Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-11-04
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 04 novembre 1873 04 novembre 1873
Description : 1873/11/04 (A3,N719). 1873/11/04 (A3,N719).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/03/2013
3e Année, *e N? 749
Peu Du Numéro : Paris i5 Centimes — Départements 20 Cbkïmïbs.
Mardi 4 Novembre 1873J
lli - vÀiIfÀ 8 ÇTOPT F
t n uiHiulilb
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
1 RÉDACTION
eadtesser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
S, rue Drcmott »
Les manuscrits non insérés ne seront pas rgnâut,
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Un an 6t "I
£ an once», chez MM. LAGRANGE, CERF et J
6, place de la Bourse, S
On s'abonne à Londres, chez M. A. MAURIct énérlil
advertising, agent, 13, Tavistockrow, CoventGArden.
JOURNtE: POLITIQUE
'- Paris, 3 novembre 1875.
Les auteurs et complices de la révolu-
tion du 24 mai ont cru depuis cinq mois
,marcher à pab de géants; ils ont, en ef-
fet, parcouru beaucoup de chemin, mais
ils s'aperçoivent que c'était à la façon dep
écrevisses. Les voici réduits à prouver
que c'est un triomphe de revenir, après
ciaq mois si laborieusement employés, au
point de départe et pour se mieux con-
vaincre, ils le crient à tue-tête. « Nous
sommes aujourd'hui ce que nous étions
hier, » dit une feuille royaliste, s'appro-
priant (avec quel à-propos !) le mot -de
Sieyès. Quoi qu'il en soit, d'après l'aima
nach de la fusion, le lendemain du 24 mai
n'est plus le 25 mai, mais le 3 novem-
bre ; et la veille du 3 novembre n'est plus
le 2 novembre, mais le 24 mai.
Quel bond! Nous comprenons que les
fusionnistes veuillent effacer de la politi-
que et de l'histoire ce long intervalle. Ils
n'y parviendront point, quelques airs dé-
gagés qu'ils affectent. - Amis, disent-ils
aux bonapartistes, souvenez vous de la
salle Herz et du pacte sacré que nous y
conclûmes. Nous voici Revenus à ce jour
radieux. - Braves gens,, bonnes gens
(ceci s'adresse aux conservateurs des ex-
trêmes confins du centre gauche), est-ce
que la République a jamais été par nous
mise en péril? Est-ce que nous avons at-
taqué les institutions existantes? N'en
croyez pas vos yeux ; c'est un vain fantôme
de conspiration que vous avez vu. Où
en sommes-nous, messieurs ? A l'oidre du
jour Ernoul, Tordre du jour du 24 mai,
que Paris-Journal reproduit au long ce
matin, et qui déclarait « que la forme du
gouvernement n'était pas en question. »
De quoi s'agissait il? De donner satisfaction
aux intérêts conservateurs menacés par le
radicalisme. C'est là, c'est toujours là que
nous en sommes. Et la majorité conser-
vatrice se retrouve, plus unie que jamais,
fcur son véritable terrain 1
Oui-dà ! Nous voudrions savoir qui l'on
entend berner et quel état on fait de ces
sornettes. Voilà donc nos honnétes gens?
Non, cent fois non, ils ne sont même
plus ce qu'ils étaient au 24 mai; ils ont
mal fait leur compte et ils ont omis d'y
jnscrire leur conjuration royaliste avortée,
leurs ex-alliés les bonapartistes terrorisés,
.la Franee malmenée, agitée, épouvantée,
scandalisée. Avoir tout compromis pour
ne réusssir à rien, c'est si peu de chose!
N'en parlons plus, fi donc! Est-ce que la
situation a changé ? En somme on invite
la Chambre et le pays, on s'invite soi-
même à tenir pour non avenu tout ce qui
s'est passé depuis cinq mois : c'était un
rêve.
Mesurez-vous assez bien maintenant l'é-
tendue de la reculade ? Ce n'est pas tout.
Lesjournaux ministériels tiennentà présent
un tel langage qu'il les faut lire plusieurs
fois pour être sûr de ne pas se tromper.
Une sorte d'article-programme sur lâ po-
litique du gouvernement a paru dans le
Français d'hier. Nous y voyons d'abord le
cabinet se disculper et jurer ses grands
dieux « qu'il s'est tenu en dehors de la
campagne de restauration monai chique,
demeurant tou jours sur le terrain du 24,
mai ; qu'il a gardé une réserve qui lui im-
pose aujourd'hui de nouveaux devoirs,
etc.,. » Ces devoirs, quels sont-ils? Ils
consisteront, pour le ministère, à engager
sa responsabilité (elle ne l'était pas!) at
à indiquer lui-même le but où se doivent
diriger les efforts et les espérances. Et ce
but? C'est la République; écoutez plutôt le
Français:
Tel est le grand tôle qui nous paraît devoir
être en cemomont celui du gouvernement. Qu'il
donne hardiment, nettement, son avis sur les.
solutions constitutionnelles que, dans sa con-
naissance des faits et des hommes, il juge pra-
tiques et satisfaisantes, — évitant à la fois soit
ce qui risquerait de conduire les conservateurs à
un nouvel avortement, soit ce qui pourrait pro-
duire entre les divers groupes de la majorité
une division qu'il faut à tout prix éviter, ou ce
qui pourrait même seulement modifier l'axe de
cette majorité en le reportant à gauche. Puis,
cette question constitutionnelle rapidement
tranchée, le gouvernement devrait, par une
initiative non moins énergique, arracher l'opi-
nion à cqs discussions épuisantes et proposer
une série de mesures de défense sociale, loi
municipale, loi sur la presse, loi électorale,
apportant en un mot tout un programme de ré-
sistance et engageant pleinement sa responsa-
bilité dans chacune de ces propositions.
Ainsi, l'on veut toujours faire de la réac-
tion, mais on est réduit à faire de la réac-
tion républicaine ! On en revien t à propo-
ser l'organisation de la République - des-
potique, aristocratique, ultramoataine, etc.;
mais enfin de la République ! Et ceux qui
parlent ou font parler ee langage, se vantent
d'être les mêmes hommes aujourd'hui
qu'hier, les mêmes hommes que le 24 mai !
La' plaisanterie sfmb!era forte ; on en
peut rire, mais le rire, en ces occabions,
ne désarme point. De tout ceci, nous ne
retenons, gens de bien, que l'aveu de
votre défaite ; la République se fera, vous
êtes bien forcés d'en convenir vous-mêmes,
mais par d'autres mains, s'il vous plaît,
que celles qui ont failli lui être si funes-
tes.
Eue. LriÉBBRT,
-■ .—— .—: ♦
L'honorable M. Destremx, député de l'Ar-
dèçhe, vient d'écrire la lettre suivante au pré-
sident de la gauche républicaine :
Monsieur le président et cher collègue,
Retenu dans mon département parades
devoirs impérieux jusqu'au jour de la réu-
nion de l'Assemblée, je croyais inutile de
vous adresser mes exeuses et mon adhé-
sion pleine et entière dès l'instant que j'a-
vais 1 honneur d'être membre de la gauche
républicaine et qu'une lettre à mes élec-
teurs avait été reproduite par un très-
grand nombre de journaux; mais on m'in-
forme aujourd'hui que je figure parmi les
indécis dans une liste publiée par le Gau-
lois, et je viens par cette lettre protester
contre cette inexactitude.
Je dois ajouter que partout dans le Midi
la cause d'Henri V perd un grand nom-
bre de sespartisans et devient de plus en
plus impopulaire ; dans l'Ardèche, le pays
san, conservateur et profondément reli
gieux, voit comme conséquence de la res-
tauration monarchique le rétablissement
du pouvoir temporel du pape et la guerre
avec l'Italie et l'Allemagne. Aussi que de
fois ai-je entendu de bons et paisibles pay-
sans s'écrier : Ah! si on faisait voter le petit
peuple!. et beaucoup d'entre eux venaient
d'accomplir un peux pèlerinage à Notre-
Dame - de-Lablacaèré; station célèbre qui
est à 2 kilomètres de l'endroit où j'habite.
Veillez recevoir, monsieur le président et
cher éollègae, mes amicales et dévouéés
salutations, et veuillez faire agréer à mes:
collègues mes regrets de ne pouvoir être
au milieu d'eux dans un moment aussi
critique.
L. Destremx.
Alais, Gard, 27 octobre 1873..
