Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1876-12-19
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 68249 Nombre total de vues : 68249
Description : 19 décembre 1876 19 décembre 1876
Description : 1876/12/19 (A6,N1834). 1876/12/19 (A6,N1834).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7557393v
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
6isdèsa* Année -, lq- 1834
Frfx dm Numéro à Paris s 15 Centimes — Départemezite 1 20 CSaniim»®
Mardi 19 Décembre 1878
E IJj JËl
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à l'Adiaiuistrate.'ar'
srwL© de LafayeUe, 53
Les Manuscrits non insérés ne seront pas rendus.
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois la fr.
Six mo:s. £ 5 d
Un an. 50 »
DEPARTEMENTS
Trois mois t&JrÇ
Six mois. /3'2\'-,\;-
Un an. »
/::. ,l
ANNONCES : Chez MM. LAGRANGE, CERF et1 l-uï
0j place de la BOHr.e, 9\
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
SES, :rue d.e Lafayette
Les Ilcttres non affranchies seront reJusée.
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois 13 fr.
Six mois 25, »
Un an. 50 »
DEPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32 »
Un an. 62 »
--.Nt.,-".J'.tl"'--
ANNONCES: Chez MM. LAGRANGE, CERF et C-
8, place de la Bourse, m
bulletin
Paris, 18 décembre 1876.
Le ministère vient de donner une pre-
mière satisfaction à l'opinion publique en
révoquant l'avocat général de Besançon qui
a porté la parole dans l'affaire des commis-
sions mixtes.
Les plénipotentiaires se sont, parait-il,
réunis samedi, mais de façon tout officieu-
se, pour régler, dit l'agence Havas, certains
points du projet définitif qui sera bientôt
soumis à la Porte.
Nous avons dit hier ce qu'il fallait penser
des séances officielles et officieuses de la
conférence et des résultats obtenus jusqu'à
présent. Nous acceptons pour ce qu'elle
vaut la sorte de rectification que publie au-
jourd'hui l'agence Havas relativement aux
séances de la conférence. Mais en admet-
tant même que les plénipotentiaires soient
d'accord sur toutes les questions, il faudrait
encore obtenir l'adhésion de la Turquie.
Or, il nous semble impossible que la Tur-
quie puisse consentir à une occupation mi-
litaire des provinces insurgées, et elle ne
cache pas d'ailleurs qu'elle considérera cette
occupation comme une déclaration de guer-
re. La Porte acceptera, comme elle l'a fait
déjà si souvent, tous les projets de réformes
qu'on lui imposera, mais à condition qu'elle
soit seule chargée de les exécuter parce
qu'elle s'arrangera de façon à les laisser à
l'état de lettre morte. Mais en aucun cas elle
ne consentira à une intervention de l'Euro-
pe pour s'assurer de l'exécution de ces ré-
formes. Et voilà pourquoi nous considérons
la guerre comme inévitable entre la Russie -
et la Turquie. -
Petite Bourse du Dimanche
Boulevard des Italiens
Trois heures
a 0/0,70 fr. 27 1/2,32 1/2.
S 0/0, 104 fr. 70, 72 1/2.
5 0/0 turc, 11 fr. 10, 12 1/2, 07 1/2.
Egypte, 251 fr. 25, 251 87 1/2.
LA RÉVOCATION DE M. BAILLEUL
Le Journal officiel publie le décret sui-
vant:
Le président de la République française,
Sur le rapport du garde des sceaux, ministre
de la justice et des cultes ;
Décrète:
Article 1er. - M. Huard, substitut du procu-
reur général prés la cour d'appel de Besançon,
est nommé avocat général près la même cour,
en remplacement de M. Bailleul.
Art. - Le garde des sceaux, ministre de la
justice et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 16 décembre 1876.
Maréchal DE mac-màhon,
duc de Magenta.
Par le président de la République :
Le garde des sceaux, ministre
de la justice et des cultes,
L. MARTEL.
Si les magistrats des commissions
mixtes, en condamnant sans les enten-
dre, et au mépris de toute justice, quinze
mille citoyens coupables de respect à la
loi et à la constitution de leur pays ; si
les magistrats des commissions mixtes,
en obéissant aux ordres de l'homme de
Décembre, n'ont fait, suivant M. l'avocat
général Bailleul, « que remplir leur
devoir », M. le ministre de la justice a
ir
fait le sien en révoquant M. l'avocat gé-
néral Bailleul.
Assurément, ceux qui connaissent
l'honorable M. Martel n'attendaient pas
moins de lui ; mais la France sera en-
fin agréablement surprise d'apprendre
qu'il ne sera plus permis, même à des
magistrats, de prononcer du haut de
leur bonnet l'apologie de faits qualifiés
crimes par la loi aussi bien que par la
conscience publique.
E. S.
-----+---
Élections sénatoriales de Tars-et-Garonne
MM. DELBREIL, monarchiste. 149 voix (élu).
ROUS, républicain. 94
Aux élections générales du 30 janvier, M. de
Limairac, que remplace M. Delbreil, avait été
nommé au second tour de scrutin par 120 voix
contre 79 données à M. Rous.
:
Le Sénat n'est pas heureux depuis
quelque temps. Voici que la coalition
monarchiste, qui l'a déjà si fort com-
promis aux yeux du pays, vient de se
grossir encore d'un nom, par le fait des
électeurs spéciaux de Tarn-et-Garonne.
Ce que. nous craignions est arrivé.
M. Delbreil, maire de Mautauban, can-
didat des bonapartistes et des royalistes,
est élu par 149 suffrages. Son concur-
rent républicain n'en a obtenu que 94.
On voit que la différence est considé-
rable.
Les électeurs sénatoriaux s'amusent ;
mais qu'ils y prennent garde : en conti-
nuant de la sorte, ils condamneraient
leur propre institution. Les défauts de
la loi qui a réglé les élections de séna-
teurs commencent à frapper les yeux
les moins prévenus, et de toutes parts
on proclame la nécessité de la réfor-
mer. Comment ne pas constater, en
effet, un désaccord profond entre les
résultats du scrutin direct et ceux du
scrutin par délégation ! Ouvrez l'excel-
lente Biographie des députés de M.
Jules Clére, et vous y verrez combien
de députés élus par le scrutin direct, à
des majorités considérables, avaient
échoué quelques jours avant dans les
collèges d'électeurs sénatoriaux.
Mais la loi sur l'élection des sénateurs
fait partie de l'ensemble des lois con-
stitutionnelles. A moins que la révision
n'en soit provoquée par le président de
la République, elle ne pourra pas être
amendée avant 1880. Nous serons donc
vraisemblablement obligés de la con-
server jusque-là en nous efforçant d'en
tirer le meilleur parli possible. Les ci-
toyens éclairés sont tout prêts à y em-
ployer leurs efforts. Seulement il est per-
mis de souhaiter que le gouvernement
les y aide un peu. Non pas que nous ré-
clamions, on le pense bien, quoi que
ce soit qui ressemble aux pratiques de
la candidature officielle. Mais ce que
nous demandons, c'est qu'à l'avenir le
gouvernement ne maintienne plus dans
des postes publics des fonctionnaires
-tels que M. le maire de Montauban, et
que les candidats de l'opposition mo-
narchique ne puissent plus être choisis
désormais parmi les magistrats muni-
cipaux. Nous ne pensons pas que ce soit
aller trop loin d'exprimer ces vœux.
EUG. LIÉBEIlT.
La commission sénatoriale des finances
s'est réunie de nouveau samedi, à Paris, chez
son président. Elle a entendu la lecture du
rapport de M. Ancel sur le budget de l'inté.
rieur et de celui de M. Batbie sur la justice.
On a repris ensuite l'examen de la question de
l'étendue des pouvoirs du Sénat en matière
budgétaire.
En raison de cette discussion spéciale, M. le
duc d'Audiffret-Pasquier assistait à cette séance
et a soutenu le mode de transaction qui con-
siste à ne proposer que le rétablissement des
crédits qui, ayant été supprimée en totalité
par la Chambre, rendent impossible l'exécu-
tion des lois spéciales dont ils étaient la con-
séquence.
Cette proposition a obtenu l'adhésion d'un
certain nombre de membres de la commission,
notamment MM. Batbie, Lucet et Oscar de La-
fayette. On assure que l'honorable président
du Sénat a l'intention de prendre la parole pour
soutenir son système devant le Sénat ; il céde-
rait, dans ce but, le fauteuil à l'un des vice-
présidents pour la séance de mardi ou de mer-
credi.
La commission se réunira de nouveau au-
jourd'hui à deux heures.
——————————
L'Union républicaine, réunie dans la salle de
ses séances, rue Boissy-d'Anglas, à Paris, a
fixé à jeudi sa prochaine séance.
