Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1872-12-20
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
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Description : 20 décembre 1872 20 décembre 1872
Description : 1872/12/20 (A2,N400). 1872/12/20 (A2,N400).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/03/2013
2e Année. — N° 400.
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 LENTUIES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Vendredi 20 décembre 4872.
RÉDACTION
Wadresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
S. rue Droaot. 9 ,,(.
Lu manuscrits non insérés seront rendus
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois *3 fr.
Six moia. 25
Ua au. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois t't,
Six mois I..—32 1
Un au -:'2\
- -
Annonce*. chez MM. LKGIIANGE, CERF
6, place de la Bourse, 6
T oj)) Wl E 't)F't ~M! f 'lEBut'
B^S HH H H ,: Gi
tB~ tNBtN jmL BB j B m- ~sm~ ttEB tBe H~
~B N ~~- ~~L mf jt~ t~ ~~L ~tL~N W~Ht t ~NN~N~t~NNt t t~m~N~N~Nt~
jjjjjjjjjjjjjj tNN)tt))) ttN tNNN NHN NBt! tNtNt tt~!~ NBMt tNHBNN
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2. rue Droaot, 3
Les lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS
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Un an 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Unan. 62 ,
AnDonce., chez MM. LAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bonne, 8
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 19 décembre 487M.
L'Assemblée a voté hier sans débat le
projet de loi de M. Wolowski, affectant, à
titre de premier secours, une somme de 3
millions aux émigrés d'Alsace et de Lor-
raine.
Elle a passé ensuite à la discussion du
budget des recettes. Il a enfin été décidé
dans cette séance que l'Assemblée prêndra
quinze jours de vacaaees, du samedi 21
décembre au lundi 6 janvier prochain.
En même temps, la commission des
trente s'est réunie ; elle a entendu de nou-
veau M. le président de la République.
Elle n'a rien fait, d'ailleurs, de décisif, et
ne fera rien probablement avant le retour
de l'Assemblée, au mois de janvier.
L'impression qui domine aujourd'hui,
c'est que, dans la commission même, les
dispositions de la majorité se sont fort
améliorées, — surtout en apparence. Le
Temps publiait hier soir une note que
nous avons tout lieu de croire exacte
et qui dit : « La commission sent qu'elle
est obligée de s'entendre avec le gouver-
nement sous peine de perdre tout le béné-
fice de la journée du 14 décembre. La
droite est enfin parvenue à mettre la main
sur le gouvernement, elle le croit du
moins, et elle attache trop de prix à cette
conquête pour ne pas essayer de la con-
server. » La commission consentirait donc,
poursuit le Temps, à mettre à l'étude le
projet d'une Chambre haute en même
temps que la question de la responsabilité
ministérielle. beulement elle estime que
la Chambre haute ne peut être constituée
qu'après les élections générales, c'est-à-
dire après la dissolution ; que, d'autre
part, la dissolution ne peut avoir lieu que
dans dix-huit mois ou deux ans; et qu'il
est impossible d'ajourner la responsabilité
ministérielle jusque-là.
Conclusion : théoriquement, tous les pro-
jets de M. Thiers sont acceptés; en prati-
que, ils sont renvoyés aux calendes grec-
ques, et l'on en revient toujours, pour le
présent, à la seule responsabilité ministé-
rielle et au rapport Batbie. — Tout ce que
vous voudrez, dit-on à M. Thiers; mais
dans dcux ans ! En retour, vous nous cé-
derez la responsabilité ministérielle, cela
n'est que juste! — On se montre, d'ail-
leurs, aimable. Deux ans, cela ne coûte
rien. Avant deux ans, comme dit la fable,
Le roi, l'âne ou moi nous mourrons.
Cependant le ministre des finances en-
voie toujours à l'Allemagne des à-compte
sur notre rançon. Le troisième milliard a
été complété le 11 décembre par un verse-
ment de 200 millions. Le bruit même avait
couru, ces jours derniers, que des négo-
ciations financières étaient engagées pour
payer à l'ennemi les deux derniers mil-
liatds de l'indemnité. Il était assez natu-
rel que l'on donnât créance à ces rumeurs :
il y a tant de raisons de désirer que ce
payement soit fait!
Par malheur, il ne peut se faire avec
cette rapidité. C'est ce que nous explique
une note officieuse, communiquée à l'agen-
ce Havas. Il y est dit que l'emprunt, à la
vérité, a produit, par les versements ac-
complis déjà, un capital de 2 milliards, et
que le gouvernement pourrait ainsi payer,
dès à présent, au moins le quatrième mil-
liard à l'Allemagne ; mais qu'un tel dépla-
cement,.umérairtt ne pourrait s'opérer
sans crise, et que, pour ce motif, on a dû
se résoudre à procéder, comme cela s'est
fait jusqu'ici, par à-compte mensuels de
200 millions. C'est pour le milieu de 1873,
continue la note, que l'on peut entrevoir
l'époque de la libération du territoire ;
alors seulement on proposera au gouverne-
ment de Berlin, selon les termes du traité,
des garanties sur ce qui lui restera dû.
M. le duc de Gramont, l'un des hom-
mes sur qui pèse et pèsera le plus la res-
ponsabilité de la guerre que nous expions
aujourd'hui, vient de publier, assez mal à
propos, dans la Correspondance européenne,
une protestation contre deux passages de
la déposition qu'a faite M. Thiers devant
la commission de l'Enquête sur le 4 sep-
tembre. On a pu récemment lire dans ce
journal une analyse de la déposition de M.
Thiers et de celle de M. de Gramont lui-
même ; on y a vu les réponses embarrassées
que balbutiait M. de Gramont, pressé par
MM. Lefèvre-Pontalis et de Rainneville. Il
ne paraît pas plus heureux dans la lettre,
fort courte d'ailleurs, qu'il adresse « à un
de ses amis. )
M. Thiers avait déclaré que « la Prusse
ne voulait pas la guerre, qu'elle ne l'avait
pas préparée de longue main et n'avait
pas recherché l'occasion d'entrer en lutte. »
C'est contre cette première assertion que
M. de Gramont s'élève. L'opinion, ici, se-
rait volontiers disposée à lui donner raison
peut-être; généralement, en effet, on s'ac-
corde à croire que la Prusse autant que la
France désirait la guerre et que l'on n'at-
tendait des deux côtés qu'une occasion de
la faire naître. Mais que dit M. de Gra-
mont, qui devrait avoir les mains pleines
de documents, d'observations, de rapports?
- « Les faits prouvent mieux, écrit-il,
que les mots, et les preuves sont aussi
nombreuses qu'irréfutables !. Il ne se-
rait ni utile ni sérieux de discuter ce que
personne ne conteste plus. » Voilà tsut, et
c'est ainsi que l'ancien ministre des af-
faire étrangères se dispense de donner
nne seule de ces preuves irréfutables et
nombreuses, sous prétexte que les faits
prouvent mieux que les mots. M. Thiers
avait donc raison ? Une réplique si piteuse
le ferait croire.
'La seconde assertion que M. de Gramont
se propose de réfuter est celle-ci :
A Vienne (c'est M. Thiers qui parle), MM. de
Beust et Andrassy m'ont déclare à moi, de la
manière la plus positive, que sans prévoir la
candidature Hohenzollern, ils avaient dit à M.
de Gramont, d'une manière générale, qu'il ne
fallait laisser au gouvernement impérial aucune
illusion, et le bien convaincre au contraire que,
s'il s'engageait dans la guerre, l'Autriche ne l'y
suivrait pas.
A quoi M. de Gramont répond :
M. Thiers a-t-il bien entendu ce que MM. de
Beust et Andrassy lui ont affirmé m'avoir dé-
claré ? Ne voulant pas contester sa bonne foi, je
suis obligé de suspecter sa mémoire, et je ne
puis croire que les éminentb hommes d'Etat
dont il invoque le témoignage aient pu lui dire
un seul mot qui ne fût absolument conforme au
langage que j'étais autorisé à tenir à mon gou-
vernement. '-
Ce langage le voici textuellement :
« L'Autriche considère la cause de la France
» comme la sienne, et contribuera au succès de
» ses armes dans les limites du possible. o
Voilà ce que j'ai été chargé de dire au gou-
vernement français, et ce que d'autres encore
ont été chargés de lui répéter avec moi. -"
Je ne cite pas dp, mémoire. J'ai fait venir le
document, que j'ai sous les yeux, et je peux
prouver ce que j'avance.
