Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-11-11
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 11 novembre 1873 11 novembre 1873
Description : 1873/11/11 (A3,N726). 1873/11/11 (A3,N726).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75580845
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/03/2013
3# Année. — N° 726
Paix Du Numébo ; Fiais 15 Centimes — DémxsviBixs 20 CsaKMfcâ.
Mardi il Novembre f873.j
JOURNAL RÉPUBLICAIN ÇONSERWEUR
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JOURNÉE POLITIQUE
Parit, 10 novembre 1873.
, A peu près mêmes nouvelles aujourd'hui
qujhier. Nous trouvons cependant dans les
dépêches officieuses de l'Agence Havas une
information assez grave et que, jusqu'à
plus ample informé, nous ne saurions te-
nir pour exacte. D'un commun accordaves
le gouvernement, les signataires de l'in-
terpellation du centre gauche sur les re-
tàrds apportés aux élections partielles
auraient consenti à l'ajournement du dé-
bat qui devait avoir lieu jeudi. Quelles
raisons auraient pu les décider à cet ajour-
nement incompréhensible? On n'en trouve
aucune. M. de Broglie aurait dit, à la vé-
rité, que son gouvernement est dèveou
si faible qu'on n'y saurait toueher sans le
mettre par terre; vérité qui semble évi-
dente, mais qui n'est pas faite toutefois
pour exciter chez les députés républicains
de grands mouvements de compassion.
Demain, sans doute, nous serons mieux
instruits. Quant à la crise ministérielle,
l'Agence Havas ne fait guère que confir-
mer les renseignements que nous donnions
hier. Le maréchal de Mae-Mahon aurait
décidé de n'accepter la démission du ca-
binet qu'après le vote sur le projet de pro-.
rogation; il prendrait alors ses nouveaux
ministres dans la majorité qui se sera
formée.
La commission de prorogation n'a été
complétée que samedi soir; elle n'a pu
s'occuper encore que de l'élection de son
président, et voici déjà qu'elle est en butte
aux attaques des journaux fusiônnistes
çm, comme ou dit maintenant, mac-
piahonnistss, qui lui râproehont ses
lenteurs. Les mêmes feuilles qui applau-
dissaient naguère aux a chinoiseries » de la
commission des trente, qui a tenu sur la
sellette deux mois durant le gouvernement
de M. Thiers, s'indignent à la seule pen-
sée que la commission de prorogation
donne quelques jours à l'examen du pro-
jet Changarnier. Encore un complot,
disent-ils," des radicaux du centre gauche!
La Gazette de France a trouvé là une
source de plaisautûries, plus amères que
légères, qui ne tarit point : « On s'est ré-
parti les rôles: deux membres de la ma-
jorité de cette commisbion sont résolu-
ment opposés à toute prorogation des pou-
voirs du maréchal; les six autres l'admet-
tent en principe; mais chacun a ua sys-
tème particulier à faire prévaloir : le ma-
réchal doit-il être nommé pour dix ans,
pour neuf ans et demi, pour sept ans neuf
mois et quinze jours, ou seulement pour
six ans quatre mois et trois heures?. Ce
n'est pas tout: quand cette question des
années, des mois, des semaines, des jours
jet des heures sera traochéa, on discutera
sans doute aussi bien d'autres détails ; on
laisse entendre que l'uniforme môme du
maréchal ne doit pas être abandonné à.
l'arbitraire, etc., etc. »
Voilà de l'esprit, assurément, biea plac,
mais un pt u vieillot. D'autres feuillet, qui
ont moins de littérature, emploient tous
leurs efforts à conquérir M. Wqlow.ki,
le huitième commissaire de l'opposition ;
elles efi font le siège, et jamais forteresse
n'a eu à subir tant d'assauts. Dès samedi,
au sein de la commission, les supt élus de
la droite et du centre droit avaient tente,
par une manœuvre habile, de porter un
terrible coup à l'honorable membre du
centre gauche; ils ont voulu le compro-
mettre en le faisant, bien malgré lui. cau-
didat à la présidence en opposition à M.
Ch. de Récusai. ils lui ont donné leurs
Sept voix et les ont perdues. Leurs jour-
naux ont recours aujourd'hui à unë tac-
tique â peu près pareille. Ils ne jurent que
par M. Wolowiki, le seul homme politi-
que, le seul homme indépendant, le seul
homme de sens qu'il y ait dans la com-
mission; ils dirigent sur lui le feu bien
nourri de leurs éloges. Ils vantent à l'envi
surtout sa haute probité. pour lui faire
commettre un acte malhonnête. — Vous
êtes, lui disent-ils, un si galant homme
que nous vous croyons très-capable, pour
l'amour de nous, pour le bon mOtif, d'une
petite trahison. Quais sentiments doivent
inspirer à M. Wolowski ces aimables fa-
çons de le circonvenir I
Vous pensiez que M. le comte de Cham-
bord avait enterré son parti ? Eh bien,
pas du tout 1 L'Union appreud avec bon-
heur que ce parti ressuscite et qu'il fait cir-
culer de tous côtés des adresses deman-
dant le rétablissement immédiat de la
monarchie. C'est ce qu'on appelle un vaste
pétionnement; sans* doute il est tardif,
mais qu'il est vaste ! Paris brûle pour son
roi. De Marseille, l'Union reçoit dépêches
sur dépêches ; celle ci, par exemple :
.« Mouvement considérable pour pétition
» monarchique. Provic ce compte sur éner-
» gie de Paris. »
Et encore cette autre :
» Comités des départements du Midi
» remercient Union. Monarchie eu disso-
a lution. »
De toute la France il en vient aussi, et
qui ne sont pas moins pressantes. Monar-
chie ou dissolution ! La conclusion ne
nous déplaît pas, et ces légitimistes rai-
sonnent juste. Ils pétitionnent à l'Assem-
blée pour le retour du roi avec son dra-
peau, son principe, ses fleurs de lys, ses
livrées, ses grands carrosses de chez Bin-
der, en un mot tout ce que la France ré-
clame avec tant de passion. Mais l'Assem-
blée refusera, l'Assemblée n'est plus roya-
liste. Qu'importa, si la France l'est tou-
jours, comme toutes ces pétitions la prou-
vent? Laissez la parole à la France! Donc
monarchie ou dissolution. Oui, certes, et
de bien bon cœur.
EUG. Liébert.
* ————————
RÉUNION
*
DE - ,
LA GAUCHE RÉPUBLICAINE
La gauche républicaine, sous la prési-
dence deM.Leroyer, a tenu hier une séance
à Paris.
La réunion s'est d'abord occupée de l'in-
terpellation de jeudi, qui, d'après certains
bruits, aurait été retirée par M. Léon Say
à la prière de M. de Broglie.
Après une longue délibération, la réunion
a pris la résolution suivante:
« Le centre gauche sera prié de mainte-
» nir les interpellations dépotées par M.
» Léon Say et de ne pas consentir à leur
» ajournement. »
La discussion sur le projet d'appel au
peuple est renvoyée à une prochaine
sêanee.
Les amendements et contre-projets à la
proposition Changarn £ er dh cutés en séance
seront examinés d'ici à demain par une
commission de 5 membres : MM. Jules
Simon, de Pressensé, Jules Ferry, Albert
Grévy et Jozon.
Cette commission fera un rapport sur les
projets avant de les déposer à la commis-
sion présidée par M. de Rémusat.
La gauche républicaine tiendra une
séance demain à 1 heure à Versailles dans
son local de l'hôtel de France.
Toujours des menaces! Voici ce qu'en lit
dans le Français 1
L'Assemblée, répondant en ce point au senti-
ment de l'ooinion, ne laissera pas la gauche
poursuivre sa manœuvre. La majorité réelle du
parlement ne peut être tenue en écheo par unè
de ses commissions et livrée à sa merci. Il doit
y avoir des moyens de faire prévaloir la volonté
de la majorité : ces moyens, on les trouvera.
Sans être bien curieux, RGtiS donnerions
quelque chose pour connaître quels
moyens légaux pourrait employer une As-
semblée pour obliger une commission à
travailler plus ou moins rapidement.