Elle a invité ses membres à assister exacte-
ment à cette réunion.
♦ ——————-———
On lit dans la Gazette de France : *
Il y a deux candidats, deux aspirants diplo-
mates qui désirent également être envoyés
comme ministres à Lisbonne, écrit la Nation.
L'un est M. Jules Ferry, l'autre est M. Edmond
About. On assure que l'un ou l'autre serait déjà
nommé, si l'un et l'autre n'étaient pas concur-
rents. On ajoute que M. Jules Simon aurait
promis également son appui à l'un et à l'autre;
mais il se plaint auprès d'eux de la mauvaise
volonté du duc Decazes, qui n'accepterait ni
l'un ni l'autre.
Avant que cette mauvaise plaisanterie
ait fait le tour de la presse bonapartiste
et royaliste, je m'empresse de déclarer,
pour ma part, que c'est une pure inven-
tion ; que je n'échangerai jamais la li-
bre direction du XIXe Siècle contre au-
cune servitude diplomatique ou politi-
que. Et puisqu'on ose parler d'accepta-
tion, c'est nous qui n'acceptons pas M.
le duc Decazes.
ABOUT.
————
LE NOMBRIL !
Il y a dans les Indes Orientales des
bouddhistes qui n'ont d'autre préoccu-
pation qUI de se regarder le nombril,
depuis le moment où le soleil se lève
jusqu'à l'heure où il se couche. Le
monde tout entier pour eux tient dans
le petit cercle tracé par le nombril sur
le corps. L'univers pourrait s'écrouler
autour d'eux qu'ils ne prêteraient nulle
attention à cette catastrophe ; ils sont
absorbés dans la contemplation de leur
nombril. Ils ne voient, ils ne veulent voir
rien au delà ni au dehors. Ils vont
ainsi, d'un bout à l'autre de la vie, ne
sachant rien de tout ce qui intéresse et
touche le reste de l'humanité, perdus,
abîmés, anéantis dans l'unique adora-
tion de leur nombril très-précieux.
Eh bien ! il se trouve, dans notre Oc-
cident et même en France, nombre de
gens que l'on pourrait comparer à ces
Orientaux tout confits en dévotion pour
leur nombril. Ils s'enferment, ils se cla-
quemurent, ils se figent, ils se cristalli-
sent dans la contemplation de leur é-
troite personnalité. Les bruits de l'exté-
rieur ne sauraient arriver jusqu'à eux.
Tandis que tous les autres hommes se
laissent plus ou moins pénétrer à l'at-
mosphère des idées ambiantes, ces fa-
kirs de notre civilisation vivent à ge-
noux devant le petit cercle de leurs
pensées, hermétiquement bouchées à
tout souffle venu du dehors. Ils n'ont
jamais une seule fois mis le nez à la fe-
nêtre ; ils se font centre de l'univers et
s'imaginent que la machine ronde
tourne autour d'sux et pOlr eux.
C'est à cette disposition d'esprit que
j'attribue l'arrêt singulier qu'a rendu
tout dernièrement la cour de Besançon
et que M. le garde des sceaux vient de
déférer si justement à la cour de cassa-
tion.
Je ne suis pas étonné que des hom-
mes qui avaient, il y a vingt-cinq ans,
l'esprit assez faux pour accepter la honte
de faire partie des commissions mixtes,
ou pour montrer bon visage à ceux qui
n'avaient pas refusé cette besogne mal-
propre, l'aient assez peu droite aujour-
d'hui pour juger qu'ils ont eu raison
d'agir ainsi. Ils sont dans la logique de
la situation. Pourquoi voulez-vous qu'ils
s'infligent à eux-mêmes le camouflet
d'un démenti ?
Ce qui a lieu de surprendre, c'est que,
pensant de cette façon, ces messieurs
aient osé le déclarer par un jugement
solenneLC'est qu'ils ne se soient pas dit :
Il y a des moments où il faut savoir se
taire, comme le soldat de M. Scribe, sans
murmurer. L'esprit public est si bien
monté à cette heure que notre arrêt va
produire un scandale abominable , et
ameuter tout le monde contre la magis-
trature.
Non, ils n'en savaient rien; ils ne
s'en doutaient même pas.
Ils vivent apparemment en contem-
plation devant leur nombril. Ils ont fer-
mé sur leur intelligence portes et fenê-
tres ; ils se sont confinés dans l'admi-
ration de leur mérite. Tout marche et
tout change autour d'eux ; les gouver-
nements tombent ; les institutions se
renouvellent, les idées se modifient, les
générations qui s'élèvent apportent
d'autres mœurs et d'autres désirs ; eux,
ils n'en continuent pas moins de vivre
— si cette végétation peut s'appeler une
vie-immobiles dans l'adoration d'eux-
mêmes.
Ils ont rendu de très-bonne foi et le
plus naïvement du monde ce jugement
dont la France tout entière a tressailli.
Ils n'avaient point l'intention de révol-
ter la conscience publique. Il ne s'insur-
geaient pas contre la morale ; ils l'igno-
raient tout bonnement. Ils ont été aussi
surpris qu'un homme qui entend sa
voix répercutée par un écho qu'il ne
soupçonnait pas. Peut-être même ont-
ils été émus de cette indignation univer-
selle ; peut-être se sont-ils écriés : Mais
qu'y a-t-il ? Qu'est-ce qu'ils ont? Nous
ne sommes donc plus en 1852 ou en-
viron ? Nous ne comprenons rien à
ce déchaînement ! Nous avons dit cela
comme nous aurions dit autre chose,
sans y prendre garde, parce que c'était
la vérité d'autrefois. On est devenu bien
susceptible. Ce n'est pas notre faute ;
nous n'en savions rien.
Ils n'en savaient rien ! c'est ce que
l'on peut dire de mieux en leur faveur.
C'est le malheur de ces grands corps
hiératiquement constitués, chez qui
s'est lentement formée la conviction
d'une infaillibilité sacerdotale, que beau-
coup de ceux qui les composent en ar-
rivent à s'absorber ainsi en eux-mêmes
et à s'immobiliser dans la contempla-
tion de leur nombril.
Ils ne se renouvellent pas, et c'est une
loi de nature que tout être humain qu i
n'avance pas, recule. On ne s'arrête
pas impunément ; car le progrès pour-
suit sa marche, et l'on se trouve bien-
tôt en arriére.
J'entendais parler un jour d'un tribu-
nal de province qui venait de rendre un
arrêt singulier.
- Est-ce que le niveau moral aurait
baissé chez eux? demanda l'un des
deux interlocuteurs.
— Non, répondit l'autre ; mais bien le
niveau intellectuel.
Nos magistrats sont très-honnêtes ; ja-
mais personne n'a élevé un doute sur
leur probité. Mais il s'en trouve parmi eux
dont les lumières n'égalent pas la posi-
tion. Ils ont été choisis par l'empire
dans un temps où le mérite et l'indé-
pendance n'étaient pas, tant s'en faut,
un droit à la faveur. Ils sont au-des-
sous de leurs fonctions, et parfois même
au-dessous de la moyenne ordinaire.
Le jugement de Besançon aura eu
pour effet d'appeler l'attention de la
Chambre et du pays sur cette grande
question de l'inamovibilité de la magis-
trature.
Peut-être serait-il délicat de toucher
au principe. Mais si l'on pouvait ins-
taller partout, dans les cours et les tri-
bunaux, des magistrats plus capables
et plus dignes que M. Bailleul et ses
adhérents, ce serait un notable soula-
gement pour le corps tout entier.
FRANCISQUE SARCEY.
— —i
Nouvelles d'Orient
Raguse, 16 décembre, soir.
Aujourd'hui, 3,000 Turcs, la plupart malades
et venant de Trébigne, ont été, sous le con-
trôle et avec une escorte de troupes autri-
chiennes, embarqués sur les vapeurs turcs à
Gravosa, après avt)ir traversé Raguse, et ont
été dirigés sur Constantinople.
Despotovitch, Golup et Garko sont arrivés
aujourd'hui à Knin ; demain ils repartiront
pour le camp, la commission de la ligne de dé-
marcation étant dissoute.
Athènes, 16 décembre, 6 h. 40 s.
Tous les partis de la Chambre sont d'accord
pour adopter, lundi prochain, avec quelques
modifications, tous les différents articles de la
loi sur l'emprunt de dix millions de drachmes.
Constantinople, 16 décembre, 7 h. 40, s.
Les plénipotentiaires se sont réunis aujour-
d'hui d'une manière non officielle pour régler
certains détails du projet définitif.
