Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1872-12-04
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 04 décembre 1872 04 décembre 1872
Description : 1872/12/04 (A2,N384). 1872/12/04 (A2,N384).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7557011z
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/03/2013
2* Année. — N° 384 PAIX DU NUMÉRO: PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Mercredi 4 décembre 1872.
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2. rue Drouot, 3
Les manuscrits son insérés seront rendu**
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mcs. 3 fr.
Six mois
Un an 50
DÉrARTEMEWTJÊ-
Trois mois \J6 fr.
Six mois .)
Un un. G
Annonreo, chez MM. LA G RANGE, CERF et G'
0, place rIe lu SSi'iii-nr, 6
_.-.- .> -. -. ¿ -- .-. - .-
Û XII sirtfii.it
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2, rue Drouot, 2
Loi lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 13 fr.
Six mois. 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois
Un an 62 •
-
nnonr-ell, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
6, place de la DOline, 6
Paris, le 5 décembrel 481%.
1 heure du mating
Il faut croire que les Français com-
mencent à mériter de vivre en Républi-
que, car ils changent leurs habitudes, et
s occupent à qui mieux mieux des affaires
nationales. Il pleut dans nos bureaux
des lettres de Paris et des départements,
où l'on nous dit : Tenez bon ! Ferme !
Poussez à gauche; le salut est là. Nos
Correspondants ne sont pas d'illustres
publicistes comme M. Emile de Girardin,
qui écrivait hier soir dans le même sens
à notre ami commun Hector Pessard. Ce
sont de simples 'bourgeois, des commer-
çants, des cultivateurs, des manufactu-
riers, des rentiers.
Oui, la rente devient républicaine de-
puis qu'elle se voit battue en brèche
avec un incroyable acharnement par les
entrepreneurs de monarchie. Les mêmes
classes qui naguère ne voyaient de sé-
curité que sous le sceptre, ou même sous
.le sabre, ont appris en quelques semai-
nes le culte de cette providence moderne
qui se nomme la Liberté.
Elles ne parlent plus qu'avec terreur
des princes, ducs, chambellans et la-
quais, dont les ambitions et les querelles
mettent en question l'existence même
d'un peuple. Menacées dans ce qu'elles
ont de plus cher par les appétits effron-
tés de quelques hommes, elles se ser-
rent autour du gouvernement de la Ré-
publique, non plus comme autrefois pour
lui demander son appui, mais pour lui of-
frir le leur. Le modeste bourgeois en
redingote marron qui représente la sou-
veraineté populaire voit un blindage
humain se former à vue d'œil autour de
lui : la bourgeoisie et la démocratie font
un corps imposant, robuste, invincible
à cette âme vaillante.
Ces Français que l'Europe avait lieu de
croire légers empruntent aux circons-
tances une gravité vraiment respectable.
Ces Athéniens modernes que le monde
accusait d'ingratitude témoignent une
profonde reconnaissance pour l'homme
dévoué qui les sert. Il faut voir avec
quel emportement on se déchaîne, dans
les pays occupés, oufraîchementévacués,
contre les intrigues de la droite. Belfort,
qui est resté français, grâce à la diploma-
tie de M. Thiers, a rugi de fureur contre
son futur ancien député, M. Keller.
Ce monsieur tout' en Dieu, qui aime
son prochain comme lui-même et qui s'é-
tait improvisé général pour protéger les
Prussiens contre nos volontaires, ce Ber-
geret bien pensant qui, dans un pays
de montagnes, faisait la guerre en voi-
ture parce qu'il avait mal aux pieds et
ne montait point à cheval, a chevauché
gaillardement avec MM. Kerdrel et Bat-
bie contre le libérateur de Belfort î L'Al-
sace le honnit, son Keller, l'Alsace le re-
nie; elle n'attend qu'une occasion pour lui
reprendre avec scandalel mandat dont il
a misérablement abuse. Et que dire
de M. Lefébure que des Parisiens naïfs
ont élu, non comme orateur, ni comme
écrivain, ni comme politique, mais com-
me Alsacien? Encore un qui fera bien
de ne point se montrer en Alsace ! La
Haute-Marne, toute chaude encore des
fêtes de la délivrance, désavoue les dé-
putés qui ont trahi sa confiance en
votant contre le gouvernement.
Les électeurs honnêtes, patriotes, libé-
aux ne se reconnaissent plus eux-mêmes
dans ces petits ambitieux à courte vue
et à grand appétit qui sont censés les
représenter à Versailles. Chacun des
prétendus souverains qui ont manqué
leur coup contre M. Thiers et qui comp-
tent le recommencer avec plus de succès
contre chaque ministre, est détrôné in
petto par la presque unanimité de ses
électeurs.
Lorsque 334 députés, payés pour
prendre soin des intérêts publics, n'ont
pas craint d'arrêter les affaires, d'ébran-
ler le crédit, de paralyser le travail, de
conspirer ouvertement la ruine de ce
faible et courageux gouvernement qui
nous relève à la journée, il est absurde
d'exiger que le pays respecte plus long-
temps la fiction en vertu de laquelle
ces gens-là parlent, agissent et démolis-
sent en son nom.
La France veut avoir des représen-
tants qui la représentent telle qu'elle est,
et non telle qu'ils voudraient qu'elle
fût. Elle attend avec une impatience de
plus en plus nerveuse que ses anciens
mandataires cèdent la place à d'autres.
Assurément" elle n'a garde de les ré-
pudier tous, et nous avons tout lieu de
croire qu'elle conservera la saine et pa-
triotique moitié de l'Assemblée actuelle.
Mais ne serait-il pas moral de s'en re-
mettre, quant au choix, au seul souve-
rain legltlme, le peuple :
Nous avons dit biçn des fois que nos
vœux tendaient à la dissolution de la
Chambre, et nous ne nous dédirons pas
aujourd'hui, quoique l'esprit de concilia-
tion et je ne sais quelle pitié pour les
victimes d'une mesure générale nous
poussent à accepter, faute de mieux, le
renouvellement partiel.
Le côté gauche de la Chambre s'est
rallié généreusement à cette demi-me-
sure, qui ne sera peut-être qu'un tiers
de mesure, mais nous n'avons pas le
droit d'être plus exigeants que les 'ra-
dicaux.
Ce n'est pas demain mercredi, comme
on nous l'avait assuré, que les bureaux
se prononceront sur cette grande affaire;
mais ce sera probablement jeudi. Mal-
gré les calculs rassurants que deux ou
trois journaux ont publiés hier, nous
n'osons pas promettre qùe la majorité
adoptera le projet du gouvernement.
Mais si l'énergie de M. Thiers se sou-
tient, et si l'illustre chef de l'Etat, battu
par ses ennemis et les nôtres, se retire
de l'Assemblée avec tous les députés du
côté gauche, il est certain que le côté
droit, réduit à l'état de parlement crou-
pion, se fera peur à lui-même et déser-
tera en pleine victoire.
Il y aurait encore une autre solution
que l'anniversaire du 2 décembre a ins-
pirée hier au grand et impudent journal
de la Cité de Londres. Le Times, puisqu'il
faut l'appeler par son nom, conseille un
coup d'Etat à M. Thiers et lui prouve par
des arguments pleins de grâce qu'un coup
d'Etat, dans l'état où nous sommes, ne
serait point un coup d'Etat.
Nous n'avons pas besoin, pour repous-
ser un tel avis avec horreur, de le trou-
ver dans le Times ; mais son origine le
recommande par surcroît à notre défianceil
C'est le cas ou jamais de citer le vers de
Virgile: Timeo Danaos.
KBOLT.
————————————— + —————————————
On lit dans le Journal officiel:
M. Victor Lefranc, ministre de l'inté-
rieur, a donné sa démission, qui a été ac-
ceptée par le président de la République.
M. de Rémusat, ministre des affaires
étrangères, a été chargé de l'intérim du
ministère de l'intérieur.
»
Nous prévenons MM. de Castellane, de
Larochefoucauld-Bisaccia, Raoul Duval
et Anisson-Duperron, qu'ils ont vraiment
tort, dans leur furie litiqUe, de parler
en wagon comme s'il y étaient seuls et
d'oublier le huitième voyageur qui y
était assis avant eux.