1 fr- —- ■ j
M. CASIMIR PÉRIER
L'ancien, peut-être aussi le prochain
ministre de l'intérieur, vient d'exprimer
publiquement, son avis sur l'une des
questions les plus délicates et les plus
graves de la politique actuelle. C'est à
propos de la candidature du général
Saussier dans le département de l'Aube.
M. Saussier, qui siégera bientôt au cen-
tre gauche, est présenté aux électeurs de
l'Aube par tous les comités républicains,
mais principalement par M. Casimir Pé-
rier et par ses amis. Nous avons donné
son programme, qui nous a paru
net et très-satisfaisant. Ua groupe d'élec-
teurs, cependant, a cru devoir demander
au général qui est maintenant en Algé-
rie, s'il était partisan de la dissolution?
— Oui, a-t-il répondu par une pre-
mière dépêche. — C'est alors que M.
Casimir Périer a c?ù devoir intervenir, au
nom du candidat absent, pour expliquer
dans quel sens devait être entendu ce
oui. Il a écrit d'abord au journal Y Aube :
Quant à la dissolution, je suis en droit d'af-
firmer que le général pense comme moi qu'une
dissolution prematurée, c'est à-dire avant l'or-
ganifation d'un gouvernement, n'est point dé-
sirabte, et ne serait rendue inévitable que par
l'itu puissance où serait l'Assemblée nationale
de faire cesser le provisoire.
Et le surlendemain, comme la Ga-
ettt de France avait pris texte de cette
déclaration pour se livrer à de malveil-
lants commentaires, M. Casimir Périer a
ainsi rétabli les faits dans une lettre
adressée à M. Janicot :
Le général Saussier, interrogé par un groupe
d'électeurs, a répendu laconiquement par un
télégramme qui a été faussement interprété ; on
a essayé de le représenter comme un partisan
de la dissolution immédiate de l'Assemblée na-
tionale.
J'ai écrit au général, et, sans attendre sa re-
pense, ne voulant souffrir aucune équivoque, je
me suis porté garant, par la lettre que vous
avez publiée, de la conformité de nos vaessur le
poi&t eonteslé.
J'ai reçu hier d'Alger la dépêche suivante,
que je transmets à Troyes :
« Il se doit y avoir aueuri doute. Je suis des
» vôtres et je ne veux la dissolution légale de
a l'Asiemblée qu'autant que celie-ei serait
» dans l'impossibilité de constituer la Répu-
la blique, que réclama la majorité du pays. »
Autant que l'honorable M. Casimir
Périer, nous détestons les équivoques ;
dans ces franches explications il n'y a
donc rien qui nous gêne ou qui nous
déplaise. Nous sommes de ceux-qui,
avec le plus grand nombre des républi-
cains, ont longtemps souhaité et désirent
maintenant encore la prompte dissolution
d'une Assemblée dont nous n'espérons'
plus rien d'utile , rien de praticable. M.
Casimir Périer et ses amis politiques,
tout en acceptant l'idée de dissolution
par les mêmes raisons que nous, diffèrent
d'avis sur un seul point : l'opportunité.
Hommes de bon vouloir extrême, ils
veulent encore essayer de toutes les tran-
-sactions, de toutes les conciliations qu'ils
croient possibles, et tout tenter enfin
avant de prendre un grand parti. Sur le
principe, noms sommes donc d'accord ;
tous nous voulons fonder la République
définitive et la mettre à l'abri des intri-
gues ou des coups de force. Les diver-
gences n'existent que sur un point de
fait : y a-t-il moyen de parvenir au but
commun où nous tendons avec l'Assem-
blée actuelle ? M. Casimir Périer ne vou-
drait la dissoudre qu'après avoir bien
constaté une dernière fois « son impuis-
sance de faire cesser le provisoire. » Or,
nous sommes persuadés que dès-long-
temps la preuve est faite.
L'opinion de M. Casimir Perier, pour
être différente de la nôtre, 22 nous sem-
ble pas moins digne de respect ; et Dlb
nous ne nous plaignons pas qu'il ait con-
servé pour nos ennemis, pour les siens,
des sentiments de confiance excessive.
Rien de plus noble assurément que cet-
te générosité ; nous verrons seulement
un peu plus tard comment les adversai-
res de M. Casimir Périer lui rendront
justice. Présentement, nous tenons à
dire que ce n'est pas nous qui entrave-
rons l'honorable représentant de l'Aube
et ses amis dans l'expérience où ils dési-
rent s'engager. Qu'ils fassent voter par
cette Assemblée, s'ils le peuvent, les lois
constitutionnelles qu'avait préparées M.
Thiers ; loin d'élever aucune objection,
nous applaudirons de grand cœur, car
nous sommes convaincus que l'avenir
corrigerait, les parties défectueuses de
ces lois. Nous ne* rêvons pas une
constitution idéale qui tomberait du ciel,
en quelque sorte, par miracle. Pour la
pratique, il nous suffit que la constitu-
tion soit faite en vue d'organiser la Ré-
publique et non da la détruire. Nous
amenderons, si cela dépend de nous,quel-
ques articles du projet Thiers; mais nous
y trouvons, tel qu'il est, un minimum de
libertés et de garanties très-acceptable.
N Ollit en saurions tirer parti.
Que M. Casimir Périer et ceux qui
partagent ses opinions se mettent donc
a l'œuvre ; mais qu'ils ne négligent au-
cune condition de succès, aucune pré-
caution surtout contre les pièges qui
leur seront certainement tendus. Ils ne
présenteront leurs plans constitution-
nels avec autorité que lorsqu'ils auront
pris la place d'un ministère qui, tout
chancelant qu'il soit, cherchera toujours
à se mettre en travers de leurs projets et
à leur nuire. Ce premier résultat doit
s'acquérir facilement. Le cabinet actuel
n'a plus pour soutiens que d'anciens com-
plices, prêts à l'abandonner parce qu'il
n'a point réussi ; la faute la plus grave
serait de prolonger la crise en ne préci-
pitant point sa chute. De ce côté, l'on ne
voit pas d'obstacles; mais. les obstacles
surgiraient le lendemain de l'entrée aux
affaires de M. Casimir Périer et de ses
amis. Incapables de se maintenir au
pouvoir, les ministres tombés peuvent
étendant devenir les chefs d'une oppo-
sition dangereuse, et sans doute ils le
deviendront. C'est al.ors qu'il faudra mar
cher d'un pas rapide et sûr pour ne pas
voir changer la victoire en défaite. On ne
peut, disait-on justement il y a quelques
jours, on ne peut établir à quelques voix
demajorité ladictature. Croit-on plus faci-
le d'organiser à quelques voix de majorité
la République? L'Assemblée est trop di-
visée pour qu'aucun gouvernement stable
en puisse sortir si ce gouvernement
doit coexister avec elle.Prenez un minis-
tère à droite, prenez un ministère à
gauche: avec cette majorité flottante,
insaisissable que donnent tour à tour aux
deux partis de l'Assemblée deux dou-
zaines de voix indécises, ni l'un ni
l'autre ministère ne sauraient résister
aux discussions du Parlement. Dans ce
perpétuel conflit, il ne s'établira jamais
que des cabinets à la semaine. Si le ca-
binet de Broglie a vécu six mois, c'est
grâce aux vacances.
Le prochain ministère aura sans doute
dès le commencement trente ou qua-
rante voix de majorité, si nous en ju-
geons par les dernières discussions des
bureaux, où nous avons vu plusieurs dé-
putés, sur qui _@ jusqu'à présent nous ne
comptions guères se rallier de bonne
grâce à la République conservatrice.