La cinquième conférence préliminaire aura
lieu lundi. L'accord se maintient. On croit que
la conférence plénière avec les plénipoten-
tiaires ottomans sa réunira bientôt à l'arsenal.
Constantinople, 17 décembre.
Jusqu'à présent la conférence préliminaire
n'a formulé aucune résolution définitive. Tou-
tes les questions, notamment celle de l'occu-
pation, ont été examinées, mais rien n'a été
arrêté.
La Porte refuse de se prêter ù toute occupa-
tion étrangère.
Saint-Pétersbourg, 17 décembre.
Le Hérold indique comme la dernière conces-
sion que la Russie puisse faire sur la question
des garanties nécessaires que l'occupation
seule peut donner l'acceptation par le gouver-
nement russe d'une occupation par les troupes
des pays neutres.
Bruxelles, 17 décembre.
Le Nord publie une correspondance de
Saint-Pétersbourg qui' confirme les détails
donnés par l'agence Havas relativement aux
conditions de paix avec la Serbie et le Monté-
négro, discutées dans la première séance.
Un télégramme de Berlin, également pu-
blié par le Nord, dit qu'on espère sérieusement
e succès de la conférence p réliminaire, mais
qu'une entente avec la Turquie est plus dou-
teuse, celle-ci comptant toujours sur l'assis-
tance de l'Angleterre.
—————————— » ——————————
Lettres d'Orient
Bucharest, 12 décembre.
Le Standard s'est fait une spécialité des
nouvelles fausses concernant la Roumanie,
et je ne saurais trop vous mettre en garde
contre les dépêches fantaisistes adressées
de Bucharest (?) à ce journal. Ainsi, il n'est
nullement exact que M. Hannicano, ministre
de la guerre du cabinet roumain, se soit
entendu avec un général russe pour le
choix des localités par lesquelles, en cas
d'invasion, les troupes russes devront pas-
ser, pas plus que pour la désignation de
celles où elles devront séjourner.
Le gouvernement de Bucharest tient à
rester absolument en dehors de toutes ces
questions ; il sait bien, parbleu ! que des
officiers russes, en tenue bourgeoise, munis
de passe-ports réguliers, étudient avec soin
la rive gauche du Danube, afin de déter-
miner les points où le passage serait le plus
facile à tenter ; il n'ignore pas non plus que
d'autres officiers sont logés dans tel ou tel
hôtel de telle ou telle ville située sur le Da-
nube; mais il a trop le souci de la liberté in-
dividuelle, et il sait trop le respect dû aux
droits des gens pour se permettre la moin-
dre observation vis-à-vis de gens parfaite-
ment en règle vis-à-vis de lui.
Il n'en a pas été de même pour des agents
turcs découverts hier et avant-hier à Bu-
charest, rôdant autour des casernes et sur
les places où les soldats roumains font jour-
nellement leurs exercices et leurs manœu-
vres; ces Turcs n'ont pu exhiber ni passe-
port régulier, ni autorisation de séjour eu
Roumanie; ils ont été, non pas arrêtés,
comme on le dit dans le public, mais con-
duits à G-iurgevo, d'où ils ont été embarqués
à Routschouk.
La nouvelle publiée par plusieurs jour-
naux français disant que la panique règne
dans la population et surtout dans .es villes
du Danube, qui craignent une invasion im-
médiate de la Turquie, n'est pas plus exacte
que la précédente. On est ici fort tranquille,
je vous assure, et on a la plus grande con-
fiance dans la. sage conduite du cabinet,
dont les sentiments en faveur de la neutra-
lité ne sont un secret pour personne et qui,
si la guerre est déclarée, espère bien n'avoir
à remplir qu'une besogne très-simple, la
défense de la propriété et de la vie de ceux
de ses citoyens qui se trouveraient directe-
ment exposés aux exactions des troupes
turques irrégulières.
Le pays espère beaucoup, du reste, que
ce service sera le seul et le dernier qu'aura
à lui rendre son armée, jusqu'ici parfaite-
ment inutile et fort dispendieuse. Si, en ef-
fet, la conférence décide et arrête d'une fa-
çon définitive les bases de la neutralité
future de la Roumanie, quel besoin celle-
ci aura-t-elle d'une armée ? De bons et soli-
des gendarmes pour arrêter les malfaiteurs,
il ne lui faudra rien de plus, et elle pourra,
par cette simple mesure, rétablir ses fi-
nances, actuellement dans le plus déplorable
état, et équilibrer son budget.
L'armée actuelle est caprice de prince et
surtout de prince allemand ; il ne faut pas
oublier que le prince Charles Ier est un Ho-
henzollern. Comme tous les hommes de sa
race, il aime les soldats, les revues, les ma-
nœuvres ; une revue, suivant l'expression
du père Prudhomme, est le plus beau jour
de sa vie ; quant à une grande manœuvre,
c'est un aperçu des félicités suprêmes du
paradis. Malheureusement cela coûte cher,
très-cher; les jeunes officiers roumains sont
fortà beaux, par ma foi, sous les costumes
ultra-brillants dont ils sont revêtus ; mais
le cabinet de Bucharest, commence à savoir
ce que vaut l'aune de ces beaux galons do-'
rés, et il n'aura rien de plus pressé, je le
crois et je l'espère pour la Roumanie, que
Feuilleton du XIXe SIÈCLE
19 Décembre 1876
Causerie Dramatique
Le succès de Robert-le-Diable à son
apparition fut immense ; de longtemps
pareille sensation ne s'était produite ;
ce fut toute une révolution. La science,
l'audace. l'originalité de Meyerbeer
frappèrent d'étonnement et d'admira-
tion. Il y eut aussi des hostilités : bien
des susceptibilités se cabrèrent devant
ces combinaisons orchestrales, dont on
ne tient plus suffisamment compte au-
jourd'hui, devant ces effets harmoni-
ques et surtout enharmoniques qui pa-
rurent si nouveaux, si étranges, si puis-
sants, et dont le compositeur sut tirer
un parti si habile.
Je n'ai pas vu Robert-le-Diable dans
sa première floraisop; mais on en par-
lait tant que j'éprouvai longtemps l'ar-
dent désir de voir cet ouvrage et qu'à
force d'instances, j'obtins que l'on m'y
conduisît. La première fois que je suis
allé à l'Opéra, c'est Robert-le-Diable que
j'y ai vu. Bien que j'en eusse ressenti
une impression très-vive, j'étais assu-
rément tout à fait hors d'état d'en juger.
Mais j'avais l'imagination vive, et très-
certainement, indépendamment de l'ef-
fet produit sur moi par le spectacle, il y
eut une action générale exercée par
l'ensemble do cette masse musicale, qui
m'a laissé des souvenirs dont, plus tard
et peu à peu, le sens s'est dégagé et est
devenu clair pour moi.
Robert-le-Diable, comme les Hugue-
nots ensuite, et comme le Prophète, a
eu cette chance bienheureuse d'être
interprété tout d'abord, sous le souffle
et sous l'œil du maître, par de vérita-
bles artistes. Il suffit de regarder la
distribution de l'ouvrage pour deviner
ce que pouvait produire, en plein foyer
d'enthousiasme, un ensemble comme
celui que présentaient Adolphe Nourrit,
Levasseur, Lafont, Massol, Mme Cinti-
Damoreau et Mlle Dorus, qui fut bien-
tôt remplacé-e par Mlle Falcon : Mlle
Taglioni représentait l'abbesse.
Nourrit, outre qu'il était fort habile,
n'était pas un exécutant vulgaire : ins-
truit, amoureux de son art, très-préoc-
cupé du côté dramatique de ses rôles,
il y apportait non-seulement des soins
minutieux, mais toutes les puissances
de son esprit, toute sa passion, toute
son âme. On sait avec quelle supério-
rité Levasseur créa le rôle de Ber-
tram : il est resté le point lumineux de
sa gloire. Lafont, — frère du Lafont
dont nous avons applaudi la vieillesse,
— chantait Raimbaud, bien que sa
fonction fût de doubler Nourrit, et Mas-
sol ne rougissait pas de dire la magni-
fique phrase du héraut : A toi, Robert
de Normandie, cette fanfare altière et
retentissante, qui éclate comme un
coup de tonnerre sur la tête de Robert
au moment môme ou il croit avoir re-
conquis le bonheur et l'honneur.
Mlle Dorus était une cantatrice re-
marquable, et quant à Mme Damoreau
et à Mlle Falcon, leur renommée parle
toute seule.
Voilà dans quelles conditions fut re-
présenté Robert-le-Diable.