Les deux Centrés
,' p Le moment est venu de sortir du
provisoire et d'organiser la République
conservatrice. »
Cette résolution, adoptée à l'unanimité
le 30 octobre et renouvelée depuis, ré-
sume toute la politique du centre gau-
che. Tel est le but ; quant aux moyens,
le centre gauche a décidé, le 1er novem-
bre, « qu'il s'en rapporterait à son bu-
reau, qui aurait à s entendre avec les
bureaux des divers groupes républi-
cains. » -,
Ainsi c'est vers la République que se
dirige, sans plus délibérer, le centre
gauche, estimant qu'il n'y a pas de
temps à perdre, qu'on - en a déjà trop
perdu.
Que fait cependant lé centre droit ?
Des délégués de ce groupe se sont
réunis chez le général Changarnier avec
les délégués des autres groupes de la
droite. Ils n'ont rien voté ; mais l'unique
idée qui leur soit venue, c'est « de pro-
roger les pouvoirs du maréchal Mac-
Mahon pour six ans et ceux de l'Assem-
blée pour trois. » De sortir du provi-
soire, il n'a pas été question ; moins en-
core, à fortiori, d'organiser la Répu-
blique.
Faut-il développer le parallèle? Le
centre gauche repousse énergiquement
le statu quo; le centre droit prétend s'y
maintenir. L'un veut eonstituer la Répu-
blique définitive; l'autre, perpétuer un
régime sans nom, propre seulement à
favoriser l'agitation et les complots. L'un
veut entrer au port; l'autre, continuer
parmi les tempêtes la navigation vers
l'inconnu. L'un donne la main aux répu-
blicains ; l'autre se tient uni aux monar-
chistes. Ils suivent, après tout, chacun
de son côté, leur voie naturelle ; leurs
buts sont opposés et leurs directions
contraires,
On nous assure toutefois que cinq ou
six députés préconisent en ce moment
même « l'union des centres », grande
inan œuvre qui leur paraîtrait propre à
tout sauver. Un ou deux journaux les
appuient. Dieu nous garde de sus-
pecter leurs intentions ! Disons seule-
ment qu'ils sont trop candides ou trop
habiles, et assurément trop empressés.
Cette « union des centres » a été
longtemps l'objectif de la politique de
M. Thiers. Gouvernant avec le concours
forcé des élus de 1871, il ne pouvait
guère adopter dans le Parlement une
autre tactique ; il l'a suivie deux ans et
plus : avec quels résultats ? Pouitant,
en 1871, en 1872 et même au commen-
cement de 1873, on pouvait croire que
« l'union des centres » n'était pas tout
à fait irréalisable ; il n'en est pas moins
vrai que M. Thiers, avec toute son expé-
rience et sa finesse, y a échoué.
Ce que n'a pu accomplir, avant le
24 - mai, M. Tbiers, assisté de M. Casimir
Périer, de M. Dufaure, et de tout ce que
les conservateurs avaient de plus con-
sidérable, qui donc aujourd'hui peut
songer à le tenter avec plus de succès ?
Est-ce à dire qu'une meilleure situation
parlementaire ait rendu désormais le
rapprochement plus facile ?
On proposerait sans rire au eentre
gauche de se concerter avec le centre
droit pour l'action commune 1 Quelle
action ? et que peut-il y avoir de com-
mun entre deux partis qui sont séparés
par plusieurs abîmes ?
Qui donc a renversé, au 24 mai, en
le couvrant d'injures, un ministère com-
posé de ceux des députés du centre gau-
ehe qui répugnaient le moins aux ac-
commodements et à la conciliation avec
le centre droit ?
Que voulaient les auteurs de ce ren-
versement ? à qui se sont-ils alliés ? et
à quoi ont-ils travaillé depuis ?
Qui a figuré en premiere ligne dans
la fameuse commission des neuf ? qui
a comploté à ciel ouvert, après le 5 août,
la restauration d'une monarchie qui de-
vait être relevée sans garantie et sans
conditions ?
Quels ont été, durant cet intervalle,
les plus ardents instigateurs de tous les
actes d'arbitraire et des persécutions in-
justes qu'ont souffertes surtout les plus
modères des républicains?
Où a été voté par acclamations le pro-
gramme royaliste de Salzbourg ?
Qui a tout mis en jeu, l'intrigue, la
corruption, la menace, peur acquérir
l'unique voix de majorité dont on faisait
dépendre les destins de la France ?
Qui a souhaité la revanche de 1789?
Quels hommes s'en seraient faits demain
les artisans? èt s'ils n'eussent été rete-
nus par le seul obstacle du drapeau, à
quoi nous auraient-ils conduits ?
Que prépare maintenant enfin leur
patriotisme ? Que cherchent-ils ? Qui
a inventé la régence ou le lieutenant-
général du royaume ? a On demande
un traître! » s'écrie M. Veuillot avec sa
mordante ironie. Est-ce la complicité du
08ntre gauche qui doit aider à trouver
le traître?
On croit, en vérité, tes conservateurs
républicains trop bénévoles, trop ou-
blieux surtout des intérêts de leur pays.
Si le passé ne leur inspirait point quel-
que rancune, ils seraient des anges ;
mais il ne s'agit pas de rancune, il s'agit
d'écouter la voix de la prudence, de
profiter le lendemain des leçons de la
veille et de sauvegarder l'avenir de la
République et de la patrie.
Quand bien même on écarterait tout
ce qui tient au sentiment, les Antipa-
thies, les répugnances, les justes soup-
çons et le souvenir de tant de circons-
tances décisives, qui se flatterait d'ame-
ner le centre gauche à conclure un odieux
et absurde marché, vrai marché de du-
pes ? Nous demandons sur quels articles
pourraient s'entendre les deux centres,
l'un poursuivant et l'autre rejetant l'or-
ganisation durable de la République?
combien de temps l'alliance subsisterait,
à supposer qu'elle se fît? combien de
voix dans l'Assemblée lui seraient ac-
quises ? enfin, hors de l'Assemblée, quel
appui?
Ce n'est pas aux membres du centre
gauche que nous adressons ces ré-
flexions ; nous leur ferions injure et nous
savons trop bien dans quelles disposi-
tions les trouveraient ceux qui de nou-
veau chercheraient à les abuser. Mais
il fallait réduire à leur juste valeur quel-
ques propos sans conséquence et cer-
tains bruits adroitement semés. Sur ce
beau fondement les journaux fusionnis-
tes échafaudent des projets, des combi-
naisons, des remaniements partiels du
cabinet, qu'ils espèrent sauver par un
replâtrage. Et, pendant ce temps-là, qui
pourvoirait au salut du pays ? Le centre
gauche est maître de la situation et il n'a
point la bonhomie de l'ignorer; ce n'est
pas pour tirer les royalistes d embarras
qu'il s'exposerait à mériter le reproche
fameux de Maharbal : Victorid uti nescis.
EuG. LIÉBERT.
-- - - -- -----+- --,--"-
On lit dans le Journal de Paris :
C'est dans la journée d'hier que des
pourparlers se sont engagés entre la ma-
jorité et les princes d'Orléans au sujet de
la lieutenance générale. Trois députés sont
allés, dans la matinée, les prévenir offi-
cieusement de ce qui se passait. Puis, dans
la soirée, M. le général Changarnier a fait
auprès d'eux une démarche en quelque
sorte officielle. ,
Dès la première entrevue, les princes
ont laissé prévoir que leur refus était dé-
finitif.
M. le comte de Paris et M. le prince
de Joinville se sont exprimés avec une
grande énergie. M. le prince de Joinville,
atquel on avait songé pour la lieutenance
générale, a déclaré que si cette proposition
se produisait à l'Assemblée, il monterait
à la tribune pour la combattre. Il a ajouté :
« Maintenant je suis Mac-Mahonien. »
M. le comte de Paris, de son côté, a dé-
claré que les princes d'Orléans, par leur
attitude, voulaient en même temps sauve-
garder l'idée monarchique et l'honneur de
leur maison.
On lit dans le Français :
« On a beaucoup parlé d'une démarche
qui aurait été faite par différents repré-
sentants de la droite auprès d'un prince
d'Orléans. Cette démarche n'a pu aboutir,
par suite de la résolution où sont tous les
princes d'Orléans de rester sur la réserve. »
---" —————————
Nous eussions préféré, pour beaucoup
de raisons qu'on comprendra sans qu'il
soit besoin de les dire, n'avoir point à
parler de M. le maréchal de Mac-Mahon
et de la situation nouvelle que lui font
les derniers événements. Mais il est au-
jourd'hui le sujet de toutes les conversa-
tions parlementaires, le pivjt de toutes
les combinaisons ; notre devoir est donc
de parler, et, coûte que coûte, nous pu-
blierons notre pen e.