Mais ne nous faisons pas d'illusions,
cette majorité sera fragile. Il faudra,
pour ne pas la perdre. s'en servir vite.
donner, trataer en ion-
Temporiser, nsquer ; les hésita-
gueur, ce serait tou. -l'aieiit bien-
tions et les défections 'Viellt.&:,:tlet .?en-
tôt. On n'entraînera donc cette majoré ae
la première heure qu'à la condition d'al-
ler droit au but et d'y courir. Lui faire
proclamer, lui faire voter la République
ne serait pas impossible peut-être ; vou-
loir gouverner par elle et durer avec elle
serait - chimérique. De toute façon, la
question du renouvellement de l'As-
semblée doit être avant peu résolue ; et
qui sait s'il ne serait pas plus politique
et plus aisé de chercher et trouver l'ac-
cord sur cette question du renouvelle-
ment que sur la question constitution-
nelle, si grosse aujourd'hui de divi-
sions ?
Nous n'éprouvons aucune envie de dé-
courager l'honorable député de l'Aube, ni
de le détourner de l'œuvre qu'il a prise à
cœur ; mats il est bon peut-être de lui rap-
peler que les objections contre un prompt
appel au pays deviennent de plus en plus
faibles tandis que les raisons contraires
deviennent de plus en plus pressantes.
Nous ne ferons pas à M. Casimir Périer
l'injure de lui supposer des terreurs du
radicalisme exploitées seulement par les
anciens partisans de la fusion. On objecte
aussi que des élections générales agi-
tent le pays : cela est vrai, et c'est un
inconvénient qui s'attache toujours aux
élections ; mais puisqu'il existe en ce
moment même une agitation due à
d'autres causes, que les élections apaise-
raiont au lieu de l'accroître, ne semble-
t-il pas que cet argument disparaisse ?
Sans aggraver l'agitation qui règne à
présent, on éviterait de nouveaux ris-
ques d'agitation pour l'avenir. C'est
quelque chose. Un autre point, où ne
sauraient trop s'arrêter les hommes po-
litiques de bonne foi, c'est que les cir-
constances sont plus favorables que ja-
mais à l'élection d'une majorité modé-
rée et conservatrice aussi bien que ré-
publicaine. Qui peut nier que, sous l'em-
pire d'événements présents à tous les
esprits, la France n'ait passé presque
tout entière au contre gauche ?
Le centre gauche ne verra jamais peut-
être une si propice occasion se repré-
senter. La seule exaltation qu'il y ait à
cette heure dans les esprits est anti-roya-
liste; et plus les tentatives royalistes ont
causé d'horreur, plus elles ont inspiré
aussi de cette prudence reconnue né-
cessaire à l'établissement de la Républi-
que. N'en avons-nous pas sous les yeux
mille preuves en ce moment même? Que
les conservateurs du centre gauche met-
tent dans le pays la même confiance que
le pays a mise en eux. Ils doivent à la
France un gouvernement et une Assem-
blée. Qu'ils lui donnent d'abord dans
quelques jours ce gouvernement de tran-
sition ; et pour l'Assemblée, au nom
des intérêts qui nous sont chers à tous,
qu'ils ne la lui fassent pas trop attendre.
- EUG. Liébesit.
——————————— ———————————
Nous savons de source certaine qu'au
nom du haut commerce parisien une dé-
marche vient d'être faite auprès de M. Wo-
lowski, membre de l'Assemblée nationale,
et l'on nous assure qu'après un long en-
tretien sur la question du jour, les dèlé-
gnés se sont retirés très-satisfaits des dé-
clarations fermement républicaines de l'ho-
norable député de la Seine.
t ———— ——————
LES DÉPUTÉS D'ALSACE
Nous nous empressons de publier la
lettre suivante :
Paris-Passy, 78, rue de la Tour,
9 novembre 1873.
Monsieur le rédacteur,
Permettez-moi de rectifier quelques er-
reurs commises, bien involontairement,
dans l'article du XIXe Siècle en date du
10 novembre, intitulé Onze députés fran-
çais.
Oui, le 1er mars 1871, les représentants
des départements cédés signèrent la lettre
d'adieu dont vous citez un passage ; mais
parmi eux se trouvaient les députés de la
Moselle, ce que votre article ne dit point.
Après les quelques très-bien relevés dans
l'Officiel, l'honorable M. Schnerb ajoute :
Ce fut tout ; s't il joint mon nom à ceux
des députés démissionnaires qui se firent
réélire dans d'autres départements; ceci
encore est une erreur ; je snis retourné à
l'Assemblée comme député de* la Mo-
selle.
Reportez-vous à la seance du Il mars
1871 et vous verrez que l'incident du Ie*
eut une suite : M. George, des Vosges,
adressa de son côté sa démission à l'As-
semblée. _h-
M. de Tillancourt rappela que la démis-
sion des députés de la Moselle et de l'Al-
saee n'avait point été acceptée, et M, Grévy,
président de l'Assemblée nationale, saisit
cette occasion pour faire observer aux dé-
putés démissionnaires « que le sentiment
» qui les a déterminés, tout honorable
» qu'il soit, ne doit pas leur faire perdre
» de vue que malgré les changements
» qu'ont pu subir dans leur état les popu-
» lations qui les ont élus, ils sont et doi-
» vent rester les représentants du peuple
» français (Vives marques d'appprobation).
» Si la démission de M. George n'était
» déterminée, continua M. le président, que
» par des convenances personnelles, je
» n'aurais que des regrets à lui exprimer ;
» mais lorsqu'il parle de motifs qui tcu-
Il chent au caractère de notre mandat, je
» dois faire des réserves dans l'intérêt de
» l'Assemblée comme des populations de
» l Eît qui doivent rester, françaises. (Très-
» bien! très-bien 1)
» Je ne puis qu'inviter M. George et
» ceux de nos collègues qui sont dans la.
FEUILLETON DU XIXe SIÈCLE -
nt —— r —1—
CAUSERIE
DRAMATIQUE
THEATRE DU VAUDEVILLE
L'ODICLB SAM
ComMie en 4 actes, par Victorien Sardou.
« Vous êtes nouveau venu à New-York;
fuyez les rendez-vous de miss Cora But-
terfly.
— Qu'est-ce que miss Cora Butterfly ?
— C'est une fille charmante, qui a les
yeux bleus, les cheveux blonds, vingt ans,
un air candide, d'admirables épaules, des
dents petites et blanches comme exiles
d'un jeune chien, la tailla ronde, les lèvres
vermeilles, mille dollars de revenu, de
grandes dispositions à en dépenser Vingt
mille et qui cherche un mari assez riche
pour payer ses fantaisies et ses dentelles.
En un mot, c'est la jeucedame qui vous à
donné rendez-vous pour ce Eoir,.à' neuf
heures, dans sa chambre. — Vous avez vu
cette jeuae blonde et vous l'aimez. C'est
un antique usage des Français de France
auquel vous ne pouviez déroger. Lts An-
glais aimeut les chevaux, les Allemands la
bière, les Américains le wiskey et les
Français les femmes. C'est un goût fort
noble, je vous assure, et que je suis loin
de condamner; mais, croyez-mo., faites
votre malle. — Méfiez-veus, mon cher,
d'une fille qui cherche un mari.
Il n'y a rien de si dangereux sur la terre.
4'ai chassé l'ours au New-Brunswick et
la panthère au Texas; mais Id l'ours, ni la
panthère ne sont aussi redoutables qu'une
Américaine à la poursuite d'un mari.
Les Yankees sont d'humeur débonnaire
et s'inquiètent fort peu de leurs filles.
Qu'importe, je vous prie, à M. Samuel,
Butterfly, le père de miss Cora, que sa
fille prenne ou non un amant? Cela fait-
il hausser ou baisser le prix du coton? Le
vieux Samuel sait fort bien que la candide
miss Cora ne se compromettra qu'à bon
escient, et qu'elle n'épousera qu'un homme
cousu de dollars. Elle peut faire toutes les
folies du monde, se faire enlever par le
premier venu, s'embarquer çour l'Europe
ou pour le Chili : il est une folie qu'elle
ne fera jamais, celle d'épouser un mari
pauvre. D
Ainsi parle au jeune Parisien Charles
Bussy son cousin et ami, le Canadien
Roquebrune, dans un petit livre de M. Al-
fred Assolant, qui a pour titre : Scènes de
la Vie des Etats-Unis.