S'il ne nous répugnait pas de faire le
métier de M. Raoul Duval, nous pour-
rions rapporter la conversation plus qu'é-
trange que ces quatre messieurs. tenaient
ensemble, conversation à laquelle M. de
Barante, qui se respecte, ne prenait au-
cune part.
PAUL LAFARGUB.
———————— t ————————
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DÉCRÈTE :
Article premier.
L'Assemblée nationale est dissoute.
Le crime se décrète comme autre
chose quand on s'appelle Napoléon. Il
y a donc aujourd'hui 21 ans que la Ré-
publique était violée par celui qui avait
jure de la respecter.
Un an après cet homme allait à Notre-Dame,
Et l'empire était fait !
Nous ne voulions point parler du 2
décembre ; on ne revient pas sur la chose
jugée, et il nous paraissait que l'Assem-
blée nationale avait fait justice du « César
de rencontre » par le vote de déchéance
du 8 février 1871. Mais puisque les juges
trouvent bon aujourd'hui de fraterniser
avec les complices du condamné, nos
scrupules n'ont plus de raison d'être.
Il est dûment constaté que le gros re-
proche adressé à M. Thiers par les mem-
bres de la droite est de ne point dédai-
gner les votes de la gauche. Il est non
moins certain que les royalistes ne font
nullement la petite bouche pour accep-
ter les votes des dix ou douze bonapar-
tistes avoués et des vingt ou trente bo-
napartistes honteux qui siègent à leurs
côtés.
Dans le scrutin de vendredi sur la
question gouvernementale, dans celui de
samedi sur la question ministérielle, on
trouve les noms de M. Audren de Ker-
drel, Benoist-d'Azy, de Broglie, Chaper,
Dahirel, de Larcy, de Talhouët et tant
d'autres, accolés au nom des Rouher, des
Galloni d'Istria, des Levert, des Prax-
Paris, des Abbatucci.
Les premiers, il y a aujourd'hui vingt
et un ans, étaient conduits à Mazas ou
au Mont-Valérien entre deux haies de
soldats, et à coups de crosses. Les se-
conds applaudissaient.
D'où vient donc 'que les voilà se pas-
sant mutuellement la casse et le séné,
comme s'ils avaient gardé leurs électeurs
ensemble?
Les royalistes ont pris soin eux-mêmes
de nous fexpliquer, car au fond ils sentent
bien qu'une pareille promiscuité n'est point
faite pour les honorer beaucoup à leurs
propres yeux et aux nôtres. Donc ils pré-
tendent que leur alliance avec les bona-
partistes n'a d'autre but que d'opposer
,un rempart à la question sociale qui me-
nace de tout bouleverser, l'ordre, la fa-
mille, la propriété, la religion, leurs
châteaux, et surtout leurs espérances.
A cheval donné, disent-ils, on ne re-
garde pas la bride. Et ils acceptent les
votes bonapartistes ; tout fait ventre.
Ce qui nous étonne un peu, c'est de
voir que pendant les vingt ans d'inertie
forcée que le 2 décembre a faits aux roya-
listes, ceux-ci n'ont pas médité un seul in-
stant sur les deux années qui avaient
précédé le coup d'Etat. En 1850 et
1851 qu'ont-ils fait? Qu'ont-ils dit? Tout
justement ce qu'ils font et disent au-
jourd'hui. Il n'y avait pas de .séance
où un membre de la droite ne se levât
pour protester de l'état précaire du gou-
vernement; pas de séance où le socialis-
me ne fût oreprésenté -comme le fléau
qui devait anéantir ltière ; pas de séance où la monarchie ne
fût indiquée comme le port de refuge
où la France serait bientôt obligée de ve-
nir demander le calme et la prospé-
rité. - A
« Sans doute, avait dit un jour Berryer
à la tribune, nous sommes ici des hom-
mes monarchiques qui attendons notre
heure; mais ce qui importe, c'est que
nous nous unissions d'abord pour con-
stituer une armée qui résiste au nouvel
envahissement des barbares sur l'Eu-
rope. »
Autres temps, mêmes mots. Lisez le
rapport de M. Batbie ; il n'y est parlé
que « du flot de la barbarie qui monte.»
Ecoutez M. Ernoul : il ne s'agit pas, sui-
vant lui, de République ou de monar-
chie; c'est là le cadet des soucis de la
droite! Il s'agit de la question sociale;
entendez les de Broglie, des d'Audiffret,
les Dahirel, les Talhouët, tous les souf-
fletés du 2 décembre : Nous n'avons
qu'un ennemi, disent-ils, c'est le socia-
lisme.
Parbleu ! répondent en chœur les bo-
napartistes ! Topez là, nous sommes des
vôtres !
Les royalistes n'en croient rien, non
plus que les bonapartistes; mais ils le
disent; et ils agissent en conséquence.
Les premiers ne voient qu'un moyen de
tuer la République, c'est de la déshono-
rer ; et ils espèrent qu'une fois cela fait,
ils resteront maîtres de la situation. Les
seconds, plus avisés, savent bien que la
République seule leur est un obstacle
sérieux, -et que le jour où elle disparaî-
trait, ils auraient bien vite raison des
monarchistes. Aussi ne leur tienhent-ils
pas rigueur pour les horions que ceux-
ci leur ont infligés quelquefois. De leur
côté les royalistes promettent de mettre
des mitaines quand il leur arrivera de
faire allusion à l'empire, et tout est pour
le mieux dans l'Assemblée la mieux mys-
tifiée qui fùt jamais, après l'Assemblée
de 1851.
A cette Assemblée, Mathieu de la
Drôme disait quelques mois avant le
coup d'Etat :
« Ah ! vous êtes bien imprudents,
croyez-moi ; en exaltant la monarchie,
en représentant chaque jour que la mo-
narchie peut seule sauver la France, sa-
vez-vous ce que vous faites ? Vous plai-
dez la cause de l'empire. »
Mathieu de la Drôme a beaucoup pro-
phétisé depuis ; jamais plus juste, conve-
nez-en.
Mais par bonheur, vingt ans se sont
passés, et la France a appris ce que
coûtent les sauveurs. L'expérience n'est
donc plus à faire. Viennent les 2 décem-
bre de Chilsehurst, de Frohsdorf et de
Chantilly coalisés ; nous n'avons nulle
crainte pour l'avenir de la République.
Le pays toutefois se souviendra que les
monarchistes de Versailles n'ont pas
craint de faire cause commune avec ses
plus mortels ennemis, et le jour où il
aura la parole pour juger à son tour
ceux qui le jugent aujourd'hui, il saura
leur rappeler leurs antécédents, et les
condamner au maximum de la peine :
le dédain et l'oubli.
E. SCHNERB.
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 2 décembre 4872
Le serpent boa, après un bon repas, se
tient coi et sommeille ; la droite semble,
aujourd'hui, digérer son Lefranc. Le grand
constrictor de l'ordre est satisfait pour
l'instant..
Comme tous les lendemains de bataille,
la journée commence par des rectifications
au Journal officiel.
Il y a des gens qui n'ont pas de chance !
Samedi, M. Jean Brunet réclamait parce
qu'on l'avait porté comme s'étant abstenu
et qu'il avait voté bleu ; aujourd'hui il
réclame parce qu'on l'a porté comme ayant
voté blanc et qu'il s'est abstenu. On rit un
peu.
Mais on rit bien plus quand on voit,
après M. Jean Brunet, monter à la tri-
bune M. Destremx. Tous les revenants de
samedi ! Celui-là, du moins, ne varie pas
dans ses réclamations; comme samedi, il
est porté comme s'étant abstenu, et cepen-
dant il a voté contre l'ordre du jour Raoul
Duval.
A côté de la catégorie des députés à
erreurs, il y a la catégorie des députés à
intentions. (L'Assemblée nationale ne peut
être en retard sur l'enfer.) Le général
M azurés est dans cette dernière catégorie :
s'il avait été là, il aurait voté pour l'ordre
du jour Raoul Duval.
Sur ces entrefaites, la première feuille de
l'artichaut, comme l'appelle M. Rouher,
M. Victor Lefranc, pour parler autrement
qu'un bonapartiste, fait son entrée. Il va
s'asseoir mélancoliquement sur l'un des
bancs de l'avant-scène de gauche, devant
M. Arago. La procession de condoléance
commence.