Dans uîie courte nouvelle, je devrais
dire une intitulée Gambara,Balzac
fait un panégyrique enthousiaste de Ro-
bert-le-Diable. Je ne puis ni le repro-
duire ni le refaire; je le regrette, car si
je n'accepte pas absolument l'apprécia-
tion de l'illustre écrivain, Je partage un
certain nombre des idées qu'il exprime,
et je crois qu'il ne serait pas tout à fait
iuutile d'appeler l'attention des gens de
bonne foi sur les rares mérites d'une
partition que quelques-uns méconnais-
sent vraiment un peu trop, à l'heure
qu'il est.
Je dirai tout à l'heure ce que je pense
de la représentation que l'Opéra vient
de nous offrir, et qui n'était malheu-
reusement pas faite pour donner beau-
coup de relief aux qualités particulières
et supérieures de Robert-le-Diable ;
mais néanmoins j'ai entendu, ce soir-là,
formuler brutalement la sentence d'une
exécution sommaire de cette grande
œuvre, sentence à laquelle je ne saurais
souscrire, et je dois dire qu'elle ne me
paraît ni juste, ni judicieuse à aucun
égard.
D'abord, voulez-vous que je vous
dise? Si nous voulons être des artistes, il
faut nous habituer à écouter respec-
tueusement et attentivement même des
choses qui ne nous amusent pas. L'art
demande de l'étude et quelque effort
d'esprit : si le plaisir n'y trouve pas im-
médiatement son compte, il l'y trouvera
plus tard et, comme on dit en médeci-
ne, consécutivement.
Est-ce que le Misanthrope vous amu-
se, par hasard? Et quand vous l'avez
écouté avec déférence et attention,
comme vous écouteriez un beau dis-
cours, une conférence substantielle, un
prêche intelligent, croyez-vous qu'il
n'en sorte pour vous aucun profit ?
Croyez-vous que votre esprit agrandi,
assoupli, affiné par cet exercice, ne
vous paie pas ensuite en mille occa-
sions, et pour votre plus grand plaisir,
sions, et pour votert e ~(o votre sincérité?
de votre patience et de votre sincérité ?
Croyez-vous que vous n'en verrez pas
plus haut et plus loin, que vous ne sen-
tirez pas mieux, que vous ne com-
prendrez pas mieux, que vous ne juge-
rez pas mieux ?
Ce que je dis-là du Misanthrope, que
je prends pour exemple, je pourrais le
dire de bien d'autres œuvres d'art qui
se trouvent dans le même cas.
-
Sachons écouter et n'ayons:pas trop
d'esprit : l'art n'est pas si spirituel que
cela, et ce n'est surtout pas du genre
d'esprit qu'on luoppose qu'il se nourrit.
« J'aime bien les lettres, mais je ne
les adore pas », disait le père Montai-
gne : j'aime bien Robert-le-Diable,
mais je ne l'adore point. Seulement,
quelles que soient les critiques qui en
peuvent être faites, — et non seule-
ment je comprends qu'on les fasse,
mais je les fais tout le premier, — je
dis que c'est moins l'œuvre qui est in-
suffisante pour satisfaire les goûts du
jour que l'interprétation qui est inha-
bile à en faire ressortir les beautés.
Les rôles ont peu à peu glissé des
mains de grands et véritables artistes
aux mains de simples ouvriers. Il en
est, je le veux bien, parmi ceux-ci, de
fort estimables et même de fort experts
en leur métier ; mais c'est malheureu-
sement ce mot de métier qu'il faut que
j'emploie et non un autre.
Qu'il me soit permis de citer un frag-
ment du vieux et spirituel philosophe
que j'ai nommé tout à l'heure et qui dit.
dans un chapitre inédit que j'ai eu jadis
la gloire de mettre en lumière : « Il y a
en nous une certaine manière artiste
d'employer nos dons et nos outils ; une
certaine influence mystérieuse qui no
tient point à la matière et qui sent l'âme
à pleine gorge ; une certaine force spon-
tanée qui ne despend point de nostre vo-
lonté eteschappe à nostre conscience ;
qui n'apprend point, mais révèle ; qui
ne conseille point, mais commande, et
agist plustost seule que de n'agir point :
à son origine, ce n'est non plus que
« sentiment »; au degré le plus hault,
c'est » génie » ! En tout et partout, il y a
donc, oultre la cognoissance des choses,
un point plus important peult-estre, qui
est le sentiment des choses; là est le
grand secret. Pour parfaict que soit
vostre'O)uvre, il ne l'est point sans cela;
c'est le triumphe de la technique, je le
veulx bien ; mais comme aux peintures
des saincts, il lui fault l'auréole qui dise
à n'en pas doubter : « Cettuy-ci est
divin ! »
Hélas ! l'auréole manque fréquem-
ment en ce temps-ci.
Et ce n'est pas seulement en ce qui
touche les exécutants directs que les
choses ont suivi un progressif abaisse-
ment à l'Opéra : l'effet s'est produit de
proche en proche, du haut en bas de l'é-
difice: depuis la clé de voûte jusqu'aux
humbles soubassements. Les feux des
sommets ayant baissé d'éclat, tout ce
qui, à défaut de lumière propre, vivait
de lueurs et de reflets, est tombé dans la
pénombre, jusqu'aux régions où règne.
l'obscurité.
Voilà comment il se fait que la repré-
sentation de Robert-le-Diable, pour
laquelle on a pourtant dépensé beau-
coup d'argent, n'a été pour les vrais
amateurs qu'une déception.
Pour ma part, malgré tous mes mé-
comptes passés, je me faisais une fête de
revoir l'œuvre de Meyerbeer superbe-
ment assaisonnée. Il m'est arrivé, ce
soir-là, ce qui m'est toujours arrivé à
l'Opéra depuis que ce n'est plus qu'un
simple industriel qui préside à ses des-
tinées. Je ne sais à quoi cela tient, mais
tout y fond, tout s'y perd, tout y som-
bre, tout s'y abîme. On dirait l'Opéra
plenus rimarum, plein de fissures et de
fêlures, il fuit, il a des pertes souter-
raines. On a beau y jeter des talents, des
décors, du velours, du satin, des do-
rure* il n'y a jamais rien dedans : c'est
l'Opéra des Danaïdes.
Je me hâte d'ajouter que, vraie quant
au fond pour la question de l'ensemble
dans les ouvrages représentés, mon ob-
servation souffre quelque correctif quant
aux interprètes, pris isolément; ainsi, il
me faut trier à part Mme Carvalho et
Mlle Krauss, et je dois une mention ho-
noble à M. Salomon.]
Mme Carvalho a chanté le rôle de la
princesse Isabelle avec cet art incom-
parable qui en a fait la première can-
tatrice de ce temps-ci, et Mlle Krauss
a interprété celui d'Alice avec un grand
sentiment dramatique. Il y a longtemps
que le rôle n'avait été tenu d'une façon
aussi remarquable.
Le rôle de Robert n'est pas une pe-
tite affaire. Ecrit pour Nourrit, qui se
servait admirablement de la voix mixte
et de la voix de tête, — art à peu près
complètement perdu aujourd'hui, — il
offre aux ténors de l'école moderne
des difficultés très-grandes, dont peu se
tirent avec autant d'intelligence et d'a-
dresse que l'a fait M. Salomon.
Bien des gens s'imaginent aujourd'hui
que la voix de tête est un expédient
pour remédier à l'insuffisance de la
voix de poitrine : ils ne savent pas qu'à
l'époque où chantait Nourrit, l'emploi
de la voix de tête faisait partie inté-
grante de l'art du chant et que, loin de
blâmer les artistes qui y ont recours,
alors que le sentiment du morceau et
l'extrême élévation de la note l'indi-
quent, on doit leur savoir gré de cette
preuve d'intelligence qu'ils donnent : ils
ont le tort de ne la pas donner assez sou-
vent, et s'ils sont méritants par l'inten-
tion, ils sont malheureusement à l'or-
dinaire assez mal servis dans le fait,
faute d'études suffisantes et d'une pra-
tique assez fréquente.
Que fera le chanteur si la note est
élevée, même si elle ne l'est que mo-
dérément, et si le sentiment de la
phrase qu'il doit chanter est mys-
térieux et tendre ? Il faudra absolu-
ment qu'il s'arrange pour se servir
de la voix mixte et de la voix de
tête, s'il veut conserver le caractère du
morceau. Sa voix lui permît-elle de
pousser des sons à pleine poitrine, il
faudrait tout de même qu'il s'en abstint
soigneusement. Vous aimez mieux un
Frfx dm Numéro à Paris s 15 Centimes — Départemezite 1 20 CSaniim»®
Mardi 19 Décembre 1878
E IJj JËl
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à l'Adiaiuistrate.'ar'
srwL© de LafayeUe, 53
Les Manuscrits non insérés ne seront pas rendus.