Je n'ai pas du tout la pensée de repro-
cher à Sardou, qui n'a jamais été en
Amérique, de s'être servi des récits qu'ont
faits sur les mœurs des Américains ceux
de nos compatriotes qui ont visité le Nou-
veau-Monde. Le moyen qu'il fît autrement?
Les écrivains français qui ont parle des
Etats-Unis ont tous reproduit et dramàtisé
à peu près les mêmes anecdotes, décrit les
mêmes types, noté les mêmes singulari-
tés, signalé en un mot toutes les choses et
tous les faits caractéristiques : il fallait
bien de toute nécessité qu'un, auteur dra-
matique, qui fait une pièce exclusivement
américaine, se rencontrât avec eux. Se
faire contre lui un grittf des ressemblan-
ces de détail que doit fatalement renfer-
mer son ouvrage est une chicane puérile
à laquelle, pour ma part, je n'accorde pas
la moindre valeur.
J'ai eité un fragment d'une nouvelle de
M. Alfred Assolant, qui a pour litre les
Butterffly ; j'en avais déjà parlé naguère.
Elle e&t d'ailleurs amusante et originale,
et fort agréablement contée. Ou pourrait,
je croÜ:, multiplier les citations ét arriver
ainsi à prouver; quoi ? Que Sardou n'a pas
inventé les mœurs qu'il reproduit et s'est
borné à mettre la vérité à l'optique de la
scène et à grouper toute une masse d'ob-
servations autour d'une aetios, qui ressort
assurément des situations originales four-
nies par ces mœurs singulières, mais qui
lui appartient et qui me parait ingénieuse
et heureuse.
Dans les Butterfly, il y a aussi une scène
de (lirtation, comme on appelle en Amé-
rique ce marivaudage où s'ecriment les
filles à marier en quête d'un épouseur, et
où elles se dépensent en menue monnaie
sans jamais livrer de grosses pièces. Mais,
comme M. Alfred Assolant n'est point
auteur dramatique, il raconte plus qu'il
ne dialogue et perd ainsi toute la finesse
et tout le piquant de sa scène.
J'y relève, toutefois, ce passage : Miss
Cora a donc donné rendez-vous le soir daus
sa ehambre au jeune cavalier Charles Bus-
sy. a On ne feint pas impunément l'amour
auprès d'une jeune et belle femme, quelque
prévenu qu'on soit d'ailleurs contre ses
artifices. » Bussy se laisse emporter par
la situation et voilà son imagination de
Français qui s'enflamme. Toutà coup, une
question de la belle lui tombe sur le cœur
comme une douche .d'eau glacée : elle lui
demande s'il eît riche ; et, comme la ré-
nonse ne la rassure nas comniétc-meiit :
& « - Quoi ! dit-elle, vous n'avez ni terre,
ni maison, ni commerce?
— Qu'importe, puisque je vous aime?
— Moi, aussi, mon cher monsieur, je
vous aime, et fort tendrement, quoique je
commence à craindre que vous ne m'ai-
miez pas longtemps ; mais l'amour n'est
pas tout en ménage.
— Jouissons de l'amour, chère Cora et
laissons le reste aux dieux. Je vous adore,
vous m'aimez, vous me le dites; soyons
heureux.
— Où prenez-vous cette belle morale,
monsieur? Voilà d'honnête paroles! Non,
monsieur. Dieu qui nous a permis l'amour,
nous ordonne le riage. Lisez la Bible :
« Tu quitteras ton père et ta mère pour
suivre ton époux. » Est-il jamais question
d'amant dans l'aneien Testament ou dans
le nouveau? Isaac épouse Rebecca et
Jacob épouse Rachel. »
Le motif de la scène est un trait carac-
téristique des mœurs américaines ; il est
de notoriété publique, il appartient à tout
le monde : Sardou en a fait tout son second
acte et ce second acte est charmant.
Je me permettrai à ce sujet une obser-
vation eii passant: nous admettons diffi
cilement qu'une jeune personne donne à
un je ose homme rendez-vous le soir dans
sa chmbre; mais supposons que chez
nous le hasard et quelquefois le consente-
ment tacite des parents permettent entre
deux jeunes gens un tête à tête prépara-
toire , que penseriez-vous d'en jeune
homme qui s'exprimerait comme le fait
M. le baron Charles Bussy de Roquebrune
ou M. le marquis Robert de Roquemaure,
et d'une jeune fille qui lui répondrait au-
trement, Bible à part, que ne le fait Cora
Butterfly ou Sarah Tapplebot?
Nous faisons des gorges chaudes de la
flirtation et du divorce des Américaics ;
mais C2 qu'il faudrait savoir, c'est ce que leur
statistique, comparée à la nôtre, fournit
d infanticides et de naissances naturelles
a'une part, et de l'autre, de meurtres et
d'adultères.
L'oncle Samuel ressemble beaucoup au
vieux Samuel Butterfly, et Georges Wes-
hingtou Butterfly àFarfax, qui jouedui aussi
très-volontiers du boivie-lmife et du revol
ver; mais les Samuel Butterfly et les Sa-
muel Tapplebot fourmillent en Amérique
et les Fairfax y sont à remuer à la pei's.
L'Oncle Sam a été joué à New-York et
n'y a obtenu qu'un succès médiocre : cela
s'explique tout naturellement. Un Améri-
cain, avec lequel j'en causais précisément
ces jours ci, me répondit avec calme : «La
pièce ne nous a pas plu, nous l'avons
quelque peu siffléa et elle n'a pu fournir
qu'une courte carrière. Elle ne pouvait pas
nous intéresser; venant d'un étranger,
elle nous choquait un peu ; mais vous,
pour qui tout cela est nouveau, elle vous
amusera peut-être ! »
Le succès que VOncle-Sam vient d'obtenir
au Vaudeville n'est pas de nature à infir-
mer complètement le 'jugement porté à
New-York.
La comédie qui fait le fond de la pièce
anecdotique et humoristique de Sardou
est très-simple et elle est très touchante.
La pièce commence d'une façon très-ori-
ginale et très-pittoresque. Nous sommes à
bord d'un steam-boat, qui fait le service
entre Albany et New-York. C'est tout un
acte d'exposition où défilent presque tous ,
les personnages de la pièce et où sont très-
habilement accumulés tous les documents
sur lesquels l'auteur s'apuie. Nous avons
là des types à foison : le journaliste améri-
cain, sinon brillamment, du moins fort
honnêtement traiié; le clergyman métho-
diste, qui unit le boniment au prêche, le
commerce à là Bible; l'entrepreneur d'é-
lections ; le marchand de terrains ; les mé-
nages divorcés; h S ueions spirituelles ;
les belles armées en guerre pour la con-
quête d'un L'ari; le nègre de rigueur ; les
musiciens ambulants ; que sais-je ! Tout
cela parle, crie, jure, gesticule, pousse des
hurrah! va, vient, bjit, grouille et se
mêle de la façon la plus divertisante. -
Le deuxième acte, qui se passe dans le
salon de l'oncle Sam, pourrait avoir pour
titre: « la Flirtation ». Les -filles et la
nièce du vieux Sam et leurs amies, sont
là: Sarah, Belle, Betsey, Lucrezia, Lydia,
d'autres encore. Leurs sigisbés les accom-
pagnent. Sam s'éloigne discrètement et
laisse le champ libre à tous ces combat-
tants du galant combat. Les couples se
forment, on se parle de près, on se prend
lesmains,on s'enlace, on flirte sur toute la
ligne. Ce n'est plus un salon, c'est un
temple, Paphos ou Amathonte ; toutes ces
jeunesses s'épanouissent au souffle de
l'amour; ce ne sont que soupirs, ce ne sont
que langueurs ou éclats de rire, ce ne sont
qu'œillades et tendresses; tous ces cœuis
battent, toutes ces voix vibrent, la séduc-
tion est partout; on écrirait volontiers au
fronton de ce sanctuaire : Hic habitat féli-
citas l Il y a toutefois des temps d'arrêt:
le coton, les dollars et le porc salé ne
perdent pas leurs droits, et les prévoyantes
filles savent fort à point rappeler leurs
soupirants aux solidités fondamentales de
l'entretien.
