Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-11-02
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 02 novembre 1873 02 novembre 1873
Description : 1873/11/02 (A3,N717). 1873/11/02 (A3,N717).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75580756
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/03/2013
3* Année. — N° 717
PRIX DU NUMÉOO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Dimanche 2 Novembre ,1873.
ria
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
- RÉDACTION
-&dresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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les manuscrite non insérée ne seront pas rendus.
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JOURNÉE POLITIQUE
-
Paris, Novembre 1875.
- Ce n'est pas seulement avec curiosité
qu'on ouvrait hier les journaux pour y
-recueillir les impressions de l'opinion
ublique sur la lettre de M. le comte de
,ChamborJ ; il était intéressanl d'y sur-
- prendre et d'y observer ce qu'on pourrait
appeler les premiers mouvements des par
tis après la surprise et l'éclat qu'a produits
•ce coup. UV6 portion des légitimistes en
est demeurée stupéfaite et comme atterrée,
tandis qu'un autre groupe, les intransi-
geants- et les vieux fidèles de la monarchie
légitime, brandissent leur drapeau blanc
avec un furieux désespoir. Les orléanistes
dècO'Jcertés ne cherchent même point à
cacher leur trouble. Nous ne parlons pas
des fusionnistes ; on n'en voit guère, et
demain l'on n'en verra plus. Les bonapar-
tistes se demandent quelle arme ils pour-
ront bien tirer de tout ceci contre la Répu-
blique.. Enfin les républicainv, se rappelant
que rien n'est fait s'il reste quelque chose
à faire, se préparent à pousser vigoureuse-
ment leurs avantages et à poursuivre la
victoire.
Les légitimistes, disions-nous, semblent
divisés. A en juger par leurs journaux, M.
le comte de Chambord ne serait plus ap-
puyé désormais que par les ultramontains
de VUnivers et par la droite extrême,
par le groupe qui inspire l'Union ou qui
s'en inspire. Un appel au parti figurait
hier en tête du journal ; ce n'est plus de
la politique, c'est ce qu'on appelle à la
guerre de l'héroïsme fou. Qu'on en juge
par ces extraits :
Royalistes, debout I De3 cris de désespoir s'é-
lèvent de tous côtés et répondent à la parole du
Roi. Notre devoir est de rester fermes, calmes
et confiants.
- Rovalistes, debout ! Ce n'est pas au momeat
où le Roi parle avec l'autorité d'un chef de peu-
pie, sùr de sa mission,' qu'il faut se laisser
tbattre. C'est l'heure de l'honneur et dn
combat.
Debout! Autour du drapeau klanc aous sau-
rons mourir et vaincre. Tout pour la France,
dont le bien le plus précisai est l'honneur de
ses enfants, et VIVE LE ROI !
La Gazette de France, cependant, qui,
dans une seconde édition d'ayant-hier, avait
reproduit d'après l'Union la lettre du roi,
a publié hier seulement vingt lignes obs-
cures, dictées par la résignaùon ou le dé-
pit (on ne sait pas au juste), où le nom de
*M. le comte de Chambord n'est pas pro-
noncé, où il n'est fait aucune allusion ni à
sa lettre, ni à sa personne, sbbien qu'on
pourrait croire que, pour M. Janicot et
pour ses amis, Henri V a cessé de vivre..
Ils ne tournent plus les yeux que vers
l'Assemblée, qui a reçu lamissioa. a de trai-
ter de la paix avec l ôtrasger, de ré-
tablir le règne de l'ordre et des lois
à l'intérieur, et d'assurer mn avenir au
pays. Jusqu'à ce que cette tâche soit ache-
vée l'œuvre de l'Assemblée doit se pour-
suivre. L'Assemblée est souveraine, tt tous
, les efforts que l'on tente pour discréditer
et ébraaler son pouvoir ne prouvent qu'une
chose : c'est qu'elle est bien la garantie
suprême de l'ordre social. » Rien da plus.
L'Assemblée nationale, qui est le journal;
de M. Fresneau, ne fait pas la moindre ré-
flexion sur la lettre et affecte de s'occuper
dans son bulletin des affaires religieuses
de la Suisse et des événements d'Espagne.
Au contre droit, l'abattement, l'inquiétude
sont les sentiments qui deminent. On con-
damne le prétendant, les négociateurs, les
ministres; on se plaint de tout; on se sait
que faire, et finalement on invoque M. le
maréchal de Mac-Mahon, on le supplie de
conserver la présidence de la République,
quand, deux jours avant, on affirmait
qu'il y allait de son honneur de se retirer
avec le ministère si la monarchie ne se
faisait pas. Que de notes hautaines, que
de déclamations arrogantes ne publiaient-
ils pas à ce propos durant ces derniers
jours!. CI Toutes les pensées, dit le
, Français, se reportent vers le maréchal;
on sait qu'on peut tout attendre et tout 83.
pérer de ce noble coeur. » La Patrie : « Il
n'y a plus pour les conservateurs qu'une
chose à faire : fortifier la majorité du 24
inai contre le radicalisme ; affirmer son
énergie en prorogeant à long terme les
pouvoirs du maréchal MacrMahon, qui a
promis de ne jamais se séparer des con-
servateurs; voter de bonnes lois et atten-
dre. » Même opinion dans la Presse, dans
le Soir et dans le Paris-Journal, à qui échap-
pe, à la fin. de son article, ce cri 'du cœur :
c M3is,\vrai Dieu ! quelle campagne! et il
- eût étéfsi facile de ne pas la faire ! »
Quelques-uns àe ces jouraaux, la Patrie
entre autres, parlent de l'imminente né-
cessité de changements ministériels. Mais
la réaiiLe, c'est que,, .ni au sein du gouver-
nement, ni au centra droit, l'on n'est prêt
à rien. La Preçse répète, avec M. Guizot,
« que la France est le pays de l'espérance. *
uaud. on en est réduit en poliliqué à ces
données sentimentales, le symptôme est
fâcheux. Le Français, moins poétique,
n'est pas plus pratique pourtant; voici le
résultat do ses réflexions amôres :
Il serait téméraire et prématuré de prétendre
préciser dès aujourd'hui les résolutions nou-
velle,, qne doit inspirer la lettre de M. le comte
de Chambord. Nous demandons aux députés
conservateurs da, délibérer eaos retard et de
prendre leur parti, sans tâtonnement, en se
rendant virilement compte dès la, premier jour
de se qui est po-sibla et désirable. Nous n'a-
Toos toujours pour notre part qu'une exigence,
la sauvegarde des principes d'ordro et de liber-
té; nous ne formons qu'an voeu : l'affermisse-
ment, le développement de. l'union entre tous
les conservateurs.
Mais ilfautarriver enfin au Journal de Pa-
WN, qui gémit, qui s'emporte, qui reproche
aM. le comte de Chambord « d'avoir jeté sa
couronne au vent.» Ses propositions auront
du moins le mérite de paraître neuves. La
monarchie avec M. le comte de Chambord
est a absolument et définitivement écartée. »
Aueun appel n'est fait à M. le maréchal
de Mac-Mahon. De tout h parti réaction
naire, le Jâurnal de Paris est le seul jour-
nal qui ne parle l'oid. le la prorogation
des pouvoirs. Que propose-t il donc? Ici
va percer le heut de l'ereillc:
De tout ee qui vient de se faire, il ne reste
donc qu'un programme monarchique, sur lequel
la droite, l'extrême droite et le centre droit se
sont mis.d'accord. -
La droite et l'extrême droite sont-elles dispo"
sées à maintenir ce programme monarchique
malgré M. le comte de Chambord? Sont-elles
disposées à faire la monarchie sans monarque,
arec un lieutenant-général ou un régent ?
Cette combinaison n'est pas impossible, à
condition que l'accord subsiste entre la droite
l'extrême droite et la centre droit. ';
Il nous appartient dé poser cette question. : il
appartient à la droite et à l'extrême droite d'y
repondre.
Si la droite et l'extrême droite abandonnent
le programme monarchique, il faut songer im-
médiatement à autre ehose.
L'Assemblée nationale a promis 1 ce pays* un
gouvernement. Elle le lui doit.' L'heure de l'é-
chéance est arrivée. Il faut qu'elle acquitte sa
dette. Si elle ae l'acquittait pUs, ce serait une
banqueroute politique.