Il fut un temps où le président de la
République était jugé dans certains jour-
naux avec une extrême sévérité, d'ail-
leurs sans nul péril. Liberté complète
était laissée à tous de le juger, de le cri-
tiquer, voire de l'injurier tout à l'aise,
et plus d'un vulgaire malfaiteur s'est vu
plus épargné par nos Catons modernes
que ne le fut, pendant un temps, le
premier magistrat du pays.
Mais, en ce temps-là, le président de
la République s'appelait bourgeoisement
M. Thiers.
Aujourd'hui, il s'appelle le maréchal
de Mac-Mahon, duc de Magenta. Une il-
lustration militaire a succédé à une il-
lustration politique; à nos yeux, c'est
toute la différence, et nous avons res-
senti trop d'indignation naguère contre
les insulteurs du « petit bourgeois » pour
que nous songions à suivre leur exem-
ple en parlant du « loyal soldat à).
Personne ne nous refusera cependant
le droit d'exprimer librement notre opi-
nion sur le chef du pouvoir, à la veille
du jour dû nos adversaires semblent
nous présenter comme une menace un
projet récemment élaboré et qui consis-
terait à fixer une durée de dix ans aux
pouvoirs du président de la République.
M. le maréchal de Mac-Mahon, en sa
qualité de chef de l'Etat, n'a pu et n'a
dû rien ignorer des projets poursuivis
par une portion de l'Assemblée du 5 août
au 30 octobre. Il n'y a pris aucune part,
puisqu'on nous le dit, mais personne au
moins ne contestera qu'il est des casoii
la neutralité équivaut à un consente"
ment, sinon même à un encouragements
Il est vrai qu'en prenant possession du
pouvoir, M. le maréchal s'était déclaré la
très-dévoué serviteur de la majorité par-
lementaire, et à ce titre il se croyait
peut-être le devoir de n'entraver en rien
ses combinaisons.
A cela il nous serait facile de ré-
pondre que M. le maréchal, avec les
moyens d'information dont il dispose,
aurait pu facilement constater que la
majorité du 24 mai risquait fort de se re-
trouver minorité le 5 novembre, et que,
dans cette hypothèse, peut-être il eût
été plus régulier de ne point permettre,
par exemple, que certains membres du
cabinet, sans compter le titulaire de no-
tre première ambassade, fussent au pre-
mier rang des démolisseurs des « insti-
tutions existantes. >> -
Nous ferons observer, en outre, que
M. le président de la République n'a point
conservé la neutralité aussi strictement
qu'on veut bien le dire. N'a-t-il point
déclaré que, quels que fussent les événe-
ments, ils ne se séparerait pas de la ma-
jorité conservatrice, voulant dire par là
qu'il refuserait ses services à la minorité
du 24 mai si elle devenait majorité le
5 novembre ? Cette déclaration, émanée
du cabinet de la présidence, - les
journaux officieux nous l'ont affirmé, —
ne peut être mise en doute par personne.
Or, il en résulte bien clairement que
M. le maréchal prenait parti pour la mo-
narchie contre la République, ce qui
était au moins prématuré, et revêtait
par là un caractère de menace qu'il nous
est difficile d'oublier.
Telle est la situation de M. le maré-
chal à la veille du retour de l'Assemblée.
Il va se retrouver devant la majorité qui
l'a élu le 24 mai, et qui, pendant trois
mois, a pu,' sous ses yeux et grâce
à son acquiescement tacite, nourrir
le projet d'imposer à la France un gou-
vernement qu elle exècre. Quel langage
lui tiendra-t-il ? Quel langage lui a-t-il
déjà tenu ? Car on s'est déjà vu, on a
déjà discuté, combiné ; et c'est de là que
viennent les résolutions adoptées, paraît-
il, par les monarchistes et consenties
par M. le maréchal. Bien que nous ne
soyons point dans le secret des dieux,
il est clair que si M. le maréchal consent
à une prorogation de ses pouvoirs, c'est
qu'il pense que la majorité du 24 mai,
n'ayant pu réussir à faire la monarchie,
doit persister à nous interdire de faire la
République.
On sait ce que nous pensons de cette
prétention de nos adversaires ; eh bien !
nous voudrions croire que M. le maré-
chal de Mac-Mahon ne s'y associe point.
La prorogation de ses pouvoirs nous est
présentée, cela va de soi, en dehors de
tous projets constitutionnels; elle n'est,
dans l'esprit de ceux qui la demandent,
qu'un nouveau bail signé avec le provi-
soire ; et, malheureusement, nous avons
quelques raisons de penser que M. le
maréchal lui-même ne la considérerait
pas autrement. Or, ignore-t-il donc à ce
point l'état de la France, ses appréhen-
sions, ses angoisses, qu'il n'hésite pas à
lui infliger pour des années encore cet
horrible supplice de l'incertitude? Ne
sait-il pas que le commerce, l'industrie,
FEUILLETON DU XIXO $IECLE
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"", -
L'Odéon continue à payer en petite mo-
nais sa dette aux auteurs nouveaux. Il ne
risque pas grand chose à ce jeu, mais cela
aussi ne lui profite guère, et il ne doane
pas plus satisfaction à son caissier qu'à la
Ct itique et aux droits spécifiés dans son
cahier des charges. En ce qui touche ses
intérêts .particuliers, nous n'avons rien à
.y voir; mais nous avons le droit et le de-
voir de nous préoccuper de la situation
faite aux auteurs dramatiques et de la mai-
gre place laissée au* ouvrages nouveaux.
X/Odéon se traîne de reprise en reprise et
croit répondre à tout avec une demi»dou-
zaine de saynètes versifté@, qui ne sont
que de faibles arrhes de ce qu'il doit. Ce
ne sont là que des hord'œuvre qui ou.
vrent l'appétit sans le satisfaire'et nous at-
tendons vainement un rôti, qui ne vient
jamais.
LOiéon ne veut jouer qu'à coup sûr, et
cette prudence un peu trop circonspecte
qu'il apporte dans son exploitatioa lui fait
trop oublier le véritable but de sou insti-
tution. ",
A tort ou à raison, je c ois qu'une cer-
taine réserve m'est. imposée par le bon
gcùt sur ce chapitre : je ne dis pas et ne
puis pas dire tout ce que je pense; mais
j'ai un devoir à remplir cependant, auquel
je ne dois pas non plus faire absolumeDt:
défaut, et, sans entrer dans une discus-i
sion approfondie de la situation — ou
force me sera d'arriver un jour, maJgra,
ma répugnance — je me rendrais coupable
d'une omission qui pourrait m'être repro-j
chéé, si je ne signalais pas du moins une
façon d'agir lin peu trop cavalière.
UApprenti de Oléemène continue la sériel
déjà fort drue des Jean-Marie, des Vertige"
des Crémaillère, des Rendes vous, e!e. Ce
petit acte, qui rappelle vaguement la Ciguët
est fort honorable sans doute, et je ne me
plains pas de cet encouragement donné à
un jeune auteur; mais si la chose est bon-!
ne en soi, encore est-elle très-insuffisante
au point de vue des devoirs généraux du
second Théâtre-Français et, de ses engage-
monts formels.
Le sculpteur Cléomène, que ses chefs.
d'œuvre ont illustré déjà et dont la Grèce
ïaffole, a pris son art et la vie en dégoût,
Abandonné des dieux, il sent tarir sa veine :
la terre est rebelle sous ses doigts, son ci-
Seau .1 échappe à sa main découragée, il
rêvé le beau, mais ne le voit plus, et la
réalité même le déçoit comme le sçuvehir.
Le semtiment de la forme est mort en lui,
la 'ligne tremblotte dans son esprit trou-
blé, le contour lui échappe, la nature en-
tière n'est plus qu'un foyer sans flamm,
il doute, il est impuissant! Pour né pas
survivre à sa renommée, il faut mourir!
Les archontes lui ont commandé une
statue dé Véaus et, désespérant de son
génie, il ne voit plus dans ce redoutable
hanneur (pie la perspective de sa défaite
et de sa'honte.
En vain le sage Xantippe, son ami,
tente t il de réchauffer l'âme dn cet ar-
tiste qui s'abandonne et veut lâchement
déserter 'sa iâ he, Cléomène résiste à tous
ses' arguments, la eiguë est versée, il faut
la boire!
