureux encore avec M. Tirard,
dont l'amendement sur les frais de maté-
riel de l'adminittration centrale a été pris
-en considération par l'Assemblée. Nous ne
savons pas précisément ce que valait ici la
cause de M. Lefébure ; mais qu'elle a dune
été médiocrement. défendue ! On aurait
juré que le principal souci de l'honorable
sous-secrétaire d'Etat était de clairement
établir son incompétence. Pourquoi donc
accepter des fonctions auxquelles il paraît
si étranger et si improprd ?
Les vacances parlementaires de fin d'an-
née ont déjà commencé à Berlin et à
Rome. La Chambre italienne s'est ajour-
née au 20 janvier après avoir voté le bud-
get des travaux publics. La Chambre des
députés de Berlin s'est ajournée au 12; elle
a adopté en seconde délibération, — on
voit que le prince de Bismarck hâte ce
débat important, — la loi qui rend le ma-
riage civil obligatoire. Les amendements
1 qu'elle y a introduits ne portent que sur
des détails d'ordre secondaire.
E. L.
— ---
M. de la Rochette, un des plus bril-
lants chevau-légers de Versailles, vient
d'adresser au journal Y Oindre et la Liberté,
de Caen, une lettre-manifeste dont nous
voulons mettre quelques passages sous
les yeux de nos lecteurs. On verra qu'en
définitive, bien qu'avec des visées diffé-
rentes, les « hommes d'ordre » envisa-
gent la situation politique issue du ^no-
vembre exactement de la même façon
que les « perturbateurs », dont nous
sommes en notre qualité de républi-
cains.
On nous permettra de passer rapide-
ment sur tout ee qui touche aux ren-
garnes gratuites et obligatoires sur « les
as-fonds de la société » et les profon-
deurs du suffrage universel, où existe
« toute une masse de citoyens sans foi
religieuse, sans morale, n'ayant que des
envies, des haines, des préjugés, et ne
Têvant que les jouissances et les satisfac-
tions matérielles. » Ces façons de parler
du pays ne tirent plus à conséquence. Il
est convenu qu'un mot de travers pro-
noncé sur les élus du peuple est un
crime de lèse-majesté, mais qu'on peut
vilipender à son aise les électeurs.
Après avoir fait bonne mesure à ces
- gueux de républicains, M. de la Ro-
ehette se retourne contre les orléanistes,
et c'est à leur tour d'en entendre de
cruelles. « Ils n'ont pas voulu placer la
France sous le sceptre paternel et répa-
rateur d'un bon roi, et ils en sont ré-
duits à lui donner le régime du sabre et
la dictature d'un soldat. »
Ce n'est point nous qui le lui faisons
dire. Régime du sabre et dictature d'un
soldat ! Voilà de ces choses que nous
écrivions avant le 19 novembre, mais
que, depuis, nous nous contentons de
penser. Heureux M. de la Rochette! Lui,
du moins, quelque chose le console de
la prorogation des pouvoirs du maré-
chal, c'est qu'il n'y croit pas, et malgré
les affirmations contraires de M. le duc de
Broglie, il ne se gêne point pour le dire :
« Nous l'avons fait avec douleur, mais
avec une entière confiance dans la
loyauté et dans l'honneur du maréchal,
et avec la conviction profonde qu'il ne fera
jamais obstacle aux désirs du pays, quand
ces désirs seront légalement exprimés.. »
Par le temps qui court, chacun a sa
façon de comprendre l'honneur et la
loyauté. Les uns s'imaginent que cela
consiste à ne point violer la loi, dans
quelque intérêt que ce soit; d'autres pen-
sent le eontraire. C'est, paraît-il, matière
à controverse sous les gouvernements
d'ordre moral.
Mais revenons à nos orléanistes : « Il
ne faut pas se le dissimuler, dit M. de la
Roehette, la France est placée mainte-
nant sous le régime du centre droit, c'est
son influence qui domine, c'est lui qui
gouverno. » Bravo ! cela fait plaisir d'ap-
prendre que les légitimistes voient clair
enfin et ne sont point dupes sans le sa-
voir. Que de fois n'avons-nous point ré-
pété ce que confesse aujourd'hui àl. de la
Rochette! Mais on faisait la sourde oreille;
on se refusait à croire à tant de dupli-
cité. Le mal est fait maintenant; tâche
de t'en tirer et fais tous tes efforts, can-
dide extrême droite.