La monarchie sans monarque avec un
lieutenant - général ! Est - ce à Trianon
qu'en ira chercher ce lieutenant-général
providentiel ? Dans cette citation on a
dû lire le nom du duc d'Aumale entre
toutes les lignes. Nouvelle phase de la
politique orléaniste ; il conviendra de
l'étudier avec plus de soin. Le projet
nous semble aventureux et le Jour-
nal de Paris bien hardi d'espérer l'ac-
cord des trois droites. Qui le suivra dans
cette campagne? Nous ne voyons guère
que le Journal des Débats qui soit prêt à
entrer dans la même, voie; on trouvera,
d'ailleurs, la singulière politique de M.
John Lemoinne appréciée dans un autre
article.
Les bonapartistes sont, on le comprend,
bien à l'aisa pour reprendre et développer
leur vieux thème de la prorogation des
pouvoirs du président actuel de la Répu-
blique. L'Ordre, la Liberté, le Constitution-
nel, le "Pays réclament uniquement le main-
tien du statu quo, du pacte de Bordeaux,
de la République réactionnaire et provi-
soire dont ils espèrent fAtiguér le pays en
attendant une heure plus favorable au re-
tour de l'Empire. Le Pays, qui redoute sur-
tout un coap de main orléaniste avec la
présidence du due d'Aumale,convie les légi-
timistes mécontents à une alliance nou-
velle conclue à la fois contre la Républi-
que et la famille d'Orléans. Le passage est
assez curieux pour être cité :
, Ainsi qu'autrefoie$ et avec le même désinté-
ressement, nous revenons vers vous, vous de-
mandant de nous unir encore contre l'ennemi
commun, contre cette République odieuse avec
laquelle, même pour vous combattre, nous
n'avons jamais voulu contracter d'alliance. Yous
laisserez dormir vos espérances déçues ; vous
cacherez daas vos eoeurs meurtris vos illusions
trompées, et, faisant comme nous, abandonnant
pour le plus longtemps possible la revendication
de vos droits respectifs, nous ne songerons, si
vous le voulez bien, qu'à maintenir la situation
présente, c'est-à-dire la République sans répu-
blicains et protégée par l'épée de celui que vo-
tre roi vous désigne lui-même comme le plus
digne, comme le Bayard des temps modernes 1
1
Il nous resterait à parler des journaux
républicains ; mais ils se tiennent peur la
plupart dans une réserve que l'on doit
comprendre et approuver. Plus nous som-
mes près du but, plus il importe de ne pas
compromettre le succès par quelque ma-
nœuvre imprudente ou précipitée. S'il n'y
avait en ce moment que le pays, tout serait
simple; mais c'est avec les groupes parle-
mentaires qu'il faut compter et c'est dans
l'Assemblée qu'il faut combattre. Les con-
ditions que l'on prévoyait ont changé; il y a
donc des plans, à refaire. Nous nous proposons
d'arriver, dans le plus court délai possi-
ble, au renouvellement de l'Assemblée. Ce
renouvellement est indispensable, inévita-
ble, et l'on comprend peu que la France
ait recommencé à prêcher hier « le rappro-
chement des centres, t opération qui,
dans son genre, est aussi chimérique que
la fusion. Mais les trois partis légitimiste,
orléaniste et bonapartiste ne penvent-ils
pas tenir tête aux républicains et perpétuer,
avec le mandat de cette Assemblée, la
confusion et le chaos ? Nous ne le croyons
pis. Contre la coalition du 24 mai, le
parti républicain dans l'Assemblée recom-
mence, pour nous servir d'une comparai-
son classique, le combat d'Horace :
Resté seul contre trois* mais, en cette aventure,
Tous trois étant blessés et lui seul sans blessure.
On connaît la suit?, et l'on verra bientÓt,'
le dénouement.
"w *
FluG. LnmERT.
V atoMON prâdié ;
:. La réunion Pradié a en lieu hier,, à 2
heures, chez M. Pradré, cité Martignac,
ailll que nous l'avions aanoncé.
MM. le général Changarnier, Chesne-
long et Dâru s'étaient fit excuser comme
étant convoqués à la commission des neuf.
Soixante députés environ assistaient à
là séance. Parmi eux, MM. de Saisy, Da-
guenet, Dezanneaux, Brcët, Aubry, de
Besson, Mathidti (de Loire), Kel-
ler, de Bonald, Vandier, Tailhand, Mont
[ golfier, Hulin, de Saint-Germain, général
Mazure, général Robert, de Montlaur, de
Ploeuc, Rivaille, Boyer, de Sugny, Buis-
Plœuc,
son (de l'Aude), de Staplande, Raoul Du-
val, de Douhet, Johnston, de Mérodo, etc.
La réunion a décidé qu'elle ne pouvait
prendre aucune décision tant qu'elle ne
connaîtrait point l'opinion de la droite et
du centre droit, et la résolution qui sera
prise par la commission des neuf après la
lettre de M. le comte de Chambord.
M. Pradié a fait observer qu'il était
d'autant plus sage d'agir ainsi que le but
de la réunion était de maintenir l'union
entre les. divers groupes conservateurs de
l'Assemblée. Il est donc nécessaire de con-
naître l'opinion de ces groupes. Il a ajouté
que cette considération l'avait porté à ne
convoquer la réunion qu'après que les au-
tres avaient délibéré.
La réunion a été unanime pour déclarer
que les derniers événements devaient dé-
terminer ses membres à rester de plus en
plus unis autour de M. le maréchal de
Mac-Mahon,
Elle a décidé qu'elle s'assemblerait de
nouveau chez M. Pradié, dimanche à deux
heures, pour entendre le rapport de MM.
Changarnier, Ghesnelong et Daru, mem-
bres de la commission des neuf, et pour
prendre une décision s'il y a lieu. ';,
———— ♦
RÉUNION CASIMIR FÉRIER
Plusieurs représentants du centre gau-
ch? la sont réunis hier soir chez M. Ca-
simir Périer. ; Parmi eux nous pouvons
citer MM. Lefebvre-Pontalis (Antonin),
Dietz-Monnin, de Saint-Pierre, Feray,
Waddington, etc.
La réunion a penaé que le manifeste du
prétendant ne devait changer en rien la
conduite des conservateurs républicains, et
que la République était plus que jamais le
seul gouvernement possible.
Une nouvelle réunion doit avoir lieu
lundi soir, dans laquelle on arrêtera défi-
nitivement un véritable plan de bataille.
*■; —
Le droit divin a vécu ; la monarchie
légitime est morte ; requiescat in pace !
Mais déjà la vieille formule : Le roi est
mort, vive le roi ! s'est fait entendre, et
c'est M. John Lemoinne qui l'a pronon-
cée ! Nous aurions dû le prévoir. Il n'est
rien de tel qu'un vilain qui se met en
train, dit le proverbe, et il a bien raison.
M. John Lemoinne,a si longtemps fait
l'école buissonnière ; il a conté fleurtto
à la République avec tant d'assiduité
pendant deux ans, qu'il éprouve le be-
sbin, en revenant à ses premières
amours, de mettre les bouchées doubles
pour mieux faire croire à son repentir.
La preuve qu'il s'était rallié sincèrement
à la monarchie vivante, c'est que, morte,
il l'adore encore, et qu'il en recueille
pieusement les cendres, dans l'espoir
d'y retrouver une étincelle de vie.
Le pauvre homme! Avoir tant d'esprit
et se donner tant de mal pour la dissi-
muler ! Ah ! la joli morceau de prose qu'il
nous eût offert il y a trois mois au sujet
de la lettre de M. le comte de Cham-
bord et de la carrière diplomatique de
M. Chesnelong, si brillamment commen-
cée, si piteusement finie ! Mais aujour-
d'hui il lui est défendu d'être spirituel ;
il lui faut assister, en tenue de service,
aux funérailles de la monarchie, et met-
tre à sa plume le erêpe de circonstance
à la place de ces grelots qu'il faisait
sonner jadis aux oreilles de nos adver-
saires avec tant de bonne humeur et de
douce raillerie !
* Rendons toutefois cette justice à M.
John Lemoinne, que, même au milieu
de sa déconvenue, il a eu la bonne for-
tune de demeurer original. Seul, aujour-
d'hui, dans la presse parisienne, il con-
tinue à crier : Vive le roi ! Ses confrères
en deuil, sentant le terrain crouler sous
leurs pieds, tendent les bras au provi-
soire et s'y accrochent désespérement
comme à leur dernière planche de salut.
Oubliant qu'hier encore, embusqués der-
rière le centre gauche, ils lui criaient
d'une voix hautaine et menaçante : Mo-
narchie ou dissolution ! ils se font petits,
humbles, suppliants, et, des caresses
plein la voix, lui disent : Mes bons mes-
sieurs, un peu de répit, s'il vous plaît!
nous ne sommes point de méchantes
gens, au fond, et nous ne demandons
qu'à vivre en paix avec tout le monde,
même avec la République. Laissez-nous
le temps de nous reconnaître, de re-
prendre nos esprits et de monter quel-
que nouveau traquenard où nous ne
tombions pas nous-mêmes, ..comme il
vient de nous arriver.