C'est donc par une citation de quatre
lignes, empruntée à lui-même, à l'une de
ses propres dépêches, que M. de Gramont
combat le récit que fait M. Thiers de sa
conversation avec MM. de Beust et An-
drassy ? - « Je peux prouver, dit-il, victo-
rieusement, ce que j'avance. J'ai fait venir
le document ! » — Or, qu'avance-t-il ? C'est
qu'il écrivait, lui, duc de Gramont, un cer-
tain jour, que l'Autriche serait l'alliée de
la France. Et quel document a-t-il fait
venir? C'est la propre lettre où lui-même
écrivait cela. Nous voilà bien édifiés, tan-
dis que M. Thiers assure que les minis-
tres autrichiens lui ont affirmé positive-
ment le contraire! M. Thiers appuie son
témoignage sur celui de MM. Andrassy et
de Beust, et M. de Gramont n'invoque que
M. de Gramont. Ce n'est pas assez ! Quelle
opinion M. de Gramont veut-il donc qu'on
ait de rectifications qui ne rectifient rien ?
Quand on crie si haut : « J'ai des preuves D,
et que cependant on n'en fait voir aucune,
se rend-on bien compte de l'effet que l'on
produit sur le public ?
EUG. LIÉBERT.
+ T—■r
'•V
A ROBIN, MAINTENANT
C'était hier Hippolyte Taine qui rece-
vait sur les doigts. On le traitait en
pleine Assemblée nationale de pétroleur.
C'est aujourd'hui le tour de Charles
Robin. Je ne ferai point aux lecteurs de
ce journal l'injure de leur dire ce qu'est
Charles Robin. Il n'est personne, même
parmi les gens qui se tiennent le plus en
dehors du mouvement scientifique, qui
ne connaisse, au moins de réputation,
le nom et les travaux de l'illustre pro-
fesseur d'histologie, une des gloires con-
temporaines de notre Collége de France.
Ces travaux sont lus de l'Europe savante,
et ce nom est un de ceux que nous op-
posons avec fierté aux sots dédains de
l'Allemagne. L'Institut s'honore de comp-
ter Charles Robin parmi ses membres,
et l'Académie de médecine le regarde
conum^o cJ.e_&es.ll'e&. ,h.- ,:*I','?.i
Et bien ! le croiriez-vous! M. Charles
Robin qui s'est fait une si grande re-
nommée par, l'exactitude de son obser-
vation, la justesse de son raisonnement
et la nouveauté de ses aperçus, M.
Charles Robin, à qui l'Etat confie le soin
d'enseigner aux jeunes étudiants la
science nouvelle dont il est le créateur,
ce Charles Robin qui a écrit dix volumes
et attaché son nom au fameux dic-
tionnaire de Nysten, ce Charles Robin,
le collaborateur et l'émule de M. Littré,
dont le nom n'est prononcé, comme ce-
lui du maître, qu'avec respect par toute
la jeunesse studieuse de France et de l'é-
tranger, c'est ce même Charles Robin
qu'on vient de rayer, comme indigne,
de la liste du jury.
Le fait paraît incroyable. Il est
vrai.
On sait que d'après la loi votée ré-
cemment, sous l'inspiration de M. Du-
faure, la liste de jurés est dressée, dans
chaque arrondissement, par une com-
mission qui se compose du président du
tribunal civil ou d'un juge délégué par
lui ; du juge de paix de l'arrondisse-
ment ou de ses suppléants; du maire et
de ses suppléants, et de quatre conseil-
lers municipaux.
Charles Robin habite le sixième
arrondissement; son nom avait été porté
naturellement sur la liste préparatoire,
qui devait être soumise à l'examen de
la commission. Quand on vint à le pro-
noncer, le juge de paix se leva et déclara
qu'il ne croyait pas convenable de main-
tenir, comme juré, un homme professant
les opinions philosophiques de M. Char-
les Robin.
- « Je n'ai pas lu les livres de cet
auteur, s'est écrié M. le juge de paix du
sixième arrondissement, mais j'ai entendu
dire qu'il ne croyait pas en Dieu. »
Si M. le juge de paix n'lapas Iules
livres où Charles Robin a exprimé ses
,*,j)iîQns noYsuoj en parle-t-il ? Est-il
juste "dé cônaiwîTnér" ainsi un homme
sur de simples on-dit ? lime semble que
c'est au contraire M. le juge de paix du
VIe arrondissement qu'ilfaudrait rayer de
la liste du jury, s'il n'en était pas exclu
par la loi et la logique ; car un homme
qui porterait aux assises ces habitudes
sommaires d'expédier les gens, il ferait
un juré déplorable.
M. le juge de paix se trompe : on ne
saurait dire de Charles Robin qu'il ne
croit pas en Dieu. Il ne le nie pas; il
l'ignore, ce qui est bien différent. Tout
occupé à rechercher les causes secondes
et à en marquer l'enchaînement, - il ne
s'inquiète aucunement de savoir s'il y a
une cause première, de qui elles relè-
vent. Il regarde comme inutile au pro-
grès de la science à laquelle il s'est
voué de se mettre en peine d'un pro-
blème dont la solution échappe aux ins-
truments d'investigation que l'homme
possède. Il n'affirme pas que d'autres ne
puissent être plus heureux ou plus ha-
biles. Pour lui, il a circonscrit le champi
de ses recherches. Quand il est arrivé
par de patientes études à saisir le secret
d'une relation d'effet à cause, il le for-
mule en loi, et ne se demande point si,
en remontant de loi en loi, oh n'arrivera
pas à une cause unique, en qui elles se
rassemblent toutes. On est. si loin en-
core de ce résultat! à chaque jour suffit
sa peine.
Voilà ce dont M. le juge de paix du
VIe arrondissement se serait convaincu
s'il avait lu ces livres dont il parle à
l'étourdie !
Est-il donc nécessaire, pour être un
honnête homme, un homme de sens, un
homme d'esprit, de se prononcer d'une
façon quelconque sur cette vérité toute
métaphysique, et qui n'est que de senti-
ment? M. le juge de paix se croit-il
réellement supérieur à M. Charles Robin
par cela seul qu'il déclare savoir qu'il y
a une cause suprême, et qu'il la connaît
fort bien, tandis que M. Charles Robin
avoue modestement qu'il n'a pas sur ce
problème des données positives et qu'il
lui paraît, en l'état actuel de la science,
impossible d'en avoir?
Cette double déclaration, faite par l'un
et par l'autre de ces deux messieurs, ne
prouve qu'une chose : c'est que M. le
juge de paix du VIe arrondissement a
sur ce point des révélations particulières
qui manquent à M. Ch. Robin.
C'est un avantage sans doute, car il
vaut toujours mieux savoir assurément
qu'ignorer. Mais l'ignorant qui ne s'en
fait point accroire, qui convient de son
ignorance, qui n'en veut point aux au-
tres d'être plus avancés que lui, qui ne
demanderait même pas mieux que de se
laisser convaincre a leurs preuves, et
qui est très-fâché de voir qu ils n'en ap-
portent pas de suffisantes, cet ignorant-
là est un homme après tout fort estima-
ble. Car l'important en ee monde n'est
pas de croire ou de ne pas croire, c'est
de ne pas tromper les autres ou soi-mê-
me sur ce qu'on croit.
L'ingénuité de Charles Robin en ces
matières devrait le rendre respectable
même à ceux qui déplorent son igno-
rance. Elle est la marque de qualités na-
turelles, qui sont précisément celles que
l'on exige d'un bon juré.
Que faut-il pour être un bon juré?
Un grand amour de la vérité d'abord ?
Eh bien ! Charles Robin ne temoigne-
t-il pas qu'il l'aime, quand il s'expose, en
avouant son ignorance, au mépris de M.
le juge de paix du VIe arrondissement?
Le goût de l'analyse et l'habitude de ne
jamais @ accepter pour vrai que ce qui est
prouvé ? Eh bien ! Charles Robin refuse
justement d'affirmer l'existence d'une
cause première, parce qu'on ne la lui
démontre point. Un parti pris de ne jamais
céder à des influences étrangères à la
cause ? Eh bien ! Charles Robin ne mon-
tre-t-il pas, par ce refus même, qu'il
sait résister aux préjugés les mieux ad-
mis, qu'il n'obéit qu'à sa donsciènce ?
M. le juge de paix du VIe arrondisse-
ment s'est-il dit qu'en demandant, pour
ce motif, que l'on exclût M. Charles
Robin des listes du jury, il en chasse
en même temps nombre d'honnêtes gens
qui sont coupables du même crime ? Car
enfin nous sommes en assez grand nom-
bre, dans la bourgeoisie lettrée, qui ne
savons rien non plus sur ce point de
science, qui tient tant au cœur de M. le
juge de paix, et qui ne faisons pas plus
difficulté de l'avouer que Charles Robin
lui-même. Je ne connais guère dans mon
entourage que des personnes qui n'osent
point se prononcer sur cette question, et
ces personnes sont toutes connues pour
leur probité, leur instruction, leur bon
sens, pour toutes les qualités qui font
l'honnête homme, et j'ajoute le bon
juré.
