Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-12-16
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 68249 Nombre total de vues : 68249
Description : 16 décembre 1873 16 décembre 1873
Description : 1873/12/16 (A3,N761). 1873/12/16 (A3,N761).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7558119x
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/03/2013
3* Année. — N° 761,
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Mardi 16 Décembre 1873.
~— —— - — — J S * --
LI
JOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
.adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
( S» rue Drouot, 2 -
toi ",,cric: non insérés ne seront pat
ABONNEMENTS
* ; PARIS
Trois mois. 13 fr.
Six mois. 25
Un an. 50
19
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr
Six mois. 32
Un an 62
,.
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et C*
6, p!aee de la Bourse, 6
On s'abonne à Londres, chez M. A. MAURICE général
ad vertising, agent, 13, Tavistoekrow, Govent Garden.
ADMINISTRATION
Adrouer lettres et mandats à YAdminktratour
9. rue Dréuet, 9
AM mires non affranchies tarant roilw4*
A BtHi N EIINT8-
f PÀXJS
Iroia nioï3 13 fr.
Six mois 25
Un an ..,,,.,. 50
DBPARTIDGI«YI
Trois mois.».,. 16 fr.
Six mOÍs"",.",", 32
Un an 4i= 62
-
Annonc**,.chez MM. LAGRANGE, CERF et 08
0, place de la Roame, 0
On s'abonne à Londres, chez M. A. MAURIGÈ général
advertising, agent, 13, Tavistockrow. Govent Garden.
ÉLECTIONS
* * * J: -'lr;, "<
du 14 décembre 1873
RÉSULTATS CONNUS ï 2 1EUBES DU MATIN
SEINE-ET-OISE
Calmon, républicain. 37.424 voix.
Lévesque, réactionnaire. 25.056 —
Versailles a donné 3,697 voix à M. Calmon et
2,529 à M Lévêque. —Sèvres : 644 voix à M.
Calmon, 321 à M. Lévêque. — Etampes : 994 à
M. Calmon, 362 à M. Lévêque. — Mantes 547 à
M. Catmon, 495 à M. Lévêqne. - Saint-Ger-
main, 1,477 à M. Galmon, 858 il M. Lévêque.
— Peissy, 502 à M. CaimoD, 183 àM. Lévêque,
etc. - ,:;"'
iDDE
Bonnet, r¿pu))'liêcûÍl..:.. 14.997 voix.
Marbou, républicain 15.014 —
Castel, bonapartiste. 4.415 —
Peyrusse, bonapartiste 4.599 —
Perrière, monarchiste 2.533 —
Vié Anduze, monarch.. 2.451 —
, - ':: '—
Carcassonne a donné 3,200 voix aux candi-
dats républioains, 450 aux bonapartistes, 430
aux royalistes. — Narbonne : 2,300 voix aux
républicains, 500 voix aux bonapartistes, 250
aux royalistes.
FINISTERE
Svriney, républicain. 22.641 voix.
Le Guen, monarchiste. 10.694 —
Vote de Brest a ê,229 voix à M. Swiney,
875 à M. Le Guen.
L'élection des quatre candidats républi-
cains paraît assurée. -
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 45 décembre 4875.
La France attendait hier soir les
premiers résultats des quatre élections
partielles de Seine-et-Oise, du Finistère
et de l'Aude. Nous ne les connaissons pas
complètement encore au moment où
nous écrivons ; mais nous sommes assu-
rés que les candidats républicains sont
élus. Les manœuvres de nos adversaires
ont eu cette fois un caractère encore plus
grave, plus scandaleux qu'aux dernières
élections, surtout dans le département du
Finistère. Rappelons aussi que, dans
Seine-et-Oise, M. Lévêque. soutenu par la
coalition monarchiste, a tenté par tous
les moyens de se faire passer pour un ré-
publicain conservateur. Mais le paya,
parmi toutes les équivoques et toutes les
intrigues, a su apprendre à disceraer qui
aime la République et qui la perdrait.
C'est aux partisans des candidatures qu'il
connaît la valeur des candidats. Quatre
nouveaux députés républicains vont donc
porter à Versailles les vœux de la France.
Il deviendra, de jour en jour, plus diffi-
cile de les rejeter.
A l'étranger, signalons la rupture des
relations diplomatiques entie la Suisse
et le Saint-Siège. On lira la note que le
conseil fédéral a remise à Mgr Agnozzi.
D'une part, les nouvelles lois religieuses
de la Suisse, d'autre part, les écarts inju-
rieux de l'encyclique rendaient ce qui ar-
rive inévitable. Cette rupture n'en mar-
que pas moins une date importante dans
l'histoire du catholicisme romain au dix-
neuvième siècle. Tout ce que nous regret-
tons, c'est que le gouvernement fédéral, quoi
qu'il en dise, ait fait prévaloir en matière
de culte des principes contraires au véri-
table esprit de liberté ; ce n'est pas de la
libre Amérique, c'est de l'Allemagne au-
toritaire que la Suisse en ces derniers
temps s'est inspirée : ne faisons point
entre la liberté religieuse et des réglementa-
tions simplement anti-catholiques de con-
fusion regrettable. Mais le premier auteur
du mal est l'ultramontanisme, et c'est
quelque chose" de lui voir insensiblemeat
perdre dans le monde son vieux prestige
et son autorité.
--'-,--' '- E. L.
* —
On sait que le gouvernement est en
mal d'une loi sur la presse qui lui per-
mette de lever l'état de siège qui pèse
sur trente-deux départements, en l'éten-
dant, sous une autre forme, à toute
la France. C'est toujours la mise
en pratique des théories libérales dé-
fendues par les monarchistes on dis-
ponibilité sous le régimo de 1852 En ce
temps-là ils faisaient chorus avec les
républicains pour demander « la liberté
comme en Autriche »; bientôt, pour peu
que cela continue, ils nous obligeront à
demander la liberté comme sous l'em-
pire.
En attendant cette fameuse loi sur la
pressa, que le chambellan de M.- le due
de Broglie, M. Baragnon, est en train
d'élaborer, quelques membres de la
droite, jaloux de témoigner de leurs
bonnes dispositions. à l'endroit de la
liberté de penser et d'écrire, ont imagi-
né d'introduire l'amendement suivant
au projet do. budget de 1874, chapitre
de l'enregistrement du timbre :
Art. l'r Le décret du 5 septembre 1870 con-
cernant l'impôt du timbre sur les journaux et
écrits périodiques politiques est rapporté.
Art. 2. Le décret du 16 octobre 1870 con-
cernant le transport des journaux et écrits pé-
riodiques politiques est rapporté.
Trois mots suffisant à traduire ces
deux articles : Silence aux pauvres ! Dé-
sormais, nul ne pourra fonder un jour-
nal s'il n'est assez riche pour y consa-
crer un gros capital, ou s'il ne vent
point consentir à se faire le très-humble
et très-obéissant serviteur de quelque
gros bonnet de la finance, tourmenté
de l'ambition politique.
Le décret du 5 septembre 1870 por-
tait abolition du timbre de 6 centimes,
et plus tard de 5 centimes, dont les jour-
naux étaient frappés sous l'empire. Le
décret du 16 octobre de la même année
avait autorisé le transport des journaux
par ballots et par chemins de fer, tan-
dis que sous l'empire ils devaient être
expédiés isolément et par la poste.
Rappelons, à la vérité, qu'une loi de
1872 a frappé tous les papiers en géné-
ral d'un impôt de 10 pour cent, et, en
particulier, d'un droit de 20 pour cent
les papiers à journaux. Il fallait payer les
frais de la guerre ; et la presse, ramenée
ainsi, ou peu s'en faut, à la situation où
elle se trouvait avant les décrets du
4 septembre et du 16 octobre 1870, ne
fit pas entendre une plainte.
Mais voilà qu'on ne tient plus compte
de la loi de 1872, et qu'en outre des 30
pour cent d'impôt que paient les jour-
naux, on prétend leur imposer un tim-
bre et les obliger à des frais de trans-
port ruineux ! Sans compter la loi Ba-
ragnon, qui, on peut y compter, sèmera
notre chemin de quelques casse-cou !
C'est ainsi qu'en 1873, les libéraux
de 1852 à 1870 entendent la première
de toutes les libertés, la liberté de penser
et d'écrire.