Xantippe s'éloigne ; mais il le fait avec
trop de calme et de. sérénité pour que nous
ne soupçonnions pas qu'il s'est réservé
quelque boa tour Gaché dans un pli de
son manteau.
Cléomène a saisi la coupe aux sues vé-
néneux et déjà elle touche à ses lèvres,
quand son esclave fidèle vient lui annon-
cer qu'un enfant, tout ému, tout trem-
blant, épuisé de fatigue et de faim, le
conjure de soulager sa misère et implore
la grâce de lé voir. ',
1 Cléomène" interrompu dans l'oraison
funèbre qu'il se décernait à lui-même et
dans les considérations suprêmes aux-
quelles il se livrait sur la vie, la mort, la
gloire, les femmes et plusieurs autres cho-
ses, rabroue fortement l'esclave indiscret
et l'envoie à Aiès d'un ton bourru. Il sai-
sit la coupe, lampe d'un trait le fatal
breuvage et reprend son discours inter-
rompu. Au moment où il se pose. A ptu
près le même point d'interrogation qu.'Ham-
leV prince-de Danemark, l'esclave tenace
reparaît.
Çléomene, ayant dépassé la période de
l'exaltation et gagné pat' uae douce mélan-
colie, SH:, laisse, attendrir. L'esclave intro-
duit l'enfant et,Cléomène est fiappé de sa
rare beauti. Il vient de loin, le pauvre
petit, franchissant mers et montagnes,
couchant sous le dais du ciel, vivant de
fruits, de racines et>du pain de la corn-
passion. Je crois, Dieu me pai donne! avoif
entendu à propos de ce pain un vers où
s'est traîtreusement faufilé ce troupeau de
nasales :
• Qu'en nos monts on donne.
Cléomène a là, .tout trouvé, un héritier
inattendu. Il laissera au bel enfant sa
maison et tout ce qu'il possède et, pendant
qu'il s'absente un moment pour grosseyer
son testament, Nysus, c'est le nom du
petit Antinous, Nysus s'endort, tout moulg
de sa course et de son émotion. Mais en
dormant, il rêrçe, il rêve tout haut même,
selon les - us et coutumes du théâtre, et
pendant qivil rêve, Cléomène revient, tout
à point pour entendre une vraie déclaration
d'amour.
O Zeus, assembleur de nuages, s'écrie
le sculpteur ébaubi, voilà celle qu'appelait
mon désespoir, voilà la femme vaguement
entrevue dans mes aspirât cas stériles, voilà
la beauté parfaite qu'attendait mon génie
pour renaître de ses cendres! C'est une
femme en effet qu'il a devant lui !
Comment Cléomène ne s'est-il pas aperçu
de cela tout de suite? Devons-nous penser
que Nysa, déjà fort court vêtue à son ar-
rivée, a découvert dans l'abandon du som-
meil des beautés révélatrices ? Pour le pu
blic, je vous asswre qu'il a bipn': vu tout de
suite à qui il avait affaire, et iI:est. difficile
de comprendre eommem, attendu Je Ces-
tume, Cléomène a pu avoir besoin que le
destin et les agitations d'un sommeil in-
discret lui mettent les points sur les i,
pour s'en apercevoir.
Ea attendant, Nyaa est sur son cœur,
dans ses bras qui la pressent, e'est le bon-
heur, c'est la vie!.** La vie! Et l'avare
Achéren, rotes tourtereaux? Cléomène a bu
le coup de l'étrier et c'est le cheval de la,
mort qu'il s'agit d'enfourcher. N'entendez-
vous pas l'inexorable nocher appeler ses
amateurs pour la pleine eau infernale! -
Ex machinâ dèus, Xantippe sort de sa
boît, it déclare à l'artiste reconquis que
sa ciguë n'était que du simple cerfeuil,
innocente ombellifère, dont la seule pro-
priété est d'être légèrement diurétique et
résolutive.
C'est en être quitte à bon compte !
Cléomène taillera dans le Paros la Vé-
nus commandée par les Archontes, le mo-
dèle est trouvé, et le sculpteur montre avec
orgueil, comme digne de représenter la
déesse qui aime les- sourires, la créature
privilégiée qu'il prenait tout à l'heure,
malgré son costume rudiaientaire, pour
un petit garçon 1
La pièce est .agréable et a été très-chau-
dement accueillie par un public sympathi-
que et indulgent.
En l'écoutant, j'entendais chanter dans
mon souvenir les mélodies de la Galathée
de Victor Massé : je crois que ïApprenti
de Cléomène eût fait un très-joli petit opéra-
cemiue.
Les interprètes de l'œuvre, MM. Mas-
set, Laute et Mme Emilie Broizat ont été
très-applaudis.
Le lendemain de la représentation de
l'Ecole des Femmes au Gymnase, les Français
ont donné la même comédie, et j'ai dit
l'impression que j'en ai ressentie. L'Odéon
à son tour nous a montré le chef d'œuvre.
Le résumé de ces trois réprésentations
peut se faire par une proportion arithmé-
tique, et l'on pourrait dire :
Gymnase : Odéon : : Odéon : Français.
J'ai dit, en appuyant mon dire sur le
texte même de la comédie et sur son es
prit, sur son sens interne, si j'ose ainsi
parler, que je comprenais Arnolphe comme
Proio3t l'avait compris et comme Got le
traduit à celte heure. Je n'insisterai pas
sur ce point aujourd'hui pour ne pas fati-
guer le lecteur de mes redites; mais, un
jour de chômage, je consacrerai un article
spécial à mon plaidoyer, et je me fais
fort de convaincre les chercheurs de bonne
volonté.
La mort du vieux Saint-Léon a laissé à
l'Odéon un vide qui n'est pas encore com-
ble : Saint-Léon, qui jouait d'une façon
tout à fait remarquable le Légataire et le
Malade imaginaire, était, quoique trop mar-
qué pour le rôle d'Arnolphe, tout à fait
supérieur à l'artiste, fort estimable d'ail-
leurs, qui le remplit aujourd'hui.
J'ai regretté le caractère caricatural que
preuait au Gymnase le rôle du tuteur
d'Agnès confié à un comique pur, d'un
physique nullement approprié au person-
nage et complètement étranger aux études
sérieuses que m cessite une pareille inter-
prétation. On n'entre pas dans une comé-
die de Molière comme dans un vaudeville.
Car, semblables aux grands monuments
qui reposent sur des fondations profondes,
les comédies de Molière sont assises sur
des dessous puissants, et il n'est pas une
pierre de l'édifice qui ne corresponde à ses
substructions souterraine
Il ne s'agit pas, aujourd'hui de faire de
l'Ecole des Femmes une pièce toute joviale,
en mettant à son service un comique bur-
lesque et grossier; il faut faire de l'Ecole
des Femmes ce qu'en a voulu faire Mo-
lière, ee qu'il en a fait en réalité, ce qu'elle
est véritablement et ce qu'on la trouve
quand on l'étudié attentivement, qu'on
en pèse loyalement les termes et qu'on se
reporte à l'état de l'âme où se trouvait
Molière quand il l'a écrite et aux condi-
tions dans lesquelles il l'a éerite.
Ces trois représentations successives
nous ont révélé trois Agnès : l'une, Mlle
Reichemberg, en possession depuis long-
temps déjà de la faveur publique, faveur
très-méritée — je m'empresse de l'attester,
— et qui, aux qualités qu'exige le rôle,
ajoute l'avantage d'une jeune, mais réelle
expérience, d'un talent éprouvé, d'une
confiance et d'une sûreté de soi qui man-
quent encore aux deux autres. Mlle Le-
gault, l'Agnès du Gymnase, est une toute
jeume artiste à laquelle je crois de l'ave-
nir, mais qui n'est pas une ingénuité et
ne fera certainement que traverser cet
emploi, hors duquel ses qualités plus ac-
centuées l'appellent.
Reste Mlle Baretta, l'Agnè-3 de l'Odéon.
,Mlle Baretta n'est pas jolie; mais comme
tout çe qu'elle fait est intelligent et sin-
cère! Comme elle comprend bien et com-
me elle sent juste! On voit qu'elle joue
pour lo rôle et non pas pour elle-miême,
qu'elle prend à ., l'école les enseignements
et les traditions que son petit jugement,
droit et sain, a ratifiés, mais sans abdi-
quer son sentiment personnel et sans ad-
mettre qu'il puisse lui être défendu dq
chercher à s'assimiler directement l'esprit
de l'auteur et de se servir de ce qu'elle tire
de son propie fonds.
