Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-10-07
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 07 octobre 1873 07 octobre 1873
Description : 1873/10/07 (A3,N691). 1873/10/07 (A3,N691).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/03/2013
3* Année. — N° 691.
PRIX Dit NUMÉRO : PIEIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Mardi 7 Octobre 4873.
LE E SIÈCLE
JOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR
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JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 6 octobre 1873.
Nous n'avons pu que mentionner hier la
réunion qu'ont tenue chez M. Aubry, dé-
puté des Vosges, quarante-deux membres
de la droite et du centre droit. Bien que
la Gazette de France affirme avec mauvaise
humeur que « tout ce que rapportent les
journaux sur les résolutions qu'aurait
prises cette réunion est inexact J), nous
croyons devoir reproduire le compte-rendu
très-discret qu'en a donné le Journal des
Débats, les renseignements complémen-
taires du Temp, et surtout une note inté-
ressante de Y Union, où l'on verra que l'¿,c-
cord est loin d'être fait sur la plupart des
points, en particulier sur l'insoluble ques-
tion du drapeau.
L'Univers, de son côté, ne cache pas le
mécontentement qu'il éprouve : « Un pre-
mier danger menace, écrit il, la restaura-
tion monarchique, celui de n'être point
faite comme elle doit l'être. Jusqu'ici la
Situation est intacte : le comte de Cham-
bord, dans un manifeste au peuple français,
a solennellement proclamé son principe et
son droit; les princes d'Orléans ont fait
leur soumission au roi; l'Assemblée natio-
tionale, en majorité, est décidée à réta-
blir la monarchie, et le pays, dans son
ensemble, la désire ou l'accepte : tout est
bien; les desseias de Dieu sur la France
s'exécutent. Mais déjà le libéralisme. » Il
est inutile de continuer; vous voyez d'ici
le libéralisme qui sort, comme un mons-
tre, de sa tanière et qui s'apprête à gâter
tout ce bel ouvrage.
Malheureux libéralismel Dieu sait pour-
tant que celui de plusieurs ex orléanistes
n'est pas si féroce; on en verra la preuve
dans les extraits que nous faisons ailleurs
d'un singulier article du Soleil ou Journal
-;de Paris. Mais d'autres « libéraux », sans
Aoutet çntravent le parfait accomplissement
du grand œuvre, et, même au centre droit,
tout le monde ne se rallie point sans hé-
siter à la restauration de la royauté légi-
tima de la monarchie comme en 1788.
Ce qui résulte, en somme, de la compa-
raison d-s renseignements divers que nous
reproduisons pim bas, c'est qu'il n'y a pas
jusqu'à présent, d'accord établi entre les
députés fusionnistès et le roi sur les con-
ditions générales du retour de la monar-
chie ; que ces députés même, indépendam-
ment du roi, n'ont pas réussi davantage à
s'accorder entre eux, et n'ont pu rédiger
ni programme, ni projet, ni résolutions
quelconques. Ils veulent la monarchie;
mais cela seul est clair, et dès qu'il s'agit
de régler quelque chose et de passer à là
pratique, ils retombent dans lé chaos.
Comme on le verra, les quarante dtux
membreb de l'Assemblée qui composaient
la réunion d'avant hier ont pris le paiti
de nommer une commission. Mais une
commission, les pourra-t-elle tirer d'em-
barras? Nous avons des doutes. En atten-
dant, les journaux royalistes repoussent
avec énergie toute convocation anticipée
de la Chambre : ils ne sont pas piêts,
h'Assemblée nationale avait cependant,
hier, émis l'idée de la convocation antici-
pée. Mais, sur ce point comme sur tous les
autres, les grands politiques qui se char-
gent, malgré nous, de nos destinées, chatt
gent d'avis trois ou quatre fois par se-
maine; de sorte qu'il n'est pas encore pos-
sible de savoir au juste quand doit finir la
comédie qu'ils daignent nous donner.
EUG. LIÉBERT.
.- -————————-
l" Hier matin, nous lisions dans le Progrès
Obérai de Toulouse :
Oa nous apprend que l'administration , res-
suscitait une jurisprudence tombée en désué-
tude, exige le dépôt au greffa d'un bulletin signé
du candidat, faute de quoi elle entend soumet-
tre la circulation des bulletins électoraux aux
autorisations impraticables et hasardeuses de la
loi sur le colportage.
On compte ainsi entraver la candidature de
M. de Rémusat; mais il serait possible que
cette démonstration d'hostilité eût un résultat
contraire à celui qu'on attend.
Les électeurs, sachant quels obstacles mes-
quins on oppose à l'exercice de leur droit, ne se
porteront qu'avec plus de zèle au scrutin, et
quant à M. de Rémusat, nous connaissons trop
son patriotisme et sa haine de l'arbitraire pour
ne pas espérer qu'il mettra tant d'honorables
citoyens, gioupés autour de son nom, en mesure
de se soustraire à d'illégales exigences.
M. de Rémusat ne désertera pas la cause de
ses électeurs menacés. Le colportage interdit
par l'administration, c'est la caadidature accep-
tée par M. de Rémusat.
Et, dans la journée, nous recevions de
notre correspondant de Toulouse la dépê-
che suivante :
« La préfecture et le parquet, ayant
refusé le colportage des bulletins Rému-
sat saas avoir au préalable la signature
du candidat, ont provoqué une lettre de
M. de Rémusat, qui accepte la candi-
dature. »
Tous nos remerciements à la loi de 1850.
— ♦
Le Procès Bazaine
Aujourd'hui commence un procès qui
est, en quelque sorte, la dernière page
d'histoire de. l'année 1870 : une sommité
de l'armée française va comparaître de-
vant le pays, et c'est, pour ainsi dire,
l'opinion publique qui a exigé la mise en
jugement d'un maréchal de France. En
un moment où certains affectent de faire
si bon compte de la volonté nationale,
-ce prooès ne semble-t-il pas un démenti
éclatant infligé à cette étrange préten-
tion ?
Tout d'abord violemment attaqué par
beaucoup et passionnément défendu par
quelques-uns, le maréchal Bazaine, be-
néficiant des immunités de l'accusé, a
vu, dans ces derniers temps, le silence
se faire autour de son nom. Ce n'est pas
nous qu'on accusera d'avoir rompu ce
silence. Demain cette sorte d'interdit qui
pèse naturellement sur les consciences
sera levée, et nous tenterons de retracer
au lecteur les débats de cet émouvant
procès politique, sinon sans prévention,
du moins, nous l'espérons, sans parti
pris.
Pour aujourd'hui, nous nous conten-
terons simplement de rappeler devant
quel tribunal comparaît le maréchal et
de quelles peines le code militaire me-
nacé l'accusé.
Un accusé militaire ne peut être jugé
par ses inférieurs: à un maréchal il fau-
drait donc au moins pour juges ses pairs,
appelés par ordre d'ancienneté. Dans ce
,,..la JQLdrq.¡e Uû pÊivpar.fojpcô^ôt-s©
contente de quatre maréchaux sur sept
juge?. D'autre part, le simple bon sens
enseigne qu'un homme ne peut être à
la fois juge et témoin ; or, c'était un peu
le cas des maréchaux français, qui ont,
presque tous, joué un rôle dans les évé-
nements de Metz. Il a donc fallu transi-
ger avec la loi à l'aide d'une autre loi et
remplacer los maréchaux par les offi-
ciers les plus rapprochés de ces hauts
dignitaires, c'est-à-dire par des généraux
ayant commandé en chef devant l'enne-
mi, soit des armées, soit des corps d'ar-
mée, soit les armes de l'artillerie et du
génie. C'e:3t donc d'après la loi du 16
mai 1872 que le conseil de guerre se
trouve composé par M. le ministre de la
guerre de la façon suivante :
Le général duc d'Aumale, qui, sous le
règne de Louis-Philippe, a eu un com-
mandement en chef en Afrique. L'an-
cienneté lui vaut la présidence du con-
seil.
Le général de La Motterouge, qui a
commandé l'armoo. de la Loire, compo-
sée du 158 corps d'armée, du 15 septem-
bre au 11 octobre 1870.
Le général de Chabaud-Latour, prési-
dent du comité des fortifications, et qui
en cette qualité a siégé parmi les chefs
de corps.
Le général Tripier, qui a commandé
le génie de la seconde armée pendant le
siège de Paris.