L'Union d'hier soir rappelait quau
quinzième siècle, « quelques serfs de
Catalogne, venus en France pour y cher-
cher un asile, ayant été redemandés par
leurs seigneurs, le Parlement de Tou-
louse déclara que tout homme qui en-
trait dans le royaume en criant France !
devenait libre. » Nous avons fait de
réels progrès depuis trois siècles; pour
devenir libre, en l'an d<3 grâce 1873
sous le gouvernement des doctrinaires,
il ne faut point venir en France, il faut
en.sortir et aller en Autriche, où l'empe-
reur se félicitait tout récemment d'avoir
donné à la presse tous les droits et
toutes les franchises.
E. SCHNERB.
- —
La gauche républicaine s'est réunie hier
sous la présidence de M. Jules Simon;
und souscription a été ouverte parmi ses
membres pour l'érection d'un monument
commémoratif de la défense de Belfort.
La réunion, a longuement délibéré sur
les projets de loi relatifs à la nomination
des maires et à la police municipale, aux
réélections partielles, enfin sur le budget
des dépenses et des recettes.
, ,,
On a bien abusé de la fable d'Epimé-
nide. Supposez cependant que cet hom-
me pieux se fût endormi dans Versail-
les en avril ou mai 1871 et s'y réveillât
aujourd'hui : pourrait-il croire que la
même Assemblée y siége encore? ne
penserait-il pas que la France, au con-
traire, en un jour de panique et de réac-
tion furieuse, a changé ses législateurs?
Il n'était question, dans ces temps
lointains, que de panser les plaies du
pays, qui souffrait, en effet, d'horribles
blessures : quarante départements à la
merci de l'étranger, la Commune à Paris,
le reste de la France enproie aux dissen-
sions civiles, à tous les affolements de
la misère. Si les maux étaient grands,
l'Assemblée déclarait alors que la liberté
serait le remède. Accusée par les chefs
de l'insurrection' parisienne de vouloir
attenter aux droits de la nation, de con-
spirer le retour de la monarchie, elle s'en
défendait avec de vifs accents d'indigna-
tion. Le chef du gouvernement qu'elle
avait élu saluait -en elle « la plus libé-
rale des Assemblées françaises » ; elle se
parait de ce beau titre, et nous voulons
croire qu'elle aspirait sincèrement à le
mériter.
Arrivons cependant à l'hiver de 1873;
que se passe-t-il?
A l'amour de la liberté, la majorité
parlementaire a substitué le culte de la
dictature. Les Prussiens sont payés,
partis ; la Commune est vaincue," ceux
qui l'ont servie sont, depuis deux ans et
plus, prisonniers ou morts; tout est
rentré dans l'ordre : et Versailles, pour-
tant, ne retentit que de menaces et d'ana-
thèmes contre la liberté ; nous y voyons
fonder des gouvernements de combat
quand il ne reste plus de factions à com-
battre.
L'Assemblée présidée - par M. Buffet
est-elle bien la même qui se donnait
pour président, en 1871, M. Grévy?
Ce n'est pas seulement la République,
ce sont les libertés élémentaires et né-
cessaires qu'on parle aujourd'hui d'im-
moler. Le ministère issu de la majorité
fait campagne à la fois contre la liberté
électorale, contre la liberté municipale,
contre la liberté de la presse, et se vante
de l'approbation du Parlement. Quand
on se souvient du passé, le présent sem-
- ble inexplicable.
Le suffrage universel. On avait juré
de le respecter en 1871, et le plus grand
nombre des députés qui forment à pré-
sent la majorité de la Chambre, candi-
dats de l'opposition avant 1870, s'en
étaient faits alors les défenseurs, les ser-
viteurs, nous dirions presque les flat-
teurs. Comment donc en est-on venu
aux utopies aristocratiques et féodales
que la commission des Trente accueille
avec tant de faveur ? Et ce n'est pas tout.
On nous laisse entendre que les grands
projets qu'on prépare contre les munici-
palités et contre la presse rendront à peu
près vain l'usage de ce qui restera de
droits électoraux.
Les franchises municipales ! Au mois
de mai 1870, toute la France a lu ce
qui suit dans un programme resté célè-
bre de la « Ligue de décentralisation » :
Nous poursuivons l'émancipation de la-com-
mune et du département, le libre déve!oppe-
ment des initiatives et des responsabilités loca-
les, par l'aîtion du suffrage universel et sous
son contrôle.
Il ne suffit pas, en effet, de constater les con-
ditions nouvelles de la société moderne, de re-
connaître et déproclaoae-r l'avènement de la
démocratie; il faut étendre et faciliter son ac-
tion en la faisant intervenir à tous les degrés de
la vie publique.
C'est en appelant tous les citoyens à se pro-
noncer sur leurs intérêts locaux, aussi bien que
sur leurs intérêts généraux, que l'on donnera
une portée pratique au principe de l'égalité po-
litique. C'est en fournissant au suffrage univer-
sel l'occasion de s'exercer fréquemment et li-
brement qu'on lui permettra de se régulariser
lui-même. C'est par là fcnfin que l'on arriverai
la séparation si désirable de l'Etat, du départe-
ment et de la commune, de la politique et de
l'administration.
Les noms des signataires ? MM. Anis-
son-Duperron, d'Aboville, d'Abbadie de
Barrau, d'Audiffret-Pasquier, Beau, de
Bondy, Baragnon, le duc Decazes, Dela-
cour, de Goulard, de Gontaut-Biron,
d'Haussonville, de Juigné, Lacave-La-
plagne, Lambert Sainte-Croix, de Larcy,
les deux Lefèvre-Poatalis, Louis Passy,
Mathieu de la Redorte, Louis de Ségur,
de Tréveneuc, Vingtain, etc., — presque
tous des leaders de la majorité présente;
quelques-uns sont, ministres ou l'ont été,
tous aspirent à l'être.
S'étaient-ils démentis en 1871? Pas
encore ; nous leur avons dû cette an-née"
là une loi qui, malgré des imperfections,
était bonne, et qu'ils ne trouvaient ni
suffisamment libérale, ni assez décen-
tralisatrice. Cependant , l'insurrection
communaliste grondait encore. Comment
ces mêmes députés se trouvent-ils dis-
posés, en 1873, à confier au pouvoir exé-
cutif, qui le réclame, le choix de tous les
maires, des maires qui seront nommés
au besoin hors des conseils et contre
les conseils, et qui, de représentants de
la commune, deviendront les agents pas-
sifs et surveillés du ministère?
Liberté de la presse enfin. Sans re-
monter plus haut, rappelons seulement
qu'en avril 1871 le rapporteur d'une loi
qui déférait les délits de presse au jury,
M. le duc de Broglie, écrivait ces li-
gnes : « C'est de l'opinion surtout que la
» presse est vraiment justiciable, et le
jury, pris dans la masse des citoyens,
» est l'organe naturel de cette opinion
» commune. » Dans la discussion, le 15
avril, il terminait ainsi un grand dis-
cours aux applaudissements de la majo-
rité :
Il y a quelque mérite à cette Assemblée,qu'on
appelle si facilament réactionnaire, peut-être
parce qu'elle déteste les dictatures de tous les
genres, il y a quelque mérite à elle à répondre
par une loi de liberté aux violentes passions qui
s'agitent jusqu'à ses portes.
Je me trompe, messieurs, elle n'a pas tant de
mérite qu'elle en a l'air, elle a seulement un
peu de mémoire ; elle sait ce que valent ces
artifices, ces remèdes factices de compression
matérielle qu'on lui propose; elle sait ce qu'ils
valent, ce qu'ils coûtent et ce qu'ils produi-
sent. -
Elle a assisté à leur déploiement sans mesure
et à leur empire sans frein. Elle peut juger si,
pendant vingt ans qu'ils ont prévalu, ces remè-
des ont arrêté les maux de la société, ou si ces
maux, un instant disparus de la surface, n'ont
fait, au contraire, que grandir dans l'ombre et
circuler plus avant encore dans toutes les vei-
nes du corps social.
Elle sait ce qu'il faut penser de cette méfiance
mal dissimulée contre le jury et toutes les ins-
titutions libérales, de ces appels faits, contre le
désordre des idées et des mœurs, à une justice
soi-disant inflexible, et qui ne serait qu'une
fprme déguisée de la compression; elle ne veut
plus rentrer dans cette voie, elle ne veut
plus du poison assoupissant de la dictature; elle
veut les remèdes douloureux, mais vigoureux et
virils, de la liberté l
Le même duo de Broglie aujourd nui,
- toujours aux applaudissements de la
même majorité, — supprime les journaux
ou les expulse dé la voie publique, selon
que le département où ils paraissent est
administré par un commandant d'état de
siège ou par un préfet. Il annonce contre
la presse une loi qui fera pâlir les dé-
crets mêmes de 1852. Quelques députés
de la majorité trouvent que c'est peu; ils
proposent de rétablir l'ancien impôt du
timbre, qui, joint à la taxe sur le papier (1)
votée en 1872, rendrait superflus les au-
tres procédés de confiscation.