Il y, a bien eu, çà et là, aussi chez elle,
quelques petites choses un peu trop fines,
qu'elle perdra, j'en suis convaincu, quand
oile aura joué davantage ; car elle possède
une qualité incomparable et rare dont je
l'ai félicitée déjà, c'est le dédain de L'effet,
Peu Du Numéro : Paris i5 Centimes — Départements 20 Cbkïmïbs.
Mardi 4 Novembre 1873J
lli - vÀiIfÀ 8 ÇTOPT F
t n uiHiulilb
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
1 RÉDACTION
eadtesser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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Les manuscrits non insérés ne seront pas rgnâut,
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advertising, agent, 13, Tavistockrow, CoventGArden.
JOURNtE: POLITIQUE
'- Paris, 3 novembre 1875.
Les auteurs et complices de la révolu-
tion du 24 mai ont cru depuis cinq mois
,marcher à pab de géants; ils ont, en ef-
fet, parcouru beaucoup de chemin, mais
ils s'aperçoivent que c'était à la façon dep
écrevisses. Les voici réduits à prouver
que c'est un triomphe de revenir, après
ciaq mois si laborieusement employés, au
point de départe et pour se mieux con-
vaincre, ils le crient à tue-tête. « Nous
sommes aujourd'hui ce que nous étions
hier, » dit une feuille royaliste, s'appro-
priant (avec quel à-propos !) le mot -de
Sieyès. Quoi qu'il en soit, d'après l'aima
nach de la fusion, le lendemain du 24 mai
n'est plus le 25 mai, mais le 3 novem-
bre ; et la veille du 3 novembre n'est plus
le 2 novembre, mais le 24 mai.
Quel bond! Nous comprenons que les
fusionnistes veuillent effacer de la politi-
que et de l'histoire ce long intervalle. Ils
n'y parviendront point, quelques airs dé-
gagés qu'ils affectent. - Amis, disent-ils
aux bonapartistes, souvenez vous de la
salle Herz et du pacte sacré que nous y
conclûmes. Nous voici Revenus à ce jour
radieux. - Braves gens,, bonnes gens
(ceci s'adresse aux conservateurs des ex-
trêmes confins du centre gauche), est-ce
que la République a jamais été par nous
mise en péril? Est-ce que nous avons at-
taqué les institutions existantes? N'en
croyez pas vos yeux ; c'est un vain fantôme
de conspiration que vous avez vu. Où
en sommes-nous, messieurs ? A l'oidre du
jour Ernoul, Tordre du jour du 24 mai,
que Paris-Journal reproduit au long ce
matin, et qui déclarait « que la forme du
gouvernement n'était pas en question. »
De quoi s'agissait il? De donner satisfaction
aux intérêts conservateurs menacés par le
radicalisme. C'est là, c'est toujours là que
nous en sommes. Et la majorité conser-
vatrice se retrouve, plus unie que jamais,
fcur son véritable terrain 1
Oui-dà ! Nous voudrions savoir qui l'on
entend berner et quel état on fait de ces
sornettes. Voilà donc nos honnétes gens?
Non, cent fois non, ils ne sont même
plus ce qu'ils étaient au 24 mai; ils ont
mal fait leur compte et ils ont omis d'y
jnscrire leur conjuration royaliste avortée,
leurs ex-alliés les bonapartistes terrorisés,
.la Franee malmenée, agitée, épouvantée,
scandalisée. Avoir tout compromis pour
ne réusssir à rien, c'est si peu de chose!
N'en parlons plus, fi donc! Est-ce que la
situation a changé ? En somme on invite
la Chambre et le pays, on s'invite soi-
même à tenir pour non avenu tout ce qui
s'est passé depuis cinq mois : c'était un
rêve.
Mesurez-vous assez bien maintenant l'é-
tendue de la reculade ? Ce n'est pas tout.
Lesjournaux ministériels tiennentà présent
un tel langage qu'il les faut lire plusieurs
fois pour être sûr de ne pas se tromper.
Une sorte d'article-programme sur lâ po-
litique du gouvernement a paru dans le
Français d'hier. Nous y voyons d'abord le
cabinet se disculper et jurer ses grands
dieux « qu'il s'est tenu en dehors de la
campagne de restauration monai chique,
demeurant tou jours sur le terrain du 24,
mai ; qu'il a gardé une réserve qui lui im-
pose aujourd'hui de nouveaux devoirs,
etc.,. » Ces devoirs, quels sont-ils? Ils
consisteront, pour le ministère, à engager
sa responsabilité (elle ne l'était pas!) at
à indiquer lui-même le but où se doivent
diriger les efforts et les espérances. Et ce
but? C'est la République; écoutez plutôt le
Français:
Tel est le grand tôle qui nous paraît devoir
être en cemomont celui du gouvernement. Qu'il
donne hardiment, nettement, son avis sur les.
solutions constitutionnelles que, dans sa con-
naissance des faits et des hommes, il juge pra-
tiques et satisfaisantes, — évitant à la fois soit
ce qui risquerait de conduire les conservateurs à
un nouvel avortement, soit ce qui pourrait pro-
duire entre les divers groupes de la majorité
une division qu'il faut à tout prix éviter, ou ce
qui pourrait même seulement modifier l'axe de
cette majorité en le reportant à gauche. Puis,
cette question constitutionnelle rapidement
tranchée, le gouvernement devrait, par une
initiative non moins énergique, arracher l'opi-
nion à cqs discussions épuisantes et proposer
une série de mesures de défense sociale, loi
municipale, loi sur la presse, loi électorale,
apportant en un mot tout un programme de ré-
sistance et engageant pleinement sa responsa-
bilité dans chacune de ces propositions.
Ainsi, l'on veut toujours faire de la réac-
tion, mais on est réduit à faire de la réac-
tion républicaine ! On en revien t à propo-
ser l'organisation de la République - des-
potique, aristocratique, ultramoataine, etc.;
mais enfin de la République ! Et ceux qui
parlent ou font parler ee langage, se vantent
d'être les mêmes hommes aujourd'hui
qu'hier, les mêmes hommes que le 24 mai !
La' plaisanterie sfmb!era forte ; on en
peut rire, mais le rire, en ces occabions,
ne désarme point. De tout ceci, nous ne
retenons, gens de bien, que l'aveu de
votre défaite ; la République se fera, vous
êtes bien forcés d'en convenir vous-mêmes,
mais par d'autres mains, s'il vous plaît,
que celles qui ont failli lui être si funes-
tes.
Eue. LriÉBBRT,
-■ .—— .—: ♦
L'honorable M. Destremx, député de l'Ar-
dèçhe, vient d'écrire la lettre suivante au pré-
sident de la gauche républicaine :
Monsieur le président et cher collègue,
Retenu dans mon département parades
devoirs impérieux jusqu'au jour de la réu-
nion de l'Assemblée, je croyais inutile de
vous adresser mes exeuses et mon adhé-
sion pleine et entière dès l'instant que j'a-
vais 1 honneur d'être membre de la gauche
républicaine et qu'une lettre à mes élec-
teurs avait été reproduite par un très-
grand nombre de journaux; mais on m'in-
forme aujourd'hui que je figure parmi les
indécis dans une liste publiée par le Gau-
lois, et je viens par cette lettre protester
contre cette inexactitude.
Je dois ajouter que partout dans le Midi
la cause d'Henri V perd un grand nom-
bre de sespartisans et devient de plus en
plus impopulaire ; dans l'Ardèche, le pays
san, conservateur et profondément reli
gieux, voit comme conséquence de la res-
tauration monarchique le rétablissement
du pouvoir temporel du pape et la guerre
avec l'Italie et l'Allemagne. Aussi que de
fois ai-je entendu de bons et paisibles pay-
sans s'écrier : Ah! si on faisait voter le petit
peuple!. et beaucoup d'entre eux venaient
d'accomplir un peux pèlerinage à Notre-
Dame - de-Lablacaèré; station célèbre qui
est à 2 kilomètres de l'endroit où j'habite.
Veillez recevoir, monsieur le président et
cher éollègae, mes amicales et dévouéés
salutations, et veuillez faire agréer à mes:
collègues mes regrets de ne pouvoir être
au milieu d'eux dans un moment aussi
critique.
L. Destremx.
Alais, Gard, 27 octobre 1873..
