Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1872-12-07
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 07 décembre 1872 07 décembre 1872
Description : 1872/12/07 (A2,N387). 1872/12/07 (A2,N387).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/03/2013
1 *
2* Année. - N° 387. Pnix DU NUMÉRO: PARIS 15 (CENTIMES - DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Samedi 7 décembre 1872.
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2. rue Diouot) a
.1 '; 1 \)1.1'
Les manuscrits non - insérés seront 1, -
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Trois mois *3 fr.
Pix mois. 25
Un an. 50
DÉPARTEi^EiïftTS
Trois moi3 \». 1G f
Six mois
Un au
Annonce, chez MM. LAGllA NGE, CERF et C'
6, place de la (Qursc, 6
meu E —— ',.
..- JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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Six mois. 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois 32
Un an., 62 -
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bourse, 6
Paris, le 6 décembre 481%.
1 heure du matin.
Décidément, nous avions trop compté
sur le patriotisme du centre droit. Les
députés flottants ont flotté vers les
princes qui leur faisaient les yeux
doux. Cette bataille des bureaux, que
nous ne désespérions pas de gagner,
est perdue pour M. Thiers, perdue pour
la République, perdue pour la France.
Une majorité d'environ 30 voix a entraî-
né la nomination de 19. commissaires
hostiles au gouvernement contre 11 con-
servateurs. Ainsi, dans une commission
chargée de régler les rapports du pou-
voir exécutif avec la représentation na-
tionale, les adversaires déclarés du pré-
sident de la République sont app roxima-
tivement deux contre un.
Le côté droit de l'Assemblée a emporté
la balance ; il est le maître, non pas de
renverser M. Thiers, car il n'a pas un
homme à mettre en sa place, mais de
lui imposer un régime humiliant, vexa-
toire, intolérable, qui dès demain, si l'on
veut, l'empêchera de gouverner. Les
ducs n'ont qu'à parler ; le fidèle Batbie,
écuyer-commissaire, les armera de
toutes pièces. Il leur fournira les
moyens de désarçonner les ministres,
l'un après l'autre, en champ clos, et d'i-
soler ainsi le vieillard qui depuis deux
ans, jour et nuit, s'acharne et s'achève à
sauver notre malheureuse patrie. La
France ne s'appartient plus, elle est li-
vrée en proie à l'intrigue parlementaire.
Les citoyens, au nombre de 36 millions,
n'ont plus- qu'à prendre place autour de
l'arène pour admirer la grande partie
qui se joue sur les ruines du pays. Cela
les distraira. Aussi bien n'auront-ils
plus d'autres affaires, car l'industrie, la
finance et le commerce sont en vacan-
ces pour longtemps.
On nous assure que M. Thiers, en ap-
prenant le vote des bureaux, s'est écrié :
Maintenant, il n'y a plus que la dissolu-
tion de possible. Nous pensons qu'en
effet la ressource du renouvellement
partiel, que les républicains acceptaient
comme un pis-aller, nous est ôtée par
messieurs de la droite ; mais si le renou-
vellement partiel est devenu impossible,
il ne s'ensuit malheureusement pas que
la dissolution soit possible. La droite
est la plus forte, elle s'amuse à Versail-
les, elle y veut rester, elle y restera tout
son saoûl.
L'opinion publique aura beau protes-
ter, ces messieurs n'ont-ils pas le droit de
se boucher les oreilles? Dix millions d'é-
lecteurs signeraient une pétition comme
le monde n'en a jamais vu, ces mes-
sieurs seraient toujours libres de jeter
noblement cette paperasse au panier.
La République est acclamée par l'im-
mense majorité des citoyens dans les
villes et dans les campagnes ; c'est un fait
que ces messieurs ne légaliseront point,
si bon leur semble. Le peuple souverain
a, disent-ils, abdiqué en leur faveur. Ils
ont lâché le grand mot de Louis XIV
par la bouche de M. le marquis de Vo-
gué : L'Etat, c'est nous ! La chose est
clairQ; nous ne vivrons dorénavant que
sous le bon plaisir de ces messieurs.
Grand bien leur fasse ! Quant à nous,
s'il nous paraît étrange et douloureux
d'être conquis par nos propres manda-
taires après avoir été conquis par les
Prussiens, nous tâcherons de supporter
ce nouveau désastre avec autant de di-
gnité que le premier.
Entre les Allemands qui tiennent gar-
nison à Nancy et le parti des ducs qui
les a remplacés à Versailles, nous nous
serrerons autour du courageux citoyen,
du grand Français qui s'est voué à notre
délivrance.
Nous persistons à croire qu'il saura
nous débarrasser des uns comme des
autres, sans coup férir, par l'étroite
union de son bovouloir et du nôtre.
Nous sommes tout à lui et nous ne crai-
gnons pas de dire que le pays lui
rend en popularité le centuple du pou-
voir que l'Assemblée lui dérobe.
ABOUT.
—■ ♦—
LA COMMISSION DES TRENTE
Voici la liste des commissaires élus au-
jourd'hui dans les bureaux :
1er bureau MM. Batbie Yd.)
Théry (d.)
2e bureau Delacour (g.)
Duchâtel (g.)
3e bureau < Marcel Barthe (c. g.)
D'Haussonville (d.)
4e bureau Duclerc (g.)
Ricard (g.)
5e bureau Martel (c. g.)
de Fourtou (c. g.)
6e bureau Arago (g.)
Bertauld (c. g.)
7e bureau Lacaze (d.)
Labassetière (d.)
8e bureau Fournier (d.)
de Larcy (d.)
9e bureau dAudiffret-Pasquier.
de Cumont (d.)
1110e bureau duc Decazes (d.)
11"\ de Germonière (d.)
IIe bureau Lucien Brun (d.)
L'Ebraly (d.)
12e bureau de Lacombe (d.)
A. Lefèvre-Pontalis.
13e bureau Desseilligny (d.)
Grivart (d.)
14e bureau Baze (d.)
Ernoul (d.)
15e bureau A. Grévy (g.)
'Max Richard (c. g.)
+ ————————
Un des membres de la jeune gauche,
M. Edmond Turquet, nous fait l'honneur
de nous communiquer la lettre suivante
qu'il adresse, aujourd'hui même, à l'un
de ses amis, conseiller général de l'Aisne.
Pour ceux de nos lecteurs -qui seraient
moins bien renseignés que nous sur la
qualité, le caractère et la situation des
personnes dont il est question dans cette
pièce importante, nous dirons, en peu de
mots, que le signataire est un ancien
magistrat et un grand propriétaire ; que
M. Warnier est un des principaux indus-
triels de la Marne, et que M. Etienne
Lamy, député du Jura, a été longtemps
secrétaire du président de l'Assemblée,
M. Jules Grévy.
Ces trois républicains conservateurs
appartiennent à trois départements qui
ont subi l'occupation étrangère et qui la
subiraient de nouveau si quelque trou-
ble-intérieur ramenait nos ennemis en
France. Il est donc évident qu'ils ne
voient pas dans la dissolution de la Cham-
bre une cause ou une occasion de désor-
dres publics.
A monsieur Toffin, conseiller général
de Bohain (Aisne).
Mon cher collègue,
Les derniers événements vous ont effrayé
pour la France, la viccoire de la République
vous semble précaire, et vous me demandez
par quels moyens le pays peut assurer son
avenir.
J'hésite d'autant moins à vous répondre,
que je vous exprimerai, non ma pensée
personnelle, mais la conviction unanime
de la jeune gauche, à laquelle j'appar-
tiens.
Des élections de février, où il semble que
le passé seul ait été représenté, quelques
hommes, nouveaux ont surgi. Etrangers
par leur âge aux engagements, aux rancu-
nes, aux ambitions des partis, éloignés par
la modestie de leur rôle, et aussi par ca-
ractère, des manoeuvres quotidiennes qui
sont le suprême de l'art parlementaire,
mais au milieu desquelles l'horizon des es-
prits se rétrécit parfois, ils se sont donné pour
unique but d étudier les mouvements de
l'opinion dans le pays.
De là est née pour mes amis, pour moi,
la double certitude que le pays avait une
volonté, la République ; que l'Assemblée
nationale était incapable de fonder aucun
régime.