L'admission de M. Nioche, le nouvel élu
d'Indre-et-Loire, est votée sans difficulté.
Celle de M. Martin, l'élu de Dieu et du
Morbihan, rencontre plus de résistance.
Pour notre part, nous le regrettons pres-
que : c'est un bien mince sujet en un pa-
reil moment.
Peuh f Qu'importe un Martin de plus
ou-f(le moins à la droite pàr Iè temps de
dissolution qui court.? 1
M. Voisin, rapporteur, au milieu d'un
silence qui, en pareille occurrence, est tou-
jours l'ayant-coureur du bruit, avait lu un
long rapport qui constatait, dans l'élection
du Morbihan, des faits anormaux, mais
néanmoins pas assez graves pour amener
l'annulation de l'élection. Le principal ar-
gument apporté en faveur de la conclusion
de M. Voisin, -- argument assez original
d'ailleurs, moralement parlant, — était la
grande différence qui existait entre les
voix obtenues par M. Martin et celles ob-
tenues par son compétiteur, M. Beau-
vais.
Quelques voix timides criaient déjà :
« Aux voix! aux voix 1 » lorsque M. Jour-
nault, dépûfê de Seine-et-Oise, monte à la
tribune..
Dès les premières paroles de M. Jour-
nault, M. Dahirel (du Morbihan) demande
la parole. A la seconde phrase de M. Jour-
nault, M. Fresneau (toujours du Morbi-
han) demande la parole. A la troisième
phrase de M. Journault, M. de la Borderie
(encore plus du Morbihan) ne veut plus
laisser la parole à l'orateur.
Tous les Bretons sont debout, gesticu-
lant, criant, se rasseyant, se relevant,
hurlant. M. Fresneau se frotte les
mains à s'enlever l'épiderme ; M. de Ker-
drel adresse des gestes tragiques à l'ora-
teur; M. de la Borderie s'époumonne.
Toute la droite donne derrière les Bretons.
La petite scène dure bien cinq minutes.
Son côté drôle est celui-ci : chaque Breton
cherche longuement son apostrophe ter-
rible ; quand il l'a trouvée, il se lève, la
lance, se rassied; après quoi, c'est au tour
du Breton qui a la conception la plus ra-
pide. Il en est qui l'ont très-lente.
Mais aussi, c'est que M. Journault a eu
le malheur de dire : « Vous' savez l'état
d'infériorité intellectuelle où se trouvent
les populations bretonnes.. »
La phrase n'est pas heureusement tour-
née et le tumulte ne permet pas à M.
Journault ae la rafistoler. 1
En somme, que demande l'orateur ?
Non pas l'invalidation, mais simplement
une enquête pour*constater les faits.
Ces faits sont assez curieux. Par exem-
ple, un curé, pour donner un coup d'épaule
à M. Martin, l'homme de paille des Jé-
suites dans l'Ouest, commente, en chaire,
la circulaire de M. Beauvais. et de quelle
faeon, vous le devinez !
"Un autre abbé dit, toujours en chaire :
« Les gens qui voteront contre M. Martin.
devront renoncer à leur droit de baptême,
ne seront plus chrétiens et ne pourront
plus revenir dans cette église. »
Nous en passons, et des pires.
La droite a l'air de trouver tout cela
fort - naturel, - très-légitime. - Quand nous - di-
sons la droite, nous avons tort; nous de-
vrions dire une minime portion de la
droite, sise près du banc dit des marguil-
liers. M. Depeyre, président de la droite,
est le centre de ce groupe; et M. Depeyre
trouve adorable l'étonnement de M. Jour-
nault : il se prend la tête entre les mains,
il crie, il rit, il est ravi, M. Depeyre.
Tout-à-coup M. Journault lit un ancien
procès-verbal rédigé par M. Lucien Brun,,
un légitimiste, à l'occasion d'une élec-
tion faite dans des conditions identiques
à celles dont on s'occupe en ce mo-
ment. Et, dans ce procès-verbal, M. Lucien
Brun demandait une enquête, comme M.
Journault! Et, dans ce procès-verbal, M.
Depeyre -pousse des cris. absolument
inverses de ceux qu'il pousse en ce mo-
ment.
M. Journault, très-occupé à la tribune,
ne s'est pas aperçu de l'effet qu'il a pro-
duit ; de notre vie, nous n'avons vu carpe
plus muette que ce bon M. Depeyre.
Ils sont trois à la tribune : M. Dahirel
a la victoire, il parle.
Eh bien ! avouons-le franchement : au-
jourd'hui, nous avons trouvé le légitimiste
M. Dahirel un ravissant député du Mor-
bihan. Il a déclaré que son département
était -« clérical, légitimiste, aimant Dieu
et le Roy. » Mais là n'est pas l'affaire. Il
a déclaré, en outre, que M. Beauvais était
le plus brave homme qu'on puisse rea-
contrer, que M. Beauvais était un de ses
bons amis. Et là était le côté drolatique
de ce discours : c'était de voir traiter de la
sorte, par M. Dahirel, le légitimiste et loyal
député du Morbihan, celui que ses amis
venaient de désigner comme un quasi-pé-
troleux.
Voilà une appréciation à conserver pour
les prochaines élections.
Ce discours avait mis tout le monde en
assez belle humeur pour qu'on cessât de se
quereller sur le compte d'un Martin. A une
grande majorité, l'enquête n'est pas ordon-
née et l'admission est votée.
Budgel,.des dépenses. — On entame le
vote des articles : les journaux sont dé-
pliés, les plumes sont saisies, les langues
se délient, les bancs se vident, les chapitres
défilent sur les lèvres de M. Grévy, les
mains se lèvent, les tribunes bâillent.
C'est ce qu'on appelle discuter un budget.
En quinze minutes, le ministère des fi-
nances est absorbé.
M. de Janzé développe un amendement
pour la suppression, dans les administra-
tion centrales des ministères, des sous-se-
crétaires d'Etat, directeurs généraux et
sous-directeurs. On n'écoute pas, on cause,
ou sommeille. C'est ce qu'on appelle éplu-
cher un budget.
Quatre heures vingt. On va discuter.
Personne n'est prêt. Eh bien, alors, le-
vons la séance ! C'est ce qu'on appelle vo-
ter un budget.
PAUL LAFARGUE.
ET LES AFFAIRES ?
C'est le cri de tout le monde, à Paris
comme en province, dans le commerce
et l'industrie, tout comme dans l'admi-
nistration. Et les affaires ? Comment se
font-elles au milieu de tout cela?
Car enfin, si nous avons envoyé des
députés à la Chambre, ce n'est pas préci-
sément pour se disputer des porte-
feuilles. C'est pour examiner le budget,
voter les impôts, et remédier aux besoins
de chaque jour par des lois telles que les
exigent les circonstances. C'est là, il me
semble, la vraie et la grande besogne de
ces messieurs.
Pourquoi ne s'en occupent-il pas ?
On a dû aujourd'hui, à la Chambre.
commencer .'la discussion du budget. Je
suis sûr que pas un d'eux n'y a prêté la
moindre attention. Millions ou milliards,
ils voteraient avec plaisir le tout en bloc
pour avoir expédié plus vite ce fastidieux
ennui de comptes à régler. Que leur
importe, en effet, ces ingrates questions
des chiffres?. C'est, bien de cela qu'il
s'agit pour eux ! ,
Qui - sera nommé ministre ? qui aura
droit de révoquer les préfets? qui aura
dans sa main tous les fonctionnaires de
tous ordres et les fera virer à sa fantai-
sie ? Voilà qui est digne de les occuper;
car ce sont des questions de personnes,
où sont engagés leurs plus chers intérêts
d'ambition et de vanité.
Ces intérêts nous laisseraient très-
froids, nous autres, pauvres diables, si la
France n'était pas le champ de bataille
qu'ils ont choisi pour leurs opérations
stratégiques. Ils se livrent des batailles
sur notre dos ; ils s'allongent de grands
coups d'estoc et de taille, et c'est sur nous
que la grêle tombe. Ils font les folies,
comme dit le poète latin, et c'est nous
qui sommes assommés ; nous payons les
pots qu'ils cassent.
Est-ce qu'il n'en ont pas bientôt fini
de nous ennuyer de la sorte?