Des premiers mois de 1871 aux der-
niers mois de 1873, voilà le chemin par-
couru. Et que n'ajouterions-nous pas si
nous voulions compléter le tableau !
L'historien et le moraliste trouveront
sans doute plus tard un intéressant sujet
d'étude dans l'examen de ces déviations
de l'Assemblée et de leurs causes. A
certain moment, sans mesurer aucun
obstacle et sans tenir compte des impos-
sibilités, elle a désiré rétablir, contre le
vœu manifeste de la nation, un gouver-
nement monarchique; elle a échoué. De
.là son dépit, de là sa colère. Le peuple
veut la République ; elle s'en prend à
lui, c'est lui qu'elle veut châtier. Elle ne
pardonne point aux républicains les ma-
nifestes de M. le comte de Chambord.
Mais ceci est de la philosophie ou de
la psychologie, comme on voudra. Nous
faisons actuellement de la politique.
C'est pourquoi nous sommes affligés,
quelquefois alarmés. Si la majorité par-
lementaire et le gouvernement veulent
persévérer dans cette voie, que croient-
ils devenir? Quel est leur dessein? IL ne
suffit pas de penser à la République avec
rage, à la monarchie avec désespoir. Il
faut prendre un parti et marcher vers
l'une ou vers l'autre.
A quoi s'applique-t-on cependant ?
Comme régime provisoire, on nous rend
l'empire avec d'autres hommes et sous un
autre nom. Les moyens de gouvernement
que l'on avait jugés et condamnés, de
(1) 30 pour 100. 1
1851 à 1870, sont les seuls dont on pré-
tende se servir; on les copie, on les
aggrave ; seulement, au sommet, le
pays trouve un ministère de ducs au
lieu de a l'homme de Sedan. « Quelle
morale est-ce là ? et surtout quelle po-
litique ? Où va-t-on ? Les parlementai-
res de 1873 se sont-ils promis de rendre
odieux à la France la gouvernement
des Assemblées ? Si tel est leur but,
nous constatons chaque jour avec cha-
grin qu'ils @ en approchent. Mais quel
bien en espèrent-ils ? C'est ce que nous
n'apercevons pas.
EUG. LitBzRT.
: « ——————————
P AUVBE JEUNE HOMME !
X
N'admirez-vous pas la tendre sollici-
tude de M. Baragnon pour les institu-
teurs ?
Une société se forme dans un départe-
ment pour fonder des bibliothèques pu-
bliques. Il est bien entendu que les livres
dont on les emplira seront prêtés, non
point aux enfants, qui auront, eux, une
bibliothèque particulière à leur usage,
mais aux hommes faits, aux citoyens de
la commune.
Tous les ouvrages ne sont pas évidem- ,
ment bons à être mis entre les mains
même d'un homme de trente ans ; mais
enfin on peut admettre, n'est-ce pas ?
qu'à cet âge-là on est capable de porter
bien des vérités et de distinguer bien
des erreurs.
— Assurément, s'écrie M. Baragnon ;
mais c'est l'instituteur qui est générale-
ment chargé du soin de la bibliothèque.
Et ce pauvre jeune homme, ne faut-il
pas veiller sur l'intégrité de ses mœurs ?
Ah ! je pourrais, messieurs, vous citer
bien des passages qui seraient mille fois
plus dangereux pour le cœur du jeune
instituteur que pour l'enfant, qui ne les
comprendrait pas.
Et si vous saviez quels sont les livres
dont M. Baragaon prétend garder, avec
un soin jaloux, le cœur des jeunes et
innocents lévites de l'instruction !
Et d'abord : la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen.
Serait-il convenable en effet que ces
jeunes gens pussent se douter que le
citoyen français a des droits et que ces
droits ont été, reconnus ? Cette connais-
sance est impie et perverse, elle souille-
rait la robe de candeur dont l'Ecole nor-
male les a revêtus.
Il y a encore un livre qui inspire une
terreur bien justifiée à M. Baragnon.
C'est une Vie de Jean-Jacques Rousseau.
Le jeune instituteur, s'il lisait jamais cet
ouvrage abominable, y apprendrait que
Rousseau a vécu maritalement avec une
femme, qui était sa maîtresse, et qu'il
en a même eu des enfants, qu'il a eu 'le
tort dè ne pas élever lui-même.
Quels ne seraient pas l'étonnement et
l'effroi de cette âme encore vierge quand
des horreurs qui lui sont si nouvelles se
découvriraient tout à coup à ses yeux
surpris ! Pauvre jeune homme 1 il appren-
drait donc qu'il y a d'affreux débauchés
qui séduisent une femme et vivent avec
elle sans avoir passé par la mairie ni par
l'église l
M. Baragnon ne saurait supporter cette
idée I il veut préserver les populations,
dont il a la garde, de.ces images obscè-
nes, et il supprime les livres où se trou-
vent des infamies si prodigieuses !
Et ce qu'il y a de plus étrange en -
FEUILLETON D-U XIX" SIÈ, CLE
CAUSERIE
DRAMATIQUE
THÉÂTRE DE LIOPÉf\A-COMIQUE : MaUre fVol{ram,
opéra-comique, en 1 acte, paroles de Méry,
musique d'Ernest Reyer. (Reprise.)
THÉÂTRE DE L'ODÉON I Le Marquis de Villemer,
comédie en 4 actes de George Sand. (Reprise.)
THÉATRE DES MENUS-PLAISIRS Î La Liqueur d'or,
opéra-comique, en 3 actes, paroles de MM. W il-
liam Busnach et Liorat, musique de M. Laurent
de Rilléê
La reprise àe-Maitre Wolfram à l'Opéra-
Comique a été très-brillante. Représenté
en 1854 au Théâtre-Lyrique, ce charmant
ouvrage fut le début d'Ernest Reyer, et ce
début fut un succès. Ce petit drame ro-
mantique, plein d'une mélancolie rêveuse,
se prêtait admirablement au tempérament
du compositeur. Aussi jamais la musique
ne s'est mieux incorporée à son poème
que celle d'Ernest Reyer, à cette histoire
touchante d'un amour timide et méconnu.
Reyer n'est pas un compositeur de sur-
lace; il va au fond des choses et cherche
bien plus à traduire la partie idéale et in-
time des sentiments que leurs manifesta-
tions extérieures. Il sent avant de traduire
et pense avant de chanter. Il se complaît
dans les régions profondes de la passion,
en trouve les accents en lui-même, etvous
touche, et vous pénètre, parce qu'il est lui-
même pénétré et convaincu. Il a horreur
du lieu commun et du vulgaire: sa mu-
sique est élégante, distinguée, poétique.
Son âme a été bien dressée, ou plutôt re-
dressée; elle a bénéficié d'un contact heu-
rt ux: Reyer a quelque peu vécu — il me
souvient encore de ces longues causeries
- dans l'intimité d'un charmant esprit;
Reyer a connu Théophile Gautier !
Le public a fait bisser la délicieuse ro-
mance que Mlle Chapuy, Hélène, chante
avec beaucoup de sentiment, ainsi que la
belle mélodie de Wolfram, dite avec infi-
niment de goût par Bouhy : le motif du
début, repris avec ampleur dans le finale, a
été couvert d'applaudissements.Ea somme,
excellente soirée pour tout le monde.
L'opérette veut nous en faire accroire :
elle se baptise effrontément du nom d'opé-
ra-comique et vous prend à la porte des
airs pudiques et des façons de sainte-n'y-
touche ; mais entrez, messieurs et mesda-
mes, et voyez-la sur ses tréteaux, le nez
en l'air, la gorge au vent, la jupe retrous-
sée et montrant ses mollets ; n'apercevez-
vous pas que tout aussitôt le poing Ee
place de lui-même sur la hanche, que la
jambe se lève, avec ses grâces coutumières,
que les trémoussements de corps se font
dans les mouvements consacrés et que
vous retrouvez tous ces dodelinements de
tête, ces clins d'yeux, CFS petits airs fri-
ponneaux, toutes ces réticences traîtresses,
et ces artifices malins du débit qui « vous
acheminent à penser plus qu'il n'en y a ? »
Opérette, ma mie, nous vous connaissons
bien, c'est vous, ma gaillarde, bien vous
et nul n'aura l'idée de vous chanter :
Eh î non, non, non,
Vous n'êtes plus Lisette;
Eh ! non, non, non,
Vous n'êtes plus Lison !