Cette conviction était déjà faite quand,
après six mois de luttes intestines, où cha-
cun avait essayé ses forces, des hommes
trop optimistes crurent que l'on pouvait
fonder quelque chose, et bâtirent l'honnête
chimère de la constitution Rivet. A cette
empirique mesure nous opposâmes dès ce
moment le véritable remède, et les pre-
miers dans l'Assemblée, nous prononçâmes
le mot de dissolution.
Lamy, Warnier (de la Marne) et moi
nous déposâmes le 27 août 1871 un amen-
dement demandant à la Chambre de se
dissoudre après le vote vdu budget.
Même dans notre parti, la mesure parut
trop ardente. Il fallait de plus rudes désil-
lusions. Mais la vérité était pour nous si
certaine qu'elle pouvait affronter l'insuc-
cès. Lamy fut chargé de la défendre à la
tribune. Il le fit avec éclat, vous vous en
ouvenez. La droite ne voulut pas l'écou-
ter.
C'est au milieu des murmures qu'il pro-
nonca ces paroles :
« Le pays voit une Assemblée où
des hommes d'intelligence , de réso-
lution , de probité, abondent , mais
où, par la fatalité des circonstances ,
il semble que les intelligences se soient
donné rendez-vous pour se contredire,
les volontés pour s'annuler et les honnê-
tetés même pour se méconnaître. Le
seul remède sérieux à une situation si
pleine de dangers, c'est que, après avoir
voté les lois indispensables, nous remet-
tions notre mandat au pays, notre juge.
Une Assemblée où une majorité puisse
s'établir et un gouvernement se former,
voilà ce qui, rassurant la France sur son
avenir, peut seul ramener la sécurité. »
Pendant les vacances parlementaires qui
suivirent, nous expliquâmes dans nos dé-
partements que la dissolution était indis-
pensable. Dans le compte-rendu que War-
nier adressait à ses électeurs de la Marne
le 12 octobre 1871, il s'exprimait ainsi : -
« Quelle forme de gouvernement, quelle
constitution de pouvoir est donc possible
avec l'Assemblée actuelle ? Quelle stabilité
quelle sécurité peut-on en attendre?
» En proie à une désunion profonde, en
désaccord presque permanent avec le chef
du pouvoir exécutif, en désaccord avec les
manifestations les plus récentes du suffrage
universel, l'Assemblée s'agite et ne marche
pas.
» Trêve volontaire ou forcée des partis,
pactes de Bordeaux ou de Versailles, expé-
dients, compromis, essais sincères ou non
d'un provisoire plein, d'équivoques, tout
cela ne constitue ni une politique ni un
gouvernement.
» Il faut donc souhaiter qu'elle reconnaisse
ce qu une telle situation a de fâcheux pour
les intérêts qui ont été remis entre ses
mains iLfaut qu'elle ait la sagesse de déci-
der qu après avoir accompli les travaux lés
plus urgents, elle prononcera sa dissolu-
tion. »
La session de 1872 nous donna trop rai-
son. Dès le 19 janvier la démission de M.
Thiers avait déchiré la constitution Rivet.
Depuis cette date chaque mois augmenta
les fureurs des royalistes, la faiblesse du
gouvernement, l'anxiété du pays. Au mo-
ment où la prorogation d'août dernier ar-
riva, nous pensâmes que la dissolution,
repoussée un an auparavant, sortait plus
nécessaire de la force des choses. Nous
essayâmes de réunir des députés et des
journalistes de diverses nuances de la gau-
che et de déterminer par la presse un mou-
vement dissolutionniste que les représen-
tants auraient activé par leur présence sur
tous les points du pays. Là encore nous
échouâmes. La gauche, qui avait donné
durant toute cette année, tant de preuves
d'abnégation et de patience, crut ces
vertus encore nécessaires et résolut de
s'abstenir.
Suivant nous cette décision est la seule,
mais restera la grande faute du parti répu-
blicain. Si durant les vacances il avait agi,
des millions de signatures obtenues du
pays auraient enlevé à la droite le prétexte
de légalité dont elle se couvre, car nous
n'admettons pas qu'il lui puisse rester
d'illusions. Devant cette grande voix il
aurait fallu obéir. Quoi qu'il en soit, l'ac-
tion étant impossible sur l'heure même,
nous voulûmes la préparer dans l'avenir.
C'est alors que nous répandîmes les uns
par la parole, les autres par des lettres et
des comptes-rendus, nos arguments en fa-
veur de la dissolution.
Pendant que nous agissions, mes amis
et moi, dans nos départements, Lamy,
donnait un corps à nos communes pensées,
dans sa brochure, où la nécessité de la
dissolution est si nettement démontrée.
Relisez-la et faites-la lire. Elle est écrite de
main de maître.
Vous voyez aujourd'hui si nous nous
étions trompés. Quel prix de sa longani-
mité a reçu le parti républicain ? Moins de
quinze jours après la rentrée de la Cham-
bre, l'existence du gouvernement de la
République était menacée, le commerce,
l'industrie s'arrêtaient. Nous ne touchons
pas au terme; chaque jour, les déchire-
ments augmentent comme font les crises
d'un mal incurable.
Quelques hommes obstinés dans leur
confiance ont considéré la défaite des mo-
narchistes et le triomphe de la République
comme assurés le 29. Le lendemain les
vaincus, en renversant le ministre de l'in-
térieur, ont prouvé ce que valait la majorité
nouvelle. Aujourd'hui même, dans cette
commission nommée contre eux, sur la
demande de M. Thiers, ils ont, par des
retours de conscience mystérieux, obtenu
19 voix ; le gouvernement en a eu 11.
Ainsi les victoires et les défaites se distri-
buent comme au hasard par des majorités
aussitôt désunies que formées. Heureux
ceux qui ne désespèrent pas encore de fon-
der sur de pareilles assises un gouverne-
ment régulier !
Quant à nous, nous n'avons pas cette
foi robuste. Ce qui nous reste de confiance
nous le plaçons, non pas dans une Cham-
bre vieillie dans des combinaisons usées,
mais dans le pays. Là nous voyons, nous
sentons une majorité dont l'heure ne peut
être plus longtemps retardée.
Notre remède, mon cher ami, est donc
demewré le même. Aujourd'hui comme en
juillet 1871, comme en août 1872, nous di-
rons : dissolution. Grâce à vous, grâce à
l'opinion publique qui s'éveille, grâce à la
droite même, dont les fautes nous servent,
nous espérons le dire avec plus de suc-
cès que - par le passé. -
Prenez donc en main cette cause, mon
cher collègue ; elle est bonne, elle est con-
servatrice, elle est légale. Ne vous laissez
pas épouvanter par ceux qui vous parle-
ront de démagogie. C'est dans un intérêt
conservateur, c'est pour prévenir des évé-
nements terribles peut-être que nous de-
mandons cette dissolution. Ainsi, que vo-
tre action soit partout active, partout ré-
gulière ; qu'il n'y ait dans le pays ni me-
nace, ni violence contre l'Assemblée.
Ce n'est pas l'étendard d'une insurrec-
tion que nous levons, c'est celui de la
volonté nationale ; il n'a pas besoin de
passions pour cortège. La fermeté, la mo-
dération nous suffisent, nous prenons et
nous donnons pour mot d'ordre ce que
signait Lamy dans sa brochure : « Il faut
rester dans la légalité pour rentrer dans
le droit. »
Veuillez agréer, mon cher collègue, la
nouvelle assurance de mon entier dévoue-
ment.
EDMOND TURQUET,
Député et conseiller général.
* —————————
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 5 décembre 1872
La séance n'a commencé qu'à trois heu-
res et demie, et les esprits étaient bien peu
à la séance. Pendant que M. de Mornay
parlait, d'une facon peu saillante, sur les
haras, pas un député, pas un n'écoutait :
tous commentaient, qui dans les couloirs,
qui dans la salle, le vote des bureaux.
Disons-le immédiatement : ce vote est
loin d'être favorable à la cause républi-
caine ; dix-neuf candidats de la liste de la
droite ont été élus contre onze candidats
de la liste de la gauche.
En additionnant la somme des voix ob-
tenues par les uns ou les autres dans les
différents bureaux, on arrive à 361 voix
réparties sur les candidats de la droite
contre 331 voix réparties sur les candidats
de la gauche. C'est, à quelques voix près,
la majorité de la journée du 29 novembre,
mais la majorité retournée. Les flottants
du centre droit, qui avaient apporté leur
appoint à gauche, l'ont transporté à
droite.