Terminons enfin par une citation où se
trouvent résumées très-clairement les
différentes hypothèses auxquelles peut
donner lieu la situation actuelle :
Veut-il (le centre droit) arriver à jouer le
même airqueM. Thiers, espérant le jouer mieux
et organiser la République sans prendre la
peine de la proclamer?
Veut-il la proclamer avec le concours des
centres, en laissant de côté la droite et la gau-
che ?
Veut-il organiser un système monarchique
sans le roi? Nous n'en savons rien encore!
mais dans un avenir plus éloigné, il faudra bien
qu'il dessine sa politique.
Ce que nous voyons, en attendant, c'est sa
volonté de prendre le régime et les lois de l'Em-
pire sans l'empereur.
Ce que je crois pouvoir vous affirmer, c'est
que la République ne sera pas organisée sans
que sa proclamation préalable ait été soumise
à l'Assemblée. Un grand pays coaxme la
France ne peut pas permettra qu'on escamote
ainsi ses destinées.
Ce que je puis affirmer, c'est qu'avant la dis-
cussion des fois constitutionnelles, l'Assemblée
sera mise en demeure de choisir entre la Répu-
blique et la monarchie.
Je ne crois pas manquer au respect envers
mes collègues en disant que, si l'Assemblée,
qui a si souvent affirmé son pouvoir constitu-
tionnel, en arrivait, à manifester son impuis-
sance, à ne pouvoir faire ni la République ni la
monarchie, et à ne laisser à ses successeurs
qu'un alibi provisoire de sept ans, exposé à tou-
tes les vicissitudes qui s'attachent à la vie d'un
homme qui compte détà soixante-cinq années,
je ne crains pas de l'affirmer, si l'Assemblée ar-
rivait à cette impuisance, elle tomberait dans le
ridule et serait la risée du monde.
Conclusion irréprochable et que nos
leck urs connaissent de longue date pour
nous l'avoir entendu bien des' fois re-
commander. Notre reconnaissance n'en
est. pas moins acquise à M. de la Roehette
pour nous avoir fourni l'occasion de
prouver, qu'il est des vérités à tel point
indiscutables que les légitimistes se
voient émanés à les confesser, même
après les républicains. -
E. SCHNERB.
* *
RÉUNION DE LA GAUCHE RÉPUBLICAINE
La gauche républicaine a tenu hier une
séance à Paris, sous la présidence de M.
Jules Simon.
Après une discussion sur la loi des
maires et sur les amendements présentés
par divers membres de la gauche et des
autres groupes républicains, un débat ap-
profondi s'est engagé sur le projet de loi
dû à l'initiative de M. Philippoteaux; à la
suite de ce débat, la réunion s'est pronon-
cée unanimement contre une mesure d'ex-
ception qui viendrait pendant la durée
d'une législature créer des cas d'incapacité
électorale et frapper d'exclusion une caté-
gorie d'éligibles.
Avant de lever la séance, le président a
adressé,au nom des membres de la gauche
républicaine, qui a chaudement applaudi
ses paroles, des remercîments à M. Tirard
pour l'énergie avec laquelle il a repoussé
les attaques et les insinuations portées à la
tribune contre la ville de Paris dans la
séance de vendredi.
——————
M. le garde des sceaux a déposé u n
projet de loi sur la librairie, dont nou s
avons donné le texte dans notre numéro
du 21 décembre. Il ne paraît pas néces-
saire d'y insister aujourd'hui longue-
ment ; mais nous aurons l'occasion d'y
revenir, car la commission qui l'exami-
nera n'est pas encore nommée.
Bornons-nous donc, cette fois, à y
signaler les deux tendances générales
que l'on retrouve presque toujours dans
les projets de loi de ce ministère. Le gou-
vernement actuel est d'abord hanté du
désir de faire passer le plus qu'il peut
anx mains de l'exécutif les attributions
judiciaires ;- et la seconde idée fixe qui
le tourmente, c'est de s'armer de toutes
pièces en vue d'une bataille électorale
qu'il croit prochaine et qu'il redoute.