Vous êtes Lisette et Lison, toujours, ma
chère, et Goton, et Margot, et plus ou pire
encore.
Ge n'est pourtant pas le procès de la Li-
queur d'or que je veux entreprendre : ili
n'y aurait point justice, et l'on doit même
savoir gré aux auteurs d'avoir su marcher
si dextrement sur les œufs du scabreux et
du leste sans en casser davantage.
Tant il est vrai que tout est dans la ma-
nière de s'y prendre. Et puis ce qui cho-
querait en certains lieux ne choqua pas
en d'autres. Il est des choses que certaines
bouches peuvent dire, quand d'autres ne
le peuvent point.
Je suis familier d'un logis où l'on
reçoit souvent et nombreuse compagnie.Le
couple, jeune encore, qui vit sous ce toit
fortuné, y exerce l'hospitalité la plus cour-
toise. Monsieur est plein de rondeur, ma-
dame aimable et tolérante dans une juste
mesure. Comme toutes les femmes, elle
ne détesle pas l'anecdote aventureuse,
pourvu qu'elle soit contée avec tact etdélica-
tesse. Un jour que notre ami X. venait de
dire avec une adresse rare certaine his-
toire qui faisait vaguement rêver de Mme
Saqui courant sans balancier à trente mètres
de hauteur sur la corde roide, un autre
convive, entraîné par l'exemple, voulut à
son tour essayer l'entreprise. Le maître de
la maison l'arrêta tout net :
— Halte-là! lui dit-il, X. a seul ici le
privilège de racon!er ces choses-là; je lui
en ai concédé le monopole, parce qu'avec
lui je suis tranquille, je sais qu'il se tirera
toujours d'affaire. La feuille de vigne
pousse naturellement sur ses lèvres ; mais
vous autres, vous me faites trembler :
avec vous on ne sait jamais où l'on va, et
Dieu sait où l'on arrive !
Ce n'est pas à notre ami X. que je
comparerai Mlle Silly : elll n'a pu s'im-
planter ni aux Variétés, ni au Palais-Royal,
ni même aux Bouffes-Parisiens. Elle mé-
riterait qu'on ne lui passât rien, car elle
ne fait rien passer ; mais il ne faut pas lui
en vouloir : sa nature est comme ça.
Il y a la canaillerie, — qu'on me par-
donne le mot, — il y a la canaillerie spiri-
tuelle et fine des Schneider, la canaillerie
gracieuse, innocente etmignarde des Judic,
la canaillerie rustaude, primesautière et
artiste des Thérésa; et puis il y en a, tout
en bas, une autre, effrontée, gutturale et
traînarde, qui sent le caboulot de la place
Maubert et l'éventaire du faubourg Saint-
Marceau. C'est ce que j'appellerai propre-
ment la canaillerie canaille. Pour celle-là,
toute licence est redoutable, car elle cons-
titue à elle seule un danger, et par-dessus
le marché une chose fort déplaisante.
Mlle Silly a des formes admirables, elle
est visiblement intelligente; pourquoi se
laisse-t-elle aller sur la pente d'un si ter-
rible abandon?
Mais, je l'ai dit, elle est comme ça, c'est
à prendre ou à laisser. Je serais désolé de
manquer d'égards envers une femme qui
possède plastiquement des mérites mani-
festes et envers une- artiste qui n'est pas
sans talent; mais puisque l'alternative est
posée, je déclare que, pour mon compte
particulier, je ne prends pas ; je laisse.
Le sujet de la Liqueur d'or prête singu-
lièrement aux aventures. Un Balthasar
Claës au petit pied, citoyen de Dordrecht,
où nous sommes, a inventé la liqueur d'or,
et grâce à la liqueur d'or, voilà. comment
dirai-je ? voilà, non pas le mariage, mais
tout ce qui s'en suit, — pour parler comme
Armande dans les Femmes savantes,
— naturellement supprimé. Qu'une jeune
personne 4vierge et nubile avale une
cuillerée du breuvage, et crac ! voilà qu'au
bout de trois jours elle met au monde un
petit Hollandais parfaitement conditionné.
On voit d'ici tout ce qui peut sortir de pa-
reilles prémisses : le désir de l'inventeur
d'expérimenter sa découverte, les quipro-
quo, les erreurs, les dangerF, pour les per-
sonnes altérées, de boire inconsidérément
le contenu de certaine fiole oubliée sur un
dressoir, et toutes les fariboles accessoires
que l'esprit inventif des auteurs a su
grouper autour de ces données fécondes.
Les gaudrioles grouillent là-dedans à
foison; mais elles ne m'ont pas fait pren-
dre la mouche, et l'assistance m'a paru s'en
réjouir fort. Qui dit gaudriole d'ailleurs ne
dit pas gravelure, et je confesse que la
Liqueur d'or, parmi toutes les exhibitions
du genre, est certainement une des plus
accepîab'es. Le succès en a été complet
C'est égal, quoi qu'on en dise, la généra-
lisation de ee genre risqué, cette chasse
universelle à l'équivoque grivoise allant
parfois jusqu'à l'obscénité, cette préoccu-
pation exclusive de la bagatelle, cette in-
conscience de l'indécent et du déshonLête,
sont bel et bien des preuves irréfutables
de la décadence de notre théâtre, et l'on
peu dire aussi de nos mœurs. Malheureu-
sement les divers gouvernements tous
lesquels nous avons eu le bonheur de vi-
vre ont tous témoigné de la plus parfaite
indifférence à l'endroit de cette source de
dépravation publique.
Avec l'habileté de main et les ressour-
ces d'un langage parvenu à son complet
développement en plus, nous revenons aux
anciens tréteaux, dont les farces outrageu-
sement licencieuses éloignaient déjà les
bourgeois de la Renaissance. Le populaire
d'alors est émancipé aujourd'hui ; mais
qu'il se chausse aux Docks de la cordon-
nerie -ou chez un chausseur en renom ;
qu'il montre ses mains sales ou se gante
chez Bertin ; qu'il se mette à la bouton-
nière le vulgaire œillet rouge ou le pré-
tentieux gardenia, c'est le même qui ap-
plaudissait et rigolait, — le mot est d'é-
poque, - aux farces obscènes de ces
sociétés d'acteurs nomades, que Boileau
appelle sérieusement «de joyaux pèlerias, »
aux parades grossières de la foire St
Laurent ou aux propos incongrus de Ta-
barin.
En somme, la censure dramatique, tou-
jours extrêmement tracassière pour tout ce
qui touche à la critique des mœurs, c'est-
à-dire à la véritable comédie, a toujours
été en revanche d'une tolérance incom-
mensurable pour tout ce qui touche à l'in.
décence et à l'immoralité ; de là les pri-
viléges scandaleux et illimités de l'o-
pérette.
C'est donc particulièrement à la pi éten-
due protection dont le gouvernement est
censé couvrir la morale publique que nous
devons d'une part l'impossibilité d écrire
librement une comédie de mœurs, c'est-à-
dire le déclin et la mort de la comédie
même; et de l'autre,. la pleine et luxu-
riante floraison de l'immonde opérette
c'est-à-dire le plus bel engin de déprava-
tion et d'abrutissement qu'on ait jamais
pu inventer.
Reposons-nous de ces choses affligeantes
et rafraîchissons-nous l'âme en causant
un peu du Màrquis de Fillemer, que l'Odéon
vient de reprendre.
C'est sous ma direction, en 1864, que le
Marquis de Villemer fut représenté à l'Odéon
avec un succès dont le souvenir est resté
dans toutes les mémoires. C'est un de mes
meilleurs et de mes plus chers souvenirs.
Le Marquis de Villemer, en effet, m'a pro-
curé l'inestimable joie de me trouver en
rapports suivis et bientôt affectueux avec
cet esprit rare et charmant, avec cette âme
exquise et douce, avec cet écrivain mer-
veilleux qui s'appelle George Sand.
Il me fallut deux ans pour obtenir le
travail qui réalisa la plus grande victoire
que l'illustre femme ait jamais remportée;
car malgré ses succès et son génie, ce
n'est jamais qu'en tremblant que Mme
Sand aborde la redoutable épreuve du
théâtre. Admirable modestie du vrai ta-
lent, noble et sainte défiance de l'artiste
profond et sincère, et que lui seul peut
éprouver !
Ces jours passés à Nohant pendant l'au-
tomne de 1863 ne s'effaceront jamais de
ma fidèle mémoire.
On déjeunait à onze heures dans la
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Mardi 16 Décembre 1873.