Ainsi parlent les nouveaux amis de
M. John Lemoinne; mais lui : « Nous
disons que rien n'est changé, écrit-il,
parce que jusqu'à présent tout ce qui
s'est fait n'a eu aucun caractère formel
ni officiel. Il y a 6U des 'pourparlors en-
tre les représentants de la majorité et le
représentant de la royauté. II y a eu des
délibérations dans les différentes frac-
tions de l'Assemblée. Mais la question
de gouvernement n'a pas encore été
posée devant le seul pouvoir qui ait
qualité pour la résoudre. Il ne reste au
parti monarchique, qui a aujourd'hui la
majorité dans l'Assemblée, qu'une seule
ligne de conduite à suivre ; il doit pour-
suivre son œuvre. » -
Connaissant M. John Lemoinne comme
nous le connaissons, au moins de répu-
tation, d'un caractère doux et inoffensif,
nous ne pouvons nous résoudra à croire
qu'il songe sérieusement à prendre de
ljrce M. le comte de Chambord. Il veut
pourtant la monarchie; or, comme on ne
fait point de civet sans lièvre, il est à
présumer que M. John Lemoinne a sous
la main le lièvre indispensable. Bien
qu'il ne s'explique point à cet égard,
nous ne jouerions point l'ignorance, si la
note qui suit n'avait pas été publiée hier
dans la seconde édition du Journal de
Paris, l'organe- officiel de la famille d'Or-
léans 8 ,- -
En présence de ce qui vient de se passer,
on se demande quelle est la situation des
princes d'Orléans..
Cette situation est parfaitement cette.
Les grinces d'Orléans ont déclaré que le
jour où l'on voudrait faire la monarchie,
on ne trouverait point parmi eux de pré-
tendant à la couronne.
Leur déclaration subsiste et ils y reste-
ront fldiles.
M. John Lemoinne, à la vérité, ne
s'embarrasse point pour si peu ; il sait,
aussi bien que M. Hervé, quelles déclara-
tions ont faites les princes en se rendant
à Frohsdorf; il a lu, comme tout le mon-
de, la phrase vraiment avisée où M. le
comte de Chambord parle de la démar-
che de son jeune cousin, le comte de
Paris, et de la réconciliation des deux
branches de la maison de Bourbon.
Qu'importe tout cela? « M. le comte de
Chambord, dit M. John Lemoinne, parle
avec une émotion bien naturelle du jeune
prince qui est venu spontanément lui
apporter les assurances d'un dévoûment
sans conditions. Qu'il nous soit permis de
dire avec tout le respect possible, et en
des termes pour lesquels nous deman-
dons pardon, que cela ne nous regarde
pas. C'est une affaire de famille royale,
et nous, de notre côté, nous sommes la
grande famille nationale. »
Pour un homme d'esprit, monsieur, vous m'étonnez !
Car, enfin, si les engagements pris
par le jeune prince ne vous regardent
point, ils le regardent, lui, j'imagine ;
or, la grande famille nationale aura
beau vous mettre à sa tête pour aller sup-
plier le comte de Paris de pousser du
coude le comte de Chambord, comme
Louis-Philippe a poussé du pied le roi
Charles X, il se pourrait bien que votre
jeune homme n'y voulût point consentir.
Il n'y consentira même pas, s'il faut en
croire la note du Journal de Paris. Puis,
M. John Lemoinne a-t-il donc la mé-
moire si tourte qu'il ait oublié les beaux
raisonnements qu'il établissait ces jours
derniers tout justement sur la réconci-
liation du 5 août, qui, suivant lui, avait
pour résultat certain de fondre en un
seul tous les groupes monarchiques. Si
même nous ne faisons pas erreur, c'est
en raison de cette unité soi-disant réta-
blie dans la famille royale et dans le
parti royaliste que M. John Lemoinne
a déclaré qu'il abandonnait le parti répu-
blicain.
Heureusement M. John Lemoinne est
homme do ressources ; il va s'apercevoir
qu'il a fait fausse route,, et nous ne
désespérons pas de le voir revenir un
jour ou l'autre à la République, mais
par le plus long chemin, nous voulons
dire bras dessus bras dessous avec M.
le duc d'Aumale.
Il préside si bien 1
E. SCHNERB.
— : » —————————
COUP D'ŒIL EN ARRIÈRE *
Viens ici, paysan ou citadin, riche ou
pauvre, noble ou roturier; pourvu que
tu sois bon Français, tu es mon homme.
Entre deux crises politiques, deux mou-
vements de Bourse, deux incendies pa-
risiens et deux pirouettes de M. John
Lemoinne, tirons à part et causons.
Nous nous amuserons, si tant est qu'on
s'amuse encore, à pronostiquer entre
nous ce qui fût advonu de la France
dans l'hypothèse d'un centre gauche
naïf ou timide, ou simplement un peu
mou.
Reporte-toi au siècle dernier, je veux
dire à là semaine dernière, lorsque M.
Ducrot, le général, et M. DuCros, le pré-
fet, par une illusion naturelle et douce
à leurs grands cœurs, commençaient à
dater leurs lettres de 1773. Si le 23 oc-
tobre, entre deux et trois heures de rele-
vée, M. Léon Say, nouveau Chaperon
rouge, était tombé dans les bras de M.
d'AùdHTret-Pasquier ; si l'honorable pré-
sident do la commission des marchés,
anciens et nouveaux, avait fait agréer
ses propositions de toute sorte à la moi-
tié, au quart, au demi-quart du centre
gauche, la minorité royaliste montait en
grade et devenait majorité.
Le jour même, e était un jeudi, la
commission de permanence invitait le
président Buffet, ce beau type d'impar-
tialité vraie, à convoquer d'urgence
l'Assemblée nationale. Nos députés ac-
couraient à Versailles, qui sur les ailes
de l'espoir, qui sous l'éperon de la haine,
et quelques uns, je ne crains pas de l'af-
firmer, sous l'inspiration d'une timi-
dité effarée. L'honorable M. Chesne-
long montait à la tribune et jurait sès
grands dieux que M, da Chambord était
un ouragan de libertés, un foudre de
progrès, un océan do délices constitu-
tionnelles. Un d'Audiffret quelconque ou
un Decazes proposait d'acclamer instan-
tanément la monarchie et la moitié de
nos représentants, plus un, votait d'en-
thousiasme. Une députation spontanée
courait chercher le prince à Frohsdorf
et le rencontrait par miracle à la Villette,
-Les fonctionnaires civils, qui s'atten-
dent à tout depuis le 24 mai, s'écriaient
unanimement: nous sommes légitimis-
tes de naissance et nos nourrices nous
ont bercés, Dieu merci, dans des dra-
peaux blancs. L'armée nationale, qui
n'a jamais su qu'obéir, c'est sa gloire, et
qui obéira toujours, coûte que coûte,
faisait la haie, avec ou sans drapeaux,
sur le cortège du roi. Au nom de la lé-
galité, et la légalité n'était pas contesta-
ble, toutes les forces effectives de la na-
tion française étaient rangées contre les
sentiments formels et les vœux manifes-
tes de la nation.
Pas d'opposition possible ; silence aux
mécontents, guerre ouverte, aux rebel-
les !
Le lendemain de ce beau jour, Henri V,
du haut de son trône, lisait à 36 mil-
lions-d'hommes la lettre qu'il vient d'é-
crire à M. Chesnelong. Il se proclamait
infaillible comme le pape, tout-puissant
comme Dieu, nécessaire à notre exis-
tence comme l'eau, l'air et le feu. Une
stupeur épouvantable répondait à cette
déclaration et nous nous trouvions tout
à coup reportés à cent ans en arrière,
rangés à la suite des peuples de FEu-
rope et de l'Amérique ; nous devenions
les cadets de la grande famille humaine,
et si quelque insensé protestait par une
observation malsonnante, les jésuites lui
donnaient le fouet.
Oh! la brillante detinéel Le monde n'en
croit pas ses yeux lorsqu'il voit l'Alsace
conquise par les soldats de Guillaume et
allemande malgré elle, sous le sabre d'un
étranger. Qu'aurait-il dit, je le demande,
en voyant une Alsace vingt fois plus
grande, la France,, annexée au petit pa-
trimoine de M. de Chambord, asservie
au caprice archaïque d'un Epiménide
boîteux, et conquise par ses propres sol-
dats ?