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois la fr.
Six mo:s. £ 5 d
Un an. 50 »
DEPARTEMENTS
Trois mois t&JrÇ
Six mois. /3'2\'-,\;-
Un an. »
/::. ,l
ANNONCES : Chez MM. LAGRANGE, CERF et1 l-uï
0j place de la BOHr.e, 9\
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
SES, :rue d.e Lafayette
Les Ilcttres non affranchies seront reJusée.
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois 13 fr.
Six mois 25, »
Un an. 50 »
DEPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32 »
Un an. 62 »
--.Nt.,-".J'.tl"'--
ANNONCES: Chez MM. LAGRANGE, CERF et C-
8, place de la Bourse, m
bulletin
Paris, 18 décembre 1876.
Le ministère vient de donner une pre-
mière satisfaction à l'opinion publique en
révoquant l'avocat général de Besançon qui
a porté la parole dans l'affaire des commis-
sions mixtes.
Les plénipotentiaires se sont, parait-il,
réunis samedi, mais de façon tout officieu-
se, pour régler, dit l'agence Havas, certains
points du projet définitif qui sera bientôt
soumis à la Porte.
Nous avons dit hier ce qu'il fallait penser
des séances officielles et officieuses de la
conférence et des résultats obtenus jusqu'à
présent. Nous acceptons pour ce qu'elle
vaut la sorte de rectification que publie au-
jourd'hui l'agence Havas relativement aux
séances de la conférence. Mais en admet-
tant même que les plénipotentiaires soient
d'accord sur toutes les questions, il faudrait
encore obtenir l'adhésion de la Turquie.
Or, il nous semble impossible que la Tur-
quie puisse consentir à une occupation mi-
litaire des provinces insurgées, et elle ne
cache pas d'ailleurs qu'elle considérera cette
occupation comme une déclaration de guer-
re. La Porte acceptera, comme elle l'a fait
déjà si souvent, tous les projets de réformes
qu'on lui imposera, mais à condition qu'elle
soit seule chargée de les exécuter parce
qu'elle s'arrangera de façon à les laisser à
l'état de lettre morte. Mais en aucun cas elle
ne consentira à une intervention de l'Euro-
pe pour s'assurer de l'exécution de ces ré-
formes. Et voilà pourquoi nous considérons
la guerre comme inévitable entre la Russie -
et la Turquie. -
Petite Bourse du Dimanche
Boulevard des Italiens
Trois heures
a 0/0,70 fr. 27 1/2,32 1/2.
S 0/0, 104 fr. 70, 72 1/2.
5 0/0 turc, 11 fr. 10, 12 1/2, 07 1/2.
Egypte, 251 fr. 25, 251 87 1/2.
LA RÉVOCATION DE M. BAILLEUL
Le Journal officiel publie le décret sui-
vant:
Le président de la République française,
Sur le rapport du garde des sceaux, ministre
de la justice et des cultes ;
Décrète:
Article 1er. - M. Huard, substitut du procu-
reur général prés la cour d'appel de Besançon,
est nommé avocat général près la même cour,
en remplacement de M. Bailleul.
Art. - Le garde des sceaux, ministre de la
justice et des cultes, est chargé de l'exécution
du présent décret.
Fait à Paris, le 16 décembre 1876.
Maréchal DE mac-màhon,
duc de Magenta.
Par le président de la République :
Le garde des sceaux, ministre
de la justice et des cultes,
L. MARTEL.
Si les magistrats des commissions
mixtes, en condamnant sans les enten-
dre, et au mépris de toute justice, quinze
mille citoyens coupables de respect à la
loi et à la constitution de leur pays ; si
les magistrats des commissions mixtes,
en obéissant aux ordres de l'homme de
Décembre, n'ont fait, suivant M. l'avocat
général Bailleul, « que remplir leur
devoir », M. le ministre de la justice a
ir
fait le sien en révoquant M. l'avocat gé-
néral Bailleul.
Assurément, ceux qui connaissent
l'honorable M. Martel n'attendaient pas
moins de lui ; mais la France sera en-
fin agréablement surprise d'apprendre
qu'il ne sera plus permis, même à des
magistrats, de prononcer du haut de
leur bonnet l'apologie de faits qualifiés
crimes par la loi aussi bien que par la
conscience publique.
E. S.
-----+---
Élections sénatoriales de Tars-et-Garonne
MM. DELBREIL, monarchiste. 149 voix (élu).
ROUS, républicain. 94
Aux élections générales du 30 janvier, M. de
Limairac, que remplace M. Delbreil, avait été
nommé au second tour de scrutin par 120 voix
contre 79 données à M. Rous.
:
Le Sénat n'est pas heureux depuis
quelque temps. Voici que la coalition
monarchiste, qui l'a déjà si fort com-
promis aux yeux du pays, vient de se
grossir encore d'un nom, par le fait des
électeurs spéciaux de Tarn-et-Garonne.
Ce que. nous craignions est arrivé.
M. Delbreil, maire de Mautauban, can-
didat des bonapartistes et des royalistes,
est élu par 149 suffrages. Son concur-
rent républicain n'en a obtenu que 94.
On voit que la différence est considé-
rable.
Les électeurs sénatoriaux s'amusent ;
mais qu'ils y prennent garde : en conti-
nuant de la sorte, ils condamneraient
leur propre institution. Les défauts de
la loi qui a réglé les élections de séna-
teurs commencent à frapper les yeux
les moins prévenus, et de toutes parts
on proclame la nécessité de la réfor-
mer. Comment ne pas constater, en
effet, un désaccord profond entre les
résultats du scrutin direct et ceux du
scrutin par délégation ! Ouvrez l'excel-
lente Biographie des députés de M.
Jules Clére, et vous y verrez combien
de députés élus par le scrutin direct, à
des majorités considérables, avaient
échoué quelques jours avant dans les
collèges d'électeurs sénatoriaux.
Mais la loi sur l'élection des sénateurs
fait partie de l'ensemble des lois con-
stitutionnelles. A moins que la révision
n'en soit provoquée par le président de
la République, elle ne pourra pas être
amendée avant 1880. Nous serons donc
vraisemblablement obligés de la con-
server jusque-là en nous efforçant d'en
tirer le meilleur parli possible. Les ci-
toyens éclairés sont tout prêts à y em-
ployer leurs efforts. Seulement il est per-
mis de souhaiter que le gouvernement
les y aide un peu. Non pas que nous ré-
clamions, on le pense bien, quoi que
ce soit qui ressemble aux pratiques de
la candidature officielle. Mais ce que
nous demandons, c'est qu'à l'avenir le
gouvernement ne maintienne plus dans
des postes publics des fonctionnaires
-tels que M. le maire de Montauban, et
que les candidats de l'opposition mo-
narchique ne puissent plus être choisis
désormais parmi les magistrats muni-
cipaux. Nous ne pensons pas que ce soit
aller trop loin d'exprimer ces vœux.
EUG. LIÉBEIlT.
La commission sénatoriale des finances
s'est réunie de nouveau samedi, à Paris, chez
son président. Elle a entendu la lecture du
rapport de M. Ancel sur le budget de l'inté.
rieur et de celui de M. Batbie sur la justice.
On a repris ensuite l'examen de la question de
l'étendue des pouvoirs du Sénat en matière
budgétaire.
En raison de cette discussion spéciale, M. le
duc d'Audiffret-Pasquier assistait à cette séance
et a soutenu le mode de transaction qui con-
siste à ne proposer que le rétablissement des
crédits qui, ayant été supprimée en totalité
par la Chambre, rendent impossible l'exécu-
tion des lois spéciales dont ils étaient la con-
séquence.
Cette proposition a obtenu l'adhésion d'un
certain nombre de membres de la commission,
notamment MM. Batbie, Lucet et Oscar de La-
fayette. On assure que l'honorable président
du Sénat a l'intention de prendre la parole pour
soutenir son système devant le Sénat ; il céde-
rait, dans ce but, le fauteuil à l'un des vice-
présidents pour la séance de mardi ou de mer-
credi.
La commission se réunira de nouveau au-
jourd'hui à deux heures.
——————————
L'Union républicaine, réunie dans la salle de
ses séances, rue Boissy-d'Anglas, à Paris, a
fixé à jeudi sa prochaine séance.
Elle a invité ses membres à assister exacte-
ment à cette réunion.
♦ ——————-———
On lit dans la Gazette de France : *
Il y a deux candidats, deux aspirants diplo-
mates qui désirent également être envoyés
comme ministres à Lisbonne, écrit la Nation.