~— —— - — — J S * --
LI
JOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
.adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
( S» rue Drouot, 2 -
toi ",,cric: non insérés ne seront pat
ABONNEMENTS
* ; PARIS
Trois mois. 13 fr.
Six mois. 25
Un an. 50
19
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr
Six mois. 32
Un an 62
,.
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et C*
6, p!aee de la Bourse, 6
On s'abonne à Londres, chez M. A. MAURICE général
ad vertising, agent, 13, Tavistoekrow, Govent Garden.
ADMINISTRATION
Adrouer lettres et mandats à YAdminktratour
9. rue Dréuet, 9
AM mires non affranchies tarant roilw4*
A BtHi N EIINT8-
f PÀXJS
Iroia nioï3 13 fr.
Six mois 25
Un an ..,,,.,. 50
DBPARTIDGI«YI
Trois mois.».,. 16 fr.
Six mOÍs"",.",", 32
Un an 4i= 62
-
Annonc**,.chez MM. LAGRANGE, CERF et 08
0, place de la Roame, 0
On s'abonne à Londres, chez M. A. MAURIGÈ général
advertising, agent, 13, Tavistockrow. Govent Garden.
ÉLECTIONS
* * * J: -'lr;, "<
du 14 décembre 1873
RÉSULTATS CONNUS ï 2 1EUBES DU MATIN
SEINE-ET-OISE
Calmon, républicain. 37.424 voix.
Lévesque, réactionnaire. 25.056 —
Versailles a donné 3,697 voix à M. Calmon et
2,529 à M Lévêque. —Sèvres : 644 voix à M.
Calmon, 321 à M. Lévêque. — Etampes : 994 à
M. Calmon, 362 à M. Lévêque. — Mantes 547 à
M. Catmon, 495 à M. Lévêqne. - Saint-Ger-
main, 1,477 à M. Galmon, 858 il M. Lévêque.
— Peissy, 502 à M. CaimoD, 183 àM. Lévêque,
etc. - ,:;"'
iDDE
Bonnet, r¿pu))'liêcûÍl..:.. 14.997 voix.
Marbou, républicain 15.014 —
Castel, bonapartiste. 4.415 —
Peyrusse, bonapartiste 4.599 —
Perrière, monarchiste 2.533 —
Vié Anduze, monarch.. 2.451 —
, - ':: '—
Carcassonne a donné 3,200 voix aux candi-
dats républioains, 450 aux bonapartistes, 430
aux royalistes. — Narbonne : 2,300 voix aux
républicains, 500 voix aux bonapartistes, 250
aux royalistes.
FINISTERE
Svriney, républicain. 22.641 voix.
Le Guen, monarchiste. 10.694 —
Vote de Brest a ê,229 voix à M. Swiney,
875 à M. Le Guen.
L'élection des quatre candidats républi-
cains paraît assurée. -
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 45 décembre 4875.
La France attendait hier soir les
premiers résultats des quatre élections
partielles de Seine-et-Oise, du Finistère
et de l'Aude. Nous ne les connaissons pas
complètement encore au moment où
nous écrivons ; mais nous sommes assu-
rés que les candidats républicains sont
élus. Les manœuvres de nos adversaires
ont eu cette fois un caractère encore plus
grave, plus scandaleux qu'aux dernières
élections, surtout dans le département du
Finistère. Rappelons aussi que, dans
Seine-et-Oise, M. Lévêque. soutenu par la
coalition monarchiste, a tenté par tous
les moyens de se faire passer pour un ré-
publicain conservateur. Mais le paya,
parmi toutes les équivoques et toutes les
intrigues, a su apprendre à disceraer qui
aime la République et qui la perdrait.
C'est aux partisans des candidatures qu'il
connaît la valeur des candidats. Quatre
nouveaux députés républicains vont donc
porter à Versailles les vœux de la France.
Il deviendra, de jour en jour, plus diffi-
cile de les rejeter.
A l'étranger, signalons la rupture des
relations diplomatiques entie la Suisse
et le Saint-Siège. On lira la note que le
conseil fédéral a remise à Mgr Agnozzi.
D'une part, les nouvelles lois religieuses
de la Suisse, d'autre part, les écarts inju-
rieux de l'encyclique rendaient ce qui ar-
rive inévitable. Cette rupture n'en mar-
que pas moins une date importante dans
l'histoire du catholicisme romain au dix-
neuvième siècle. Tout ce que nous regret-
tons, c'est que le gouvernement fédéral, quoi
qu'il en dise, ait fait prévaloir en matière
de culte des principes contraires au véri-
table esprit de liberté ; ce n'est pas de la
libre Amérique, c'est de l'Allemagne au-
toritaire que la Suisse en ces derniers
temps s'est inspirée : ne faisons point
entre la liberté religieuse et des réglementa-
tions simplement anti-catholiques de con-
fusion regrettable. Mais le premier auteur
du mal est l'ultramontanisme, et c'est
quelque chose" de lui voir insensiblemeat
perdre dans le monde son vieux prestige
et son autorité.
--'-,--' '- E. L.
* —
On sait que le gouvernement est en
mal d'une loi sur la presse qui lui per-
mette de lever l'état de siège qui pèse
sur trente-deux départements, en l'éten-
dant, sous une autre forme, à toute
la France. C'est toujours la mise
en pratique des théories libérales dé-
fendues par les monarchistes on dis-
ponibilité sous le régimo de 1852 En ce
temps-là ils faisaient chorus avec les
républicains pour demander « la liberté
comme en Autriche »; bientôt, pour peu
que cela continue, ils nous obligeront à
demander la liberté comme sous l'em-
pire.
En attendant cette fameuse loi sur la
pressa, que le chambellan de M.- le due
de Broglie, M. Baragnon, est en train
d'élaborer, quelques membres de la
droite, jaloux de témoigner de leurs
bonnes dispositions. à l'endroit de la
liberté de penser et d'écrire, ont imagi-
né d'introduire l'amendement suivant
au projet do. budget de 1874, chapitre
de l'enregistrement du timbre :
Art. l'r Le décret du 5 septembre 1870 con-
cernant l'impôt du timbre sur les journaux et
écrits périodiques politiques est rapporté.
Art. 2. Le décret du 16 octobre 1870 con-
cernant le transport des journaux et écrits pé-
riodiques politiques est rapporté.
Trois mots suffisant à traduire ces
deux articles : Silence aux pauvres ! Dé-
sormais, nul ne pourra fonder un jour-
nal s'il n'est assez riche pour y consa-
crer un gros capital, ou s'il ne vent
point consentir à se faire le très-humble
et très-obéissant serviteur de quelque
gros bonnet de la finance, tourmenté
de l'ambition politique.
Le décret du 5 septembre 1870 por-
tait abolition du timbre de 6 centimes,
et plus tard de 5 centimes, dont les jour-
naux étaient frappés sous l'empire. Le
décret du 16 octobre de la même année
avait autorisé le transport des journaux
par ballots et par chemins de fer, tan-
dis que sous l'empire ils devaient être
expédiés isolément et par la poste.
Rappelons, à la vérité, qu'une loi de
1872 a frappé tous les papiers en géné-
ral d'un impôt de 10 pour cent, et, en
particulier, d'un droit de 20 pour cent
les papiers à journaux. Il fallait payer les
frais de la guerre ; et la presse, ramenée
ainsi, ou peu s'en faut, à la situation où
elle se trouvait avant les décrets du
4 septembre et du 16 octobre 1870, ne
fit pas entendre une plainte.
Mais voilà qu'on ne tient plus compte
de la loi de 1872, et qu'en outre des 30
pour cent d'impôt que paient les jour-
naux, on prétend leur imposer un tim-
bre et les obliger à des frais de trans-
port ruineux ! Sans compter la loi Ba-
ragnon, qui, on peut y compter, sèmera
notre chemin de quelques casse-cou !
C'est ainsi qu'en 1873, les libéraux
de 1852 à 1870 entendent la première
de toutes les libertés, la liberté de penser
et d'écrire.
L'Union d'hier soir rappelait quau
quinzième siècle, « quelques serfs de
Catalogne, venus en France pour y cher-
cher un asile, ayant été redemandés par
leurs seigneurs, le Parlement de Tou-
louse déclara que tout homme qui en-
trait dans le royaume en criant France !
devenait libre. » Nous avons fait de
réels progrès depuis trois siècles; pour
devenir libre, en l'an d<3 grâce 1873
sous le gouvernement des doctrinaires,
il ne faut point venir en France, il faut
en.sortir et aller en Autriche, où l'empe-
reur se félicitait tout récemment d'avoir
donné à la presse tous les droits et
toutes les franchises.