Sarah, séduisante entre toutes, voit le
chemin qu'elle à fait dans le cœur de Ro-
Paix Du Numébo ; Fiais 15 Centimes — DémxsviBixs 20 CsaKMfcâ.
Mardi il Novembre f873.j
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Un an. 61
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JOURNÉE POLITIQUE
Parit, 10 novembre 1873.
, A peu près mêmes nouvelles aujourd'hui
qujhier. Nous trouvons cependant dans les
dépêches officieuses de l'Agence Havas une
information assez grave et que, jusqu'à
plus ample informé, nous ne saurions te-
nir pour exacte. D'un commun accordaves
le gouvernement, les signataires de l'in-
terpellation du centre gauche sur les re-
tàrds apportés aux élections partielles
auraient consenti à l'ajournement du dé-
bat qui devait avoir lieu jeudi. Quelles
raisons auraient pu les décider à cet ajour-
nement incompréhensible? On n'en trouve
aucune. M. de Broglie aurait dit, à la vé-
rité, que son gouvernement est dèveou
si faible qu'on n'y saurait toueher sans le
mettre par terre; vérité qui semble évi-
dente, mais qui n'est pas faite toutefois
pour exciter chez les députés républicains
de grands mouvements de compassion.
Demain, sans doute, nous serons mieux
instruits. Quant à la crise ministérielle,
l'Agence Havas ne fait guère que confir-
mer les renseignements que nous donnions
hier. Le maréchal de Mae-Mahon aurait
décidé de n'accepter la démission du ca-
binet qu'après le vote sur le projet de pro-.
rogation; il prendrait alors ses nouveaux
ministres dans la majorité qui se sera
formée.
La commission de prorogation n'a été
complétée que samedi soir; elle n'a pu
s'occuper encore que de l'élection de son
président, et voici déjà qu'elle est en butte
aux attaques des journaux fusiônnistes
çm, comme ou dit maintenant, mac-
piahonnistss, qui lui râproehont ses
lenteurs. Les mêmes feuilles qui applau-
dissaient naguère aux a chinoiseries » de la
commission des trente, qui a tenu sur la
sellette deux mois durant le gouvernement
de M. Thiers, s'indignent à la seule pen-
sée que la commission de prorogation
donne quelques jours à l'examen du pro-
jet Changarnier. Encore un complot,
disent-ils," des radicaux du centre gauche!
La Gazette de France a trouvé là une
source de plaisautûries, plus amères que
légères, qui ne tarit point : « On s'est ré-
parti les rôles: deux membres de la ma-
jorité de cette commisbion sont résolu-
ment opposés à toute prorogation des pou-
voirs du maréchal; les six autres l'admet-
tent en principe; mais chacun a ua sys-
tème particulier à faire prévaloir : le ma-
réchal doit-il être nommé pour dix ans,
pour neuf ans et demi, pour sept ans neuf
mois et quinze jours, ou seulement pour
six ans quatre mois et trois heures?. Ce
n'est pas tout: quand cette question des
années, des mois, des semaines, des jours
jet des heures sera traochéa, on discutera
sans doute aussi bien d'autres détails ; on
laisse entendre que l'uniforme môme du
maréchal ne doit pas être abandonné à.
l'arbitraire, etc., etc. »
Voilà de l'esprit, assurément, biea plac,
mais un pt u vieillot. D'autres feuillet, qui
ont moins de littérature, emploient tous
leurs efforts à conquérir M. Wqlow.ki,
le huitième commissaire de l'opposition ;
elles efi font le siège, et jamais forteresse
n'a eu à subir tant d'assauts. Dès samedi,
au sein de la commission, les supt élus de
la droite et du centre droit avaient tente,
par une manœuvre habile, de porter un
terrible coup à l'honorable membre du
centre gauche; ils ont voulu le compro-
mettre en le faisant, bien malgré lui. cau-
didat à la présidence en opposition à M.
Ch. de Récusai. ils lui ont donné leurs
Sept voix et les ont perdues. Leurs jour-
naux ont recours aujourd'hui à unë tac-
tique â peu près pareille. Ils ne jurent que
par M. Wolowiki, le seul homme politi-
que, le seul homme indépendant, le seul
homme de sens qu'il y ait dans la com-
mission; ils dirigent sur lui le feu bien
nourri de leurs éloges. Ils vantent à l'envi
surtout sa haute probité. pour lui faire
commettre un acte malhonnête. — Vous
êtes, lui disent-ils, un si galant homme
que nous vous croyons très-capable, pour
l'amour de nous, pour le bon mOtif, d'une
petite trahison. Quais sentiments doivent
inspirer à M. Wolowski ces aimables fa-
çons de le circonvenir I
Vous pensiez que M. le comte de Cham-
bord avait enterré son parti ? Eh bien,
pas du tout 1 L'Union appreud avec bon-
heur que ce parti ressuscite et qu'il fait cir-
culer de tous côtés des adresses deman-
dant le rétablissement immédiat de la
monarchie. C'est ce qu'on appelle un vaste
pétionnement; sans* doute il est tardif,
mais qu'il est vaste ! Paris brûle pour son
roi. De Marseille, l'Union reçoit dépêches
sur dépêches ; celle ci, par exemple :
.« Mouvement considérable pour pétition
» monarchique. Provic ce compte sur éner-
» gie de Paris. »
Et encore cette autre :
» Comités des départements du Midi
» remercient Union. Monarchie eu disso-
a lution. »
De toute la France il en vient aussi, et
qui ne sont pas moins pressantes. Monar-
chie ou dissolution ! La conclusion ne
nous déplaît pas, et ces légitimistes rai-
sonnent juste. Ils pétitionnent à l'Assem-
blée pour le retour du roi avec son dra-
peau, son principe, ses fleurs de lys, ses
livrées, ses grands carrosses de chez Bin-
der, en un mot tout ce que la France ré-
clame avec tant de passion. Mais l'Assem-
blée refusera, l'Assemblée n'est plus roya-
liste. Qu'importa, si la France l'est tou-
jours, comme toutes ces pétitions la prou-
vent? Laissez la parole à la France! Donc
monarchie ou dissolution. Oui, certes, et
de bien bon cœur.
EUG. Liébert.
* ————————
RÉUNION
*
DE - ,
LA GAUCHE RÉPUBLICAINE
La gauche républicaine, sous la prési-
dence deM.Leroyer, a tenu hier une séance
à Paris.
La réunion s'est d'abord occupée de l'in-
terpellation de jeudi, qui, d'après certains
bruits, aurait été retirée par M. Léon Say
à la prière de M. de Broglie.
Après une longue délibération, la réunion
a pris la résolution suivante:
« Le centre gauche sera prié de mainte-
» nir les interpellations dépotées par M.
» Léon Say et de ne pas consentir à leur
» ajournement. »
La discussion sur le projet d'appel au
peuple est renvoyée à une prochaine
sêanee.
Les amendements et contre-projets à la
proposition Changarn £ er dh cutés en séance
seront examinés d'ici à demain par une
commission de 5 membres : MM. Jules
Simon, de Pressensé, Jules Ferry, Albert
Grévy et Jozon.
Cette commission fera un rapport sur les
projets avant de les déposer à la commis-
sion présidée par M. de Rémusat.
La gauche républicaine tiendra une
séance demain à 1 heure à Versailles dans
son local de l'hôtel de France.
Toujours des menaces! Voici ce qu'en lit
dans le Français 1
L'Assemblée, répondant en ce point au senti-
ment de l'ooinion, ne laissera pas la gauche
poursuivre sa manœuvre. La majorité réelle du
parlement ne peut être tenue en écheo par unè
de ses commissions et livrée à sa merci. Il doit
y avoir des moyens de faire prévaloir la volonté
de la majorité : ces moyens, on les trouvera.
Sans être bien curieux, RGtiS donnerions
quelque chose pour connaître quels
moyens légaux pourrait employer une As-
semblée pour obliger une commission à
travailler plus ou moins rapidement.