Si l'on raye du jury tous ceux qui
avouent n'avoir pdau s ~ll r y tous ceux qui
avouent n'avoir pas des renseignements
certains et précis sur l'existence et la
nature d'une cause première, voilà bien
du monde exclus ! Disons en revanche
qu'on sera en très-bonne compagnie sur
les listes de proscription. Ce me serait
un honneur d'y figurer à côté de Ro-
bin, et pour le même motif.
Car Robin, en fin de compte, a été
rayé. En vain M. Hérisson a-t-il protesté
dans la commission contre les préten-
tions de M. le juge de en Yain a-
tins de M. le juge de paix; en vain a-
t-il relevé ce qu'il y a de monstrueux
tout ensemble et de saugrenu à faire in-
tervenir dans la formation des listes du
jury les opinions philosophiques. On est
aile aux voix, et quatre voix s'étant pro-
noncées contre M. Charles Robin, il a été
déclare indigné.
f II est vrai qu'il a eu quatre voix pour
lui. Quatre contre quatre : mais il paraît
que là, à égaliLé de suffrages, on pro-
nonce contre l'accusé.
Voilà donc un des plus illustres re-
présentants de la science française mis
au rang des voleurs, des escrocs, des
faillis ou des illettrés, par quatre fanati-
ques imbéciles. Cela n'est-il pas bien
odieux ou bien ridicule ?
Les Allemands vont-ils se moquer de
nous ! et comme ils auront raison ! Et
dire que c'est dans le pays de Voltaire,
et cent ans après sa mort, qu'on en est
venu à ce point de bêtise intolérante !
FRANCISQUE SARCEY.
»
COURRIER PARLEMENTAIRE
!'-.)'¡"!" -
Versailles, 18 décembre 4872
Dans les longues traversées effectuées par
les navires à voiles, on lisait jadis sur le
journal de bord : « Aujourd'hui, telle date,
continuation du calme plat ; les passagers
s'amusent à pêcher ; sur les quatre heures,
pris un requin. »
Le journal de l'Assemblée, depuis deux
jours, pourrait être aussi laconique qu'un
journal de bord : la bourrasque de samedi
apaisée, toute brise politique est tombée,
et le fameux vaisseau de l'Etat reste en
panne; on n'a même pas, pour se désen-
nuyer, flottants dans l'air, les bruits des
couloirs, ces mouettes parlementaires ; les
députés s'amusent à pècher dans les eaux
peu limpides du budget des finances ; vers
quatre heures de relevée, on a pris. une
décision relative aux permis de chasse.
Notons toutefois une petite fête à bord :
le passage de l'année 1872 à l'année 1873
remplace, en cette occasion, le passage de
la Ligne.
A la suite de deux scrutins éternels, M.
le baron Chaurand paraît à la tribune et
place quelqnes mots au milieu d'un bruit
tel que M. Grévy est obligé de servir de
porte-voix à la prose de M. Chaurand. Il
s'agit d'un congé proposé à l'Assemblée, du
lundi 23 décembre au lundi 6 janvier.
La tribune des journalistes ne retient
qu'avec peine des tressaillements de joie ;
la droite retient mal des protestations.
La droite, la droite pure du moins, — car
c'est le groupe tapageur qui, seul, réclame,
— ne veut pas de congé. Songez donc !
quinze jours sans interpellations, sans
intrigues parlementaires, sans crises poli-
tiques; quinze jours pendant lesquels le
pays va se reposer ! Mais c'est qu'il est ca-
pable de prendre goût à cette douce quié-
tude, ce diable de pays !
M. Dahirel se fait remarquer par ses dé-
négations. M. Dahirel n'est pas méchant,
mais il n'aime guère le gouvernement ; en
outre, il est vif, de sorte qu'en pareille
occasion, il est toujours le premier à ve-
nir se brûler à la chandelle. La plupart
des autres sont des papillons de nuit,
moins aimables, selon nous, que le papil-
lon Dahirel, mais plus prudents, et restant
volontiers dans l'ombre.
Voilà M. Dahirel qui folâtre à la tribu-
ne. Il votera les quinze jours de congé,
mais il lui faut une commission de per-
manence.
Une commission de permanence pour
quinze jours 1 Une bonne partie de l'As-
semblée commence à rire.
.Ou, à défaut d'une commission de per-
manence nommée tout exprès, la commis-
sion des trente.
Du coup, la chose est absolument risi-
ble. Oncques commission ne fût mise à
tant de sauces que cette commission des
trente : c'est elle qui élabore les constitu-
tions, prépare les crises, fait les gouver-
nements, et nettoie les Cabinets.
Faut-il un ministre?. Voilà, voilà; un
coup de balai à M. Lefranc, et servez
chaud M. de Fourtou. — Faut-il des pro-
jets constitutionnels?. Voilà! voilà! Per-
mettez : c'est la responsabilité ministérielle
que vous demandez? Alors, adressez-vous
au 9 ; les autres projets sont au 11, la porte
à côté. — Fauil. Et la commission
des trente, qui tond les gouvernements et
ampute les ministres, va encore être obli-
gée de rester en ville pour garder les clefs
de la maison. C'est la maîtresse Jacques des
commissions !
Il y a des opposants et de nombreux
opposants à la proposition de M. Chaurand;
nous le voyons à l'animation du côté droit
de la salle. Les droitiers craignent de voir
les députés de la gauche aller faire un
petit tour dans leurs départements respec-
tifs. L'ajournement de la proposition est
demandé par M. Ganivet. On vote, mais
l'agitation est telle que chacun vote à l'in-
verse de sa propre opinion ; on croit voter
la proposition et l'on vote son ajournement.
C'est de la tricherie, comme disent les
enfants. Et l'on recommence. La proposi-
tipn Chaucand est adoptée : les turbulents
de la droite et l'extrême droite votent con-
tre. 1
A la bonne heure ; voilà enfin une
majorité, une vraie majorité! Elle est com-
posée de ceux qui veulent s'en aller.
Et nous nous plongeons dans les dou-
ceurs du budget des recettes.
C'est M. Ganivet qui demande qu'on
fasse tomber le permis de chasse de 40 fr.
à 25 francs, l'ancien prix. On causait, mais
on ne tarde pas à se taire, car une vraie ba-
taille s'engage à la tribune. MM. Monnet et
Decazes appuient M. Ganivet; M. Ravinel les
combat. Il s'établit une lutte climatérique en-
tre le nord et le midi; le nord, qui possède de
belles chasses, trouve qu'on peut bien payer
40 francs le droit luxueux de tuer san-
gliers, chevreuils et faisans ; le midi qui,
en fait de chasse, ne connaît guère que la
chasse au chastre, cette charmaste fantai-
sie de Méry, calcule que payer 40 fr. pour
trois moineaux par an, cela fait 13 fr. 33
par bec de pierrot.
M. de Tillançourt s'en mêle. M. Villain
se jette dans la lutte et propose des permis
de chasse à 10 francs pour les dimanches
et jours de fête, M. Faye le soutient On
dirait une ouverture : c'est une vraie fu-
sillade et beaucoup de bruit pour peu de
chose.
M. Vingtain vient se faire entendre : la
salle hurle; M. Vingtain descend. M. Ra-
vinel reparaît; hurlements plus farouches;
M. Ravinel descend. Tout le monde veut
parler. Il n'y a que le lapin qui ne soit pas
entendu !
Finalement, au scrutin, — car il y a eu
scrutin, — le permis de chasse est rétabli
à 25 fr. par 531 voix contre 97.
Cette majorité cynégétique, quilaisseloin
derrière elle celle obtenue par M. Dufaure,
peut s'expliquer facilement par un terme
de chasse : miroir à électeurs. Le petit
propriétaire de province était fort mécon-
tent de l'augmentation du permis de chasse;
en outre, cette loi, édictée par une Assem-
blée républicaine (!! !), n'était nullement
démocratique, et les résultats budgétaires
étaient bien insignifiants.
Du reste on est en train de revenir sur
les lois aujourd'hui. Si on laisse de côté
la surtaxe de pavillon, c'est grâce à des
raisons diplomatiques. Contre le vœu de
la commission du budget, on enlève la
taxe votée tout dernièrement sur les
créances hypothécaires ; elle ne produit
rien. Enfin, on veut faire porter « pour mé-
moire » seulement le chiffre pour lequel figu-
rent au budget des recettes les matières pre-
mières ; ce chiffre est fictif, assure-t-on, vu
son rendement actuel.
Après un engagement assez vif entre M.
Bonnet (libre-échangiste de la Gironde) et
M. de Rémusat (ministre des traités de
commerce), la discussion de cette grave
question a été renvoyée à demain.