E. SCHNERB.
- —
La gauche républicaine s'est réunie hier
sous la présidence de M. Jules Simon;
und souscription a été ouverte parmi ses
membres pour l'érection d'un monument
commémoratif de la défense de Belfort.
La réunion, a longuement délibéré sur
les projets de loi relatifs à la nomination
des maires et à la police municipale, aux
réélections partielles, enfin sur le budget
des dépenses et des recettes.
, ,,
On a bien abusé de la fable d'Epimé-
nide. Supposez cependant que cet hom-
me pieux se fût endormi dans Versail-
les en avril ou mai 1871 et s'y réveillât
aujourd'hui : pourrait-il croire que la
même Assemblée y siége encore? ne
penserait-il pas que la France, au con-
traire, en un jour de panique et de réac-
tion furieuse, a changé ses législateurs?
Il n'était question, dans ces temps
lointains, que de panser les plaies du
pays, qui souffrait, en effet, d'horribles
blessures : quarante départements à la
merci de l'étranger, la Commune à Paris,
le reste de la France enproie aux dissen-
sions civiles, à tous les affolements de
la misère. Si les maux étaient grands,
l'Assemblée déclarait alors que la liberté
serait le remède. Accusée par les chefs
de l'insurrection' parisienne de vouloir
attenter aux droits de la nation, de con-
spirer le retour de la monarchie, elle s'en
défendait avec de vifs accents d'indigna-
tion. Le chef du gouvernement qu'elle
avait élu saluait -en elle « la plus libé-
rale des Assemblées françaises » ; elle se
parait de ce beau titre, et nous voulons
croire qu'elle aspirait sincèrement à le
mériter.
Arrivons cependant à l'hiver de 1873;
que se passe-t-il?
A l'amour de la liberté, la majorité
parlementaire a substitué le culte de la
dictature. Les Prussiens sont payés,
partis ; la Commune est vaincue," ceux
qui l'ont servie sont, depuis deux ans et
plus, prisonniers ou morts; tout est
rentré dans l'ordre : et Versailles, pour-
tant, ne retentit que de menaces et d'ana-
thèmes contre la liberté ; nous y voyons
fonder des gouvernements de combat
quand il ne reste plus de factions à com-
battre.
L'Assemblée présidée - par M. Buffet
est-elle bien la même qui se donnait
pour président, en 1871, M. Grévy?
Ce n'est pas seulement la République,
ce sont les libertés élémentaires et né-
cessaires qu'on parle aujourd'hui d'im-
moler. Le ministère issu de la majorité
fait campagne à la fois contre la liberté
électorale, contre la liberté municipale,
contre la liberté de la presse, et se vante
de l'approbation du Parlement. Quand
on se souvient du passé, le présent sem-
- ble inexplicable.
Le suffrage universel. On avait juré
de le respecter en 1871, et le plus grand
nombre des députés qui forment à pré-
sent la majorité de la Chambre, candi-
dats de l'opposition avant 1870, s'en
étaient faits alors les défenseurs, les ser-
viteurs, nous dirions presque les flat-
teurs. Comment donc en est-on venu
aux utopies aristocratiques et féodales
que la commission des Trente accueille
avec tant de faveur ? Et ce n'est pas tout.
On nous laisse entendre que les grands
projets qu'on prépare contre les munici-
palités et contre la presse rendront à peu
près vain l'usage de ce qui restera de
droits électoraux.
Les franchises municipales ! Au mois
de mai 1870, toute la France a lu ce
qui suit dans un programme resté célè-
bre de la « Ligue de décentralisation » :
Nous poursuivons l'émancipation de la-com-
mune et du département, le libre déve!oppe-
ment des initiatives et des responsabilités loca-
les, par l'aîtion du suffrage universel et sous
son contrôle.
Il ne suffit pas, en effet, de constater les con-
ditions nouvelles de la société moderne, de re-
connaître et déproclaoae-r l'avènement de la
démocratie; il faut étendre et faciliter son ac-
tion en la faisant intervenir à tous les degrés de
la vie publique.
C'est en appelant tous les citoyens à se pro-
noncer sur leurs intérêts locaux, aussi bien que
sur leurs intérêts généraux, que l'on donnera
une portée pratique au principe de l'égalité po-
litique. C'est en fournissant au suffrage univer-
sel l'occasion de s'exercer fréquemment et li-
brement qu'on lui permettra de se régulariser
lui-même. C'est par là fcnfin que l'on arriverai
la séparation si désirable de l'Etat, du départe-
ment et de la commune, de la politique et de
l'administration.
Les noms des signataires ? MM. Anis-
son-Duperron, d'Aboville, d'Abbadie de
Barrau, d'Audiffret-Pasquier, Beau, de
Bondy, Baragnon, le duc Decazes, Dela-
cour, de Goulard, de Gontaut-Biron,
d'Haussonville, de Juigné, Lacave-La-
plagne, Lambert Sainte-Croix, de Larcy,
les deux Lefèvre-Poatalis, Louis Passy,
Mathieu de la Redorte, Louis de Ségur,
de Tréveneuc, Vingtain, etc., — presque
tous des leaders de la majorité présente;
quelques-uns sont, ministres ou l'ont été,
tous aspirent à l'être.
S'étaient-ils démentis en 1871? Pas
encore ; nous leur avons dû cette an-née"
là une loi qui, malgré des imperfections,
était bonne, et qu'ils ne trouvaient ni
suffisamment libérale, ni assez décen-
tralisatrice. Cependant , l'insurrection
communaliste grondait encore. Comment
ces mêmes députés se trouvent-ils dis-
posés, en 1873, à confier au pouvoir exé-
cutif, qui le réclame, le choix de tous les
maires, des maires qui seront nommés
au besoin hors des conseils et contre
les conseils, et qui, de représentants de
la commune, deviendront les agents pas-
sifs et surveillés du ministère?
Liberté de la presse enfin. Sans re-
monter plus haut, rappelons seulement
qu'en avril 1871 le rapporteur d'une loi
qui déférait les délits de presse au jury,
M. le duc de Broglie, écrivait ces li-
gnes : « C'est de l'opinion surtout que la
» presse est vraiment justiciable, et le
jury, pris dans la masse des citoyens,
» est l'organe naturel de cette opinion
» commune. » Dans la discussion, le 15
avril, il terminait ainsi un grand dis-
cours aux applaudissements de la majo-
rité :
Il y a quelque mérite à cette Assemblée,qu'on
appelle si facilament réactionnaire, peut-être
parce qu'elle déteste les dictatures de tous les
genres, il y a quelque mérite à elle à répondre
par une loi de liberté aux violentes passions qui
s'agitent jusqu'à ses portes.
Je me trompe, messieurs, elle n'a pas tant de
mérite qu'elle en a l'air, elle a seulement un
peu de mémoire ; elle sait ce que valent ces
artifices, ces remèdes factices de compression
matérielle qu'on lui propose; elle sait ce qu'ils
valent, ce qu'ils coûtent et ce qu'ils produi-
sent. -
Elle a assisté à leur déploiement sans mesure
et à leur empire sans frein. Elle peut juger si,
pendant vingt ans qu'ils ont prévalu, ces remè-
des ont arrêté les maux de la société, ou si ces
maux, un instant disparus de la surface, n'ont
fait, au contraire, que grandir dans l'ombre et
circuler plus avant encore dans toutes les vei-
nes du corps social.
Elle sait ce qu'il faut penser de cette méfiance
mal dissimulée contre le jury et toutes les ins-
titutions libérales, de ces appels faits, contre le
désordre des idées et des mœurs, à une justice
soi-disant inflexible, et qui ne serait qu'une
fprme déguisée de la compression; elle ne veut
plus rentrer dans cette voie, elle ne veut
plus du poison assoupissant de la dictature; elle
veut les remèdes douloureux, mais vigoureux et
virils, de la liberté l
Le même duo de Broglie aujourd nui,
- toujours aux applaudissements de la
même majorité, — supprime les journaux
ou les expulse dé la voie publique, selon
que le département où ils paraissent est
administré par un commandant d'état de
siège ou par un préfet. Il annonce contre
la presse une loi qui fera pâlir les dé-
crets mêmes de 1852. Quelques députés
de la majorité trouvent que c'est peu; ils
proposent de rétablir l'ancien impôt du
timbre, qui, joint à la taxe sur le papier (1)
votée en 1872, rendrait superflus les au-
tres procédés de confiscation.