Faire les élections, les faire autoritai-
rement avec des pouvoirs discrétionnai-
res, c'est la fin dernière de sa politique H
Donc, selon le projet de M. Depeyre,
le décret du 10 septembre 1870 sur la
liberté de la librairie doit être abrogé.
Ce "décret, longtemps -attendu et qui
avait rendu, chez nous, au commerce des
livres le régime de droit commun qui est
celui de tous les pays libres, ce décret
a-t-il donc produit, depuis trois ans, des
effets regrettables, des inconvénients
fâcheux? En aucune façon, et les parti-
sans de la liberté de la librairie ne se-
ront pas embarrassés d'en fournir des
Ereuves. M. Depeyre, — en invoquant,
bien entendu, des nécessités dé « dé-
fense. sociale, » — se garde d'alléguer
aucun fait précis. - Z>
Au régime établi en 1870, quel systè-
me propose-t-il de substituer ?
« Nui ne pourra exercer le commerce
de la librairie s'il n'a été breveté ou au-
torisé, dit-il dans un premier article. »
1 Voici donc deux catégories. Tousses
libraires auront à se pourvoir de brevets
ou d'autorisations. Les libraires brevetés
seront soumis aux règlements antérieurs
à 1870 ; les libraires simplementautorisés,
qui seront, croyons-nous, les plus nom-
breux, devront réduire leur commerce aux
livres d'enseignement classique, aux ou-
vrages estampillés par la commission de
colportage, et enfin aux journaux dont
.la vente est permise sur la voie publi-
ée* ■
Cela fait, comme on voit, un beau dé-
bouché pour nos éditeurs ! Mais nous né-
gligeons aujourd'hui ce côté de la ques-
tion. Ainsi, — dans les petites librai-
ries, — si ce n'est pour les livres sco
laires, le gouvernement mettra l'embargo
sur tout ce que la commission de col-
portage n'a point approuvé. Elle approu-
ve quelquefois de jolies choses, la com-
mission de colportage ! Mais apparem-
ment elle estime, comme M. Numa Ba-
ragnon, que la Déclaration des droits de
l'homme est un opuscule immoral. Pour
le cabinet, c'est l'essentiel.
A nos yeux, cet essentiel constitue-une
véritable usurpation des attributions ju-
diciaires. Un livre est-il contraire aux
lois, aux mœurs, dangereux enfin ? Pour-
suivez-le, faites-le condamner. Sinon, de
quel droit le proserivez-vous et en empê-
chez-vous la vente? Qu'est-ce que cette
assimilation 'du libraire « autorisé, » qui
tient boutique, au distributeur et au col-
porteur ?
Même observation pour les journaux.
Le projet interdit la vente, dans les librai-
ries « autorisées, » des journaux auxquels
les préfets ont retiré le droit de circuler
sur la voie publique. C'est quelque ehose
d'inouï. Et où les vendra-t-on, ces mal-
heureux journaux, si les préfets les chas-
sent des boutiques en même temps que de
la rue? Pure confiscation, et, qui pis est,
arbitraire entre toutes. Encore un grave
empiètement sur les attributions de la
iustice.
Est-ce qu'il n'y a plus de magistrats en
France pour qu'un projet 'de loi défère
soit à la commission de colportage, soit
aux préfets, le droit de régler sans
appel le sort des ouvrages, de décider
irrévocablement que tels écrits pourront
être vendus et que tels autres ne le
seront point ?
Voyons maintenant, en deux mots, la
situation que le projet Depeyre impose
aux libraires.
Ceux de la première catégorie, les li-
braires brevetés, seront soumis au dé-
cret de 1810 et à la loi de 1814, c'est- à-
dire qu'ils redeviendront une classe à
part et tiendront le milieu entre les ci-
toyens et les fonctionnaires. Quant aux li-
braires « autorisés » de l'invention r de
M. le garde des sceaux, leur précaire
existence dépendra d'un signe, d'un geste
des préfets. L'autorisation qui leur est
accordée, dit l'article 4 du projet, est
incessible et demeurera toujours révocable.