Combien de temps ce phénomène
aurait-il duré? Peu nous importe. Le
certain, c'est que l'honneur national ne
s'en fût jamais relevé et que tout notre
sang versé dans une révolution héroïque
n'eût pas lavé cette page d'histoire.,
Il y a donc peut-être lieu de dire à
cette foule honnête, mais étourdie qui
assiste les bras croisés au spectacle de
ses propres affaires :
Nous l'avons en dormant, messieurs, échappé belle.
Peut-être aussi, tant la mémoire des
hommes est courte et leur ingratitude
grande, peut-être est-il opportun d'écrire
sur cette page de journal que le vent
emportera demain : Le centre gauche a
bien mérité- de la France.
r * ABOUT.
: + ; -,
ÉLECTIONS DU 16 NOVEMBRE
Seine-Inférleaire.
On lit dans le Journal de Rouen :
Nous sommes heureux d'annoncer que
M. le général Letellier-Valazé a accepté la
candidature républicaine qui lui a été of-
ferte pour les élections du 16 novembre
prochain.
Tous les comités républicains de la Seine-
Inférieure se sont mis d'accord sur un nom
si honorable et si honoré.
Nous avons attendu, pour parler de cette
candidature, que l'union fût complète dans
le parti républicain; elle est assurée au-
jourd'hui, et nous n'avons plus aucune
raison pour garder le silence.
Les déclarations faites par M. Letellier-
Valazé donnent à cette candidature la
haute signification que doivent désirer
tous les citoyens soucieux, de l'avenir de
notre pays :
Affirmation de la République conserva-
trice ;
Constitution ferme et solide du gouver-
nement républicain;
Opposition énergique au rétablissement
de la monarchie;
Conservation des libertés acquises par
nos pères.
Tels sont, les principes que M.. Letellier-
Valazé entend défendre à la Chambre si,
ainsi que nous n'en doutons pas, il est
choisi comme notre représentant à l'As-
semblée nationale.
Les sentiments de M. Letellier-Valazé
sont très-nettement et très-élierg'quement
exprimés dans la correspondance suivante,
échangée, il y a quelques jours, entre le
général et M. F. Faure, adjoint au maire
du Havre.
Voici d'abord la lettre de M. Faure, qui
remonte au 16 octobre courant :
« Ihvre, 1G octobre 1873.
» Mon général,
» De vos différentes conversations avec
M, Cordjer, député, M. Le Plé et d'autres
de vos amis, et de la correspondance que
j'ai eu l'honneur d'avoir avec vous, il res-
sort bleu clairement :
» Qae vous n'acceptez ni le drapeau blanc
ni les principes qu'il représente ;
» Que vous voulez que la France jouisse
de toutes les conquêtes politiques que lui
a données la grande Révolution.
» Que vous combattez également toute
tentative de révolution nouvelle, qu'elle
vienne de droite ou des exagérés de la
gauche ;
»D'où la conséquence natnrelle, deux seuls
partis étant en présence: Royauté ou Ré-,
publique conservatrice, que vous êtes de ce
dernier, représenté exactement par le cen-
tra gauche actuel, et que, élu, vous voterez
la Constitution de cette République conser-
vatrice, contre toute restauration monar-
chique.
» Je ne me suis pis mépris, je crois, mon
général, sur vos idées ; je vous sera; re-
connaissant de me le dire, car vous pensez
bien que vos amis eatenàent se porter fortft
pour vous devant les électeurs, et qu'aucun
d'eux ne voudrait vous engager dans une
voie qui n'aurait pas votre complet assen-
timent.
» Veuillez agréer, mon général, l'assu-
rance de mon respectueux dévoùment,
, » Félix Faure. >
Deux jours après, M. Letellier-Valazé
déclarait, par la lettre que l'on va lire,
quelle serait sa conduite à l'Assemblée
nationale :
« Paris, 18 octobre 1873..
» Cher monsieur,
» Je suis depuis quelques jours à Paris,
où votre lettre du 16 vient de me parvenir.
Je ne veux pas perdre de temps pour vous
dire que je partage les opinions que vous
m'exprimez.
» Fortement attaché au principe de la
souveraineté nationale et à toutes nos con-
quêtes sur l'ancien régime, j'avais cru que
la monarchie constitutionnelle suffisait à
garantir la liberté dans un pays d'aspira-
tions monarchiques et où la République
n'avait pu réussir. -
» Mais il n'est plus possible d'hésiter.
» Je dis donc très-nettement que, si le
mandat de député m'était confié, je vote-
rais pour la République conservatrice et
contre la royautér
» Vous ne vous êtes pas mépris sur mes
opinions, qui sont très-arrêtées et tout-à-
fait conformes à celles de M. Thiers.
» Je lui ai donné connaissance des ou*
vertures qui m'ont été faites. Il désire plus
que moi une élection que je n'ai pas re-
cherchée, mais que j'accepterais de tout
cœur pour défendre * le droit national auda-
cieusement menacé et tâcher d'en finir
avec les révolutions.
» Mille affectueux compliments,
» Général L. Valazé. »
—————.————— —
L'APPEL A DIEU
On nous assure que M. Chesnelong,
mis en demeure d'accorder ses déclara-
tions de la semaine dernière avec la let-
tre de M. dé Chambord qui les dément
d'un bout à l'autre, a levé les mains
vers le ciel en disant : J'en appelle à
Dieu !
C'est le cri d'une conscience que nous
tenons pour bonne et sincère, encore
que dilatée par le régime quotidien de
la politique.
Il serait évidemment incongru de ques-
tionner l'homme auguste qui règne sur
quelques amis à Frohsdorf. Mais sup-
posé qu'on osât démander à M. de Cham-
bord si le texte de son dernier écrit est
conforme à toutes ses paroles du mois
d'octobre, lui aussi, je l'affirme, en ap-
pellerait à son supérieur immédiat et
prendrait Dieu à témoin.
Voilà donc deux dévots qui sur un
même fait ne craignent point d'affirmer
l'un le pour, l'autre le contre, en toute
sécurité de conscience. Que croire? A qui
donner raison? Heureusement pour nous,
cette enquête n'a plus aujourd'hui qu'un
intérêt historique. Nous ne. serons pas
mangés, quoiqu'il advienne; nous avons
failli l'être dans un festin de gala, où le
rôti eût été pour M. de Chambord, les
miettes pour M. Chesnelong; mais il n'y
a plus péril en la demeure.
En simple curieux, je viens de relire
avec soin pour la dixième fois la lettre de
M. de Chambord; j'ai lu ensuite, et qua-
tre fois pour une, le procès-verbal de la
séance du 16 octobre où M. Chesnelong
rendit ses comptes devant la commission
des neuf.
Tout compare, tout vérifié, tout pesé,
il me semble que ni M. Chesnelong n'a
trompé M. de Chambord, ni M. de Cham-
bord n'a trompé M. Chesnelong, et
que les deux interlocuteurs, l'auguste
et l'honorable, n'ont rien à se reprocher
l'un à l'autre. Bien au contraire, ils
se sont , entendus, dans leur âme et
conscience, M. Chesnelong s'appliquant
à ne rien demander que le prince re-
fusât formellement, et le comte mettant
tout son zèle à n'affirmer aucune pré-
tention qui effrayât le député des dépu-
tés de la droite. Dans le fond de leurs
cœurs, le prétendant et le drapier sont
unanimes; ils croient au droit divin, au
pouvoir absolu, aux bienfaits de l'ancien
régime, et ils cherchent de bonne foi le
moyen de plumer la poule d'Henri IV
sans la faire crier sur les toits.
Est-il donc surprenant quo deux hom^
mes si désireux de s'entendre aient élu-
dé d'un commun accord tous les débats
litigieux, escamoté l'un devant l'autre
chacune des difficultés qui les importu-
naient l'un comme l'autre, et notamment
les droits, les sentiments, les volontés
de la nation française, dont ils n'ont ja-
mais tenu compte, ni l'un ni l'autre ?
L'affaire était faite et parfaite sans la
France, qui a tout gâté. On ne voulait
abuser qu'elle, et pour son bien encore ;
elle ne l'a pas permis, la sotte ! Elle ne
s'est pas laissé faire. Cette coquine de
nation, c'est son malheur> parle une
langue rebelle à l'équivoque. Elle adore
les points sur les i. Deux bons élèves
des Jésuites pourraient argumenter face
à face pendant un mois sans se mettre en
colère, chacun sachant ce que parler veut
dire. Mais la grossièreté naturelle du peu-
ple français, dont nous sommes, veut un
régime moins délicat et moins subtil.
i C'est nous qui avons tort, dans l'espèce:
M. de Chambord a rajson et M. Ches-
nelong aussi. Le premier est un roi sans
défaut, le second un sujet sans reproche.