1 fr- —- ■ j
M. CASIMIR PÉRIER
L'ancien, peut-être aussi le prochain
ministre de l'intérieur, vient d'exprimer
publiquement, son avis sur l'une des
questions les plus délicates et les plus
graves de la politique actuelle. C'est à
propos de la candidature du général
Saussier dans le département de l'Aube.
M. Saussier, qui siégera bientôt au cen-
tre gauche, est présenté aux électeurs de
l'Aube par tous les comités républicains,
mais principalement par M. Casimir Pé-
rier et par ses amis. Nous avons donné
son programme, qui nous a paru
net et très-satisfaisant. Ua groupe d'élec-
teurs, cependant, a cru devoir demander
au général qui est maintenant en Algé-
rie, s'il était partisan de la dissolution?
— Oui, a-t-il répondu par une pre-
mière dépêche. — C'est alors que M.
Casimir Périer a c?ù devoir intervenir, au
nom du candidat absent, pour expliquer
dans quel sens devait être entendu ce
oui. Il a écrit d'abord au journal Y Aube :
Quant à la dissolution, je suis en droit d'af-
firmer que le général pense comme moi qu'une
dissolution prematurée, c'est à-dire avant l'or-
ganifation d'un gouvernement, n'est point dé-
sirabte, et ne serait rendue inévitable que par
l'itu puissance où serait l'Assemblée nationale
de faire cesser le provisoire.
Et le surlendemain, comme la Ga-
ettt de France avait pris texte de cette
déclaration pour se livrer à de malveil-
lants commentaires, M. Casimir Périer a
ainsi rétabli les faits dans une lettre
adressée à M. Janicot :
Le général Saussier, interrogé par un groupe
d'électeurs, a répendu laconiquement par un
télégramme qui a été faussement interprété ; on
a essayé de le représenter comme un partisan
de la dissolution immédiate de l'Assemblée na-
tionale.
J'ai écrit au général, et, sans attendre sa re-
pense, ne voulant souffrir aucune équivoque, je
me suis porté garant, par la lettre que vous
avez publiée, de la conformité de nos vaessur le
poi&t eonteslé.
J'ai reçu hier d'Alger la dépêche suivante,
que je transmets à Troyes :
« Il se doit y avoir aueuri doute. Je suis des
» vôtres et je ne veux la dissolution légale de
a l'Asiemblée qu'autant que celie-ei serait
» dans l'impossibilité de constituer la Répu-
la blique, que réclama la majorité du pays. »
Autant que l'honorable M. Casimir
Périer, nous détestons les équivoques ;
dans ces franches explications il n'y a
donc rien qui nous gêne ou qui nous
déplaise. Nous sommes de ceux-qui,
avec le plus grand nombre des républi-
cains, ont longtemps souhaité et désirent
maintenant encore la prompte dissolution
d'une Assemblée dont nous n'espérons'
plus rien d'utile , rien de praticable. M.
Casimir Périer et ses amis politiques,
tout en acceptant l'idée de dissolution
par les mêmes raisons que nous, diffèrent
d'avis sur un seul point : l'opportunité.
Hommes de bon vouloir extrême, ils
veulent encore essayer de toutes les tran-
-sactions, de toutes les conciliations qu'ils
croient possibles, et tout tenter enfin
avant de prendre un grand parti. Sur le
principe, noms sommes donc d'accord ;
tous nous voulons fonder la République
définitive et la mettre à l'abri des intri-
gues ou des coups de force. Les diver-
gences n'existent que sur un point de
fait : y a-t-il moyen de parvenir au but
commun où nous tendons avec l'Assem-
blée actuelle ? M. Casimir Périer ne vou-
drait la dissoudre qu'après avoir bien
constaté une dernière fois « son impuis-
sance de faire cesser le provisoire. » Or,
nous sommes persuadés que dès-long-
temps la preuve est faite.
L'opinion de M. Casimir Perier, pour
être différente de la nôtre, 22 nous sem-
ble pas moins digne de respect ; et Dlb
nous ne nous plaignons pas qu'il ait con-
servé pour nos ennemis, pour les siens,
des sentiments de confiance excessive.
Rien de plus noble assurément que cet-
te générosité ; nous verrons seulement
un peu plus tard comment les adversai-
res de M. Casimir Périer lui rendront
justice. Présentement, nous tenons à
dire que ce n'est pas nous qui entrave-
rons l'honorable représentant de l'Aube
et ses amis dans l'expérience où ils dési-
rent s'engager. Qu'ils fassent voter par
cette Assemblée, s'ils le peuvent, les lois
constitutionnelles qu'avait préparées M.
Thiers ; loin d'élever aucune objection,
nous applaudirons de grand cœur, car
nous sommes convaincus que l'avenir
corrigerait, les parties défectueuses de
ces lois. Nous ne* rêvons pas une
constitution idéale qui tomberait du ciel,
en quelque sorte, par miracle. Pour la
pratique, il nous suffit que la constitu-
tion soit faite en vue d'organiser la Ré-
publique et non da la détruire. Nous
amenderons, si cela dépend de nous,quel-
ques articles du projet Thiers; mais nous
y trouvons, tel qu'il est, un minimum de
libertés et de garanties très-acceptable.
N Ollit en saurions tirer parti.
Que M. Casimir Périer et ceux qui
partagent ses opinions se mettent donc
a l'œuvre ; mais qu'ils ne négligent au-
cune condition de succès, aucune pré-
caution surtout contre les pièges qui
leur seront certainement tendus. Ils ne
présenteront leurs plans constitution-
nels avec autorité que lorsqu'ils auront
pris la place d'un ministère qui, tout
chancelant qu'il soit, cherchera toujours
à se mettre en travers de leurs projets et
à leur nuire. Ce premier résultat doit
s'acquérir facilement. Le cabinet actuel
n'a plus pour soutiens que d'anciens com-
plices, prêts à l'abandonner parce qu'il
n'a point réussi ; la faute la plus grave
serait de prolonger la crise en ne préci-
pitant point sa chute. De ce côté, l'on ne
voit pas d'obstacles; mais. les obstacles
surgiraient le lendemain de l'entrée aux
affaires de M. Casimir Périer et de ses
amis. Incapables de se maintenir au
pouvoir, les ministres tombés peuvent
étendant devenir les chefs d'une oppo-
sition dangereuse, et sans doute ils le
deviendront. C'est al.ors qu'il faudra mar
cher d'un pas rapide et sûr pour ne pas
voir changer la victoire en défaite. On ne
peut, disait-on justement il y a quelques
jours, on ne peut établir à quelques voix
demajorité ladictature. Croit-on plus faci-
le d'organiser à quelques voix de majorité
la République? L'Assemblée est trop di-
visée pour qu'aucun gouvernement stable
en puisse sortir si ce gouvernement
doit coexister avec elle.Prenez un minis-
tère à droite, prenez un ministère à
gauche: avec cette majorité flottante,
insaisissable que donnent tour à tour aux
deux partis de l'Assemblée deux dou-
zaines de voix indécises, ni l'un ni
l'autre ministère ne sauraient résister
aux discussions du Parlement. Dans ce
perpétuel conflit, il ne s'établira jamais
que des cabinets à la semaine. Si le ca-
binet de Broglie a vécu six mois, c'est
grâce aux vacances.
Le prochain ministère aura sans doute
dès le commencement trente ou qua-
rante voix de majorité, si nous en ju-
geons par les dernières discussions des
bureaux, où nous avons vu plusieurs dé-
putés, sur qui _@ jusqu'à présent nous ne
comptions guères se rallier de bonne
grâce à la République conservatrice.
Mais ne nous faisons pas d'illusions,
cette majorité sera fragile. Il faudra,
pour ne pas la perdre. s'en servir vite.
donner, trataer en ion-
Temporiser, nsquer ; les hésita-
gueur, ce serait tou. -l'aieiit bien-
tions et les défections 'Viellt.&:,:tlet .?en-
tôt. On n'entraînera donc cette majoré ae
la première heure qu'à la condition d'al-
ler droit au but et d'y courir. Lui faire
proclamer, lui faire voter la République
ne serait pas impossible peut-être ; vou-
loir gouverner par elle et durer avec elle
serait - chimérique. De toute façon, la
question du renouvellement de l'As-
semblée doit être avant peu résolue ; et
qui sait s'il ne serait pas plus politique
et plus aisé de chercher et trouver l'ac-
cord sur cette question du renouvelle-
ment que sur la question constitution-
nelle, si grosse aujourd'hui de divi-
sions ?