Le ministre, usant de son droit, a éga-
lement nommé trois autres juges, MM.
les généraux de division de Martimprey,
Princeteau, Martineau-Deschenez, tous
trois attachés à la première division mi-
litaire. Quant aux fonctions de commis-
saire du gouvernement et rapporteur,
qui doivent être remplies, la première
par un général de division, la seconde
par un officier général, elles sont échues
au général Pourcet et au général Ri-
vière.
C'est au président du conseil qu'in-
combe la lâche, une fois les débats clos,
de poser à ses collègues les questions
relatives à la culpabilité : celles qui tou-
chent au fait principal ne peuvent être
résolues qu'à la majorité de cinq voix
contre deux ; trois voix en faveur de
l'accusé entraînent l'acquittement ; c'est
ce qu'on appelle la minorité de faveur.
Et l'on comprend les adoucissements
apportés, à la loi lorsqu'on lit, dans le
code militaire, ces articles froids et ri-
gides :
Art. 209. — Est puni de mort, avec
dégradation militaire, tout gouverneur
ou commandant qui, mis en jugement
après avis d'un conseil d'enquête, est
reconnu coupable d'avoir capitulé avec
l'ennemi et rendu la place qui lui était
confiée sans avoir épuisé tous les moyens
de défense, et sans avoir fait tout ce
que prescrivaient le devoir et l'hon-
neur.
Art. 210. — Tout général, tout com-
mandant d'une trpupe armée qui capi-
tule en rase campagne, est puni : 1° De
la peine de mort, avec dégradation mili-
taire, si la capitulation a eu pour résultat
de faire poser les armes à sa troupe, ou
si, avant de traiter verbalement ou par
écrit, il n'a pas fait tout ce que lui pres-
crivaient le devoir-et l'honneur; 2° de
la destitution, dans tous les autres
cas.
Or, le maréchal Bazaine est sous le
coup de ces deux articles du code mili-
taire, puisque, par une mesure qui sera
Ê&psé&é» COUPS 4m débat», il -avait*
vers la fin du siège,, retiré au général
Coffinières le commandement de la
ville de Metz.
P. L.
————————— + ——————————
On lit dans le Bien public
On nous affirme que M. le comte de
Chambord refuse absolument de céder sur
la question du drapeau tricolore. Il ne
veut pas, dit on, reconnaître cet emblème
révolutionnaire.
C'est le drapeau blanc qu'il entend im-
poser à la France de 89.
-4 —
Les rédacteurs du Soleil et du Journal de
Paris ont des visions, comme les petits
bergers de la Salette; un d'eux, M. Noir-
mont, a vu de ses yeux « M. Tiiiers ten-
dre sa main droite à M. Gambetta et sa
main gauche au prince Napo!éoa. » Ce
qui lui inspire des réflexions où la mytho-
logie a plus de part que le sens commun :
« C'est bien cette fois, s'écrie t-il, la révo-
lution à trois têtes, ne rappelant que trop
les Gorgones de la fable, qui, d'après Hé-
siode, gardaient le jardin des Hespérides,
où l'on ne put pénétrer qu'après que Per-
sée en eut délivré la terre. »
Les Gorgones,ce sontM.Thiers, M. Gam-
betta et. le prince Napoléon; le jardin des
Hespérides, c'est la royauté : « Toute la
question du jour, c'est de faire pénétrer la
France dans le jardin des HéFpèrides, dont
MM. Thiers et Gamte'ta gardent l'entrée,
de concert avec le prince Napoléon. »
Heureusement, l'auteur de cette allé-
gorie ne demande ps « qu'un Persée
monarchique tue les Gorgones révolution-
naires. Nous ne voulons pas, dit-il, la
mort du pécheur. » Hélas ! que ce mon-
sieur a l'âaae bonne ! Il prie seulement les
fasionnistesdene plus discuter, mais d'agir,
de ne plus discuter surtout : c'est le seul
moyen qu'ils aient de rester unis et de se
défendre « contre le patriarche de la place
Saint Georges; Protée politique sans con-
science. »
Mais cette union indispensable, les roya-
listes ne l'ont donc pas encoie solidement
contractée ? Malheureusement non ; il y a
des hommes qui se parent du beau titre
« d'honnêtes gens » et qui ne sont pas de
vrais « hoadêtes gens. » Ils ont l'imprudence
« de se quereller dans le vide pour des
questions de détail, de seiner dans le
camp du parti conservateur de regretta-
bles défiances et de fâcheuses divisions ! »
Quoi ! c'est encore là qu'on en est ? Oui,
certes ; et voilà pourquoi le politicien ins-
piré à qui le Soleil ouvre ses colonnes avoue
sa vive inquiétude.
Et la royauté dont il est épris n'est plus
la royauté bourgeoise et constitutionnelle
de 1830. Foin de celle-ci, déformais enta-
chée de révolutionnarisme! Le Soleil nere
connaît à présent qu'une royauté, qu'une
seule, celle qui date d'avant la Révolution,
celle «qui a introduit l'unité, sans laquelle
il n'aurait pu y avoir d'égalité dans le do-
maine de la justice (!); qui, à toutes les
époques, a favorisé de tout son pouvoir le
développement des lumières, etc., etc. »
C'est au-delà de la constitution de 1791
qu'il faut remonter pour renouer la
chaîne des vraies traditions, et la mo-
narchie était dès lors, au gré du Soleil,
aisez libérale : « Est-ce que, dans la
dernière période de l'ère monarchique,
écrit-il, avant que la constitution de
1791 lui en eût fait un devoir, la
royauté n'avait pas d'elle-même mis en
pratique, par son extrême tolérance, la
liberté de conscience et l'indépendance de
la pensée? »
Voilà donc bien où l'on prétend nous
ramener ? L'ancien régime pur et simple,
l'absolutisme tempéré par la tolérance du
monarque, c'est le jardin des Hespérides.
Q l'esfr dwenu» ia monarchie libérale et
parlementaire que vantaient autrefois le
Journal de Paris et le Soleil? Nous avons
connu un temps où nos confrères n'étaient
pas tout-à-fait brouillés avec les principes
de 1789 et la civilisation moderne, lis ont
changé d'avis; qu'ils reçoivent nos compli-
ments : leur situation, en effet, en devient
plus nette qu'elle n'avait paru depuis trois
années.
E. L.
♦
BON-SENS ET GIROUETTE
C'est le titre d'une de ces mille petites
brochures (jue la Librairie catholique de
l'Univers repand par milliers dans les
villes et dans les campagnes. Le beau
monde, et plus simplement le monde
bourgeois, ignore ces pamphlets qui ne
s'adressent point à lui. Il ne croit point à
leur influence ; il s'imagine toujours que
la. machine ronde tourne autour de lui.
Il se croit encore, comme au temps du
suffrage restreint, le centre de l'univers
intellectuel et moral, et, pour me servir
de l'expression grecque, le nombril de
la terre. Le temps est venu où il faut se
départir de ce mépris parfait pour les
imbéciles :
Les sots, depuis Adam, sont en majorité.
Et la majorité, il n'y a pas à dire, nous
devons compter avec elle ; cela est char-
mant sans doute de rire de ses préju-
gés et de ses sottises ; mais un jour ar-
rive où l'on est écrasé sous la masse, et
l'on ne rit plus alors. t.
Ben-Sens et Girouette est un dialogue,à
l'instar des dialogues de Platon, où l'on
passe en revue la plupart des questions
politiques et religieuses qui occupent
notre époque. Bon-Sens est l'un des deux
interlocuteurs, et Girouette est l'autre.
Girouette vient de lire un ouvrage com-
posé par un libre-penseur, qui ne l'a
signé que de cette initiale V.; V.,
cela veut dire pour lui Vérité; mais Bon-
StmS, qui s'y connaît mieux, appelle le
monsieur qui se cache sous cette majus-
cule du nom très-ironique de Vas-y- Voir,
et cette confusion de noms prête à une
foule d'équivoques et de plaisanteries
excessivement spirituelles.
Il est inutile, je pense, de vous ap-
prendre que Bon-Sens est l'interprète
assermenté de la Librairie catholique. de
l'Univers, tandis que Girouette est chargé
démettre les énormes bêtises qui sont
l'apanage exclusif de la libre-pensée.