Voulez-vous l'explication de ce fait étran-
ge, bien qu'un peu prévu? Le voici : dans
les bureaux, le vote reste secret. Pauvre
pays qui a confié ses destinées à certaines
gens qui ont une opinion pour les ténèbres
et une autre pour le grand jour !
Une espèce nouvelle vient d'éclore : les
chauves-souris de l'ordre.
Le ban et l'arrière-ban avaient été con-
voqués. Certains, malades, étaient venus,
la tête enveloppée de foulards. Le général
Chanzy avait quitté son commandement
pour venir voter. M. Ducarre avait quitté.
Versailles, pour ne pas être obligé de vo-
ter ; le député de Lyon, membre du centre
gauche, est, croyons-nous, le seul honora-
ble qui ait trouvé, ea un pareil moment,
un voyage si pressé à faire.
Et pendant deux bonnes heures, chaque
bureau a présenté le spectacle d'une mi-
nuscule Assemblée.
2 x 15 = 30
Nous n'avons pas la prétention de vous
raconter tout ce qu'il a pu être fait de dis-
cours en trente heures. Nous ne signa-
lerons que l'impression générale.
La question d'une seconde Chambre a
été à peine effleurée ; c'est la moins palpi-
tante du moment.
La question de la responsabilité minis-
térielle a fourni un plus vaste champ aux
dissertations, sans amener, selon nous, de
résultat qui ne fût connu : la gauche
ne s'oppose nullement à la responsabilité
ministérielle, entourée d'un cortége d'au-
tres lois; lg droite veut la responsabilité
ministérielle, toute nue, grelottante
Enfin la vraie question, la question
brûlante, a fait rompre bon nombre de
lances. Seul, le centre gauche a soutenu le
renouvellement partiel ; la gauche ne pou-
vait, d'ailleurs, le soutenir ; tout ce qu'elle
peut faire, c'est de l'appuyer, en se laissant
forcer la main; la dissolution reste son
idéal. Quant à la droite, elle ne veut ni
dissolution, ni renouvellement partiel ; elle
veut rester, et voilà tout !
A côté des grandes questions générales,
viennent les petites questions particulières.
M. Schœlcher, dans le premier bureau,
se trouvait nez à nez avec M. Batbie : il a
profité de l'occasion pour dire au fameux
rapporteur ce qu'il avait sur le cœur depuis
huit jours; il en avait gros.
Les développements de M. Schœlcher
peuvent se résumer en une ligne : « Je
suis un radical, et j'ai la prétention de ne
pas être un incendiaire de la Commune. »
Les développements ont été vifs, paraît-il,
car M. Schœlcher aurait été rappelé à
l'ordre.
Dans le quatrième bureau, un discours
leader de M. Ricard, le téRor voilé du cen-
tre gauche.
Dans le sixième bureau, un discours fort
remarquable de M. Bertauld. L'allocution
était des plus mouvementées et contenait,
outre des théories politiques nuance centre
gauche, des ripostes humoristiques nuance
Bertauld dans le genre de la suivante r
Le général Changarnier. - Eh ! M. Ber-
tauld, vous êtes bien tragique !
M. Bertauld. - Monsieur, j'aime mieux
être tragique que comique.
Notons enfin, parmi les noms portés par
la liste de la droite et ayant échoué, trois
notabilités de l'opposition : MM. de Ker-
drel, de Broglie et Raoul Duval.
Convenons en même temps que si M.
Marcel Barthe (gauche) l'a emporté, dans
le troisième bureau, sur M. d'Hausson-
ville (droite), c'est à la primauté de l'âge,
et - non au nombre de voix, cru'il doit sa vic-
toire.
Et maintenant que nous avons exposé,
sans parti pris, à coup sûr sans dissimu-
lation aucune, et l'échec des nôtres, et les
causes qui l'ont amené, nous nous adressons
au lecteur pour lui demander le remède à
une pareille situation. Quand une Assem-
blée ne peut parvenir à former une majo-
rité ni au centre, ni à gauchaj ni à droite;
quand, elle a peur de ses propres votes et
encore plus peur du jugement du pays ;
quand hésitante, tiraillée, ellemarche d'er-
rements mauvais en errements pires ;
quand elle le sent elle-même et, sur la
même question, se déjuge du jour au len-
demain, que doit-elle faire ?
Se dissoudre.
C'est ce dont causait une partie de l'As-
semblée pendant qu'un orateur s'escrimait
à la tribune.
Tout à coup, le silence se fait, et nous
apprenons, ce dont bien des gens ne se
doutaient guère, qu'on en a fini du budget
de l'agriculture et du commerce et qu'on
en est au chapitre 6 du budget de la jus-
tice.
On écoute, on écoute avec toute l'atten-
tion dont on est capable en un pareil mo-
ment, car il s'agit d'une grosse question :
M. de Jouvenel demande la suppression
de 10 cours, et l'on sait qu'il demandera
également la suppression de 175 tribunaux
de première instance.
La discussion a été très-longue et très-
sage sur ce chapitre : M. Bardoux, pour
la commission du budget; M. Merveilleux-
Duvigneaux,pour la commission de la réor-
ganisation de la magistrature; M. Marcel
Barthe, en volontaire; et M. Dufaure, en
ministre, y ont pris part.
La question se réduit à ceci : Il y a
trop de juges et pas assez d'argent ; on ne
peut réduire les traitements, qui sont déjà
trop petits : qu'on réduise le nombre des
juges, qui est trop grand. La commission
du budget est de cet avis, M. le ministre
est de cet avis ; la commission de réor-
ganisation de la magistrature seule résiste.
Et pourtant le ministre ne supprime —
et par voie d'extinction - qu'un président
et un ou deux conseillers par cour.
Le tout se solde actuellement par 50,000
francs que la commission du budget refuse
à la commission de réorganisation de la
magistrature. Cette dernière a été battue, à
une grande majorité.
Terminons par le seul mot gai de la
journée.
M. Grévy donne lecture d'un document
qui charge deux conseillers d'Etat en ser-
vice extraordinaire, MM. Durangel et Four-
nier, du soin de venir défendre devant
l'Assemblée le budget de l'intérieur, vu le
décès politique du titulaire.
La droite semble étonnée de cette me-
sure.
- En vertu de quelle loi? crie M. de
Lorgeril.
- En vertu de la loi, répond impertur-
bablement M. Grévy, que vous avez faite
vous-mêmes sur le conseil d'Etat.
PAUL LAFARGUB.
-——————— ————————
LEUR VICTOIRE
Hier, dans la soirée, trois hommes,
trois Français sur trente-six millions ont
dû goûter les douceurs d'une joie sans
mélange , car tous trois ont cru un
instant que leur heure était venue, tous
trois ont entendu une voix intérieure
qui disait à l'un : Chambord, tu seras
roi! à l'autre : d'Orléans, tu seras roi!
au troisième : Bonaparte, tu redevien-
dras Napoléon 1
Et demain, les journaux du lys, du coq
ou de l'aigle chanteront en chœur :
Tout va bien : vive le roi ! Tout va mal :
vive l'empereur!
Si nous n'avions pd'être indiscret,
si nous ne redoutions de passer pour
des trouble - fêtes, nous demanderions
la permission de crier modestement :
Vive la France ! Mais nous ne voulons
point nous faire remarquer.
D'ailleurs, si nous avons de sérieux
motifs pour n'être point réjouis du vote
qui vient de fournir dix-neuf commis-
saires sur trente à la coalition blanche,
une chose du moins est de nature à nous
rendre moins rude l'échec que nous su-
bissons. Nous l'avions prévu.
Dès le 29 novembre, nous déclarions
accepter le mot de majorité de rencontre
que M. Ernoul jetait à la face des 372
représentants du peuple qui avaient op-
posé leur veto patriotique aux tentatives
odieuses de la droite. C'est vrai, disions-
nous, le gouvernement n'a eu, n'a et
n'aura jamais dans cette Assemblée qu'u-
ne majorité de rencontre, et c'est parce
que nous savons fort bien qu'il n'y a
rien de possible à un gouvernement non
plus qu'à une Assemblée dans ces con-
ditions, què le pays doit être appelé,
dans le plus bref délai, à dire de quel
côté il entend que doive pencher la
balance.
Nous' disions encore que les 372 se
diviseraient certainement sur les ques-
tions de pratique républicaine ou gou-
vernementale. Et c'est ce qui est arrivé
hier.