Toujours révocable ! Combien d'agents
électoraux M. Depeyre espère-t-il créer
au gouvernement par cette disposition
savante? Pauvres diables, qui vivez dans
votre petite ville ou votre village de votre
chétive industrie. nrenez- v carde ! Si vous
ne votez pas bien et si vous ne faites pas
bien voter autour de vous, l'administra-
tion vous retirera votre autorisation
« toujours révocable'! » Vous servirez
donc, bon gré, mal gré, désormais les
candidatures officieuses ou officielles,
comme les servaient, au bon temps de
l'Empire, les cabaretiers, les débitants
et tous les malheureux condamnés à
choisir entre la complicité et la rtiine.
Sans aucun doute, les journaux offi-
cieux du gouvernement le défendront
d'un si noir dessein, avec leurs protes-
tations accoutumées. Nous entendrons
se récrier leur libéralisme. Mais que
veut donc dire l'article 4 avec son
autorisation toujours révocable, quand
il y a surtout un article 5 qui dit
à combien de jours de prison et à quelles
amendes les libraires contrevenants pour-
raient être condamnés par les tribunaux ?
Pourquoi établir ce pouvoir administra-
tif discrétionnaire à côté ou plutôt au-
dessus du pouvoir du juge ? Est-ce
qu'on en peut fournir quelque autre
explication? On n'essayera même pas d'en
produire ; et l'on ne .cherchera que des
faux-fuyants, comme toujours.
EUG. LIÉBERT.
——————— ———.————
LA CHAMBRE ET LE PAYS
TABLEAU DE L'HISTOIRE DE FRANCE (LJ.
8 février 1871. — 26 novembre 1875.
L'Assemblée et le pays ne sont pas
d'accord. Telle est la cause du marasme
dans lequel la France est plongée. Cette
opposition de l'Assemblée et dujpays,
déjà bien ancienne, va s'aggravant tous
les jours, et des esprits sérieux se de-
mandent si elle n'aura pas pour consé-
quence fatale une guerre civile à bref dé-
lai. Nous ne voyons pas les choses si en
noir.,
Néanmoins nous croyons utile de
montrer aux personnes trop absorbées
par l'événement du jour l'enchaînement
logique des faits qui se sont succédé de-
puis près de trois ans. C'est le seul
moyen d'augurer d'une manière plus ou
moins certaine « notre lendemain », si
obscur et si redouté. Nous n'oublierons
pas qu'une pareille étude ne peut valoir
que par l'impartialité. — Cettq impartia-
lité, on nous la pardonnera, on nous la
permettra sans doute en vue de la
science et du bien public.
I
Le 8 février 1871 — lors des élections
générales — la majorité des Français
voulait deux choses : la paix et la Répu-
blique ; la paix, — hâtons-nous de le
dire en toute sincérité — plus résolù-
ment et plus unanimement que la Répu-
blique.
Voilà pourquoi le nom de M. Thiers
fut salué avec enthousiasme dans vingt-
cinq départements. Il est vrai que M.
Thiers avait, dit-on, prononcé une pa-
role très-catégorique : « Si l'empire tom-
be, je soutiendrai la République aussi
énergiquement que je l'ai combattue
autrefois. » Mais on peut, somme toute,
estimer que c'est à titre « de pacificateur
nécessaire* » qu'il était devenu, — moins
de six mois après la chute de l'empereur
— « l'Elu populaire. » Il fut, en quelque
sorte, imposé par le pays à l'Assemblée,
qui l'accepta de la meilleure grâce du
monde. Malgré le mot singulièrement
compromettant que nous avons rappelé
(1) L'auteur de l'étude qu'on va lire n'appar-
tient pas à la rédaction du journal, et l'on s'a-
percevra d'ailleurs que ce n'est point en
journaliste, mais bien plutôt en historien
qu'il a écrit. Le journal n'a pas, il ne peut
avoir une impartialité si complète ; et ce n'est
point au milieu des luttes que nous soutenons
chaque jour que nous pouvons apprécier les
événements contemporains comme nous jugerions
la guerre de Cent ans, par exemple. Nous n'a-
vons pas pensé que ce fût une raison pour
priver nos lecteurs d'un remarquable et curieux
morceau d'histoire; et peut-être trouveront-ils
qu'une revue si désintéressée des faits n'est dé-
pourvue ni d'attrait ni d'enseignements.