L'un est M. Jules Ferry, l'autre est M. Edmond
About. On assure que l'un ou l'autre serait déjà
nommé, si l'un et l'autre n'étaient pas concur-
rents. On ajoute que M. Jules Simon aurait
promis également son appui à l'un et à l'autre;
mais il se plaint auprès d'eux de la mauvaise
volonté du duc Decazes, qui n'accepterait ni
l'un ni l'autre.
Avant que cette mauvaise plaisanterie
ait fait le tour de la presse bonapartiste
et royaliste, je m'empresse de déclarer,
pour ma part, que c'est une pure inven-
tion ; que je n'échangerai jamais la li-
bre direction du XIXe Siècle contre au-
cune servitude diplomatique ou politi-
que. Et puisqu'on ose parler d'accepta-
tion, c'est nous qui n'acceptons pas M.
le duc Decazes.
ABOUT.
————
LE NOMBRIL !
Il y a dans les Indes Orientales des
bouddhistes qui n'ont d'autre préoccu-
pation qUI de se regarder le nombril,
depuis le moment où le soleil se lève
jusqu'à l'heure où il se couche. Le
monde tout entier pour eux tient dans
le petit cercle tracé par le nombril sur
le corps. L'univers pourrait s'écrouler
autour d'eux qu'ils ne prêteraient nulle
attention à cette catastrophe ; ils sont
absorbés dans la contemplation de leur
nombril. Ils ne voient, ils ne veulent voir
rien au delà ni au dehors. Ils vont
ainsi, d'un bout à l'autre de la vie, ne
sachant rien de tout ce qui intéresse et
touche le reste de l'humanité, perdus,
abîmés, anéantis dans l'unique adora-
tion de leur nombril très-précieux.
Eh bien ! il se trouve, dans notre Oc-
cident et même en France, nombre de
gens que l'on pourrait comparer à ces
Orientaux tout confits en dévotion pour
leur nombril. Ils s'enferment, ils se cla-
quemurent, ils se figent, ils se cristalli-
sent dans la contemplation de leur é-
troite personnalité. Les bruits de l'exté-
rieur ne sauraient arriver jusqu'à eux.
Tandis que tous les autres hommes se
laissent plus ou moins pénétrer à l'at-
mosphère des idées ambiantes, ces fa-
kirs de notre civilisation vivent à ge-
noux devant le petit cercle de leurs
pensées, hermétiquement bouchées à
tout souffle venu du dehors. Ils n'ont
jamais une seule fois mis le nez à la fe-
nêtre ; ils se font centre de l'univers et
s'imaginent que la machine ronde
tourne autour d'sux et pOlr eux.
C'est à cette disposition d'esprit que
j'attribue l'arrêt singulier qu'a rendu
tout dernièrement la cour de Besançon
et que M. le garde des sceaux vient de
déférer si justement à la cour de cassa-
tion.
Je ne suis pas étonné que des hom-
mes qui avaient, il y a vingt-cinq ans,
l'esprit assez faux pour accepter la honte
de faire partie des commissions mixtes,
ou pour montrer bon visage à ceux qui
n'avaient pas refusé cette besogne mal-
propre, l'aient assez peu droite aujour-
d'hui pour juger qu'ils ont eu raison
d'agir ainsi. Ils sont dans la logique de
la situation. Pourquoi voulez-vous qu'ils
s'infligent à eux-mêmes le camouflet
d'un démenti ?
Ce qui a lieu de surprendre, c'est que,
pensant de cette façon, ces messieurs
aient osé le déclarer par un jugement
solenneLC'est qu'ils ne se soient pas dit :
Il y a des moments où il faut savoir se
taire, comme le soldat de M. Scribe, sans
murmurer. L'esprit public est si bien
monté à cette heure que notre arrêt va
produire un scandale abominable , et
ameuter tout le monde contre la magis-
trature.
Non, ils n'en savaient rien; ils ne
s'en doutaient même pas.
Ils vivent apparemment en contem-
plation devant leur nombril. Ils ont fer-
mé sur leur intelligence portes et fenê-
tres ; ils se sont confinés dans l'admi-
ration de leur mérite. Tout marche et
tout change autour d'eux ; les gouver-
nements tombent ; les institutions se
renouvellent, les idées se modifient, les
générations qui s'élèvent apportent
d'autres mœurs et d'autres désirs ; eux,
ils n'en continuent pas moins de vivre
— si cette végétation peut s'appeler une
vie-immobiles dans l'adoration d'eux-
mêmes.
Ils ont rendu de très-bonne foi et le
plus naïvement du monde ce jugement
dont la France tout entière a tressailli.
Ils n'avaient point l'intention de révol-
ter la conscience publique. Il ne s'insur-
geaient pas contre la morale ; ils l'igno-
raient tout bonnement. Ils ont été aussi
surpris qu'un homme qui entend sa
voix répercutée par un écho qu'il ne
soupçonnait pas. Peut-être même ont-
ils été émus de cette indignation univer-
selle ; peut-être se sont-ils écriés : Mais
qu'y a-t-il ? Qu'est-ce qu'ils ont? Nous
ne sommes donc plus en 1852 ou en-
viron ? Nous ne comprenons rien à
ce déchaînement ! Nous avons dit cela
comme nous aurions dit autre chose,
sans y prendre garde, parce que c'était
la vérité d'autrefois. On est devenu bien
susceptible. Ce n'est pas notre faute ;
nous n'en savions rien.
Ils n'en savaient rien ! c'est ce que
l'on peut dire de mieux en leur faveur.
C'est le malheur de ces grands corps
hiératiquement constitués, chez qui
s'est lentement formée la conviction
d'une infaillibilité sacerdotale, que beau-
coup de ceux qui les composent en ar-
rivent à s'absorber ainsi en eux-mêmes
et à s'immobiliser dans la contempla-
tion de leur nombril.
Ils ne se renouvellent pas, et c'est une
loi de nature que tout être humain qu i
n'avance pas, recule. On ne s'arrête
pas impunément ; car le progrès pour-
suit sa marche, et l'on se trouve bien-
tôt en arriére.
J'entendais parler un jour d'un tribu-
nal de province qui venait de rendre un
arrêt singulier.
- Est-ce que le niveau moral aurait
baissé chez eux? demanda l'un des
deux interlocuteurs.
— Non, répondit l'autre ; mais bien le
niveau intellectuel.
Nos magistrats sont très-honnêtes ; ja-
mais personne n'a élevé un doute sur
leur probité. Mais il s'en trouve parmi eux
dont les lumières n'égalent pas la posi-
tion. Ils ont été choisis par l'empire
dans un temps où le mérite et l'indé-
pendance n'étaient pas, tant s'en faut,
un droit à la faveur. Ils sont au-des-
sous de leurs fonctions, et parfois même
au-dessous de la moyenne ordinaire.
Le jugement de Besançon aura eu
pour effet d'appeler l'attention de la
Chambre et du pays sur cette grande
question de l'inamovibilité de la magis-
trature.
Peut-être serait-il délicat de toucher
au principe. Mais si l'on pouvait ins-
taller partout, dans les cours et les tri-
bunaux, des magistrats plus capables
et plus dignes que M. Bailleul et ses
adhérents, ce serait un notable soula-
gement pour le corps tout entier.
FRANCISQUE SARCEY.
— —i
Nouvelles d'Orient
Raguse, 16 décembre, soir.
Aujourd'hui, 3,000 Turcs, la plupart malades
et venant de Trébigne, ont été, sous le con-
trôle et avec une escorte de troupes autri-
chiennes, embarqués sur les vapeurs turcs à
Gravosa, après avt)ir traversé Raguse, et ont
été dirigés sur Constantinople.
Despotovitch, Golup et Garko sont arrivés
aujourd'hui à Knin ; demain ils repartiront
pour le camp, la commission de la ligne de dé-
marcation étant dissoute.
Athènes, 16 décembre, 6 h. 40 s.
Tous les partis de la Chambre sont d'accord
pour adopter, lundi prochain, avec quelques
modifications, tous les différents articles de la
loi sur l'emprunt de dix millions de drachmes.
Constantinople, 16 décembre, 7 h. 40, s.
Les plénipotentiaires se sont réunis aujour-
d'hui d'une manière non officielle pour régler
certains détails du projet définitif.
La cinquième conférence préliminaire aura
lieu lundi. L'accord se maintient. On croit que
la conférence plénière avec les plénipoten-
tiaires ottomans sa réunira bientôt à l'arsenal.
Constantinople, 17 décembre.
Jusqu'à présent la conférence préliminaire
n'a formulé aucune résolution définitive. Tou-
tes les questions, notamment celle de l'occu-
pation, ont été examinées, mais rien n'a été
arrêté.
La Porte refuse de se prêter ù toute occupa-
tion étrangère.
Saint-Pétersbourg, 17 décembre.
