Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1876-12-12
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 12 décembre 1876 12 décembre 1876
Description : 1876/12/12 (A6,N1827). 1876/12/12 (A6,N1827).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
Sixième Anné. — JI. 1827
PrhL dm Hwskêtô à Paris 1 15 Centime* — Départements 1 21 Centime*
Mardi 12 Décembre 1876
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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yxie de :I:.afaye"tte, 55S
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ANNONCES Chez MM. LAGRANGE, efe etM
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RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
BS, nie de Lafayette
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Un an. 50 D,
DEPARTEMENTS
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Six mois. 32 »
U i1 an., 62 »
AMiONCES: Chez MM. LAGRANGE, CERF et Cle
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Immédiatement pJ..ès la UTom-
"eUe en cours de publication, nous
pMMieNoms un roman par HENRI
GRIÉVILLE, intitulé t
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Paris, 11 décembre 1876.
La crise ministérielle continue au mo-
ment où nous mettons sous presse.
Les entretiens des ambassadeurs conti-
tinuentàConstantinople, et c'est dans le cou-
rant de cette semaine que doit se réunir la
conférence préliminaire. On affirme detou-
tes!parts que tous les représentants des puis-
sances sont animés des dispositions les plus
conciliantes. Mais il ne semble pas que leurs
conversations aient encore roulé sur le
point le plus important qu'ils auront à dis-
cuter. Nous voulons parler des garanties.
Jusqu'à présent ils ne paraissent guère s'ê-
tre occupés que des réformes à introduire
dans les provinces insurgées et ont fait
pressentir que l'accord n'est pas loin de se
faire sur ce dernier point.
Le Nord essaye de résumer la situation.
Il pense qu'elle est aujourd'hui nettement
dessinée et que, si le résultat de la confé-
rence est encore l'inconnu, on ne peut pas
dire qu'elle s'ouvre au milieu des ténèbres.
L'organe officieux de la chancellerie russe
attribue la détente qui semble se manifester
à Constantinople aux déclarations de M. de
Bismarck, au voyage du marquis de Salis-
bury, aux nouveaux meetings anglais, et
surtout à l'entente de la Russie et de la
Roumanie, dont les effets commencent à se
manifester, mais dont la conclusion re-
monte à quelque temps déjà.
Cette situation nouvelle crée, dit le Nord,
des facilités à la Russie en lui laissant une
latitude plus grande, mais elle fait en mê-
me temps peser sur elle une responsabilité
proportionnelle. « La Russie, ajoute-t-il,
manquerait à sa mission, à sa destinée, à
sa grandeur, si elle négligeait cette occa-
sion peut-être unique d'affranchir les chré-
tiens d'Orient. Mais sa responsabilité, avons-
nous dit, a une autre face, et celle-là lui im-
pose de ne faire la guerre que si, devant sa
conscience comme aux yeux de tout esprit
de bonne foi, ce moyen extrême est le seul
qui puisse mener au but. »
Quanta ce but, que la Russie est résolue
à obtenir par la force s'il le faut, le Nord
le résume en ces termes : « Instituer un sys-
tème tel que les réformes destinées à pro-
téger le développement des rayas soient in-
dépendantes, dans leur application et leur
fonctionnement, des autorités turques, qui
les neutraliseraient ou les pervertiraient. »
Et il termine ses remarques en disant :
« Est-il possible qu'au point où en sont les
choses, une puissance quelconque, fût-ce
même l'Angleterre, puisse s'inscrire en.faux
coutre un pareil programme? Cela nous pa-
rait tellement impossible que s'il n'y avait
pas cet élément incalculable qu'on appelle
la Turquie, nous pourrions pronostiquer le
succès de la conférence.
Nous n'irons pas si loin que le Nordy car
nous ne saurions pronostiquer le succès de
la conférence même en laissant de côté « cet
élément incalculable qu'on appelle la Tur-
quie. » Tout au plus pouvons-nous consi-
dérer comme un heureux présage les dis-
positions conciliantes des ambassadeurs
dont nous entretiennent les dépêches, car
il ne faut pas perdre de vue que rien n'e t
encore décide et que l'entente n'est faite
sur aucun point.
Quant à la Turquie, cet élément n'est pas
aussi incalculable que le pense le Nord. En
effet, la Porte a déclaré à maintes reprises
qu'elle ne tolérerait aucune occupation de
la Bulgarie, quelle que soit la puissance qui
en serait chargée.
Le cabinet Deligeorgis n'a duré qu'un
jour. Il s'est trouvé en minorité à la Cham-
bre le lendemain de sa formation. M. Zaïmis
est chargé, dit-on, de former un cabinet de
conciliation.
—
Petite Bourse du Dimanche
Boulevard des Italiens
Trois heures
3 0/0, 70 fr. 70, 75, 721/2.
5 0/0, 104 fr. 47 1/2, 56 1/4, 52 1/2.
5 0/0 turc, 10 fr. 70.
Egypte, 259 fr. 37.
:L.a .A. a 3F& I S £ 3
Nous ne croyons pas trop nous avancer
en disant que, selon toute vraisemblance,
M. Jules Simon, qui n'a eu jusqu'à cette
heure aucuue entrevue avec le maréchal,
sera appelé aujourd'hui à la présidence.
C'est ainsi que nous terminions, hier, la
relation des allées et venues de la jour-
née.
M. Jules Simon n'a pas été appelé, hier,
à la présidence.
Mais il était, dès le matin, informé offi-
ciellement que M. Dufaure se rendrait
auprès de lui pour discuter la formation
d'un nouveau cabinet, d'après la décision
prise au sein du conseil des ministres, qui
avait été tenu tardivement dans la nuit de
samedi.
Tout ce qui n'avait été jusqu'alors que
conceptions officieuses devenait donc, à
partir de ce moment, combinaison officielle.
*
* *
L'entrevue entre M. le garde des sceaux
et M. Jules Simon a duré près de deux
heures, et malheureusement nous ne pou-
vons pas annoncer à nos lecteurs qu'elle ait
mis fin à la crise.
Les propositions dont on parlait couram-
ment hier ont été portées officiellement à la
connaissance de M. Jules Simon.
Celui-ci a déclaré ne vouloir entrer dans
le cabinet que pour appliquer le programme
des gauches, notamment en ce qui concer-
ne les fonctionnaires. Nous sommes heu-
reux de dire qu'aucune difficulté ne semble
s'élever de ce côté. Mais, comme hier, M.
Dufaure a tenu absolument à conserver,
non-seulement la présidence du conseil,
mais aussi le portefeuille de la Justice. Tou-
tefois le ministère de la Justice eût été
dédoublé, et M. Bardoux nommé ministre
des Cultes.
La combinaison était étrange, et l'on com-
prendra aisément que M. Jules Simon se
soit jugé dans l'impossibilité de l'accepter.
Tous ses efforts ont tendu à prouver à M.
Dufaure, si nos renseignements sont exacts,
qu'un cabinet ainsi constituè n'était pas via-
ble, et, en conséquence, il a prié M. le garde
des sceaux de faire savoir à M. le président
de la République qu'il ne pouvait, dans de
pareilles conditions, faire partie de son con-
seil.
*
¥ *
M. le président du conseil avait convo-
qué ses collègues pour quatre heures, afin
de leur rendre compte de son entretien de
la matinée avec M. Jules Simon.
Nous croyons pouvoir affirmer qu'à la
suite de ce conseil, M. Dufaure a adressé
à M. le président de la République une let-
tre pour lui annoncer qu'il renonçait défi-
nitivement à former le Cabinet.
ft
* *
A cinq heures, M. Jules Simon réunis-
sait chez lui les délégués des groupes do
gauche et leur comraimiquail, le résultat de
son entrevue avec M. Dufaure. Les délégués
des gauches ont pleinement approuvé la
conduite de M. Jules Simon.
Il est probable qu'une démarche va être
faite près de MM. les présidents des deux
Chambres pour leur demander de hâter,
dans la mesure du possible, la solution de
la crise.
EMMANUEL ARÈNE.