Bon-Sens les réfute, avec la même facilité
que le prédicateur de la légende avait
raison de Voltaire, qu'il apostrophait en
regardant son bonnet carre.
Les discours de ce Bon-Sens sont
assez curieux , parce qu'ils sont l'ex-
pression éxacte de ce qu'on pense
dans le parti que nous combattons.
Au lieu que les habiles de l'ultra-
montanisme déguisent sous de beaux so-
phismes les prétentions du clergé fran-
çais, Bon-Sens les étale avec une naïveté
cynique, qui est fort instructive. Il sait
qu'il n'aura, pour lui répondre, af-
faire qu'à Girouette et à l'innombrable
multitude des idiots que Girouette per-
sonnifie, et il pense que pour les crétins,
il n'y a pas tant à se gêner. On peut
leur dire crûment les choses; ils les
prendront comme on les leur donne,
sans y chercher ombre de chicane.
Voulez-vous que je vous dise comment
Bon-Sens explique à son ami Girouette ce
qu'il faut entendre par l'instruction obli-
gatoire, que demande ce farceur de Fas-
y- Voir.
- Vas-y- Voir veut aussi, dit Girouette,
que l'instruction soit obligatoire.
— Naturellement, répond Bon-Sens.
Ces gens-là savent que les trois quarts de
la France ne veulent pas de leur ins-
truction athée, et qu'un grand nombre
de pères de famille ne consentiront ja-
mais à ce que leurs enfants soient ainsi
élevés dans l'ignorance de Dieu. Voilà
pourquoi les partisans de l'instruction
dite laïque ne peuvent pas s'empêcher
de demander qu'elle soit obligatoire,
c'est-à-dire imposée de force, puisque
sans cela ils ne pourraient jamais réussir.
Et que répond Girouette à cette belle
définition ? Girouette ne répond rien.
Girouette reste muet. Il faut avouer que
Girouette n'a pas beaucoup de ressour-
ces dans l'esprit. Si Girouette avait l'om-
bre de sens commun, il répondrait à
Bon-Sens qu'il ne se doute pas de ce
qu'on entend par ces mots d'instruc-
tion obligatoire, qu'il se trompe ou
qu'il est trompé.
Les partisans de l'instruction obliga-
toire n'exigent pas du tout que l'ersei-
gnement primaire soit donne exclusive-
ment dans les écoles de l'Etat. Ils veu-
lent seulement qu'aucun enfant n'en
puisse être privé. Ils laissent le père de
famille parfaitement libre de choisir pour
son fils entre l'école communale ou
l'école congréganisLe, ou même la mai-
son paternelle. Ce qu'ils n'admettent
point, c'est que le père, soit par incurie,
soit par-avarice, soit par monstrueuse
bêtise, ne lui apprenne point à lire, à
écrire et à compter, le maintienne en
cet état d'ignorance où l'homme n'est
qu'une brute dont les organes sont un
peu plus perfectionnés.
Ce mot d'obligatoire n'a donc qu'un
sens : c'est que le père est obligé, con-
traint parles voies de droit à ne pas pri-
ver son fils de ce minimum d'instruc-
tion sans lequel on n'est pas un homme ;
mais il n'est pas obligé à le lui donner
dans une école plutôt que dans une
autre, d'une façon plutôt que d'une
autre. A cet égard il a toujours eu et
conserve toute sa liberté d'action.
Voilà ce que Girouette aurait dû ré-
pondre à Bon-Sens ; il lui aurait ainsi
épargné toutes sortes de déclamations
idiotes et de mensonges inutiles.
A un autre endroit Girouette conte que
cet affreux révolutionnaire de Vas-y- Voir
voudrait que l'Eglise fût séparée de
l'Etat, et que les curés cessassent d'être
les fonctionnaires du gouvernement.
Savez-vous ce que répond Bon-Sens à
cette ouverture? Le passage est bien cu-
rieux et bien significatif :
— Eh 1 mon ami, s'écrie Bon-Sens,
son désir est accompli d'avance. Les
curés catholiques ne sont pas. fonction-
naires de l'Etat; ils ne sont fonctionnai-
res que de l'Eglise. La preuve, c'est
qu'ils ne rendent nullement compte de
leur administration à l'Etat. Les eu es
rendent compte à l'évêque, l'évêque au
pape; mais l'Etat ne se mêle pas de leur
ministère.
J'aime cette franchise, et vous avoue-
rez que l'on n'a rien écrit de plus net
en 1828, aux heures les plus friomphan-
tes de la réaction religieuse. Je crois
pourtant bien que Bon-Sens prend encore
ici ses désirs pour la réalité. Est-il donc
FEUILLETON DU XIX* SIÈCLE
CAUSERIE
DRAMATIQUE
THEATHE DE LA PORTE-^AINT-MARTIN. — Marie
Tudor.
THÉÂTRE DE L'ODÉOX. - Lo Haschich, comédie en un
acte, de M. Louis Leroy.
TEÊ-HRE Du GYMNASE. — Débuts de Ml'e Legault.
Je ne connais rien de si désobligeant,
dé si agaçant, de si nuisible, que d'avoir
près de soi, à une icprésentation sérieuse,
un spectateur prévenu, partial, imbu de
préjugés, dépourvu de lumières, ricanant de
tout, tranchant surtout avec un aplomb
impertinent et empoignant à tort et à tra-
vers C'est précisément ce qui m'est arrivé
pour la représentation de Marie Tudor. J'é-
coutais ce dramo, si intéressant à tous les
poinis de vue, avec beaucoup d'attention
et de curiosité. Je l'tcoutais avec un sin-
cère désir de m'iNPtruire et d'en tirer un
enseignement, moins pour le juger isolè-
rent et en lui-même que comme un docu-
ment important de noire histoire drama'i-
que et littéraire. C'est surtout ainsi, selon
moi, qu'il doit être envisagé aujourd'hui,
et l'on ne tient pas assez compte des qua-
rante années qui se sont écoulées depuis
son apparition.
Marie Tudor est un échantillon très-com-
plet et très accentué du mélodrame ro-
mantique. Cet ouvrage porte en lui tou-
tes les exagérations, toutes les audaces,
toutes les agressions passionnées, toutes
les provocations, tous les défis d'une réac-
tion, qu'il représente au moment même où
elle était dans toute sa fougue, dans tout
son fanatisme. Animée d'un esprit de pro-
sélytisme violent et tyrannique, elle s'af-
firmait par son intolérance systématique,
par sa brutalité même, par son aveugle-
ment ; elle se déclarait irréconciliable et
dépassait toutes les bornes, moins par
goût réel de la licence que pour être bien
sûre de ne pas rester en deçà.
La révolution littéraire avait commencé;
la révolution politique était venue se jeter
tout au travers, couvrant momentanément
sa voix du fracas des batailles ; puis le tu-
multe de celle-ci apaisée, l'autre reprenait
sa marche interrompue. Eu réalité, quand
Marie Tudor apparut, il s'agissait moins
d'une œuvre d'art que d'une œuvre de ré
volution. En comparant les choses, je sens
dans les premiers drames en vers de Vic-
tor Hugo une élévation sereine que je ne
retrouve plus dans ses premiers mélo-
drames mis au service des passions popu-
laires bien plus qu'au service de l'art pur.
Les exagération. mêmes du genre nou-
veau l'ont servi pourtant en consacrant,
en forçant l'émancipation littéraire, dont
les combats d'Hervani a raient marqué le
point de départ. La Bastille était prise ;
les entraînements qui suivirent n'ont pas
effacé les conséquences indestructibles de
cette première conquête, qui n'est, à tout
prendre, qu'un symbole.
Quoi qu'en disent les détracteurs de
parti pris et les chercheurs de petites
bêtes, le génie de Victor Hugo plane sur
toute notre littérature, qui lui doit son in
dépendance. On aura beau le nier et le re
nier, réagir conire lui par tous les moyens
j et dans toutes les [onnes, il a tout pénè-
ttré, et son influence demeure indélébile,
irréductible. Rien de ce qui s'est fait et de
ce qui se fait ne se serait fait et ne se fe-
rait sans lui. L'appareil de Marsh en don-
nerait partout des traces, et à quelque di-
lution qu'il soit descendu, on le retrouve
partout, même chez ctux qui sedresfent
contre lui.