Honni soit qui dira que deux hommes si
PRIX DU NUMÉOO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Dimanche 2 Novembre ,1873.
ria
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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-&dresser au Secrétaire de la Rédaction
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i ;
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JOURNÉE POLITIQUE
-
Paris, Novembre 1875.
- Ce n'est pas seulement avec curiosité
qu'on ouvrait hier les journaux pour y
-recueillir les impressions de l'opinion
ublique sur la lettre de M. le comte de
,ChamborJ ; il était intéressanl d'y sur-
- prendre et d'y observer ce qu'on pourrait
appeler les premiers mouvements des par
tis après la surprise et l'éclat qu'a produits
•ce coup. UV6 portion des légitimistes en
est demeurée stupéfaite et comme atterrée,
tandis qu'un autre groupe, les intransi-
geants- et les vieux fidèles de la monarchie
légitime, brandissent leur drapeau blanc
avec un furieux désespoir. Les orléanistes
dècO'Jcertés ne cherchent même point à
cacher leur trouble. Nous ne parlons pas
des fusionnistes ; on n'en voit guère, et
demain l'on n'en verra plus. Les bonapar-
tistes se demandent quelle arme ils pour-
ront bien tirer de tout ceci contre la Répu-
blique.. Enfin les républicainv, se rappelant
que rien n'est fait s'il reste quelque chose
à faire, se préparent à pousser vigoureuse-
ment leurs avantages et à poursuivre la
victoire.
Les légitimistes, disions-nous, semblent
divisés. A en juger par leurs journaux, M.
le comte de Chambord ne serait plus ap-
puyé désormais que par les ultramontains
de VUnivers et par la droite extrême,
par le groupe qui inspire l'Union ou qui
s'en inspire. Un appel au parti figurait
hier en tête du journal ; ce n'est plus de
la politique, c'est ce qu'on appelle à la
guerre de l'héroïsme fou. Qu'on en juge
par ces extraits :
Royalistes, debout I De3 cris de désespoir s'é-
lèvent de tous côtés et répondent à la parole du
Roi. Notre devoir est de rester fermes, calmes
et confiants.
- Rovalistes, debout ! Ce n'est pas au momeat
où le Roi parle avec l'autorité d'un chef de peu-
pie, sùr de sa mission,' qu'il faut se laisser
tbattre. C'est l'heure de l'honneur et dn
combat.
Debout! Autour du drapeau klanc aous sau-
rons mourir et vaincre. Tout pour la France,
dont le bien le plus précisai est l'honneur de
ses enfants, et VIVE LE ROI !
La Gazette de France, cependant, qui,
dans une seconde édition d'ayant-hier, avait
reproduit d'après l'Union la lettre du roi,
a publié hier seulement vingt lignes obs-
cures, dictées par la résignaùon ou le dé-
pit (on ne sait pas au juste), où le nom de
*M. le comte de Chambord n'est pas pro-
noncé, où il n'est fait aucune allusion ni à
sa lettre, ni à sa personne, sbbien qu'on
pourrait croire que, pour M. Janicot et
pour ses amis, Henri V a cessé de vivre..
Ils ne tournent plus les yeux que vers
l'Assemblée, qui a reçu lamissioa. a de trai-
ter de la paix avec l ôtrasger, de ré-
tablir le règne de l'ordre et des lois
à l'intérieur, et d'assurer mn avenir au
pays. Jusqu'à ce que cette tâche soit ache-
vée l'œuvre de l'Assemblée doit se pour-
suivre. L'Assemblée est souveraine, tt tous
, les efforts que l'on tente pour discréditer
et ébraaler son pouvoir ne prouvent qu'une
chose : c'est qu'elle est bien la garantie
suprême de l'ordre social. » Rien da plus.
L'Assemblée nationale, qui est le journal;
de M. Fresneau, ne fait pas la moindre ré-
flexion sur la lettre et affecte de s'occuper
dans son bulletin des affaires religieuses
de la Suisse et des événements d'Espagne.
Au contre droit, l'abattement, l'inquiétude
sont les sentiments qui deminent. On con-
damne le prétendant, les négociateurs, les
ministres; on se plaint de tout; on se sait
que faire, et finalement on invoque M. le
maréchal de Mac-Mahon, on le supplie de
conserver la présidence de la République,
quand, deux jours avant, on affirmait
qu'il y allait de son honneur de se retirer
avec le ministère si la monarchie ne se
faisait pas. Que de notes hautaines, que
de déclamations arrogantes ne publiaient-
ils pas à ce propos durant ces derniers
jours!. CI Toutes les pensées, dit le
, Français, se reportent vers le maréchal;
on sait qu'on peut tout attendre et tout 83.
pérer de ce noble coeur. » La Patrie : « Il
n'y a plus pour les conservateurs qu'une
chose à faire : fortifier la majorité du 24
inai contre le radicalisme ; affirmer son
énergie en prorogeant à long terme les
pouvoirs du maréchal MacrMahon, qui a
promis de ne jamais se séparer des con-
servateurs; voter de bonnes lois et atten-
dre. » Même opinion dans la Presse, dans
le Soir et dans le Paris-Journal, à qui échap-
pe, à la fin. de son article, ce cri 'du cœur :
c M3is,\vrai Dieu ! quelle campagne! et il
- eût étéfsi facile de ne pas la faire ! »
Quelques-uns àe ces jouraaux, la Patrie
entre autres, parlent de l'imminente né-
cessité de changements ministériels. Mais
la réaiiLe, c'est que,, .ni au sein du gouver-
nement, ni au centra droit, l'on n'est prêt
à rien. La Preçse répète, avec M. Guizot,
« que la France est le pays de l'espérance. *
uaud. on en est réduit en poliliqué à ces
données sentimentales, le symptôme est
fâcheux. Le Français, moins poétique,
n'est pas plus pratique pourtant; voici le
résultat do ses réflexions amôres :
Il serait téméraire et prématuré de prétendre
préciser dès aujourd'hui les résolutions nou-
velle,, qne doit inspirer la lettre de M. le comte
de Chambord. Nous demandons aux députés
conservateurs da, délibérer eaos retard et de
prendre leur parti, sans tâtonnement, en se
rendant virilement compte dès la, premier jour
de se qui est po-sibla et désirable. Nous n'a-
Toos toujours pour notre part qu'une exigence,
la sauvegarde des principes d'ordro et de liber-
té; nous ne formons qu'an voeu : l'affermisse-
ment, le développement de. l'union entre tous
les conservateurs.
Mais ilfautarriver enfin au Journal de Pa-
WN, qui gémit, qui s'emporte, qui reproche
aM. le comte de Chambord « d'avoir jeté sa
couronne au vent.» Ses propositions auront
du moins le mérite de paraître neuves. La
monarchie avec M. le comte de Chambord
est a absolument et définitivement écartée. »
Aueun appel n'est fait à M. le maréchal
de Mac-Mahon. De tout h parti réaction
naire, le Jâurnal de Paris est le seul jour-
nal qui ne parle l'oid. le la prorogation
des pouvoirs. Que propose-t il donc? Ici
va percer le heut de l'ereillc:
De tout ee qui vient de se faire, il ne reste
donc qu'un programme monarchique, sur lequel
la droite, l'extrême droite et le centre droit se
sont mis.d'accord. -
La droite et l'extrême droite sont-elles dispo"
sées à maintenir ce programme monarchique
malgré M. le comte de Chambord? Sont-elles
disposées à faire la monarchie sans monarque,
arec un lieutenant-général ou un régent ?
Cette combinaison n'est pas impossible, à
condition que l'accord subsiste entre la droite
l'extrême droite et la centre droit. ';
Il nous appartient dé poser cette question. : il
appartient à la droite et à l'extrême droite d'y
repondre.
Si la droite et l'extrême droite abandonnent
le programme monarchique, il faut songer im-
médiatement à autre ehose.
L'Assemblée nationale a promis 1 ce pays* un
gouvernement. Elle le lui doit.' L'heure de l'é-
chéance est arrivée. Il faut qu'elle acquitte sa
dette. Si elle ae l'acquittait pUs, ce serait une
banqueroute politique.
La monarchie sans monarque avec un
lieutenant - général ! Est - ce à Trianon
qu'en ira chercher ce lieutenant-général
providentiel ? Dans cette citation on a
dû lire le nom du duc d'Aumale entre
toutes les lignes. Nouvelle phase de la
politique orléaniste ; il conviendra de
l'étudier avec plus de soin. Le projet
nous semble aventureux et le Jour-
nal de Paris bien hardi d'espérer l'ac-
cord des trois droites. Qui le suivra dans
cette campagne? Nous ne voyons guère
que le Journal des Débats qui soit prêt à
entrer dans la même, voie; on trouvera,
d'ailleurs, la singulière politique de M.