■ —————
RÉUNION DE lA GAUCHE RÉPUBLICAiNf
Voici le procès-verbal de cette réunion,
tel qu'il a été communiqué à la presse :
La gauche républicaine de la Chambre des
députés s'est réunie hier, boulevard des Capu-
cines, sous la présidence de M. Albert Grévy.
Elle a confirmé sa résolution de rester sur
le terrain des principes et de maintenir son
programme. La majorité républicaine entend
qu'on discute avec elle les conditions d'exis-
tence d'un ministère constitutionnel et parle-
mentaire.
Nos renseignements nous permettent d'a-
jouter que la réunion s'est, occupée du juge-
ment rendu tout récemment par la cour d'ap-
pel de Besançon et des considérants relatifs
aux commissions mixtes, qui ont si vivement
ému la presse et l'opinion publique.
Après une courte discussion, la gauche ré-
publicaine a décidé qu'il conviendrait d'appe-
ler l'attention du futur ministre de la justice
sur la théorie des magistrats de Besançon, ten-
dant à réhabiliter ces commissions iniaues et
arbitraires que M. Dufaure lui-môme a flétries
dans un discours indigné dont un de nos col-
laborateurs rappelait hier les termes.
La gauche a décidé, de plus, que jusqu'à la
fin de la crise, elle se réunirait tous les jours
à une heure, à Versailles.
-+-
Toujours rien. Et pourtant il faut re-
connaître que la situation tend à s'é-
claircir. Avant tout, il n'est que juste de
rendre hommage au président de la
République pour la fermeté avec la-
quelle il sait résister depuis huit jours
aux conseils pernicieux, aux sugges-
tions perfides de certaines personnes
de son entourage. Il a écarté une à une
toutes les combinaisons plus ou moins
savantes, plus ou moins correctes, qu'on
s'était efforcé de lui faire accepter. Au-
jourd'hui le terrain est déblayé de tous
les piéges que des hommes sans scru-
pules ou des politiciens sans vergogne
y avaient semés ; et désormais le ma-
réchal peut marcher droit devant lui
avec la loi pour unique force et sa con-
science pour seul guide.
Nous disions hier qu'à défaut d'un
ministère de gauche il ne resterait plus
qu'une solution : l'appel au pays. Le
maréchal de Mac-Mahon s'est décidé
pour un ministère de gauche. Du moins
il le croit, et très-sincèrement, nous en
avons la ferme persuasion. Il a donc
chargé l'honorable M. Dufaure de voir
M. Jules Simon et de lui offrir le porte-
feuille de l'intérieur dans un cabinet
dont lui, M. Dufaure, conserverait la
présidence en qualité de ministre de
la justice. On nous assure, et nous
le croyons sans peine, que M. Jules
Simon a refusé. Ce qui nous étonne,
c'est qu'un homme comme l'ancien
garde des sceaux vieilli comme lui
dans la pratique, et nous devons ajou-
ter dans le respect du régime et des
traditions parlementaires, rompu com-
me lui au maniement des Assemblées,
ait pu supposer un seul moment qu'une
pareille combinaison était possible.
On eût compris, et la Chambre eût
sans doute accepté la restauration tem-
poraire de l'ancien cabinet. Elle n'avait
point lugé opportun, dans les cir-
©osstances actuelles et à l'époque où
nous sommes, de provoquer une crise
ministérielle. Elle se fût donc tout bon-
nement montrée semblable à elle-même
en acceptant de laisser vivre quelque
temps encore, et tel quel, le cabinet Du-
faure. Mais le Sénat en a jugé autrement,
et devant le fait accompli, la Chambre
ae peut que prendre l'attitude qu'elle
eût prise le jour où, de sa propre vo-
lonté, elle eût fait échec au cabinet du
8 mars. Or, il faut bien le dire, M. Du-
faure avait perdu depuis longtemps les
sympathies de la majorité républicaine.
Il n'est pas besoin de rappeler les motifs
de cette désaffection : il suffit de la cons-
tater, et nul ne nous contredira. Il n'est
pas jusqu'aux membres les plus timides
du centre gauche que l'ancien garde des
sceaux n'ait réussi à froisser, quelque
fois même à irriter.
Dans ces conditions que signifierait
la rentrée de M. Dufaure dans un cabi-
net ? Cela voudrait dire assurément qu'il
n'y a rien de changé en France, à cela
près qu'il s'est produit une crise de
plus, et qu'elle a nui à la République par
cela seul qu'elle ne lui a point profité.
Dès l'instant que M. Dufaure conserve
la présidence du conseil, il exerce une
imNence considérable sur la politique
générale du gouvernement. Cela ne sau-
rait être contesté sérieusement, à moins
qu'on fasse à M. Dufaure l'injure de
le prendre pour un roi fainéant et de
croire qu'il accepterait un tel rôle.
C'est donc, par le fait, un cabinet Du-
faure, un cabinet à peine centre gauche,
et non un cabinet Jules Simon, c'est-à-
dire un cabinet de gauche.
Croit-on que la présence de M. Jules
Simon dans le cabinet paralyserait l'in-
fluence du président du conseil ? Alors
pourquoi M. Dufaure ? Et si c'est M. Du-
faure qui doit paralyser le ministre de
l'intérieur, pourquoi M. Jules Simon?
Nous avons pour l'un et l'autre une
égale estime, et nous croyons qu'on se
trompe également sur le compte de
l'un et de l'autre, en croyant possible de
les faire servir à une combinaison de
ce genre. Tout ce qui en pourrait ré-
sulter, et à très-courte échéance, c'est
une série de conflits comme les cabi-
nets précédents n'en ont fourni que trop
d'exemples.
M. Jules Simon a donc refusé l'hon-
neur trop périlleux que lui offrait M. le
président de la République ; et devant
ce refus, M. Dufaure a cru devoir en-
voyer sa démission définitive au maré-
chal. Nous ne sommes donc guère plus
avancés qu'hier, mais en apparence
seulement, ainsi que nous le disions au
début de cet article. En effet, plus on
va, plus la situation, de confuse qu'elle
était, devient simple, claire et précise.
Un fait acquis, c'est la résolution du ma-
réchal de constituer un cabinet de gau-
che. La démarche qu'il a fait faire au-
près de M. Jules Simon en témoigne
hautement. Il est hors de doute qu'aux
yeux du président de la République, un
cabinet où le portefeuille de l'intérieur
est confié aux mains d'une des illus-
trations du parti républicain est un
cabinet de gauche. Mais on reconnaîtra
qu'il en faut rabattre un peu quand ce
cabinet doit être présidé par t'honora.
ble M. Dutaure.
Sans doute il ne manquera pas de
gens pour représenter au maréchal qu'il
a fait assez puisqu'il a consenti à entrer
en pourparlers avec le représentant le
plus autorisé de la gauche républicaine ;
on essaiera de lui persuader que devant
l'impossibilité d'arriver à une solution
de ce côté. il ne reste plus qu'à se tour-
ner de l'autre. Mais il importe de ne point
laisser altérer la vérité des faits. Le ma-
réchal de Mac-Mahon a cru, trés-sincé-
rement, nous le répétons, que la com-
binaison Dufaure-Simon était bel et bien
une combinaison de gauche. Il s'est
trompé; et M. Jules Simon lui-même
eût mal répondu à la confiance qui lui
était témoignée en laissant le maréchal
persévérer dans son erreur.
Quoi qu'il en soit, nous le répétons,
la journée d'hier n'a pas été perdue
puisqu'elle a montré une fois de plus le
président de la République résolu, en-
vers et contre tous, à ne point se dé-
partir de la correction rigoureuse dont
il a toujours fait preuve dans les circon-
stances comme celles que nous traver-
sons.
E. SCHNERB.
L'Italie revient sur l'incident diplomati-
que soulevé à la tribune de la Chambre des
députés par le prince Napoléon, et conclut
en ces termes :
Il est prouvé que, si l'alliance projetée entre
l'Italie, l'Autriche-Hongrie et la France n'a pas
eu lieu, c'est bien à la résolution de l'empe-
reur Napoléon III de ne pas laisser tomber le
pouvoir temporel qu'il faut attribuer l'échec.
Nous n'avons pas à rechercher si cette alliance
aurait empêché la guerre de 1870 d'éclater, ou,
en cas contraire, quelle en aurait été l'issue ;
mais, à coup sûr, on peut affirmer que le cours
des événements aurait pu être profondément
modifié à l'avantage de la France.
C'est donc la crainte qu'inspirait à l'empe-
reur Napoléon III le parti clérical qui a fait du
maintien du pouvoir temporel une pierre d'a-
choppement pour la triple alliance; une fois de
plus ce parti a été funeste à la France. Les
faits ont prouvé quelle a été sa gratitude en-
vers la dynastie qui, par déférence pour le
pape, a ouvert l'abîme dans lequel elle est tom-
bée, en entraînant la nation avec elle.
Non,. ce n'est pas l'Italie qui a la responsabi-
lité de l'isolement de la France; c'est bien le
gouvernement de l'empire, ou, pour[parler
plus exactement, c'est le parti clérical, qui a
condamné cette noble et généreuse nation au
rôle d'instrument de la réaction européenne à
Rome.
LE DISCOURS DE M. LÉON SAY
Dans la séance de jeudi dernier, M. le
ministre des finances, démissionnaire,
a exprimé le désir d'exposer à la Cham-
bre des députés (dont il ne fait pas par-
tie) la situation financière du pays et
les motifs qui lui paraissent militer en
faveur de l'adoption du budget des re-
cettes de 1877 tel qu'il l'a présenté. -
Ce désir était bien naturel et il a été
favorablement accueilli par la Chambre,
qui, malgré l'étrangeté de la situation,
a consenti, pour entendre M. Léon Say,
à procéder immédiatement à la discus-
sion générale de ce budget.
Nous devons ajouter, pour l'édification
de nos lecteurs, que plusieurs députés,
mieux informés que d'autres, ont pro-
testé par leur vote contre les intrigues à
l'aide desquelles certains financiers for-
tement compromis dans des - affaires
malheureuses cherchent à s'opposer au
maintien du portefeuille des finances
dans les mains de M. Léon Say, dont
l'inébranlable et honnête fermeté est
quelque peu gênante pour eux.
Quoiqu'il en soit, la décision de la
Chambre nous a valu un discoui-s
clair, bien ordonné, très-substantel et
de nature, quoique un peu pessimiste,
à faire connaître exactement l'état de
nos finances.
M. Léon Say, tout en constatant le
considérable accroissement des recettes
de l'exercice courant, ne se fait pas
d'illusions et cherche à dissiper celles
que l'on aurait pu se faire sur la possi-
bilité de dégréver immédiatement cer-
tains impôts.
Il a fait ressortir les augmentations
considérables qui ont été votées au
budget des dépenses pour l'ensemble de
nos services publics.
Il est certain que cette Chambre des
députés, contre laquelle la réaction se
déchaîne avec tant de fureur, a doté
plus richement que jamais la guerre, la
marine, l'instruction publique, les tra-
vaux publics, l'agriculture et même les
oultes.
Le compte de liquidation, qui avait
été alimenté pendant plusieurs années
par des ressources spéciales, et qui
sont épuisées aujourd'hui, ne l'est
plus que par des émissions d'obliga-
tions à courts termes, qui ont augmenté
dans de fortes proportions la dette flot-
tante du Trésor.
Nous avons, à plusieurs reprises, ex-
posé cette situation à nos lecteurs, de
même que nous avons successivement
présenté le détail des dépenses de cha-
que ministère ; nous ne pensons donc
pas qu'il soit nécessaire à l'heure ac-
tuelle d'entrer dans de nouveau détails,
minutieux et chiffrés.
Il nous suffira de rappeler ce que
nous disions il y a quelque temps au
sujet des dégrèvements et de l'amortis-
sement si .impérieusement réclamé par
des écrivains spéciaux, à savoir que nos
excédants de recettes de 1876, sont ab-
sorbés par des crédits supplémentaires,
et que la nature même de ces excédants,
qui proviennent en grande partie de taxes
assises sur des objets de consommation
dont le rendement est subordonné à
des éventualités climatériques impossi-
bles à prévoir, ne nous permet pas
d'escompter l'avenir avec une complète
certitude.
Sans doute plusieurs impôts mau-
vais entre les mauvais sont appelés à
disparaître ; mais est-il sage, est-il pru-
dent de les abolir sans compensation,
alors que pour faire face aux exigences
du présent nous sommes dans la néces-
cité de recourir à des emprunts qui,
pour n'être pas à rentes perpétuelles,
n'en sont pas moins des emprunts ?
M. Léon Say a sans doute volontaire-
ment assombri l'horizon en parlant des
difficultés qu'il éprouve dans la prépa-
ration du budget de 1878. Nous sommes
certain qu'il sera vainqueur dans la lutte
qu'il soutient contre ses collègues du
ministère, lutte qu'il a spirituellement
comparée à celle qu'il soutient en sens
inverse contre la commission du bud-
get.
Mais M. Léon Say a eu parfaitement
raison de mettre en garde la Chambre
des députés contre l'entraînement de
réductions auquel la commission du
budget, si ferme et si laborieuse ce-
pendant, n'a pu résister au moins en
ce qui concerne les 2 centimes 1/2 de
dégrèvement demandés pour le sel. Ce
Feuèileton du X/Xe SIÈCLE
12 Décembre 1876
.-
CAUSERIE
DRAMATIQUE
La représentation de Y Ami Frite à la
Comédie-Française a tenu tout ce que la
répétition générale promettait. Comme
nous le disions dans une note publi g*
au lendemain de cette répétition, après
une pareille expérience et un pareil ré-
sultat, rien n'était plus à craindre. « Les
» esprits les plus prévenus, disions-nous,
» se résigneront de bonne grâce à lais-
» ser passer un succès qui n'est plus
» douteux à l'heure qu'il est. » Le suc-
cès a passé en effet, éclatant, chaleu-
reux, incontestable, et il a bien fallu que
la résignation arrivât ; ce n'est que du
côté de la bonne grâce que nous avions
fait trop bonne mesure.
Quelles que fussent les hostilités épar-
ses dans l'auditoire, aucun trouble ne
s'est produit et les protestations se sont
bornées à la mise en circulation d'un
mot d'ordre qui était de tourner le dos
à la scène lorsqu'on nommerait les au-
teurs, et à une affectation de dédain et
d'ennui au cours de la représentation.
Mais le véritable ennui pour la plupart
de ceux-là était le succès lui-même,
qui de scène en scène se déroulait dans
sa simple honnêteté, sa sérénité et son
innocence, devant un public impartial
et nullement disposé à épouser une
mauvaise querelle.
VAmi Fritz est tiré du roman qui
porte ce titre, l'un des premiers qu'aient
écrits Erckmann et Chatrian : une
simple histoire alsacienne, une idylle
réaliste, comme on l'a dit, et qui n'en
est, pour cela, ni moins poétique,
ni moins touchante, malgré ses côtés
épicuriens, ou peut - être aussi à
cause du contraste qui en résulte.
Frédéric Kobus est un célibataire
endurci : il a dépassé trente-cinq ans ;
c'est un bel homme, d'une santé vi-
goureuse, franc comme l'or, bon, ou-
vert, gai, cordial, heureux de vivre et
qui vit bien, sans voir beaucoup plus
loin que sa brillante fourchette et que
le verre où il boit avec ses amis les
vieux vins de sa cave opulente.
Celui qui fut, est ou doit être le maî-
tre de chacun, descend un beau jour
dans la salle à manger de ce joyeux
convive et se charge de révéler à ce
Roger-Bontemps qu'il y dans la vie
autre chose que le vin, la bonne chère
et l'insouci. Kobus s'aperçoit qu'à côté
de l'estomac palpite un petit organe qui
s'appelle le cœur, qu'à côté du plaisir
existe quelque chose de plus grave et
de plus doux qu'on nomme le bonheur,
qu'à côté de la liberté, il y a la respon-
sabilité, au-dessus de l'égoïsme le de-
voir.
Est-ce l'amour qui d'un seul coup
lui apprend tout cela? Oui, sans doute ;
parce que dans les âmes honnêtes, l'a-
mour est le puissant révélateur des
choses nobles et hautes et qu'il n'a man-
qué à Fritz Kobus pour y songer que
l'assaut des divines et fécondes douleurs
que l'amour mêle à ses ineffables vo-
luptés.
Donc, ce Frédéric Kobus, quesesamis
Hanezo, le percepteur des contributions,
et Frédéric Schoulz, l'arpenteur, nom-
ment couramment l'ami Fritz, vit gras-
sement, dans son logis cossu, en com-
pagnie de sa vieille servante Katel, de
ses armoires pleines de linge damassé
et de lourde argenterie, de sa cuisine
odorante et fumante et de sa cave rem-
plie de fioles vénérables. Il a des fer-
miers qui travaillent ses vignes et ses
terres, fauchent ses prés, taillent ses
bois, et qui lui apportent régulièrement
et honnêtement le prix de leur fermage,
sans préjudice des redevances en na-
ture. Pour un homme heureux, c'est
un homme heureux, et les cheveux
blancs n'ont pas plus de raison pour
venir argenter ses tempes que les rides
pour creuser le moindre sillon sur son
iront.
Le premier acte de la comédie nous
montre maître Fritz Kobus dans le com-
plet épanouissement de cette félicité po-
sitive.
Fritz traite ses amis : c'est le jour de
sa fête. Le repas est plantureux, Katel
s'est surpassée : le percepteur Hanezo
et l'arpenteur Frédéric s'en lèchent les
babines. Le vieil ami des Kobus, de
père en fils, le rabbin David Sichel, ne
viendra qu'au café, et le bohémien Jo-
seph, occupé à donner, en sa qualité de
virtuose, un régal musical à son bien-
faiteur, ne le devancera guère.
Enfin, voilà tout le monde réuni, per-
sonne ne manque à la solennité : il y a
même là quelqu'un déplus, sur qui l'on
ne comptait pas, c'est la gentille Suzel.
la fille du fermier Christel, qui apporte
à son maître un énorme bouquet de
violettes, prémices du printemps, re-
cueillies par elle le matin même le long
des haies où les premiers rayons du
soleil d'avril les ont fait éclore.
Rien de frais et de charmant comme
l'entrée de cette enfant rose et blonde,
à la fois gauche et gracieuse ; comme ce
petit maintien contraint et discret à la
table où on l'a fait asseoir ; comme ce
départ naïvement motivé sur la gêne
qu elle éprouve dans la compagnie de
ces précieux buveurs.
Elle part donc.
— Quelle charmante enfant! dit le
rabbin David Sichel, que ces mes-
sieurs nomment familièrement le vieux
Rebb, et, ajoute-t-il, quelle charmante
petite femme cela fera !
Ce vieux Rebb, voyez-vous, est un
marieur enragé et-cette respectable mo-
nomanie est pour tous ces gourmands,
contre lesquels il fulmine, le texte
d'inépuisables plaisanteries.
Fritz n'échappe pas plus que les au-
tres aux ardeurs de la propagande de
l'honnête rabbin, qui s'est mis en tête
d'en venir à bout.
Exaspéré par les rires de la compa-
gnie, qu'un bon repas a mise en joie,
David enfourche résolûment son dada
et vous sert à ces endurcis un petit plat
de prédication sur la parole de l'Ecri-
ture : « Croissez et multipliez ! » qui a.
soulevé un tonnerre d'applaudisse-
ments.
Au deuxième acte, Fritz, qui a fait
promettre par Suzel au bonhomme
Christel qu'il irait passer quarante-huit
heures à la ferme, Fritz est installé dans
son petit domaine des Mésanges. Il y
devait rester deux ou trois jours ; il y
est depuis trois semaines, sans s'en être
aperçu. Vous devinez bien pourquoi ?
C'est que sans s'en apercevoir non plus
il est devenu insensiblement amoureux
de Suzel.
Frédéric et Hanozo, qui viennent le
relancer jusque dans son for amoureux,
lui révèlent inconsciemment le prodige,
et le vieux Rebb, qui les accompagne,
le constate avec unejoie mieux éclairée.
Dieu d'Abraham et de Jacob ! Kobus
aime Suzel et Suzel l'aime ajissi peut-
être ? C'est ce qu'il faut savoir.
C'est ici que se place la jolie scène de
Suzel à la fontaine. Le récit hébreu se
traduit en langue vulgaire : le vieux
Sichel devient Eléazar et Suzel Rébecca.
Elle remplit sa cruche, et le vieux
Rebb lui demande à en goûter l'eau lim-
pide. Vous connaissez au moins l'aqua-
tinta d'Horace Vernet? La voilà ! Ré-
becca porte la jupe rouge et le corselet
brodé de paillettes des filles d'Alsace ;
Eléazar, la robe noire du rabbin et le
grand tricorne à bords ronds ; et, au
lieu d'un palmier se détachant crûment
sur le ciel empourpré du désert, ce sont
de longues perches drapées de houblons
enroulés qui s'enlèvent sur la tendre
verdure des collines, baignées d'une at-
mosphère d'opale et surmontées d'un
ciel d'un bleu doux.
Le tableau est délicieux et la scène
attendrissante. David Sichel demande à
la jeune fille si elle se rappelle ce pas-
sage de l'histoire sainte, et comme elle lui
répond que c'est elle qui, chaque soir,
fait à la famille réunie la lecture de la
Bible, il lui en fait réciter les versets.
Et quand elle a fini, il lui dit : Si
j'étais venu à toi, Suzel, comme Eléa-
zaT alla vers Rébecca, pour te deman-
der en mariage, et que, voyant celui
qui monte en ce moment vers nous par
ce sentier, tu me dises : « Quel est ce-
» lui qui vient dans la campagne à no-
» tre rencontre ? » et que je te répon-
disse: « C'est monseigneur, » que pen-
serais-tu ?
La voix de Fritz se fait entendre et
Suzel, vaincue par son émotion, laisse
aller sa jolie tête blonde sur le sein pa-
ternel du vieux Rebb.
Ce n'est rien : c'est adorable. Je
plains ceux qui n'ont pas senti une
larme venir humecter leur paupière.
Heureusemsnt le nombre n'en a pas été
grand.
Mais Fritz a ouvert les yeux sur le
danger auquel il s'expose, sur le ridi-
cule qui le menace. Lui, amoureux de
la fille de son fermier ! Lui, qui a tant
raillé le mariage, en roulfé pour le
cotyungo !
Hanezo et Frédéric vont partir, le
char-à-bancs est attelé, les grelots se
donnent le la au collier du bidet ! En
route ! Fritz se sauve, et quand la pau-
vre Suzel, accourue au bruit du fouet et
du concert des clochettes, aperçoit le
fugitif déjà loin, il n'est que temps que
le vieux Rebb arrive pour recevoir
la pauvre enfant en larmes entre ses
bras.
Au troisième acte, Fritz a réintégré
le domicile normal : sa maison lui pa-
raît vide! Il est triste, ennuyé, irasci-
ble. S'il connaissait ses auteurs, il di-
rait aussi :
Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire.
Il ne se fait pas illusion sur la cause
de son mal et lutte de son mieux con-
tre le sentiment qui a pris souveraine-
ment possession de lui-même. Que lui
importent sos amis, les bombances,
les parties joyeuses ! Il ne se soucie
plus de rien.
Le vieux Rebb, qui ne doute plas du
succès et qui voit un mariage en pers-
pective, vient en impitoyable chirur-
gien retourner le bistouri dans la bles-
sure débridée et élargie, dont il se pro-
met la guérison. Il annonce à Fritz
que Suzel va épouser un beau garçon
de la montagne et que le père Christel
va venir lui demander son agrément.
Le pauvre Fritz est au supplice.
Et puis voilà que la vieille Katel étant
sortie, Suzel qui vient, chaque semaine,
apporter la petite redevance du fermier.
Suzel entre brusquement et se trouve
en présence de son maître.
Celui-ci s'informe de toutes choses, et
comme Suzel se tait sur le chapitre de
son mariage, il lui en parle le premier.
Alors Suzel fond en larmes: elle n'ai-
me pas celui qu'on veut lui faire épou-
et ne se marie que pour obéir à son
père. Elle conjure même Fritz, puis-
que le hasard a permis qu'elle le ren-
PrhL dm Hwskêtô à Paris 1 15 Centime* — Départements 1 21 Centime*
Mardi 12 Décembre 1876
ï l1 ¥I¥E ÇJÏFPÏ F
E ùlËiiilJËa
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrateur
yxie de :I:.afaye"tte, 55S
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ANNONCES Chez MM. LAGRANGE, efe etM
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BS, nie de Lafayette
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Un an. 50 D,
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Six mois. 32 »
U i1 an., 62 »
AMiONCES: Chez MM. LAGRANGE, CERF et Cle
1 C) ptacc de ta gSouftet 6
Immédiatement pJ..ès la UTom-
"eUe en cours de publication, nous
pMMieNoms un roman par HENRI
GRIÉVILLE, intitulé t
s o 1~ x .A.
3BXJ3L.I^E!TI3M
Paris, 11 décembre 1876.
La crise ministérielle continue au mo-
ment où nous mettons sous presse.
Les entretiens des ambassadeurs conti-
tinuentàConstantinople, et c'est dans le cou-
rant de cette semaine que doit se réunir la
conférence préliminaire. On affirme detou-
tes!parts que tous les représentants des puis-
sances sont animés des dispositions les plus
conciliantes. Mais il ne semble pas que leurs
conversations aient encore roulé sur le
point le plus important qu'ils auront à dis-
cuter. Nous voulons parler des garanties.
Jusqu'à présent ils ne paraissent guère s'ê-
tre occupés que des réformes à introduire
dans les provinces insurgées et ont fait
pressentir que l'accord n'est pas loin de se
faire sur ce dernier point.
Le Nord essaye de résumer la situation.
Il pense qu'elle est aujourd'hui nettement
dessinée et que, si le résultat de la confé-
rence est encore l'inconnu, on ne peut pas
dire qu'elle s'ouvre au milieu des ténèbres.
L'organe officieux de la chancellerie russe
attribue la détente qui semble se manifester
à Constantinople aux déclarations de M. de
Bismarck, au voyage du marquis de Salis-
bury, aux nouveaux meetings anglais, et
surtout à l'entente de la Russie et de la
Roumanie, dont les effets commencent à se
manifester, mais dont la conclusion re-
monte à quelque temps déjà.
Cette situation nouvelle crée, dit le Nord,
des facilités à la Russie en lui laissant une
latitude plus grande, mais elle fait en mê-
me temps peser sur elle une responsabilité
proportionnelle. « La Russie, ajoute-t-il,
manquerait à sa mission, à sa destinée, à
sa grandeur, si elle négligeait cette occa-
sion peut-être unique d'affranchir les chré-
tiens d'Orient. Mais sa responsabilité, avons-
nous dit, a une autre face, et celle-là lui im-
pose de ne faire la guerre que si, devant sa
conscience comme aux yeux de tout esprit
de bonne foi, ce moyen extrême est le seul
qui puisse mener au but. »
Quanta ce but, que la Russie est résolue
à obtenir par la force s'il le faut, le Nord
le résume en ces termes : « Instituer un sys-
tème tel que les réformes destinées à pro-
téger le développement des rayas soient in-
dépendantes, dans leur application et leur
fonctionnement, des autorités turques, qui
les neutraliseraient ou les pervertiraient. »
Et il termine ses remarques en disant :
« Est-il possible qu'au point où en sont les
choses, une puissance quelconque, fût-ce
même l'Angleterre, puisse s'inscrire en.faux
coutre un pareil programme? Cela nous pa-
rait tellement impossible que s'il n'y avait
pas cet élément incalculable qu'on appelle
la Turquie, nous pourrions pronostiquer le
succès de la conférence.
Nous n'irons pas si loin que le Nordy car
nous ne saurions pronostiquer le succès de
la conférence même en laissant de côté « cet
élément incalculable qu'on appelle la Tur-
quie. » Tout au plus pouvons-nous consi-
dérer comme un heureux présage les dis-
positions conciliantes des ambassadeurs
dont nous entretiennent les dépêches, car
il ne faut pas perdre de vue que rien n'e t
encore décide et que l'entente n'est faite
sur aucun point.
Quant à la Turquie, cet élément n'est pas
aussi incalculable que le pense le Nord. En
effet, la Porte a déclaré à maintes reprises
qu'elle ne tolérerait aucune occupation de
la Bulgarie, quelle que soit la puissance qui
en serait chargée.
Le cabinet Deligeorgis n'a duré qu'un
jour. Il s'est trouvé en minorité à la Cham-
bre le lendemain de sa formation. M. Zaïmis
est chargé, dit-on, de former un cabinet de
conciliation.
—
Petite Bourse du Dimanche
Boulevard des Italiens
Trois heures
3 0/0, 70 fr. 70, 75, 721/2.
5 0/0, 104 fr. 47 1/2, 56 1/4, 52 1/2.
5 0/0 turc, 10 fr. 70.
Egypte, 259 fr. 37.
:L.a .A. a 3F& I S £ 3
Nous ne croyons pas trop nous avancer
en disant que, selon toute vraisemblance,
M. Jules Simon, qui n'a eu jusqu'à cette
heure aucuue entrevue avec le maréchal,
sera appelé aujourd'hui à la présidence.
C'est ainsi que nous terminions, hier, la
relation des allées et venues de la jour-
née.
M. Jules Simon n'a pas été appelé, hier,
à la présidence.
Mais il était, dès le matin, informé offi-
ciellement que M. Dufaure se rendrait
auprès de lui pour discuter la formation
d'un nouveau cabinet, d'après la décision
prise au sein du conseil des ministres, qui
avait été tenu tardivement dans la nuit de
samedi.
Tout ce qui n'avait été jusqu'alors que
conceptions officieuses devenait donc, à
partir de ce moment, combinaison officielle.
*
* *
L'entrevue entre M. le garde des sceaux
et M. Jules Simon a duré près de deux
heures, et malheureusement nous ne pou-
vons pas annoncer à nos lecteurs qu'elle ait
mis fin à la crise.
Les propositions dont on parlait couram-
ment hier ont été portées officiellement à la
connaissance de M. Jules Simon.
Celui-ci a déclaré ne vouloir entrer dans
le cabinet que pour appliquer le programme
des gauches, notamment en ce qui concer-
ne les fonctionnaires. Nous sommes heu-
reux de dire qu'aucune difficulté ne semble
s'élever de ce côté. Mais, comme hier, M.
Dufaure a tenu absolument à conserver,
non-seulement la présidence du conseil,
mais aussi le portefeuille de la Justice. Tou-
tefois le ministère de la Justice eût été
dédoublé, et M. Bardoux nommé ministre
des Cultes.
La combinaison était étrange, et l'on com-
prendra aisément que M. Jules Simon se
soit jugé dans l'impossibilité de l'accepter.
Tous ses efforts ont tendu à prouver à M.
Dufaure, si nos renseignements sont exacts,
qu'un cabinet ainsi constituè n'était pas via-
ble, et, en conséquence, il a prié M. le garde
des sceaux de faire savoir à M. le président
de la République qu'il ne pouvait, dans de
pareilles conditions, faire partie de son con-
seil.
*
¥ *
M. le président du conseil avait convo-
qué ses collègues pour quatre heures, afin
de leur rendre compte de son entretien de
la matinée avec M. Jules Simon.
Nous croyons pouvoir affirmer qu'à la
suite de ce conseil, M. Dufaure a adressé
à M. le président de la République une let-
tre pour lui annoncer qu'il renonçait défi-
nitivement à former le Cabinet.
ft
* *
A cinq heures, M. Jules Simon réunis-
sait chez lui les délégués des groupes do
gauche et leur comraimiquail, le résultat de
son entrevue avec M. Dufaure. Les délégués
des gauches ont pleinement approuvé la
conduite de M. Jules Simon.
Il est probable qu'une démarche va être
faite près de MM. les présidents des deux
Chambres pour leur demander de hâter,
dans la mesure du possible, la solution de
la crise.
EMMANUEL ARÈNE.
■ —————
RÉUNION DE lA GAUCHE RÉPUBLICAiNf
Voici le procès-verbal de cette réunion,
tel qu'il a été communiqué à la presse :
La gauche républicaine de la Chambre des
députés s'est réunie hier, boulevard des Capu-
cines, sous la présidence de M. Albert Grévy.
Elle a confirmé sa résolution de rester sur
le terrain des principes et de maintenir son
programme. La majorité républicaine entend
qu'on discute avec elle les conditions d'exis-
tence d'un ministère constitutionnel et parle-
mentaire.
Nos renseignements nous permettent d'a-
jouter que la réunion s'est, occupée du juge-
ment rendu tout récemment par la cour d'ap-
pel de Besançon et des considérants relatifs
aux commissions mixtes, qui ont si vivement
ému la presse et l'opinion publique.
Après une courte discussion, la gauche ré-
publicaine a décidé qu'il conviendrait d'appe-
ler l'attention du futur ministre de la justice
sur la théorie des magistrats de Besançon, ten-
dant à réhabiliter ces commissions iniaues et
arbitraires que M. Dufaure lui-môme a flétries
dans un discours indigné dont un de nos col-
laborateurs rappelait hier les termes.
La gauche a décidé, de plus, que jusqu'à la
fin de la crise, elle se réunirait tous les jours
à une heure, à Versailles.
-+-
Toujours rien. Et pourtant il faut re-
connaître que la situation tend à s'é-
claircir. Avant tout, il n'est que juste de
rendre hommage au président de la
République pour la fermeté avec la-
quelle il sait résister depuis huit jours
aux conseils pernicieux, aux sugges-
tions perfides de certaines personnes
de son entourage. Il a écarté une à une
toutes les combinaisons plus ou moins
savantes, plus ou moins correctes, qu'on
s'était efforcé de lui faire accepter. Au-
jourd'hui le terrain est déblayé de tous
les piéges que des hommes sans scru-
pules ou des politiciens sans vergogne
y avaient semés ; et désormais le ma-
réchal peut marcher droit devant lui
avec la loi pour unique force et sa con-
science pour seul guide.
Nous disions hier qu'à défaut d'un
ministère de gauche il ne resterait plus
qu'une solution : l'appel au pays. Le
maréchal de Mac-Mahon s'est décidé
pour un ministère de gauche. Du moins
il le croit, et très-sincèrement, nous en
avons la ferme persuasion. Il a donc
chargé l'honorable M. Dufaure de voir
M. Jules Simon et de lui offrir le porte-
feuille de l'intérieur dans un cabinet
dont lui, M. Dufaure, conserverait la
présidence en qualité de ministre de
la justice. On nous assure, et nous
le croyons sans peine, que M. Jules
Simon a refusé. Ce qui nous étonne,
c'est qu'un homme comme l'ancien
garde des sceaux vieilli comme lui
dans la pratique, et nous devons ajou-
ter dans le respect du régime et des
traditions parlementaires, rompu com-
me lui au maniement des Assemblées,
ait pu supposer un seul moment qu'une
pareille combinaison était possible.
On eût compris, et la Chambre eût
sans doute accepté la restauration tem-
poraire de l'ancien cabinet. Elle n'avait
point lugé opportun, dans les cir-
©osstances actuelles et à l'époque où
nous sommes, de provoquer une crise
ministérielle. Elle se fût donc tout bon-
nement montrée semblable à elle-même
en acceptant de laisser vivre quelque
temps encore, et tel quel, le cabinet Du-
faure. Mais le Sénat en a jugé autrement,
et devant le fait accompli, la Chambre
ae peut que prendre l'attitude qu'elle
eût prise le jour où, de sa propre vo-
lonté, elle eût fait échec au cabinet du
8 mars. Or, il faut bien le dire, M. Du-
faure avait perdu depuis longtemps les
sympathies de la majorité républicaine.
Il n'est pas besoin de rappeler les motifs
de cette désaffection : il suffit de la cons-
tater, et nul ne nous contredira. Il n'est
pas jusqu'aux membres les plus timides
du centre gauche que l'ancien garde des
sceaux n'ait réussi à froisser, quelque
fois même à irriter.
Dans ces conditions que signifierait
la rentrée de M. Dufaure dans un cabi-
net ? Cela voudrait dire assurément qu'il
n'y a rien de changé en France, à cela
près qu'il s'est produit une crise de
plus, et qu'elle a nui à la République par
cela seul qu'elle ne lui a point profité.
Dès l'instant que M. Dufaure conserve
la présidence du conseil, il exerce une
imNence considérable sur la politique
générale du gouvernement. Cela ne sau-
rait être contesté sérieusement, à moins
qu'on fasse à M. Dufaure l'injure de
le prendre pour un roi fainéant et de
croire qu'il accepterait un tel rôle.
C'est donc, par le fait, un cabinet Du-
faure, un cabinet à peine centre gauche,
et non un cabinet Jules Simon, c'est-à-
dire un cabinet de gauche.
Croit-on que la présence de M. Jules
Simon dans le cabinet paralyserait l'in-
fluence du président du conseil ? Alors
pourquoi M. Dufaure ? Et si c'est M. Du-
faure qui doit paralyser le ministre de
l'intérieur, pourquoi M. Jules Simon?
Nous avons pour l'un et l'autre une
égale estime, et nous croyons qu'on se
trompe également sur le compte de
l'un et de l'autre, en croyant possible de
les faire servir à une combinaison de
ce genre. Tout ce qui en pourrait ré-
sulter, et à très-courte échéance, c'est
une série de conflits comme les cabi-
nets précédents n'en ont fourni que trop
d'exemples.
M. Jules Simon a donc refusé l'hon-
neur trop périlleux que lui offrait M. le
président de la République ; et devant
ce refus, M. Dufaure a cru devoir en-
voyer sa démission définitive au maré-
chal. Nous ne sommes donc guère plus
avancés qu'hier, mais en apparence
seulement, ainsi que nous le disions au
début de cet article. En effet, plus on
va, plus la situation, de confuse qu'elle
était, devient simple, claire et précise.
Un fait acquis, c'est la résolution du ma-
réchal de constituer un cabinet de gau-
che. La démarche qu'il a fait faire au-
près de M. Jules Simon en témoigne
hautement. Il est hors de doute qu'aux
yeux du président de la République, un
cabinet où le portefeuille de l'intérieur
est confié aux mains d'une des illus-
trations du parti républicain est un
cabinet de gauche. Mais on reconnaîtra
qu'il en faut rabattre un peu quand ce
cabinet doit être présidé par t'honora.
ble M. Dutaure.
Sans doute il ne manquera pas de
gens pour représenter au maréchal qu'il
a fait assez puisqu'il a consenti à entrer
en pourparlers avec le représentant le
plus autorisé de la gauche républicaine ;
on essaiera de lui persuader que devant
l'impossibilité d'arriver à une solution
de ce côté. il ne reste plus qu'à se tour-
ner de l'autre. Mais il importe de ne point
laisser altérer la vérité des faits. Le ma-
réchal de Mac-Mahon a cru, trés-sincé-
rement, nous le répétons, que la com-
binaison Dufaure-Simon était bel et bien
une combinaison de gauche. Il s'est
trompé; et M. Jules Simon lui-même
eût mal répondu à la confiance qui lui
était témoignée en laissant le maréchal
persévérer dans son erreur.
Quoi qu'il en soit, nous le répétons,
la journée d'hier n'a pas été perdue
puisqu'elle a montré une fois de plus le
président de la République résolu, en-
vers et contre tous, à ne point se dé-
partir de la correction rigoureuse dont
il a toujours fait preuve dans les circon-
stances comme celles que nous traver-
sons.
E. SCHNERB.
L'Italie revient sur l'incident diplomati-
que soulevé à la tribune de la Chambre des
députés par le prince Napoléon, et conclut
en ces termes :
Il est prouvé que, si l'alliance projetée entre
l'Italie, l'Autriche-Hongrie et la France n'a pas
eu lieu, c'est bien à la résolution de l'empe-
reur Napoléon III de ne pas laisser tomber le
pouvoir temporel qu'il faut attribuer l'échec.
Nous n'avons pas à rechercher si cette alliance
aurait empêché la guerre de 1870 d'éclater, ou,
en cas contraire, quelle en aurait été l'issue ;
mais, à coup sûr, on peut affirmer que le cours
des événements aurait pu être profondément
modifié à l'avantage de la France.
C'est donc la crainte qu'inspirait à l'empe-
reur Napoléon III le parti clérical qui a fait du
maintien du pouvoir temporel une pierre d'a-
choppement pour la triple alliance; une fois de
plus ce parti a été funeste à la France. Les
faits ont prouvé quelle a été sa gratitude en-
vers la dynastie qui, par déférence pour le
pape, a ouvert l'abîme dans lequel elle est tom-
bée, en entraînant la nation avec elle.
Non,. ce n'est pas l'Italie qui a la responsabi-
lité de l'isolement de la France; c'est bien le
gouvernement de l'empire, ou, pour[parler
plus exactement, c'est le parti clérical, qui a
condamné cette noble et généreuse nation au
rôle d'instrument de la réaction européenne à
Rome.
LE DISCOURS DE M. LÉON SAY
Dans la séance de jeudi dernier, M. le
ministre des finances, démissionnaire,
a exprimé le désir d'exposer à la Cham-
bre des députés (dont il ne fait pas par-
tie) la situation financière du pays et
les motifs qui lui paraissent militer en
faveur de l'adoption du budget des re-
cettes de 1877 tel qu'il l'a présenté. -
Ce désir était bien naturel et il a été
favorablement accueilli par la Chambre,
qui, malgré l'étrangeté de la situation,
a consenti, pour entendre M. Léon Say,
à procéder immédiatement à la discus-
sion générale de ce budget.
Nous devons ajouter, pour l'édification
de nos lecteurs, que plusieurs députés,
mieux informés que d'autres, ont pro-
testé par leur vote contre les intrigues à
l'aide desquelles certains financiers for-
tement compromis dans des - affaires
malheureuses cherchent à s'opposer au
maintien du portefeuille des finances
dans les mains de M. Léon Say, dont
l'inébranlable et honnête fermeté est
quelque peu gênante pour eux.
Quoiqu'il en soit, la décision de la
Chambre nous a valu un discoui-s
clair, bien ordonné, très-substantel et
de nature, quoique un peu pessimiste,
à faire connaître exactement l'état de
nos finances.
M. Léon Say, tout en constatant le
considérable accroissement des recettes
de l'exercice courant, ne se fait pas
d'illusions et cherche à dissiper celles
que l'on aurait pu se faire sur la possi-
bilité de dégréver immédiatement cer-
tains impôts.
Il a fait ressortir les augmentations
considérables qui ont été votées au
budget des dépenses pour l'ensemble de
nos services publics.
Il est certain que cette Chambre des
députés, contre laquelle la réaction se
déchaîne avec tant de fureur, a doté
plus richement que jamais la guerre, la
marine, l'instruction publique, les tra-
vaux publics, l'agriculture et même les
oultes.
Le compte de liquidation, qui avait
été alimenté pendant plusieurs années
par des ressources spéciales, et qui
sont épuisées aujourd'hui, ne l'est
plus que par des émissions d'obliga-
tions à courts termes, qui ont augmenté
dans de fortes proportions la dette flot-
tante du Trésor.
Nous avons, à plusieurs reprises, ex-
posé cette situation à nos lecteurs, de
même que nous avons successivement
présenté le détail des dépenses de cha-
que ministère ; nous ne pensons donc
pas qu'il soit nécessaire à l'heure ac-
tuelle d'entrer dans de nouveau détails,
minutieux et chiffrés.
Il nous suffira de rappeler ce que
nous disions il y a quelque temps au
sujet des dégrèvements et de l'amortis-
sement si .impérieusement réclamé par
des écrivains spéciaux, à savoir que nos
excédants de recettes de 1876, sont ab-
sorbés par des crédits supplémentaires,
et que la nature même de ces excédants,
qui proviennent en grande partie de taxes
assises sur des objets de consommation
dont le rendement est subordonné à
des éventualités climatériques impossi-
bles à prévoir, ne nous permet pas
d'escompter l'avenir avec une complète
certitude.
Sans doute plusieurs impôts mau-
vais entre les mauvais sont appelés à
disparaître ; mais est-il sage, est-il pru-
dent de les abolir sans compensation,
alors que pour faire face aux exigences
du présent nous sommes dans la néces-
cité de recourir à des emprunts qui,
pour n'être pas à rentes perpétuelles,
n'en sont pas moins des emprunts ?
M. Léon Say a sans doute volontaire-
ment assombri l'horizon en parlant des
difficultés qu'il éprouve dans la prépa-
ration du budget de 1878. Nous sommes
certain qu'il sera vainqueur dans la lutte
qu'il soutient contre ses collègues du
ministère, lutte qu'il a spirituellement
comparée à celle qu'il soutient en sens
inverse contre la commission du bud-
get.
Mais M. Léon Say a eu parfaitement
raison de mettre en garde la Chambre
des députés contre l'entraînement de
réductions auquel la commission du
budget, si ferme et si laborieuse ce-
pendant, n'a pu résister au moins en
ce qui concerne les 2 centimes 1/2 de
dégrèvement demandés pour le sel. Ce
Feuèileton du X/Xe SIÈCLE
12 Décembre 1876
.-
CAUSERIE
DRAMATIQUE
La représentation de Y Ami Frite à la
Comédie-Française a tenu tout ce que la
répétition générale promettait. Comme
nous le disions dans une note publi g*
au lendemain de cette répétition, après
une pareille expérience et un pareil ré-
sultat, rien n'était plus à craindre. « Les
» esprits les plus prévenus, disions-nous,
» se résigneront de bonne grâce à lais-
» ser passer un succès qui n'est plus
» douteux à l'heure qu'il est. » Le suc-
cès a passé en effet, éclatant, chaleu-
reux, incontestable, et il a bien fallu que
la résignation arrivât ; ce n'est que du
côté de la bonne grâce que nous avions
fait trop bonne mesure.
Quelles que fussent les hostilités épar-
ses dans l'auditoire, aucun trouble ne
s'est produit et les protestations se sont
bornées à la mise en circulation d'un
mot d'ordre qui était de tourner le dos
à la scène lorsqu'on nommerait les au-
teurs, et à une affectation de dédain et
d'ennui au cours de la représentation.
Mais le véritable ennui pour la plupart
de ceux-là était le succès lui-même,
qui de scène en scène se déroulait dans
sa simple honnêteté, sa sérénité et son
innocence, devant un public impartial
et nullement disposé à épouser une
mauvaise querelle.
VAmi Fritz est tiré du roman qui
porte ce titre, l'un des premiers qu'aient
écrits Erckmann et Chatrian : une
simple histoire alsacienne, une idylle
réaliste, comme on l'a dit, et qui n'en
est, pour cela, ni moins poétique,
ni moins touchante, malgré ses côtés
épicuriens, ou peut - être aussi à
cause du contraste qui en résulte.
Frédéric Kobus est un célibataire
endurci : il a dépassé trente-cinq ans ;
c'est un bel homme, d'une santé vi-
goureuse, franc comme l'or, bon, ou-
vert, gai, cordial, heureux de vivre et
qui vit bien, sans voir beaucoup plus
loin que sa brillante fourchette et que
le verre où il boit avec ses amis les
vieux vins de sa cave opulente.
Celui qui fut, est ou doit être le maî-
tre de chacun, descend un beau jour
dans la salle à manger de ce joyeux
convive et se charge de révéler à ce
Roger-Bontemps qu'il y dans la vie
autre chose que le vin, la bonne chère
et l'insouci. Kobus s'aperçoit qu'à côté
de l'estomac palpite un petit organe qui
s'appelle le cœur, qu'à côté du plaisir
existe quelque chose de plus grave et
de plus doux qu'on nomme le bonheur,
qu'à côté de la liberté, il y a la respon-
sabilité, au-dessus de l'égoïsme le de-
voir.
Est-ce l'amour qui d'un seul coup
lui apprend tout cela? Oui, sans doute ;
parce que dans les âmes honnêtes, l'a-
mour est le puissant révélateur des
choses nobles et hautes et qu'il n'a man-
qué à Fritz Kobus pour y songer que
l'assaut des divines et fécondes douleurs
que l'amour mêle à ses ineffables vo-
luptés.
Donc, ce Frédéric Kobus, quesesamis
Hanezo, le percepteur des contributions,
et Frédéric Schoulz, l'arpenteur, nom-
ment couramment l'ami Fritz, vit gras-
sement, dans son logis cossu, en com-
pagnie de sa vieille servante Katel, de
ses armoires pleines de linge damassé
et de lourde argenterie, de sa cuisine
odorante et fumante et de sa cave rem-
plie de fioles vénérables. Il a des fer-
miers qui travaillent ses vignes et ses
terres, fauchent ses prés, taillent ses
bois, et qui lui apportent régulièrement
et honnêtement le prix de leur fermage,
sans préjudice des redevances en na-
ture. Pour un homme heureux, c'est
un homme heureux, et les cheveux
blancs n'ont pas plus de raison pour
venir argenter ses tempes que les rides
pour creuser le moindre sillon sur son
iront.
Le premier acte de la comédie nous
montre maître Fritz Kobus dans le com-
plet épanouissement de cette félicité po-
sitive.
Fritz traite ses amis : c'est le jour de
sa fête. Le repas est plantureux, Katel
s'est surpassée : le percepteur Hanezo
et l'arpenteur Frédéric s'en lèchent les
babines. Le vieil ami des Kobus, de
père en fils, le rabbin David Sichel, ne
viendra qu'au café, et le bohémien Jo-
seph, occupé à donner, en sa qualité de
virtuose, un régal musical à son bien-
faiteur, ne le devancera guère.
Enfin, voilà tout le monde réuni, per-
sonne ne manque à la solennité : il y a
même là quelqu'un déplus, sur qui l'on
ne comptait pas, c'est la gentille Suzel.
la fille du fermier Christel, qui apporte
à son maître un énorme bouquet de
violettes, prémices du printemps, re-
cueillies par elle le matin même le long
des haies où les premiers rayons du
soleil d'avril les ont fait éclore.
Rien de frais et de charmant comme
l'entrée de cette enfant rose et blonde,
à la fois gauche et gracieuse ; comme ce
petit maintien contraint et discret à la
table où on l'a fait asseoir ; comme ce
départ naïvement motivé sur la gêne
qu elle éprouve dans la compagnie de
ces précieux buveurs.
Elle part donc.
— Quelle charmante enfant! dit le
rabbin David Sichel, que ces mes-
sieurs nomment familièrement le vieux
Rebb, et, ajoute-t-il, quelle charmante
petite femme cela fera !
Ce vieux Rebb, voyez-vous, est un
marieur enragé et-cette respectable mo-
nomanie est pour tous ces gourmands,
contre lesquels il fulmine, le texte
d'inépuisables plaisanteries.
Fritz n'échappe pas plus que les au-
tres aux ardeurs de la propagande de
l'honnête rabbin, qui s'est mis en tête
d'en venir à bout.
Exaspéré par les rires de la compa-
gnie, qu'un bon repas a mise en joie,
David enfourche résolûment son dada
et vous sert à ces endurcis un petit plat
de prédication sur la parole de l'Ecri-
ture : « Croissez et multipliez ! » qui a.
soulevé un tonnerre d'applaudisse-
ments.
Au deuxième acte, Fritz, qui a fait
promettre par Suzel au bonhomme
Christel qu'il irait passer quarante-huit
heures à la ferme, Fritz est installé dans
son petit domaine des Mésanges. Il y
devait rester deux ou trois jours ; il y
est depuis trois semaines, sans s'en être
aperçu. Vous devinez bien pourquoi ?
C'est que sans s'en apercevoir non plus
il est devenu insensiblement amoureux
de Suzel.
Frédéric et Hanozo, qui viennent le
relancer jusque dans son for amoureux,
lui révèlent inconsciemment le prodige,
et le vieux Rebb, qui les accompagne,
le constate avec unejoie mieux éclairée.
Dieu d'Abraham et de Jacob ! Kobus
aime Suzel et Suzel l'aime ajissi peut-
être ? C'est ce qu'il faut savoir.
C'est ici que se place la jolie scène de
Suzel à la fontaine. Le récit hébreu se
traduit en langue vulgaire : le vieux
Sichel devient Eléazar et Suzel Rébecca.
Elle remplit sa cruche, et le vieux
Rebb lui demande à en goûter l'eau lim-
pide. Vous connaissez au moins l'aqua-
tinta d'Horace Vernet? La voilà ! Ré-
becca porte la jupe rouge et le corselet
brodé de paillettes des filles d'Alsace ;
Eléazar, la robe noire du rabbin et le
grand tricorne à bords ronds ; et, au
lieu d'un palmier se détachant crûment
sur le ciel empourpré du désert, ce sont
de longues perches drapées de houblons
enroulés qui s'enlèvent sur la tendre
verdure des collines, baignées d'une at-
mosphère d'opale et surmontées d'un
ciel d'un bleu doux.
Le tableau est délicieux et la scène
attendrissante. David Sichel demande à
la jeune fille si elle se rappelle ce pas-
sage de l'histoire sainte, et comme elle lui
répond que c'est elle qui, chaque soir,
fait à la famille réunie la lecture de la
Bible, il lui en fait réciter les versets.
Et quand elle a fini, il lui dit : Si
j'étais venu à toi, Suzel, comme Eléa-
zaT alla vers Rébecca, pour te deman-
der en mariage, et que, voyant celui
qui monte en ce moment vers nous par
ce sentier, tu me dises : « Quel est ce-
» lui qui vient dans la campagne à no-
» tre rencontre ? » et que je te répon-
disse: « C'est monseigneur, » que pen-
serais-tu ?
La voix de Fritz se fait entendre et
Suzel, vaincue par son émotion, laisse
aller sa jolie tête blonde sur le sein pa-
ternel du vieux Rebb.
Ce n'est rien : c'est adorable. Je
plains ceux qui n'ont pas senti une
larme venir humecter leur paupière.
Heureusemsnt le nombre n'en a pas été
grand.
Mais Fritz a ouvert les yeux sur le
danger auquel il s'expose, sur le ridi-
cule qui le menace. Lui, amoureux de
la fille de son fermier ! Lui, qui a tant
raillé le mariage, en roulfé pour le
cotyungo !
Hanezo et Frédéric vont partir, le
char-à-bancs est attelé, les grelots se
donnent le la au collier du bidet ! En
route ! Fritz se sauve, et quand la pau-
vre Suzel, accourue au bruit du fouet et
du concert des clochettes, aperçoit le
fugitif déjà loin, il n'est que temps que
le vieux Rebb arrive pour recevoir
la pauvre enfant en larmes entre ses
bras.
Au troisième acte, Fritz a réintégré
le domicile normal : sa maison lui pa-
raît vide! Il est triste, ennuyé, irasci-
ble. S'il connaissait ses auteurs, il di-
rait aussi :
Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire.
Il ne se fait pas illusion sur la cause
de son mal et lutte de son mieux con-
tre le sentiment qui a pris souveraine-
ment possession de lui-même. Que lui
importent sos amis, les bombances,
les parties joyeuses ! Il ne se soucie
plus de rien.
Le vieux Rebb, qui ne doute plas du
succès et qui voit un mariage en pers-
pective, vient en impitoyable chirur-
gien retourner le bistouri dans la bles-
sure débridée et élargie, dont il se pro-
met la guérison. Il annonce à Fritz
que Suzel va épouser un beau garçon
de la montagne et que le père Christel
va venir lui demander son agrément.
Le pauvre Fritz est au supplice.
Et puis voilà que la vieille Katel étant
sortie, Suzel qui vient, chaque semaine,
apporter la petite redevance du fermier.
Suzel entre brusquement et se trouve
en présence de son maître.
Celui-ci s'informe de toutes choses, et
comme Suzel se tait sur le chapitre de
son mariage, il lui en parle le premier.
Alors Suzel fond en larmes: elle n'ai-
me pas celui qu'on veut lui faire épou-
et ne se marie que pour obéir à son
père. Elle conjure même Fritz, puis-
que le hasard a permis qu'elle le ren-
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