(Note de la rédaction).
plus. haut, il devint chef du pouvoir
exécutif; il eut la permission de s'as-
surer le concours de ministres républi-
cains, tels que MM. Jules Favre, Ernest
Picard et Jules Simon. Bien plus, c'est
un républicain, M. Grévy, qui présida
l'Assemblée et resta pendant plus de
deux ans le second personnage de
l'Etat. -
L'Assemblée même n'était pas répu-
blicaine. On le savait, mais le plus grand
nombre des Français se consolait en
pensant qu'elle était non moins dévouée
que M. Thiers lui-même au grand inté-
rêt du moment, « la paix. »
Quant aux républicains — nous avons
surtout en vue. ceux qui siégeaient à
Bordeaux — ils s'étaient, très-patrioti-
quement, compromis dans une guerre
désespérée, dont ils auraient dû laisser
toute la responsabilité à l'Empire. Après
un échec qui n'avait, après tout, rien
d'imprévu ni de déshonorant, ils de-
vaient au moins se soumettre à la force
des choses. Mais pour plaire à leur parti,
ils refusèrent de voter la paix. Beaucoup
d'entre eux donnèrent leur démission,
laissant le champ libre aux pacifieateurs,
c'est-à-dire aux monarchistes (1).
La République ne fût pas proclamée,
parce que. les républicains, battus par
les Prussiens, ne voulurent point accep-
ter la conséquence nécessaire de leur
défaite. Ils protestèrent avec éclat, mais
il était évident que le coupable, dans
cette circonstance, n'était pas l'Assem-
blée, mais uniquement le destin. Les
bruyantes déclamations de nos Ajax
trouvèrent peu d'écho. Néanmoins
elles entretinrent dans le, peuple des
grandes villes de funestes illusions.
L'Assemblée, qui devait être, un peu par
sa faute, attaquée comme étant l'ennemie
de la République, lé* fut d'abord, à l'ins-
tigation dès radicaux, comme ayant dé-
membré la France.
Au lieu de Ja République on eut le
pacte de Bordeaux, pacificateur lui aussi
à sa manière, mais qui trahissait trop
l'intention formelle de restaurer tôt ou
tard la monarchie. Le pacte de Bordeaux
déplut dans toutes les grandes villes, où
la République seule était reçue. Les mena-
ces à l'adresse de Paris-capitale] étaient
pour elles un commentaire suffisant du
pacte de Bordeaux.
Il est bien manifeste que nous dûmes
la Commune de Paris à l'attitude anti-
pacificatrice de l'extrême gauche et à
1 attitude anti-républicaine de l'extrême
droite.
Les ressentiments patriotiques et po-
litiques, en partie aveugles, en partie
clairvoyants, furent, comme on le sait
exploités par des énergumènes et par
des scélérats qui abusaient étrangement
des mots de revanche et de République.
Plus de cent mille hommes se lais-
sèrent entraîner. Tout en faisant la part
de la légèreté française, qui dégénère fa-
cilement en cruauté, on ne pouvait pas
nier qu'on ne fût en présence d'un phé-
nomène psychologique et d'un cas pa-
thologique sans précédent. M. Thiers
lorsqu il opposait l'armée régulière -. à
l'armée insurrectionnelle, dut penser
que la force brutale ne suffirait pas à
trancher le prqblème qui venait de sur-
gir. Au nom de la République (qui était
l'indispensable calmant), au moyen de
ministres républicains et de promesses
(1) Il n est pas jusqu'à la retraite bien naturelle
presque inévifable, des députés alsaciens )or..
rain$, qui n'ait eu son effet. C'est elle qui a rendu
possible le 24 mai.
FEUILLETON DU XIX. SIÊCLB
CAUSERIE
- DRAMATIQUE
THÉÂTRE DES VARIÉTÉS : Les Merveilleuses, comédie
en 5 actes de Victorien Sardou.
LIVRES : Histoire de notre petite sœur Jeanne d'Arc.