Les deux Centrés
,' p Le moment est venu de sortir du
provisoire et d'organiser la République
conservatrice. »
Cette résolution, adoptée à l'unanimité
le 30 octobre et renouvelée depuis, ré-
sume toute la politique du centre gau-
che. Tel est le but ; quant aux moyens,
le centre gauche a décidé, le 1er novem-
bre, « qu'il s'en rapporterait à son bu-
reau, qui aurait à s entendre avec les
bureaux des divers groupes républi-
cains. » -,
Ainsi c'est vers la République que se
dirige, sans plus délibérer, le centre
gauche, estimant qu'il n'y a pas de
temps à perdre, qu'on - en a déjà trop
perdu.
Que fait cependant lé centre droit ?
Des délégués de ce groupe se sont
réunis chez le général Changarnier avec
les délégués des autres groupes de la
droite. Ils n'ont rien voté ; mais l'unique
idée qui leur soit venue, c'est « de pro-
roger les pouvoirs du maréchal Mac-
Mahon pour six ans et ceux de l'Assem-
blée pour trois. » De sortir du provi-
soire, il n'a pas été question ; moins en-
core, à fortiori, d'organiser la Répu-
blique.
Faut-il développer le parallèle? Le
centre gauche repousse énergiquement
le statu quo; le centre droit prétend s'y
maintenir. L'un veut eonstituer la Répu-
blique définitive; l'autre, perpétuer un
régime sans nom, propre seulement à
favoriser l'agitation et les complots. L'un
veut entrer au port; l'autre, continuer
parmi les tempêtes la navigation vers
l'inconnu. L'un donne la main aux répu-
blicains ; l'autre se tient uni aux monar-
chistes. Ils suivent, après tout, chacun
de son côté, leur voie naturelle ; leurs
buts sont opposés et leurs directions
contraires,
On nous assure toutefois que cinq ou
six députés préconisent en ce moment
même « l'union des centres », grande
inan œuvre qui leur paraîtrait propre à
tout sauver. Un ou deux journaux les
appuient. Dieu nous garde de sus-
pecter leurs intentions ! Disons seule-
ment qu'ils sont trop candides ou trop
habiles, et assurément trop empressés.
Cette « union des centres » a été
longtemps l'objectif de la politique de
M. Thiers. Gouvernant avec le concours
forcé des élus de 1871, il ne pouvait
guère adopter dans le Parlement une
autre tactique ; il l'a suivie deux ans et
plus : avec quels résultats ? Pouitant,
en 1871, en 1872 et même au commen-
cement de 1873, on pouvait croire que
« l'union des centres » n'était pas tout
à fait irréalisable ; il n'en est pas moins
vrai que M. Thiers, avec toute son expé-
rience et sa finesse, y a échoué.
Ce que n'a pu accomplir, avant le
24 - mai, M. Tbiers, assisté de M. Casimir
Périer, de M. Dufaure, et de tout ce que
les conservateurs avaient de plus con-
sidérable, qui donc aujourd'hui peut
songer à le tenter avec plus de succès ?
Est-ce à dire qu'une meilleure situation
parlementaire ait rendu désormais le
rapprochement plus facile ?
On proposerait sans rire au eentre
gauche de se concerter avec le centre
droit pour l'action commune 1 Quelle
action ? et que peut-il y avoir de com-
mun entre deux partis qui sont séparés
par plusieurs abîmes ?
Qui donc a renversé, au 24 mai, en
le couvrant d'injures, un ministère com-
posé de ceux des députés du centre gau-
ehe qui répugnaient le moins aux ac-
commodements et à la conciliation avec
le centre droit ?
Que voulaient les auteurs de ce ren-
versement ? à qui se sont-ils alliés ? et
à quoi ont-ils travaillé depuis ?
Qui a figuré en premiere ligne dans
la fameuse commission des neuf ? qui
a comploté à ciel ouvert, après le 5 août,
la restauration d'une monarchie qui de-
vait être relevée sans garantie et sans
conditions ?
Quels ont été, durant cet intervalle,
les plus ardents instigateurs de tous les
actes d'arbitraire et des persécutions in-
justes qu'ont souffertes surtout les plus
modères des républicains?
Où a été voté par acclamations le pro-
gramme royaliste de Salzbourg ?
Qui a tout mis en jeu, l'intrigue, la
corruption, la menace, peur acquérir
l'unique voix de majorité dont on faisait
dépendre les destins de la France ?
Qui a souhaité la revanche de 1789?
Quels hommes s'en seraient faits demain
les artisans? èt s'ils n'eussent été rete-
nus par le seul obstacle du drapeau, à
quoi nous auraient-ils conduits ?
Que prépare maintenant enfin leur
patriotisme ? Que cherchent-ils ? Qui
a inventé la régence ou le lieutenant-
général du royaume ? a On demande
un traître! » s'écrie M. Veuillot avec sa
mordante ironie. Est-ce la complicité du
08ntre gauche qui doit aider à trouver
le traître?
On croit, en vérité, tes conservateurs
républicains trop bénévoles, trop ou-
blieux surtout des intérêts de leur pays.
Si le passé ne leur inspirait point quel-
que rancune, ils seraient des anges ;
mais il ne s'agit pas de rancune, il s'agit
d'écouter la voix de la prudence, de
profiter le lendemain des leçons de la
veille et de sauvegarder l'avenir de la
République et de la patrie.
Quand bien même on écarterait tout
ce qui tient au sentiment, les Antipa-
thies, les répugnances, les justes soup-
çons et le souvenir de tant de circons-
tances décisives, qui se flatterait d'ame-
ner le centre gauche à conclure un odieux
et absurde marché, vrai marché de du-
pes ? Nous demandons sur quels articles
pourraient s'entendre les deux centres,
l'un poursuivant et l'autre rejetant l'or-
ganisation durable de la République?
combien de temps l'alliance subsisterait,
à supposer qu'elle se fît? combien de
voix dans l'Assemblée lui seraient ac-
quises ? enfin, hors de l'Assemblée, quel
appui?
Ce n'est pas aux membres du centre
gauche que nous adressons ces ré-
flexions ; nous leur ferions injure et nous
savons trop bien dans quelles disposi-
tions les trouveraient ceux qui de nou-
veau chercheraient à les abuser. Mais
il fallait réduire à leur juste valeur quel-
ques propos sans conséquence et cer-
tains bruits adroitement semés. Sur ce
beau fondement les journaux fusionnis-
tes échafaudent des projets, des combi-
naisons, des remaniements partiels du
cabinet, qu'ils espèrent sauver par un
replâtrage. Et, pendant ce temps-là, qui
pourvoirait au salut du pays ? Le centre
gauche est maître de la situation et il n'a
point la bonhomie de l'ignorer; ce n'est
pas pour tirer les royalistes d embarras
qu'il s'exposerait à mériter le reproche
fameux de Maharbal : Victorid uti nescis.
EuG. LIÉBERT.
-- - - -- -----+- --,--"-
On lit dans le Journal de Paris :
C'est dans la journée d'hier que des
pourparlers se sont engagés entre la ma-
jorité et les princes d'Orléans au sujet de
la lieutenance générale. Trois députés sont
allés, dans la matinée, les prévenir offi-
cieusement de ce qui se passait. Puis, dans
la soirée, M. le général Changarnier a fait
auprès d'eux une démarche en quelque
sorte officielle. ,
Dès la première entrevue, les princes
ont laissé prévoir que leur refus était dé-
finitif.
M. le comte de Paris et M. le prince
de Joinville se sont exprimés avec une
grande énergie. M. le prince de Joinville,
atquel on avait songé pour la lieutenance
générale, a déclaré que si cette proposition
se produisait à l'Assemblée, il monterait
à la tribune pour la combattre. Il a ajouté :
« Maintenant je suis Mac-Mahonien. »
M. le comte de Paris, de son côté, a dé-
claré que les princes d'Orléans, par leur
attitude, voulaient en même temps sauve-
garder l'idée monarchique et l'honneur de
leur maison.
On lit dans le Français :
« On a beaucoup parlé d'une démarche
qui aurait été faite par différents repré-
sentants de la droite auprès d'un prince
d'Orléans. Cette démarche n'a pu aboutir,
par suite de la résolution où sont tous les
princes d'Orléans de rester sur la réserve. »
---" —————————
Nous eussions préféré, pour beaucoup
de raisons qu'on comprendra sans qu'il
soit besoin de les dire, n'avoir point à
parler de M. le maréchal de Mac-Mahon
et de la situation nouvelle que lui font
les derniers événements. Mais il est au-
jourd'hui le sujet de toutes les conversa-
tions parlementaires, le pivjt de toutes
les combinaisons ; notre devoir est donc
de parler, et, coûte que coûte, nous pu-
blierons notre pen e.