On ne juge pas avec des antipathies et
des haines. Il en est beaucoup, même
parmi les bons, que les grandes supériori-
té3 blessent et humilient, et le génie n'a
pas toujours gain de cause dans les esprits
qui ne sont que raisonnables ou délicats.
Il s'accompagne d'ordinaire de trop de
choses dont la simple raison se choque,
parce qu'elle n'aperçoit point la grande
synthèse qui les domine. Dans le 1 rocès
intenté à ce grand esprit qui s'appelle
Victor Hugo, il y a plus que de l'injus-
tice, il y a de l'ingratitude. Le paysan
athénien qui se faisait écrire le nom d'Aris-
tide sur une écail!e d'huître a laissé une
innombrable lignée.
Ce qu'on a appelé le romantisme n'existe
plus à titre d'école et n'a plus de raison
d'être ; mais il est bon qu'il ait existé. Il a
porté les fruits qu'il devait porter : ses
croisements successifs ont ravivé notre
sang appauvri, épaissi, stagnant, et telle
œuvre, telle conception, telle phrase qu'on
hiicroitcomplétem?ntétrangère aujouid'hui
lui est cousine à un degré, où l'héritage
direct s'éteint il est vrai, mais où le carac-
tère de la race persiste. -
Le Nil aclmirari peut être un axiôme de
philosophie ; mais ce n'est point un axiôme
d'art.
Tout ceci est de thèse générale et n'a
pas directement trait à Marie Tudor qui
m'intéresse moins, je le répète, comme
œuvre dramatique que comme document
hifctoriqua.
Je crois tout à fait inutile d'analyser
minutieusement ce mélodrame, où je re
connais la main puissante d'un maître,
mais où je trouve son esprit amoindri.
Conçu dans un système fort compromis
par des imitations « ultérieures, et dont le
type nous revient après quarante ans,
disci édité et épuisé, il ne contient aucune
de ces grandeurs et de ces beautés irrésis-
tibles qui abondent dans les drames en
vers du poëte. La préoccupation de faire
nature, — comme on disait jadis dans
l'école,-— l'emporte sur toule autre, même
en dépit de la revendication de 1 aoteur,
sur celle de faire grand. Je n'en excepte
pas le quatrième acte, où ma déception a
été complète. Le cortège de Fabiano mar-
cbaat à la mort et la scène fameuse des
deux femmes ne m'ont pas causé l'impres-
sion à laquelle je m'attendais. Je n'avais
pas voulu relire la pièce pour pouvoir me
livrer tout entier à l'effet que ce passage
dèvait produire; mais, mal disposé par le
deuxième et le troisième acte, sans doute,
je me suis senti triste et froid devant ce
spectacle, trop chèrement acheté peut-
être ?
Dans la courte préface qui précède l'œu-
vre imprimée, l'auteur parle beaucoup du
vrai dans le grand, du grand dans le vrai,
et je me disais : Certes, voici une situation
qui a de la grandeur; mais cette grandeur
est tout externe, et ces deux femmes qui
sont les entrailles mêmes du sujet sont
tellement vraies qu'elles descendent jus-
qu'au trivial, au bas, au petit. Cette reine
dévergondée et cette fille souillée ne m'm-
téressent pas :, la reine me révolte, la fille
me fait pitié. Elles sont là, qui se démè-
nent toutes deux dans le+lrd passions, ores
parallèles, ores opposées, l'une éprise de
cet odieux et méprisable Fabiano, ca ruf-
fian italien criminel et lâche, l'autre de
cet ouvrier vulgaire, ce Gilbert, cet homme
du peuple si généreux qu'il cousent encore
à épouser une pairessé d'Angleterre sé-
duite et souillée par l'autre; franchemeat
où voulez vous que mon âme se Pi enue?
C'est vrai, je le veux bien; mais à coup
sûr malgré le dramatique de la chofe, cela
n'est pas scénique , puisqu'on ne peut sé-
rieusement pas s'y intéresser. Ce plaidoyer
de Jane m'avait presqu'attendri pourtant
quand la voix brutale de l'autre, la Tudor,
m'a violemment retenu sur cette pente.
Elle s'écriait de sa voix la plus bestiale :
« Ah ! ton amant ! Que m'importe ton
amant ! Est-ce que toutes les filles d'An-
» gleterre vont venir me demander compte
» de leurs amants, maintenant ! Pardieu î
D je sauve le mien comme jô peux et aux
» dépens de qui se trouve là. Veillez sur
» les vôtres ! »
Toute la grandeur de la scène s'abîme
dans une pareille vérité.
L'auteur a fait de la doctrine, il n'a pas
fait du théâtre. lia cru que son génie la-
tent suffirait pour l'imposer : il s'est trom-
pé. Il a mis la volonté au-dessus du génie,
et le génie, voyant qu'on prétendait lui
faire faire, bon gré, mal gré, de mauvaise
besogne, s'est tapi dans son coin en disant
avec la même vérité que la reine d'Angle-
terre : Pardieu ! puisque tu veux marcher
sans moi, mon bonhomme, tire-toi de là
comme tu pourras !
Mais si Marie Tudor n'a pas eu de suc-
cès en 1833, si l'effet général produit par
ce mélodrame a été nntipathique et répul-
sif,on n'en a pas moins vu qu'il était pos-
sib e, en tâchant de faire aussi grand et
en faisant moins vrai, d'introduire au
théâtre une vérité relative, qu'on allait
aborder désormais avec moins d'hésitation
et de timidité.
Les hardis comprirent qu'ils devaient
oser moins que le maître ; les craintifs,
qu'ils pouvaient avoir un peu plus d'au-
dace qu'ils ne s'en étaient permis jusqu'a-
lors ; mais, tous, comme l'enseignement
venait de haut, qu'il fallait tenir corrlpt
et de la tentative et du résultat, et qu'il y
avait quelque chose à faire. Le premier
coup de pioche était donné, au dam du
premier ouvrier; mais la brèche était ou-
verte.
Toutes choses égales d'ailleurs, il s'agit
moins au théâtre de faire absolumént vrai
que de faire scénique. Le théâtre est le
théâtre,etquellts que soient les théories, on
n'en peut pas changer les conditions spé-
ciales. Les grands maîtres tenaient parfai-
tement compte de ce que la scène compor-
te et de ce qu'elle n'admet point. Ce qu'aie
"n'admet certainement pas, c'est l'absolu.
Tout y est relatif au temps, aux mœurs,
aux goûts régnants. Il ne faut pas
heurter de front ces puissances. Faites ac-
cepter au public votre œuvre si vous pou-
vez; vous ne la lui imposerez pas. Tout
l'art est là. Allez jusqu'à la limite extrême
de sa tolérance; mais n'essayez pas de la
dépasser : vous sombrerez sous - voiles.
L'école dite rèaliste refait aujourd'hui
ce que voulait faire le romantisme : il
prétendait au vrai dans le haut et dans le
grand, et visait le sublime; le réalisme le
cherche dans le bas et dans le petit,
et vise le monstrueux. Le romantisme,
au temps de Marie Tudor, voulait le vrai
dans le grand, le grand dans le vrai ; le
réalisme ne veut que le vrai, le vrai tout
seul, le vrai quand même, le vrai mê-
me dans la laideur, particulièrement dans
la laideur, même dans l'odieux, même
dans l'ignoble.
Les souliers à la poulaine ont cédé le
pas aux chaussons de lisière; la coupe de
vin de Chypre au canon de petit-b'eu. La
dague de Tolèdé disparaît, mais le fromage
de Roquefort s'avance, triomphalement
charrié par ses mites; Orsini n'est plus que
le mastroquet, et les ébats amoureux n'ont
plus pour théâtre que la soute au linge
sale d'une gargote, ou les tas de plumes,
remplis de fientes et de caillots, des volail-
les troussées à la Vallée.
Beaucoup de vérité ; mais quelle vérité !
Il ne faut dire que ce qui est vrai, mais
non pas tout ce qui est vrai. La Bruyère
dit que le choix est invention : l'école réa-
liste manque d'invention, car elle ne choi-
sit pas. EUe compte dans ses ra/lg, a.s(z
peu drus d'ailleurs, de véritables talents
qui s'usent à des besognes impossibles.
Du reste, chez ces nouveaux romantiques,
comme chez les anciens, un égal oubli des
exigefiees du théâtre et des mesures de la
scène : or, soyez classique, romantique,
réaliste, fantaisiste, éclectique, soyez tout
ce que vous voudrez; mais soyez sCRnique
PRIX Dit NUMÉRO : PIEIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Mardi 7 Octobre 4873.