Un volume in-4° illustre de 53 grandes gravures
à l'eau-forte. — La Comédie de notre temps, étu-
des au crayon et à la plume par Bertall ; 1 vol-
grand 'in-8°, enrichi de près de 1,000 gravures
dent plus de 100 imprimées hors texte. — L'E-
corce terrestre, par With, un volume m-8", enri-
chi de 140 gravuies, dont 22 hors texte. — Chez
Henri Pion, 8, rue Garancière.
Vùgage en Espagne, par Théophile Gautier ; un
magnifique volume in-4", illustré de splendid- s
gravures sur acier. — Théâtre complet de Voltaire,
enrichi de 20 portraits en pied coloriés. - Azur
le page et la, fée Candour, joli volume in-41, ori-ié
de gravures sur bois. — Chez Laplace et Sanchez,
3, rue Séguier.
Contss à mes petits enfants, sur l'histoire de France,
par le bibliophile Jacob, avec 11 grandes gra-
• vures d'après Philippoteaux. — Chez Firmin Di-
idot, 56, rue Jacob.
Sardou vient -de nous jouer un bon
tour : faut-il pour cela le traiter de Turc
à Maure? Non vraiment; il n'y a pas de
quoi et, pour ma part, je trouve assez
drôle qu'un lettré et un artiste se passe,
aux frais d'autrui et pour son ébattement
particulier, une fantaisie ruineuse qui, si
elle ne met pas grand chose dans son es-
carcelle — primes à part, — ne coûtera
rien à sa cassette. Son crédit auprès des
directeurs de théâtre en souffrira seul un
peu peut-être, et peut-être deiiadrnt-ils
par là plus circonspects t moins dispaséf
-- -
propre de l'auteur, je le crois assez désinté-
ressé dans l'affaire, Sardou ayant suffi-
samment d'orgueil, je suppose, et je l'en
félicite, pour dédaigner les menues égra-
tignures de la vanité. Il sait bien ce qu'il
vaut, et il a fait ses preuves. La petite
mystification qu'il vient de se payer avec
un si spirituel aplomb aux dépens de tout
le monde ne le diminue en' rien, et per-
sonne ne lui en gardera rancune.
Il sait bien, et nul non plus ne l'ignore,
qu'il pourra la faire oublier, quand il
voudra, à ses bons Parisiens, en leur ser-
vant un de ces jours quelqu'une de ces
jolies comédies, comme il en sait faire
quand il veut s'en donner la peine. Andréa,
l'Oncle Sam et, en dernier lieu, les Mer-
veilleuses, n'effaceront pas les Palles de
mouches, les Ganaches, Nos bons villageois,
Séraphine, et dix autres comédies, qui lui
ont si légitimement valu la place qu'il
occupe en maître dans le théâtre moderne.
IL a dépensé assez d'esprit pour pouvoir
s'en trouver impunément à court, quel-
quefois. Qui douterait des millions de
Rothschild, si on le voyait, monté à l'im-
proviste, un jour, en omnibus, ne pas
trouver dans sa poche les six sous néces- -
saires pour payer sa place ?
D'ailleurs, si l'esprit n'est pas dans les
Merveilleuses, c'est qu'il est tout autour.
Telle on voit, parfois, dans un repas, une
couronne de persil verdoyante et touffue
entourer un médiocre bouilli,
Donc la pièce des Merveilleuses n'est pas
une pièce, c'est une fantaisie d'artiste, une
fantaisie d'amateur çt dé grand seigneur,
exécutée sans souci de toutes ces condii-
tions incommodes, de toutes ces combi-
naisoNs, de tous ces soins où s'empêtrent
ces croquants d'auteurs dramatiques, qui
prennent niaisemebt le public au sérieux
et s'inquiètent de ses appréciations. Fou-
quet n'y regardait pas de si près pour
amuser Lpuis XIV durant quelques heu- j
res, d directeur du châj J
teau de Vaux., — je veux dire du théâtre
dea Variétés, — a eu, pour une centaine de
mille francs, le bonheur d'amuser Sardou
durant de longs jours. Ce n'était vraiment
pas la peine de s'en priver!