La tâche des commissaires nommés
dans les bureaux est de rédiger un pro-
jet d'organisation des pouvoirs publics.
Programme d'autant plus vaste que sur
les trente commissaires choisis, il se
trouvera, c'est probable, trente opinions
différentes sur la manière de l'envisa-
ger. Il ne faut donc pas s'étonner, tout
en le regrettant, si bon nombre de dé-
putés qui avaient voté contre le renverse-
ment de M. Thiers n'ont pas cru se
donner un démenti à eux-mêmes en
votant cette fois avec la minorité du 29
novembre. 1
Et qui sait? Peut-être, en agissant
ainsi, ont-ils cru, au contraire, demeurer
parfaitement d'accord avec la pensée de
conservation nationale qui les avait
fait incliner à gauche il y a quelques
jours. Les 40 ou 50 membres du centre
droit qui ont voté pour le projet Dufaure
ne se sont jamais donnés comme des ré-
publicains ; leurs préférences avouées, et
fort avouables, sont pour une monarchie
constitutionnelle; mais ce qui les distin-
gue de leurs collègues du centre droit et
de la droite, c'est qu'ils ne sont point des
irréconciliables, c'est qu'ils sont prêts
à faire le sacrifice de leurs opinions per-
sonnelles, plutôt que de les imposer au
pays malgré vent et marée, au risque
des catastrophes politiques et sociales
qui en pourraient résulter.
Voilà pourquoi ils ont voté pour le
maintien du gouvernement républicain
contre les monarchistes, contre eux-
mêmes.
Mais du moment qu'ils ont eu à se
prononcer sur les voies et moyens qu'il
convenait d'employer pour faire vivre
l'état de choses actuel, on conçoit aisé-
ment que leur naturel soit revenu au
galop et qu'ils aient voté pour des
hommes qu'ils avaient combattus cinq
jours auparavant.
Car c'est là seulement qu'il faut cher-
cher la vérité de la situation ; c'est dans
ces deux votes comparés du 29 novem-
bre et du 5 décembre. Il est constant
que ce chiffre de 19 commissaires mo-
narchistes sur 11 républicains est le ré-
sultat de défections dans la majorité
gouvernementale du 29. Donc un certain
nombre de députés qui avaient voté avec
les républicains contre les monarchistes
ont voté cette fois avec les monarchistes
contre les républicains.
A moins de supposer qu'un vent de
folie a soufflé sur Versailles, et que nos
députés n'ont plus la notion exacte de
ce qu'ils font, ce revirement n'a point
l'importance qu'on pourrait croire, et
que nos adversaires s'efforceront d'y
trouver.
Ici encore on nous permettra de rap-
peler ce que nous disions récemment.
La majorité du 29 demeurera une ma-
jorité flottante, mais pour se retrouver
fidèle et résolue toutes les fois que sera
mis en question le fait républicain,
c'est-à-dire le gouvernement actuel. C'est
ce qu'un député expliquait très-nette-
ment hier dans une lettre adressée à un
journal monarchiste :
« Quand la question se posera entre
la République et la monarchie, je vote-
rai pour la République; entre les révo-
lutionnaires et les conservateurs, je vo-
terai avec les conservateurs. »
Nous ne savons pas pour qui M.
Cézanne a voté dans les bureaux, mais
nous ne serions pas autrement surpris
d'apprendre qu'il eût donné sa voix à
l'un des hommes qu'il n'hésite pourtant
p'as à traiter de révolutionnaires.
En effet, à nos yeux comme à ceux
d'un grand nombre de députés qui ont
voté le 29 avec la gauche, il s'agissait de
se décider entre l'ordre et l'anarchie;
mais hier, les choses ne semblaient point
avoir un tel caractère d'urgence et de
gravité ; il n'y avait pas péril en la de-
meure, et c'est ainsi que nous croyons
pouvoir expliquer, dans une certaine
mesure, l'espèce de contre-sens que tout
le monde constatera dans le vote du
5 décembre. Il devait nécessairement
être un corollaire du vote du 29 ; il en
a été la contradiction absolue.
Est-ce à dire que la joie des monar-
chistes soit fondée ? Nous ne le croyons
pas. Rien n'est fait. Nous voici revenus
au statu quo ante bellum. Si la commis-
sion des trente veut mettre les fers au
feu et nous apporter bien vite une se-
conde édition du rapport Batbie, le gou-
vernement se trouvera dans l'obligation
de faire un nouvel appel à la majorité
du 29, et la bascule fonctionnera une
fois encore, à la confusion des révolu-
tionnaires de la droite.
Et toujours ainsi, jusqu'à la dissolu-
tion ou la guerre. Nous verrons prochai-
nement combien il en est qui voteront
pour la guerre.
E. SCHNERB.
————————— +
<
LA SALLE DES PAS-PERDUS
Toute l'Assemblée nationale est dans le
train de midi vingt-cinq. On arrive à Ver-
sailles et sur la route les conversations
s'engagent, on se prépare à la grande lutte
puisque,, de par la droite, nous sommes en
guerre. s
Les bonapartistes sont au grand com-
plet. Ils forment un groupe à part, tous en-
semble en colonne serrée. Au milieu se
détache M. Rouher, qui rit dans son men-
ton ; autour de lui, MM. Gallolli d'lstriay
Haentjens, Levert, etc., - et M. Pouyer-
Quertier qui, après avoir accepté de servir
la République comme ministre, s'empresse
de l'attaquer dans l'espérance probable-
ment de reconquérir ce portefeuille, objet
de tant d'ambitions.
*
* If.
Quel sourire, M. Rouher! et il y a
vraiment de quoi. Avoir organisé la droi-
te, avoir obtenu d'elle qu'elle vous prit
pour chef, vous qu'elle empêchait de par-
ler il y a si peu de temps, c'est un coup
de maître qui fait honneur à vos hautes
capacités politiques. Vous avez fait d'une
pierre deux coups; vous vous êtes fortifié
et vous avez compromis ceux qui un jour
redeviendront vos ennemis.
Bravo, M. Rouher !
*
* *
M. le duc d'Aumale, pede claudo, aide
son frère le prince de Joinville à descendre
de wagon. Il l'encourage ; il paraît que ce
dernier n'est pas absolument décidé à voter
contre le gouvernement. -
Ces deux frères auraientils l'intention
de jouer les Lefèvre-Pontalis ?
*
* *
Nous arrivons à l'Assemblée. Les repré-
sentants se rendent dans leurs bureaux.
Il est une heure et demie et la convoca-
tion était pour une heure un quart.
M. Grévy, le président de 1 Assemblée,
ira-t-il dans son bureau ?
Et M. Thiers ?
Le président de l'Assemblée et le pré-
sident de la République se sont abstenus :
le premier, parce que sa voix n'aurait pas
modifié les résultats du vote ; le second,
parce qu'il ne trouvait pas digne de ve-
nir discuter dans un bureau.
*
If. If.
Vers trois heures, on voit apparaître les
représentants. Que s'est-il passé dans les
bureaux ? Une grande agitation règne
dans la salle des Pas-Perdus. Un grand
nombre de représentants prennent en note
les résultats et demandent surtout à leurs
collègues quelle a été l'attitude des diffé-
rents orateurs.
On sait ce qui s'est passé dans les bu-
reaux.
*
* *
On s'entretient beaucoup des violences
de M. de Larcy - ce que 'c'est que de
n'être plus ministre !
M. de Larcy est aigri, il en veut à M.
Thiers et il le prouve. Il paraît même que
dans un bureau on a demandé de mettre
un frein à la fureur de M. Thiers et de
modérer son ambition.
— C'est un homme dangereux !
*
< <
- Vous êtes déconsidérés, dit un mem-
bre de la gauche.
- Oui, répond M. Lambert Sainte-
Croix. C'est absolument comme en 1851 !
Le président de la République veut dé-
considérer l'Assemblée pour gouverner seul
et accaparer le pouvoir.
M. Thiers accapareur !
Qui donc déconsidère l'Assemblée ? Mais
elle est parfaite, cette Assemblée, mo'dérée
et conciliatrice ! - Le pays est avec elle
seule. M. Thiers s'insurge contre elle.
*
If. If.
Les résultats, nous devons le dire, cau-
sent une grande consternation. La défaite
du gouvernement inquiète presque autant
les vainqueurs que les vaincus. Ils affectent
2* Année. - N° 387. Pnix DU NUMÉRO: PARIS 15 (CENTIMES - DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Samedi 7 décembre 1872.
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2. rue Diouot) a
.1 '; 1 \)1.1'
Les manuscrits non - insérés seront 1, -
ABONNEMENTS
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Trois mois *3 fr.
Pix mois. 25
Un an. 50
DÉPARTEi^EiïftTS
Trois moi3 \». 1G f
Six mois
Un au
Annonce, chez MM. LAGllA NGE, CERF et C'
6, place de la (Qursc, 6
meu E —— ',.
..- JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
ADMINISTRATION
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Six mois. 25
Un an. 50
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Trois mois. 16 fr.
Six mois 32
Un an., 62 -
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bourse, 6
Paris, le 6 décembre 481%.
1 heure du matin.
Décidément, nous avions trop compté
sur le patriotisme du centre droit. Les
députés flottants ont flotté vers les
princes qui leur faisaient les yeux
doux. Cette bataille des bureaux, que
nous ne désespérions pas de gagner,
est perdue pour M. Thiers, perdue pour
la République, perdue pour la France.
Une majorité d'environ 30 voix a entraî-
né la nomination de 19. commissaires
hostiles au gouvernement contre 11 con-
servateurs. Ainsi, dans une commission
chargée de régler les rapports du pou-
voir exécutif avec la représentation na-
tionale, les adversaires déclarés du pré-
sident de la République sont app roxima-
tivement deux contre un.
Le côté droit de l'Assemblée a emporté
la balance ; il est le maître, non pas de
renverser M. Thiers, car il n'a pas un
homme à mettre en sa place, mais de
lui imposer un régime humiliant, vexa-
toire, intolérable, qui dès demain, si l'on
veut, l'empêchera de gouverner. Les
ducs n'ont qu'à parler ; le fidèle Batbie,
écuyer-commissaire, les armera de
toutes pièces. Il leur fournira les
moyens de désarçonner les ministres,
l'un après l'autre, en champ clos, et d'i-
soler ainsi le vieillard qui depuis deux
ans, jour et nuit, s'acharne et s'achève à
sauver notre malheureuse patrie. La
France ne s'appartient plus, elle est li-
vrée en proie à l'intrigue parlementaire.
Les citoyens, au nombre de 36 millions,
n'ont plus- qu'à prendre place autour de
l'arène pour admirer la grande partie
qui se joue sur les ruines du pays. Cela
les distraira. Aussi bien n'auront-ils
plus d'autres affaires, car l'industrie, la
finance et le commerce sont en vacan-
ces pour longtemps.
On nous assure que M. Thiers, en ap-
prenant le vote des bureaux, s'est écrié :
Maintenant, il n'y a plus que la dissolu-
tion de possible. Nous pensons qu'en
effet la ressource du renouvellement
partiel, que les républicains acceptaient
comme un pis-aller, nous est ôtée par
messieurs de la droite ; mais si le renou-
vellement partiel est devenu impossible,
il ne s'ensuit malheureusement pas que
la dissolution soit possible. La droite
est la plus forte, elle s'amuse à Versail-
les, elle y veut rester, elle y restera tout
son saoûl.
L'opinion publique aura beau protes-
ter, ces messieurs n'ont-ils pas le droit de
se boucher les oreilles? Dix millions d'é-
lecteurs signeraient une pétition comme
le monde n'en a jamais vu, ces mes-
sieurs seraient toujours libres de jeter
noblement cette paperasse au panier.
La République est acclamée par l'im-
mense majorité des citoyens dans les
villes et dans les campagnes ; c'est un fait
que ces messieurs ne légaliseront point,
si bon leur semble. Le peuple souverain
a, disent-ils, abdiqué en leur faveur. Ils
ont lâché le grand mot de Louis XIV
par la bouche de M. le marquis de Vo-
gué : L'Etat, c'est nous ! La chose est
clairQ; nous ne vivrons dorénavant que
sous le bon plaisir de ces messieurs.
Grand bien leur fasse ! Quant à nous,
s'il nous paraît étrange et douloureux
d'être conquis par nos propres manda-
taires après avoir été conquis par les
Prussiens, nous tâcherons de supporter
ce nouveau désastre avec autant de di-
gnité que le premier.
Entre les Allemands qui tiennent gar-
nison à Nancy et le parti des ducs qui
les a remplacés à Versailles, nous nous
serrerons autour du courageux citoyen,
du grand Français qui s'est voué à notre
délivrance.
Nous persistons à croire qu'il saura
nous débarrasser des uns comme des
autres, sans coup férir, par l'étroite
union de son bovouloir et du nôtre.
Nous sommes tout à lui et nous ne crai-
gnons pas de dire que le pays lui
rend en popularité le centuple du pou-
voir que l'Assemblée lui dérobe.
ABOUT.
—■ ♦—
LA COMMISSION DES TRENTE
Voici la liste des commissaires élus au-
jourd'hui dans les bureaux :
1er bureau MM. Batbie Yd.)
Théry (d.)
2e bureau Delacour (g.)
Duchâtel (g.)
3e bureau < Marcel Barthe (c. g.)
D'Haussonville (d.)
4e bureau Duclerc (g.)
Ricard (g.)
5e bureau Martel (c. g.)
de Fourtou (c. g.)
6e bureau Arago (g.)
Bertauld (c. g.)
7e bureau Lacaze (d.)
Labassetière (d.)
8e bureau Fournier (d.)
de Larcy (d.)
9e bureau dAudiffret-Pasquier.
de Cumont (d.)
1110e bureau duc Decazes (d.)
11"\ de Germonière (d.)
IIe bureau Lucien Brun (d.)
L'Ebraly (d.)
12e bureau de Lacombe (d.)
A. Lefèvre-Pontalis.
13e bureau Desseilligny (d.)
Grivart (d.)
14e bureau Baze (d.)
Ernoul (d.)
15e bureau A. Grévy (g.)
'Max Richard (c. g.)
+ ————————
Un des membres de la jeune gauche,
M. Edmond Turquet, nous fait l'honneur
de nous communiquer la lettre suivante
qu'il adresse, aujourd'hui même, à l'un
de ses amis, conseiller général de l'Aisne.
Pour ceux de nos lecteurs -qui seraient
moins bien renseignés que nous sur la
qualité, le caractère et la situation des
personnes dont il est question dans cette
pièce importante, nous dirons, en peu de
mots, que le signataire est un ancien
magistrat et un grand propriétaire ; que
M. Warnier est un des principaux indus-
triels de la Marne, et que M. Etienne
Lamy, député du Jura, a été longtemps
secrétaire du président de l'Assemblée,
M. Jules Grévy.
Ces trois républicains conservateurs
appartiennent à trois départements qui
ont subi l'occupation étrangère et qui la
subiraient de nouveau si quelque trou-
ble-intérieur ramenait nos ennemis en
France. Il est donc évident qu'ils ne
voient pas dans la dissolution de la Cham-
bre une cause ou une occasion de désor-
dres publics.
A monsieur Toffin, conseiller général
de Bohain (Aisne).
Mon cher collègue,
Les derniers événements vous ont effrayé
pour la France, la viccoire de la République
vous semble précaire, et vous me demandez
par quels moyens le pays peut assurer son
avenir.
J'hésite d'autant moins à vous répondre,
que je vous exprimerai, non ma pensée
personnelle, mais la conviction unanime
de la jeune gauche, à laquelle j'appar-
tiens.
Des élections de février, où il semble que
le passé seul ait été représenté, quelques
hommes, nouveaux ont surgi. Etrangers
par leur âge aux engagements, aux rancu-
nes, aux ambitions des partis, éloignés par
la modestie de leur rôle, et aussi par ca-
ractère, des manoeuvres quotidiennes qui
sont le suprême de l'art parlementaire,
mais au milieu desquelles l'horizon des es-
prits se rétrécit parfois, ils se sont donné pour
unique but d étudier les mouvements de
l'opinion dans le pays.
De là est née pour mes amis, pour moi,
la double certitude que le pays avait une
volonté, la République ; que l'Assemblée
nationale était incapable de fonder aucun
régime.
Cette conviction était déjà faite quand,
après six mois de luttes intestines, où cha-
cun avait essayé ses forces, des hommes
trop optimistes crurent que l'on pouvait
fonder quelque chose, et bâtirent l'honnête
chimère de la constitution Rivet. A cette
empirique mesure nous opposâmes dès ce
moment le véritable remède, et les pre-
miers dans l'Assemblée, nous prononçâmes
le mot de dissolution.
Lamy, Warnier (de la Marne) et moi
nous déposâmes le 27 août 1871 un amen-
dement demandant à la Chambre de se
dissoudre après le vote vdu budget.
Même dans notre parti, la mesure parut
trop ardente. Il fallait de plus rudes désil-
lusions. Mais la vérité était pour nous si
certaine qu'elle pouvait affronter l'insuc-
cès. Lamy fut chargé de la défendre à la
tribune. Il le fit avec éclat, vous vous en
ouvenez. La droite ne voulut pas l'écou-
ter.
C'est au milieu des murmures qu'il pro-
nonca ces paroles :
« Le pays voit une Assemblée où
des hommes d'intelligence , de réso-
lution , de probité, abondent , mais
où, par la fatalité des circonstances ,
il semble que les intelligences se soient
donné rendez-vous pour se contredire,
les volontés pour s'annuler et les honnê-
tetés même pour se méconnaître. Le
seul remède sérieux à une situation si
pleine de dangers, c'est que, après avoir
voté les lois indispensables, nous remet-
tions notre mandat au pays, notre juge.
Une Assemblée où une majorité puisse
s'établir et un gouvernement se former,
voilà ce qui, rassurant la France sur son
avenir, peut seul ramener la sécurité. »
Pendant les vacances parlementaires qui
suivirent, nous expliquâmes dans nos dé-
partements que la dissolution était indis-
pensable. Dans le compte-rendu que War-
nier adressait à ses électeurs de la Marne
le 12 octobre 1871, il s'exprimait ainsi : -
« Quelle forme de gouvernement, quelle
constitution de pouvoir est donc possible
avec l'Assemblée actuelle ? Quelle stabilité
quelle sécurité peut-on en attendre?
» En proie à une désunion profonde, en
désaccord presque permanent avec le chef
du pouvoir exécutif, en désaccord avec les
manifestations les plus récentes du suffrage
universel, l'Assemblée s'agite et ne marche
pas.
» Trêve volontaire ou forcée des partis,
pactes de Bordeaux ou de Versailles, expé-
dients, compromis, essais sincères ou non
d'un provisoire plein, d'équivoques, tout
cela ne constitue ni une politique ni un
gouvernement.
» Il faut donc souhaiter qu'elle reconnaisse
ce qu une telle situation a de fâcheux pour
les intérêts qui ont été remis entre ses
mains iLfaut qu'elle ait la sagesse de déci-
der qu après avoir accompli les travaux lés
plus urgents, elle prononcera sa dissolu-
tion. »
La session de 1872 nous donna trop rai-
son. Dès le 19 janvier la démission de M.
Thiers avait déchiré la constitution Rivet.
Depuis cette date chaque mois augmenta
les fureurs des royalistes, la faiblesse du
gouvernement, l'anxiété du pays. Au mo-
ment où la prorogation d'août dernier ar-
riva, nous pensâmes que la dissolution,
repoussée un an auparavant, sortait plus
nécessaire de la force des choses. Nous
essayâmes de réunir des députés et des
journalistes de diverses nuances de la gau-
che et de déterminer par la presse un mou-
vement dissolutionniste que les représen-
tants auraient activé par leur présence sur
tous les points du pays. Là encore nous
échouâmes. La gauche, qui avait donné
durant toute cette année, tant de preuves
d'abnégation et de patience, crut ces
vertus encore nécessaires et résolut de
s'abstenir.
Suivant nous cette décision est la seule,
mais restera la grande faute du parti répu-
blicain. Si durant les vacances il avait agi,
des millions de signatures obtenues du
pays auraient enlevé à la droite le prétexte
de légalité dont elle se couvre, car nous
n'admettons pas qu'il lui puisse rester
d'illusions. Devant cette grande voix il
aurait fallu obéir. Quoi qu'il en soit, l'ac-
tion étant impossible sur l'heure même,
nous voulûmes la préparer dans l'avenir.
C'est alors que nous répandîmes les uns
par la parole, les autres par des lettres et
des comptes-rendus, nos arguments en fa-
veur de la dissolution.
Pendant que nous agissions, mes amis
et moi, dans nos départements, Lamy,
donnait un corps à nos communes pensées,
dans sa brochure, où la nécessité de la
dissolution est si nettement démontrée.
Relisez-la et faites-la lire. Elle est écrite de
main de maître.
Vous voyez aujourd'hui si nous nous
étions trompés. Quel prix de sa longani-
mité a reçu le parti républicain ? Moins de
quinze jours après la rentrée de la Cham-
bre, l'existence du gouvernement de la
République était menacée, le commerce,
l'industrie s'arrêtaient. Nous ne touchons
pas au terme; chaque jour, les déchire-
ments augmentent comme font les crises
d'un mal incurable.
Quelques hommes obstinés dans leur
confiance ont considéré la défaite des mo-
narchistes et le triomphe de la République
comme assurés le 29. Le lendemain les
vaincus, en renversant le ministre de l'in-
térieur, ont prouvé ce que valait la majorité
nouvelle. Aujourd'hui même, dans cette
commission nommée contre eux, sur la
demande de M. Thiers, ils ont, par des
retours de conscience mystérieux, obtenu
19 voix ; le gouvernement en a eu 11.
Ainsi les victoires et les défaites se distri-
buent comme au hasard par des majorités
aussitôt désunies que formées. Heureux
ceux qui ne désespèrent pas encore de fon-
der sur de pareilles assises un gouverne-
ment régulier !
Quant à nous, nous n'avons pas cette
foi robuste. Ce qui nous reste de confiance
nous le plaçons, non pas dans une Cham-
bre vieillie dans des combinaisons usées,
mais dans le pays. Là nous voyons, nous
sentons une majorité dont l'heure ne peut
être plus longtemps retardée.
Notre remède, mon cher ami, est donc
demewré le même. Aujourd'hui comme en
juillet 1871, comme en août 1872, nous di-
rons : dissolution. Grâce à vous, grâce à
l'opinion publique qui s'éveille, grâce à la
droite même, dont les fautes nous servent,
nous espérons le dire avec plus de suc-
cès que - par le passé. -
Prenez donc en main cette cause, mon
cher collègue ; elle est bonne, elle est con-
servatrice, elle est légale. Ne vous laissez
pas épouvanter par ceux qui vous parle-
ront de démagogie. C'est dans un intérêt
conservateur, c'est pour prévenir des évé-
nements terribles peut-être que nous de-
mandons cette dissolution. Ainsi, que vo-
tre action soit partout active, partout ré-
gulière ; qu'il n'y ait dans le pays ni me-
nace, ni violence contre l'Assemblée.
Ce n'est pas l'étendard d'une insurrec-
tion que nous levons, c'est celui de la
volonté nationale ; il n'a pas besoin de
passions pour cortège. La fermeté, la mo-
dération nous suffisent, nous prenons et
nous donnons pour mot d'ordre ce que
signait Lamy dans sa brochure : « Il faut
rester dans la légalité pour rentrer dans
le droit. »
Veuillez agréer, mon cher collègue, la
nouvelle assurance de mon entier dévoue-
ment.
EDMOND TURQUET,
Député et conseiller général.
* —————————
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 5 décembre 1872
La séance n'a commencé qu'à trois heu-
res et demie, et les esprits étaient bien peu
à la séance. Pendant que M. de Mornay
parlait, d'une facon peu saillante, sur les
haras, pas un député, pas un n'écoutait :
tous commentaient, qui dans les couloirs,
qui dans la salle, le vote des bureaux.
Disons-le immédiatement : ce vote est
loin d'être favorable à la cause républi-
caine ; dix-neuf candidats de la liste de la
droite ont été élus contre onze candidats
de la liste de la gauche.
En additionnant la somme des voix ob-
tenues par les uns ou les autres dans les
différents bureaux, on arrive à 361 voix
réparties sur les candidats de la droite
contre 331 voix réparties sur les candidats
de la gauche. C'est, à quelques voix près,
la majorité de la journée du 29 novembre,
mais la majorité retournée. Les flottants
du centre droit, qui avaient apporté leur
appoint à gauche, l'ont transporté à
droite.
Voulez-vous l'explication de ce fait étran-
ge, bien qu'un peu prévu? Le voici : dans
les bureaux, le vote reste secret. Pauvre
pays qui a confié ses destinées à certaines
gens qui ont une opinion pour les ténèbres
et une autre pour le grand jour !
Une espèce nouvelle vient d'éclore : les
chauves-souris de l'ordre.
Le ban et l'arrière-ban avaient été con-
voqués. Certains, malades, étaient venus,
la tête enveloppée de foulards. Le général
Chanzy avait quitté son commandement
pour venir voter. M. Ducarre avait quitté.
Versailles, pour ne pas être obligé de vo-
ter ; le député de Lyon, membre du centre
gauche, est, croyons-nous, le seul honora-
ble qui ait trouvé, ea un pareil moment,
un voyage si pressé à faire.
Et pendant deux bonnes heures, chaque
bureau a présenté le spectacle d'une mi-
nuscule Assemblée.
2 x 15 = 30
Nous n'avons pas la prétention de vous
raconter tout ce qu'il a pu être fait de dis-
cours en trente heures. Nous ne signa-
lerons que l'impression générale.
La question d'une seconde Chambre a
été à peine effleurée ; c'est la moins palpi-
tante du moment.
La question de la responsabilité minis-
térielle a fourni un plus vaste champ aux
dissertations, sans amener, selon nous, de
résultat qui ne fût connu : la gauche
ne s'oppose nullement à la responsabilité
ministérielle, entourée d'un cortége d'au-
tres lois; lg droite veut la responsabilité
ministérielle, toute nue, grelottante
Enfin la vraie question, la question
brûlante, a fait rompre bon nombre de
lances. Seul, le centre gauche a soutenu le
renouvellement partiel ; la gauche ne pou-
vait, d'ailleurs, le soutenir ; tout ce qu'elle
peut faire, c'est de l'appuyer, en se laissant
forcer la main; la dissolution reste son
idéal. Quant à la droite, elle ne veut ni
dissolution, ni renouvellement partiel ; elle
veut rester, et voilà tout !
A côté des grandes questions générales,
viennent les petites questions particulières.
M. Schœlcher, dans le premier bureau,
se trouvait nez à nez avec M. Batbie : il a
profité de l'occasion pour dire au fameux
rapporteur ce qu'il avait sur le cœur depuis
huit jours; il en avait gros.
Les développements de M. Schœlcher
peuvent se résumer en une ligne : « Je
suis un radical, et j'ai la prétention de ne
pas être un incendiaire de la Commune. »
Les développements ont été vifs, paraît-il,
car M. Schœlcher aurait été rappelé à
l'ordre.
Dans le quatrième bureau, un discours
leader de M. Ricard, le téRor voilé du cen-
tre gauche.
Dans le sixième bureau, un discours fort
remarquable de M. Bertauld. L'allocution
était des plus mouvementées et contenait,
outre des théories politiques nuance centre
gauche, des ripostes humoristiques nuance
Bertauld dans le genre de la suivante r
Le général Changarnier. - Eh ! M. Ber-
tauld, vous êtes bien tragique !
M. Bertauld. - Monsieur, j'aime mieux
être tragique que comique.
Notons enfin, parmi les noms portés par
la liste de la droite et ayant échoué, trois
notabilités de l'opposition : MM. de Ker-
drel, de Broglie et Raoul Duval.
Convenons en même temps que si M.
Marcel Barthe (gauche) l'a emporté, dans
le troisième bureau, sur M. d'Hausson-
ville (droite), c'est à la primauté de l'âge,
et - non au nombre de voix, cru'il doit sa vic-
toire.
Et maintenant que nous avons exposé,
sans parti pris, à coup sûr sans dissimu-
lation aucune, et l'échec des nôtres, et les
causes qui l'ont amené, nous nous adressons
au lecteur pour lui demander le remède à
une pareille situation. Quand une Assem-
blée ne peut parvenir à former une majo-
rité ni au centre, ni à gauchaj ni à droite;
quand, elle a peur de ses propres votes et
encore plus peur du jugement du pays ;
quand hésitante, tiraillée, ellemarche d'er-
rements mauvais en errements pires ;
quand elle le sent elle-même et, sur la
même question, se déjuge du jour au len-
demain, que doit-elle faire ?
Se dissoudre.
C'est ce dont causait une partie de l'As-
semblée pendant qu'un orateur s'escrimait
à la tribune.
Tout à coup, le silence se fait, et nous
apprenons, ce dont bien des gens ne se
doutaient guère, qu'on en a fini du budget
de l'agriculture et du commerce et qu'on
en est au chapitre 6 du budget de la jus-
tice.
On écoute, on écoute avec toute l'atten-
tion dont on est capable en un pareil mo-
ment, car il s'agit d'une grosse question :
M. de Jouvenel demande la suppression
de 10 cours, et l'on sait qu'il demandera
également la suppression de 175 tribunaux
de première instance.
La discussion a été très-longue et très-
sage sur ce chapitre : M. Bardoux, pour
la commission du budget; M. Merveilleux-
Duvigneaux,pour la commission de la réor-
ganisation de la magistrature; M. Marcel
Barthe, en volontaire; et M. Dufaure, en
ministre, y ont pris part.
La question se réduit à ceci : Il y a
trop de juges et pas assez d'argent ; on ne
peut réduire les traitements, qui sont déjà
trop petits : qu'on réduise le nombre des
juges, qui est trop grand. La commission
du budget est de cet avis, M. le ministre
est de cet avis ; la commission de réor-
ganisation de la magistrature seule résiste.
Et pourtant le ministre ne supprime —
et par voie d'extinction - qu'un président
et un ou deux conseillers par cour.
Le tout se solde actuellement par 50,000
francs que la commission du budget refuse
à la commission de réorganisation de la
magistrature. Cette dernière a été battue, à
une grande majorité.
Terminons par le seul mot gai de la
journée.
M. Grévy donne lecture d'un document
qui charge deux conseillers d'Etat en ser-
vice extraordinaire, MM. Durangel et Four-
nier, du soin de venir défendre devant
l'Assemblée le budget de l'intérieur, vu le
décès politique du titulaire.
La droite semble étonnée de cette me-
sure.
- En vertu de quelle loi? crie M. de
Lorgeril.
- En vertu de la loi, répond impertur-
bablement M. Grévy, que vous avez faite
vous-mêmes sur le conseil d'Etat.
PAUL LAFARGUB.
-——————— ————————
LEUR VICTOIRE
Hier, dans la soirée, trois hommes,
trois Français sur trente-six millions ont
dû goûter les douceurs d'une joie sans
mélange , car tous trois ont cru un
instant que leur heure était venue, tous
trois ont entendu une voix intérieure
qui disait à l'un : Chambord, tu seras
roi! à l'autre : d'Orléans, tu seras roi!
au troisième : Bonaparte, tu redevien-
dras Napoléon 1
Et demain, les journaux du lys, du coq
ou de l'aigle chanteront en chœur :
Tout va bien : vive le roi ! Tout va mal :
vive l'empereur!
Si nous n'avions pd'être indiscret,
si nous ne redoutions de passer pour
des trouble - fêtes, nous demanderions
la permission de crier modestement :
Vive la France ! Mais nous ne voulons
point nous faire remarquer.
D'ailleurs, si nous avons de sérieux
motifs pour n'être point réjouis du vote
qui vient de fournir dix-neuf commis-
saires sur trente à la coalition blanche,
une chose du moins est de nature à nous
rendre moins rude l'échec que nous su-
bissons. Nous l'avions prévu.
Dès le 29 novembre, nous déclarions
accepter le mot de majorité de rencontre
que M. Ernoul jetait à la face des 372
représentants du peuple qui avaient op-
posé leur veto patriotique aux tentatives
odieuses de la droite. C'est vrai, disions-
nous, le gouvernement n'a eu, n'a et
n'aura jamais dans cette Assemblée qu'u-
ne majorité de rencontre, et c'est parce
que nous savons fort bien qu'il n'y a
rien de possible à un gouvernement non
plus qu'à une Assemblée dans ces con-
ditions, què le pays doit être appelé,
dans le plus bref délai, à dire de quel
côté il entend que doive pencher la
balance.
Nous' disions encore que les 372 se
diviseraient certainement sur les ques-
tions de pratique républicaine ou gou-
vernementale. Et c'est ce qui est arrivé
hier.
La tâche des commissaires nommés
dans les bureaux est de rédiger un pro-
jet d'organisation des pouvoirs publics.
Programme d'autant plus vaste que sur
les trente commissaires choisis, il se
trouvera, c'est probable, trente opinions
différentes sur la manière de l'envisa-
ger. Il ne faut donc pas s'étonner, tout
en le regrettant, si bon nombre de dé-
putés qui avaient voté contre le renverse-
ment de M. Thiers n'ont pas cru se
donner un démenti à eux-mêmes en
votant cette fois avec la minorité du 29
novembre. 1
Et qui sait? Peut-être, en agissant
ainsi, ont-ils cru, au contraire, demeurer
parfaitement d'accord avec la pensée de
conservation nationale qui les avait
fait incliner à gauche il y a quelques
jours. Les 40 ou 50 membres du centre
droit qui ont voté pour le projet Dufaure
ne se sont jamais donnés comme des ré-
publicains ; leurs préférences avouées, et
fort avouables, sont pour une monarchie
constitutionnelle; mais ce qui les distin-
gue de leurs collègues du centre droit et
de la droite, c'est qu'ils ne sont point des
irréconciliables, c'est qu'ils sont prêts
à faire le sacrifice de leurs opinions per-
sonnelles, plutôt que de les imposer au
pays malgré vent et marée, au risque
des catastrophes politiques et sociales
qui en pourraient résulter.
Voilà pourquoi ils ont voté pour le
maintien du gouvernement républicain
contre les monarchistes, contre eux-
mêmes.
Mais du moment qu'ils ont eu à se
prononcer sur les voies et moyens qu'il
convenait d'employer pour faire vivre
l'état de choses actuel, on conçoit aisé-
ment que leur naturel soit revenu au
galop et qu'ils aient voté pour des
hommes qu'ils avaient combattus cinq
jours auparavant.
Car c'est là seulement qu'il faut cher-
cher la vérité de la situation ; c'est dans
ces deux votes comparés du 29 novem-
bre et du 5 décembre. Il est constant
que ce chiffre de 19 commissaires mo-
narchistes sur 11 républicains est le ré-
sultat de défections dans la majorité
gouvernementale du 29. Donc un certain
nombre de députés qui avaient voté avec
les républicains contre les monarchistes
ont voté cette fois avec les monarchistes
contre les républicains.
A moins de supposer qu'un vent de
folie a soufflé sur Versailles, et que nos
députés n'ont plus la notion exacte de
ce qu'ils font, ce revirement n'a point
l'importance qu'on pourrait croire, et
que nos adversaires s'efforceront d'y
trouver.
Ici encore on nous permettra de rap-
peler ce que nous disions récemment.
La majorité du 29 demeurera une ma-
jorité flottante, mais pour se retrouver
fidèle et résolue toutes les fois que sera
mis en question le fait républicain,
c'est-à-dire le gouvernement actuel. C'est
ce qu'un député expliquait très-nette-
ment hier dans une lettre adressée à un
journal monarchiste :
« Quand la question se posera entre
la République et la monarchie, je vote-
rai pour la République; entre les révo-
lutionnaires et les conservateurs, je vo-
terai avec les conservateurs. »
Nous ne savons pas pour qui M.
Cézanne a voté dans les bureaux, mais
nous ne serions pas autrement surpris
d'apprendre qu'il eût donné sa voix à
l'un des hommes qu'il n'hésite pourtant
p'as à traiter de révolutionnaires.
En effet, à nos yeux comme à ceux
d'un grand nombre de députés qui ont
voté le 29 avec la gauche, il s'agissait de
se décider entre l'ordre et l'anarchie;
mais hier, les choses ne semblaient point
avoir un tel caractère d'urgence et de
gravité ; il n'y avait pas péril en la de-
meure, et c'est ainsi que nous croyons
pouvoir expliquer, dans une certaine
mesure, l'espèce de contre-sens que tout
le monde constatera dans le vote du
5 décembre. Il devait nécessairement
être un corollaire du vote du 29 ; il en
a été la contradiction absolue.
Est-ce à dire que la joie des monar-
chistes soit fondée ? Nous ne le croyons
pas. Rien n'est fait. Nous voici revenus
au statu quo ante bellum. Si la commis-
sion des trente veut mettre les fers au
feu et nous apporter bien vite une se-
conde édition du rapport Batbie, le gou-
vernement se trouvera dans l'obligation
de faire un nouvel appel à la majorité
du 29, et la bascule fonctionnera une
fois encore, à la confusion des révolu-
tionnaires de la droite.
Et toujours ainsi, jusqu'à la dissolu-
tion ou la guerre. Nous verrons prochai-
nement combien il en est qui voteront
pour la guerre.
E. SCHNERB.
————————— +
<
LA SALLE DES PAS-PERDUS
Toute l'Assemblée nationale est dans le
train de midi vingt-cinq. On arrive à Ver-
sailles et sur la route les conversations
s'engagent, on se prépare à la grande lutte
puisque,, de par la droite, nous sommes en
guerre. s
Les bonapartistes sont au grand com-
plet. Ils forment un groupe à part, tous en-
semble en colonne serrée. Au milieu se
détache M. Rouher, qui rit dans son men-
ton ; autour de lui, MM. Gallolli d'lstriay
Haentjens, Levert, etc., - et M. Pouyer-
Quertier qui, après avoir accepté de servir
la République comme ministre, s'empresse
de l'attaquer dans l'espérance probable-
ment de reconquérir ce portefeuille, objet
de tant d'ambitions.
*
* If.
Quel sourire, M. Rouher! et il y a
vraiment de quoi. Avoir organisé la droi-
te, avoir obtenu d'elle qu'elle vous prit
pour chef, vous qu'elle empêchait de par-
ler il y a si peu de temps, c'est un coup
de maître qui fait honneur à vos hautes
capacités politiques. Vous avez fait d'une
pierre deux coups; vous vous êtes fortifié
et vous avez compromis ceux qui un jour
redeviendront vos ennemis.
Bravo, M. Rouher !
*
* *
M. le duc d'Aumale, pede claudo, aide
son frère le prince de Joinville à descendre
de wagon. Il l'encourage ; il paraît que ce
dernier n'est pas absolument décidé à voter
contre le gouvernement. -
Ces deux frères auraientils l'intention
de jouer les Lefèvre-Pontalis ?
*
* *
Nous arrivons à l'Assemblée. Les repré-
sentants se rendent dans leurs bureaux.
Il est une heure et demie et la convoca-
tion était pour une heure un quart.
M. Grévy, le président de 1 Assemblée,
ira-t-il dans son bureau ?
Et M. Thiers ?
Le président de l'Assemblée et le pré-
sident de la République se sont abstenus :
le premier, parce que sa voix n'aurait pas
modifié les résultats du vote ; le second,
parce qu'il ne trouvait pas digne de ve-
nir discuter dans un bureau.
*
If. If.
Vers trois heures, on voit apparaître les
représentants. Que s'est-il passé dans les
bureaux ? Une grande agitation règne
dans la salle des Pas-Perdus. Un grand
nombre de représentants prennent en note
les résultats et demandent surtout à leurs
collègues quelle a été l'attitude des diffé-
rents orateurs.
On sait ce qui s'est passé dans les bu-
reaux.
*
* *
On s'entretient beaucoup des violences
de M. de Larcy - ce que 'c'est que de
n'être plus ministre !
M. de Larcy est aigri, il en veut à M.
Thiers et il le prouve. Il paraît même que
dans un bureau on a demandé de mettre
un frein à la fureur de M. Thiers et de
modérer son ambition.
— C'est un homme dangereux !
*
< <
- Vous êtes déconsidérés, dit un mem-
bre de la gauche.
- Oui, répond M. Lambert Sainte-
Croix. C'est absolument comme en 1851 !
Le président de la République veut dé-
considérer l'Assemblée pour gouverner seul
et accaparer le pouvoir.
M. Thiers accapareur !
Qui donc déconsidère l'Assemblée ? Mais
elle est parfaite, cette Assemblée, mo'dérée
et conciliatrice ! - Le pays est avec elle
seule. M. Thiers s'insurge contre elle.
*
If. If.
Les résultats, nous devons le dire, cau-
sent une grande consternation. La défaite
du gouvernement inquiète presque autant
les vainqueurs que les vaincus. Ils affectent
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