Et, malgré nous, en pataugeant par les
boues de Versailles, nous songions que 6
millions de ci (créances hypothécaires), 93
millions de là (matières premières) et bien
d'autres millions qui manquent un peu par-
tout, pourraient bien faire patauger le bud-
get de 187 dans 200 petits millions de
déficit.
PAUL LAFARGUE.
+ —————————————
NISUS ET EURYALE
Le rôle du Bien public n'est pas tou-
jours commode, nous le comprenons;
mais il lui serait bien facile de rester
dévoué sans se laisser emporter jusqu'au
zèle qui, on-le sait, est presque toujours
intempestif. -
N est-ce pas aller trop loin, par exemple,
que de chercher querelle aux journaux
qui se permettent d'opposer M. Dufaure
à M. Thiers? C'est pourtant la tâche in-
grate à laquelle se livrait hier le Bien
public.
Qui veut trop prouver ne prouve rien*
A qui fera-t-on croire que le garde des
sceaux, dans son discours de samedi,
n'a point ouvertement contredit les prin-
cipales affirmations du message prési-
dentiel? Et pour qui prend-on le public
quand on lui représente le discours de
M. Dufaure à l'Assemblée, et celui de
M. Thiers à la commission des trente,
comme se complétant l'un par l'autre ?
Pour M. Dufaure, nous vivons sous un
gouvernement provisoire qu'il regrette
amèrement de voir appeler la Répu-
blique. Pour M. Dufaure, la République
est un épouvantail ; ce mot seul lui
donne le vertige, car il lui rappelle 1848,
- l'ingrat - et surtout 1793, — le per-
fide !
Pour M. Thiers, la République existe,
elle est le gouvernement légal, et
il estime que plus on se hâtera de faire un
89 définitif, moins Gn, devra redouter
un 93.
Le garde des sceaux est tout à fait de
l'avis des ducs, qui promettent volon-
tiers de ne point renverser l'état de cho-
ses actuel, pourvu qu'on ne leur deman-
de pas de le consolider.
M. le président de la République est
d'une opinion contraire; il insiste pour
qu'on donne au régime existant le moyen
de vivre et de bien vivre.
On avouera que si M. Thiers et M. Du-
faure sont d'accord, c'est uniquement en
raison de l'axiome qui veut que les ex-
trêmes s.e touchent.
Non, c'est pousser le zèle trop loin
que de nier, nous ne dirons pas la mé-
sintelligence, mais tout au moins le dé-
faut d'ejitente existant entre le président
de la République et le garde des sceaux,
dont la haute position dans le conseil
équivaut, de fait, à celle de vice-prési-
dent. C'est même peut-être dans cette
situation qu'il faut chercher le motif du
peu de penchant que semble avoir M. Du-
faure pour le régime républicain. Béran-
ger aurait-il vu juste quand il répondit à
un de ses amis qui lui reprochait de ne
point vouloir travailler à la Constitution,
en 1848 : — A quoi bon ? je ne crois pas
à la possibilité de -- la - République en
France. — Pourquoi cela ? lit son ami.
— Parce que, répondit Béranger, je ne
conçois pas une République sans un pré-
sident et un vice-président. Or, un pré-
sident, on le trouvera toujours ; mais je
doute que dans notre pays on trouve ja-
mais un homme qui consente, de bonne
foi, à n'être que le vice-président.
A Dieu ne plaise que nous voulions
insinuer par là que si la présidence était
offerte à M. Dufaure, il deviendrait tout
de suite républicain; mais M. Dufaure
est un homme de réelle valeur, et peut-
être souffre-t-il malaisément de n'être
que la doublure du grand premier rôle.
Il a trouvé une occasion de faire son
message, lui aussi ; il l'a fait avec son
tempérament particulier, sans penser à
mal, peut-être, mais à coup sùrj sans se
préoccuper suffisamment de rappeler le
ton et la manière de son chef d'emploi.
Voilà ce que nous avons dit et ce que
le pays a constaté comme nous.
Nous estimons, comme il convient, le
souci qu'on prend, d'atténuer autant que
possible cette divergence; on veut com-
battre l'impression fâcheuse qu'a faite sur
le public la vue d'un des ministres du ca-
binet donnant la main à une partie de
l'Assemblée pour combattre la politique
du gouvernement ; et l'on espère surtout
donner le change à la commission des
trente. Cette dernière raison, sans doute
considérée comme la plus grave, ne
nous séduit pas plus que la première.
Il est certain qu'après les récentes dé-
clarations de M. Thiers et sa volonté
nettement exprimée de ne point aban-
donner le terrain du message, la com-
mission des trente pourrait y regarder à
deux fois avant d'engager la lutte si elle
savait que M. Thiers, soutenu au dehors
par le pays, le sera all. dedans par son ca-
binet tout entier.
Le contraire pourra arriver, nous ne le
nions pas, si la commission est assurée
d'avoir pour elle un ministre, et le plus
influent du cabinet. Mais c'est se tromper
étrangement de croire que la commission
puisse avoir encore quelque chose à ap-
prendre à ce sujet. Ou elle sait, à n'en
pas douter, que M. Dufaure est un bril-
lant fantaisiste dont il faut prendre les
boutades comme elles viennent ; ou elle
se connaît le droit absolu de compter sur
lui comme sur un allié. Dans les deux
cas, rien ne sert de nous représenter M.
Thiers et M. Dufaure unis comme
Nisus et Euryale. Le pays ne voudra pas
le croire, et la commission des trente
n'a nul besoin d'être renseignée.
Et puis, s'il faut le dire, la commission
des trente nous paraît devoir jouer, dans
tout ceci, un rôle infiniment modeste.
Si elle avait pu, comme elle a dû l'espé-
rer un moment, après la .séance de sa-
medi, escamoter le vote du 29 novembre
grâce à la complicité du gouvernement,
elle eût volontiers achevé ses travaux.
Ne tenant pas compte du projet Dufaure,
elle se fût contentée d'organiser la res-
ponsabilité ministérielle. Mais M. Thiers
n'entend point de cette oreille ; il fau-
dra, bon gré mal gré, s'occuper des pou-
voirs publics, c'est-à-dire elaborer un
semblant de constitution qui permette à
la machine gouvernementale de fonc-
tionner avec un peu moins de cahots
qu'aujourd'hui. Et cela, sachez-le bien,
vous ne l'obtiendrez pas. On se réunira,
on discutera, on écrira deux lignes, on
raturera la première; on piétinera sur
place, en un mot. Car on ne veut pas
avancer ; car on sait bien que si le doigt
seulement est pris dans l'engrenage, tout
le corps y passera.
Le régime actuel n'est pas viable,
c'est bien pour cela qu'on ne fait aucune
difficulté pour le maintenir. Il faut ga-
gner du temps, fatiguer le pays, lui .don-
ner peu à peu le dégoût et la haine du
provisoire. Je vous dis qu'on ne fera.
rien. La commission des trente amusera
le tapis — amuser n'est pas le mot juste,
car c'est la France qui est le tapis,
— mais soyez sûrs qu'elle a reçu déjà
ou recevra le mandat impératif de tout
entreprendre et de ne rien terminer.
: E. SCHNERB.
4
LA DERNIÈRE LOI DE M. DUFAURE
Comme orateur politique, M. le garde
des sceaux est connu. On commence à
savoir, jusque dans les villages, que ce
vieillard, par un don spécial de la nature,
est à la fois hérissé comme un porc-épic
et glissant comme une anguille; qu'il
blesse avec la plus extrême facilité et la
satisfaction la plus visible ses amis com-
me ses ennemis ; qu'on ne le tient ja-
mais, de quelque prix qu'on ait acheté
ses services, et que s'il démolit volon-
tiers tous les gouvernements dont il
n'est pas, il sape plus volontiers encore
les gouvernements dont il est.
Sur ce côté de l'homme, tout est dit ;
c'est pourquoi nous n'en parlons que
pour mémoire.
Mais on n'a pas encore rendu pleine
justice au génie également destructif que
ce même M. Dufaure exerce dans la fa-
brication des lois.
En vérité notre siêcle est ingrat, car
personne ne pense à mettre en lumière
les services effrayants de ce législateur
destructeur. A peine si l'on sait dans le
public que M. Dufaure est l'auteur de la
loi sur les échéances, de cette loi pater-
nelle et providentielle qui a protégé le
perceau de la Commune en exaspérant
les trois quarts des petits commerçants
de Paris.