Ce doit être en effet une chose délicieuse
de pouvoir ainsi donner un corps à ses
rêves ! On a une époque. de prédilection,
on s'y, complaît: on s'est fait peu à peu
dans sa tête un répertoire abondant de
tout ce qui a été dessiné, professé, raconté,
publié à ce sujet ; on a tout emmagasiné
soigneusement dans sa mémoire ou sur ses
calepins; on a bouquiné, couru le bibelot
hanté les bric-à-brac, portant en tous lieux
avec soi ses songeries, sur les quais, dans
les musées, parmi les foules et dans les
solitudes, sous les ombrages verts.
Un jour on évoque tout ce monde d'un
autre âge que l'on portait en soi, on fait
surgir de son cerveau tous ces types épars
dans les livres, tous ces tableaux que re1-
cèlent les galeries et les cartons des mar-
chands de gravures et des bibliothèques
publiques. Les dessinateurs, les costu-
miers, les décorateurs se mettent à l'am-
vre; les documents abondent, on en a
à remuer à la pelle, tout le monde les con-
naît, on n'a que l'embarras du choix. Tout
cela s'est, dit, s'est vu, s'est fait cent fois
çà et là; on en fait un tout compact, un
amalgame serré, on accumule, on entasse,
et voilà comme il se fait qu'un beau soir
on joue sur le théâtre des Variétés les
Merveilleuses.
Mais que de jouissances savourées !
Comme c'est amusant d'ordonner tout cela,
de défaire et de refaire pour rectifier un
trait, une moulure, un feston, une nuance!
D'être le maître Pierre de toute cette be-
sogne, la cheville ouvrière de tout ce tra-
vail des infiniment petits ; d'avoir deti
ailes, soi, et de commander du haut de son
monticule de brimborions à toutes ces au-
tres fourmis qui n'ont que des pattes et
qui vont, viennent, courent, s'agitent, af-
fairées, effaréeg, pour ramasser des fétus
et pour en faire un tas !
Et puis au bout de a gaudissement de
chaque jour, de cette délectation de chaque
heure, en arriver, en riant dans sa barbe,
à apprendre à Géronte ébaubi. que sa
fille est muette !
Je trouve cela spirituel, comme il n'est
pas possible, et il me semble que tout le
monde devrait le comprendre, et au lieu
d'en faire la moue ou de s'en fâcher, en
rire, comme je le fais ; car je le fais de tout
mon cœur. Je n'admets qu'une exception
pour le directeur des Variétés, auquel je
permets les réflexions amères. Il en a bien
le droit, il a payé pour cela.
0 directeurs, mes amis et anciens con-
frères, permettez moi, sous formedecompa-
raison, de vous offrir un conseil : si j'étais
éditeur de livres de piété et que le Seigneur
descendît sur terre pour m'offrir une ver-
sion des saints Evangiles écrite par lui-mê-
me, je lui demanderais la permission,
avant de la publier, de parcourir l'ouvrage 1
Je n'espère pas toutefois, vous conver-
tir à cette sage défiance, pour toutes sortes
de raisons qu'il est inutile d'énumérer;
mais quand vous vous serez fait mordre
ainsi, n'exigez pas qu'on en pleure.
On conclura peut-être de tout ceci que
je ne crois que faiblement au succès des
Merveilleuses? Il y a du vrai dans cette sup-
position, j'essaierais en vain de le contes-
ter. Malgré le trémoussement considérable
organisé sur la scène et qui est à propre-
ment parler comme le fond même de l'ou-
vrage, il est, — à quoi bon le nier? — du
genre qu'on appelle le pire. Quelques esprits
moroses ont accusé l'Oncle Sam d'être peu
divertissant; mais j'aimerais mieux ap-
prendre l'Oncle Sam par cœur et le réciter
dans une conférence, au milieu de tout ce
qu'une tentative aussi téméraire pqurrait
m'attirer, que de revoir les Merveilleuses.
J'exagère peut-être un peu ; mais, vrai !
ce que j'aimerais réellement beaucoup mieux,?
c'est de relire purement et simplement au
coin de mon feu un livre parfait que les
messieurs de Goncourt ont écrit jadis sur
l'époque du Directoire et qui contient tout
ce que nous avons de connaissances acqui-
ses sur cette époque, après tout, médiocre-
ment intéressante. Faut-il savoir gré à l'au-
teur de ce qu'il n'y a pas dans sa pièce, à
savoir des diatribes politiques et des allu-
sions irritantes ? Mon Dieu! il a fait ce
qu'il a pu et je crois que l'incertitude sur
la façon dont certaines choses auraient pu
être accueillies avait rendu l'administra-
tion circonspecte. L'auteur de Rubaças me
paraît injurier assez convenablement la
Révolution, sans laquelle peut-être il
allumerait les réverbères ou cirerait des
bottes, ne remontant, que je sache, ni aux 1
Rohan, ni même à Pépin-le-Bref.