John Lemoinne appréciée dans un autre
article.
Les bonapartistes sont, on le comprend,
bien à l'aisa pour reprendre et développer
leur vieux thème de la prorogation des
pouvoirs du président actuel de la Répu-
blique. L'Ordre, la Liberté, le Constitution-
nel, le "Pays réclament uniquement le main-
tien du statu quo, du pacte de Bordeaux,
de la République réactionnaire et provi-
soire dont ils espèrent fAtiguér le pays en
attendant une heure plus favorable au re-
tour de l'Empire. Le Pays, qui redoute sur-
tout un coap de main orléaniste avec la
présidence du due d'Aumale,convie les légi-
timistes mécontents à une alliance nou-
velle conclue à la fois contre la Républi-
que et la famille d'Orléans. Le passage est
assez curieux pour être cité :
, Ainsi qu'autrefoie$ et avec le même désinté-
ressement, nous revenons vers vous, vous de-
mandant de nous unir encore contre l'ennemi
commun, contre cette République odieuse avec
laquelle, même pour vous combattre, nous
n'avons jamais voulu contracter d'alliance. Yous
laisserez dormir vos espérances déçues ; vous
cacherez daas vos eoeurs meurtris vos illusions
trompées, et, faisant comme nous, abandonnant
pour le plus longtemps possible la revendication
de vos droits respectifs, nous ne songerons, si
vous le voulez bien, qu'à maintenir la situation
présente, c'est-à-dire la République sans répu-
blicains et protégée par l'épée de celui que vo-
tre roi vous désigne lui-même comme le plus
digne, comme le Bayard des temps modernes 1
1
Il nous resterait à parler des journaux
républicains ; mais ils se tiennent peur la
plupart dans une réserve que l'on doit
comprendre et approuver. Plus nous som-
mes près du but, plus il importe de ne pas
compromettre le succès par quelque ma-
nœuvre imprudente ou précipitée. S'il n'y
avait en ce moment que le pays, tout serait
simple; mais c'est avec les groupes parle-
mentaires qu'il faut compter et c'est dans
l'Assemblée qu'il faut combattre. Les con-
ditions que l'on prévoyait ont changé; il y a
donc des plans, à refaire. Nous nous proposons
d'arriver, dans le plus court délai possi-
ble, au renouvellement de l'Assemblée. Ce
renouvellement est indispensable, inévita-
ble, et l'on comprend peu que la France
ait recommencé à prêcher hier « le rappro-
chement des centres, t opération qui,
dans son genre, est aussi chimérique que
la fusion. Mais les trois partis légitimiste,
orléaniste et bonapartiste ne penvent-ils
pas tenir tête aux républicains et perpétuer,
avec le mandat de cette Assemblée, la
confusion et le chaos ? Nous ne le croyons
pis. Contre la coalition du 24 mai, le
parti républicain dans l'Assemblée recom-
mence, pour nous servir d'une comparai-
son classique, le combat d'Horace :
Resté seul contre trois* mais, en cette aventure,
Tous trois étant blessés et lui seul sans blessure.
On connaît la suit?, et l'on verra bientÓt,'
le dénouement.
"w *
FluG. LnmERT.
V atoMON prâdié ;
:. La réunion Pradié a en lieu hier,, à 2
heures, chez M. Pradré, cité Martignac,
ailll que nous l'avions aanoncé.
MM. le général Changarnier, Chesne-
long et Dâru s'étaient fit excuser comme
étant convoqués à la commission des neuf.
Soixante députés environ assistaient à
là séance. Parmi eux, MM. de Saisy, Da-
guenet, Dezanneaux, Brcët, Aubry, de
Besson, Mathidti (de Loire), Kel-
ler, de Bonald, Vandier, Tailhand, Mont
[ golfier, Hulin, de Saint-Germain, général
Mazure, général Robert, de Montlaur, de
Ploeuc, Rivaille, Boyer, de Sugny, Buis-
Plœuc,
son (de l'Aude), de Staplande, Raoul Du-
val, de Douhet, Johnston, de Mérodo, etc.
La réunion a décidé qu'elle ne pouvait
prendre aucune décision tant qu'elle ne
connaîtrait point l'opinion de la droite et
du centre droit, et la résolution qui sera
prise par la commission des neuf après la
lettre de M. le comte de Chambord.
M. Pradié a fait observer qu'il était
d'autant plus sage d'agir ainsi que le but
de la réunion était de maintenir l'union
entre les. divers groupes conservateurs de
l'Assemblée. Il est donc nécessaire de con-
naître l'opinion de ces groupes. Il a ajouté
que cette considération l'avait porté à ne
convoquer la réunion qu'après que les au-
tres avaient délibéré.
La réunion a été unanime pour déclarer
que les derniers événements devaient dé-
terminer ses membres à rester de plus en
plus unis autour de M. le maréchal de
Mac-Mahon,
Elle a décidé qu'elle s'assemblerait de
nouveau chez M. Pradié, dimanche à deux
heures, pour entendre le rapport de MM.
Changarnier, Ghesnelong et Daru, mem-
bres de la commission des neuf, et pour
prendre une décision s'il y a lieu. ';,
———— ♦
RÉUNION CASIMIR FÉRIER
Plusieurs représentants du centre gau-
ch? la sont réunis hier soir chez M. Ca-
simir Périer. ; Parmi eux nous pouvons
citer MM. Lefebvre-Pontalis (Antonin),
Dietz-Monnin, de Saint-Pierre, Feray,
Waddington, etc.
La réunion a penaé que le manifeste du
prétendant ne devait changer en rien la
conduite des conservateurs républicains, et
que la République était plus que jamais le
seul gouvernement possible.
Une nouvelle réunion doit avoir lieu
lundi soir, dans laquelle on arrêtera défi-
nitivement un véritable plan de bataille.
*■; —
Le droit divin a vécu ; la monarchie
légitime est morte ; requiescat in pace !
Mais déjà la vieille formule : Le roi est
mort, vive le roi ! s'est fait entendre, et
c'est M. John Lemoinne qui l'a pronon-
cée ! Nous aurions dû le prévoir. Il n'est
rien de tel qu'un vilain qui se met en
train, dit le proverbe, et il a bien raison.
M. John Lemoinne,a si longtemps fait
l'école buissonnière ; il a conté fleurtto
à la République avec tant d'assiduité
pendant deux ans, qu'il éprouve le be-
sbin, en revenant à ses premières
amours, de mettre les bouchées doubles
pour mieux faire croire à son repentir.
La preuve qu'il s'était rallié sincèrement
à la monarchie vivante, c'est que, morte,
il l'adore encore, et qu'il en recueille
pieusement les cendres, dans l'espoir
d'y retrouver une étincelle de vie.
Le pauvre homme! Avoir tant d'esprit
et se donner tant de mal pour la dissi-
muler ! Ah ! la joli morceau de prose qu'il
nous eût offert il y a trois mois au sujet
de la lettre de M. le comte de Cham-
bord et de la carrière diplomatique de
M. Chesnelong, si brillamment commen-
cée, si piteusement finie ! Mais aujour-
d'hui il lui est défendu d'être spirituel ;
il lui faut assister, en tenue de service,
aux funérailles de la monarchie, et met-
tre à sa plume le erêpe de circonstance
à la place de ces grelots qu'il faisait
sonner jadis aux oreilles de nos adver-
saires avec tant de bonne humeur et de
douce raillerie !
* Rendons toutefois cette justice à M.
John Lemoinne, que, même au milieu
de sa déconvenue, il a eu la bonne for-
tune de demeurer original. Seul, aujour-
d'hui, dans la presse parisienne, il con-
tinue à crier : Vive le roi ! Ses confrères
en deuil, sentant le terrain crouler sous
leurs pieds, tendent les bras au provi-
soire et s'y accrochent désespérement
comme à leur dernière planche de salut.
Oubliant qu'hier encore, embusqués der-
rière le centre gauche, ils lui criaient
d'une voix hautaine et menaçante : Mo-
narchie ou dissolution ! ils se font petits,
humbles, suppliants, et, des caresses
plein la voix, lui disent : Mes bons mes-
sieurs, un peu de répit, s'il vous plaît!
nous ne sommes point de méchantes
gens, au fond, et nous ne demandons
qu'à vivre en paix avec tout le monde,
même avec la République. Laissez-nous
le temps de nous reconnaître, de re-
prendre nos esprits et de monter quel-
que nouveau traquenard où nous ne
tombions pas nous-mêmes, ..comme il
vient de nous arriver.