LE E SIÈCLE
JOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR
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advertiaing, agent, 13, Taviatock- row, Covent Gardwu
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 6 octobre 1873.
Nous n'avons pu que mentionner hier la
réunion qu'ont tenue chez M. Aubry, dé-
puté des Vosges, quarante-deux membres
de la droite et du centre droit. Bien que
la Gazette de France affirme avec mauvaise
humeur que « tout ce que rapportent les
journaux sur les résolutions qu'aurait
prises cette réunion est inexact J), nous
croyons devoir reproduire le compte-rendu
très-discret qu'en a donné le Journal des
Débats, les renseignements complémen-
taires du Temp, et surtout une note inté-
ressante de Y Union, où l'on verra que l'¿,c-
cord est loin d'être fait sur la plupart des
points, en particulier sur l'insoluble ques-
tion du drapeau.
L'Univers, de son côté, ne cache pas le
mécontentement qu'il éprouve : « Un pre-
mier danger menace, écrit il, la restaura-
tion monarchique, celui de n'être point
faite comme elle doit l'être. Jusqu'ici la
Situation est intacte : le comte de Cham-
bord, dans un manifeste au peuple français,
a solennellement proclamé son principe et
son droit; les princes d'Orléans ont fait
leur soumission au roi; l'Assemblée natio-
tionale, en majorité, est décidée à réta-
blir la monarchie, et le pays, dans son
ensemble, la désire ou l'accepte : tout est
bien; les desseias de Dieu sur la France
s'exécutent. Mais déjà le libéralisme. » Il
est inutile de continuer; vous voyez d'ici
le libéralisme qui sort, comme un mons-
tre, de sa tanière et qui s'apprête à gâter
tout ce bel ouvrage.
Malheureux libéralismel Dieu sait pour-
tant que celui de plusieurs ex orléanistes
n'est pas si féroce; on en verra la preuve
dans les extraits que nous faisons ailleurs
d'un singulier article du Soleil ou Journal
-;de Paris. Mais d'autres « libéraux », sans
Aoutet çntravent le parfait accomplissement
du grand œuvre, et, même au centre droit,
tout le monde ne se rallie point sans hé-
siter à la restauration de la royauté légi-
tima de la monarchie comme en 1788.
Ce qui résulte, en somme, de la compa-
raison d-s renseignements divers que nous
reproduisons pim bas, c'est qu'il n'y a pas
jusqu'à présent, d'accord établi entre les
députés fusionnistès et le roi sur les con-
ditions générales du retour de la monar-
chie ; que ces députés même, indépendam-
ment du roi, n'ont pas réussi davantage à
s'accorder entre eux, et n'ont pu rédiger
ni programme, ni projet, ni résolutions
quelconques. Ils veulent la monarchie;
mais cela seul est clair, et dès qu'il s'agit
de régler quelque chose et de passer à là
pratique, ils retombent dans lé chaos.
Comme on le verra, les quarante dtux
membreb de l'Assemblée qui composaient
la réunion d'avant hier ont pris le paiti
de nommer une commission. Mais une
commission, les pourra-t-elle tirer d'em-
barras? Nous avons des doutes. En atten-
dant, les journaux royalistes repoussent
avec énergie toute convocation anticipée
de la Chambre : ils ne sont pas piêts,
h'Assemblée nationale avait cependant,
hier, émis l'idée de la convocation antici-
pée. Mais, sur ce point comme sur tous les
autres, les grands politiques qui se char-
gent, malgré nous, de nos destinées, chatt
gent d'avis trois ou quatre fois par se-
maine; de sorte qu'il n'est pas encore pos-
sible de savoir au juste quand doit finir la
comédie qu'ils daignent nous donner.
EUG. LIÉBERT.
.- -————————-
l" Hier matin, nous lisions dans le Progrès
Obérai de Toulouse :
Oa nous apprend que l'administration , res-
suscitait une jurisprudence tombée en désué-
tude, exige le dépôt au greffa d'un bulletin signé
du candidat, faute de quoi elle entend soumet-
tre la circulation des bulletins électoraux aux
autorisations impraticables et hasardeuses de la
loi sur le colportage.
On compte ainsi entraver la candidature de
M. de Rémusat; mais il serait possible que
cette démonstration d'hostilité eût un résultat
contraire à celui qu'on attend.
Les électeurs, sachant quels obstacles mes-
quins on oppose à l'exercice de leur droit, ne se
porteront qu'avec plus de zèle au scrutin, et
quant à M. de Rémusat, nous connaissons trop
son patriotisme et sa haine de l'arbitraire pour
ne pas espérer qu'il mettra tant d'honorables
citoyens, gioupés autour de son nom, en mesure
de se soustraire à d'illégales exigences.
M. de Rémusat ne désertera pas la cause de
ses électeurs menacés. Le colportage interdit
par l'administration, c'est la caadidature accep-
tée par M. de Rémusat.
Et, dans la journée, nous recevions de
notre correspondant de Toulouse la dépê-
che suivante :
« La préfecture et le parquet, ayant
refusé le colportage des bulletins Rému-
sat saas avoir au préalable la signature
du candidat, ont provoqué une lettre de
M. de Rémusat, qui accepte la candi-
dature. »
Tous nos remerciements à la loi de 1850.
— ♦
Le Procès Bazaine
Aujourd'hui commence un procès qui
est, en quelque sorte, la dernière page
d'histoire de. l'année 1870 : une sommité
de l'armée française va comparaître de-
vant le pays, et c'est, pour ainsi dire,
l'opinion publique qui a exigé la mise en
jugement d'un maréchal de France. En
un moment où certains affectent de faire
si bon compte de la volonté nationale,
-ce prooès ne semble-t-il pas un démenti
éclatant infligé à cette étrange préten-
tion ?
Tout d'abord violemment attaqué par
beaucoup et passionnément défendu par
quelques-uns, le maréchal Bazaine, be-
néficiant des immunités de l'accusé, a
vu, dans ces derniers temps, le silence
se faire autour de son nom. Ce n'est pas
nous qu'on accusera d'avoir rompu ce
silence. Demain cette sorte d'interdit qui
pèse naturellement sur les consciences
sera levée, et nous tenterons de retracer
au lecteur les débats de cet émouvant
procès politique, sinon sans prévention,
du moins, nous l'espérons, sans parti
pris.
Pour aujourd'hui, nous nous conten-
terons simplement de rappeler devant
quel tribunal comparaît le maréchal et
de quelles peines le code militaire me-
nacé l'accusé.
Un accusé militaire ne peut être jugé
par ses inférieurs: à un maréchal il fau-
drait donc au moins pour juges ses pairs,
appelés par ordre d'ancienneté. Dans ce
,,..la JQLdrq.¡e Uû pÊivpar.fojpcô^ôt-s©
contente de quatre maréchaux sur sept
juge?. D'autre part, le simple bon sens
enseigne qu'un homme ne peut être à
la fois juge et témoin ; or, c'était un peu
le cas des maréchaux français, qui ont,
presque tous, joué un rôle dans les évé-
nements de Metz. Il a donc fallu transi-
ger avec la loi à l'aide d'une autre loi et
remplacer los maréchaux par les offi-
ciers les plus rapprochés de ces hauts
dignitaires, c'est-à-dire par des généraux
ayant commandé en chef devant l'enne-
mi, soit des armées, soit des corps d'ar-
mée, soit les armes de l'artillerie et du
génie. C'e:3t donc d'après la loi du 16
mai 1872 que le conseil de guerre se
trouve composé par M. le ministre de la
guerre de la façon suivante :
Le général duc d'Aumale, qui, sous le
règne de Louis-Philippe, a eu un com-
mandement en chef en Afrique. L'an-
cienneté lui vaut la présidence du con-
seil.
Le général de La Motterouge, qui a
commandé l'armoo. de la Loire, compo-
sée du 158 corps d'armée, du 15 septem-
bre au 11 octobre 1870.
Le général de Chabaud-Latour, prési-
dent du comité des fortifications, et qui
en cette qualité a siégé parmi les chefs
de corps.
Le général Tripier, qui a commandé
le génie de la seconde armée pendant le
siège de Paris.