Nous n'éprouvons aucune envie de dé-
courager l'honorable député de l'Aube, ni
de le détourner de l'œuvre qu'il a prise à
cœur ; mats il est bon peut-être de lui rap-
peler que les objections contre un prompt
appel au pays deviennent de plus en plus
faibles tandis que les raisons contraires
deviennent de plus en plus pressantes.
Nous ne ferons pas à M. Casimir Périer
l'injure de lui supposer des terreurs du
radicalisme exploitées seulement par les
anciens partisans de la fusion. On objecte
aussi que des élections générales agi-
tent le pays : cela est vrai, et c'est un
inconvénient qui s'attache toujours aux
élections ; mais puisqu'il existe en ce
moment même une agitation due à
d'autres causes, que les élections apaise-
raiont au lieu de l'accroître, ne semble-
t-il pas que cet argument disparaisse ?
Sans aggraver l'agitation qui règne à
présent, on éviterait de nouveaux ris-
ques d'agitation pour l'avenir. C'est
quelque chose. Un autre point, où ne
sauraient trop s'arrêter les hommes po-
litiques de bonne foi, c'est que les cir-
constances sont plus favorables que ja-
mais à l'élection d'une majorité modé-
rée et conservatrice aussi bien que ré-
publicaine. Qui peut nier que, sous l'em-
pire d'événements présents à tous les
esprits, la France n'ait passé presque
tout entière au contre gauche ?
Le centre gauche ne verra jamais peut-
être une si propice occasion se repré-
senter. La seule exaltation qu'il y ait à
cette heure dans les esprits est anti-roya-
liste; et plus les tentatives royalistes ont
causé d'horreur, plus elles ont inspiré
aussi de cette prudence reconnue né-
cessaire à l'établissement de la Républi-
que. N'en avons-nous pas sous les yeux
mille preuves en ce moment même? Que
les conservateurs du centre gauche met-
tent dans le pays la même confiance que
le pays a mise en eux. Ils doivent à la
France un gouvernement et une Assem-
blée. Qu'ils lui donnent d'abord dans
quelques jours ce gouvernement de tran-
sition ; et pour l'Assemblée, au nom
des intérêts qui nous sont chers à tous,
qu'ils ne la lui fassent pas trop attendre.
- EUG. Liébesit.
——————————— ———————————
Nous savons de source certaine qu'au
nom du haut commerce parisien une dé-
marche vient d'être faite auprès de M. Wo-
lowski, membre de l'Assemblée nationale,
et l'on nous assure qu'après un long en-
tretien sur la question du jour, les dèlé-
gnés se sont retirés très-satisfaits des dé-
clarations fermement républicaines de l'ho-
norable député de la Seine.
t ———— ——————
LES DÉPUTÉS D'ALSACE
Nous nous empressons de publier la
lettre suivante :
Paris-Passy, 78, rue de la Tour,
9 novembre 1873.
Monsieur le rédacteur,
Permettez-moi de rectifier quelques er-
reurs commises, bien involontairement,
dans l'article du XIXe Siècle en date du
10 novembre, intitulé Onze députés fran-
çais.
Oui, le 1er mars 1871, les représentants
des départements cédés signèrent la lettre
d'adieu dont vous citez un passage ; mais
parmi eux se trouvaient les députés de la
Moselle, ce que votre article ne dit point.
Après les quelques très-bien relevés dans
l'Officiel, l'honorable M. Schnerb ajoute :
Ce fut tout ; s't il joint mon nom à ceux
des députés démissionnaires qui se firent
réélire dans d'autres départements; ceci
encore est une erreur ; je snis retourné à
l'Assemblée comme député de* la Mo-
selle.
Reportez-vous à la seance du Il mars
1871 et vous verrez que l'incident du Ie*
eut une suite : M. George, des Vosges,
adressa de son côté sa démission à l'As-
semblée. _h-
M. de Tillancourt rappela que la démis-
sion des députés de la Moselle et de l'Al-
saee n'avait point été acceptée, et M, Grévy,
président de l'Assemblée nationale, saisit
cette occasion pour faire observer aux dé-
putés démissionnaires « que le sentiment
» qui les a déterminés, tout honorable
» qu'il soit, ne doit pas leur faire perdre
» de vue que malgré les changements
» qu'ont pu subir dans leur état les popu-
» lations qui les ont élus, ils sont et doi-
» vent rester les représentants du peuple
» français (Vives marques d'appprobation).
» Si la démission de M. George n'était
» déterminée, continua M. le président, que
» par des convenances personnelles, je
» n'aurais que des regrets à lui exprimer ;
» mais lorsqu'il parle de motifs qui tcu-
Il chent au caractère de notre mandat, je
» dois faire des réserves dans l'intérêt de
» l'Assemblée comme des populations de
» l Eît qui doivent rester, françaises. (Très-
» bien! très-bien 1)
» Je ne puis qu'inviter M. George et
» ceux de nos collègues qui sont dans la.
FEUILLETON DU XIXe SIÈCLE -
nt —— r —1—
CAUSERIE
DRAMATIQUE
THEATRE DU VAUDEVILLE
L'ODICLB SAM
ComMie en 4 actes, par Victorien Sardou.
« Vous êtes nouveau venu à New-York;
fuyez les rendez-vous de miss Cora But-
terfly.
— Qu'est-ce que miss Cora Butterfly ?
— C'est une fille charmante, qui a les
yeux bleus, les cheveux blonds, vingt ans,
un air candide, d'admirables épaules, des
dents petites et blanches comme exiles
d'un jeune chien, la tailla ronde, les lèvres
vermeilles, mille dollars de revenu, de
grandes dispositions à en dépenser Vingt
mille et qui cherche un mari assez riche
pour payer ses fantaisies et ses dentelles.
En un mot, c'est la jeucedame qui vous à
donné rendez-vous pour ce Eoir,.à' neuf
heures, dans sa chambre. — Vous avez vu
cette jeuae blonde et vous l'aimez. C'est
un antique usage des Français de France
auquel vous ne pouviez déroger. Lts An-
glais aimeut les chevaux, les Allemands la
bière, les Américains le wiskey et les
Français les femmes. C'est un goût fort
noble, je vous assure, et que je suis loin
de condamner; mais, croyez-mo., faites
votre malle. — Méfiez-veus, mon cher,
d'une fille qui cherche un mari.
Il n'y a rien de si dangereux sur la terre.
4'ai chassé l'ours au New-Brunswick et
la panthère au Texas; mais Id l'ours, ni la
panthère ne sont aussi redoutables qu'une
Américaine à la poursuite d'un mari.
Les Yankees sont d'humeur débonnaire
et s'inquiètent fort peu de leurs filles.
Qu'importe, je vous prie, à M. Samuel,
Butterfly, le père de miss Cora, que sa
fille prenne ou non un amant? Cela fait-
il hausser ou baisser le prix du coton? Le
vieux Samuel sait fort bien que la candide
miss Cora ne se compromettra qu'à bon
escient, et qu'elle n'épousera qu'un homme
cousu de dollars. Elle peut faire toutes les
folies du monde, se faire enlever par le
premier venu, s'embarquer çour l'Europe
ou pour le Chili : il est une folie qu'elle
ne fera jamais, celle d'épouser un mari
pauvre. D
Ainsi parle au jeune Parisien Charles
Bussy son cousin et ami, le Canadien
Roquebrune, dans un petit livre de M. Al-
fred Assolant, qui a pour titre : Scènes de
la Vie des Etats-Unis.
Je n'ai pas du tout la pensée de repro-
cher à Sardou, qui n'a jamais été en
Amérique, de s'être servi des récits qu'ont
faits sur les mœurs des Américains ceux
de nos compatriotes qui ont visité le Nou-
veau-Monde. Le moyen qu'il fît autrement?