Comment! voilà qu'à présent, tous
les matins, on ne pourra plus ouvrir son
journal sans se demander avec inquiétu-
de si le gouvernement est encore debout
ou s'il est tombé de la veille ! On se cou-
che tranquille, et le lendemain on apprend
que tout a failli êtf&îïouleversé ! etrc'est
ainsi tous les jours. C'est une situation
intolérable. Elle ne peut pas durer.
Tout allait si bien, quand ces mes-
sieurs prenaient le frais dans les dépar-
tements, chacun chez soi, laissant M.
Thiers gouverner à sa guise ! Le pays
était tranquille; le commerce se relevait;
les impôts rentraient exactement; la
confiance dans l'avenir renaissait de
toutes parts, et chacun se disait à part
s01 que le temps était proche où l'on se-
rait à jamais débarrassé des pasques
pointus dela Prusse.
Ah ! le beau jour de la délivrance ! et
que nous l'attendions avec une joie
confiante! Nous n'ignorions pas qu'une
foisrendus ànous-mêmes nous aurions de
graves problèmes à résoudre, et qu'il fau-
draitenappelerau pays. Mais nous avions
quelque foi en son bon sens, nous comp-
tions sur l'apaisement des esprits, sur
ces longs mois laissés à la réflexion.
En attendant, nous jouissions de l'heure
présente et des bienfaits dont elle sem-
blait prendre plaisir à nous combler.
Autant de Dris. Densions-nous. sur la
guerre civile et ses sombres perspecti-
ves ; c'est déjà beaucoup que deux ans
de répit. Il passe tant d'eau sous les
ponts en deux années!
Et ainsi nous nous bercions d'heureu-
ses espérances! M. Thiers nous impa-
tientait quelquefois avec ses manies de
vieillard autoritaire ; mais nous savions
que la perfection absolue n'est pas de ce
monde, et chacun s'en allait à ses af-
faires, et c'était par toute la France
comme une furie de travail.
Ah ! si les vacances de la Chambre
avaient pu se prolonger jusqu'au mo-
ment de l'évacuation ! Mais non, il faut
voter le budget, et quelques lois de pre-
mière nécessité sont là qui réclament.
Voilà donc nos représentants qui se
réunissent, et depuis qu'ils sont assem-
blés, ils ne se sont absolument occupés
que de jouer des niches au gouverne-
ment et de le jeter à bas.
4 Ce n'est cependant pas pour cela que
nous les payons.
Si encore ils étaient capables d'en
constituer un autre, peut-être ne dirais-
je trop rien. Content ou non content,
j'aurais la sagesse de me taire, pour ne
pas fournir aux Prussiens une occasion
de se mêler de nos affaires. Je remet-
trais les plaintes et la polémique à un
moment plus opportun.
Mais point : leur impuissance à rien
fonder de durable est assez démontrée
par tout ce qui se passe depuis une quin-
zaine. Assez nombreux pour taquiner
M. Thiers, pour lui démolir ses minis-
tres, pour mettre des bâtons dans ses
roues, ils ne le sont pas assez pour éta-
blir un gouvernement qui soit plus fort
que celui qu'ils auront abattu.
Ils auront beau compter et recompter
leurs votes, ils n'arriveront jamaisàformer
une majorité qui impose aux adversai-
res par son nombre et sa masse. Ils
avaient trente-six voix hier contre eux;
ils en ont six pour eux aujourd'hui; il
peut se faire qu'ils en aient quinze après-
demain, ou qu'ils soient battus d'autant.
Ce qu'il y a de cerlain, c'est que les deux
factions sont à peu près égales.
Il est vrai qu'ils crient à la coalition
comme s'ils n'étaient pas des coalisés eux-
mêmes ; comme si leur parti ne se com-
posait que de légitimistes, d'orléanistes et
de bonapartistes, au fond très-divisés
d'opinions et d'espérances, mais unis
pour l'heure par une haine commune.
Ce qu'ils haïssent, c'est l'homme qui
nous a tirés de l'abîme et qui n'a qu'un
souci au monde, payer les Prussiens et
les renvoyer chez eux. Cet nomme les
gêne ; car il détient le pouvoir, qu'ils ont
regardé, à l'époque où ils le lui ont re-
mis, comme le plus terrible des fardeaux,
et qu'ils seraient bien aises de prendre
aujourd'hui que tout semble marcher à
souhait.
Ce pouvoir, ils le veulent par ambi-
tion personnelle ; il le leur faut, et c'est
une vérité claire, comme le soleil, que
s'ils l'arrachent des mains du président
actuel, ils n'en pourront rien- faire ;
qu'ils trouveront contre eux, dans la
Chambre, une opposition aussi forte que
celle qu'ils composent eux-mêmes, et
qu'ils n'auront pas, pour y résister, l'au-
torité morale de M. Thiers, le prestige
qu'il exerce et l'appui secret du pays. v
Leur' victoire serait le commencement
de la fin.
Mais alors, puisqu ils sont incapables
de gouverner eux-mêmes, et qu'ils ne
veulent pas qu'un autre gouverne, que
reste-t-il à faire ?
Quand deux hommes, égaux-en droit
et en force, sont d'un avis opposé sur
une affaire où il est besoin de prendre
un parti, il faut qu'un troisième les dé-
partage.
Ce .tiers-juge, ce souverain arbitre,
que peut-il être en cette occasion, sinon
le corps électoral légalement consulté ?
Nous voilà invinciblement; et malgré
nous, traînés à cette nécessité d'un re-
nouvellement intégral ou partiel.
Aucun esprit sage ne désirait assuré-
ment que cette échéance fût sitôt rap-
prochée. Nous nous étions flattés que,
de part et d'autre, on attendrait l'éva-
cuation avant de contraindre un pays
encore convalescent au violent effort
qu'exigent des élections générales.
Ces messieurs de la droite en ont dé-
cidé autrement.
Ils ont si bien fait avec leurs mesqui-
nes intrigues et leurs tracasseries ridi-
cules qu'ils ont rendu la dissolution
inévitable.
Ils ont sacrifié la France à leurs ambi-
tions séniles.
Grâce à eux, la tempête est déchaî-
née ; ce ne sont encore que des combats
de paroles. Mais qui sait où peuvent al-
ler les choses ! Que toute la responsabi-
lité de ce qui arrivera retombe sur leurs
têtes chauves!
Le suffrage universel, quand ils se
représenteront devant lui, leur criera de
passer au large ; il choisira, nous l'espé-
rons bien, des gens qui, au lieu de ne -
songer qu'à leurs affaires, s'occupent de
faire les nôtres.
FRANCISQUE SARCBY.
.—————————————— —.—————————————
LA SALLE DES PAS-PERDUS
Salle des Pas-Perdus plus que terne.
On se repose aujourd'hui. Les mangeurs
d'artichaut digèrent. Beaucoup d'entre eux
ne sont même pas venus à laséance. Ils sont
fatigués, et il y a de quoi.
Rassurons-nous, cependant, leurs dis-
positions sont toujours les mêmes. On ra-
contait dans les couloirs que c'était au-
jourd'hui le tour de M. de Rémusat. Cb
dernier devait être interpellé sur la dépê-
che de M. Gontaut-Biron, publiée dans
l'Evénement, et si ses réponses étaient sa-
tisfaisantes, on trouverait toujours le
moyen de les considérer comme insuffi-
santes et de manger la seconde feuille de
l'artichaut. -
*
* *
On n'a pas pu s'entendre. et voilà com-
ment, malgré tous les efforts qu'elle a pu
faire, la droite s'est trouvée dans la né-
cessité d'examiner le budget. Pauvre
France ! Heureusement qu'elle a à sa tête
un gouvernement honnête, car sans cela
les finances de l'Etat courraient de bien
gros risques.
*
* *
Puis viendra le tour de M. Jules Simon
— naturellement. Ce dernier pourrait bien
décrocher la timbale et précéder M. de
Rémusat. Qui sait ? Mgr Dupanloup est un
homme si politique ! S'il dépose une inter-
pellation, c'est évidemment qu'il est sur
de son affaire.
<
« fit
M. Batbie, — toujours le même ; il n'y
en a qu'un, — est le sujet des conversa-
tions de ses collègues. Son entrée dans
la dernière réunion du centre droit est
un chef-d'œuvre. Un de nos amis,
qui était derrière la porte, a pu en-
tendre son discours et nous en envoie la
sténographie.
— Messieurs, mes chers amis, a dit.
l'illustre professeur de droit, je suis très
en colère; et vous savez que je ne me
connais plus quand je me mets en colère.
Je ne puis me contenir, mais je compte
bien sur vous. M. Casimir Périer m'a in-
sulté, je dois me veager. — Mais, je vous
en supplie, retenez-moi, empêchez-moi de
me livrer à des actes irréfléchis qui com-
promettraient ma personne si précieuse à la
droite, c'est-à-dire au pays. Le pays, c'est
moi; me compromettre, c'est compromettre
Mercredi 4 décembre 1872.
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2. rue Drouot, 3
Les manuscrits son insérés seront rendu**
ABONNEMENTS
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Un an 50
DÉrARTEMEWTJÊ-
Trois mois \J6 fr.
Six mois .)
Un un. G
Annonreo, chez MM. LA G RANGE, CERF et G'
0, place rIe lu SSi'iii-nr, 6
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
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Six mois
Un an 62 •
-
nnonr-ell, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
6, place de la DOline, 6
Paris, le 5 décembrel 481%.
1 heure du mating
Il faut croire que les Français com-
mencent à mériter de vivre en Républi-
que, car ils changent leurs habitudes, et
s occupent à qui mieux mieux des affaires
nationales. Il pleut dans nos bureaux
des lettres de Paris et des départements,
où l'on nous dit : Tenez bon ! Ferme !
Poussez à gauche; le salut est là. Nos
Correspondants ne sont pas d'illustres
publicistes comme M. Emile de Girardin,
qui écrivait hier soir dans le même sens
à notre ami commun Hector Pessard. Ce
sont de simples 'bourgeois, des commer-
çants, des cultivateurs, des manufactu-
riers, des rentiers.
Oui, la rente devient républicaine de-
puis qu'elle se voit battue en brèche
avec un incroyable acharnement par les
entrepreneurs de monarchie. Les mêmes
classes qui naguère ne voyaient de sé-
curité que sous le sceptre, ou même sous
.le sabre, ont appris en quelques semai-
nes le culte de cette providence moderne
qui se nomme la Liberté.
Elles ne parlent plus qu'avec terreur
des princes, ducs, chambellans et la-
quais, dont les ambitions et les querelles
mettent en question l'existence même
d'un peuple. Menacées dans ce qu'elles
ont de plus cher par les appétits effron-
tés de quelques hommes, elles se ser-
rent autour du gouvernement de la Ré-
publique, non plus comme autrefois pour
lui demander son appui, mais pour lui of-
frir le leur. Le modeste bourgeois en
redingote marron qui représente la sou-
veraineté populaire voit un blindage
humain se former à vue d'œil autour de
lui : la bourgeoisie et la démocratie font
un corps imposant, robuste, invincible
à cette âme vaillante.
Ces Français que l'Europe avait lieu de
croire légers empruntent aux circons-
tances une gravité vraiment respectable.
Ces Athéniens modernes que le monde
accusait d'ingratitude témoignent une
profonde reconnaissance pour l'homme
dévoué qui les sert. Il faut voir avec
quel emportement on se déchaîne, dans
les pays occupés, oufraîchementévacués,
contre les intrigues de la droite. Belfort,
qui est resté français, grâce à la diploma-
tie de M. Thiers, a rugi de fureur contre
son futur ancien député, M. Keller.
Ce monsieur tout' en Dieu, qui aime
son prochain comme lui-même et qui s'é-
tait improvisé général pour protéger les
Prussiens contre nos volontaires, ce Ber-
geret bien pensant qui, dans un pays
de montagnes, faisait la guerre en voi-
ture parce qu'il avait mal aux pieds et
ne montait point à cheval, a chevauché
gaillardement avec MM. Kerdrel et Bat-
bie contre le libérateur de Belfort î L'Al-
sace le honnit, son Keller, l'Alsace le re-
nie; elle n'attend qu'une occasion pour lui
reprendre avec scandalel mandat dont il
a misérablement abuse. Et que dire
de M. Lefébure que des Parisiens naïfs
ont élu, non comme orateur, ni comme
écrivain, ni comme politique, mais com-
me Alsacien? Encore un qui fera bien
de ne point se montrer en Alsace ! La
Haute-Marne, toute chaude encore des
fêtes de la délivrance, désavoue les dé-
putés qui ont trahi sa confiance en
votant contre le gouvernement.
Les électeurs honnêtes, patriotes, libé-
aux ne se reconnaissent plus eux-mêmes
dans ces petits ambitieux à courte vue
et à grand appétit qui sont censés les
représenter à Versailles. Chacun des
prétendus souverains qui ont manqué
leur coup contre M. Thiers et qui comp-
tent le recommencer avec plus de succès
contre chaque ministre, est détrôné in
petto par la presque unanimité de ses
électeurs.
Lorsque 334 députés, payés pour
prendre soin des intérêts publics, n'ont
pas craint d'arrêter les affaires, d'ébran-
ler le crédit, de paralyser le travail, de
conspirer ouvertement la ruine de ce
faible et courageux gouvernement qui
nous relève à la journée, il est absurde
d'exiger que le pays respecte plus long-
temps la fiction en vertu de laquelle
ces gens-là parlent, agissent et démolis-
sent en son nom.
La France veut avoir des représen-
tants qui la représentent telle qu'elle est,
et non telle qu'ils voudraient qu'elle
fût. Elle attend avec une impatience de
plus en plus nerveuse que ses anciens
mandataires cèdent la place à d'autres.
Assurément" elle n'a garde de les ré-
pudier tous, et nous avons tout lieu de
croire qu'elle conservera la saine et pa-
triotique moitié de l'Assemblée actuelle.
Mais ne serait-il pas moral de s'en re-
mettre, quant au choix, au seul souve-
rain legltlme, le peuple :
Nous avons dit biçn des fois que nos
vœux tendaient à la dissolution de la
Chambre, et nous ne nous dédirons pas
aujourd'hui, quoique l'esprit de concilia-
tion et je ne sais quelle pitié pour les
victimes d'une mesure générale nous
poussent à accepter, faute de mieux, le
renouvellement partiel.
Le côté gauche de la Chambre s'est
rallié généreusement à cette demi-me-
sure, qui ne sera peut-être qu'un tiers
de mesure, mais nous n'avons pas le
droit d'être plus exigeants que les 'ra-
dicaux.
Ce n'est pas demain mercredi, comme
on nous l'avait assuré, que les bureaux
se prononceront sur cette grande affaire;
mais ce sera probablement jeudi. Mal-
gré les calculs rassurants que deux ou
trois journaux ont publiés hier, nous
n'osons pas promettre qùe la majorité
adoptera le projet du gouvernement.
Mais si l'énergie de M. Thiers se sou-
tient, et si l'illustre chef de l'Etat, battu
par ses ennemis et les nôtres, se retire
de l'Assemblée avec tous les députés du
côté gauche, il est certain que le côté
droit, réduit à l'état de parlement crou-
pion, se fera peur à lui-même et déser-
tera en pleine victoire.
Il y aurait encore une autre solution
que l'anniversaire du 2 décembre a ins-
pirée hier au grand et impudent journal
de la Cité de Londres. Le Times, puisqu'il
faut l'appeler par son nom, conseille un
coup d'Etat à M. Thiers et lui prouve par
des arguments pleins de grâce qu'un coup
d'Etat, dans l'état où nous sommes, ne
serait point un coup d'Etat.
Nous n'avons pas besoin, pour repous-
ser un tel avis avec horreur, de le trou-
ver dans le Times ; mais son origine le
recommande par surcroît à notre défianceil
C'est le cas ou jamais de citer le vers de
Virgile: Timeo Danaos.
KBOLT.
————————————— + —————————————
On lit dans le Journal officiel:
M. Victor Lefranc, ministre de l'inté-
rieur, a donné sa démission, qui a été ac-
ceptée par le président de la République.
M. de Rémusat, ministre des affaires
étrangères, a été chargé de l'intérim du
ministère de l'intérieur.
»
Nous prévenons MM. de Castellane, de
Larochefoucauld-Bisaccia, Raoul Duval
et Anisson-Duperron, qu'ils ont vraiment
tort, dans leur furie litiqUe, de parler
en wagon comme s'il y étaient seuls et
d'oublier le huitième voyageur qui y
était assis avant eux.
S'il ne nous répugnait pas de faire le
métier de M. Raoul Duval, nous pour-
rions rapporter la conversation plus qu'é-
trange que ces quatre messieurs. tenaient
ensemble, conversation à laquelle M. de
Barante, qui se respecte, ne prenait au-
cune part.
PAUL LAFARGUB.
———————— t ————————
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DÉCRÈTE :
Article premier.
L'Assemblée nationale est dissoute.
Le crime se décrète comme autre
chose quand on s'appelle Napoléon. Il
y a donc aujourd'hui 21 ans que la Ré-
publique était violée par celui qui avait
jure de la respecter.
Un an après cet homme allait à Notre-Dame,
Et l'empire était fait !
Nous ne voulions point parler du 2
décembre ; on ne revient pas sur la chose
jugée, et il nous paraissait que l'Assem-
blée nationale avait fait justice du « César
de rencontre » par le vote de déchéance
du 8 février 1871. Mais puisque les juges
trouvent bon aujourd'hui de fraterniser
avec les complices du condamné, nos
scrupules n'ont plus de raison d'être.
Il est dûment constaté que le gros re-
proche adressé à M. Thiers par les mem-
bres de la droite est de ne point dédai-
gner les votes de la gauche. Il est non
moins certain que les royalistes ne font
nullement la petite bouche pour accep-
ter les votes des dix ou douze bonapar-
tistes avoués et des vingt ou trente bo-
napartistes honteux qui siègent à leurs
côtés.
Dans le scrutin de vendredi sur la
question gouvernementale, dans celui de
samedi sur la question ministérielle, on
trouve les noms de M. Audren de Ker-
drel, Benoist-d'Azy, de Broglie, Chaper,
Dahirel, de Larcy, de Talhouët et tant
d'autres, accolés au nom des Rouher, des
Galloni d'Istria, des Levert, des Prax-
Paris, des Abbatucci.
Les premiers, il y a aujourd'hui vingt
et un ans, étaient conduits à Mazas ou
au Mont-Valérien entre deux haies de
soldats, et à coups de crosses. Les se-
conds applaudissaient.
D'où vient donc 'que les voilà se pas-
sant mutuellement la casse et le séné,
comme s'ils avaient gardé leurs électeurs
ensemble?
Les royalistes ont pris soin eux-mêmes
de nous fexpliquer, car au fond ils sentent
bien qu'une pareille promiscuité n'est point
faite pour les honorer beaucoup à leurs
propres yeux et aux nôtres. Donc ils pré-
tendent que leur alliance avec les bona-
partistes n'a d'autre but que d'opposer
,un rempart à la question sociale qui me-
nace de tout bouleverser, l'ordre, la fa-
mille, la propriété, la religion, leurs
châteaux, et surtout leurs espérances.
A cheval donné, disent-ils, on ne re-
garde pas la bride. Et ils acceptent les
votes bonapartistes ; tout fait ventre.
Ce qui nous étonne un peu, c'est de
voir que pendant les vingt ans d'inertie
forcée que le 2 décembre a faits aux roya-
listes, ceux-ci n'ont pas médité un seul in-
stant sur les deux années qui avaient
précédé le coup d'Etat. En 1850 et
1851 qu'ont-ils fait? Qu'ont-ils dit? Tout
justement ce qu'ils font et disent au-
jourd'hui. Il n'y avait pas de .séance
où un membre de la droite ne se levât
pour protester de l'état précaire du gou-
vernement; pas de séance où le socialis-
me ne fût oreprésenté -comme le fléau
qui devait anéantir ltière ; pas de séance où la monarchie ne
fût indiquée comme le port de refuge
où la France serait bientôt obligée de ve-
nir demander le calme et la prospé-
rité. - A
« Sans doute, avait dit un jour Berryer
à la tribune, nous sommes ici des hom-
mes monarchiques qui attendons notre
heure; mais ce qui importe, c'est que
nous nous unissions d'abord pour con-
stituer une armée qui résiste au nouvel
envahissement des barbares sur l'Eu-
rope. »
Autres temps, mêmes mots. Lisez le
rapport de M. Batbie ; il n'y est parlé
que « du flot de la barbarie qui monte.»
Ecoutez M. Ernoul : il ne s'agit pas, sui-
vant lui, de République ou de monar-
chie; c'est là le cadet des soucis de la
droite! Il s'agit de la question sociale;
entendez les de Broglie, des d'Audiffret,
les Dahirel, les Talhouët, tous les souf-
fletés du 2 décembre : Nous n'avons
qu'un ennemi, disent-ils, c'est le socia-
lisme.
Parbleu ! répondent en chœur les bo-
napartistes ! Topez là, nous sommes des
vôtres !
Les royalistes n'en croient rien, non
plus que les bonapartistes; mais ils le
disent; et ils agissent en conséquence.
Les premiers ne voient qu'un moyen de
tuer la République, c'est de la déshono-
rer ; et ils espèrent qu'une fois cela fait,
ils resteront maîtres de la situation. Les
seconds, plus avisés, savent bien que la
République seule leur est un obstacle
sérieux, -et que le jour où elle disparaî-
trait, ils auraient bien vite raison des
monarchistes. Aussi ne leur tienhent-ils
pas rigueur pour les horions que ceux-
ci leur ont infligés quelquefois. De leur
côté les royalistes promettent de mettre
des mitaines quand il leur arrivera de
faire allusion à l'empire, et tout est pour
le mieux dans l'Assemblée la mieux mys-
tifiée qui fùt jamais, après l'Assemblée
de 1851.
A cette Assemblée, Mathieu de la
Drôme disait quelques mois avant le
coup d'Etat :
« Ah ! vous êtes bien imprudents,
croyez-moi ; en exaltant la monarchie,
en représentant chaque jour que la mo-
narchie peut seule sauver la France, sa-
vez-vous ce que vous faites ? Vous plai-
dez la cause de l'empire. »
Mathieu de la Drôme a beaucoup pro-
phétisé depuis ; jamais plus juste, conve-
nez-en.
Mais par bonheur, vingt ans se sont
passés, et la France a appris ce que
coûtent les sauveurs. L'expérience n'est
donc plus à faire. Viennent les 2 décem-
bre de Chilsehurst, de Frohsdorf et de
Chantilly coalisés ; nous n'avons nulle
crainte pour l'avenir de la République.
Le pays toutefois se souviendra que les
monarchistes de Versailles n'ont pas
craint de faire cause commune avec ses
plus mortels ennemis, et le jour où il
aura la parole pour juger à son tour
ceux qui le jugent aujourd'hui, il saura
leur rappeler leurs antécédents, et les
condamner au maximum de la peine :
le dédain et l'oubli.
E. SCHNERB.
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 2 décembre 4872
Le serpent boa, après un bon repas, se
tient coi et sommeille ; la droite semble,
aujourd'hui, digérer son Lefranc. Le grand
constrictor de l'ordre est satisfait pour
l'instant..
Comme tous les lendemains de bataille,
la journée commence par des rectifications
au Journal officiel.
Il y a des gens qui n'ont pas de chance !
Samedi, M. Jean Brunet réclamait parce
qu'on l'avait porté comme s'étant abstenu
et qu'il avait voté bleu ; aujourd'hui il
réclame parce qu'on l'a porté comme ayant
voté blanc et qu'il s'est abstenu. On rit un
peu.
Mais on rit bien plus quand on voit,
après M. Jean Brunet, monter à la tri-
bune M. Destremx. Tous les revenants de
samedi ! Celui-là, du moins, ne varie pas
dans ses réclamations; comme samedi, il
est porté comme s'étant abstenu, et cepen-
dant il a voté contre l'ordre du jour Raoul
Duval.
A côté de la catégorie des députés à
erreurs, il y a la catégorie des députés à
intentions. (L'Assemblée nationale ne peut
être en retard sur l'enfer.) Le général
M azurés est dans cette dernière catégorie :
s'il avait été là, il aurait voté pour l'ordre
du jour Raoul Duval.
Sur ces entrefaites, la première feuille de
l'artichaut, comme l'appelle M. Rouher,
M. Victor Lefranc, pour parler autrement
qu'un bonapartiste, fait son entrée. Il va
s'asseoir mélancoliquement sur l'un des
bancs de l'avant-scène de gauche, devant
M. Arago. La procession de condoléance
commence.
L'admission de M. Nioche, le nouvel élu
d'Indre-et-Loire, est votée sans difficulté.
Celle de M. Martin, l'élu de Dieu et du
Morbihan, rencontre plus de résistance.
Pour notre part, nous le regrettons pres-
que : c'est un bien mince sujet en un pa-
reil moment.
Peuh f Qu'importe un Martin de plus
ou-f(le moins à la droite pàr Iè temps de
dissolution qui court.? 1
M. Voisin, rapporteur, au milieu d'un
silence qui, en pareille occurrence, est tou-
jours l'ayant-coureur du bruit, avait lu un
long rapport qui constatait, dans l'élection
du Morbihan, des faits anormaux, mais
néanmoins pas assez graves pour amener
l'annulation de l'élection. Le principal ar-
gument apporté en faveur de la conclusion
de M. Voisin, -- argument assez original
d'ailleurs, moralement parlant, — était la
grande différence qui existait entre les
voix obtenues par M. Martin et celles ob-
tenues par son compétiteur, M. Beau-
vais.
Quelques voix timides criaient déjà :
« Aux voix! aux voix 1 » lorsque M. Jour-
nault, dépûfê de Seine-et-Oise, monte à la
tribune..
Dès les premières paroles de M. Jour-
nault, M. Dahirel (du Morbihan) demande
la parole. A la seconde phrase de M. Jour-
nault, M. Fresneau (toujours du Morbi-
han) demande la parole. A la troisième
phrase de M. Journault, M. de la Borderie
(encore plus du Morbihan) ne veut plus
laisser la parole à l'orateur.
Tous les Bretons sont debout, gesticu-
lant, criant, se rasseyant, se relevant,
hurlant. M. Fresneau se frotte les
mains à s'enlever l'épiderme ; M. de Ker-
drel adresse des gestes tragiques à l'ora-
teur; M. de la Borderie s'époumonne.
Toute la droite donne derrière les Bretons.
La petite scène dure bien cinq minutes.
Son côté drôle est celui-ci : chaque Breton
cherche longuement son apostrophe ter-
rible ; quand il l'a trouvée, il se lève, la
lance, se rassied; après quoi, c'est au tour
du Breton qui a la conception la plus ra-
pide. Il en est qui l'ont très-lente.
Mais aussi, c'est que M. Journault a eu
le malheur de dire : « Vous' savez l'état
d'infériorité intellectuelle où se trouvent
les populations bretonnes.. »
La phrase n'est pas heureusement tour-
née et le tumulte ne permet pas à M.
Journault ae la rafistoler. 1
En somme, que demande l'orateur ?
Non pas l'invalidation, mais simplement
une enquête pour*constater les faits.
Ces faits sont assez curieux. Par exem-
ple, un curé, pour donner un coup d'épaule
à M. Martin, l'homme de paille des Jé-
suites dans l'Ouest, commente, en chaire,
la circulaire de M. Beauvais. et de quelle
faeon, vous le devinez !
"Un autre abbé dit, toujours en chaire :
« Les gens qui voteront contre M. Martin.
devront renoncer à leur droit de baptême,
ne seront plus chrétiens et ne pourront
plus revenir dans cette église. »
Nous en passons, et des pires.
La droite a l'air de trouver tout cela
fort - naturel, - très-légitime. - Quand nous - di-
sons la droite, nous avons tort; nous de-
vrions dire une minime portion de la
droite, sise près du banc dit des marguil-
liers. M. Depeyre, président de la droite,
est le centre de ce groupe; et M. Depeyre
trouve adorable l'étonnement de M. Jour-
nault : il se prend la tête entre les mains,
il crie, il rit, il est ravi, M. Depeyre.
Tout-à-coup M. Journault lit un ancien
procès-verbal rédigé par M. Lucien Brun,,
un légitimiste, à l'occasion d'une élec-
tion faite dans des conditions identiques
à celles dont on s'occupe en ce mo-
ment. Et, dans ce procès-verbal, M. Lucien
Brun demandait une enquête, comme M.
Journault! Et, dans ce procès-verbal, M.
Depeyre -pousse des cris. absolument
inverses de ceux qu'il pousse en ce mo-
ment.
M. Journault, très-occupé à la tribune,
ne s'est pas aperçu de l'effet qu'il a pro-
duit ; de notre vie, nous n'avons vu carpe
plus muette que ce bon M. Depeyre.
Ils sont trois à la tribune : M. Dahirel
a la victoire, il parle.
Eh bien ! avouons-le franchement : au-
jourd'hui, nous avons trouvé le légitimiste
M. Dahirel un ravissant député du Mor-
bihan. Il a déclaré que son département
était -« clérical, légitimiste, aimant Dieu
et le Roy. » Mais là n'est pas l'affaire. Il
a déclaré, en outre, que M. Beauvais était
le plus brave homme qu'on puisse rea-
contrer, que M. Beauvais était un de ses
bons amis. Et là était le côté drolatique
de ce discours : c'était de voir traiter de la
sorte, par M. Dahirel, le légitimiste et loyal
député du Morbihan, celui que ses amis
venaient de désigner comme un quasi-pé-
troleux.
Voilà une appréciation à conserver pour
les prochaines élections.
Ce discours avait mis tout le monde en
assez belle humeur pour qu'on cessât de se
quereller sur le compte d'un Martin. A une
grande majorité, l'enquête n'est pas ordon-
née et l'admission est votée.
Budgel,.des dépenses. — On entame le
vote des articles : les journaux sont dé-
pliés, les plumes sont saisies, les langues
se délient, les bancs se vident, les chapitres
défilent sur les lèvres de M. Grévy, les
mains se lèvent, les tribunes bâillent.
C'est ce qu'on appelle discuter un budget.
En quinze minutes, le ministère des fi-
nances est absorbé.
M. de Janzé développe un amendement
pour la suppression, dans les administra-
tion centrales des ministères, des sous-se-
crétaires d'Etat, directeurs généraux et
sous-directeurs. On n'écoute pas, on cause,
ou sommeille. C'est ce qu'on appelle éplu-
cher un budget.
Quatre heures vingt. On va discuter.
Personne n'est prêt. Eh bien, alors, le-
vons la séance ! C'est ce qu'on appelle vo-
ter un budget.
PAUL LAFARGUE.
ET LES AFFAIRES ?
C'est le cri de tout le monde, à Paris
comme en province, dans le commerce
et l'industrie, tout comme dans l'admi-
nistration. Et les affaires ? Comment se
font-elles au milieu de tout cela?
Car enfin, si nous avons envoyé des
députés à la Chambre, ce n'est pas préci-
sément pour se disputer des porte-
feuilles. C'est pour examiner le budget,
voter les impôts, et remédier aux besoins
de chaque jour par des lois telles que les
exigent les circonstances. C'est là, il me
semble, la vraie et la grande besogne de
ces messieurs.
Pourquoi ne s'en occupent-il pas ?
On a dû aujourd'hui, à la Chambre.
commencer .'la discussion du budget. Je
suis sûr que pas un d'eux n'y a prêté la
moindre attention. Millions ou milliards,
ils voteraient avec plaisir le tout en bloc
pour avoir expédié plus vite ce fastidieux
ennui de comptes à régler. Que leur
importe, en effet, ces ingrates questions
des chiffres?. C'est, bien de cela qu'il
s'agit pour eux ! ,
Qui - sera nommé ministre ? qui aura
droit de révoquer les préfets? qui aura
dans sa main tous les fonctionnaires de
tous ordres et les fera virer à sa fantai-
sie ? Voilà qui est digne de les occuper;
car ce sont des questions de personnes,
où sont engagés leurs plus chers intérêts
d'ambition et de vanité.