Ainsi parlent les nouveaux amis de
M. John Lemoinne; mais lui : « Nous
disons que rien n'est changé, écrit-il,
parce que jusqu'à présent tout ce qui
s'est fait n'a eu aucun caractère formel
ni officiel. Il y a 6U des 'pourparlors en-
tre les représentants de la majorité et le
représentant de la royauté. II y a eu des
délibérations dans les différentes frac-
tions de l'Assemblée. Mais la question
de gouvernement n'a pas encore été
posée devant le seul pouvoir qui ait
qualité pour la résoudre. Il ne reste au
parti monarchique, qui a aujourd'hui la
majorité dans l'Assemblée, qu'une seule
ligne de conduite à suivre ; il doit pour-
suivre son œuvre. » -
Connaissant M. John Lemoinne comme
nous le connaissons, au moins de répu-
tation, d'un caractère doux et inoffensif,
nous ne pouvons nous résoudra à croire
qu'il songe sérieusement à prendre de
ljrce M. le comte de Chambord. Il veut
pourtant la monarchie; or, comme on ne
fait point de civet sans lièvre, il est à
présumer que M. John Lemoinne a sous
la main le lièvre indispensable. Bien
qu'il ne s'explique point à cet égard,
nous ne jouerions point l'ignorance, si la
note qui suit n'avait pas été publiée hier
dans la seconde édition du Journal de
Paris, l'organe- officiel de la famille d'Or-
léans 8 ,- -
En présence de ce qui vient de se passer,
on se demande quelle est la situation des
princes d'Orléans..
Cette situation est parfaitement cette.
Les grinces d'Orléans ont déclaré que le
jour où l'on voudrait faire la monarchie,
on ne trouverait point parmi eux de pré-
tendant à la couronne.
Leur déclaration subsiste et ils y reste-
ront fldiles.
M. John Lemoinne, à la vérité, ne
s'embarrasse point pour si peu ; il sait,
aussi bien que M. Hervé, quelles déclara-
tions ont faites les princes en se rendant
à Frohsdorf; il a lu, comme tout le mon-
de, la phrase vraiment avisée où M. le
comte de Chambord parle de la démar-
che de son jeune cousin, le comte de
Paris, et de la réconciliation des deux
branches de la maison de Bourbon.
Qu'importe tout cela? « M. le comte de
Chambord, dit M. John Lemoinne, parle
avec une émotion bien naturelle du jeune
prince qui est venu spontanément lui
apporter les assurances d'un dévoûment
sans conditions. Qu'il nous soit permis de
dire avec tout le respect possible, et en
des termes pour lesquels nous deman-
dons pardon, que cela ne nous regarde
pas. C'est une affaire de famille royale,
et nous, de notre côté, nous sommes la
grande famille nationale. »
Pour un homme d'esprit, monsieur, vous m'étonnez !
Car, enfin, si les engagements pris
par le jeune prince ne vous regardent
point, ils le regardent, lui, j'imagine ;
or, la grande famille nationale aura
beau vous mettre à sa tête pour aller sup-
plier le comte de Paris de pousser du
coude le comte de Chambord, comme
Louis-Philippe a poussé du pied le roi
Charles X, il se pourrait bien que votre
jeune homme n'y voulût point consentir.
Il n'y consentira même pas, s'il faut en
croire la note du Journal de Paris. Puis,
M. John Lemoinne a-t-il donc la mé-
moire si tourte qu'il ait oublié les beaux
raisonnements qu'il établissait ces jours
derniers tout justement sur la réconci-
liation du 5 août, qui, suivant lui, avait
pour résultat certain de fondre en un
seul tous les groupes monarchiques. Si
même nous ne faisons pas erreur, c'est
en raison de cette unité soi-disant réta-
blie dans la famille royale et dans le
parti royaliste que M. John Lemoinne
a déclaré qu'il abandonnait le parti répu-
blicain.
Heureusement M. John Lemoinne est
homme do ressources ; il va s'apercevoir
qu'il a fait fausse route,, et nous ne
désespérons pas de le voir revenir un
jour ou l'autre à la République, mais
par le plus long chemin, nous voulons
dire bras dessus bras dessous avec M.
le duc d'Aumale.
Il préside si bien 1
E. SCHNERB.
— : » —————————
COUP D'ŒIL EN ARRIÈRE *
Viens ici, paysan ou citadin, riche ou
pauvre, noble ou roturier; pourvu que
tu sois bon Français, tu es mon homme.
Entre deux crises politiques, deux mou-
vements de Bourse, deux incendies pa-
risiens et deux pirouettes de M. John
Lemoinne, tirons à part et causons.
Nous nous amuserons, si tant est qu'on
s'amuse encore, à pronostiquer entre
nous ce qui fût advonu de la France
dans l'hypothèse d'un centre gauche
naïf ou timide, ou simplement un peu
mou.
Reporte-toi au siècle dernier, je veux
dire à là semaine dernière, lorsque M.
Ducrot, le général, et M. DuCros, le pré-
fet, par une illusion naturelle et douce
à leurs grands cœurs, commençaient à
dater leurs lettres de 1773. Si le 23 oc-
tobre, entre deux et trois heures de rele-
vée, M. Léon Say, nouveau Chaperon
rouge, était tombé dans les bras de M.
d'AùdHTret-Pasquier ; si l'honorable pré-
sident do la commission des marchés,
anciens et nouveaux, avait fait agréer
ses propositions de toute sorte à la moi-
tié, au quart, au demi-quart du centre
gauche, la minorité royaliste montait en
grade et devenait majorité.
Le jour même, e était un jeudi, la
commission de permanence invitait le
président Buffet, ce beau type d'impar-
tialité vraie, à convoquer d'urgence
l'Assemblée nationale. Nos députés ac-
couraient à Versailles, qui sur les ailes
de l'espoir, qui sous l'éperon de la haine,
et quelques uns, je ne crains pas de l'af-
firmer, sous l'inspiration d'une timi-
dité effarée. L'honorable M. Chesne-
long montait à la tribune et jurait sès
grands dieux que M, da Chambord était
un ouragan de libertés, un foudre de
progrès, un océan do délices constitu-
tionnelles. Un d'Audiffret quelconque ou
un Decazes proposait d'acclamer instan-
tanément la monarchie et la moitié de
nos représentants, plus un, votait d'en-
thousiasme. Une députation spontanée
courait chercher le prince à Frohsdorf
et le rencontrait par miracle à la Villette,
-Les fonctionnaires civils, qui s'atten-
dent à tout depuis le 24 mai, s'écriaient
unanimement: nous sommes légitimis-
tes de naissance et nos nourrices nous
ont bercés, Dieu merci, dans des dra-
peaux blancs. L'armée nationale, qui
n'a jamais su qu'obéir, c'est sa gloire, et
qui obéira toujours, coûte que coûte,
faisait la haie, avec ou sans drapeaux,
sur le cortège du roi. Au nom de la lé-
galité, et la légalité n'était pas contesta-
ble, toutes les forces effectives de la na-
tion française étaient rangées contre les
sentiments formels et les vœux manifes-
tes de la nation.
Pas d'opposition possible ; silence aux
mécontents, guerre ouverte, aux rebel-
les !
Le lendemain de ce beau jour, Henri V,
du haut de son trône, lisait à 36 mil-
lions-d'hommes la lettre qu'il vient d'é-
crire à M. Chesnelong. Il se proclamait
infaillible comme le pape, tout-puissant
comme Dieu, nécessaire à notre exis-
tence comme l'eau, l'air et le feu. Une
stupeur épouvantable répondait à cette
déclaration et nous nous trouvions tout
à coup reportés à cent ans en arrière,
rangés à la suite des peuples de FEu-
rope et de l'Amérique ; nous devenions
les cadets de la grande famille humaine,
et si quelque insensé protestait par une
observation malsonnante, les jésuites lui
donnaient le fouet.
Oh! la brillante detinéel Le monde n'en
croit pas ses yeux lorsqu'il voit l'Alsace
conquise par les soldats de Guillaume et
allemande malgré elle, sous le sabre d'un
étranger. Qu'aurait-il dit, je le demande,
en voyant une Alsace vingt fois plus
grande, la France,, annexée au petit pa-
trimoine de M. de Chambord, asservie
au caprice archaïque d'un Epiménide
boîteux, et conquise par ses propres sol-
dats ?