Il fut un temps où le président de la
République était jugé dans certains jour-
naux avec une extrême sévérité, d'ail-
leurs sans nul péril. Liberté complète
était laissée à tous de le juger, de le cri-
tiquer, voire de l'injurier tout à l'aise,
et plus d'un vulgaire malfaiteur s'est vu
plus épargné par nos Catons modernes
que ne le fut, pendant un temps, le
premier magistrat du pays.
Mais, en ce temps-là, le président de
la République s'appelait bourgeoisement
M. Thiers.
Aujourd'hui, il s'appelle le maréchal
de Mac-Mahon, duc de Magenta. Une il-
lustration militaire a succédé à une il-
lustration politique; à nos yeux, c'est
toute la différence, et nous avons res-
senti trop d'indignation naguère contre
les insulteurs du « petit bourgeois » pour
que nous songions à suivre leur exem-
ple en parlant du « loyal soldat à).
Personne ne nous refusera cependant
le droit d'exprimer librement notre opi-
nion sur le chef du pouvoir, à la veille
du jour dû nos adversaires semblent
nous présenter comme une menace un
projet récemment élaboré et qui consis-
terait à fixer une durée de dix ans aux
pouvoirs du président de la République.
M. le maréchal de Mac-Mahon, en sa
qualité de chef de l'Etat, n'a pu et n'a
dû rien ignorer des projets poursuivis
par une portion de l'Assemblée du 5 août
au 30 octobre. Il n'y a pris aucune part,
puisqu'on nous le dit, mais personne au
moins ne contestera qu'il est des casoii
la neutralité équivaut à un consente"
ment, sinon même à un encouragements
Il est vrai qu'en prenant possession du
pouvoir, M. le maréchal s'était déclaré la
très-dévoué serviteur de la majorité par-
lementaire, et à ce titre il se croyait
peut-être le devoir de n'entraver en rien
ses combinaisons.
A cela il nous serait facile de ré-
pondre que M. le maréchal, avec les
moyens d'information dont il dispose,
aurait pu facilement constater que la
majorité du 24 mai risquait fort de se re-
trouver minorité le 5 novembre, et que,
dans cette hypothèse, peut-être il eût
été plus régulier de ne point permettre,
par exemple, que certains membres du
cabinet, sans compter le titulaire de no-
tre première ambassade, fussent au pre-
mier rang des démolisseurs des « insti-
tutions existantes. >> -
Nous ferons observer, en outre, que
M. le président de la République n'a point
conservé la neutralité aussi strictement
qu'on veut bien le dire. N'a-t-il point
déclaré que, quels que fussent les événe-
ments, ils ne se séparerait pas de la ma-
jorité conservatrice, voulant dire par là
qu'il refuserait ses services à la minorité
du 24 mai si elle devenait majorité le
5 novembre ? Cette déclaration, émanée
du cabinet de la présidence, - les
journaux officieux nous l'ont affirmé, —
ne peut être mise en doute par personne.
Or, il en résulte bien clairement que
M. le maréchal prenait parti pour la mo-
narchie contre la République, ce qui
était au moins prématuré, et revêtait
par là un caractère de menace qu'il nous
est difficile d'oublier.
Telle est la situation de M. le maré-
chal à la veille du retour de l'Assemblée.
Il va se retrouver devant la majorité qui
l'a élu le 24 mai, et qui, pendant trois
mois, a pu,' sous ses yeux et grâce
à son acquiescement tacite, nourrir
le projet d'imposer à la France un gou-
vernement qu elle exècre. Quel langage
lui tiendra-t-il ? Quel langage lui a-t-il
déjà tenu ? Car on s'est déjà vu, on a
déjà discuté, combiné ; et c'est de là que
viennent les résolutions adoptées, paraît-
il, par les monarchistes et consenties
par M. le maréchal. Bien que nous ne
soyons point dans le secret des dieux,
il est clair que si M. le maréchal consent
à une prorogation de ses pouvoirs, c'est
qu'il pense que la majorité du 24 mai,
n'ayant pu réussir à faire la monarchie,
doit persister à nous interdire de faire la
République.
On sait ce que nous pensons de cette
prétention de nos adversaires ; eh bien !
nous voudrions croire que M. le maré-
chal de Mac-Mahon ne s'y associe point.
La prorogation de ses pouvoirs nous est
présentée, cela va de soi, en dehors de
tous projets constitutionnels; elle n'est,
dans l'esprit de ceux qui la demandent,
qu'un nouveau bail signé avec le provi-
soire ; et, malheureusement, nous avons
quelques raisons de penser que M. le
maréchal lui-même ne la considérerait
pas autrement. Or, ignore-t-il donc à ce
point l'état de la France, ses appréhen-
sions, ses angoisses, qu'il n'hésite pas à
lui infliger pour des années encore cet
horrible supplice de l'incertitude? Ne
sait-il pas que le commerce, l'industrie,
FEUILLETON DU XIXO $IECLE
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L'Odéon continue à payer en petite mo-
nais sa dette aux auteurs nouveaux. Il ne
risque pas grand chose à ce jeu, mais cela
aussi ne lui profite guère, et il ne doane
pas plus satisfaction à son caissier qu'à la
Ct itique et aux droits spécifiés dans son
cahier des charges. En ce qui touche ses
intérêts .particuliers, nous n'avons rien à
.y voir; mais nous avons le droit et le de-
voir de nous préoccuper de la situation
faite aux auteurs dramatiques et de la mai-
gre place laissée au* ouvrages nouveaux.
X/Odéon se traîne de reprise en reprise et
croit répondre à tout avec une demi»dou-
zaine de saynètes versifté@, qui ne sont
que de faibles arrhes de ce qu'il doit. Ce
ne sont là que des hord'œuvre qui ou.
vrent l'appétit sans le satisfaire'et nous at-
tendons vainement un rôti, qui ne vient
jamais.
LOiéon ne veut jouer qu'à coup sûr, et
cette prudence un peu trop circonspecte
qu'il apporte dans son exploitatioa lui fait
trop oublier le véritable but de sou insti-
tution. ",
A tort ou à raison, je c ois qu'une cer-
taine réserve m'est. imposée par le bon
gcùt sur ce chapitre : je ne dis pas et ne
puis pas dire tout ce que je pense; mais
j'ai un devoir à remplir cependant, auquel
je ne dois pas non plus faire absolumeDt:
défaut, et, sans entrer dans une discus-i
sion approfondie de la situation — ou
force me sera d'arriver un jour, maJgra,
ma répugnance — je me rendrais coupable
d'une omission qui pourrait m'être repro-j
chéé, si je ne signalais pas du moins une
façon d'agir lin peu trop cavalière.
UApprenti de Oléemène continue la sériel
déjà fort drue des Jean-Marie, des Vertige"
des Crémaillère, des Rendes vous, e!e. Ce
petit acte, qui rappelle vaguement la Ciguët
est fort honorable sans doute, et je ne me
plains pas de cet encouragement donné à
un jeune auteur; mais si la chose est bon-!
ne en soi, encore est-elle très-insuffisante
au point de vue des devoirs généraux du
second Théâtre-Français et, de ses engage-
monts formels.
Le sculpteur Cléomène, que ses chefs.
d'œuvre ont illustré déjà et dont la Grèce
ïaffole, a pris son art et la vie en dégoût,
Abandonné des dieux, il sent tarir sa veine :
la terre est rebelle sous ses doigts, son ci-
Seau .1 échappe à sa main découragée, il
rêvé le beau, mais ne le voit plus, et la
réalité même le déçoit comme le sçuvehir.
Le semtiment de la forme est mort en lui,
la 'ligne tremblotte dans son esprit trou-
blé, le contour lui échappe, la nature en-
tière n'est plus qu'un foyer sans flamm,
il doute, il est impuissant! Pour né pas
survivre à sa renommée, il faut mourir!
Les archontes lui ont commandé une
statue dé Véaus et, désespérant de son
génie, il ne voit plus dans ce redoutable
hanneur (pie la perspective de sa défaite
et de sa'honte.
En vain le sage Xantippe, son ami,
tente t il de réchauffer l'âme dn cet ar-
tiste qui s'abandonne et veut lâchement
déserter 'sa iâ he, Cléomène résiste à tous
ses' arguments, la eiguë est versée, il faut
la boire!
Xantippe s'éloigne ; mais il le fait avec
trop de calme et de. sérénité pour que nous
ne soupçonnions pas qu'il s'est réservé
quelque boa tour Gaché dans un pli de
son manteau.