Ces pauvres gens, étranglés par les
Vénérables mains de M. Dufaure, ne se
ont pas jetés pour cela dans l'insurrec-
tion, car ils sont honnêtes; mais ils ont
montrépeu de zèle à la combattre. Entre
une poignée de scélérats et de fous qui
be leur faisaient encore aucun mal et les
honorables auteurs de la loi Dufaure, qui
leur en faisaient beaucoup, ils ont pensé
t y avait certain mérite à rester neu-
tres. Supposez qu'un gouvernement
nieux conseillé eût pris soin de les ga-
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 LENTUIES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Vendredi 20 décembre 4872.
RÉDACTION
Wadresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
S. rue Droaot. 9 ,,(.
Lu manuscrits non insérés seront rendus
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Trois mois t't,
Six mois I..—32 1
Un au -:'2\
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6, place de la Bourse, 6
T oj)) Wl E 't)F't ~M! f 'lEBut'
B^S HH H H ,: Gi
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~B N ~~- ~~L mf jt~ t~ ~~L ~tL~N W~Ht t ~NN~N~t~NNt t t~m~N~N~Nt~
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Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2. rue Droaot, 3
Les lettres non affranchies seront refusées
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Un an 50
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Unan. 62 ,
AnDonce., chez MM. LAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bonne, 8
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 19 décembre 487M.
L'Assemblée a voté hier sans débat le
projet de loi de M. Wolowski, affectant, à
titre de premier secours, une somme de 3
millions aux émigrés d'Alsace et de Lor-
raine.
Elle a passé ensuite à la discussion du
budget des recettes. Il a enfin été décidé
dans cette séance que l'Assemblée prêndra
quinze jours de vacaaees, du samedi 21
décembre au lundi 6 janvier prochain.
En même temps, la commission des
trente s'est réunie ; elle a entendu de nou-
veau M. le président de la République.
Elle n'a rien fait, d'ailleurs, de décisif, et
ne fera rien probablement avant le retour
de l'Assemblée, au mois de janvier.
L'impression qui domine aujourd'hui,
c'est que, dans la commission même, les
dispositions de la majorité se sont fort
améliorées, — surtout en apparence. Le
Temps publiait hier soir une note que
nous avons tout lieu de croire exacte
et qui dit : « La commission sent qu'elle
est obligée de s'entendre avec le gouver-
nement sous peine de perdre tout le béné-
fice de la journée du 14 décembre. La
droite est enfin parvenue à mettre la main
sur le gouvernement, elle le croit du
moins, et elle attache trop de prix à cette
conquête pour ne pas essayer de la con-
server. » La commission consentirait donc,
poursuit le Temps, à mettre à l'étude le
projet d'une Chambre haute en même
temps que la question de la responsabilité
ministérielle. beulement elle estime que
la Chambre haute ne peut être constituée
qu'après les élections générales, c'est-à-
dire après la dissolution ; que, d'autre
part, la dissolution ne peut avoir lieu que
dans dix-huit mois ou deux ans; et qu'il
est impossible d'ajourner la responsabilité
ministérielle jusque-là.
Conclusion : théoriquement, tous les pro-
jets de M. Thiers sont acceptés; en prati-
que, ils sont renvoyés aux calendes grec-
ques, et l'on en revient toujours, pour le
présent, à la seule responsabilité ministé-
rielle et au rapport Batbie. — Tout ce que
vous voudrez, dit-on à M. Thiers; mais
dans dcux ans ! En retour, vous nous cé-
derez la responsabilité ministérielle, cela
n'est que juste! — On se montre, d'ail-
leurs, aimable. Deux ans, cela ne coûte
rien. Avant deux ans, comme dit la fable,
Le roi, l'âne ou moi nous mourrons.
Cependant le ministre des finances en-
voie toujours à l'Allemagne des à-compte
sur notre rançon. Le troisième milliard a
été complété le 11 décembre par un verse-
ment de 200 millions. Le bruit même avait
couru, ces jours derniers, que des négo-
ciations financières étaient engagées pour
payer à l'ennemi les deux derniers mil-
liatds de l'indemnité. Il était assez natu-
rel que l'on donnât créance à ces rumeurs :
il y a tant de raisons de désirer que ce
payement soit fait!
Par malheur, il ne peut se faire avec
cette rapidité. C'est ce que nous explique
une note officieuse, communiquée à l'agen-
ce Havas. Il y est dit que l'emprunt, à la
vérité, a produit, par les versements ac-
complis déjà, un capital de 2 milliards, et
que le gouvernement pourrait ainsi payer,
dès à présent, au moins le quatrième mil-
liard à l'Allemagne ; mais qu'un tel dépla-
cement,.umérairtt ne pourrait s'opérer
sans crise, et que, pour ce motif, on a dû
se résoudre à procéder, comme cela s'est
fait jusqu'ici, par à-compte mensuels de
200 millions. C'est pour le milieu de 1873,
continue la note, que l'on peut entrevoir
l'époque de la libération du territoire ;
alors seulement on proposera au gouverne-
ment de Berlin, selon les termes du traité,
des garanties sur ce qui lui restera dû.
M. le duc de Gramont, l'un des hom-
mes sur qui pèse et pèsera le plus la res-
ponsabilité de la guerre que nous expions
aujourd'hui, vient de publier, assez mal à
propos, dans la Correspondance européenne,
une protestation contre deux passages de
la déposition qu'a faite M. Thiers devant
la commission de l'Enquête sur le 4 sep-
tembre. On a pu récemment lire dans ce
journal une analyse de la déposition de M.
Thiers et de celle de M. de Gramont lui-
même ; on y a vu les réponses embarrassées
que balbutiait M. de Gramont, pressé par
MM. Lefèvre-Pontalis et de Rainneville. Il
ne paraît pas plus heureux dans la lettre,
fort courte d'ailleurs, qu'il adresse « à un
de ses amis. )
M. Thiers avait déclaré que « la Prusse
ne voulait pas la guerre, qu'elle ne l'avait
pas préparée de longue main et n'avait
pas recherché l'occasion d'entrer en lutte. »
C'est contre cette première assertion que
M. de Gramont s'élève. L'opinion, ici, se-
rait volontiers disposée à lui donner raison
peut-être; généralement, en effet, on s'ac-
corde à croire que la Prusse autant que la
France désirait la guerre et que l'on n'at-
tendait des deux côtés qu'une occasion de
la faire naître. Mais que dit M. de Gra-
mont, qui devrait avoir les mains pleines
de documents, d'observations, de rapports?
- « Les faits prouvent mieux, écrit-il,
que les mots, et les preuves sont aussi
nombreuses qu'irréfutables !. Il ne se-
rait ni utile ni sérieux de discuter ce que
personne ne conteste plus. » Voilà tsut, et
c'est ainsi que l'ancien ministre des af-
faire étrangères se dispense de donner
nne seule de ces preuves irréfutables et
nombreuses, sous prétexte que les faits
prouvent mieux que les mots. M. Thiers
avait donc raison ? Une réplique si piteuse
le ferait croire.
'La seconde assertion que M. de Gramont
se propose de réfuter est celle-ci :
A Vienne (c'est M. Thiers qui parle), MM. de
Beust et Andrassy m'ont déclare à moi, de la
manière la plus positive, que sans prévoir la
candidature Hohenzollern, ils avaient dit à M.
de Gramont, d'une manière générale, qu'il ne
fallait laisser au gouvernement impérial aucune
illusion, et le bien convaincre au contraire que,
s'il s'engageait dans la guerre, l'Autriche ne l'y
suivrait pas.
A quoi M. de Gramont répond :
M. Thiers a-t-il bien entendu ce que MM. de
Beust et Andrassy lui ont affirmé m'avoir dé-
claré ? Ne voulant pas contester sa bonne foi, je
suis obligé de suspecter sa mémoire, et je ne
puis croire que les éminentb hommes d'Etat
dont il invoque le témoignage aient pu lui dire
un seul mot qui ne fût absolument conforme au
langage que j'étais autorisé à tenir à mon gou-
vernement. '-
Ce langage le voici textuellement :
« L'Autriche considère la cause de la France
» comme la sienne, et contribuera au succès de
» ses armes dans les limites du possible. o
Voilà ce que j'ai été chargé de dire au gou-
vernement français, et ce que d'autres encore
ont été chargés de lui répéter avec moi. -"
Je ne cite pas dp, mémoire. J'ai fait venir le
document, que j'ai sous les yeux, et je peux
prouver ce que j'avance.
C'est donc par une citation de quatre
lignes, empruntée à lui-même, à l'une de
ses propres dépêches, que M. de Gramont
combat le récit que fait M. Thiers de sa
conversation avec MM. de Beust et An-
drassy ? - « Je peux prouver, dit-il, victo-
rieusement, ce que j'avance. J'ai fait venir
le document ! » — Or, qu'avance-t-il ? C'est
qu'il écrivait, lui, duc de Gramont, un cer-
tain jour, que l'Autriche serait l'alliée de
la France. Et quel document a-t-il fait
venir? C'est la propre lettre où lui-même
écrivait cela. Nous voilà bien édifiés, tan-
dis que M. Thiers assure que les minis-
tres autrichiens lui ont affirmé positive-
ment le contraire! M. Thiers appuie son
témoignage sur celui de MM. Andrassy et
de Beust, et M. de Gramont n'invoque que
M. de Gramont. Ce n'est pas assez ! Quelle
opinion M. de Gramont veut-il donc qu'on
ait de rectifications qui ne rectifient rien ?
Quand on crie si haut : « J'ai des preuves D,
et que cependant on n'en fait voir aucune,
se rend-on bien compte de l'effet que l'on
produit sur le public ?
EUG. LIÉBERT.
+ T—■r
'•V
A ROBIN, MAINTENANT
C'était hier Hippolyte Taine qui rece-
vait sur les doigts. On le traitait en
pleine Assemblée nationale de pétroleur.
C'est aujourd'hui le tour de Charles
Robin. Je ne ferai point aux lecteurs de
ce journal l'injure de leur dire ce qu'est
Charles Robin. Il n'est personne, même
parmi les gens qui se tiennent le plus en
dehors du mouvement scientifique, qui
ne connaisse, au moins de réputation,
le nom et les travaux de l'illustre pro-
fesseur d'histologie, une des gloires con-
temporaines de notre Collége de France.
Ces travaux sont lus de l'Europe savante,
et ce nom est un de ceux que nous op-
posons avec fierté aux sots dédains de
l'Allemagne. L'Institut s'honore de comp-
ter Charles Robin parmi ses membres,
et l'Académie de médecine le regarde
conum^o cJ.e_&es.ll'e&. ,h.- ,:*I','?.i
Et bien ! le croiriez-vous! M. Charles
Robin qui s'est fait une si grande re-
nommée par, l'exactitude de son obser-
vation, la justesse de son raisonnement
et la nouveauté de ses aperçus, M.
Charles Robin, à qui l'Etat confie le soin
d'enseigner aux jeunes étudiants la
science nouvelle dont il est le créateur,
ce Charles Robin qui a écrit dix volumes
et attaché son nom au fameux dic-
tionnaire de Nysten, ce Charles Robin,
le collaborateur et l'émule de M. Littré,
dont le nom n'est prononcé, comme ce-
lui du maître, qu'avec respect par toute
la jeunesse studieuse de France et de l'é-
tranger, c'est ce même Charles Robin
qu'on vient de rayer, comme indigne,
de la liste du jury.
Le fait paraît incroyable. Il est
vrai.
On sait que d'après la loi votée ré-
cemment, sous l'inspiration de M. Du-
faure, la liste de jurés est dressée, dans
chaque arrondissement, par une com-
mission qui se compose du président du
tribunal civil ou d'un juge délégué par
lui ; du juge de paix de l'arrondisse-
ment ou de ses suppléants; du maire et
de ses suppléants, et de quatre conseil-
lers municipaux.
Charles Robin habite le sixième
arrondissement; son nom avait été porté
naturellement sur la liste préparatoire,
qui devait être soumise à l'examen de
la commission. Quand on vint à le pro-
noncer, le juge de paix se leva et déclara
qu'il ne croyait pas convenable de main-
tenir, comme juré, un homme professant
les opinions philosophiques de M. Char-
les Robin.
- « Je n'ai pas lu les livres de cet
auteur, s'est écrié M. le juge de paix du
sixième arrondissement, mais j'ai entendu
dire qu'il ne croyait pas en Dieu. »
Si M. le juge de paix n'lapas Iules
livres où Charles Robin a exprimé ses
,*,j)iîQns noYsuoj en parle-t-il ? Est-il
juste "dé cônaiwîTnér" ainsi un homme
sur de simples on-dit ? lime semble que
c'est au contraire M. le juge de paix du
VIe arrondissement qu'ilfaudrait rayer de
la liste du jury, s'il n'en était pas exclu
par la loi et la logique ; car un homme
qui porterait aux assises ces habitudes
sommaires d'expédier les gens, il ferait
un juré déplorable.
M. le juge de paix se trompe : on ne
saurait dire de Charles Robin qu'il ne
croit pas en Dieu. Il ne le nie pas; il
l'ignore, ce qui est bien différent. Tout
occupé à rechercher les causes secondes
et à en marquer l'enchaînement, - il ne
s'inquiète aucunement de savoir s'il y a
une cause première, de qui elles relè-
vent. Il regarde comme inutile au pro-
grès de la science à laquelle il s'est
voué de se mettre en peine d'un pro-
blème dont la solution échappe aux ins-
truments d'investigation que l'homme
possède. Il n'affirme pas que d'autres ne
puissent être plus heureux ou plus ha-
biles. Pour lui, il a circonscrit le champi
de ses recherches. Quand il est arrivé
par de patientes études à saisir le secret
d'une relation d'effet à cause, il le for-
mule en loi, et ne se demande point si,
en remontant de loi en loi, oh n'arrivera
pas à une cause unique, en qui elles se
rassemblent toutes. On est. si loin en-
core de ce résultat! à chaque jour suffit
sa peine.
Voilà ce dont M. le juge de paix du
VIe arrondissement se serait convaincu
s'il avait lu ces livres dont il parle à
l'étourdie !
Est-il donc nécessaire, pour être un
honnête homme, un homme de sens, un
homme d'esprit, de se prononcer d'une
façon quelconque sur cette vérité toute
métaphysique, et qui n'est que de senti-
ment? M. le juge de paix se croit-il
réellement supérieur à M. Charles Robin
par cela seul qu'il déclare savoir qu'il y
a une cause suprême, et qu'il la connaît
fort bien, tandis que M. Charles Robin
avoue modestement qu'il n'a pas sur ce
problème des données positives et qu'il
lui paraît, en l'état actuel de la science,
impossible d'en avoir?
Cette double déclaration, faite par l'un
et par l'autre de ces deux messieurs, ne
prouve qu'une chose : c'est que M. le
juge de paix du VIe arrondissement a
sur ce point des révélations particulières
qui manquent à M. Ch. Robin.
C'est un avantage sans doute, car il
vaut toujours mieux savoir assurément
qu'ignorer. Mais l'ignorant qui ne s'en
fait point accroire, qui convient de son
ignorance, qui n'en veut point aux au-
tres d'être plus avancés que lui, qui ne
demanderait même pas mieux que de se
laisser convaincre a leurs preuves, et
qui est très-fâché de voir qu ils n'en ap-
portent pas de suffisantes, cet ignorant-
là est un homme après tout fort estima-
ble. Car l'important en ee monde n'est
pas de croire ou de ne pas croire, c'est
de ne pas tromper les autres ou soi-mê-
me sur ce qu'on croit.
L'ingénuité de Charles Robin en ces
matières devrait le rendre respectable
même à ceux qui déplorent son igno-
rance. Elle est la marque de qualités na-
turelles, qui sont précisément celles que
l'on exige d'un bon juré.
Que faut-il pour être un bon juré?
Un grand amour de la vérité d'abord ?
Eh bien ! Charles Robin ne temoigne-
t-il pas qu'il l'aime, quand il s'expose, en
avouant son ignorance, au mépris de M.
le juge de paix du VIe arrondissement?
Le goût de l'analyse et l'habitude de ne
jamais @ accepter pour vrai que ce qui est
prouvé ? Eh bien ! Charles Robin refuse
justement d'affirmer l'existence d'une
cause première, parce qu'on ne la lui
démontre point. Un parti pris de ne jamais
céder à des influences étrangères à la
cause ? Eh bien ! Charles Robin ne mon-
tre-t-il pas, par ce refus même, qu'il
sait résister aux préjugés les mieux ad-
mis, qu'il n'obéit qu'à sa donsciènce ?
M. le juge de paix du VIe arrondisse-
ment s'est-il dit qu'en demandant, pour
ce motif, que l'on exclût M. Charles
Robin des listes du jury, il en chasse
en même temps nombre d'honnêtes gens
qui sont coupables du même crime ? Car
enfin nous sommes en assez grand nom-
bre, dans la bourgeoisie lettrée, qui ne
savons rien non plus sur ce point de
science, qui tient tant au cœur de M. le
juge de paix, et qui ne faisons pas plus
difficulté de l'avouer que Charles Robin
lui-même. Je ne connais guère dans mon
entourage que des personnes qui n'osent
point se prononcer sur cette question, et
ces personnes sont toutes connues pour
leur probité, leur instruction, leur bon
sens, pour toutes les qualités qui font
l'honnête homme, et j'ajoute le bon
juré.
Si l'on raye du jury tous ceux qui
avouent n'avoir pdau s ~ll r y tous ceux qui
avouent n'avoir pas des renseignements
certains et précis sur l'existence et la
nature d'une cause première, voilà bien
du monde exclus ! Disons en revanche
qu'on sera en très-bonne compagnie sur
les listes de proscription. Ce me serait
un honneur d'y figurer à côté de Ro-
bin, et pour le même motif.
Car Robin, en fin de compte, a été
rayé. En vain M. Hérisson a-t-il protesté
dans la commission contre les préten-
tions de M. le juge de en Yain a-
tins de M. le juge de paix; en vain a-
t-il relevé ce qu'il y a de monstrueux
tout ensemble et de saugrenu à faire in-
tervenir dans la formation des listes du
jury les opinions philosophiques. On est
aile aux voix, et quatre voix s'étant pro-
noncées contre M. Charles Robin, il a été
déclare indigné.
f II est vrai qu'il a eu quatre voix pour
lui. Quatre contre quatre : mais il paraît
que là, à égaliLé de suffrages, on pro-
nonce contre l'accusé.
Voilà donc un des plus illustres re-
présentants de la science française mis
au rang des voleurs, des escrocs, des
faillis ou des illettrés, par quatre fanati-
ques imbéciles. Cela n'est-il pas bien
odieux ou bien ridicule ?
Les Allemands vont-ils se moquer de
nous ! et comme ils auront raison ! Et
dire que c'est dans le pays de Voltaire,
et cent ans après sa mort, qu'on en est
venu à ce point de bêtise intolérante !
FRANCISQUE SARCEY.
»
COURRIER PARLEMENTAIRE
!'-.)'¡"!" -
Versailles, 18 décembre 4872
Dans les longues traversées effectuées par
les navires à voiles, on lisait jadis sur le
journal de bord : « Aujourd'hui, telle date,
continuation du calme plat ; les passagers
s'amusent à pêcher ; sur les quatre heures,
pris un requin. »
Le journal de l'Assemblée, depuis deux
jours, pourrait être aussi laconique qu'un
journal de bord : la bourrasque de samedi
apaisée, toute brise politique est tombée,
et le fameux vaisseau de l'Etat reste en
panne; on n'a même pas, pour se désen-
nuyer, flottants dans l'air, les bruits des
couloirs, ces mouettes parlementaires ; les
députés s'amusent à pècher dans les eaux
peu limpides du budget des finances ; vers
quatre heures de relevée, on a pris. une
décision relative aux permis de chasse.
Notons toutefois une petite fête à bord :
le passage de l'année 1872 à l'année 1873
remplace, en cette occasion, le passage de
la Ligne.
A la suite de deux scrutins éternels, M.
le baron Chaurand paraît à la tribune et
place quelqnes mots au milieu d'un bruit
tel que M. Grévy est obligé de servir de
porte-voix à la prose de M. Chaurand. Il
s'agit d'un congé proposé à l'Assemblée, du
lundi 23 décembre au lundi 6 janvier.
La tribune des journalistes ne retient
qu'avec peine des tressaillements de joie ;
la droite retient mal des protestations.
La droite, la droite pure du moins, — car
c'est le groupe tapageur qui, seul, réclame,
— ne veut pas de congé. Songez donc !
quinze jours sans interpellations, sans
intrigues parlementaires, sans crises poli-
tiques; quinze jours pendant lesquels le
pays va se reposer ! Mais c'est qu'il est ca-
pable de prendre goût à cette douce quié-
tude, ce diable de pays !
M. Dahirel se fait remarquer par ses dé-
négations. M. Dahirel n'est pas méchant,
mais il n'aime guère le gouvernement ; en
outre, il est vif, de sorte qu'en pareille
occasion, il est toujours le premier à ve-
nir se brûler à la chandelle. La plupart
des autres sont des papillons de nuit,
moins aimables, selon nous, que le papil-
lon Dahirel, mais plus prudents, et restant
volontiers dans l'ombre.
Voilà M. Dahirel qui folâtre à la tribu-
ne. Il votera les quinze jours de congé,
mais il lui faut une commission de per-
manence.
Une commission de permanence pour
quinze jours 1 Une bonne partie de l'As-
semblée commence à rire.
.Ou, à défaut d'une commission de per-
manence nommée tout exprès, la commis-
sion des trente.
Du coup, la chose est absolument risi-
ble. Oncques commission ne fût mise à
tant de sauces que cette commission des
trente : c'est elle qui élabore les constitu-
tions, prépare les crises, fait les gouver-
nements, et nettoie les Cabinets.
Faut-il un ministre?. Voilà, voilà; un
coup de balai à M. Lefranc, et servez
chaud M. de Fourtou. — Faut-il des pro-
jets constitutionnels?. Voilà! voilà! Per-
mettez : c'est la responsabilité ministérielle
que vous demandez? Alors, adressez-vous
au 9 ; les autres projets sont au 11, la porte
à côté. — Fauil. Et la commission
des trente, qui tond les gouvernements et
ampute les ministres, va encore être obli-
gée de rester en ville pour garder les clefs
de la maison. C'est la maîtresse Jacques des
commissions !
Il y a des opposants et de nombreux
opposants à la proposition de M. Chaurand;
nous le voyons à l'animation du côté droit
de la salle. Les droitiers craignent de voir
les députés de la gauche aller faire un
petit tour dans leurs départements respec-
tifs. L'ajournement de la proposition est
demandé par M. Ganivet. On vote, mais
l'agitation est telle que chacun vote à l'in-
verse de sa propre opinion ; on croit voter
la proposition et l'on vote son ajournement.
C'est de la tricherie, comme disent les
enfants. Et l'on recommence. La proposi-
tipn Chaucand est adoptée : les turbulents
de la droite et l'extrême droite votent con-
tre. 1
A la bonne heure ; voilà enfin une
majorité, une vraie majorité! Elle est com-
posée de ceux qui veulent s'en aller.
Et nous nous plongeons dans les dou-
ceurs du budget des recettes.
C'est M. Ganivet qui demande qu'on
fasse tomber le permis de chasse de 40 fr.
à 25 francs, l'ancien prix. On causait, mais
on ne tarde pas à se taire, car une vraie ba-
taille s'engage à la tribune. MM. Monnet et
Decazes appuient M. Ganivet; M. Ravinel les
combat. Il s'établit une lutte climatérique en-
tre le nord et le midi; le nord, qui possède de
belles chasses, trouve qu'on peut bien payer
40 francs le droit luxueux de tuer san-
gliers, chevreuils et faisans ; le midi qui,
en fait de chasse, ne connaît guère que la
chasse au chastre, cette charmaste fantai-
sie de Méry, calcule que payer 40 fr. pour
trois moineaux par an, cela fait 13 fr. 33
par bec de pierrot.
M. de Tillançourt s'en mêle. M. Villain
se jette dans la lutte et propose des permis
de chasse à 10 francs pour les dimanches
et jours de fête, M. Faye le soutient On
dirait une ouverture : c'est une vraie fu-
sillade et beaucoup de bruit pour peu de
chose.
M. Vingtain vient se faire entendre : la
salle hurle; M. Vingtain descend. M. Ra-
vinel reparaît; hurlements plus farouches;
M. Ravinel descend. Tout le monde veut
parler. Il n'y a que le lapin qui ne soit pas
entendu !
Finalement, au scrutin, — car il y a eu
scrutin, — le permis de chasse est rétabli
à 25 fr. par 531 voix contre 97.
Cette majorité cynégétique, quilaisseloin
derrière elle celle obtenue par M. Dufaure,
peut s'expliquer facilement par un terme
de chasse : miroir à électeurs. Le petit
propriétaire de province était fort mécon-
tent de l'augmentation du permis de chasse;
en outre, cette loi, édictée par une Assem-
blée républicaine (!! !), n'était nullement
démocratique, et les résultats budgétaires
étaient bien insignifiants.
Du reste on est en train de revenir sur
les lois aujourd'hui. Si on laisse de côté
la surtaxe de pavillon, c'est grâce à des
raisons diplomatiques. Contre le vœu de
la commission du budget, on enlève la
taxe votée tout dernièrement sur les
créances hypothécaires ; elle ne produit
rien. Enfin, on veut faire porter « pour mé-
moire » seulement le chiffre pour lequel figu-
rent au budget des recettes les matières pre-
mières ; ce chiffre est fictif, assure-t-on, vu
son rendement actuel.
Après un engagement assez vif entre M.
Bonnet (libre-échangiste de la Gironde) et
M. de Rémusat (ministre des traités de
commerce), la discussion de cette grave
question a été renvoyée à demain.
Et, malgré nous, en pataugeant par les
boues de Versailles, nous songions que 6
millions de ci (créances hypothécaires), 93
millions de là (matières premières) et bien
d'autres millions qui manquent un peu par-
tout, pourraient bien faire patauger le bud-
get de 187 dans 200 petits millions de
déficit.
PAUL LAFARGUE.
+ —————————————
NISUS ET EURYALE
Le rôle du Bien public n'est pas tou-
jours commode, nous le comprenons;
mais il lui serait bien facile de rester
dévoué sans se laisser emporter jusqu'au
zèle qui, on-le sait, est presque toujours
intempestif. -
N est-ce pas aller trop loin, par exemple,
que de chercher querelle aux journaux
qui se permettent d'opposer M. Dufaure
à M. Thiers? C'est pourtant la tâche in-
grate à laquelle se livrait hier le Bien
public.
Qui veut trop prouver ne prouve rien*
A qui fera-t-on croire que le garde des
sceaux, dans son discours de samedi,
n'a point ouvertement contredit les prin-
cipales affirmations du message prési-
dentiel? Et pour qui prend-on le public
quand on lui représente le discours de
M. Dufaure à l'Assemblée, et celui de
M. Thiers à la commission des trente,
comme se complétant l'un par l'autre ?
Pour M. Dufaure, nous vivons sous un
gouvernement provisoire qu'il regrette
amèrement de voir appeler la Répu-
blique. Pour M. Dufaure, la République
est un épouvantail ; ce mot seul lui
donne le vertige, car il lui rappelle 1848,
- l'ingrat - et surtout 1793, — le per-
fide !
Pour M. Thiers, la République existe,
elle est le gouvernement légal, et
il estime que plus on se hâtera de faire un
89 définitif, moins Gn, devra redouter
un 93.
Le garde des sceaux est tout à fait de
l'avis des ducs, qui promettent volon-
tiers de ne point renverser l'état de cho-
ses actuel, pourvu qu'on ne leur deman-
de pas de le consolider.
M. le président de la République est
d'une opinion contraire; il insiste pour
qu'on donne au régime existant le moyen
de vivre et de bien vivre.
On avouera que si M. Thiers et M. Du-
faure sont d'accord, c'est uniquement en
raison de l'axiome qui veut que les ex-
trêmes s.e touchent.
Non, c'est pousser le zèle trop loin
que de nier, nous ne dirons pas la mé-
sintelligence, mais tout au moins le dé-
faut d'ejitente existant entre le président
de la République et le garde des sceaux,
dont la haute position dans le conseil
équivaut, de fait, à celle de vice-prési-
dent. C'est même peut-être dans cette
situation qu'il faut chercher le motif du
peu de penchant que semble avoir M. Du-
faure pour le régime républicain. Béran-
ger aurait-il vu juste quand il répondit à
un de ses amis qui lui reprochait de ne
point vouloir travailler à la Constitution,
en 1848 : — A quoi bon ? je ne crois pas
à la possibilité de -- la - République en
France. — Pourquoi cela ? lit son ami.
— Parce que, répondit Béranger, je ne
conçois pas une République sans un pré-
sident et un vice-président. Or, un pré-
sident, on le trouvera toujours ; mais je
doute que dans notre pays on trouve ja-
mais un homme qui consente, de bonne
foi, à n'être que le vice-président.
A Dieu ne plaise que nous voulions
insinuer par là que si la présidence était
offerte à M. Dufaure, il deviendrait tout
de suite républicain; mais M. Dufaure
est un homme de réelle valeur, et peut-
être souffre-t-il malaisément de n'être
que la doublure du grand premier rôle.
Il a trouvé une occasion de faire son
message, lui aussi ; il l'a fait avec son
tempérament particulier, sans penser à
mal, peut-être, mais à coup sùrj sans se
préoccuper suffisamment de rappeler le
ton et la manière de son chef d'emploi.
Voilà ce que nous avons dit et ce que
le pays a constaté comme nous.
Nous estimons, comme il convient, le
souci qu'on prend, d'atténuer autant que
possible cette divergence; on veut com-
battre l'impression fâcheuse qu'a faite sur
le public la vue d'un des ministres du ca-
binet donnant la main à une partie de
l'Assemblée pour combattre la politique
du gouvernement ; et l'on espère surtout
donner le change à la commission des
trente. Cette dernière raison, sans doute
considérée comme la plus grave, ne
nous séduit pas plus que la première.
Il est certain qu'après les récentes dé-
clarations de M. Thiers et sa volonté
nettement exprimée de ne point aban-
donner le terrain du message, la com-
mission des trente pourrait y regarder à
deux fois avant d'engager la lutte si elle
savait que M. Thiers, soutenu au dehors
par le pays, le sera all. dedans par son ca-
binet tout entier.
Le contraire pourra arriver, nous ne le
nions pas, si la commission est assurée
d'avoir pour elle un ministre, et le plus
influent du cabinet. Mais c'est se tromper
étrangement de croire que la commission
puisse avoir encore quelque chose à ap-
prendre à ce sujet. Ou elle sait, à n'en
pas douter, que M. Dufaure est un bril-
lant fantaisiste dont il faut prendre les
boutades comme elles viennent ; ou elle
se connaît le droit absolu de compter sur
lui comme sur un allié. Dans les deux
cas, rien ne sert de nous représenter M.
Thiers et M. Dufaure unis comme
Nisus et Euryale. Le pays ne voudra pas
le croire, et la commission des trente
n'a nul besoin d'être renseignée.
Et puis, s'il faut le dire, la commission
des trente nous paraît devoir jouer, dans
tout ceci, un rôle infiniment modeste.
Si elle avait pu, comme elle a dû l'espé-
rer un moment, après la .séance de sa-
medi, escamoter le vote du 29 novembre
grâce à la complicité du gouvernement,
elle eût volontiers achevé ses travaux.
Ne tenant pas compte du projet Dufaure,
elle se fût contentée d'organiser la res-
ponsabilité ministérielle. Mais M. Thiers
n'entend point de cette oreille ; il fau-
dra, bon gré mal gré, s'occuper des pou-
voirs publics, c'est-à-dire elaborer un
semblant de constitution qui permette à
la machine gouvernementale de fonc-
tionner avec un peu moins de cahots
qu'aujourd'hui. Et cela, sachez-le bien,
vous ne l'obtiendrez pas. On se réunira,
on discutera, on écrira deux lignes, on
raturera la première; on piétinera sur
place, en un mot. Car on ne veut pas
avancer ; car on sait bien que si le doigt
seulement est pris dans l'engrenage, tout
le corps y passera.
Le régime actuel n'est pas viable,
c'est bien pour cela qu'on ne fait aucune
difficulté pour le maintenir. Il faut ga-
gner du temps, fatiguer le pays, lui .don-
ner peu à peu le dégoût et la haine du
provisoire. Je vous dis qu'on ne fera.
rien. La commission des trente amusera
le tapis — amuser n'est pas le mot juste,
car c'est la France qui est le tapis,
— mais soyez sûrs qu'elle a reçu déjà
ou recevra le mandat impératif de tout
entreprendre et de ne rien terminer.
: E. SCHNERB.
4
LA DERNIÈRE LOI DE M. DUFAURE
Comme orateur politique, M. le garde
des sceaux est connu. On commence à
savoir, jusque dans les villages, que ce
vieillard, par un don spécial de la nature,
est à la fois hérissé comme un porc-épic
et glissant comme une anguille; qu'il
blesse avec la plus extrême facilité et la
satisfaction la plus visible ses amis com-
me ses ennemis ; qu'on ne le tient ja-
mais, de quelque prix qu'on ait acheté
ses services, et que s'il démolit volon-
tiers tous les gouvernements dont il
n'est pas, il sape plus volontiers encore
les gouvernements dont il est.
Sur ce côté de l'homme, tout est dit ;
c'est pourquoi nous n'en parlons que
pour mémoire.
Mais on n'a pas encore rendu pleine
justice au génie également destructif que
ce même M. Dufaure exerce dans la fa-
brication des lois.
En vérité notre siêcle est ingrat, car
personne ne pense à mettre en lumière
les services effrayants de ce législateur
destructeur. A peine si l'on sait dans le
public que M. Dufaure est l'auteur de la
loi sur les échéances, de cette loi pater-
nelle et providentielle qui a protégé le
perceau de la Commune en exaspérant
les trois quarts des petits commerçants
de Paris.
Ces pauvres gens, étranglés par les
Vénérables mains de M. Dufaure, ne se
ont pas jetés pour cela dans l'insurrec-
tion, car ils sont honnêtes; mais ils ont
montrépeu de zèle à la combattre. Entre
une poignée de scélérats et de fous qui
be leur faisaient encore aucun mal et les
honorables auteurs de la loi Dufaure, qui
leur en faisaient beaucoup, ils ont pensé
t y avait certain mérite à rester neu-
tres. Supposez qu'un gouvernement
nieux conseillé eût pris soin de les ga-
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