* Ce héros du travail, cet ouvrier de lui-
a j, - 1 t
même, ce fils de ses œuvres, comme on
dit, n'est donc pas fier de ce titre glorieux
de parvenu, dont il a bien un peu sans
doute les petits côtés, mais qui a de la
grandeur aussi, et qu'il a nobjemejit'.Cog.
quis par son intelligence, son travaî1 son
talent, sa volonté? Ne vaut-^ pas mieux
talent, sa. volonté? e autl pas mieux
avoir loyalement ;i.:jié ce château au'il
-- - - 0
habite que d'y être né par- hasard ? Et si
l'odieuse révolution de 89 n'avait pas eu
lieu, l'auteur des Merveilleuses s'imagine-
t-U qu'il fut jamais devenu le seigneur de
Marly, ni d'aucun lieu quelconque? Com-
me dit le vieux Montaigne ex c'est le four-*
gon qui se moque de la pelle. »
Avant et depuis la représentation des
Merveilleuses, on a répété sur tous les
tons : Ne vous y trompez pas, l'auteur n'a
pas voulu faire une pièce; ce qu'il vous
présente, c'est une étude sur l'époque du
Directoire; c'est le fruit de fies profondes
et savantes recherches mis à la portée du
vulgaire, qui n'aura jamais rien vu de
pareil et qui est appelé à prendre -
naissance sur le vif, dans une forme d?a-
matiçue et palpable, de tous les docu-
ments propres à reconstituer cette époque
grotesque, transition confuse de la déma-
gogie au despotisme, qui commence à
poindre dans la personnalité glorieuse et
envahissante du jeune Bonaparte.
Vous me la baillez belle 1 Vous me di..
tes : il n'y a pas là de pièce ; je le vois par
bleu bien; mais ce que je vais chercher -
au théâtre, c'est une pièce précisément.
Que pensenez-vous d'un restaurateur chez
lequel vous entrez pour dîner et qui vous
servirait sur ses plats des fleurs, des papil-
Ions, des oiseaux empaillés, des poissons
d'avril en carton, des papillottes avec des
devises et une foule de jolis petits riens,
très-agréables en eux-mêmes, mais qui
ne tiendront jamais lieu d'une dinde M-
fée ni d'un savoureux salmis ? Vous im-
1
piorerez avec des larmes des œufs sur le
plat et une salade de pommes de terre.
Qu'on nous traite de profanes et
nous compare, si l'on veut, au cbq'de la
fable; mai. Je moindre grain de mji ellt
fait bisn mieux notre affaire.
Et puis Re neas emballons pas, mes
amisl Qu'est-ce, après tout, que ee erand
étalage de prétendue érudition et de re-
cherches ? Un rat de bibliothèque, conve-
nablement rétribué, vous en lit en une
quinzaine de jours, apport ioutl;
gent, dessin, croq-ui, notes, renseigM.
ments, anecdote» stàattlicsHtl9/Y «es, et tout,es
les pTnuîéérriilliittéàs a mêmes sur lesquilles 0ott n a
insisté plus que de raison.
Que serait-il arrivé si l'auteur ou un
auteur quelconque, eut apporté à un thé-
tre soucieux. de bien faire une œnyre
réelle et sincèrement dramatique sur
laquelle on pût faire fond à bon escient
et dont - l'action eût été nlJ £
directoire ? On se fût aidé pour J dïcar*.
lJuectoire ? On se füt aidé pour Ids décora
en pareil cas, des grav- u pratique
sont à la disposé* f * temps, qui
sont à 1,% disposj.ton de tout le monde,
ÇI44 trad i i * -
ÕQ tradi_t.:Õns encore toutes vivantes, de
"Lo les documents épars. dont vint t. J1111-
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