Le ministre, usant de son droit, a éga-
lement nommé trois autres juges, MM.
les généraux de division de Martimprey,
Princeteau, Martineau-Deschenez, tous
trois attachés à la première division mi-
litaire. Quant aux fonctions de commis-
saire du gouvernement et rapporteur,
qui doivent être remplies, la première
par un général de division, la seconde
par un officier général, elles sont échues
au général Pourcet et au général Ri-
vière.
C'est au président du conseil qu'in-
combe la lâche, une fois les débats clos,
de poser à ses collègues les questions
relatives à la culpabilité : celles qui tou-
chent au fait principal ne peuvent être
résolues qu'à la majorité de cinq voix
contre deux ; trois voix en faveur de
l'accusé entraînent l'acquittement ; c'est
ce qu'on appelle la minorité de faveur.
Et l'on comprend les adoucissements
apportés, à la loi lorsqu'on lit, dans le
code militaire, ces articles froids et ri-
gides :
Art. 209. — Est puni de mort, avec
dégradation militaire, tout gouverneur
ou commandant qui, mis en jugement
après avis d'un conseil d'enquête, est
reconnu coupable d'avoir capitulé avec
l'ennemi et rendu la place qui lui était
confiée sans avoir épuisé tous les moyens
de défense, et sans avoir fait tout ce
que prescrivaient le devoir et l'hon-
neur.
Art. 210. — Tout général, tout com-
mandant d'une trpupe armée qui capi-
tule en rase campagne, est puni : 1° De
la peine de mort, avec dégradation mili-
taire, si la capitulation a eu pour résultat
de faire poser les armes à sa troupe, ou
si, avant de traiter verbalement ou par
écrit, il n'a pas fait tout ce que lui pres-
crivaient le devoir-et l'honneur; 2° de
la destitution, dans tous les autres
cas.
Or, le maréchal Bazaine est sous le
coup de ces deux articles du code mili-
taire, puisque, par une mesure qui sera
Ê&psé&é» COUPS 4m débat», il -avait*
vers la fin du siège,, retiré au général
Coffinières le commandement de la
ville de Metz.
P. L.
————————— + ——————————
On lit dans le Bien public
On nous affirme que M. le comte de
Chambord refuse absolument de céder sur
la question du drapeau tricolore. Il ne
veut pas, dit on, reconnaître cet emblème
révolutionnaire.
C'est le drapeau blanc qu'il entend im-
poser à la France de 89.
-4 —
Les rédacteurs du Soleil et du Journal de
Paris ont des visions, comme les petits
bergers de la Salette; un d'eux, M. Noir-
mont, a vu de ses yeux « M. Tiiiers ten-
dre sa main droite à M. Gambetta et sa
main gauche au prince Napo!éoa. » Ce
qui lui inspire des réflexions où la mytho-
logie a plus de part que le sens commun :
« C'est bien cette fois, s'écrie t-il, la révo-
lution à trois têtes, ne rappelant que trop
les Gorgones de la fable, qui, d'après Hé-
siode, gardaient le jardin des Hespérides,
où l'on ne put pénétrer qu'après que Per-
sée en eut délivré la terre. »
Les Gorgones,ce sontM.Thiers, M. Gam-
betta et. le prince Napoléon; le jardin des
Hespérides, c'est la royauté : « Toute la
question du jour, c'est de faire pénétrer la
France dans le jardin des HéFpèrides, dont
MM. Thiers et Gamte'ta gardent l'entrée,
de concert avec le prince Napoléon. »
Heureusement, l'auteur de cette allé-
gorie ne demande ps « qu'un Persée
monarchique tue les Gorgones révolution-
naires. Nous ne voulons pas, dit-il, la
mort du pécheur. » Hélas ! que ce mon-
sieur a l'âaae bonne ! Il prie seulement les
fasionnistesdene plus discuter, mais d'agir,
de ne plus discuter surtout : c'est le seul
moyen qu'ils aient de rester unis et de se
défendre « contre le patriarche de la place
Saint Georges; Protée politique sans con-
science. »
Mais cette union indispensable, les roya-
listes ne l'ont donc pas encoie solidement
contractée ? Malheureusement non ; il y a
des hommes qui se parent du beau titre
« d'honnêtes gens » et qui ne sont pas de
vrais « hoadêtes gens. » Ils ont l'imprudence
« de se quereller dans le vide pour des
questions de détail, de seiner dans le
camp du parti conservateur de regretta-
bles défiances et de fâcheuses divisions ! »
Quoi ! c'est encore là qu'on en est ? Oui,
certes ; et voilà pourquoi le politicien ins-
piré à qui le Soleil ouvre ses colonnes avoue
sa vive inquiétude.
Et la royauté dont il est épris n'est plus
la royauté bourgeoise et constitutionnelle
de 1830. Foin de celle-ci, déformais enta-
chée de révolutionnarisme! Le Soleil nere
connaît à présent qu'une royauté, qu'une
seule, celle qui date d'avant la Révolution,
celle «qui a introduit l'unité, sans laquelle
il n'aurait pu y avoir d'égalité dans le do-
maine de la justice (!); qui, à toutes les
époques, a favorisé de tout son pouvoir le
développement des lumières, etc., etc. »
C'est au-delà de la constitution de 1791
qu'il faut remonter pour renouer la
chaîne des vraies traditions, et la mo-
narchie était dès lors, au gré du Soleil,
aisez libérale : « Est-ce que, dans la
dernière période de l'ère monarchique,
écrit-il, avant que la constitution de
1791 lui en eût fait un devoir, la
royauté n'avait pas d'elle-même mis en
pratique, par son extrême tolérance, la
liberté de conscience et l'indépendance de
la pensée? »
Voilà donc bien où l'on prétend nous
ramener ? L'ancien régime pur et simple,
l'absolutisme tempéré par la tolérance du
monarque, c'est le jardin des Hespérides.
Q l'esfr dwenu» ia monarchie libérale et
parlementaire que vantaient autrefois le
Journal de Paris et le Soleil? Nous avons
connu un temps où nos confrères n'étaient
pas tout-à-fait brouillés avec les principes
de 1789 et la civilisation moderne, lis ont
changé d'avis; qu'ils reçoivent nos compli-
ments : leur situation, en effet, en devient
plus nette qu'elle n'avait paru depuis trois
années.
E. L.
♦
BON-SENS ET GIROUETTE
C'est le titre d'une de ces mille petites
brochures (jue la Librairie catholique de
l'Univers repand par milliers dans les
villes et dans les campagnes. Le beau
monde, et plus simplement le monde
bourgeois, ignore ces pamphlets qui ne
s'adressent point à lui. Il ne croit point à
leur influence ; il s'imagine toujours que
la. machine ronde tourne autour de lui.
Il se croit encore, comme au temps du
suffrage restreint, le centre de l'univers
intellectuel et moral, et, pour me servir
de l'expression grecque, le nombril de
la terre. Le temps est venu où il faut se
départir de ce mépris parfait pour les
imbéciles :
Les sots, depuis Adam, sont en majorité.
Et la majorité, il n'y a pas à dire, nous
devons compter avec elle ; cela est char-
mant sans doute de rire de ses préju-
gés et de ses sottises ; mais un jour ar-
rive où l'on est écrasé sous la masse, et
l'on ne rit plus alors. t.
Ben-Sens et Girouette est un dialogue,à
l'instar des dialogues de Platon, où l'on
passe en revue la plupart des questions
politiques et religieuses qui occupent
notre époque. Bon-Sens est l'un des deux
interlocuteurs, et Girouette est l'autre.
Girouette vient de lire un ouvrage com-
posé par un libre-penseur, qui ne l'a
signé que de cette initiale V.; V.,
cela veut dire pour lui Vérité; mais Bon-
StmS, qui s'y connaît mieux, appelle le
monsieur qui se cache sous cette majus-
cule du nom très-ironique de Vas-y- Voir,
et cette confusion de noms prête à une
foule d'équivoques et de plaisanteries
excessivement spirituelles.
Il est inutile, je pense, de vous ap-
prendre que Bon-Sens est l'interprète
assermenté de la Librairie catholique. de
l'Univers, tandis que Girouette est chargé
démettre les énormes bêtises qui sont
l'apanage exclusif de la libre-pensée.
Bon-Sens les réfute, avec la même facilité
que le prédicateur de la légende avait
raison de Voltaire, qu'il apostrophait en
regardant son bonnet carre.