Les écrivains français qui ont parle des
Etats-Unis ont tous reproduit et dramàtisé
à peu près les mêmes anecdotes, décrit les
mêmes types, noté les mêmes singulari-
tés, signalé en un mot toutes les choses et
tous les faits caractéristiques : il fallait
bien de toute nécessité qu'un, auteur dra-
matique, qui fait une pièce exclusivement
américaine, se rencontrât avec eux. Se
faire contre lui un grittf des ressemblan-
ces de détail que doit fatalement renfer-
mer son ouvrage est une chicane puérile
à laquelle, pour ma part, je n'accorde pas
la moindre valeur.
J'ai eité un fragment d'une nouvelle de
M. Alfred Assolant, qui a pour litre les
Butterffly ; j'en avais déjà parlé naguère.
Elle e&t d'ailleurs amusante et originale,
et fort agréablement contée. Ou pourrait,
je croÜ:, multiplier les citations ét arriver
ainsi à prouver; quoi ? Que Sardou n'a pas
inventé les mœurs qu'il reproduit et s'est
borné à mettre la vérité à l'optique de la
scène et à grouper toute une masse d'ob-
servations autour d'une aetios, qui ressort
assurément des situations originales four-
nies par ces mœurs singulières, mais qui
lui appartient et qui me parait ingénieuse
et heureuse.
Dans les Butterfly, il y a aussi une scène
de (lirtation, comme on appelle en Amé-
rique ce marivaudage où s'ecriment les
filles à marier en quête d'un épouseur, et
où elles se dépensent en menue monnaie
sans jamais livrer de grosses pièces. Mais,
comme M. Alfred Assolant n'est point
auteur dramatique, il raconte plus qu'il
ne dialogue et perd ainsi toute la finesse
et tout le piquant de sa scène.
J'y relève, toutefois, ce passage : Miss
Cora a donc donné rendez-vous le soir daus
sa ehambre au jeune cavalier Charles Bus-
sy. a On ne feint pas impunément l'amour
auprès d'une jeune et belle femme, quelque
prévenu qu'on soit d'ailleurs contre ses
artifices. » Bussy se laisse emporter par
la situation et voilà son imagination de
Français qui s'enflamme. Toutà coup, une
question de la belle lui tombe sur le cœur
comme une douche .d'eau glacée : elle lui
demande s'il eît riche ; et, comme la ré-
nonse ne la rassure nas comniétc-meiit :
& « - Quoi ! dit-elle, vous n'avez ni terre,
ni maison, ni commerce?
— Qu'importe, puisque je vous aime?
— Moi, aussi, mon cher monsieur, je
vous aime, et fort tendrement, quoique je
commence à craindre que vous ne m'ai-
miez pas longtemps ; mais l'amour n'est
pas tout en ménage.
— Jouissons de l'amour, chère Cora et
laissons le reste aux dieux. Je vous adore,
vous m'aimez, vous me le dites; soyons
heureux.
— Où prenez-vous cette belle morale,
monsieur? Voilà d'honnête paroles! Non,
monsieur. Dieu qui nous a permis l'amour,
nous ordonne le riage. Lisez la Bible :
« Tu quitteras ton père et ta mère pour
suivre ton époux. » Est-il jamais question
d'amant dans l'aneien Testament ou dans
le nouveau? Isaac épouse Rebecca et
Jacob épouse Rachel. »
Le motif de la scène est un trait carac-
téristique des mœurs américaines ; il est
de notoriété publique, il appartient à tout
le monde : Sardou en a fait tout son second
acte et ce second acte est charmant.
Je me permettrai à ce sujet une obser-
vation eii passant: nous admettons diffi
cilement qu'une jeune personne donne à
un je ose homme rendez-vous le soir dans
sa chmbre; mais supposons que chez
nous le hasard et quelquefois le consente-
ment tacite des parents permettent entre
deux jeunes gens un tête à tête prépara-
toire , que penseriez-vous d'en jeune
homme qui s'exprimerait comme le fait
M. le baron Charles Bussy de Roquebrune
ou M. le marquis Robert de Roquemaure,
et d'une jeune fille qui lui répondrait au-
trement, Bible à part, que ne le fait Cora
Butterfly ou Sarah Tapplebot?
Nous faisons des gorges chaudes de la
flirtation et du divorce des Américaics ;
mais C2 qu'il faudrait savoir, c'est ce que leur
statistique, comparée à la nôtre, fournit
d infanticides et de naissances naturelles
a'une part, et de l'autre, de meurtres et
d'adultères.
L'oncle Samuel ressemble beaucoup au
vieux Samuel Butterfly, et Georges Wes-
hingtou Butterfly àFarfax, qui jouedui aussi
très-volontiers du boivie-lmife et du revol
ver; mais les Samuel Butterfly et les Sa-
muel Tapplebot fourmillent en Amérique
et les Fairfax y sont à remuer à la pei's.
L'Oncle Sam a été joué à New-York et
n'y a obtenu qu'un succès médiocre : cela
s'explique tout naturellement. Un Améri-
cain, avec lequel j'en causais précisément
ces jours ci, me répondit avec calme : «La
pièce ne nous a pas plu, nous l'avons
quelque peu siffléa et elle n'a pu fournir
qu'une courte carrière. Elle ne pouvait pas
nous intéresser; venant d'un étranger,
elle nous choquait un peu ; mais vous,
pour qui tout cela est nouveau, elle vous
amusera peut-être ! »
Le succès que VOncle-Sam vient d'obtenir
au Vaudeville n'est pas de nature à infir-
mer complètement le 'jugement porté à
New-York.
La comédie qui fait le fond de la pièce
anecdotique et humoristique de Sardou
est très-simple et elle est très touchante.
La pièce commence d'une façon très-ori-
ginale et très-pittoresque. Nous sommes à
bord d'un steam-boat, qui fait le service
entre Albany et New-York. C'est tout un
acte d'exposition où défilent presque tous ,
les personnages de la pièce et où sont très-
habilement accumulés tous les documents
sur lesquels l'auteur s'apuie. Nous avons
là des types à foison : le journaliste améri-
cain, sinon brillamment, du moins fort
honnêtement traiié; le clergyman métho-
diste, qui unit le boniment au prêche, le
commerce à là Bible; l'entrepreneur d'é-
lections ; le marchand de terrains ; les mé-
nages divorcés; h S ueions spirituelles ;
les belles armées en guerre pour la con-
quête d'un L'ari; le nègre de rigueur ; les
musiciens ambulants ; que sais-je ! Tout
cela parle, crie, jure, gesticule, pousse des
hurrah! va, vient, bjit, grouille et se
mêle de la façon la plus divertisante. -
Le deuxième acte, qui se passe dans le
salon de l'oncle Sam, pourrait avoir pour
titre: « la Flirtation ». Les -filles et la
nièce du vieux Sam et leurs amies, sont
là: Sarah, Belle, Betsey, Lucrezia, Lydia,
d'autres encore. Leurs sigisbés les accom-
pagnent. Sam s'éloigne discrètement et
laisse le champ libre à tous ces combat-
tants du galant combat. Les couples se
forment, on se parle de près, on se prend
lesmains,on s'enlace, on flirte sur toute la
ligne. Ce n'est plus un salon, c'est un
temple, Paphos ou Amathonte ; toutes ces
jeunesses s'épanouissent au souffle de
l'amour; ce ne sont que soupirs, ce ne sont
que langueurs ou éclats de rire, ce ne sont
qu'œillades et tendresses; tous ces cœuis
battent, toutes ces voix vibrent, la séduc-
tion est partout; on écrirait volontiers au
fronton de ce sanctuaire : Hic habitat féli-
citas l Il y a toutefois des temps d'arrêt:
le coton, les dollars et le porc salé ne
perdent pas leurs droits, et les prévoyantes
filles savent fort à point rappeler leurs
soupirants aux solidités fondamentales de
l'entretien.
Sarah, séduisante entre toutes, voit le
chemin qu'elle à fait dans le cœur de Ro-
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