Des premiers mois de 1871 aux der-
niers mois de 1873, voilà le chemin par-
couru. Et que n'ajouterions-nous pas si
nous voulions compléter le tableau !
L'historien et le moraliste trouveront
sans doute plus tard un intéressant sujet
d'étude dans l'examen de ces déviations
de l'Assemblée et de leurs causes. A
certain moment, sans mesurer aucun
obstacle et sans tenir compte des impos-
sibilités, elle a désiré rétablir, contre le
vœu manifeste de la nation, un gouver-
nement monarchique; elle a échoué. De
.là son dépit, de là sa colère. Le peuple
veut la République ; elle s'en prend à
lui, c'est lui qu'elle veut châtier. Elle ne
pardonne point aux républicains les ma-
nifestes de M. le comte de Chambord.
Mais ceci est de la philosophie ou de
la psychologie, comme on voudra. Nous
faisons actuellement de la politique.
C'est pourquoi nous sommes affligés,
quelquefois alarmés. Si la majorité par-
lementaire et le gouvernement veulent
persévérer dans cette voie, que croient-
ils devenir? Quel est leur dessein? IL ne
suffit pas de penser à la République avec
rage, à la monarchie avec désespoir. Il
faut prendre un parti et marcher vers
l'une ou vers l'autre.
A quoi s'applique-t-on cependant ?
Comme régime provisoire, on nous rend
l'empire avec d'autres hommes et sous un
autre nom. Les moyens de gouvernement
que l'on avait jugés et condamnés, de
(1) 30 pour 100. 1
1851 à 1870, sont les seuls dont on pré-
tende se servir; on les copie, on les
aggrave ; seulement, au sommet, le
pays trouve un ministère de ducs au
lieu de a l'homme de Sedan. « Quelle
morale est-ce là ? et surtout quelle po-
litique ? Où va-t-on ? Les parlementai-
res de 1873 se sont-ils promis de rendre
odieux à la France la gouvernement
des Assemblées ? Si tel est leur but,
nous constatons chaque jour avec cha-
grin qu'ils @ en approchent. Mais quel
bien en espèrent-ils ? C'est ce que nous
n'apercevons pas.
EUG. LitBzRT.
: « ——————————
P AUVBE JEUNE HOMME !
X
N'admirez-vous pas la tendre sollici-
tude de M. Baragnon pour les institu-
teurs ?
Une société se forme dans un départe-
ment pour fonder des bibliothèques pu-
bliques. Il est bien entendu que les livres
dont on les emplira seront prêtés, non
point aux enfants, qui auront, eux, une
bibliothèque particulière à leur usage,
mais aux hommes faits, aux citoyens de
la commune.
Tous les ouvrages ne sont pas évidem- ,
ment bons à être mis entre les mains
même d'un homme de trente ans ; mais
enfin on peut admettre, n'est-ce pas ?
qu'à cet âge-là on est capable de porter
bien des vérités et de distinguer bien
des erreurs.
— Assurément, s'écrie M. Baragnon ;
mais c'est l'instituteur qui est générale-
ment chargé du soin de la bibliothèque.
Et ce pauvre jeune homme, ne faut-il
pas veiller sur l'intégrité de ses mœurs ?
Ah ! je pourrais, messieurs, vous citer
bien des passages qui seraient mille fois
plus dangereux pour le cœur du jeune
instituteur que pour l'enfant, qui ne les
comprendrait pas.
Et si vous saviez quels sont les livres
dont M. Baragaon prétend garder, avec
un soin jaloux, le cœur des jeunes et
innocents lévites de l'instruction !
Et d'abord : la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen.
Serait-il convenable en effet que ces
jeunes gens pussent se douter que le
citoyen français a des droits et que ces
droits ont été, reconnus ? Cette connais-
sance est impie et perverse, elle souille-
rait la robe de candeur dont l'Ecole nor-
male les a revêtus.
Il y a encore un livre qui inspire une
terreur bien justifiée à M. Baragnon.
C'est une Vie de Jean-Jacques Rousseau.
Le jeune instituteur, s'il lisait jamais cet
ouvrage abominable, y apprendrait que
Rousseau a vécu maritalement avec une
femme, qui était sa maîtresse, et qu'il
en a même eu des enfants, qu'il a eu 'le
tort dè ne pas élever lui-même.
Quels ne seraient pas l'étonnement et
l'effroi de cette âme encore vierge quand
des horreurs qui lui sont si nouvelles se
découvriraient tout à coup à ses yeux
surpris ! Pauvre jeune homme 1 il appren-
drait donc qu'il y a d'affreux débauchés
qui séduisent une femme et vivent avec
elle sans avoir passé par la mairie ni par
l'église l
M. Baragnon ne saurait supporter cette
idée I il veut préserver les populations,
dont il a la garde, de.ces images obscè-
nes, et il supprime les livres où se trou-
vent des infamies si prodigieuses !
Et ce qu'il y a de plus étrange en -
FEUILLETON D-U XIX" SIÈ, CLE
CAUSERIE
DRAMATIQUE
THÉÂTRE DE LIOPÉf\A-COMIQUE : MaUre fVol{ram,
opéra-comique, en 1 acte, paroles de Méry,
musique d'Ernest Reyer. (Reprise.)
THÉÂTRE DE L'ODÉON I Le Marquis de Villemer,
comédie en 4 actes de George Sand. (Reprise.)
THÉATRE DES MENUS-PLAISIRS Î La Liqueur d'or,
opéra-comique, en 3 actes, paroles de MM. W il-
liam Busnach et Liorat, musique de M. Laurent
de Rilléê
La reprise àe-Maitre Wolfram à l'Opéra-
Comique a été très-brillante. Représenté
en 1854 au Théâtre-Lyrique, ce charmant
ouvrage fut le début d'Ernest Reyer, et ce
début fut un succès. Ce petit drame ro-
mantique, plein d'une mélancolie rêveuse,
se prêtait admirablement au tempérament
du compositeur. Aussi jamais la musique
ne s'est mieux incorporée à son poème
que celle d'Ernest Reyer, à cette histoire
touchante d'un amour timide et méconnu.
Reyer n'est pas un compositeur de sur-
lace; il va au fond des choses et cherche
bien plus à traduire la partie idéale et in-
time des sentiments que leurs manifesta-
tions extérieures. Il sent avant de traduire
et pense avant de chanter. Il se complaît
dans les régions profondes de la passion,
en trouve les accents en lui-même, etvous
touche, et vous pénètre, parce qu'il est lui-
même pénétré et convaincu. Il a horreur
du lieu commun et du vulgaire: sa mu-
sique est élégante, distinguée, poétique.
Son âme a été bien dressée, ou plutôt re-
dressée; elle a bénéficié d'un contact heu-
rt ux: Reyer a quelque peu vécu — il me
souvient encore de ces longues causeries
- dans l'intimité d'un charmant esprit;
Reyer a connu Théophile Gautier !
Le public a fait bisser la délicieuse ro-
mance que Mlle Chapuy, Hélène, chante
avec beaucoup de sentiment, ainsi que la
belle mélodie de Wolfram, dite avec infi-
niment de goût par Bouhy : le motif du
début, repris avec ampleur dans le finale, a
été couvert d'applaudissements.Ea somme,
excellente soirée pour tout le monde.
L'opérette veut nous en faire accroire :
elle se baptise effrontément du nom d'opé-
ra-comique et vous prend à la porte des
airs pudiques et des façons de sainte-n'y-
touche ; mais entrez, messieurs et mesda-
mes, et voyez-la sur ses tréteaux, le nez
en l'air, la gorge au vent, la jupe retrous-
sée et montrant ses mollets ; n'apercevez-
vous pas que tout aussitôt le poing Ee
place de lui-même sur la hanche, que la
jambe se lève, avec ses grâces coutumières,
que les trémoussements de corps se font
dans les mouvements consacrés et que
vous retrouvez tous ces dodelinements de
tête, ces clins d'yeux, CFS petits airs fri-
ponneaux, toutes ces réticences traîtresses,
et ces artifices malins du débit qui « vous
acheminent à penser plus qu'il n'en y a ? »
Opérette, ma mie, nous vous connaissons
bien, c'est vous, ma gaillarde, bien vous
et nul n'aura l'idée de vous chanter :
Eh î non, non, non,
Vous n'êtes plus Lisette;
Eh ! non, non, non,
Vous n'êtes plus Lison !
Vous êtes Lisette et Lison, toujours, ma
chère, et Goton, et Margot, et plus ou pire
encore.
Ge n'est pourtant pas le procès de la Li-
queur d'or que je veux entreprendre : ili
n'y aurait point justice, et l'on doit même
savoir gré aux auteurs d'avoir su marcher
si dextrement sur les œufs du scabreux et
du leste sans en casser davantage.