Le Hérold indique comme la dernière conces-
sion que la Russie puisse faire sur la question
des garanties nécessaires que l'occupation
seule peut donner l'acceptation par le gouver-
nement russe d'une occupation par les troupes
des pays neutres.
Bruxelles, 17 décembre.
Le Nord publie une correspondance de
Saint-Pétersbourg qui' confirme les détails
donnés par l'agence Havas relativement aux
conditions de paix avec la Serbie et le Monté-
négro, discutées dans la première séance.
Un télégramme de Berlin, également pu-
blié par le Nord, dit qu'on espère sérieusement
e succès de la conférence p réliminaire, mais
qu'une entente avec la Turquie est plus dou-
teuse, celle-ci comptant toujours sur l'assis-
tance de l'Angleterre.
—————————— » ——————————
Lettres d'Orient
Bucharest, 12 décembre.
Le Standard s'est fait une spécialité des
nouvelles fausses concernant la Roumanie,
et je ne saurais trop vous mettre en garde
contre les dépêches fantaisistes adressées
de Bucharest (?) à ce journal. Ainsi, il n'est
nullement exact que M. Hannicano, ministre
de la guerre du cabinet roumain, se soit
entendu avec un général russe pour le
choix des localités par lesquelles, en cas
d'invasion, les troupes russes devront pas-
ser, pas plus que pour la désignation de
celles où elles devront séjourner.
Le gouvernement de Bucharest tient à
rester absolument en dehors de toutes ces
questions ; il sait bien, parbleu ! que des
officiers russes, en tenue bourgeoise, munis
de passe-ports réguliers, étudient avec soin
la rive gauche du Danube, afin de déter-
miner les points où le passage serait le plus
facile à tenter ; il n'ignore pas non plus que
d'autres officiers sont logés dans tel ou tel
hôtel de telle ou telle ville située sur le Da-
nube; mais il a trop le souci de la liberté in-
dividuelle, et il sait trop le respect dû aux
droits des gens pour se permettre la moin-
dre observation vis-à-vis de gens parfaite-
ment en règle vis-à-vis de lui.
Il n'en a pas été de même pour des agents
turcs découverts hier et avant-hier à Bu-
charest, rôdant autour des casernes et sur
les places où les soldats roumains font jour-
nellement leurs exercices et leurs manœu-
vres; ces Turcs n'ont pu exhiber ni passe-
port régulier, ni autorisation de séjour eu
Roumanie; ils ont été, non pas arrêtés,
comme on le dit dans le public, mais con-
duits à G-iurgevo, d'où ils ont été embarqués
à Routschouk.
La nouvelle publiée par plusieurs jour-
naux français disant que la panique règne
dans la population et surtout dans .es villes
du Danube, qui craignent une invasion im-
médiate de la Turquie, n'est pas plus exacte
que la précédente. On est ici fort tranquille,
je vous assure, et on a la plus grande con-
fiance dans la. sage conduite du cabinet,
dont les sentiments en faveur de la neutra-
lité ne sont un secret pour personne et qui,
si la guerre est déclarée, espère bien n'avoir
à remplir qu'une besogne très-simple, la
défense de la propriété et de la vie de ceux
de ses citoyens qui se trouveraient directe-
ment exposés aux exactions des troupes
turques irrégulières.
Le pays espère beaucoup, du reste, que
ce service sera le seul et le dernier qu'aura
à lui rendre son armée, jusqu'ici parfaite-
ment inutile et fort dispendieuse. Si, en ef-
fet, la conférence décide et arrête d'une fa-
çon définitive les bases de la neutralité
future de la Roumanie, quel besoin celle-
ci aura-t-elle d'une armée ? De bons et soli-
des gendarmes pour arrêter les malfaiteurs,
il ne lui faudra rien de plus, et elle pourra,
par cette simple mesure, rétablir ses fi-
nances, actuellement dans le plus déplorable
état, et équilibrer son budget.
L'armée actuelle est caprice de prince et
surtout de prince allemand ; il ne faut pas
oublier que le prince Charles Ier est un Ho-
henzollern. Comme tous les hommes de sa
race, il aime les soldats, les revues, les ma-
nœuvres ; une revue, suivant l'expression
du père Prudhomme, est le plus beau jour
de sa vie ; quant à une grande manœuvre,
c'est un aperçu des félicités suprêmes du
paradis. Malheureusement cela coûte cher,
très-cher; les jeunes officiers roumains sont
fortà beaux, par ma foi, sous les costumes
ultra-brillants dont ils sont revêtus ; mais
le cabinet de Bucharest, commence à savoir
ce que vaut l'aune de ces beaux galons do-'
rés, et il n'aura rien de plus pressé, je le
crois et je l'espère pour la Roumanie, que
Feuilleton du XIXe SIÈCLE
19 Décembre 1876
Causerie Dramatique
Le succès de Robert-le-Diable à son
apparition fut immense ; de longtemps
pareille sensation ne s'était produite ;
ce fut toute une révolution. La science,
l'audace. l'originalité de Meyerbeer
frappèrent d'étonnement et d'admira-
tion. Il y eut aussi des hostilités : bien
des susceptibilités se cabrèrent devant
ces combinaisons orchestrales, dont on
ne tient plus suffisamment compte au-
jourd'hui, devant ces effets harmoni-
ques et surtout enharmoniques qui pa-
rurent si nouveaux, si étranges, si puis-
sants, et dont le compositeur sut tirer
un parti si habile.
Je n'ai pas vu Robert-le-Diable dans
sa première floraisop; mais on en par-
lait tant que j'éprouvai longtemps l'ar-
dent désir de voir cet ouvrage et qu'à
force d'instances, j'obtins que l'on m'y
conduisît. La première fois que je suis
allé à l'Opéra, c'est Robert-le-Diable que
j'y ai vu. Bien que j'en eusse ressenti
une impression très-vive, j'étais assu-
rément tout à fait hors d'état d'en juger.
Mais j'avais l'imagination vive, et très-
certainement, indépendamment de l'ef-
fet produit sur moi par le spectacle, il y
eut une action générale exercée par
l'ensemble do cette masse musicale, qui
m'a laissé des souvenirs dont, plus tard
et peu à peu, le sens s'est dégagé et est
devenu clair pour moi.
Robert-le-Diable, comme les Hugue-
nots ensuite, et comme le Prophète, a
eu cette chance bienheureuse d'être
interprété tout d'abord, sous le souffle
et sous l'œil du maître, par de vérita-
bles artistes. Il suffit de regarder la
distribution de l'ouvrage pour deviner
ce que pouvait produire, en plein foyer
d'enthousiasme, un ensemble comme
celui que présentaient Adolphe Nourrit,
Levasseur, Lafont, Massol, Mme Cinti-
Damoreau et Mlle Dorus, qui fut bien-
tôt remplacé-e par Mlle Falcon : Mlle
Taglioni représentait l'abbesse.
Nourrit, outre qu'il était fort habile,
n'était pas un exécutant vulgaire : ins-
truit, amoureux de son art, très-préoc-
cupé du côté dramatique de ses rôles,
il y apportait non-seulement des soins
minutieux, mais toutes les puissances
de son esprit, toute sa passion, toute
son âme. On sait avec quelle supério-
rité Levasseur créa le rôle de Ber-
tram : il est resté le point lumineux de
sa gloire. Lafont, — frère du Lafont
dont nous avons applaudi la vieillesse,
— chantait Raimbaud, bien que sa
fonction fût de doubler Nourrit, et Mas-
sol ne rougissait pas de dire la magni-
fique phrase du héraut : A toi, Robert
de Normandie, cette fanfare altière et
retentissante, qui éclate comme un
coup de tonnerre sur la tête de Robert
au moment môme ou il croit avoir re-
conquis le bonheur et l'honneur.
Mlle Dorus était une cantatrice re-
marquable, et quant à Mme Damoreau
et à Mlle Falcon, leur renommée parle
toute seule.
Voilà dans quelles conditions fut re-
présenté Robert-le-Diable.
Dans uîie courte nouvelle, je devrais
dire une intitulée Gambara,Balzac
fait un panégyrique enthousiaste de Ro-
bert-le-Diable. Je ne puis ni le repro-
duire ni le refaire; je le regrette, car si
je n'accepte pas absolument l'apprécia-
tion de l'illustre écrivain, Je partage un
certain nombre des idées qu'il exprime,
et je crois qu'il ne serait pas tout à fait
iuutile d'appeler l'attention des gens de
bonne foi sur les rares mérites d'une
partition que quelques-uns méconnais-
sent vraiment un peu trop, à l'heure
qu'il est.