Cléomène a saisi la coupe aux sues vé-
néneux et déjà elle touche à ses lèvres,
quand son esclave fidèle vient lui annon-
cer qu'un enfant, tout ému, tout trem-
blant, épuisé de fatigue et de faim, le
conjure de soulager sa misère et implore
la grâce de lé voir. ',
1 Cléomène" interrompu dans l'oraison
funèbre qu'il se décernait à lui-même et
dans les considérations suprêmes aux-
quelles il se livrait sur la vie, la mort, la
gloire, les femmes et plusieurs autres cho-
ses, rabroue fortement l'esclave indiscret
et l'envoie à Aiès d'un ton bourru. Il sai-
sit la coupe, lampe d'un trait le fatal
breuvage et reprend son discours inter-
rompu. Au moment où il se pose. A ptu
près le même point d'interrogation qu.'Ham-
leV prince-de Danemark, l'esclave tenace
reparaît.
Çléomene, ayant dépassé la période de
l'exaltation et gagné pat' uae douce mélan-
colie, SH:, laisse, attendrir. L'esclave intro-
duit l'enfant et,Cléomène est fiappé de sa
rare beauti. Il vient de loin, le pauvre
petit, franchissant mers et montagnes,
couchant sous le dais du ciel, vivant de
fruits, de racines et>du pain de la corn-
passion. Je crois, Dieu me pai donne! avoif
entendu à propos de ce pain un vers où
s'est traîtreusement faufilé ce troupeau de
nasales :
• Qu'en nos monts on donne.
Cléomène a là, .tout trouvé, un héritier
inattendu. Il laissera au bel enfant sa
maison et tout ce qu'il possède et, pendant
qu'il s'absente un moment pour grosseyer
son testament, Nysus, c'est le nom du
petit Antinous, Nysus s'endort, tout moulg
de sa course et de son émotion. Mais en
dormant, il rêrçe, il rêve tout haut même,
selon les - us et coutumes du théâtre, et
pendant qivil rêve, Cléomène revient, tout
à point pour entendre une vraie déclaration
d'amour.
O Zeus, assembleur de nuages, s'écrie
le sculpteur ébaubi, voilà celle qu'appelait
mon désespoir, voilà la femme vaguement
entrevue dans mes aspirât cas stériles, voilà
la beauté parfaite qu'attendait mon génie
pour renaître de ses cendres! C'est une
femme en effet qu'il a devant lui !
Comment Cléomène ne s'est-il pas aperçu
de cela tout de suite? Devons-nous penser
que Nysa, déjà fort court vêtue à son ar-
rivée, a découvert dans l'abandon du som-
meil des beautés révélatrices ? Pour le pu
blic, je vous asswre qu'il a bipn': vu tout de
suite à qui il avait affaire, et iI:est. difficile
de comprendre eommem, attendu Je Ces-
tume, Cléomène a pu avoir besoin que le
destin et les agitations d'un sommeil in-
discret lui mettent les points sur les i,
pour s'en apercevoir.
Ea attendant, Nyaa est sur son cœur,
dans ses bras qui la pressent, e'est le bon-
heur, c'est la vie!.** La vie! Et l'avare
Achéren, rotes tourtereaux? Cléomène a bu
le coup de l'étrier et c'est le cheval de la,
mort qu'il s'agit d'enfourcher. N'entendez-
vous pas l'inexorable nocher appeler ses
amateurs pour la pleine eau infernale! -
Ex machinâ dèus, Xantippe sort de sa
boît, it déclare à l'artiste reconquis que
sa ciguë n'était que du simple cerfeuil,
innocente ombellifère, dont la seule pro-
priété est d'être légèrement diurétique et
résolutive.
C'est en être quitte à bon compte !
Cléomène taillera dans le Paros la Vé-
nus commandée par les Archontes, le mo-
dèle est trouvé, et le sculpteur montre avec
orgueil, comme digne de représenter la
déesse qui aime les- sourires, la créature
privilégiée qu'il prenait tout à l'heure,
malgré son costume rudiaientaire, pour
un petit garçon 1
La pièce est .agréable et a été très-chau-
dement accueillie par un public sympathi-
que et indulgent.
En l'écoutant, j'entendais chanter dans
mon souvenir les mélodies de la Galathée
de Victor Massé : je crois que ïApprenti
de Cléomène eût fait un très-joli petit opéra-
cemiue.
Les interprètes de l'œuvre, MM. Mas-
set, Laute et Mme Emilie Broizat ont été
très-applaudis.
Le lendemain de la représentation de
l'Ecole des Femmes au Gymnase, les Français
ont donné la même comédie, et j'ai dit
l'impression que j'en ai ressentie. L'Odéon
à son tour nous a montré le chef d'œuvre.
Le résumé de ces trois réprésentations
peut se faire par une proportion arithmé-
tique, et l'on pourrait dire :
Gymnase : Odéon : : Odéon : Français.
J'ai dit, en appuyant mon dire sur le
texte même de la comédie et sur son es
prit, sur son sens interne, si j'ose ainsi
parler, que je comprenais Arnolphe comme
Proio3t l'avait compris et comme Got le
traduit à celte heure. Je n'insisterai pas
sur ce point aujourd'hui pour ne pas fati-
guer le lecteur de mes redites; mais, un
jour de chômage, je consacrerai un article
spécial à mon plaidoyer, et je me fais
fort de convaincre les chercheurs de bonne
volonté.
La mort du vieux Saint-Léon a laissé à
l'Odéon un vide qui n'est pas encore com-
ble : Saint-Léon, qui jouait d'une façon
tout à fait remarquable le Légataire et le
Malade imaginaire, était, quoique trop mar-
qué pour le rôle d'Arnolphe, tout à fait
supérieur à l'artiste, fort estimable d'ail-
leurs, qui le remplit aujourd'hui.
J'ai regretté le caractère caricatural que
preuait au Gymnase le rôle du tuteur
d'Agnès confié à un comique pur, d'un
physique nullement approprié au person-
nage et complètement étranger aux études
sérieuses que m cessite une pareille inter-
prétation. On n'entre pas dans une comé-
die de Molière comme dans un vaudeville.
Car, semblables aux grands monuments
qui reposent sur des fondations profondes,
les comédies de Molière sont assises sur
des dessous puissants, et il n'est pas une
pierre de l'édifice qui ne corresponde à ses
substructions souterraine
Il ne s'agit pas, aujourd'hui de faire de
l'Ecole des Femmes une pièce toute joviale,
en mettant à son service un comique bur-
lesque et grossier; il faut faire de l'Ecole
des Femmes ce qu'en a voulu faire Mo-
lière, ee qu'il en a fait en réalité, ce qu'elle
est véritablement et ce qu'on la trouve
quand on l'étudié attentivement, qu'on
en pèse loyalement les termes et qu'on se
reporte à l'état de l'âme où se trouvait
Molière quand il l'a écrite et aux condi-
tions dans lesquelles il l'a éerite.
Ces trois représentations successives
nous ont révélé trois Agnès : l'une, Mlle
Reichemberg, en possession depuis long-
temps déjà de la faveur publique, faveur
très-méritée — je m'empresse de l'attester,
— et qui, aux qualités qu'exige le rôle,
ajoute l'avantage d'une jeune, mais réelle
expérience, d'un talent éprouvé, d'une
confiance et d'une sûreté de soi qui man-
quent encore aux deux autres. Mlle Le-
gault, l'Agnès du Gymnase, est une toute
jeume artiste à laquelle je crois de l'ave-
nir, mais qui n'est pas une ingénuité et
ne fera certainement que traverser cet
emploi, hors duquel ses qualités plus ac-
centuées l'appellent.
Reste Mlle Baretta, l'Agnè-3 de l'Odéon.
,Mlle Baretta n'est pas jolie; mais comme
tout çe qu'elle fait est intelligent et sin-
cère! Comme elle comprend bien et com-
me elle sent juste! On voit qu'elle joue
pour lo rôle et non pas pour elle-miême,
qu'elle prend à ., l'école les enseignements
et les traditions que son petit jugement,
droit et sain, a ratifiés, mais sans abdi-
quer son sentiment personnel et sans ad-
mettre qu'il puisse lui être défendu dq
chercher à s'assimiler directement l'esprit
de l'auteur et de se servir de ce qu'elle tire
de son propie fonds.
Il y, a bien eu, çà et là, aussi chez elle,
quelques petites choses un peu trop fines,
qu'elle perdra, j'en suis convaincu, quand
oile aura joué davantage ; car elle possède
une qualité incomparable et rare dont je
l'ai félicitée déjà, c'est le dédain de L'effet,
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