Combien de temps ce phénomène
aurait-il duré? Peu nous importe. Le
certain, c'est que l'honneur national ne
s'en fût jamais relevé et que tout notre
sang versé dans une révolution héroïque
n'eût pas lavé cette page d'histoire.,
Il y a donc peut-être lieu de dire à
cette foule honnête, mais étourdie qui
assiste les bras croisés au spectacle de
ses propres affaires :
Nous l'avons en dormant, messieurs, échappé belle.
Peut-être aussi, tant la mémoire des
hommes est courte et leur ingratitude
grande, peut-être est-il opportun d'écrire
sur cette page de journal que le vent
emportera demain : Le centre gauche a
bien mérité- de la France.
r * ABOUT.
: + ; -,
ÉLECTIONS DU 16 NOVEMBRE
Seine-Inférleaire.
On lit dans le Journal de Rouen :
Nous sommes heureux d'annoncer que
M. le général Letellier-Valazé a accepté la
candidature républicaine qui lui a été of-
ferte pour les élections du 16 novembre
prochain.
Tous les comités républicains de la Seine-
Inférieure se sont mis d'accord sur un nom
si honorable et si honoré.
Nous avons attendu, pour parler de cette
candidature, que l'union fût complète dans
le parti républicain; elle est assurée au-
jourd'hui, et nous n'avons plus aucune
raison pour garder le silence.
Les déclarations faites par M. Letellier-
Valazé donnent à cette candidature la
haute signification que doivent désirer
tous les citoyens soucieux, de l'avenir de
notre pays :
Affirmation de la République conserva-
trice ;
Constitution ferme et solide du gouver-
nement républicain;
Opposition énergique au rétablissement
de la monarchie;
Conservation des libertés acquises par
nos pères.
Tels sont, les principes que M.. Letellier-
Valazé entend défendre à la Chambre si,
ainsi que nous n'en doutons pas, il est
choisi comme notre représentant à l'As-
semblée nationale.
Les sentiments de M. Letellier-Valazé
sont très-nettement et très-élierg'quement
exprimés dans la correspondance suivante,
échangée, il y a quelques jours, entre le
général et M. F. Faure, adjoint au maire
du Havre.
Voici d'abord la lettre de M. Faure, qui
remonte au 16 octobre courant :
« Ihvre, 1G octobre 1873.
» Mon général,
» De vos différentes conversations avec
M, Cordjer, député, M. Le Plé et d'autres
de vos amis, et de la correspondance que
j'ai eu l'honneur d'avoir avec vous, il res-
sort bleu clairement :
» Qae vous n'acceptez ni le drapeau blanc
ni les principes qu'il représente ;
» Que vous voulez que la France jouisse
de toutes les conquêtes politiques que lui
a données la grande Révolution.
» Que vous combattez également toute
tentative de révolution nouvelle, qu'elle
vienne de droite ou des exagérés de la
gauche ;
»D'où la conséquence natnrelle, deux seuls
partis étant en présence: Royauté ou Ré-,
publique conservatrice, que vous êtes de ce
dernier, représenté exactement par le cen-
tra gauche actuel, et que, élu, vous voterez
la Constitution de cette République conser-
vatrice, contre toute restauration monar-
chique.
» Je ne me suis pis mépris, je crois, mon
général, sur vos idées ; je vous sera; re-
connaissant de me le dire, car vous pensez
bien que vos amis eatenàent se porter fortft
pour vous devant les électeurs, et qu'aucun
d'eux ne voudrait vous engager dans une
voie qui n'aurait pas votre complet assen-
timent.
» Veuillez agréer, mon général, l'assu-
rance de mon respectueux dévoùment,
, » Félix Faure. >
Deux jours après, M. Letellier-Valazé
déclarait, par la lettre que l'on va lire,
quelle serait sa conduite à l'Assemblée
nationale :
« Paris, 18 octobre 1873..
» Cher monsieur,
» Je suis depuis quelques jours à Paris,
où votre lettre du 16 vient de me parvenir.
Je ne veux pas perdre de temps pour vous
dire que je partage les opinions que vous
m'exprimez.
» Fortement attaché au principe de la
souveraineté nationale et à toutes nos con-
quêtes sur l'ancien régime, j'avais cru que
la monarchie constitutionnelle suffisait à
garantir la liberté dans un pays d'aspira-
tions monarchiques et où la République
n'avait pu réussir. -
» Mais il n'est plus possible d'hésiter.
» Je dis donc très-nettement que, si le
mandat de député m'était confié, je vote-
rais pour la République conservatrice et
contre la royautér
» Vous ne vous êtes pas mépris sur mes
opinions, qui sont très-arrêtées et tout-à-
fait conformes à celles de M. Thiers.
» Je lui ai donné connaissance des ou*
vertures qui m'ont été faites. Il désire plus
que moi une élection que je n'ai pas re-
cherchée, mais que j'accepterais de tout
cœur pour défendre * le droit national auda-
cieusement menacé et tâcher d'en finir
avec les révolutions.
» Mille affectueux compliments,
» Général L. Valazé. »
—————.————— —
L'APPEL A DIEU
On nous assure que M. Chesnelong,
mis en demeure d'accorder ses déclara-
tions de la semaine dernière avec la let-
tre de M. dé Chambord qui les dément
d'un bout à l'autre, a levé les mains
vers le ciel en disant : J'en appelle à
Dieu !
C'est le cri d'une conscience que nous
tenons pour bonne et sincère, encore
que dilatée par le régime quotidien de
la politique.
Il serait évidemment incongru de ques-
tionner l'homme auguste qui règne sur
quelques amis à Frohsdorf. Mais sup-
posé qu'on osât démander à M. de Cham-
bord si le texte de son dernier écrit est
conforme à toutes ses paroles du mois
d'octobre, lui aussi, je l'affirme, en ap-
pellerait à son supérieur immédiat et
prendrait Dieu à témoin.
Voilà donc deux dévots qui sur un
même fait ne craignent point d'affirmer
l'un le pour, l'autre le contre, en toute
sécurité de conscience. Que croire? A qui
donner raison? Heureusement pour nous,
cette enquête n'a plus aujourd'hui qu'un
intérêt historique. Nous ne. serons pas
mangés, quoiqu'il advienne; nous avons
failli l'être dans un festin de gala, où le
rôti eût été pour M. de Chambord, les
miettes pour M. Chesnelong; mais il n'y
a plus péril en la demeure.
En simple curieux, je viens de relire
avec soin pour la dixième fois la lettre de
M. de Chambord; j'ai lu ensuite, et qua-
tre fois pour une, le procès-verbal de la
séance du 16 octobre où M. Chesnelong
rendit ses comptes devant la commission
des neuf.
Tout compare, tout vérifié, tout pesé,
il me semble que ni M. Chesnelong n'a
trompé M. de Chambord, ni M. de Cham-
bord n'a trompé M. Chesnelong, et
que les deux interlocuteurs, l'auguste
et l'honorable, n'ont rien à se reprocher
l'un à l'autre. Bien au contraire, ils
se sont , entendus, dans leur âme et
conscience, M. Chesnelong s'appliquant
à ne rien demander que le prince re-
fusât formellement, et le comte mettant
tout son zèle à n'affirmer aucune pré-
tention qui effrayât le député des dépu-
tés de la droite. Dans le fond de leurs
cœurs, le prétendant et le drapier sont
unanimes; ils croient au droit divin, au
pouvoir absolu, aux bienfaits de l'ancien
régime, et ils cherchent de bonne foi le
moyen de plumer la poule d'Henri IV
sans la faire crier sur les toits.
Est-il donc surprenant quo deux hom^
mes si désireux de s'entendre aient élu-
dé d'un commun accord tous les débats
litigieux, escamoté l'un devant l'autre
chacune des difficultés qui les importu-
naient l'un comme l'autre, et notamment
les droits, les sentiments, les volontés
de la nation française, dont ils n'ont ja-
mais tenu compte, ni l'un ni l'autre ?
L'affaire était faite et parfaite sans la
France, qui a tout gâté. On ne voulait
abuser qu'elle, et pour son bien encore ;
elle ne l'a pas permis, la sotte ! Elle ne
s'est pas laissé faire. Cette coquine de
nation, c'est son malheur> parle une
langue rebelle à l'équivoque. Elle adore
les points sur les i. Deux bons élèves
des Jésuites pourraient argumenter face
à face pendant un mois sans se mettre en
colère, chacun sachant ce que parler veut
dire. Mais la grossièreté naturelle du peu-
ple français, dont nous sommes, veut un
régime moins délicat et moins subtil.
i C'est nous qui avons tort, dans l'espèce:
M. de Chambord a rajson et M. Ches-
nelong aussi. Le premier est un roi sans
défaut, le second un sujet sans reproche.
Honni soit qui dira que deux hommes si
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