Tant il est vrai que tout est dans la ma-
nière de s'y prendre. Et puis ce qui cho-
querait en certains lieux ne choqua pas
en d'autres. Il est des choses que certaines
bouches peuvent dire, quand d'autres ne
le peuvent point.
Je suis familier d'un logis où l'on
reçoit souvent et nombreuse compagnie.Le
couple, jeune encore, qui vit sous ce toit
fortuné, y exerce l'hospitalité la plus cour-
toise. Monsieur est plein de rondeur, ma-
dame aimable et tolérante dans une juste
mesure. Comme toutes les femmes, elle
ne détesle pas l'anecdote aventureuse,
pourvu qu'elle soit contée avec tact etdélica-
tesse. Un jour que notre ami X. venait de
dire avec une adresse rare certaine his-
toire qui faisait vaguement rêver de Mme
Saqui courant sans balancier à trente mètres
de hauteur sur la corde roide, un autre
convive, entraîné par l'exemple, voulut à
son tour essayer l'entreprise. Le maître de
la maison l'arrêta tout net :
— Halte-là! lui dit-il, X. a seul ici le
privilège de racon!er ces choses-là; je lui
en ai concédé le monopole, parce qu'avec
lui je suis tranquille, je sais qu'il se tirera
toujours d'affaire. La feuille de vigne
pousse naturellement sur ses lèvres ; mais
vous autres, vous me faites trembler :
avec vous on ne sait jamais où l'on va, et
Dieu sait où l'on arrive !
Ce n'est pas à notre ami X. que je
comparerai Mlle Silly : elll n'a pu s'im-
planter ni aux Variétés, ni au Palais-Royal,
ni même aux Bouffes-Parisiens. Elle mé-
riterait qu'on ne lui passât rien, car elle
ne fait rien passer ; mais il ne faut pas lui
en vouloir : sa nature est comme ça.
Il y a la canaillerie, — qu'on me par-
donne le mot, — il y a la canaillerie spiri-
tuelle et fine des Schneider, la canaillerie
gracieuse, innocente etmignarde des Judic,
la canaillerie rustaude, primesautière et
artiste des Thérésa; et puis il y en a, tout
en bas, une autre, effrontée, gutturale et
traînarde, qui sent le caboulot de la place
Maubert et l'éventaire du faubourg Saint-
Marceau. C'est ce que j'appellerai propre-
ment la canaillerie canaille. Pour celle-là,
toute licence est redoutable, car elle cons-
titue à elle seule un danger, et par-dessus
le marché une chose fort déplaisante.
Mlle Silly a des formes admirables, elle
est visiblement intelligente; pourquoi se
laisse-t-elle aller sur la pente d'un si ter-
rible abandon?
Mais, je l'ai dit, elle est comme ça, c'est
à prendre ou à laisser. Je serais désolé de
manquer d'égards envers une femme qui
possède plastiquement des mérites mani-
festes et envers une- artiste qui n'est pas
sans talent; mais puisque l'alternative est
posée, je déclare que, pour mon compte
particulier, je ne prends pas ; je laisse.
Le sujet de la Liqueur d'or prête singu-
lièrement aux aventures. Un Balthasar
Claës au petit pied, citoyen de Dordrecht,
où nous sommes, a inventé la liqueur d'or,
et grâce à la liqueur d'or, voilà. comment
dirai-je ? voilà, non pas le mariage, mais
tout ce qui s'en suit, — pour parler comme
Armande dans les Femmes savantes,
— naturellement supprimé. Qu'une jeune
personne 4vierge et nubile avale une
cuillerée du breuvage, et crac ! voilà qu'au
bout de trois jours elle met au monde un
petit Hollandais parfaitement conditionné.
On voit d'ici tout ce qui peut sortir de pa-
reilles prémisses : le désir de l'inventeur
d'expérimenter sa découverte, les quipro-
quo, les erreurs, les dangerF, pour les per-
sonnes altérées, de boire inconsidérément
le contenu de certaine fiole oubliée sur un
dressoir, et toutes les fariboles accessoires
que l'esprit inventif des auteurs a su
grouper autour de ces données fécondes.
Les gaudrioles grouillent là-dedans à
foison; mais elles ne m'ont pas fait pren-
dre la mouche, et l'assistance m'a paru s'en
réjouir fort. Qui dit gaudriole d'ailleurs ne
dit pas gravelure, et je confesse que la
Liqueur d'or, parmi toutes les exhibitions
du genre, est certainement une des plus
accepîab'es. Le succès en a été complet
C'est égal, quoi qu'on en dise, la généra-
lisation de ee genre risqué, cette chasse
universelle à l'équivoque grivoise allant
parfois jusqu'à l'obscénité, cette préoccu-
pation exclusive de la bagatelle, cette in-
conscience de l'indécent et du déshonLête,
sont bel et bien des preuves irréfutables
de la décadence de notre théâtre, et l'on
peu dire aussi de nos mœurs. Malheureu-
sement les divers gouvernements tous
lesquels nous avons eu le bonheur de vi-
vre ont tous témoigné de la plus parfaite
indifférence à l'endroit de cette source de
dépravation publique.
Avec l'habileté de main et les ressour-
ces d'un langage parvenu à son complet
développement en plus, nous revenons aux
anciens tréteaux, dont les farces outrageu-
sement licencieuses éloignaient déjà les
bourgeois de la Renaissance. Le populaire
d'alors est émancipé aujourd'hui ; mais
qu'il se chausse aux Docks de la cordon-
nerie -ou chez un chausseur en renom ;
qu'il montre ses mains sales ou se gante
chez Bertin ; qu'il se mette à la bouton-
nière le vulgaire œillet rouge ou le pré-
tentieux gardenia, c'est le même qui ap-
plaudissait et rigolait, — le mot est d'é-
poque, - aux farces obscènes de ces
sociétés d'acteurs nomades, que Boileau
appelle sérieusement «de joyaux pèlerias, »
aux parades grossières de la foire St
Laurent ou aux propos incongrus de Ta-
barin.
En somme, la censure dramatique, tou-
jours extrêmement tracassière pour tout ce
qui touche à la critique des mœurs, c'est-
à-dire à la véritable comédie, a toujours
été en revanche d'une tolérance incom-
mensurable pour tout ce qui touche à l'in.
décence et à l'immoralité ; de là les pri-
viléges scandaleux et illimités de l'o-
pérette.
C'est donc particulièrement à la pi éten-
due protection dont le gouvernement est
censé couvrir la morale publique que nous
devons d'une part l'impossibilité d écrire
librement une comédie de mœurs, c'est-à-
dire le déclin et la mort de la comédie
même; et de l'autre,. la pleine et luxu-
riante floraison de l'immonde opérette
c'est-à-dire le plus bel engin de déprava-
tion et d'abrutissement qu'on ait jamais
pu inventer.
Reposons-nous de ces choses affligeantes
et rafraîchissons-nous l'âme en causant
un peu du Màrquis de Fillemer, que l'Odéon
vient de reprendre.
C'est sous ma direction, en 1864, que le
Marquis de Villemer fut représenté à l'Odéon
avec un succès dont le souvenir est resté
dans toutes les mémoires. C'est un de mes
meilleurs et de mes plus chers souvenirs.
Le Marquis de Villemer, en effet, m'a pro-
curé l'inestimable joie de me trouver en
rapports suivis et bientôt affectueux avec
cet esprit rare et charmant, avec cette âme
exquise et douce, avec cet écrivain mer-
veilleux qui s'appelle George Sand.
Il me fallut deux ans pour obtenir le
travail qui réalisa la plus grande victoire
que l'illustre femme ait jamais remportée;
car malgré ses succès et son génie, ce
n'est jamais qu'en tremblant que Mme
Sand aborde la redoutable épreuve du
théâtre. Admirable modestie du vrai ta-
lent, noble et sainte défiance de l'artiste
profond et sincère, et que lui seul peut
éprouver !
Ces jours passés à Nohant pendant l'au-
tomne de 1863 ne s'effaceront jamais de
ma fidèle mémoire.
On déjeunait à onze heures dans la
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.95%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.95%.
- Auteurs similaires Catholicisme Catholicisme /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=dc.subject adj "Catholicisme"vies de Jésus et vies des saints vies de Jésus et vies des saints /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=dc.subject adj "vies de Jésus et vies des saints"
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7558119x/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7558119x/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7558119x/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7558119x/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7558119x
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7558119x
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7558119x/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest