Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1872-12-05
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 05 décembre 1872 05 décembre 1872
Description : 1872/12/05 (A2,N385). 1872/12/05 (A2,N385).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7557012c
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/03/2013
2* Année. - N° 385 • < '■ PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
2° Ann,~o,. - No .985 e ,
Jeudi 5 décembre 4872.
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2. rue Drouot, 2 X
Les manuscrits non insérés seront !-
ABONNEMENTS
PAllIS
Trois mois *3 fr.
Six mois 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois .X «\N
Six mois ^32^ ! 1,
Un an 62 - .-..-
AnnoneH, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
0, place de la Boum, 6
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2. rue Drouot, 2
Les lettres non affranchies seront refusées
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PARIS
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Six mois 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Un an. 62
Annonce», chez MM. LAGRANGE, CERF et C*
6, place de la Boarsc, 6
Paris le 4 décembre 487%.
1 heure du matin.
Nos lecteurs, je dirais presque nos
électeurs (car un journal n'existe qu'en
vertu d'un mandat tacite des citoyens
qui l'alimentent de leur obole), ont re-
marqué que si nous sommes un peu vifs
dans la forme, nous sommes modérés au
fond. Si nous allons parfois trop loin
dans l'expression de nos sentiments,
c'èst qu'il faut élever la voix lorsqu'on
parle à des sourds; or, l'Assemblée
compte un certain nombre de ces sourds,
les pires de tous, qui ne veulent rien en-
tendre.
J'ajoute que nous parlerions moins
haut si l'Assemblée nationale, ou soi-
disant telle, était moins éloignée de nous.
En se cloîtrant dans l'Escurial fastueux
de celui qui révoqua l'édit de Nantes,
elle n'a songé qu'à se mettre à l'abri des
coups de main qui dispersent ; mais
♦ elle s'est privée, pour son malheur, des
coups de coude obligeants qui avertis-
sent. Ses aveugles thuriféraires lui ré-
pètent tous les matins qu'elle a fait
preuve de sagesse, et que, logée à Pa-
ris, dans le Palais-Bourbon, au bord de
Péau, elle eût couru deux ou trois fois le
risque de plonger violemment dans la
Seine. Ils feraient mieux de lui dire qu'à
Paris, dans un milieu philosophique et
libéral entre tous, elle eût été autrement
inspirée. La sécurité absolue n'est pas
bonne conseillère, et l'on commettrait
moins de fautes si l'on était moins sûr
de se tromper inpunément.
Ces isolés, que M. Thiers protège avec
un renoncement louable, et qu'il aurait
traités de Turc à More s'il avait seule-
ment un seizième de sang royal dans les
veines, abusent de leur inviolabilité pour
violer tous les droits d'autrui. Parce qu'ils
siègent à Versailles, sous la garde d'un
magnanime esclave du devoir et de cent
mille soldats disciplinés par M. Thiers,
|s se croient autorisés à ignorer les vo-
lontés les plus formelles de la France, à
-- valider les élections républicaines sans
comprendre ce qu'elles disent, à regarder
par le gros bout de la lorgnette les
désastres industriels et financiers qu'ils
provoquent, et à faire de leur coterie une
sorte d'Etat dans l'Etat. Il y a dans
cette Assemblée quelques savants méde-
cins ; je m'étonne que pas un ne lui ait
encore dit qu'à force de vivre pour elle
et en elle-même, elle est devenue
à la longue comme un corps étran-
ger dans un organisme vivant, la
balle d'un soldat blessé. L'organisme,
qo- ne le sait que trop, s'épuise en ef-
fets violents pour expulser le corps
ranger; s'il est logé dans les œuvres
vives, il faut, ou qu'il s'en aille sponta-
nément, ou qu'on l'en tire, ou qu'il de-
vienne le centre d'une inflammation
mortelle.
Nous sommes aussi modérés qu'on
peut l'être dans les douleurs de cette
fièvre traumatique, et quoique le corps
* étranger nous fasse cruellement souf-
frir, nous permettrons, sans trop crier,
qu'on nous l'arrache en trois morceaux.
Mais il est temps et grand temps de
nous donner au moins un commence-
ment de délivrance.
A dire vrai, j'ai bon espoir, et malgré
quelques pronostics décourageants ,
j'incline à croire que nous touchons si-
non au terme, du moins au soulagement
de nos maux.
Que faut-il pour que l'Assemblée se
soumette, de bonne ou de mauvaise
grâce, au renouvellement partiel? Un
seul vote conforme aux vœux presque
unanimes de la nation. Une voix de ma-
jorité suffirait à décider de l'affaire.
Or, l'Assemblée, qui naguère encore
s'émiettait en six ou sept partis, n'en
forme plus que deux, de force à peu près
égale, et qui se tiennent l'un l'autre en
équilibre. Il n'y a plus que la droite et
la gauche, la gauche qui soutient avec
un dévouement patriotique le gouverne-
ment de la régénération nationale, et
la droite qui s'obstine à le renverser sans
savoir ce qu'elle établira en sa place.
De la gauche, nous sommes sûrs; elle
aime et sert loyalement la France.
Quant aux sentiments de la droite, ja
veux dire ses mauvais sentiments, ils
sont beaucoup moins démontrés, Dieu
merci. Si l'on examine un à un les 334
députés qui ont refusé à M. Thiers un
vote de confiance, on n'en trouve pas
200 qui soient les ennemis déclarés de
leur patrie.
Sur ces 200 il y en a 50 que je li-
vrerai sans scrupule à l'exécration des
gens de bien : ce sont des mons-
tres ; monstres d'ambition, d'orgueil
ou de bassesse, altérés de pouvoir
ou affamés d'argent jusqu'à la rage.
Mettez ensuite 150 fanatiques, aveuglés
par une éducation absurde, par l'igno-
rance de leur temps et de leur pays et
par je ne sais quel vertige rétrograde
qu'ils confondent avec le sentiment du
devoir.
Il reste encore 130 hommes de bon
?. _t 4 r ,
sens et de bonne foi, qui ont pu se lais-
ser entraîner dans une conspiration sans
issue, mais qui restent Françaie au fond
du cœur et qui, depuis leur faute, ont eu
le temps de se rappeler qu'ils ont une
patrie.
ABOUT.
———————————— » ————————————
Monsieur Prax-Paris, qu'avez-vousfait
là ?
Ah! vous prétendez imposer silence
au pays ; ah ! vous voulez lui interdire
le droit d'exprimer son opinion sur vous
et les vôtres, sur la guerre acharnée que
vous faites à la République et à l'homme
qui a juré de la défendre contre vos
ducs !
Monsieur Prax-Paris, qu'avez-vous fait
là?
Les corps élus se tairont, soit. Mais la
nation parlera elle-même, puisque vous
fermez la bouche à ses délégues. Voici
la population de Cherbourg qui envoie
une adresse au président de la Républi-
que, signée de plus de trois mille noms,
et des mieux cotés sur la place. Puis
Saint-Dié, une petite ville des Vosges,
qui envoie une adresse revêtue de quinze
cents signatures.
C'est un exemple que les autres villes
s'apprêtent à suivre, et nous allons bien
voir si cette fois on trouvera un moyen
d'étouffer la vérité !
Monsieur Prax-Paris, qu'avez-vous fait
là?
ADRESSES
AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Les soussignés, habitants de Cherbourg,
croient faire acte de patriotisme en venant
se joindre à vous pour soutenir la Répu-
blique, seul gouvernement qui peut rele-
ver le drapeau de la France et grouper
autour de lui les hommes de cœur ennemis
de toute révolution.
Ils donnent leur entière adhésion aux
principes proclamés dans votre message,
qui sont ceux de la majorité du pays.
Ils disent avec vous :
Vive la France!
Vive la République !
Suivent les signatures des commerçants,
négociants, industriels, propriétaires, ou-
vriers et capitaines de navire de la ville
de Cherbourg (3,000 signatures).
M. Méline, député des Vosges, a reçu
l'adresse suivante de la ville de Saint-Dié.
Elle porte 1,500 signatures :
Monsieur le président,
Le 20 octobre dernier, le département des Vos-
ges, et notamment la ville de St-Dié, proclamait
aune grande majorité son adhésion à votre gou-
vernement, en députant à l'Assemblée de Ver-
sailles un homme qui avait affirmé sans ambi-
guïté son attachement 1 la République, et pro-
mis de vous apporter son concours et l'appui
de ses votes. =
t Dans les conjectures présentes, les soussignés,
habitants de Saint-Dié, entendent renouveler
leur manifestation du 20 octobre. Ils veulent
joindre leurs protestations à celles qui s'élèvent
de tous les points du territoire, pour vous en-
courager et vous fortifier dans la voie que vous
suivez; ils veulent aussi vous affirmer que l'im-
mense majorité du pays est avec vous.
Le pays est avec vous, M. le président, par-
ce que vous avez proclamé cette vérité, que peu-
vent seuls nier des ambitieux sans scrupule ou
des aveugles, que la République est le gouver-
nement légal, le gouvernement nécessaire, le
seul qui puisse nous donner l'ordre, le calme,
le travail, et amener ainsi, avec la libération du
sol français, le relèvement et la réhabilitation
de la patrie.
Les soussignés estiment et entendent vous ex-
primer respectueusement cette opinion qu'il y
aurait comme une sorte de trahison envers là
France à céder devant d'arrogantes injonctions
qui n'auraient d'autre conséquence, si elles
etaient accueillies, que de provoquer la guerre
civile et qui déjà réjouissent notre ennemi.
Les soussignés le savent et le voient, eux
qui subissent ençore ce que l'on semble oublier
d'ailleurs, la douleur de l'occupation étrangère,
et qui sont les témoins désolés des joies et des
espérances que font naître nos dissensions intes-
tines.
Aussi ils vous prient de persévérer résolû-
ment dans la voie où vous êtes entré et de ne
pas oublier que la majorité est tout entière avec
vous et prête à vous couvrir.
— ————————————
PARTIR OU TOMBER
- Si nous parlions un peu du Courrier
de Paris ? Il y a longtemps que cette
feuille, ou M. de Broglie et ses amis dé-
posent le trop-plein de leur bile, ne nous
était tombée sous les yeux.
Le numéro du jour est du dernier ga-
lant. On y voit d'abord que le Crapaud
volant a conquis ses grandes entrées
chez le prince Florestan, et que diman-
che soir les salons de la préfecture de
Versailles « étincelaient du monde démo-
cratique, étoilé des plus gracieux souri-
res de Mme Broët, de Mme Appert, de
Mme la générale Faron, venant faire
leur cour au moderne Louis XIV. » Mme
de Maintenon n'était pas là, ajoute fine-
ment le rédacteur. Et il oublie de dire
que c'est justement à cause de cela que
d'honnêtes femmes y étaient.
Mais ne nous montrons pas trop exi-
geants. On sait que le Courrier de Paris
se rédige dans les antichambres ducales.
Si le bon sens n'y est point de rigueur,
en revanche, les informations y sont re-
çues de première main. C'est ainsi que M.
Regnault, le majordome, nous confirme
idans notre appréciation du vote de samedi
l Vi,
dernier sur le ministre de l'intérieure Déjà,
nous dit-il, un ministre est à terre, et tous
ceux qui tendraient à protéger la révolu-
tion auront le même sort, non pas seu-
lement parce que nous serons la force
et le nombre, mais aussi et plutôt parce
que nous serons la vérité et le devoir. »
C'est la paraphrase de la feuille d'ar-
tichaut de M. Rouher.
Mais le Courrier de Paris va plus loin,
il ne se borne pas @ à viser les ministres ;
il s'adresse au président de la Républi-
que et lui signifie l'ultimatum de ses
maîtres : Partir ou tomber !
On nous accusera de répéter sans
cesse la même chose; mais que faire?
Chaque jour les pères fouetteurs de la
droite se laissent prendre en flagrant
délit de mensonge sur le même sujet;
il faut bien que chaque jour nous re-
commencions sur eux la même opéra-
tion que l'on fait subir aux jeunes chats
qui s'oublient; il faut bien que nous
leur mettions le nez dans le rapport
Batbie. Est-il vrai, oui ou non, qu'à
chaque ligne de cette Catilinaire essouf-
flée, les monarchistes aspergent de leur
eau bénite l'illustre homme d'Etat qui,
le grand historien que., M. Thiers en-
fin ? Est-il vrai que la droite se défend à
la tribune de vouloir renverser le pré-
sident de la République? Est-il vrai
qu'elle ait déclaré que tous ses vœux
seraient comblés si on lui accordait la
responsabilité ministérielle?
Personne ne le niera. M. de Broglie,
lui même, quand il prononce un discours
pour affermir les forts et exciter les fai-
bles, quand il sonne la charge contre le
gouvernement, a grand soin de dire qu'il
aime avec tendresse M. Thiers et qu'il
s'en voudrait mal de mort si jamais il
lui causait le plus petit chagrin. Paro-
les de duc, nous le savons; mais paro-
les officielles, prononcées à la face du
pays, et que nous -avons le droit d'op-
poser au langage qu'il fait tenir par ses
gens dans des feuilles à lui.
Il faut que M. Thiers parte ou qu'il
tombe ! Voilà les termes mêmes de l'ul-
timatum des ducs au président de la Ré-
publique. Soit; mais, dans ce cas, les
déclarations contenues dans le rapport
Batbie sont mensongères; mensongeres
aussi les protestations d'amitié portées à
la tribune par les orateurs royalistes.
Ils voulaient pn cabinet responsable,
ils l'ont. Libre à eux de tirer à la cible
ministérielle ; qu'ils effeuillent l'artichaut
jusqu'au bout, si cela peut les consoler
d'apprendre que depuis longtemps le pays
a effeuillé la marguerite pour savoir si
cette Assemblée l'aimait un peu, beau-
coup ou passionnément, et que la mar-
guerite a répondu : pas du tout. Après
M. Victor Lefranc, M. Jules Simon. On
prendra sa réforme de l'enseignement
secondaire, et Monseigneur Dupanloup
prouvera « qu'elle tend à protéger la ré-
volution. » Nous ne voyons pas bien
comment il s'y prendra, mais nous ne
sommes point en peine. Si deux lignes
d'un homme suffisent à le faire pendre,
c'est surtout, j'imagine, quand elles sont
lues et commentées par un dévot.
Puis viendra M. de Rémusat. Pour
celui-là, il suffira d'un souffle. Un minis-
tre des affaires étrangères qui n'a pas
craint d'entrer au Crapaud volant deman-
der un ministre pour la Grèce et un con-
sul pour la Confédération helvétique est
un révolutionnaire de la plus dangereuse
espèce. M. de Rémusat n'en veut rien
croire, mais vous verrez qu'on le lui
prouvera.
Quant à M. de Cissey, sa position dé-
pend de lui. S'il se montre bienveillant
à l'égard du général Ducrot, on pourra
s'entendre. Sinon, feuille d'artichaut !
Qu'ils y passent tous; peu importe.
Mais nous ne voyons pas en quoi ce
massacre des innocents pourrait attein-
dre le président de la République. Les
exécuteurs des basses-œuvres qui siè-
gent sur les genoux de Mgr Dupanloup
et aux pieds de Mgr d'Aumale se trom-
pent absolument s'ils pensent que dé-
sormais il leur soit possible d'ébranler
ce qu'un vote patriotique — et nulle-
ment politique, il faut bien qu'on le
sache, — a définitivement assis et con-
solidé.
Le jour même du vote qui a jeté bas
le ministre de l'intérieur, et avant de
connaître ce vote, nous disions qu'il ne
fallait point compter en toute occasion
sur la majorité de la veille, mais qu'on
la retrouverait fidèle au poste toutes les
fois que l'existence même du fait répu-
blicain serait mise en jeu. Nous ne se-
rons donc nullement étonnés de voir le
parti Batbie réussir à effeuiller l'arti-
chaut ministériel; mais nous le mettons
au défi de faire tomber le président, car
le jour où il lui reprendra l'odieuse fan-
taisie de le provoquer directement, les
372 patriotes qui se sont unis déjà pour
sauver la France de l'anarchie blanche
défendront encore le gouvernement na-
tional contre le gouvernement de com-
bat.
Les monarchistes ont dit, il est vrai :
partir ou tomber, ce qui indiquerait en
eux l'espérance delasser si bien M. Thiers
deleurs taquineries ridicules qu'il finisse
un jour par jeter le manche après la co-
gnée. Autre erreur. Tant que le prési-
dent de la République a pu croire qu'on
le combattait loyalement, il a eu le droit
de perdre quelquefois patience et de se
décourager. Mais aujourd'hui qu'il voit
clair dans le jeu de ses ennemis et des
nôtres, il saura imposer silence à ses co-
lères et s'oublier lui-même pour ne
penser qu'à défendre son pays contre les
fureurs ambitieuses des uns et les in-
trigues serviles des autres. Semblable à
Yimpavidum ferient d'Horace, il ne s'é-
tonnera de rien,
Et regardant tomber autour de lui ses branches,
il remplacera par des ministres républi-
cains ceux de ses ministres que le mino-
taure Batbie lui dévorera.
Nous savons maintenant ce qu'il faut
attendre de la droite ; que celle-ci sache
à son tour ce qu'elle doit espérer du
gouvernement. D'un côté, force rageuse ;
de l'autre, force d'inertie. Nous ne som-
mes pas inquiets du résultat.
E. SCHNERB.
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 5 décembre /872
« Si vous voulez la paix, préparez-vous
à la guerre. » Jamais ce vieux proverbe
ne s'estappliqué plus exactement qu'aujour-
d'hui. On s'occupait du budget de la guerre,
la paix n'a cessé de régner.
Les tribulations politiques ne recommen-
ceront que jeudi matin, lorsqu'il s'agira d'é-
lire les trente membres de la commission
chargée de régler les attributions des pou-
voirs publics et la responsabilité ministé-
rielle. La responsabilité ministérielle!.
Est-ce que le départ de M. Victor Lefranc
ne prouve pas que cette responsabilité est
suffisamment réglée, et même déréglée ?
En attendant, la droite cherche à s'assu-
rer les moyens d'obtenir, jeudi, une demi-
revanche : elle espère, elle compte déta-
cher plusieurs voix de la majorité des 370;
et, n'ignorant pas que plusieurs membres
de la gauche sont malades ou en congé,
et par conséquent ne peuvent prendre part
à la lutte dans les bureaux, elle se croit
déjà sûre de former la majorité de la com-
mission. De son côté, la gauche ne reste
pas inactive : tous les groupes de ce côté
de l'Assemblée ont à peu près arrêté, au-
jourd'hui, une liste commune, portant
deux députés par bureau; et, pourfouetter
la nonchalance, — qui serait des plus cou-
pables en un pareil moment, — des dé-
putés qui aiment à couler doucement la vie
législative, certains parlent de publier les
noms de ceux qui brilleraient par leur ab-
sence dans la matinée de jeudi.
Les chapitres du budget de la guerre
défilent en bataillons serrés ; quelques-uns
cherchent à les entamer, mais vainement.
Disons la vérité : les attaques ne sont pas
bien terribles, et M. Raudot lui-même y
met beaucoup de discrétion.
Dans la salle, les bancs sont à moitié
vides : les députés qui sont là ne font pas
grand bruit, ils écoutent, ou lisent un gros
volume qui vient de leur être distribué :
« Enquête parlementaire sur les actes du
gouvernement de la Défense nationale. »
Les chapitres de ce volume sont plus inté-
ressants que les chapitres de la guerre.
Sur la - scène, c'est toujours le même
spectacle, quelque peu monotone : M. Rau-
dot monte à la tribune et demande une ré-
duction ; M. de Cissey, ministre, lui succède
et l'aplatit au point de vue militaire ; M. Co-
chery, rapporteur, vient en troisième et
écrase M. Raudot au point de vue finan-
cier. On vote. Après quoi, M. des Rotours
monte; M. de Cissey le descend; M. Co-
chery le pulvérise. Un opposant, le minis-
tre, le rapporteur ; un opposant, le minis-
tre, le rapporteur. C'est comme le nou-
veau : Paris décrit par Sardou dans Mai-
son-Neuve : un bec de gaz, un kiosque,
un banc; un bec de gaz, un kiosque; un.
La plus grande distraction que nous ayons
est de voir M. Cochery précéder M. de Cis-
sey. Mais vous savez qu'arithmétiquement
parlant, on peut intervertir l'ordre des fac-
teurs ; le résultat ne change pas.
M. le ministre de la guerre a d'ailleurs
une manière toute militaire de discuter un
budget. Il a reçu des ordres, il ne les
commente pas ; tout ce qu'il dit est laconi-
que comme un boulet de canon. Il monte:
la tête basse, un peu penchée sur l'épaule
gauche, le corps incliné en avant, les deux
mains appuyées sur le bureau, il débite sa
petite affaire, rapidement, fait par le flanc
gauche et disparaît. Cela dure bien une ou
deux minutes, trois minutes dans les
grandes occasions.
Et, en si peu de temps, M. de Cissey
trouve moyen de lancer, à côté d'argu-
ments sérieux, des boutades humoristiques.
Ainsi, M. des Rotours a présenté des ob-
servations sur les dépenses qu'entraînent
les changements dans l'habillement des
troupes. Et M. le ministre répond, à pro-
pos du schako:
« Nous avons enlevé les aigles, qui ne
sont plus de mise (d'ordonnance eût été
plus militaire), et nous avons fait un
schako qui, quelles que soient les ré -
volutions qui tomberont sur la France,
n'aura pas besoin d'être modifié. »
On a fort applaudi cette boutade.
Il en est une autre à laquelle nous ap-
plaudissons encore de bien meilleur cœur.
M. de Lorgeril, à propos de la justice mi-
litaire, avait apporté à la tribune une élu-
cubration assez malheureuse, à la fin de
laquelle il avait émis cet espoir : l'armée
deviendra complétement bonne, grâce aux
doctrines qu'on lui donnera.
« Ce ne sont pas les doctrines qu'on don-
nera à l'armée qui feront de bons mili-
taires ; ce sont celles que nous lui don-
nons. »
Nous l'avons dit : ca part comme un
coup de canon. M. de Cissey a été fort
goûté de l'Assemblée entière; évidemment,
ce n'est pas lui qui est désigné comme la
seconde feuille d'artichaut. Il s'est même
produit ce fait absolument anormal qu'au
chapitre « achat de chevaux, » sur la de-
mande de M. Delacour, l'Assemblée a
failli — à quelques voix d'écart — accor-
der à M. le ministre de la guerre 800,000
francs de plus qu'il n'en demandait.
r Vouloir augmenter le budget de la
guerre au lieu de penser à le réduire.
Signe des temps, messieurs, signe des
temps !
Le budget du ministère de la guerre avait
été lestement enlevé, grâce au laconisme
de son ministre. Mais le ministre des tra-
vaux publics n'a pas de titulaire. son
budget a été encore bien plus vite voté que
le précédent.
PAUL LAFARGUE.
——————— +
On assurait hier 4 Versailles, disent
quelques journaux, que M. de Rémusat,
ministre de l'intérieur par intérim, ve-
nait d'inviter les préfets à faire appli-
quer strictement la loi du 5 mai 1855
sur les conseils municipaux. On sait que
MM. Prax-Paris et Raoul Duval ont invo-
qué cette loi, dans l'interpellation sur
les adresses, lorsqu'il s'est agi d'entraî-
ner un vote de blâme contre M. Victor
Lefranc, alors ministre de l'intérieur.
Cette nouvelle se trouve à peu près
confirmée par la circulaire suivante que
le préfet de la Seine-Inférieure adresse
aux maires de son département :
Ronen, le 2 décembre 1872.
Monsieur le maire,
Les manifestations qui se sont produites dans
un certain nombre de conseils municipaux à
l'occasion du message de M. le président de la
République ont éveillé tout à la fois l'attention
de l'Assemblée nationale et celle du gouverne-
ment.
Il m'a paru que, dans ces circonstances, il
était opportun de rappeler aux corps municipaux
les règles essentielles qui, à cet égard, régissent
leur compétence.
L'article 23 de la loi du 5 mai 1855 déclare
nulle de plein droit toute délibération d'un con-
seil municipal portant sur un objet étranger à
ses attributions.
L'article 24 prononce la même nullité contre
les décisions qui seraient prises par un conseil
hors de sa réunion légale.
Enfin, et à côté de cette nullité absolue, pro-
clamée par les articles précédents, l'article. 25
dispose que : « tout conseil municipal qui se
mettra en correspondance avec un ou plusieurs
autres conseils, ou qui publiera des proclama-
tions ou adresses, sera immédiatement suspendu
par le préfet. »
- Ces prescriptions sont formelles ; les instruc-
tions ministérielles et une jurisprudence cons-
tante ne laissent aucun doute ni sur leur signi-
fication ni sur leur étendue.
Les proclamations et les adresses, quelque
forme apparente qu'elles revêtent pour échap-
per à la sanction de la loi de 1853, doivent être
proscrites toutes les fois qu'elles sont le résultat
d'une intervention collective des membres de
l'assemblée municipale.
J'ai donc le devoir de vous faire connaître que
les manifestations de cette nature qui se pro-
duiraient dans le département seraient suivies
d'une répression immédiate.
Mais l'excellent esprit qui anime les conseils
de la Seine-Inférieure me donne la confiance
que l'administration n'aura pas à user des
moyens dont elle dispose, pour assurer le res-
pect de la loi.
Agréez, etc.
Le préfet de la Seine-Inférieure,
Lizot.
La lecture de ce document suggère
quelques réflexions.
Il faut se souvenir, en premier lieu,
que des instructions analogues avaient
'été données déjà par le gouvernement
avant l'interpellation Prax-Paris. C'est ce
qui ressort des pièces officielles dont
M. Victor Lefranc a fait lecture à la tri-
bune , et dont quelques-unes même
étaient connues avant les explications
qu'a fournies le ministre. Il n'y a donc
ici rien de nouveau, et ce sont des ins-
tructions que le gouvernement réitère
pour marquer sa ferme intention de pré-
venir toute infraction à la loi. Le ton
de la pièce qu'on vient de lire est, vers
la fin surtout, un peu comminatoire ;
mais cela tient sans doute au style par-
ticulier de M. Lizot, et l'on doit suppo-
ser que, mieux inspirés, d'autres préfets
se contentent d'être nets sans être
bourrus. En résumé, la conduite du gou-
vernement, qui n'a pas varié dans toute
cette affaire, est honorable et très-digne
d'éloges : il a voulu d'abord se mettre
au-dessus des soupçons du parti qui lui
reprochait d'encourager* secrètement
cette campagne des adresses ; il a tenu
ensuite à expliquer aux membres des
conseils municipaux, qui se mêlent
au mouvement, ce que leur interdit la
loi.
Maintenant, il importe que cette cir-
culaire du préfet de la Seine-Inférieure
et les circulaires analogues des autres
préfets soient bien comprises. Ce qui
est interdit, ce qui est illégal, ce n'est
pas l'apposition des signatures de con-
seillers municipaux au bas d'une adres-
se, si les conseillers municipaux agis-
sent en simples citoyens, c'est-à-dire
hors session et hors séance. La loi dé-
fend tout ce qui offre le caractère de dé-
libération, de décision prise en tant
que conseil et que corps; mais aucun
article de loi n'enlève aux membres des
conseils municipaux le droit qui stricte-
ment appartient à tout citoyen d'envoyer
au chef de l'Etat des pétitions et des
adresses, et de même il leur est abso-
lument permis d'ajouter à leur signature
la qualification de « conseiller munici-
pal » qui leur est propre. Le contraire
serait absurde et ridicule ; et ce serait
faire injure au législateur que de suppo-
ser qu'il ait édicté des dispositions aussi
tyranniques. Un conseil municipal ne
doit pas et ne peut pas faire d'adresses ;
mais, hors du conseil, les membres qui
composent le conseil en peuvent faire
autant qu'il leur convient et les signer :
Tel et tel, membres du conseil. La loi ne
serait violée que par « une intervention
collective ; » remarquez ce mot du pré-
fet de la Seine-Inférieure, au septième
paragraphe de sa circulaire.
Tout cela, sans doute, est en appa-
rence un peu subtil, et c'est le malheur
du temps qu'on en soit réduit aux subti-
lités sur les points de droit commun les
plus simples. A force de vouloir inter-
préter les textes, on finit quelquefois par
ne plus pouvoir s'y débrouiller. Ce qui
est clair, c'est crue le mouvement, tel
qu'il s'est produit jusqu'à ce jour et dans
sa généralité, n'a rien de contraire à la
loi, et que nos concitoyens des provinces
feront bien d'y persévérer. Nous le savons
d'ailleurs, ils ne se lassent point. Cha-
que matin, dans les journaux des départe-
ments, nous trouvons le texte d'une foule
d'adresses nouvelles, dont les conseillers
municipaux ont, la plupart du temps,
pris l'initiative. Nous avons renoncé à
continuer l'énumération des communes,
grandes et petites, où toutes ces adres-
ses sont signées; mais nous devons dire
que la France entière, avec autant d'éner-
gie que jamais, use de ce moyen pour
manifester ses alarmes. C'est ainsi qu'elle
se prononce pour la seule politique qu'on
puisse appeler nationale, pour la seule
politique qui nous tirera du péril. Le
but apparaît nettement; qu'on ne s'en
laisse point distraire ou détourner !
EUG. LIÉBERT.
—————— + ——————
LA COMMISSION DES fRENTE
C'est demain jeudi, 5 décembre, que l'As-
semblée nationale, réunie dans ses bureaux,
doit procéder à l'élection des trente membres
chargés, conformément à la proposition de M.
Dufaure, de procéder à l'examen des réformes
constitutionnelles et des conditions de la res-
ponsabilité ministérielle.
En prévision de cette importante élection, le
centre gauche a dressé une liste de candidats à
opposer à celle que les vaincus du scrutin du
29 novembre ne vont pas manquer de proposer.
Cette liste, soumise par le centre gauche à la
gauche républicaine et à l'extrême gauche, a
été adoptée sans aucune objection et à l'unani-
mité.
En adhérant ainsi aux choix du centre gau-
che, les républicains de toute nuance ont fait
preuve, nous nous plaisons à le constater, d'un
esprit vraiment politique.
Voici la liste des trente candidats proposés
par le centre gauche :
1er bureau. MM. Laboulaye.
Gatien-Arnould.
2e bureau. Delacour.
Duchâtel.
3R bureau. Marcel Barthe.
Ant. Lefèvre-Pontalis.
4e bureau. Jules Grévy.
Ricard.
5e bureau.. Martel.
de Fourtou.
6e bureau. Ara go.
Bertauld.
7e bureau. de Marcère.
Jozon.
8e bureau. , Scheurer.
Denormandie.
9e bureau. Cordier.
Corne.
10e bureau. Gaulthier de Rumilly.
Leblond.
11e bureau. Christophle.
René Brice.
12e bureau. Delorme.
Humbert.
13e bureau. Denfert-Rochereau.
Rives.
14e bureau. Casimir Périer..
Boduin.
15e bureau. Albert Grévy.
Max Richard.
C'est la première fois, on le remarquera, que
M. le président de l'Assemblée nationale con-
sent à laisser poser dans les bureaux sa can-
didature à une commission.
En prévision du débat qui va s'engager dans
les bureaux pour l'élection de la commission
des trente, le Rappel fait un calcul comparatif
entre la manière dont se trouvent actuellement
composés les quinze bureaux de la Chambre au
scrutin du 20 novembre.
En tenant compte des absences légales et en
mettant les abstentions au compte des adversai-
res du gouvernement, il arrive au résultat sui-
vant :
1er bureau, 49 membres : 24 partisans
du gouvernement, 25 adversaires.
2e bureau, 48 membres ( le comte de
Gontaut-Biron, ambassadeur à Berlin, ab-
sent) : 28 partisans du gouvernement, 20
adversaires.
3e bureau, 47 membres (le général
Chanzy et M. de Melun, absents) : 26 par-
tisans du gouvernement, 21 adversaires.
4e bureau, 49 membres (au nombre des-
quels M. Thiers et M. Jules Grévy). Ces
deux honorables membres, ne prenant ja-
mais part aux discussions des bureaux, le
nombre des votants se trouve réduit, ainsi
que celui des partisans du gouvernement,
de deux. Il reste, néanmoins, encore 32
partisans du gouvernement et 15 adver-
saires.
5e bureau, 48 membres (M. Rivet, - dé-
cédé) : 2G partisans du gouvernement, 22
adversaires.
Ge bureau, 47 membres (MM. Ber.oît
(Meuse) et Mathieu-Bodet, .absents) ; 28
partisans du gouvernement, 19 adversai-
res.
7e bureau, 48 membres (M. Aclocque,
absent) : 19 partisans du gouvernement
29 adversaires.
8e bureau, 47 membres (MM. de Tarte-
ron et Jules Morel, absents) : 26 partisans
du gouvernement, 21 adversaires.
9e bureau, 47 membres (MM. de Beurges
et Moulin, absents) : 17 partisans du gou-
vernement, 30 adversaires.
10e bureau, 48 membres (M. Jules rFer-
rv, ministre de France à Athènes ab-
sent) : 25 partisans du gouvernement 23
adversaires,
11e bureau, 48 membres (M. Costa de
Beauregard, absent) : 27 partisans du gou-
vernement, 21 adversaires.
12e bureau, 48 membres (M. Vinay, ab-
2° Ann,~o,. - No .985 e ,
Jeudi 5 décembre 4872.
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2. rue Drouot, 2 X
Les manuscrits non insérés seront !-
ABONNEMENTS
PAllIS
Trois mois *3 fr.
Six mois 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois .X «\N
Six mois ^32^ ! 1,
Un an 62 - .-..-
AnnoneH, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
0, place de la Boum, 6
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2. rue Drouot, 2
Les lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois 13 fr.
Six mois 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Un an. 62
Annonce», chez MM. LAGRANGE, CERF et C*
6, place de la Boarsc, 6
Paris le 4 décembre 487%.
1 heure du matin.
Nos lecteurs, je dirais presque nos
électeurs (car un journal n'existe qu'en
vertu d'un mandat tacite des citoyens
qui l'alimentent de leur obole), ont re-
marqué que si nous sommes un peu vifs
dans la forme, nous sommes modérés au
fond. Si nous allons parfois trop loin
dans l'expression de nos sentiments,
c'èst qu'il faut élever la voix lorsqu'on
parle à des sourds; or, l'Assemblée
compte un certain nombre de ces sourds,
les pires de tous, qui ne veulent rien en-
tendre.
J'ajoute que nous parlerions moins
haut si l'Assemblée nationale, ou soi-
disant telle, était moins éloignée de nous.
En se cloîtrant dans l'Escurial fastueux
de celui qui révoqua l'édit de Nantes,
elle n'a songé qu'à se mettre à l'abri des
coups de main qui dispersent ; mais
♦ elle s'est privée, pour son malheur, des
coups de coude obligeants qui avertis-
sent. Ses aveugles thuriféraires lui ré-
pètent tous les matins qu'elle a fait
preuve de sagesse, et que, logée à Pa-
ris, dans le Palais-Bourbon, au bord de
Péau, elle eût couru deux ou trois fois le
risque de plonger violemment dans la
Seine. Ils feraient mieux de lui dire qu'à
Paris, dans un milieu philosophique et
libéral entre tous, elle eût été autrement
inspirée. La sécurité absolue n'est pas
bonne conseillère, et l'on commettrait
moins de fautes si l'on était moins sûr
de se tromper inpunément.
Ces isolés, que M. Thiers protège avec
un renoncement louable, et qu'il aurait
traités de Turc à More s'il avait seule-
ment un seizième de sang royal dans les
veines, abusent de leur inviolabilité pour
violer tous les droits d'autrui. Parce qu'ils
siègent à Versailles, sous la garde d'un
magnanime esclave du devoir et de cent
mille soldats disciplinés par M. Thiers,
|s se croient autorisés à ignorer les vo-
lontés les plus formelles de la France, à
-- valider les élections républicaines sans
comprendre ce qu'elles disent, à regarder
par le gros bout de la lorgnette les
désastres industriels et financiers qu'ils
provoquent, et à faire de leur coterie une
sorte d'Etat dans l'Etat. Il y a dans
cette Assemblée quelques savants méde-
cins ; je m'étonne que pas un ne lui ait
encore dit qu'à force de vivre pour elle
et en elle-même, elle est devenue
à la longue comme un corps étran-
ger dans un organisme vivant, la
balle d'un soldat blessé. L'organisme,
qo- ne le sait que trop, s'épuise en ef-
fets violents pour expulser le corps
ranger; s'il est logé dans les œuvres
vives, il faut, ou qu'il s'en aille sponta-
nément, ou qu'on l'en tire, ou qu'il de-
vienne le centre d'une inflammation
mortelle.
Nous sommes aussi modérés qu'on
peut l'être dans les douleurs de cette
fièvre traumatique, et quoique le corps
* étranger nous fasse cruellement souf-
frir, nous permettrons, sans trop crier,
qu'on nous l'arrache en trois morceaux.
Mais il est temps et grand temps de
nous donner au moins un commence-
ment de délivrance.
A dire vrai, j'ai bon espoir, et malgré
quelques pronostics décourageants ,
j'incline à croire que nous touchons si-
non au terme, du moins au soulagement
de nos maux.
Que faut-il pour que l'Assemblée se
soumette, de bonne ou de mauvaise
grâce, au renouvellement partiel? Un
seul vote conforme aux vœux presque
unanimes de la nation. Une voix de ma-
jorité suffirait à décider de l'affaire.
Or, l'Assemblée, qui naguère encore
s'émiettait en six ou sept partis, n'en
forme plus que deux, de force à peu près
égale, et qui se tiennent l'un l'autre en
équilibre. Il n'y a plus que la droite et
la gauche, la gauche qui soutient avec
un dévouement patriotique le gouverne-
ment de la régénération nationale, et
la droite qui s'obstine à le renverser sans
savoir ce qu'elle établira en sa place.
De la gauche, nous sommes sûrs; elle
aime et sert loyalement la France.
Quant aux sentiments de la droite, ja
veux dire ses mauvais sentiments, ils
sont beaucoup moins démontrés, Dieu
merci. Si l'on examine un à un les 334
députés qui ont refusé à M. Thiers un
vote de confiance, on n'en trouve pas
200 qui soient les ennemis déclarés de
leur patrie.
Sur ces 200 il y en a 50 que je li-
vrerai sans scrupule à l'exécration des
gens de bien : ce sont des mons-
tres ; monstres d'ambition, d'orgueil
ou de bassesse, altérés de pouvoir
ou affamés d'argent jusqu'à la rage.
Mettez ensuite 150 fanatiques, aveuglés
par une éducation absurde, par l'igno-
rance de leur temps et de leur pays et
par je ne sais quel vertige rétrograde
qu'ils confondent avec le sentiment du
devoir.
Il reste encore 130 hommes de bon
?. _t 4 r ,
sens et de bonne foi, qui ont pu se lais-
ser entraîner dans une conspiration sans
issue, mais qui restent Françaie au fond
du cœur et qui, depuis leur faute, ont eu
le temps de se rappeler qu'ils ont une
patrie.
ABOUT.
———————————— » ————————————
Monsieur Prax-Paris, qu'avez-vousfait
là ?
Ah! vous prétendez imposer silence
au pays ; ah ! vous voulez lui interdire
le droit d'exprimer son opinion sur vous
et les vôtres, sur la guerre acharnée que
vous faites à la République et à l'homme
qui a juré de la défendre contre vos
ducs !
Monsieur Prax-Paris, qu'avez-vous fait
là?
Les corps élus se tairont, soit. Mais la
nation parlera elle-même, puisque vous
fermez la bouche à ses délégues. Voici
la population de Cherbourg qui envoie
une adresse au président de la Républi-
que, signée de plus de trois mille noms,
et des mieux cotés sur la place. Puis
Saint-Dié, une petite ville des Vosges,
qui envoie une adresse revêtue de quinze
cents signatures.
C'est un exemple que les autres villes
s'apprêtent à suivre, et nous allons bien
voir si cette fois on trouvera un moyen
d'étouffer la vérité !
Monsieur Prax-Paris, qu'avez-vous fait
là?
ADRESSES
AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Les soussignés, habitants de Cherbourg,
croient faire acte de patriotisme en venant
se joindre à vous pour soutenir la Répu-
blique, seul gouvernement qui peut rele-
ver le drapeau de la France et grouper
autour de lui les hommes de cœur ennemis
de toute révolution.
Ils donnent leur entière adhésion aux
principes proclamés dans votre message,
qui sont ceux de la majorité du pays.
Ils disent avec vous :
Vive la France!
Vive la République !
Suivent les signatures des commerçants,
négociants, industriels, propriétaires, ou-
vriers et capitaines de navire de la ville
de Cherbourg (3,000 signatures).
M. Méline, député des Vosges, a reçu
l'adresse suivante de la ville de Saint-Dié.
Elle porte 1,500 signatures :
Monsieur le président,
Le 20 octobre dernier, le département des Vos-
ges, et notamment la ville de St-Dié, proclamait
aune grande majorité son adhésion à votre gou-
vernement, en députant à l'Assemblée de Ver-
sailles un homme qui avait affirmé sans ambi-
guïté son attachement 1 la République, et pro-
mis de vous apporter son concours et l'appui
de ses votes. =
t Dans les conjectures présentes, les soussignés,
habitants de Saint-Dié, entendent renouveler
leur manifestation du 20 octobre. Ils veulent
joindre leurs protestations à celles qui s'élèvent
de tous les points du territoire, pour vous en-
courager et vous fortifier dans la voie que vous
suivez; ils veulent aussi vous affirmer que l'im-
mense majorité du pays est avec vous.
Le pays est avec vous, M. le président, par-
ce que vous avez proclamé cette vérité, que peu-
vent seuls nier des ambitieux sans scrupule ou
des aveugles, que la République est le gouver-
nement légal, le gouvernement nécessaire, le
seul qui puisse nous donner l'ordre, le calme,
le travail, et amener ainsi, avec la libération du
sol français, le relèvement et la réhabilitation
de la patrie.
Les soussignés estiment et entendent vous ex-
primer respectueusement cette opinion qu'il y
aurait comme une sorte de trahison envers là
France à céder devant d'arrogantes injonctions
qui n'auraient d'autre conséquence, si elles
etaient accueillies, que de provoquer la guerre
civile et qui déjà réjouissent notre ennemi.
Les soussignés le savent et le voient, eux
qui subissent ençore ce que l'on semble oublier
d'ailleurs, la douleur de l'occupation étrangère,
et qui sont les témoins désolés des joies et des
espérances que font naître nos dissensions intes-
tines.
Aussi ils vous prient de persévérer résolû-
ment dans la voie où vous êtes entré et de ne
pas oublier que la majorité est tout entière avec
vous et prête à vous couvrir.
— ————————————
PARTIR OU TOMBER
- Si nous parlions un peu du Courrier
de Paris ? Il y a longtemps que cette
feuille, ou M. de Broglie et ses amis dé-
posent le trop-plein de leur bile, ne nous
était tombée sous les yeux.
Le numéro du jour est du dernier ga-
lant. On y voit d'abord que le Crapaud
volant a conquis ses grandes entrées
chez le prince Florestan, et que diman-
che soir les salons de la préfecture de
Versailles « étincelaient du monde démo-
cratique, étoilé des plus gracieux souri-
res de Mme Broët, de Mme Appert, de
Mme la générale Faron, venant faire
leur cour au moderne Louis XIV. » Mme
de Maintenon n'était pas là, ajoute fine-
ment le rédacteur. Et il oublie de dire
que c'est justement à cause de cela que
d'honnêtes femmes y étaient.
Mais ne nous montrons pas trop exi-
geants. On sait que le Courrier de Paris
se rédige dans les antichambres ducales.
Si le bon sens n'y est point de rigueur,
en revanche, les informations y sont re-
çues de première main. C'est ainsi que M.
Regnault, le majordome, nous confirme
idans notre appréciation du vote de samedi
l Vi,
dernier sur le ministre de l'intérieure Déjà,
nous dit-il, un ministre est à terre, et tous
ceux qui tendraient à protéger la révolu-
tion auront le même sort, non pas seu-
lement parce que nous serons la force
et le nombre, mais aussi et plutôt parce
que nous serons la vérité et le devoir. »
C'est la paraphrase de la feuille d'ar-
tichaut de M. Rouher.
Mais le Courrier de Paris va plus loin,
il ne se borne pas @ à viser les ministres ;
il s'adresse au président de la Républi-
que et lui signifie l'ultimatum de ses
maîtres : Partir ou tomber !
On nous accusera de répéter sans
cesse la même chose; mais que faire?
Chaque jour les pères fouetteurs de la
droite se laissent prendre en flagrant
délit de mensonge sur le même sujet;
il faut bien que chaque jour nous re-
commencions sur eux la même opéra-
tion que l'on fait subir aux jeunes chats
qui s'oublient; il faut bien que nous
leur mettions le nez dans le rapport
Batbie. Est-il vrai, oui ou non, qu'à
chaque ligne de cette Catilinaire essouf-
flée, les monarchistes aspergent de leur
eau bénite l'illustre homme d'Etat qui,
le grand historien que., M. Thiers en-
fin ? Est-il vrai que la droite se défend à
la tribune de vouloir renverser le pré-
sident de la République? Est-il vrai
qu'elle ait déclaré que tous ses vœux
seraient comblés si on lui accordait la
responsabilité ministérielle?
Personne ne le niera. M. de Broglie,
lui même, quand il prononce un discours
pour affermir les forts et exciter les fai-
bles, quand il sonne la charge contre le
gouvernement, a grand soin de dire qu'il
aime avec tendresse M. Thiers et qu'il
s'en voudrait mal de mort si jamais il
lui causait le plus petit chagrin. Paro-
les de duc, nous le savons; mais paro-
les officielles, prononcées à la face du
pays, et que nous -avons le droit d'op-
poser au langage qu'il fait tenir par ses
gens dans des feuilles à lui.
Il faut que M. Thiers parte ou qu'il
tombe ! Voilà les termes mêmes de l'ul-
timatum des ducs au président de la Ré-
publique. Soit; mais, dans ce cas, les
déclarations contenues dans le rapport
Batbie sont mensongères; mensongeres
aussi les protestations d'amitié portées à
la tribune par les orateurs royalistes.
Ils voulaient pn cabinet responsable,
ils l'ont. Libre à eux de tirer à la cible
ministérielle ; qu'ils effeuillent l'artichaut
jusqu'au bout, si cela peut les consoler
d'apprendre que depuis longtemps le pays
a effeuillé la marguerite pour savoir si
cette Assemblée l'aimait un peu, beau-
coup ou passionnément, et que la mar-
guerite a répondu : pas du tout. Après
M. Victor Lefranc, M. Jules Simon. On
prendra sa réforme de l'enseignement
secondaire, et Monseigneur Dupanloup
prouvera « qu'elle tend à protéger la ré-
volution. » Nous ne voyons pas bien
comment il s'y prendra, mais nous ne
sommes point en peine. Si deux lignes
d'un homme suffisent à le faire pendre,
c'est surtout, j'imagine, quand elles sont
lues et commentées par un dévot.
Puis viendra M. de Rémusat. Pour
celui-là, il suffira d'un souffle. Un minis-
tre des affaires étrangères qui n'a pas
craint d'entrer au Crapaud volant deman-
der un ministre pour la Grèce et un con-
sul pour la Confédération helvétique est
un révolutionnaire de la plus dangereuse
espèce. M. de Rémusat n'en veut rien
croire, mais vous verrez qu'on le lui
prouvera.
Quant à M. de Cissey, sa position dé-
pend de lui. S'il se montre bienveillant
à l'égard du général Ducrot, on pourra
s'entendre. Sinon, feuille d'artichaut !
Qu'ils y passent tous; peu importe.
Mais nous ne voyons pas en quoi ce
massacre des innocents pourrait attein-
dre le président de la République. Les
exécuteurs des basses-œuvres qui siè-
gent sur les genoux de Mgr Dupanloup
et aux pieds de Mgr d'Aumale se trom-
pent absolument s'ils pensent que dé-
sormais il leur soit possible d'ébranler
ce qu'un vote patriotique — et nulle-
ment politique, il faut bien qu'on le
sache, — a définitivement assis et con-
solidé.
Le jour même du vote qui a jeté bas
le ministre de l'intérieur, et avant de
connaître ce vote, nous disions qu'il ne
fallait point compter en toute occasion
sur la majorité de la veille, mais qu'on
la retrouverait fidèle au poste toutes les
fois que l'existence même du fait répu-
blicain serait mise en jeu. Nous ne se-
rons donc nullement étonnés de voir le
parti Batbie réussir à effeuiller l'arti-
chaut ministériel; mais nous le mettons
au défi de faire tomber le président, car
le jour où il lui reprendra l'odieuse fan-
taisie de le provoquer directement, les
372 patriotes qui se sont unis déjà pour
sauver la France de l'anarchie blanche
défendront encore le gouvernement na-
tional contre le gouvernement de com-
bat.
Les monarchistes ont dit, il est vrai :
partir ou tomber, ce qui indiquerait en
eux l'espérance delasser si bien M. Thiers
deleurs taquineries ridicules qu'il finisse
un jour par jeter le manche après la co-
gnée. Autre erreur. Tant que le prési-
dent de la République a pu croire qu'on
le combattait loyalement, il a eu le droit
de perdre quelquefois patience et de se
décourager. Mais aujourd'hui qu'il voit
clair dans le jeu de ses ennemis et des
nôtres, il saura imposer silence à ses co-
lères et s'oublier lui-même pour ne
penser qu'à défendre son pays contre les
fureurs ambitieuses des uns et les in-
trigues serviles des autres. Semblable à
Yimpavidum ferient d'Horace, il ne s'é-
tonnera de rien,
Et regardant tomber autour de lui ses branches,
il remplacera par des ministres républi-
cains ceux de ses ministres que le mino-
taure Batbie lui dévorera.
Nous savons maintenant ce qu'il faut
attendre de la droite ; que celle-ci sache
à son tour ce qu'elle doit espérer du
gouvernement. D'un côté, force rageuse ;
de l'autre, force d'inertie. Nous ne som-
mes pas inquiets du résultat.
E. SCHNERB.
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 5 décembre /872
« Si vous voulez la paix, préparez-vous
à la guerre. » Jamais ce vieux proverbe
ne s'estappliqué plus exactement qu'aujour-
d'hui. On s'occupait du budget de la guerre,
la paix n'a cessé de régner.
Les tribulations politiques ne recommen-
ceront que jeudi matin, lorsqu'il s'agira d'é-
lire les trente membres de la commission
chargée de régler les attributions des pou-
voirs publics et la responsabilité ministé-
rielle. La responsabilité ministérielle!.
Est-ce que le départ de M. Victor Lefranc
ne prouve pas que cette responsabilité est
suffisamment réglée, et même déréglée ?
En attendant, la droite cherche à s'assu-
rer les moyens d'obtenir, jeudi, une demi-
revanche : elle espère, elle compte déta-
cher plusieurs voix de la majorité des 370;
et, n'ignorant pas que plusieurs membres
de la gauche sont malades ou en congé,
et par conséquent ne peuvent prendre part
à la lutte dans les bureaux, elle se croit
déjà sûre de former la majorité de la com-
mission. De son côté, la gauche ne reste
pas inactive : tous les groupes de ce côté
de l'Assemblée ont à peu près arrêté, au-
jourd'hui, une liste commune, portant
deux députés par bureau; et, pourfouetter
la nonchalance, — qui serait des plus cou-
pables en un pareil moment, — des dé-
putés qui aiment à couler doucement la vie
législative, certains parlent de publier les
noms de ceux qui brilleraient par leur ab-
sence dans la matinée de jeudi.
Les chapitres du budget de la guerre
défilent en bataillons serrés ; quelques-uns
cherchent à les entamer, mais vainement.
Disons la vérité : les attaques ne sont pas
bien terribles, et M. Raudot lui-même y
met beaucoup de discrétion.
Dans la salle, les bancs sont à moitié
vides : les députés qui sont là ne font pas
grand bruit, ils écoutent, ou lisent un gros
volume qui vient de leur être distribué :
« Enquête parlementaire sur les actes du
gouvernement de la Défense nationale. »
Les chapitres de ce volume sont plus inté-
ressants que les chapitres de la guerre.
Sur la - scène, c'est toujours le même
spectacle, quelque peu monotone : M. Rau-
dot monte à la tribune et demande une ré-
duction ; M. de Cissey, ministre, lui succède
et l'aplatit au point de vue militaire ; M. Co-
chery, rapporteur, vient en troisième et
écrase M. Raudot au point de vue finan-
cier. On vote. Après quoi, M. des Rotours
monte; M. de Cissey le descend; M. Co-
chery le pulvérise. Un opposant, le minis-
tre, le rapporteur ; un opposant, le minis-
tre, le rapporteur. C'est comme le nou-
veau : Paris décrit par Sardou dans Mai-
son-Neuve : un bec de gaz, un kiosque,
un banc; un bec de gaz, un kiosque; un.
La plus grande distraction que nous ayons
est de voir M. Cochery précéder M. de Cis-
sey. Mais vous savez qu'arithmétiquement
parlant, on peut intervertir l'ordre des fac-
teurs ; le résultat ne change pas.
M. le ministre de la guerre a d'ailleurs
une manière toute militaire de discuter un
budget. Il a reçu des ordres, il ne les
commente pas ; tout ce qu'il dit est laconi-
que comme un boulet de canon. Il monte:
la tête basse, un peu penchée sur l'épaule
gauche, le corps incliné en avant, les deux
mains appuyées sur le bureau, il débite sa
petite affaire, rapidement, fait par le flanc
gauche et disparaît. Cela dure bien une ou
deux minutes, trois minutes dans les
grandes occasions.
Et, en si peu de temps, M. de Cissey
trouve moyen de lancer, à côté d'argu-
ments sérieux, des boutades humoristiques.
Ainsi, M. des Rotours a présenté des ob-
servations sur les dépenses qu'entraînent
les changements dans l'habillement des
troupes. Et M. le ministre répond, à pro-
pos du schako:
« Nous avons enlevé les aigles, qui ne
sont plus de mise (d'ordonnance eût été
plus militaire), et nous avons fait un
schako qui, quelles que soient les ré -
volutions qui tomberont sur la France,
n'aura pas besoin d'être modifié. »
On a fort applaudi cette boutade.
Il en est une autre à laquelle nous ap-
plaudissons encore de bien meilleur cœur.
M. de Lorgeril, à propos de la justice mi-
litaire, avait apporté à la tribune une élu-
cubration assez malheureuse, à la fin de
laquelle il avait émis cet espoir : l'armée
deviendra complétement bonne, grâce aux
doctrines qu'on lui donnera.
« Ce ne sont pas les doctrines qu'on don-
nera à l'armée qui feront de bons mili-
taires ; ce sont celles que nous lui don-
nons. »
Nous l'avons dit : ca part comme un
coup de canon. M. de Cissey a été fort
goûté de l'Assemblée entière; évidemment,
ce n'est pas lui qui est désigné comme la
seconde feuille d'artichaut. Il s'est même
produit ce fait absolument anormal qu'au
chapitre « achat de chevaux, » sur la de-
mande de M. Delacour, l'Assemblée a
failli — à quelques voix d'écart — accor-
der à M. le ministre de la guerre 800,000
francs de plus qu'il n'en demandait.
r Vouloir augmenter le budget de la
guerre au lieu de penser à le réduire.
Signe des temps, messieurs, signe des
temps !
Le budget du ministère de la guerre avait
été lestement enlevé, grâce au laconisme
de son ministre. Mais le ministre des tra-
vaux publics n'a pas de titulaire. son
budget a été encore bien plus vite voté que
le précédent.
PAUL LAFARGUE.
——————— +
On assurait hier 4 Versailles, disent
quelques journaux, que M. de Rémusat,
ministre de l'intérieur par intérim, ve-
nait d'inviter les préfets à faire appli-
quer strictement la loi du 5 mai 1855
sur les conseils municipaux. On sait que
MM. Prax-Paris et Raoul Duval ont invo-
qué cette loi, dans l'interpellation sur
les adresses, lorsqu'il s'est agi d'entraî-
ner un vote de blâme contre M. Victor
Lefranc, alors ministre de l'intérieur.
Cette nouvelle se trouve à peu près
confirmée par la circulaire suivante que
le préfet de la Seine-Inférieure adresse
aux maires de son département :
Ronen, le 2 décembre 1872.
Monsieur le maire,
Les manifestations qui se sont produites dans
un certain nombre de conseils municipaux à
l'occasion du message de M. le président de la
République ont éveillé tout à la fois l'attention
de l'Assemblée nationale et celle du gouverne-
ment.
Il m'a paru que, dans ces circonstances, il
était opportun de rappeler aux corps municipaux
les règles essentielles qui, à cet égard, régissent
leur compétence.
L'article 23 de la loi du 5 mai 1855 déclare
nulle de plein droit toute délibération d'un con-
seil municipal portant sur un objet étranger à
ses attributions.
L'article 24 prononce la même nullité contre
les décisions qui seraient prises par un conseil
hors de sa réunion légale.
Enfin, et à côté de cette nullité absolue, pro-
clamée par les articles précédents, l'article. 25
dispose que : « tout conseil municipal qui se
mettra en correspondance avec un ou plusieurs
autres conseils, ou qui publiera des proclama-
tions ou adresses, sera immédiatement suspendu
par le préfet. »
- Ces prescriptions sont formelles ; les instruc-
tions ministérielles et une jurisprudence cons-
tante ne laissent aucun doute ni sur leur signi-
fication ni sur leur étendue.
Les proclamations et les adresses, quelque
forme apparente qu'elles revêtent pour échap-
per à la sanction de la loi de 1853, doivent être
proscrites toutes les fois qu'elles sont le résultat
d'une intervention collective des membres de
l'assemblée municipale.
J'ai donc le devoir de vous faire connaître que
les manifestations de cette nature qui se pro-
duiraient dans le département seraient suivies
d'une répression immédiate.
Mais l'excellent esprit qui anime les conseils
de la Seine-Inférieure me donne la confiance
que l'administration n'aura pas à user des
moyens dont elle dispose, pour assurer le res-
pect de la loi.
Agréez, etc.
Le préfet de la Seine-Inférieure,
Lizot.
La lecture de ce document suggère
quelques réflexions.
Il faut se souvenir, en premier lieu,
que des instructions analogues avaient
'été données déjà par le gouvernement
avant l'interpellation Prax-Paris. C'est ce
qui ressort des pièces officielles dont
M. Victor Lefranc a fait lecture à la tri-
bune , et dont quelques-unes même
étaient connues avant les explications
qu'a fournies le ministre. Il n'y a donc
ici rien de nouveau, et ce sont des ins-
tructions que le gouvernement réitère
pour marquer sa ferme intention de pré-
venir toute infraction à la loi. Le ton
de la pièce qu'on vient de lire est, vers
la fin surtout, un peu comminatoire ;
mais cela tient sans doute au style par-
ticulier de M. Lizot, et l'on doit suppo-
ser que, mieux inspirés, d'autres préfets
se contentent d'être nets sans être
bourrus. En résumé, la conduite du gou-
vernement, qui n'a pas varié dans toute
cette affaire, est honorable et très-digne
d'éloges : il a voulu d'abord se mettre
au-dessus des soupçons du parti qui lui
reprochait d'encourager* secrètement
cette campagne des adresses ; il a tenu
ensuite à expliquer aux membres des
conseils municipaux, qui se mêlent
au mouvement, ce que leur interdit la
loi.
Maintenant, il importe que cette cir-
culaire du préfet de la Seine-Inférieure
et les circulaires analogues des autres
préfets soient bien comprises. Ce qui
est interdit, ce qui est illégal, ce n'est
pas l'apposition des signatures de con-
seillers municipaux au bas d'une adres-
se, si les conseillers municipaux agis-
sent en simples citoyens, c'est-à-dire
hors session et hors séance. La loi dé-
fend tout ce qui offre le caractère de dé-
libération, de décision prise en tant
que conseil et que corps; mais aucun
article de loi n'enlève aux membres des
conseils municipaux le droit qui stricte-
ment appartient à tout citoyen d'envoyer
au chef de l'Etat des pétitions et des
adresses, et de même il leur est abso-
lument permis d'ajouter à leur signature
la qualification de « conseiller munici-
pal » qui leur est propre. Le contraire
serait absurde et ridicule ; et ce serait
faire injure au législateur que de suppo-
ser qu'il ait édicté des dispositions aussi
tyranniques. Un conseil municipal ne
doit pas et ne peut pas faire d'adresses ;
mais, hors du conseil, les membres qui
composent le conseil en peuvent faire
autant qu'il leur convient et les signer :
Tel et tel, membres du conseil. La loi ne
serait violée que par « une intervention
collective ; » remarquez ce mot du pré-
fet de la Seine-Inférieure, au septième
paragraphe de sa circulaire.
Tout cela, sans doute, est en appa-
rence un peu subtil, et c'est le malheur
du temps qu'on en soit réduit aux subti-
lités sur les points de droit commun les
plus simples. A force de vouloir inter-
préter les textes, on finit quelquefois par
ne plus pouvoir s'y débrouiller. Ce qui
est clair, c'est crue le mouvement, tel
qu'il s'est produit jusqu'à ce jour et dans
sa généralité, n'a rien de contraire à la
loi, et que nos concitoyens des provinces
feront bien d'y persévérer. Nous le savons
d'ailleurs, ils ne se lassent point. Cha-
que matin, dans les journaux des départe-
ments, nous trouvons le texte d'une foule
d'adresses nouvelles, dont les conseillers
municipaux ont, la plupart du temps,
pris l'initiative. Nous avons renoncé à
continuer l'énumération des communes,
grandes et petites, où toutes ces adres-
ses sont signées; mais nous devons dire
que la France entière, avec autant d'éner-
gie que jamais, use de ce moyen pour
manifester ses alarmes. C'est ainsi qu'elle
se prononce pour la seule politique qu'on
puisse appeler nationale, pour la seule
politique qui nous tirera du péril. Le
but apparaît nettement; qu'on ne s'en
laisse point distraire ou détourner !
EUG. LIÉBERT.
—————— + ——————
LA COMMISSION DES fRENTE
C'est demain jeudi, 5 décembre, que l'As-
semblée nationale, réunie dans ses bureaux,
doit procéder à l'élection des trente membres
chargés, conformément à la proposition de M.
Dufaure, de procéder à l'examen des réformes
constitutionnelles et des conditions de la res-
ponsabilité ministérielle.
En prévision de cette importante élection, le
centre gauche a dressé une liste de candidats à
opposer à celle que les vaincus du scrutin du
29 novembre ne vont pas manquer de proposer.
Cette liste, soumise par le centre gauche à la
gauche républicaine et à l'extrême gauche, a
été adoptée sans aucune objection et à l'unani-
mité.
En adhérant ainsi aux choix du centre gau-
che, les républicains de toute nuance ont fait
preuve, nous nous plaisons à le constater, d'un
esprit vraiment politique.
Voici la liste des trente candidats proposés
par le centre gauche :
1er bureau. MM. Laboulaye.
Gatien-Arnould.
2e bureau. Delacour.
Duchâtel.
3R bureau. Marcel Barthe.
Ant. Lefèvre-Pontalis.
4e bureau. Jules Grévy.
Ricard.
5e bureau.. Martel.
de Fourtou.
6e bureau. Ara go.
Bertauld.
7e bureau. de Marcère.
Jozon.
8e bureau. , Scheurer.
Denormandie.
9e bureau. Cordier.
Corne.
10e bureau. Gaulthier de Rumilly.
Leblond.
11e bureau. Christophle.
René Brice.
12e bureau. Delorme.
Humbert.
13e bureau. Denfert-Rochereau.
Rives.
14e bureau. Casimir Périer..
Boduin.
15e bureau. Albert Grévy.
Max Richard.
C'est la première fois, on le remarquera, que
M. le président de l'Assemblée nationale con-
sent à laisser poser dans les bureaux sa can-
didature à une commission.
En prévision du débat qui va s'engager dans
les bureaux pour l'élection de la commission
des trente, le Rappel fait un calcul comparatif
entre la manière dont se trouvent actuellement
composés les quinze bureaux de la Chambre au
scrutin du 20 novembre.
En tenant compte des absences légales et en
mettant les abstentions au compte des adversai-
res du gouvernement, il arrive au résultat sui-
vant :
1er bureau, 49 membres : 24 partisans
du gouvernement, 25 adversaires.
2e bureau, 48 membres ( le comte de
Gontaut-Biron, ambassadeur à Berlin, ab-
sent) : 28 partisans du gouvernement, 20
adversaires.
3e bureau, 47 membres (le général
Chanzy et M. de Melun, absents) : 26 par-
tisans du gouvernement, 21 adversaires.
4e bureau, 49 membres (au nombre des-
quels M. Thiers et M. Jules Grévy). Ces
deux honorables membres, ne prenant ja-
mais part aux discussions des bureaux, le
nombre des votants se trouve réduit, ainsi
que celui des partisans du gouvernement,
de deux. Il reste, néanmoins, encore 32
partisans du gouvernement et 15 adver-
saires.
5e bureau, 48 membres (M. Rivet, - dé-
cédé) : 2G partisans du gouvernement, 22
adversaires.
Ge bureau, 47 membres (MM. Ber.oît
(Meuse) et Mathieu-Bodet, .absents) ; 28
partisans du gouvernement, 19 adversai-
res.
7e bureau, 48 membres (M. Aclocque,
absent) : 19 partisans du gouvernement
29 adversaires.
8e bureau, 47 membres (MM. de Tarte-
ron et Jules Morel, absents) : 26 partisans
du gouvernement, 21 adversaires.
9e bureau, 47 membres (MM. de Beurges
et Moulin, absents) : 17 partisans du gou-
vernement, 30 adversaires.
10e bureau, 48 membres (M. Jules rFer-
rv, ministre de France à Athènes ab-
sent) : 25 partisans du gouvernement 23
adversaires,
11e bureau, 48 membres (M. Costa de
Beauregard, absent) : 27 partisans du gou-
vernement, 21 adversaires.
12e bureau, 48 membres (M. Vinay, ab-
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