Les discours de ce Bon-Sens sont
assez curieux , parce qu'ils sont l'ex-
pression éxacte de ce qu'on pense
dans le parti que nous combattons.
Au lieu que les habiles de l'ultra-
montanisme déguisent sous de beaux so-
phismes les prétentions du clergé fran-
çais, Bon-Sens les étale avec une naïveté
cynique, qui est fort instructive. Il sait
qu'il n'aura, pour lui répondre, af-
faire qu'à Girouette et à l'innombrable
multitude des idiots que Girouette per-
sonnifie, et il pense que pour les crétins,
il n'y a pas tant à se gêner. On peut
leur dire crûment les choses; ils les
prendront comme on les leur donne,
sans y chercher ombre de chicane.
Voulez-vous que je vous dise comment
Bon-Sens explique à son ami Girouette ce
qu'il faut entendre par l'instruction obli-
gatoire, que demande ce farceur de Fas-
y- Voir.
- Vas-y- Voir veut aussi, dit Girouette,
que l'instruction soit obligatoire.
— Naturellement, répond Bon-Sens.
Ces gens-là savent que les trois quarts de
la France ne veulent pas de leur ins-
truction athée, et qu'un grand nombre
de pères de famille ne consentiront ja-
mais à ce que leurs enfants soient ainsi
élevés dans l'ignorance de Dieu. Voilà
pourquoi les partisans de l'instruction
dite laïque ne peuvent pas s'empêcher
de demander qu'elle soit obligatoire,
c'est-à-dire imposée de force, puisque
sans cela ils ne pourraient jamais réussir.
Et que répond Girouette à cette belle
définition ? Girouette ne répond rien.
Girouette reste muet. Il faut avouer que
Girouette n'a pas beaucoup de ressour-
ces dans l'esprit. Si Girouette avait l'om-
bre de sens commun, il répondrait à
Bon-Sens qu'il ne se doute pas de ce
qu'on entend par ces mots d'instruc-
tion obligatoire, qu'il se trompe ou
qu'il est trompé.
Les partisans de l'instruction obliga-
toire n'exigent pas du tout que l'ersei-
gnement primaire soit donne exclusive-
ment dans les écoles de l'Etat. Ils veu-
lent seulement qu'aucun enfant n'en
puisse être privé. Ils laissent le père de
famille parfaitement libre de choisir pour
son fils entre l'école communale ou
l'école congréganisLe, ou même la mai-
son paternelle. Ce qu'ils n'admettent
point, c'est que le père, soit par incurie,
soit par-avarice, soit par monstrueuse
bêtise, ne lui apprenne point à lire, à
écrire et à compter, le maintienne en
cet état d'ignorance où l'homme n'est
qu'une brute dont les organes sont un
peu plus perfectionnés.
Ce mot d'obligatoire n'a donc qu'un
sens : c'est que le père est obligé, con-
traint parles voies de droit à ne pas pri-
ver son fils de ce minimum d'instruc-
tion sans lequel on n'est pas un homme ;
mais il n'est pas obligé à le lui donner
dans une école plutôt que dans une
autre, d'une façon plutôt que d'une
autre. A cet égard il a toujours eu et
conserve toute sa liberté d'action.
Voilà ce que Girouette aurait dû ré-
pondre à Bon-Sens ; il lui aurait ainsi
épargné toutes sortes de déclamations
idiotes et de mensonges inutiles.
A un autre endroit Girouette conte que
cet affreux révolutionnaire de Vas-y- Voir
voudrait que l'Eglise fût séparée de
l'Etat, et que les curés cessassent d'être
les fonctionnaires du gouvernement.
Savez-vous ce que répond Bon-Sens à
cette ouverture? Le passage est bien cu-
rieux et bien significatif :
— Eh 1 mon ami, s'écrie Bon-Sens,
son désir est accompli d'avance. Les
curés catholiques ne sont pas. fonction-
naires de l'Etat; ils ne sont fonctionnai-
res que de l'Eglise. La preuve, c'est
qu'ils ne rendent nullement compte de
leur administration à l'Etat. Les eu es
rendent compte à l'évêque, l'évêque au
pape; mais l'Etat ne se mêle pas de leur
ministère.
J'aime cette franchise, et vous avoue-
rez que l'on n'a rien écrit de plus net
en 1828, aux heures les plus friomphan-
tes de la réaction religieuse. Je crois
pourtant bien que Bon-Sens prend encore
ici ses désirs pour la réalité. Est-il donc
FEUILLETON DU XIX* SIÈCLE
CAUSERIE
DRAMATIQUE
THEATHE DE LA PORTE-^AINT-MARTIN. — Marie
Tudor.
THÉÂTRE DE L'ODÉOX. - Lo Haschich, comédie en un
acte, de M. Louis Leroy.
TEÊ-HRE Du GYMNASE. — Débuts de Ml'e Legault.
Je ne connais rien de si désobligeant,
dé si agaçant, de si nuisible, que d'avoir
près de soi, à une icprésentation sérieuse,
un spectateur prévenu, partial, imbu de
préjugés, dépourvu de lumières, ricanant de
tout, tranchant surtout avec un aplomb
impertinent et empoignant à tort et à tra-
vers C'est précisément ce qui m'est arrivé
pour la représentation de Marie Tudor. J'é-
coutais ce dramo, si intéressant à tous les
poinis de vue, avec beaucoup d'attention
et de curiosité. Je l'tcoutais avec un sin-
cère désir de m'iNPtruire et d'en tirer un
enseignement, moins pour le juger isolè-
rent et en lui-même que comme un docu-
ment important de noire histoire drama'i-
que et littéraire. C'est surtout ainsi, selon
moi, qu'il doit être envisagé aujourd'hui,
et l'on ne tient pas assez compte des qua-
rante années qui se sont écoulées depuis
son apparition.
Marie Tudor est un échantillon très-com-
plet et très accentué du mélodrame ro-
mantique. Cet ouvrage porte en lui tou-
tes les exagérations, toutes les audaces,
toutes les agressions passionnées, toutes
les provocations, tous les défis d'une réac-
tion, qu'il représente au moment même où
elle était dans toute sa fougue, dans tout
son fanatisme. Animée d'un esprit de pro-
sélytisme violent et tyrannique, elle s'af-
firmait par son intolérance systématique,
par sa brutalité même, par son aveugle-
ment ; elle se déclarait irréconciliable et
dépassait toutes les bornes, moins par
goût réel de la licence que pour être bien
sûre de ne pas rester en deçà.
La révolution littéraire avait commencé;
la révolution politique était venue se jeter
tout au travers, couvrant momentanément
sa voix du fracas des batailles ; puis le tu-
multe de celle-ci apaisée, l'autre reprenait
sa marche interrompue. Eu réalité, quand
Marie Tudor apparut, il s'agissait moins
d'une œuvre d'art que d'une œuvre de ré
volution. En comparant les choses, je sens
dans les premiers drames en vers de Vic-
tor Hugo une élévation sereine que je ne
retrouve plus dans ses premiers mélo-
drames mis au service des passions popu-
laires bien plus qu'au service de l'art pur.
Les exagération. mêmes du genre nou-
veau l'ont servi pourtant en consacrant,
en forçant l'émancipation littéraire, dont
les combats d'Hervani a raient marqué le
point de départ. La Bastille était prise ;
les entraînements qui suivirent n'ont pas
effacé les conséquences indestructibles de
cette première conquête, qui n'est, à tout
prendre, qu'un symbole.
Quoi qu'en disent les détracteurs de
parti pris et les chercheurs de petites
bêtes, le génie de Victor Hugo plane sur
toute notre littérature, qui lui doit son in
dépendance. On aura beau le nier et le re
nier, réagir conire lui par tous les moyens
j et dans toutes les [onnes, il a tout pénè-
ttré, et son influence demeure indélébile,
irréductible. Rien de ce qui s'est fait et de
ce qui se fait ne se serait fait et ne se fe-
rait sans lui. L'appareil de Marsh en don-
nerait partout des traces, et à quelque di-
lution qu'il soit descendu, on le retrouve
partout, même chez ctux qui sedresfent
contre lui.
On ne juge pas avec des antipathies et
des haines. Il en est beaucoup, même
parmi les bons, que les grandes supériori-
té3 blessent et humilient, et le génie n'a
pas toujours gain de cause dans les esprits
qui ne sont que raisonnables ou délicats.