Je dirai tout à l'heure ce que je pense
de la représentation que l'Opéra vient
de nous offrir, et qui n'était malheu-
reusement pas faite pour donner beau-
coup de relief aux qualités particulières
et supérieures de Robert-le-Diable ;
mais néanmoins j'ai entendu, ce soir-là,
formuler brutalement la sentence d'une
exécution sommaire de cette grande
œuvre, sentence à laquelle je ne saurais
souscrire, et je dois dire qu'elle ne me
paraît ni juste, ni judicieuse à aucun
égard.
D'abord, voulez-vous que je vous
dise? Si nous voulons être des artistes, il
faut nous habituer à écouter respec-
tueusement et attentivement même des
choses qui ne nous amusent pas. L'art
demande de l'étude et quelque effort
d'esprit : si le plaisir n'y trouve pas im-
médiatement son compte, il l'y trouvera
plus tard et, comme on dit en médeci-
ne, consécutivement.
Est-ce que le Misanthrope vous amu-
se, par hasard? Et quand vous l'avez
écouté avec déférence et attention,
comme vous écouteriez un beau dis-
cours, une conférence substantielle, un
prêche intelligent, croyez-vous qu'il
n'en sorte pour vous aucun profit ?
Croyez-vous que votre esprit agrandi,
assoupli, affiné par cet exercice, ne
vous paie pas ensuite en mille occa-
sions, et pour votre plus grand plaisir,
sions, et pour votert e ~(o votre sincérité?
de votre patience et de votre sincérité ?
Croyez-vous que vous n'en verrez pas
plus haut et plus loin, que vous ne sen-
tirez pas mieux, que vous ne com-
prendrez pas mieux, que vous ne juge-
rez pas mieux ?
Ce que je dis-là du Misanthrope, que
je prends pour exemple, je pourrais le
dire de bien d'autres œuvres d'art qui
se trouvent dans le même cas.
-
Sachons écouter et n'ayons:pas trop
d'esprit : l'art n'est pas si spirituel que
cela, et ce n'est surtout pas du genre
d'esprit qu'on luoppose qu'il se nourrit.
« J'aime bien les lettres, mais je ne
les adore pas », disait le père Montai-
gne : j'aime bien Robert-le-Diable,
mais je ne l'adore point. Seulement,
quelles que soient les critiques qui en
peuvent être faites, — et non seule-
ment je comprends qu'on les fasse,
mais je les fais tout le premier, — je
dis que c'est moins l'œuvre qui est in-
suffisante pour satisfaire les goûts du
jour que l'interprétation qui est inha-
bile à en faire ressortir les beautés.
Les rôles ont peu à peu glissé des
mains de grands et véritables artistes
aux mains de simples ouvriers. Il en
est, je le veux bien, parmi ceux-ci, de
fort estimables et même de fort experts
en leur métier ; mais c'est malheureu-
sement ce mot de métier qu'il faut que
j'emploie et non un autre.
Qu'il me soit permis de citer un frag-
ment du vieux et spirituel philosophe
que j'ai nommé tout à l'heure et qui dit.
dans un chapitre inédit que j'ai eu jadis
la gloire de mettre en lumière : « Il y a
en nous une certaine manière artiste
d'employer nos dons et nos outils ; une
certaine influence mystérieuse qui no
tient point à la matière et qui sent l'âme
à pleine gorge ; une certaine force spon-
tanée qui ne despend point de nostre vo-
lonté eteschappe à nostre conscience ;
qui n'apprend point, mais révèle ; qui
ne conseille point, mais commande, et
agist plustost seule que de n'agir point :
à son origine, ce n'est non plus que
« sentiment »; au degré le plus hault,
c'est » génie » ! En tout et partout, il y a
donc, oultre la cognoissance des choses,
un point plus important peult-estre, qui
est le sentiment des choses; là est le
grand secret. Pour parfaict que soit
vostre'O)uvre, il ne l'est point sans cela;
c'est le triumphe de la technique, je le
veulx bien ; mais comme aux peintures
des saincts, il lui fault l'auréole qui dise
à n'en pas doubter : « Cettuy-ci est
divin ! »
Hélas ! l'auréole manque fréquem-
ment en ce temps-ci.
Et ce n'est pas seulement en ce qui
touche les exécutants directs que les
choses ont suivi un progressif abaisse-
ment à l'Opéra : l'effet s'est produit de
proche en proche, du haut en bas de l'é-
difice: depuis la clé de voûte jusqu'aux
humbles soubassements. Les feux des
sommets ayant baissé d'éclat, tout ce
qui, à défaut de lumière propre, vivait
de lueurs et de reflets, est tombé dans la
pénombre, jusqu'aux régions où règne.
l'obscurité.
Voilà comment il se fait que la repré-
sentation de Robert-le-Diable, pour
laquelle on a pourtant dépensé beau-
coup d'argent, n'a été pour les vrais
amateurs qu'une déception.
Pour ma part, malgré tous mes mé-
comptes passés, je me faisais une fête de
revoir l'œuvre de Meyerbeer superbe-
ment assaisonnée. Il m'est arrivé, ce
soir-là, ce qui m'est toujours arrivé à
l'Opéra depuis que ce n'est plus qu'un
simple industriel qui préside à ses des-
tinées. Je ne sais à quoi cela tient, mais
tout y fond, tout s'y perd, tout y som-
bre, tout s'y abîme. On dirait l'Opéra
plenus rimarum, plein de fissures et de
fêlures, il fuit, il a des pertes souter-
raines. On a beau y jeter des talents, des
décors, du velours, du satin, des do-
rure* il n'y a jamais rien dedans : c'est
l'Opéra des Danaïdes.
Je me hâte d'ajouter que, vraie quant
au fond pour la question de l'ensemble
dans les ouvrages représentés, mon ob-
servation souffre quelque correctif quant
aux interprètes, pris isolément; ainsi, il
me faut trier à part Mme Carvalho et
Mlle Krauss, et je dois une mention ho-
noble à M. Salomon.]
Mme Carvalho a chanté le rôle de la
princesse Isabelle avec cet art incom-
parable qui en a fait la première can-
tatrice de ce temps-ci, et Mlle Krauss
a interprété celui d'Alice avec un grand
sentiment dramatique. Il y a longtemps
que le rôle n'avait été tenu d'une façon
aussi remarquable.
Le rôle de Robert n'est pas une pe-
tite affaire. Ecrit pour Nourrit, qui se
servait admirablement de la voix mixte
et de la voix de tête, — art à peu près
complètement perdu aujourd'hui, — il
offre aux ténors de l'école moderne
des difficultés très-grandes, dont peu se
tirent avec autant d'intelligence et d'a-
dresse que l'a fait M. Salomon.
Bien des gens s'imaginent aujourd'hui
que la voix de tête est un expédient
pour remédier à l'insuffisance de la
voix de poitrine : ils ne savent pas qu'à
l'époque où chantait Nourrit, l'emploi
de la voix de tête faisait partie inté-
grante de l'art du chant et que, loin de
blâmer les artistes qui y ont recours,
alors que le sentiment du morceau et
l'extrême élévation de la note l'indi-
quent, on doit leur savoir gré de cette
preuve d'intelligence qu'ils donnent : ils
ont le tort de ne la pas donner assez sou-
vent, et s'ils sont méritants par l'inten-
tion, ils sont malheureusement à l'or-
dinaire assez mal servis dans le fait,
faute d'études suffisantes et d'une pra-
tique assez fréquente.
Que fera le chanteur si la note est
élevée, même si elle ne l'est que mo-
dérément, et si le sentiment de la
phrase qu'il doit chanter est mys-
térieux et tendre ? Il faudra absolu-
ment qu'il s'arrange pour se servir
de la voix mixte et de la voix de
tête, s'il veut conserver le caractère du
morceau. Sa voix lui permît-elle de
pousser des sons à pleine poitrine, il
faudrait tout de même qu'il s'en abstint
soigneusement. Vous aimez mieux un
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.96%.
- Auteurs similaires Bède le Vénérable Bède le Vénérable /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Bède le Vénérable" or dc.contributor adj "Bède le Vénérable")de Temporibus sive de Sex aetatibus hujus seculi liber incipit /ark:/12148/bpt6k87071566.highres Axiomata philosophica venerabilis Bedae,... ex Aristotele et aliis praestantibus philosophis diligenter collecta, una cum brevibus quibusdam explicationibus ac limitationibus, quibus accescere theses aliquot philosophicae, in diversis Academiis disputatae /ark:/12148/bpt6k8704193j.highresPaul Diacre Paul Diacre /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Paul Diacre" or dc.contributor adj "Paul Diacre")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7557393v/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7557393v/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7557393v/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7557393v/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7557393v
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7557393v
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7557393v/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest