Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1876-11-13
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 13 novembre 1876 13 novembre 1876
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
Sixième Année — No 1798
Prix du Numéro à Paris : 15 Centimes - Départements : 20 Centimes
Lundi 13 Novembre 1876
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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0} place de la tt ourse y 6
Nous publierons en feuilleton, à
partir de mercredi matin:
Stépane Makariew
; .;', , PAR
Henry G-R, 1E VI !< Ij E
- MM. les Souscripteur. dont
l'abonnement expire le ità ilo-
vemlbre pTiéa de 16 renou-
veler littMédlatcBieB^ s'ils ne
veulent point éprouve? de re-
tard dan* la réeeption -du Jour-
nal. --- - .,.,' , ,- -
BULLETIN
, .; , f., .: -
Paris, 12 novembre 1876.
La Chambre des députés, dans sa séance
d'hier, a voté le budget du ministère des
affaires étrangères -
Le moment des déclarations importantes
semble être arrivé. Hier, nous avions à ana-
lyser l'important discours, dans lequel le
comte Beaconsfield a essayé .-de noyer sous
des flots d'éloquence la véritable pensée du
cabinet de St-James, et a laissé percer quel-
ques-unes des appréhensions que lui cause
ravenir.
Aujourd'hui nous avons à enregistrer
une déclaration fort nette de l'empereur de
Russie,, déclaration qui n'est guère de na-
ture à calmer les inquiétudes qu'a pu éveil-
ler le discours du ministre anglais. On sait
que l'empereur de Russie, en se rendant de
Livadia â Saint-Pétersbourg, s'est arrêté à
Moscou, où il doit séjourner quelques jours.
On sait aussi que la municipalité delà vieille
capitale de la Russie s'est chargée de pré-
senter au souverain les vœux de la popula-
tion et. qu'elle avait préparé une adresse"
destinée à être remise au czar. L'empereur
a reçu les représentants de la ville et a ré-
pondu à. leur adresse par un discours dont
l'Agence russe, organe officiel de la chan-
cellerierusse, nous communique le résumé.
D'après l'agence,l'empereur Alexandre a
déclaré que, durant tout son règne, il a cher-
ché à obtenir une amélioration du sort des
chrétiens de Turquie, que jusqu'ici ses ef-
forts n'ont abouti à rien, mais qu'une confé-
rence va se réunir à Constantinople, que la
Russie y fera valoir ses demandes et que si
elle ne sont pas acceptées, la Russie devra,
contre soit gré, prendre les armes ; qu'alors
l'empereur compterait sur l'appui de la na-
tion. Ces paroles, ajoute l'agence russe, ont
reçu. un accueil enthousiaste.
Nous n'avons pas à douter des renseigne-
ments que nous donne l'agence russe. Elle
a été installée il y a quelques mois à Paris,,
.à Berlin et à Vienne, pour communiquer à
la presse les vues de la chancellerie russe ;
elle est donc, comme nous le disions plus
haut, un organe officiel. On ne saurait donc
s'exagérer l'importance des paroles qu'elle
met dans la bouche de l'empereur Alexan-
dre, car elles constituent un véritable ulti-
matum adressé à l'Europe. :'
Lord Beaconsfield était-il prévenu par ses
agents de la déclaration que devait faire
l'empereur de Russie, et est-ce à cela qu'il
faut attribuer la fière assertion, qui termine
son discours, au sujet des ressources mili-
taires de lAngleterre
, '--'--'- 4»
Bourse de Paris
Clôture le 10 nov. lellnov. Hausse Baisse
» O/O
Comptant.. 71 80 71 45 35
Fin cour 71871/2 71521/2 35.
4 1/2 O/O •
Comptant. , 100 80 100 50 30
5 O/O
Comptant.. 105 30 105 f 30
Fin cour 105 25 1C4 97 1/2 27 1/2
PETITE BOURSE DU SOIR
Emprunt 3-0/0. 71 fr. 40, 21 1/2,
Emprunt 5 0/0. 104 fr. 90, 67 1/2, 68 3/4.
5 0/0 turc 11 fr. 20, Î5;
Banque Ottomane.. 372 fr. 50, 373 75.
Egyptien 240 fr., 237 50, 238 75.
— -«fe" ; :
Les journaux de droite mènent grand
bruit au sujet d'un article publié par le
Moniteur sur la situation politique. Ils
affectent de le considérer comme d'ori-
gine ministérielle, ce qui leur permet
de triompher d'autant plus bruyam-
ment, car l'article du Moniteur n'est
autre chose qu'un cri d'alarme: « La
République conservatrice est un dan-
ger; républicains, prenez gardeà vous! »
Ce n'est point d'aujourd'hui que le
journal de M. Dalloz cherche à se faire
passer pour l'organe officieux du minis-
tère ; mais nous l'en prévenons, ii n'y
réussit qu'auprès de ceux qui ont intérêt
à le croire. Le cabinet n'a point d'organe
officieux par l'excellente raison qu'il est
fort loin, hélas! d'être homogène, et que
pour connaître exactement la pensée de
chacun des ministres, il faut parcourir
toute une série de journaux qui com-
mence au Moniteur et va jusqu'au
Français et même au-delà. Ce qu'on
peut chercher, et ce qu'on trouve en
effet quelquefois dans le Moniteur, c'est
la pensée du ministre des affaires étran-
gères; mettons donc, si l'on veut, que
l'article en question reflète les idées de
M. le duc Decazes. Cela lui enlèvera sans
doute fort peu -de son importance, mais
beaucoup de la gravité que feignent de
lui attribuer les adversaires de nos ins-
titutions,
Cette réserve faite, nous nous per-
mettrons de faire observer au Moniteur
que s'il est du nombre de ces décou-
ragés dont il parle, que s'il sent déjà
faiblir sa confiance dans la République,
c'est qu'en vérité il n'a jamais eu la foi
bien robuste. Mais laissons lui la parole
pour qu'il énumère lui-même les motifs
de son découragement.
«Le ministère avait fait tous ses efforts jus-
qu'ici pour se créer une majorité de raison
dans les rangs des républicains de la Chambre
des députés. A cette satisfaction il a tout sacri-
fié depuis huit mois. Aujourd'hui il esta la
veille de la perdre, car les conflits, de ce côté,
se multiplient sur une foule de questions, et le
moment n'est pas éloigné où il faudra les por-
ter à la tribune et leur donner devant le pays
une existence pour ainsi dire officielle : conflit
sur la proposition de loi Gatineau; conflit sur
le budget des cultes et sur les aumôniers mi-
litaires ; conflit enfin sur les attributions des
deux Chambres en matière de finances. Telles
sont les perspectives du moment, que bien
d'autres faits viennent encore assombrir. »
Voilà qui est tout à fait nouveau en
matière de parlementarisme, Jusqu'ici,
nous nous étions imaginé que sous un
régime de libre contrôle et, conséquem-
ment, de responsabilité ministérielle,
c'était aux majorités qu'il appartenait
de créer les ministères et non aux mi-
nistères de créer les majorités. Il paraît
que nous nous trompions; les néo-ré-
publicains de la nuance de M. le duc
Decazes et du Moniteur ont changé tout
cela. A présent les rôles sont renver-
sées, et par suite, ce ne sont plus les
ministres qui sont responsables, mais
bien les majorités. En doutez-vous ?
Ecoutez encore le Mom teur :
Dans l'état actuel des esprits, nous le répé-
tons, la volonté bien ferme et bien arrêtée du
cabinet n'est pas de chercher dans la majorité
du Sénat un appui pour s'isoler de la Chambre
des députés. Le cabinet veut gouverner avec
les deux Assemblées qui composent le Parle-
ment, parce que la constitution écrite et l'in-
térêt bien entendu du régime l'exigent. Mai s
après le cabinet qui est aujourd'hui aux affaires
et qui pourrait être amené demain à les quit-
ter, que les républicains en soient bien convain-
cus, nous entrerions dans une voie au bout de
laquelle personne ne sait ce qu'il y aurait.
Allons! allons! La caque. nous vou-
lons dire l'ordre moral sent toujours
son fruit, et M. le duc Decazes n'a pas
encore pu dépouiller le vieil homme.
C'est ainsi que l'on procédait du témps
des Broglie et des Buffet. Chaque fois
que les gauches faisaient mine de bou-
ger, toute la presse en livrée entonnait
le même refrain : Prenez garde ! on sait
qui l'on quitte, on ne sait pas qui l'on
prend ; vous pourriez bien changer un
cheval borgne contre un aveugle. etc.
C'est à l'aide de ces apophtegmes com-
minatoires que les ministres de l'ordre
moral, jusques et y compris M. Buffet,
ont défendu leurs portefeuilles.
Ils faisaient ainsi l'injure "là plus grave
au maréchal de Mac-Mahon, puisqu'ils
essayaient de faire croire qu'il se révol-
terait, le cas échéant, contre la vo-
lonté souveraine de l'Assemblée. Au-
jourd'hui, c'est bien pis; quand on
se permet de donner à entendre que si
le ministère actuel venait à être renver-
sé, on ne sait où cela pourrait nous me-
ner, on accuse tout simplement le: pré-
sident de la République de méditer un
coup d'Etat contre la constitution, qui
déclare les ministres responsables. En
effet, qu'est-ce que la responsabilité mi-
nistérielle, sinon le droit absolu et per-
manent pour les majorités de changer
les ministres?
Mais, hâtons-nous de le dire, il n'est
point question de cela pour le moment,
et le Moniteur quand il énumère les
conflits en perspective, commet une pe-
tite erreur, oh ! bien petite. Elle consiste
à accuser la Chambre des conflits que
le Sénat prépare. Que vient-on nous par-
ler de conflits à la Chambre sur la pro-
position Gatineau, sur le budget des
cultes et sur les aumôniers militaires,
enfin sur les attributions des deux
Chambres ? Il ne peut y avoir de conflit
entre une majorité et un ministère,
Désaccord, oui ; mais dans ce cas, le
ministère ne saurait hésiter, son devoir
est de céder la place.
Or, le cabinet actuel n'y a jamais
songé, et il a eu raison, attendu que la
majorité n'a jamais eu l'intention de
lui faire échec. Que certains mem-
bres du cabinet soient un peu gênés de
s'appuyer aujourd'hui sur une majorité
absolument républicaine, eux qui se
sont appuyés si longtemps sur une ma-
jorité monarchique, nous le concevons
sans peine. Qu'ils cherchent même à
diviser cette majorité pour en conser-
ver certains morceaux qu'ils voudraient
joindre à d'autres et former ainsi cette
« majorité de raison » dont parle-le
Moniteur, il n'y a rien là qui nous
étonne. Mais qu'ils jettent des cris d'a-
larme parce qu'ils n'arrivent pas à leurs
fins, voilà qui nous semble légèrement
ridicule.
Quant à des conflits, s'il venait à en
éclater entre la Chambre et le Sénat sur
les questions énumérées par le Moni-
teur, que M. le duc Decazes et notre
confrère se rassurent. Depuis huit mois
que le pays assiste aux efforts de la
réaction pour entraver le fonctionne-
ment régulier des institutions républi-
caines, il sait à quoi s'en tenir. Et si le
malheur voulait que le Sénat mît en pra-
tique la théorie de M. de Broglie et s'op-
posât de parti pris à toutes les réformes
venues de la Chambre, les esprits « sin-
cérement attachés à la conception, de la
République conservatrice» n'en ressen-
tiraient nul découragement. La Répu-
blique a triomphé depuis six ans d'obs-
tables autrement redoutables ; elle triom-
phera encore ; et M. le duc Decazes fera
bien d'en prendre son parti.
E. SCHNERB.
: —
DÉCLARATION
DE L'EMPEREUR DE RUSSIE
L'agence Havas nous communique la dépê-
che suivante de St-Pétersbourg, qui nous est
confirmée en termes identiques par l'Agence
russe :
St-Pétersbourg, Il novembre.
Le Golos annonce que l'empereur a reçu
hier à Moscou les représentants des quatre
classes de la population et a prononcé à
cette occasion une allocution. L'empereur
a dit que, pendant tout son règne, il s'était
efforcé d'obtenir pour les chrétiens d'Orient
ce qu'exigeaient le droit et la justice, mais
que tous ses efforts pacifiques avaient mal-
heureusement été vains. Il a ajouté qu'une
conférence allait se réunir à Constantinople
et que la Russie y maintiendrait ses récla-
mations. « Si nos désirs ne se réalisent pas
de cette façon, a dit en terminant l'empe-
reur Alexandre, la Russie sera obligée de
recourir à la force des armes. Je compte
dans ce cas sur l'appui de mes sujets. » Le
discours de l'empereur a été accueilli par
des hourrahs enthousiastes.
_.,.
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Versailles, il novembre 1876.
Budget du Ministère des Affaires étran-
gères.
Pas un admendement ne l'escorte! C'est
un budget de l'âge, d'or. Les modifications
ont été arrêtées, comme qui dirait entre
chien et loup, dans le demi-silence des bu-
reaux. Le Ministre, la commission et la
Chambre se présentent devant le vote, tous
d'accord. Et, cependant, nous parierions
volontiers que M. le duc Decazes désire vi-
vement être plus vieux de deux heures.
M. le ministre des Affaires étrangères
n'ignore pas, en effet, qu'au sentiment de la
Chambre, tout est loin d'être pour le mieux
dans son ministère et qu'il peut se produire,
au cours de la discussion, des observations
auxquelles il n'est pas très-commode de
répondre, si diplomate qu'on soit.
Ces observations, c'est M. Antonin Proust
qui les présente. Elles portent sur le per-
sonnel qui représente la France à l'étran-
ger, sur le mode de recrutement des jeunes,
sur l'attitude politique des anciens, sur la
direction que M. le ministre pourrait im-
primer à nos agents diplomatiques, sur
une foule de choses délicates enfin. Ce à
quoi M. le duc Decazes répond tant bien que
mal, plutôt mal que bien.
M. le ministre des affaires étrangères qu'on
dit un homme très-fin, à qui certains même
reprochent d'être un peu roué, n'est pas un
homme de tribune. Ses petites habiletés de-
mandent à être dévidées tranquillement,
dans le calme du cabinet ; quand il est obli-
gé de rouler son peloton, prestement, devant
la foule, il hésite, embrouille l'écheveau et
le fil menace de casser à chaque instant.
Le voilà tout gêné, cherchant ses mots
et ne trouvant pas toujours des idées. Il
faut convenir, du reste, qu'il est diffi-
cile à un orateur de s'exprimer devant un
auditoire qu'il ne sent pas sympathique. Et
M. le duc Decazes, qui a l'œil vif, doit sai-
sir les sourires de scepticisme qui éclosent,
sur les lèvres pendant qu'il s'exprime ; en
tout cas, il a l'oreille assez fine pour ne rien
perdre du silence glacial qui accueille ses
paroles.
- La passe d'armes courtoise dure trois
quarts d'heure environ; par deux fois les ad-
versaires y rompent des lances à fer émous-
sé. C'est correct et peu bruyant. M. Anto-
nin Proust, est un membre de la gauche,
jeune, aimable, gentil garçon, un vrai gent-
leman; on ne pouvait mieux choisir pour
faire entendre convenablement au ministre
des choses convenables. Et nous estimons
que l'intention de la Chambre était de dire
à M. le duc Decazes : « Vous voyez, mon-
sieur le ministre, nous ne sommes pas
aussi ignorants qu'on veut bien représenter
les républicains, encore moins aussi vio-
lents qu'on se plaît à le faire croire. Seule-
ment, il ne faudrait pas abuser de l'igno-
rance que nous n'avons pas et de la longa-
nimité qu'on ne nous prête point. »
Il est certain que M. le duc Decazes a
compris ce langage muet.
m
« *
L'incident!
, On arrive au chapitrer; M. Madier-Mont-
jau paraît et demande la suppression du cré-
dit de 30,000 francs ouvert pour notre am-
bassade près le Vatican.
Faisons un rapide retour sur le passé.
A la suite d'un voyage en Italie, M. Ti-
rard, mis à même de juger de visu et
de auditu, la situation vraiment étrange
qui était faite à notre ministre plénipo-
tentiaire près le roi Victor-Emmanuel, par
les pélerinades qu'accueillait à bras ou-
verts notre ambassade près le Vatican, for-
mula un amendement tendant à la suppres-
sion de cette dernière. Plus tard il le re-
tira, mais seulement lorsque M. le duc De-
cazes eut élèvé notre ministre plénipoten-
tiaire près le Quirinal au rang d'ambassa-
deur. Le but politique était atteint; notre
ambassade « italienne » n'était plus la su-
bordonnée de notre ambassade « romaine. »
C'est ce vieil amendement que reprend
M. Madier-Montjau, au grand regret, di-
sons-le, des trois iquarts du parti républi-
cain.
M. Madier de Montjau est véhément de
sa nature et le sujet exige beaucoup de mé-
nagements.
L'action s'engage, et, ainsi qu'il arrive
toujours en pareille circonstance, bien des
gens y prennent part qui eussent préféré ne
pas aller au feu. Naturellement M. le duc
Decazes plaidé le maintien de l'ambas-
sade avec des arguments qui nous tou-
chent peu et qui font tressaillir M. Gam-
betta.
A son tour, le président du budget prend
la parole et rétablit la question sur son vé-
ritable terrain politique, aux applaudisse-
ments des républicains et même de M. le
duc Decazes. M. Madier-Montjau résiste,
M. Gambetta persiste. Les considérations
politiques les plus élevées sont mises en
avant de part et d'autre; la note comique
même est donnée, car M. Tristan Lambert,
qui n'entend pas malice, se jette étourdi-
ment dans le débat, et déclare, en se
frottant les mains, qu'il va voter pour « le
pontife-roi », et cela au désespoir des bona-
partistes, qui veulent bien faire les cléri-
caux à l'intérieur, à condition qu'on ne les
prendra pas au sérieux à l'extérieur.
Jusqu'alors, néanmoins, tout allait à peu
près bien, lorsque M. Keller, froissé de cer-
taines expressions de Madier-Montjau,monte
à la tribune. M. Keller est un clérical renfor-
cé, un des plus convaincus, croyons-nous,
que nous ayons jamais rencontrés dans les
assemblées délibérantes. Nous devons con-
venir toutefois que M. Keller est un de
ceux qui ont toujours su imposer le mieux
une sourdine à l'expansion de leur foi.
L'acte qu'il a commis aujourd'hui ne fait
que mieux ressortir les sentiments qui cou-
vent sous le cléricalisme.
Sous prétexte de protestations, il affirme
que le parti ultramontain de France n'a pas
soufflé mot depuis cinq ans, par patriotisme;
et pour en donner la preuve sans doute, il
dévide un chapelet de griefs.
« Nous n'avons rien dit au moment où.
nous n'avons rien dit lorsque. Nous nous
sommes même tus quand l'Italie choisissait
dernièrement, pour se faire représenter en
France, un homme dont les fâcheux sou-
venirs sé rattachent. »
La parole est coupée à l'orateur par un
haro terrible de toutes les gauches réunies.
— A l'ordre ! à l'ordre ! vocifèrent trois
cent cinquante voix.
Ici nous demandons la permission d'ou-
vrir une courte parenthèse. Ces cléricaux
seraient-ils inconscients de la politique de'
perdition qu'ils suivent? En voilà un, M.
Keller, certainement un des plus sages par-
mi les sensés, qui, au moment même où il
déclare que l'attitude de son parti a été toute
de silence et de résignation, se donneun dé-
menti éclatant en laissant échapper une dès
énormités les plus renversantes qui puis-
sent être lancées à une tribune française.
L'agitation est immense. M. Rameau, qui
préside, n'est pas habitué à ces scènes tu-
multueuses, et ne sait quel parti prendre.
Les bonapartistes, plongés dans l'ahurisse-
ment le plus complet, cherchent une atti-
tude. Debout, au banc des ministres, M.
le duc Decazes attend la fin du tumulte pour
protester.
Il proteste, mais en diplomate, c'est-à-
dire en homme qui, peut-être très-fort dans
son cabinet, ne sait pas manier une as-
semblée. Il se perd tout d'abord dans un
éloge du pape qui a prié pour la France
pendant que tout le monde nous abandon-
nait; il se décide enfin à s'élever contre
l'outrage adressé au représentant d'une
puissance amie, « outrage contre lequel la
Chambre entière doit protester. » Et, cette
fois, le parti républicain ne lui ménage pas
les bravos.
Mais M. le duc Decazes, nous le répétons,
n'est pas l'homme de ces sortes d'improvi-
sations. Il faut une voix plus chaude, plus
vibrante, pour porter au-delà des monts la
protestation de la France libérale. M. Gam-
betta s'élance à la tribune.
Il y est resté cinq minutes. Nous ne
croyons pas que ses adversaires les plus
obstinés osent lui contredire le grand,
l'immense succès au.'il a obtenu.
Jamais son talent oratoire n'a trouvé d'ex-
pressions plus entraînantes et d'échos plus
retentissants. L'éloge du général Cialdini,
ce cœur essentiellement français, qui seul,
en plein Sénat italien, eut le courage de ré-
clamer aide pour la France, est enlevé
d'une façon magnifique. Ce sont des roule-
lements d'applaudissements, de trépigne-
ments, de hurrahs, qui courent par tous les
bancs du parti républicain, renaissant, se
répercutant, enthousiastes.
Le général Cialdini a manqué là une
grande fête : il eût certainement éprouvé
une de ces grandes émotions de bonheur
qui envahissent l'âme, qui la noyent pour
ainsi dire dans le plaisir, une de ces émo-
tions qu'il est donné à peu d'hommes d'é-
prouver dans leur vie.
Et M. Gambetta termine par ces mots :
« Quand nous votons ce crédit, nous le
votons pour la France et non pour les ul-
tramontains. » On se faisait petit, petit à
droite.
C'est à croire vraiment que la réaction
crée des incidents exprès pour M. Gam-
betta. Elle s'assignerait comme tâche de le
grandir à l'intérieur et de le poser enhomme
de gouvernement à l'extérieur qu'elle n'ar-
riverait pas à faire mieux qu'elle ne fait
par simple méchanceté. Peut-être aussi le
talent de l'homme est-il bien aussi pour
quelque chose dans cette fortune constante.
A quatre heures et demie, le budget du
ministère des affaires étrangères était ter-
miné. Sans flâner une seconde, M. le duc
Decazes, poussant un immense soupir de
soulagement, ramassait ses papiers et dis-
paraissait.
Sauvé! Merci, mon Dieu!
PAUL LAFARGUE.
Échos fie la Chambre
Le centre gauche de la Chambre des députés
s'est réuni hier, à une heure, à Versailles,
sous la présidence de M. Henri Germain.
Cinquante membres environ assistaient à
cette réunion.
Il a été tout d'abord décidé à l'unanimité
que les pouvoirs du bureau actuel seraient pro-
rogés jusqu'au commencement de la session
de 1877.
Un échange d'observations a eu lieu ensuite
au sujet de l'élection de l'arrondissement d'A-
vignon ; mais aucune résolution n'a été prise,
les documents relatifs à cette élection n'ayant
pu être encore examinés par tous les membres
de la réunion.
Le centre gauche s'est occupé, en dernier
lieu, de certaines questions relatives au bud-
get des cultes et au budget du ministère de la
justice.
MM. Henri Germain, Houyvet, Victor Le-
franc, Robert de Massy, Savary, Brasme, Beau-
sire ont successivement pris la parole.
Le centre gauche, qui se réunira lundi
prochain, délibérera de nouveau .sur ces ques-
tions.
*•
* *
Le groupe des députés de l'extrême gauche
s'était également réuni avant la séance.
Il a été décidé dans cette réunion que M. Ma-
dier de Montjau reprendrait, au nom de ce
groupe, l'amendement de M. Tirard, relatif à
la suppression de l'ambassadeur près du Saint-
Siège.
On a vu, au compte-rendu de la séance, que
cet amendement a été repoussé par la Cham-
bre.
*
* *
La sous-commission chargée d'examiner le
dossier de l'élection de Pontivya entendu hier
une longue déposition de M. le docteur Le
Maguet.
Aucune décision n'a cependant été prise par
la sous-commission.
*
* *
La commission dn budget a entendu, dans
sa séance d'hier, M. Pierret, directeur géné-
ral des lignes télégraphiques.
Il a été décidé que M. le ministre des finan-
ces, d'accord avec la direction des télégraphes,
présenterait prochainement un projet de loi
révisant les tarifs actuels.
*
* *
On annonçait, au début de la séance d'hier,
que plusieurs députés de la gauche, surpris de
ne pas avoir encore vu à l'Officiel la démission
ou la révocation de M. Benoist-d'Azy, le héros
de la séance de jeudi, se proposaient d'inter-
peller à ce sujet M. le ministre de la marine.
Sur la demande d'un grand nombre de leurs
collègues, qui espèrent que cette retraite, una-
nimement attendue.ne peut tardera seproduire,
les aufeurs de l'interpellation se sont décidés
à la remettre à lundi.
On pense généralement que M. Benoist-
d'Azy, si désireux qu'il soit de conserver sa
haute situation, aura cependant l'esprit de
s'éviter une seconde édition de la séance de
jeudi.
EMMANUEL ARÈNE.
NOTRE CIVILISATION
C'était fête, lundi dernier, à Saint-
Brice, joli petit pays qui n'est guère
distant de Provins, la patrie des roses,
que de douze à quinze cents mètres.
On y célébrait le mariage d'un brave
garçon, nommé Chapotot, fils du garde
champêtre, avec une demoiselle Prieur,
qui appartient à la famille d'un honnête
petit cultivateur de la commune.
Tous les invités étaient déjà réunis à
la maison de la mariée, qui mettait la
dernière main à sa toilette, et posait sur
son front la symbolique fleur d'oran-
ger, quand débouchait sur la place le
substitut de M. le procureur de la Ré-
publique, avec le lieutenant de gendar-
merie, un médecin et une sage-femme.
Ces graves et redoutables personnages
entrent dans la maison ; et vous imagi-
nez aisément l'émoi des invités, la cons-
ternation des deux familles. — Qu'y a-
t-il ? Que nous veut-on ?
Ce qu'on leur voulait, M. le substitut
l'explique aux parents assemblés : une
lettre anonyme avait dénoncé la jeune
fille, qui allait se rendre à l'autel. L'ac-
cusation était terrible : la malheureuse
était signalée au parquet comme coupa-
ble d'avoir été mère et d'avoir supprimé
son enfant.
Nous autres, gens de peu, quand
nous recevons une lettre sans signatu-
re, nous la jetons simplement au- feu.
Nous tenons qu'une lettre anonyme ne
saurait être qu'une bassesse et une ca-
lomnie ; nous sommes de l'avis de
Calino, qui disait judicieusement: Je ne
lis les lettres anonymes que lorsqu'elles
sont signées.
Les magistrats du parquet sont payés
pour avoir de la méfiance. Ils sont si
habitués à voir le mal partout que l'in-
dice le plus léger suffit pour les met-
tre en campagne. Celui de Provins
est sans doute un jeune homme; il
vit là une belle occasion de montrer son
zèle ; il crut bon de la saisir aux che-
veux, et sans autre informé, il se rendit
sur les lieux en grand appareil de jus-
tice,
A peine eut-il exposé le cas qu'il s'é-
leva de toutes parts un concert de pro-
testations indignées : la jeune fille,
qu'un abominable calomniateur avait
ainsi dénoncée, était connue dans tout
le pays pour sa sagesse; il n'y avait pas
un mot à dire sur son compte. Tous à
l'envi se portaient garants de sa vertu.
Vous pensez bien que ces témoigna-
ges n'ébranlèrent point la conviction
du petit jeune homme de la justice. Il
donna ordre que l'on procédât aux
constatations légales. La jeune épousée
dut s'y soumettre. Non-seulement elle
fut visitée par une sage-femme, mais
comme cette sage-femme l'avait recon-
nue innocente, il lui fallut subir l'exa-
men de M. le docteur Chevalier, con-
traint et forcé, qui avait d'abord refusé
de faire cette triste besogne. La pauvre
eufant sortit, victorieuse de cette double
épreuve.
Le jeune substitut s'en retourna bre-
douille, suivi du lieutenant de gendar-
merie, du médecin et delà sage-femme.
La joie que leur présence avait sus-
pendue reprit à leur départ, et la noce
se termina sans autre encombre, et
nous devons croire que le marié fut très
heureux d'avoir mis la main sur une
vertu déclarée authentique par autorité
de justice.
Honnêtes gens de tout pays, que
vous semble du procédé de ce jeune
magistrat !
Est-ce que vous le trouvez sage et
décent ?
Eh quoi ! il n'y avait pas de moyens
plus doux pour s'assurer de la chose?
Ne pouvait-on se livrer d'abord il une
enquête secrète sur un point aussi déli-
cat? Quelle que soit l'attention que les
parquets aient coutume d'accorder à des
renseignements aussi suspects que le
sont les -lettres anonymes, n'aurait-on
pas dû, avant de faire un si fâcheux
éclat, prendre quelques informations
préalables ? Les témoignages des prin-
cipaux habitants, discrètement mandés
et interrogés, aurait suffi à mettre à
néant des accusations lâches.
Et à supposer que l'on eût été réduit
à cette cruelle extrémité d'interroger la
jeune fille elle-même, de la soumettre à
un examen médical, était-il nécessaire
d'afficher par avance un déshonneur
dont on n'était pas sûr ? Il était si facile
au juge d'instruction de la faire venir
dans son cabinet, de causer avec elle.
de démêler la vérité à travers ses lar-
mes! A quoi bon ce déploiement de gen-
darmerie ? pourquoi venir, en troupe,
au milieu d'une noce, en face du pays
assemblé ? Il n'y manquait en vérité que
le tambour de ville!
Et si par hasard, ou le père de la ma-
riée, ou le frère, ou le fiancé eussent
été de mauvaises têtes ? il y en a de
telles au village. Supposez qu'emporté
par la colère et la douleur, un d'eux
eût malmené la justice dans la per-
sonne de son jeune représentant, qu'une
mêlée s'en fût suivie : quelle affaire !
Il est évident que force fût restée à la
loi ; mais avouez que la loi eût été com-
promise dans une pitoyable aventure.
Une autre hypothèse était encore pos-
sible. Il pouvait arriver que le fiancé
ne se souciant plus d'une femme com-
promise par des bruits si étranges,
rompît le mariage près de se conclure
et reprît sa parole. Il en avait le droit,
après un tel.scandale.
Tout est bien qui finit bien. Mais l'a-
venture a-t-elle aussi bien fini que le
croit M. le substitut ? croit-il que cette
monstrueuse étourderie n'ait pas
chez les braves gens qui en ont été les
victimes ou les témoins, gâté quelque
peu l'idée qu'ils se font de l'impeccable
justieé ? Elle a fait un pas de clerc, la
justice, et ce qu'il y a de pis, un pas de
clerc sans excuse.
Ce n'est là qu'un petit fait, je le sais
bien, et je ne veux pas lui donner plus
d'importance qu'il n'en mérite. Il me
parait cependant propre à servir d'a-
vertissement. Les magistrats du par-
quet, surtout lorsqu'ils sont jeunes et
pressés de parvenir, ont un secret pen-
chant à trouver des criminels, et comme
ils sont irresponsables ; ils usent avec
peu de modération des moyens que la
loi leur met aux mains pour les décou-
vrir. Leurs fonctions demandent beau-
coup de réserve et de tact. Il arrive à
quelques-uns d'y apporter trop de pré-
cipitation et de raideur,
On me dira que le jeune substitut du
pays des roses pouvait tout simplement
lancer contre la fiancée un mandat d'a-
mener, la tenir quinze jours en prison,
et ne la renvoyer qu'au bout de ce
temps à son père, innocentée et flétrie;
qu'il a donc usé de beaucoup de ména-
gements. A la bonne heure, et ce rai-
sonnement rappelle celui que le loup
faisait à la cigogne :
Quoi! n'est-ce pas encor beaucoup
D'avoir de mon gosier retiré votre cou ?
Il est vrai qu'avec-ces messieurs on
ne s'en tire pas toujours à si bon
compte.
FRANCISQUE SARCEY.
P. S. Le substitut qui s'est illustré
par cette glorieuse campagne se nomme
Bonne ville de Marsangy.
- -0-
Le ministère de l'intérieur a communi-
qué aux journaux la note suivante :
Le conseil des ministres se réunit demain à
une heure à Versailles.
Dans sa séance d'hier, le conseil des minis-
tres a approuvé, à l'unanimité, la lettre de
M. Léon Say à M. le président du Sénat. Cette
lettre fixe uniquement le mode de transmis-
sion des lois de finances au Sénat pour arriver
à une prompte expédition des affaires. Mais
elle ne préjuge en rien les décisions du glJu-
vernement * sur la question des droits du Sénat
en matière de rétablissement de crédits refu-
sés par la Chambre des députés.
La question reste entière, et le Sénat aura
à la trancher de concert avec la Chambre des
députés, le gouvernement n'ayant jamais eu
l'intention d'exercer une pression à ce sujet
sur l'une ou l'autre Assemblée.
* ——————————
Nouvelles d'Orient
Londres, 10 novembre, s.
La Gazette (officielle), dans un supplément,
publie une longue dépêche adressée Je 30 octo-
bre par lord Derby à lord Loftus, ambassadeur
d'Angleterre à Saint-Pélersbourg.
Cette dépêche confirme qu'une proposition
a été faite de faire occuper la Bosnie et l'Her-
zégovine par l'Autriche, et la Bulgarie par la
Russie, et d'envoyer les flottes de l'Europe à
Constantinople. Cette proposition, émanée de
la Russie, a été communiquée simultanément
à Vienne et a Londres.
Conslantinople, 10 novembre, s.
Deux monitors ont été envoyés pour renfor-
cer la flottille du Danube.
Belgrade, 10 novembre.
Le gouvernement serbe a informé les repré-
sentants des grandes puissances que les Turcs,
Prix du Numéro à Paris : 15 Centimes - Départements : 20 Centimes
Lundi 13 Novembre 1876
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION.
S'adressèr att Secrétaire de la Rédaction.
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Les Lettres non affranchies seront refusées.
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ANNONCES: Chez MM. LAGRANGE, CERR et Cie
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Un an. iiii »
AHHOKCESI Chez MM. LAGRANGE, CERF et Cie
0} place de la tt ourse y 6
Nous publierons en feuilleton, à
partir de mercredi matin:
Stépane Makariew
; .;', , PAR
Henry G-R, 1E VI !< Ij E
- MM. les Souscripteur. dont
l'abonnement expire le ità ilo-
vemlbre pTiéa de 16 renou-
veler littMédlatcBieB^ s'ils ne
veulent point éprouve? de re-
tard dan* la réeeption -du Jour-
nal. --- - .,.,' , ,- -
BULLETIN
, .; , f., .: -
Paris, 12 novembre 1876.
La Chambre des députés, dans sa séance
d'hier, a voté le budget du ministère des
affaires étrangères -
Le moment des déclarations importantes
semble être arrivé. Hier, nous avions à ana-
lyser l'important discours, dans lequel le
comte Beaconsfield a essayé .-de noyer sous
des flots d'éloquence la véritable pensée du
cabinet de St-James, et a laissé percer quel-
ques-unes des appréhensions que lui cause
ravenir.
Aujourd'hui nous avons à enregistrer
une déclaration fort nette de l'empereur de
Russie,, déclaration qui n'est guère de na-
ture à calmer les inquiétudes qu'a pu éveil-
ler le discours du ministre anglais. On sait
que l'empereur de Russie, en se rendant de
Livadia â Saint-Pétersbourg, s'est arrêté à
Moscou, où il doit séjourner quelques jours.
On sait aussi que la municipalité delà vieille
capitale de la Russie s'est chargée de pré-
senter au souverain les vœux de la popula-
tion et. qu'elle avait préparé une adresse"
destinée à être remise au czar. L'empereur
a reçu les représentants de la ville et a ré-
pondu à. leur adresse par un discours dont
l'Agence russe, organe officiel de la chan-
cellerierusse, nous communique le résumé.
D'après l'agence,l'empereur Alexandre a
déclaré que, durant tout son règne, il a cher-
ché à obtenir une amélioration du sort des
chrétiens de Turquie, que jusqu'ici ses ef-
forts n'ont abouti à rien, mais qu'une confé-
rence va se réunir à Constantinople, que la
Russie y fera valoir ses demandes et que si
elle ne sont pas acceptées, la Russie devra,
contre soit gré, prendre les armes ; qu'alors
l'empereur compterait sur l'appui de la na-
tion. Ces paroles, ajoute l'agence russe, ont
reçu. un accueil enthousiaste.
Nous n'avons pas à douter des renseigne-
ments que nous donne l'agence russe. Elle
a été installée il y a quelques mois à Paris,,
.à Berlin et à Vienne, pour communiquer à
la presse les vues de la chancellerie russe ;
elle est donc, comme nous le disions plus
haut, un organe officiel. On ne saurait donc
s'exagérer l'importance des paroles qu'elle
met dans la bouche de l'empereur Alexan-
dre, car elles constituent un véritable ulti-
matum adressé à l'Europe. :'
Lord Beaconsfield était-il prévenu par ses
agents de la déclaration que devait faire
l'empereur de Russie, et est-ce à cela qu'il
faut attribuer la fière assertion, qui termine
son discours, au sujet des ressources mili-
taires de lAngleterre
, '--'--'- 4»
Bourse de Paris
Clôture le 10 nov. lellnov. Hausse Baisse
» O/O
Comptant.. 71 80 71 45 35
Fin cour 71871/2 71521/2 35.
4 1/2 O/O •
Comptant. , 100 80 100 50 30
5 O/O
Comptant.. 105 30 105 f 30
Fin cour 105 25 1C4 97 1/2 27 1/2
PETITE BOURSE DU SOIR
Emprunt 3-0/0. 71 fr. 40, 21 1/2,
Emprunt 5 0/0. 104 fr. 90, 67 1/2, 68 3/4.
5 0/0 turc 11 fr. 20, Î5;
Banque Ottomane.. 372 fr. 50, 373 75.
Egyptien 240 fr., 237 50, 238 75.
— -«fe" ; :
Les journaux de droite mènent grand
bruit au sujet d'un article publié par le
Moniteur sur la situation politique. Ils
affectent de le considérer comme d'ori-
gine ministérielle, ce qui leur permet
de triompher d'autant plus bruyam-
ment, car l'article du Moniteur n'est
autre chose qu'un cri d'alarme: « La
République conservatrice est un dan-
ger; républicains, prenez gardeà vous! »
Ce n'est point d'aujourd'hui que le
journal de M. Dalloz cherche à se faire
passer pour l'organe officieux du minis-
tère ; mais nous l'en prévenons, ii n'y
réussit qu'auprès de ceux qui ont intérêt
à le croire. Le cabinet n'a point d'organe
officieux par l'excellente raison qu'il est
fort loin, hélas! d'être homogène, et que
pour connaître exactement la pensée de
chacun des ministres, il faut parcourir
toute une série de journaux qui com-
mence au Moniteur et va jusqu'au
Français et même au-delà. Ce qu'on
peut chercher, et ce qu'on trouve en
effet quelquefois dans le Moniteur, c'est
la pensée du ministre des affaires étran-
gères; mettons donc, si l'on veut, que
l'article en question reflète les idées de
M. le duc Decazes. Cela lui enlèvera sans
doute fort peu -de son importance, mais
beaucoup de la gravité que feignent de
lui attribuer les adversaires de nos ins-
titutions,
Cette réserve faite, nous nous per-
mettrons de faire observer au Moniteur
que s'il est du nombre de ces décou-
ragés dont il parle, que s'il sent déjà
faiblir sa confiance dans la République,
c'est qu'en vérité il n'a jamais eu la foi
bien robuste. Mais laissons lui la parole
pour qu'il énumère lui-même les motifs
de son découragement.
«Le ministère avait fait tous ses efforts jus-
qu'ici pour se créer une majorité de raison
dans les rangs des républicains de la Chambre
des députés. A cette satisfaction il a tout sacri-
fié depuis huit mois. Aujourd'hui il esta la
veille de la perdre, car les conflits, de ce côté,
se multiplient sur une foule de questions, et le
moment n'est pas éloigné où il faudra les por-
ter à la tribune et leur donner devant le pays
une existence pour ainsi dire officielle : conflit
sur la proposition de loi Gatineau; conflit sur
le budget des cultes et sur les aumôniers mi-
litaires ; conflit enfin sur les attributions des
deux Chambres en matière de finances. Telles
sont les perspectives du moment, que bien
d'autres faits viennent encore assombrir. »
Voilà qui est tout à fait nouveau en
matière de parlementarisme, Jusqu'ici,
nous nous étions imaginé que sous un
régime de libre contrôle et, conséquem-
ment, de responsabilité ministérielle,
c'était aux majorités qu'il appartenait
de créer les ministères et non aux mi-
nistères de créer les majorités. Il paraît
que nous nous trompions; les néo-ré-
publicains de la nuance de M. le duc
Decazes et du Moniteur ont changé tout
cela. A présent les rôles sont renver-
sées, et par suite, ce ne sont plus les
ministres qui sont responsables, mais
bien les majorités. En doutez-vous ?
Ecoutez encore le Mom teur :
Dans l'état actuel des esprits, nous le répé-
tons, la volonté bien ferme et bien arrêtée du
cabinet n'est pas de chercher dans la majorité
du Sénat un appui pour s'isoler de la Chambre
des députés. Le cabinet veut gouverner avec
les deux Assemblées qui composent le Parle-
ment, parce que la constitution écrite et l'in-
térêt bien entendu du régime l'exigent. Mai s
après le cabinet qui est aujourd'hui aux affaires
et qui pourrait être amené demain à les quit-
ter, que les républicains en soient bien convain-
cus, nous entrerions dans une voie au bout de
laquelle personne ne sait ce qu'il y aurait.
Allons! allons! La caque. nous vou-
lons dire l'ordre moral sent toujours
son fruit, et M. le duc Decazes n'a pas
encore pu dépouiller le vieil homme.
C'est ainsi que l'on procédait du témps
des Broglie et des Buffet. Chaque fois
que les gauches faisaient mine de bou-
ger, toute la presse en livrée entonnait
le même refrain : Prenez garde ! on sait
qui l'on quitte, on ne sait pas qui l'on
prend ; vous pourriez bien changer un
cheval borgne contre un aveugle. etc.
C'est à l'aide de ces apophtegmes com-
minatoires que les ministres de l'ordre
moral, jusques et y compris M. Buffet,
ont défendu leurs portefeuilles.
Ils faisaient ainsi l'injure "là plus grave
au maréchal de Mac-Mahon, puisqu'ils
essayaient de faire croire qu'il se révol-
terait, le cas échéant, contre la vo-
lonté souveraine de l'Assemblée. Au-
jourd'hui, c'est bien pis; quand on
se permet de donner à entendre que si
le ministère actuel venait à être renver-
sé, on ne sait où cela pourrait nous me-
ner, on accuse tout simplement le: pré-
sident de la République de méditer un
coup d'Etat contre la constitution, qui
déclare les ministres responsables. En
effet, qu'est-ce que la responsabilité mi-
nistérielle, sinon le droit absolu et per-
manent pour les majorités de changer
les ministres?
Mais, hâtons-nous de le dire, il n'est
point question de cela pour le moment,
et le Moniteur quand il énumère les
conflits en perspective, commet une pe-
tite erreur, oh ! bien petite. Elle consiste
à accuser la Chambre des conflits que
le Sénat prépare. Que vient-on nous par-
ler de conflits à la Chambre sur la pro-
position Gatineau, sur le budget des
cultes et sur les aumôniers militaires,
enfin sur les attributions des deux
Chambres ? Il ne peut y avoir de conflit
entre une majorité et un ministère,
Désaccord, oui ; mais dans ce cas, le
ministère ne saurait hésiter, son devoir
est de céder la place.
Or, le cabinet actuel n'y a jamais
songé, et il a eu raison, attendu que la
majorité n'a jamais eu l'intention de
lui faire échec. Que certains mem-
bres du cabinet soient un peu gênés de
s'appuyer aujourd'hui sur une majorité
absolument républicaine, eux qui se
sont appuyés si longtemps sur une ma-
jorité monarchique, nous le concevons
sans peine. Qu'ils cherchent même à
diviser cette majorité pour en conser-
ver certains morceaux qu'ils voudraient
joindre à d'autres et former ainsi cette
« majorité de raison » dont parle-le
Moniteur, il n'y a rien là qui nous
étonne. Mais qu'ils jettent des cris d'a-
larme parce qu'ils n'arrivent pas à leurs
fins, voilà qui nous semble légèrement
ridicule.
Quant à des conflits, s'il venait à en
éclater entre la Chambre et le Sénat sur
les questions énumérées par le Moni-
teur, que M. le duc Decazes et notre
confrère se rassurent. Depuis huit mois
que le pays assiste aux efforts de la
réaction pour entraver le fonctionne-
ment régulier des institutions républi-
caines, il sait à quoi s'en tenir. Et si le
malheur voulait que le Sénat mît en pra-
tique la théorie de M. de Broglie et s'op-
posât de parti pris à toutes les réformes
venues de la Chambre, les esprits « sin-
cérement attachés à la conception, de la
République conservatrice» n'en ressen-
tiraient nul découragement. La Répu-
blique a triomphé depuis six ans d'obs-
tables autrement redoutables ; elle triom-
phera encore ; et M. le duc Decazes fera
bien d'en prendre son parti.
E. SCHNERB.
: —
DÉCLARATION
DE L'EMPEREUR DE RUSSIE
L'agence Havas nous communique la dépê-
che suivante de St-Pétersbourg, qui nous est
confirmée en termes identiques par l'Agence
russe :
St-Pétersbourg, Il novembre.
Le Golos annonce que l'empereur a reçu
hier à Moscou les représentants des quatre
classes de la population et a prononcé à
cette occasion une allocution. L'empereur
a dit que, pendant tout son règne, il s'était
efforcé d'obtenir pour les chrétiens d'Orient
ce qu'exigeaient le droit et la justice, mais
que tous ses efforts pacifiques avaient mal-
heureusement été vains. Il a ajouté qu'une
conférence allait se réunir à Constantinople
et que la Russie y maintiendrait ses récla-
mations. « Si nos désirs ne se réalisent pas
de cette façon, a dit en terminant l'empe-
reur Alexandre, la Russie sera obligée de
recourir à la force des armes. Je compte
dans ce cas sur l'appui de mes sujets. » Le
discours de l'empereur a été accueilli par
des hourrahs enthousiastes.
_.,.
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Versailles, il novembre 1876.
Budget du Ministère des Affaires étran-
gères.
Pas un admendement ne l'escorte! C'est
un budget de l'âge, d'or. Les modifications
ont été arrêtées, comme qui dirait entre
chien et loup, dans le demi-silence des bu-
reaux. Le Ministre, la commission et la
Chambre se présentent devant le vote, tous
d'accord. Et, cependant, nous parierions
volontiers que M. le duc Decazes désire vi-
vement être plus vieux de deux heures.
M. le ministre des Affaires étrangères
n'ignore pas, en effet, qu'au sentiment de la
Chambre, tout est loin d'être pour le mieux
dans son ministère et qu'il peut se produire,
au cours de la discussion, des observations
auxquelles il n'est pas très-commode de
répondre, si diplomate qu'on soit.
Ces observations, c'est M. Antonin Proust
qui les présente. Elles portent sur le per-
sonnel qui représente la France à l'étran-
ger, sur le mode de recrutement des jeunes,
sur l'attitude politique des anciens, sur la
direction que M. le ministre pourrait im-
primer à nos agents diplomatiques, sur
une foule de choses délicates enfin. Ce à
quoi M. le duc Decazes répond tant bien que
mal, plutôt mal que bien.
M. le ministre des affaires étrangères qu'on
dit un homme très-fin, à qui certains même
reprochent d'être un peu roué, n'est pas un
homme de tribune. Ses petites habiletés de-
mandent à être dévidées tranquillement,
dans le calme du cabinet ; quand il est obli-
gé de rouler son peloton, prestement, devant
la foule, il hésite, embrouille l'écheveau et
le fil menace de casser à chaque instant.
Le voilà tout gêné, cherchant ses mots
et ne trouvant pas toujours des idées. Il
faut convenir, du reste, qu'il est diffi-
cile à un orateur de s'exprimer devant un
auditoire qu'il ne sent pas sympathique. Et
M. le duc Decazes, qui a l'œil vif, doit sai-
sir les sourires de scepticisme qui éclosent,
sur les lèvres pendant qu'il s'exprime ; en
tout cas, il a l'oreille assez fine pour ne rien
perdre du silence glacial qui accueille ses
paroles.
- La passe d'armes courtoise dure trois
quarts d'heure environ; par deux fois les ad-
versaires y rompent des lances à fer émous-
sé. C'est correct et peu bruyant. M. Anto-
nin Proust, est un membre de la gauche,
jeune, aimable, gentil garçon, un vrai gent-
leman; on ne pouvait mieux choisir pour
faire entendre convenablement au ministre
des choses convenables. Et nous estimons
que l'intention de la Chambre était de dire
à M. le duc Decazes : « Vous voyez, mon-
sieur le ministre, nous ne sommes pas
aussi ignorants qu'on veut bien représenter
les républicains, encore moins aussi vio-
lents qu'on se plaît à le faire croire. Seule-
ment, il ne faudrait pas abuser de l'igno-
rance que nous n'avons pas et de la longa-
nimité qu'on ne nous prête point. »
Il est certain que M. le duc Decazes a
compris ce langage muet.
m
« *
L'incident!
, On arrive au chapitrer; M. Madier-Mont-
jau paraît et demande la suppression du cré-
dit de 30,000 francs ouvert pour notre am-
bassade près le Vatican.
Faisons un rapide retour sur le passé.
A la suite d'un voyage en Italie, M. Ti-
rard, mis à même de juger de visu et
de auditu, la situation vraiment étrange
qui était faite à notre ministre plénipo-
tentiaire près le roi Victor-Emmanuel, par
les pélerinades qu'accueillait à bras ou-
verts notre ambassade près le Vatican, for-
mula un amendement tendant à la suppres-
sion de cette dernière. Plus tard il le re-
tira, mais seulement lorsque M. le duc De-
cazes eut élèvé notre ministre plénipoten-
tiaire près le Quirinal au rang d'ambassa-
deur. Le but politique était atteint; notre
ambassade « italienne » n'était plus la su-
bordonnée de notre ambassade « romaine. »
C'est ce vieil amendement que reprend
M. Madier-Montjau, au grand regret, di-
sons-le, des trois iquarts du parti républi-
cain.
M. Madier de Montjau est véhément de
sa nature et le sujet exige beaucoup de mé-
nagements.
L'action s'engage, et, ainsi qu'il arrive
toujours en pareille circonstance, bien des
gens y prennent part qui eussent préféré ne
pas aller au feu. Naturellement M. le duc
Decazes plaidé le maintien de l'ambas-
sade avec des arguments qui nous tou-
chent peu et qui font tressaillir M. Gam-
betta.
A son tour, le président du budget prend
la parole et rétablit la question sur son vé-
ritable terrain politique, aux applaudisse-
ments des républicains et même de M. le
duc Decazes. M. Madier-Montjau résiste,
M. Gambetta persiste. Les considérations
politiques les plus élevées sont mises en
avant de part et d'autre; la note comique
même est donnée, car M. Tristan Lambert,
qui n'entend pas malice, se jette étourdi-
ment dans le débat, et déclare, en se
frottant les mains, qu'il va voter pour « le
pontife-roi », et cela au désespoir des bona-
partistes, qui veulent bien faire les cléri-
caux à l'intérieur, à condition qu'on ne les
prendra pas au sérieux à l'extérieur.
Jusqu'alors, néanmoins, tout allait à peu
près bien, lorsque M. Keller, froissé de cer-
taines expressions de Madier-Montjau,monte
à la tribune. M. Keller est un clérical renfor-
cé, un des plus convaincus, croyons-nous,
que nous ayons jamais rencontrés dans les
assemblées délibérantes. Nous devons con-
venir toutefois que M. Keller est un de
ceux qui ont toujours su imposer le mieux
une sourdine à l'expansion de leur foi.
L'acte qu'il a commis aujourd'hui ne fait
que mieux ressortir les sentiments qui cou-
vent sous le cléricalisme.
Sous prétexte de protestations, il affirme
que le parti ultramontain de France n'a pas
soufflé mot depuis cinq ans, par patriotisme;
et pour en donner la preuve sans doute, il
dévide un chapelet de griefs.
« Nous n'avons rien dit au moment où.
nous n'avons rien dit lorsque. Nous nous
sommes même tus quand l'Italie choisissait
dernièrement, pour se faire représenter en
France, un homme dont les fâcheux sou-
venirs sé rattachent. »
La parole est coupée à l'orateur par un
haro terrible de toutes les gauches réunies.
— A l'ordre ! à l'ordre ! vocifèrent trois
cent cinquante voix.
Ici nous demandons la permission d'ou-
vrir une courte parenthèse. Ces cléricaux
seraient-ils inconscients de la politique de'
perdition qu'ils suivent? En voilà un, M.
Keller, certainement un des plus sages par-
mi les sensés, qui, au moment même où il
déclare que l'attitude de son parti a été toute
de silence et de résignation, se donneun dé-
menti éclatant en laissant échapper une dès
énormités les plus renversantes qui puis-
sent être lancées à une tribune française.
L'agitation est immense. M. Rameau, qui
préside, n'est pas habitué à ces scènes tu-
multueuses, et ne sait quel parti prendre.
Les bonapartistes, plongés dans l'ahurisse-
ment le plus complet, cherchent une atti-
tude. Debout, au banc des ministres, M.
le duc Decazes attend la fin du tumulte pour
protester.
Il proteste, mais en diplomate, c'est-à-
dire en homme qui, peut-être très-fort dans
son cabinet, ne sait pas manier une as-
semblée. Il se perd tout d'abord dans un
éloge du pape qui a prié pour la France
pendant que tout le monde nous abandon-
nait; il se décide enfin à s'élever contre
l'outrage adressé au représentant d'une
puissance amie, « outrage contre lequel la
Chambre entière doit protester. » Et, cette
fois, le parti républicain ne lui ménage pas
les bravos.
Mais M. le duc Decazes, nous le répétons,
n'est pas l'homme de ces sortes d'improvi-
sations. Il faut une voix plus chaude, plus
vibrante, pour porter au-delà des monts la
protestation de la France libérale. M. Gam-
betta s'élance à la tribune.
Il y est resté cinq minutes. Nous ne
croyons pas que ses adversaires les plus
obstinés osent lui contredire le grand,
l'immense succès au.'il a obtenu.
Jamais son talent oratoire n'a trouvé d'ex-
pressions plus entraînantes et d'échos plus
retentissants. L'éloge du général Cialdini,
ce cœur essentiellement français, qui seul,
en plein Sénat italien, eut le courage de ré-
clamer aide pour la France, est enlevé
d'une façon magnifique. Ce sont des roule-
lements d'applaudissements, de trépigne-
ments, de hurrahs, qui courent par tous les
bancs du parti républicain, renaissant, se
répercutant, enthousiastes.
Le général Cialdini a manqué là une
grande fête : il eût certainement éprouvé
une de ces grandes émotions de bonheur
qui envahissent l'âme, qui la noyent pour
ainsi dire dans le plaisir, une de ces émo-
tions qu'il est donné à peu d'hommes d'é-
prouver dans leur vie.
Et M. Gambetta termine par ces mots :
« Quand nous votons ce crédit, nous le
votons pour la France et non pour les ul-
tramontains. » On se faisait petit, petit à
droite.
C'est à croire vraiment que la réaction
crée des incidents exprès pour M. Gam-
betta. Elle s'assignerait comme tâche de le
grandir à l'intérieur et de le poser enhomme
de gouvernement à l'extérieur qu'elle n'ar-
riverait pas à faire mieux qu'elle ne fait
par simple méchanceté. Peut-être aussi le
talent de l'homme est-il bien aussi pour
quelque chose dans cette fortune constante.
A quatre heures et demie, le budget du
ministère des affaires étrangères était ter-
miné. Sans flâner une seconde, M. le duc
Decazes, poussant un immense soupir de
soulagement, ramassait ses papiers et dis-
paraissait.
Sauvé! Merci, mon Dieu!
PAUL LAFARGUE.
Échos fie la Chambre
Le centre gauche de la Chambre des députés
s'est réuni hier, à une heure, à Versailles,
sous la présidence de M. Henri Germain.
Cinquante membres environ assistaient à
cette réunion.
Il a été tout d'abord décidé à l'unanimité
que les pouvoirs du bureau actuel seraient pro-
rogés jusqu'au commencement de la session
de 1877.
Un échange d'observations a eu lieu ensuite
au sujet de l'élection de l'arrondissement d'A-
vignon ; mais aucune résolution n'a été prise,
les documents relatifs à cette élection n'ayant
pu être encore examinés par tous les membres
de la réunion.
Le centre gauche s'est occupé, en dernier
lieu, de certaines questions relatives au bud-
get des cultes et au budget du ministère de la
justice.
MM. Henri Germain, Houyvet, Victor Le-
franc, Robert de Massy, Savary, Brasme, Beau-
sire ont successivement pris la parole.
Le centre gauche, qui se réunira lundi
prochain, délibérera de nouveau .sur ces ques-
tions.
*•
* *
Le groupe des députés de l'extrême gauche
s'était également réuni avant la séance.
Il a été décidé dans cette réunion que M. Ma-
dier de Montjau reprendrait, au nom de ce
groupe, l'amendement de M. Tirard, relatif à
la suppression de l'ambassadeur près du Saint-
Siège.
On a vu, au compte-rendu de la séance, que
cet amendement a été repoussé par la Cham-
bre.
*
* *
La sous-commission chargée d'examiner le
dossier de l'élection de Pontivya entendu hier
une longue déposition de M. le docteur Le
Maguet.
Aucune décision n'a cependant été prise par
la sous-commission.
*
* *
La commission dn budget a entendu, dans
sa séance d'hier, M. Pierret, directeur géné-
ral des lignes télégraphiques.
Il a été décidé que M. le ministre des finan-
ces, d'accord avec la direction des télégraphes,
présenterait prochainement un projet de loi
révisant les tarifs actuels.
*
* *
On annonçait, au début de la séance d'hier,
que plusieurs députés de la gauche, surpris de
ne pas avoir encore vu à l'Officiel la démission
ou la révocation de M. Benoist-d'Azy, le héros
de la séance de jeudi, se proposaient d'inter-
peller à ce sujet M. le ministre de la marine.
Sur la demande d'un grand nombre de leurs
collègues, qui espèrent que cette retraite, una-
nimement attendue.ne peut tardera seproduire,
les aufeurs de l'interpellation se sont décidés
à la remettre à lundi.
On pense généralement que M. Benoist-
d'Azy, si désireux qu'il soit de conserver sa
haute situation, aura cependant l'esprit de
s'éviter une seconde édition de la séance de
jeudi.
EMMANUEL ARÈNE.
NOTRE CIVILISATION
C'était fête, lundi dernier, à Saint-
Brice, joli petit pays qui n'est guère
distant de Provins, la patrie des roses,
que de douze à quinze cents mètres.