Il s'accompagne d'ordinaire de trop de
choses dont la simple raison se choque,
parce qu'elle n'aperçoit point la grande
synthèse qui les domine. Dans le 1 rocès
intenté à ce grand esprit qui s'appelle
Victor Hugo, il y a plus que de l'injus-
tice, il y a de l'ingratitude. Le paysan
athénien qui se faisait écrire le nom d'Aris-
tide sur une écail!e d'huître a laissé une
innombrable lignée.
Ce qu'on a appelé le romantisme n'existe
plus à titre d'école et n'a plus de raison
d'être ; mais il est bon qu'il ait existé. Il a
porté les fruits qu'il devait porter : ses
croisements successifs ont ravivé notre
sang appauvri, épaissi, stagnant, et telle
œuvre, telle conception, telle phrase qu'on
hiicroitcomplétem?ntétrangère aujouid'hui
lui est cousine à un degré, où l'héritage
direct s'éteint il est vrai, mais où le carac-
tère de la race persiste. -
Le Nil aclmirari peut être un axiôme de
philosophie ; mais ce n'est point un axiôme
d'art.
Tout ceci est de thèse générale et n'a
pas directement trait à Marie Tudor qui
m'intéresse moins, je le répète, comme
œuvre dramatique que comme document
hifctoriqua.
Je crois tout à fait inutile d'analyser
minutieusement ce mélodrame, où je re
connais la main puissante d'un maître,
mais où je trouve son esprit amoindri.
Conçu dans un système fort compromis
par des imitations « ultérieures, et dont le
type nous revient après quarante ans,
disci édité et épuisé, il ne contient aucune
de ces grandeurs et de ces beautés irrésis-
tibles qui abondent dans les drames en
vers du poëte. La préoccupation de faire
nature, — comme on disait jadis dans
l'école,-— l'emporte sur toule autre, même
en dépit de la revendication de 1 aoteur,
sur celle de faire grand. Je n'en excepte
pas le quatrième acte, où ma déception a
été complète. Le cortège de Fabiano mar-
cbaat à la mort et la scène fameuse des
deux femmes ne m'ont pas causé l'impres-
sion à laquelle je m'attendais. Je n'avais
pas voulu relire la pièce pour pouvoir me
livrer tout entier à l'effet que ce passage
dèvait produire; mais, mal disposé par le
deuxième et le troisième acte, sans doute,
je me suis senti triste et froid devant ce
spectacle, trop chèrement acheté peut-
être ?
Dans la courte préface qui précède l'œu-
vre imprimée, l'auteur parle beaucoup du
vrai dans le grand, du grand dans le vrai,
et je me disais : Certes, voici une situation
qui a de la grandeur; mais cette grandeur
est tout externe, et ces deux femmes qui
sont les entrailles mêmes du sujet sont
tellement vraies qu'elles descendent jus-
qu'au trivial, au bas, au petit. Cette reine
dévergondée et cette fille souillée ne m'm-
téressent pas :, la reine me révolte, la fille
me fait pitié. Elles sont là, qui se démè-
nent toutes deux dans le+lrd passions, ores
parallèles, ores opposées, l'une éprise de
cet odieux et méprisable Fabiano, ca ruf-
fian italien criminel et lâche, l'autre de
cet ouvrier vulgaire, ce Gilbert, cet homme
du peuple si généreux qu'il cousent encore
à épouser une pairessé d'Angleterre sé-
duite et souillée par l'autre; franchemeat
où voulez vous que mon âme se Pi enue?
C'est vrai, je le veux bien; mais à coup
sûr malgré le dramatique de la chofe, cela
n'est pas scénique , puisqu'on ne peut sé-
rieusement pas s'y intéresser. Ce plaidoyer
de Jane m'avait presqu'attendri pourtant
quand la voix brutale de l'autre, la Tudor,
m'a violemment retenu sur cette pente.
Elle s'écriait de sa voix la plus bestiale :
« Ah ! ton amant ! Que m'importe ton
amant ! Est-ce que toutes les filles d'An-
» gleterre vont venir me demander compte
» de leurs amants, maintenant ! Pardieu î
D je sauve le mien comme jô peux et aux
» dépens de qui se trouve là. Veillez sur
» les vôtres ! »
Toute la grandeur de la scène s'abîme
dans une pareille vérité.
L'auteur a fait de la doctrine, il n'a pas
fait du théâtre. lia cru que son génie la-
tent suffirait pour l'imposer : il s'est trom-
pé. Il a mis la volonté au-dessus du génie,
et le génie, voyant qu'on prétendait lui
faire faire, bon gré, mal gré, de mauvaise
besogne, s'est tapi dans son coin en disant
avec la même vérité que la reine d'Angle-
terre : Pardieu ! puisque tu veux marcher
sans moi, mon bonhomme, tire-toi de là
comme tu pourras !
Mais si Marie Tudor n'a pas eu de suc-
cès en 1833, si l'effet général produit par
ce mélodrame a été nntipathique et répul-
sif,on n'en a pas moins vu qu'il était pos-
sib e, en tâchant de faire aussi grand et
en faisant moins vrai, d'introduire au
théâtre une vérité relative, qu'on allait
aborder désormais avec moins d'hésitation
et de timidité.
Les hardis comprirent qu'ils devaient
oser moins que le maître ; les craintifs,
qu'ils pouvaient avoir un peu plus d'au-
dace qu'ils ne s'en étaient permis jusqu'a-
lors ; mais, tous, comme l'enseignement
venait de haut, qu'il fallait tenir corrlpt
et de la tentative et du résultat, et qu'il y
avait quelque chose à faire. Le premier
coup de pioche était donné, au dam du
premier ouvrier; mais la brèche était ou-
verte.
Toutes choses égales d'ailleurs, il s'agit
moins au théâtre de faire absolumént vrai
que de faire scénique. Le théâtre est le
théâtre,etquellts que soient les théories, on
n'en peut pas changer les conditions spé-
ciales. Les grands maîtres tenaient parfai-
tement compte de ce que la scène compor-
te et de ce qu'elle n'admet point. Ce qu'aie
"n'admet certainement pas, c'est l'absolu.
Tout y est relatif au temps, aux mœurs,
aux goûts régnants. Il ne faut pas
heurter de front ces puissances. Faites ac-
cepter au public votre œuvre si vous pou-
vez; vous ne la lui imposerez pas. Tout
l'art est là. Allez jusqu'à la limite extrême
de sa tolérance; mais n'essayez pas de la
dépasser : vous sombrerez sous - voiles.
L'école dite rèaliste refait aujourd'hui
ce que voulait faire le romantisme : il
prétendait au vrai dans le haut et dans le
grand, et visait le sublime; le réalisme le
cherche dans le bas et dans le petit,
et vise le monstrueux. Le romantisme,
au temps de Marie Tudor, voulait le vrai
dans le grand, le grand dans le vrai ; le
réalisme ne veut que le vrai, le vrai tout
seul, le vrai quand même, le vrai mê-
me dans la laideur, particulièrement dans
la laideur, même dans l'odieux, même
dans l'ignoble.
Les souliers à la poulaine ont cédé le
pas aux chaussons de lisière; la coupe de
vin de Chypre au canon de petit-b'eu. La
dague de Tolèdé disparaît, mais le fromage
de Roquefort s'avance, triomphalement
charrié par ses mites; Orsini n'est plus que
le mastroquet, et les ébats amoureux n'ont
plus pour théâtre que la soute au linge
sale d'une gargote, ou les tas de plumes,
remplis de fientes et de caillots, des volail-
les troussées à la Vallée.
Beaucoup de vérité ; mais quelle vérité !
Il ne faut dire que ce qui est vrai, mais
non pas tout ce qui est vrai. La Bruyère
dit que le choix est invention : l'école réa-
liste manque d'invention, car elle ne choi-
sit pas. EUe compte dans ses ra/lg, a.s(z
peu drus d'ailleurs, de véritables talents
qui s'usent à des besognes impossibles.
Du reste, chez ces nouveaux romantiques,
comme chez les anciens, un égal oubli des
exigefiees du théâtre et des mesures de la
scène : or, soyez classique, romantique,
réaliste, fantaisiste, éclectique, soyez tout
ce que vous voudrez; mais soyez sCRnique
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