On y célébrait le mariage d'un brave
garçon, nommé Chapotot, fils du garde
champêtre, avec une demoiselle Prieur,
qui appartient à la famille d'un honnête
petit cultivateur de la commune.
Tous les invités étaient déjà réunis à
la maison de la mariée, qui mettait la
dernière main à sa toilette, et posait sur
son front la symbolique fleur d'oran-
ger, quand débouchait sur la place le
substitut de M. le procureur de la Ré-
publique, avec le lieutenant de gendar-
merie, un médecin et une sage-femme.
Ces graves et redoutables personnages
entrent dans la maison ; et vous imagi-
nez aisément l'émoi des invités, la cons-
ternation des deux familles. — Qu'y a-
t-il ? Que nous veut-on ?
Ce qu'on leur voulait, M. le substitut
l'explique aux parents assemblés : une
lettre anonyme avait dénoncé la jeune
fille, qui allait se rendre à l'autel. L'ac-
cusation était terrible : la malheureuse
était signalée au parquet comme coupa-
ble d'avoir été mère et d'avoir supprimé
son enfant.
Nous autres, gens de peu, quand
nous recevons une lettre sans signatu-
re, nous la jetons simplement au- feu.
Nous tenons qu'une lettre anonyme ne
saurait être qu'une bassesse et une ca-
lomnie ; nous sommes de l'avis de
Calino, qui disait judicieusement: Je ne
lis les lettres anonymes que lorsqu'elles
sont signées.
Les magistrats du parquet sont payés
pour avoir de la méfiance. Ils sont si
habitués à voir le mal partout que l'in-
dice le plus léger suffit pour les met-
tre en campagne. Celui de Provins
est sans doute un jeune homme; il
vit là une belle occasion de montrer son
zèle ; il crut bon de la saisir aux che-
veux, et sans autre informé, il se rendit
sur les lieux en grand appareil de jus-
tice,
A peine eut-il exposé le cas qu'il s'é-
leva de toutes parts un concert de pro-
testations indignées : la jeune fille,
qu'un abominable calomniateur avait
ainsi dénoncée, était connue dans tout
le pays pour sa sagesse; il n'y avait pas
un mot à dire sur son compte. Tous à
l'envi se portaient garants de sa vertu.
Vous pensez bien que ces témoigna-
ges n'ébranlèrent point la conviction
du petit jeune homme de la justice. Il
donna ordre que l'on procédât aux
constatations légales. La jeune épousée
dut s'y soumettre. Non-seulement elle
fut visitée par une sage-femme, mais
comme cette sage-femme l'avait recon-
nue innocente, il lui fallut subir l'exa-
men de M. le docteur Chevalier, con-
traint et forcé, qui avait d'abord refusé
de faire cette triste besogne. La pauvre
eufant sortit, victorieuse de cette double
épreuve.
Le jeune substitut s'en retourna bre-
douille, suivi du lieutenant de gendar-
merie, du médecin et delà sage-femme.
La joie que leur présence avait sus-
pendue reprit à leur départ, et la noce
se termina sans autre encombre, et
nous devons croire que le marié fut très
heureux d'avoir mis la main sur une
vertu déclarée authentique par autorité
de justice.
Honnêtes gens de tout pays, que
vous semble du procédé de ce jeune
magistrat !
Est-ce que vous le trouvez sage et
décent ?
Eh quoi ! il n'y avait pas de moyens
plus doux pour s'assurer de la chose?
Ne pouvait-on se livrer d'abord il une
enquête secrète sur un point aussi déli-
cat? Quelle que soit l'attention que les
parquets aient coutume d'accorder à des
renseignements aussi suspects que le
sont les -lettres anonymes, n'aurait-on
pas dû, avant de faire un si fâcheux
éclat, prendre quelques informations
préalables ? Les témoignages des prin-
cipaux habitants, discrètement mandés
et interrogés, aurait suffi à mettre à
néant des accusations lâches.
Et à supposer que l'on eût été réduit
à cette cruelle extrémité d'interroger la
jeune fille elle-même, de la soumettre à
un examen médical, était-il nécessaire
d'afficher par avance un déshonneur
dont on n'était pas sûr ? Il était si facile
au juge d'instruction de la faire venir
dans son cabinet, de causer avec elle.
de démêler la vérité à travers ses lar-
mes! A quoi bon ce déploiement de gen-
darmerie ? pourquoi venir, en troupe,
au milieu d'une noce, en face du pays
assemblé ? Il n'y manquait en vérité que
le tambour de ville!
Et si par hasard, ou le père de la ma-
riée, ou le frère, ou le fiancé eussent
été de mauvaises têtes ? il y en a de
telles au village. Supposez qu'emporté
par la colère et la douleur, un d'eux
eût malmené la justice dans la per-
sonne de son jeune représentant, qu'une
mêlée s'en fût suivie : quelle affaire !
Il est évident que force fût restée à la
loi ; mais avouez que la loi eût été com-
promise dans une pitoyable aventure.
Une autre hypothèse était encore pos-
sible. Il pouvait arriver que le fiancé
ne se souciant plus d'une femme com-
promise par des bruits si étranges,
rompît le mariage près de se conclure
et reprît sa parole. Il en avait le droit,
après un tel.scandale.
Tout est bien qui finit bien. Mais l'a-
venture a-t-elle aussi bien fini que le
croit M. le substitut ? croit-il que cette
monstrueuse étourderie n'ait pas
chez les braves gens qui en ont été les
victimes ou les témoins, gâté quelque
peu l'idée qu'ils se font de l'impeccable
justieé ? Elle a fait un pas de clerc, la
justice, et ce qu'il y a de pis, un pas de
clerc sans excuse.
Ce n'est là qu'un petit fait, je le sais
bien, et je ne veux pas lui donner plus
d'importance qu'il n'en mérite. Il me
parait cependant propre à servir d'a-
vertissement. Les magistrats du par-
quet, surtout lorsqu'ils sont jeunes et
pressés de parvenir, ont un secret pen-
chant à trouver des criminels, et comme
ils sont irresponsables ; ils usent avec
peu de modération des moyens que la
loi leur met aux mains pour les décou-
vrir. Leurs fonctions demandent beau-
coup de réserve et de tact. Il arrive à
quelques-uns d'y apporter trop de pré-
cipitation et de raideur,
On me dira que le jeune substitut du
pays des roses pouvait tout simplement
lancer contre la fiancée un mandat d'a-
mener, la tenir quinze jours en prison,
et ne la renvoyer qu'au bout de ce
temps à son père, innocentée et flétrie;
qu'il a donc usé de beaucoup de ména-
gements. A la bonne heure, et ce rai-
sonnement rappelle celui que le loup
faisait à la cigogne :
Quoi! n'est-ce pas encor beaucoup
D'avoir de mon gosier retiré votre cou ?
Il est vrai qu'avec-ces messieurs on
ne s'en tire pas toujours à si bon
compte.
FRANCISQUE SARCEY.
P. S. Le substitut qui s'est illustré
par cette glorieuse campagne se nomme
Bonne ville de Marsangy.
- -0-
Le ministère de l'intérieur a communi-
qué aux journaux la note suivante :
Le conseil des ministres se réunit demain à
une heure à Versailles.
Dans sa séance d'hier, le conseil des minis-
tres a approuvé, à l'unanimité, la lettre de
M. Léon Say à M. le président du Sénat. Cette
lettre fixe uniquement le mode de transmis-
sion des lois de finances au Sénat pour arriver
à une prompte expédition des affaires. Mais
elle ne préjuge en rien les décisions du glJu-
vernement * sur la question des droits du Sénat
en matière de rétablissement de crédits refu-
sés par la Chambre des députés.
La question reste entière, et le Sénat aura
à la trancher de concert avec la Chambre des
députés, le gouvernement n'ayant jamais eu
l'intention d'exercer une pression à ce sujet
sur l'une ou l'autre Assemblée.
* ——————————
Nouvelles d'Orient
Londres, 10 novembre, s.
La Gazette (officielle), dans un supplément,
publie une longue dépêche adressée Je 30 octo-
bre par lord Derby à lord Loftus, ambassadeur
d'Angleterre à Saint-Pélersbourg.
Cette dépêche confirme qu'une proposition
a été faite de faire occuper la Bosnie et l'Her-
zégovine par l'Autriche, et la Bulgarie par la
Russie, et d'envoyer les flottes de l'Europe à
Constantinople. Cette proposition, émanée de
la Russie, a été communiquée simultanément
à Vienne et a Londres.
Conslantinople, 10 novembre, s.
Deux monitors ont été envoyés pour renfor-
cer la flottille du Danube.
Belgrade, 10 novembre.
Le gouvernement serbe a informé les repré-
sentants des grandes puissances que les Turcs,
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