Ces intérêts nous laisseraient très-
froids, nous autres, pauvres diables, si la
France n'était pas le champ de bataille
qu'ils ont choisi pour leurs opérations
stratégiques. Ils se livrent des batailles
sur notre dos ; ils s'allongent de grands
coups d'estoc et de taille, et c'est sur nous
que la grêle tombe. Ils font les folies,
comme dit le poète latin, et c'est nous
qui sommes assommés ; nous payons les
pots qu'ils cassent.
Est-ce qu'il n'en ont pas bientôt fini
de nous ennuyer de la sorte?
Comment! voilà qu'à présent, tous
les matins, on ne pourra plus ouvrir son
journal sans se demander avec inquiétu-
de si le gouvernement est encore debout
ou s'il est tombé de la veille ! On se cou-
che tranquille, et le lendemain on apprend
que tout a failli êtf&îïouleversé ! etrc'est
ainsi tous les jours. C'est une situation
intolérable. Elle ne peut pas durer.
Tout allait si bien, quand ces mes-
sieurs prenaient le frais dans les dépar-
tements, chacun chez soi, laissant M.
Thiers gouverner à sa guise ! Le pays
était tranquille; le commerce se relevait;
les impôts rentraient exactement; la
confiance dans l'avenir renaissait de
toutes parts, et chacun se disait à part
s01 que le temps était proche où l'on se-
rait à jamais débarrassé des pasques
pointus dela Prusse.
Ah ! le beau jour de la délivrance ! et
que nous l'attendions avec une joie
confiante! Nous n'ignorions pas qu'une
foisrendus ànous-mêmes nous aurions de
graves problèmes à résoudre, et qu'il fau-
draitenappelerau pays. Mais nous avions
quelque foi en son bon sens, nous comp-
tions sur l'apaisement des esprits, sur
ces longs mois laissés à la réflexion.
En attendant, nous jouissions de l'heure
présente et des bienfaits dont elle sem-
blait prendre plaisir à nous combler.
Autant de Dris. Densions-nous. sur la
guerre civile et ses sombres perspecti-
ves ; c'est déjà beaucoup que deux ans
de répit. Il passe tant d'eau sous les
ponts en deux années!
Et ainsi nous nous bercions d'heureu-
ses espérances! M. Thiers nous impa-
tientait quelquefois avec ses manies de
vieillard autoritaire ; mais nous savions
que la perfection absolue n'est pas de ce
monde, et chacun s'en allait à ses af-
faires, et c'était par toute la France
comme une furie de travail.
Ah ! si les vacances de la Chambre
avaient pu se prolonger jusqu'au mo-
ment de l'évacuation ! Mais non, il faut
voter le budget, et quelques lois de pre-
mière nécessité sont là qui réclament.
Voilà donc nos représentants qui se
réunissent, et depuis qu'ils sont assem-
blés, ils ne se sont absolument occupés
que de jouer des niches au gouverne-
ment et de le jeter à bas.
4 Ce n'est cependant pas pour cela que
nous les payons.
Si encore ils étaient capables d'en
constituer un autre, peut-être ne dirais-
je trop rien. Content ou non content,
j'aurais la sagesse de me taire, pour ne
pas fournir aux Prussiens une occasion
de se mêler de nos affaires. Je remet-
trais les plaintes et la polémique à un
moment plus opportun.
Mais point : leur impuissance à rien
fonder de durable est assez démontrée
par tout ce qui se passe depuis une quin-
zaine. Assez nombreux pour taquiner
M. Thiers, pour lui démolir ses minis-
tres, pour mettre des bâtons dans ses
roues, ils ne le sont pas assez pour éta-
blir un gouvernement qui soit plus fort
que celui qu'ils auront abattu.
Ils auront beau compter et recompter
leurs votes, ils n'arriveront jamaisàformer
une majorité qui impose aux adversai-
res par son nombre et sa masse. Ils
avaient trente-six voix hier contre eux;
ils en ont six pour eux aujourd'hui; il
peut se faire qu'ils en aient quinze après-
demain, ou qu'ils soient battus d'autant.
Ce qu'il y a de cerlain, c'est que les deux
factions sont à peu près égales.
Il est vrai qu'ils crient à la coalition
comme s'ils n'étaient pas des coalisés eux-
mêmes ; comme si leur parti ne se com-
posait que de légitimistes, d'orléanistes et
de bonapartistes, au fond très-divisés
d'opinions et d'espérances, mais unis
pour l'heure par une haine commune.
Ce qu'ils haïssent, c'est l'homme qui
nous a tirés de l'abîme et qui n'a qu'un
souci au monde, payer les Prussiens et
les renvoyer chez eux. Cet nomme les
gêne ; car il détient le pouvoir, qu'ils ont
regardé, à l'époque où ils le lui ont re-
mis, comme le plus terrible des fardeaux,
et qu'ils seraient bien aises de prendre
aujourd'hui que tout semble marcher à
souhait.
Ce pouvoir, ils le veulent par ambi-
tion personnelle ; il le leur faut, et c'est
une vérité claire, comme le soleil, que
s'ils l'arrachent des mains du président
actuel, ils n'en pourront rien- faire ;
qu'ils trouveront contre eux, dans la
Chambre, une opposition aussi forte que
celle qu'ils composent eux-mêmes, et
qu'ils n'auront pas, pour y résister, l'au-
torité morale de M. Thiers, le prestige
qu'il exerce et l'appui secret du pays. v
Leur' victoire serait le commencement
de la fin.
Mais alors, puisqu ils sont incapables
de gouverner eux-mêmes, et qu'ils ne
veulent pas qu'un autre gouverne, que
reste-t-il à faire ?
Quand deux hommes, égaux-en droit
et en force, sont d'un avis opposé sur
une affaire où il est besoin de prendre
un parti, il faut qu'un troisième les dé-
partage.
Ce .tiers-juge, ce souverain arbitre,
que peut-il être en cette occasion, sinon
le corps électoral légalement consulté ?
Nous voilà invinciblement; et malgré
nous, traînés à cette nécessité d'un re-
nouvellement intégral ou partiel.
Aucun esprit sage ne désirait assuré-
ment que cette échéance fût sitôt rap-
prochée. Nous nous étions flattés que,
de part et d'autre, on attendrait l'éva-
cuation avant de contraindre un pays
encore convalescent au violent effort
qu'exigent des élections générales.
Ces messieurs de la droite en ont dé-
cidé autrement.
Ils ont si bien fait avec leurs mesqui-
nes intrigues et leurs tracasseries ridi-
cules qu'ils ont rendu la dissolution
inévitable.
Ils ont sacrifié la France à leurs ambi-
tions séniles.
Grâce à eux, la tempête est déchaî-
née ; ce ne sont encore que des combats
de paroles. Mais qui sait où peuvent al-
ler les choses ! Que toute la responsabi-
lité de ce qui arrivera retombe sur leurs
têtes chauves!
Le suffrage universel, quand ils se
représenteront devant lui, leur criera de
passer au large ; il choisira, nous l'espé-
rons bien, des gens qui, au lieu de ne -
songer qu'à leurs affaires, s'occupent de
faire les nôtres.
FRANCISQUE SARCBY.
.—————————————— —.—————————————
LA SALLE DES PAS-PERDUS
Salle des Pas-Perdus plus que terne.
On se repose aujourd'hui. Les mangeurs
d'artichaut digèrent. Beaucoup d'entre eux
ne sont même pas venus à laséance. Ils sont
fatigués, et il y a de quoi.
Rassurons-nous, cependant, leurs dis-
positions sont toujours les mêmes. On ra-
contait dans les couloirs que c'était au-
jourd'hui le tour de M. de Rémusat. Cb
dernier devait être interpellé sur la dépê-
che de M. Gontaut-Biron, publiée dans
l'Evénement, et si ses réponses étaient sa-
tisfaisantes, on trouverait toujours le
moyen de les considérer comme insuffi-
santes et de manger la seconde feuille de
l'artichaut. -
*
* *
On n'a pas pu s'entendre. et voilà com-
ment, malgré tous les efforts qu'elle a pu
faire, la droite s'est trouvée dans la né-
cessité d'examiner le budget. Pauvre
France ! Heureusement qu'elle a à sa tête
un gouvernement honnête, car sans cela
les finances de l'Etat courraient de bien
gros risques.
*
* *
Puis viendra le tour de M. Jules Simon
— naturellement. Ce dernier pourrait bien
décrocher la timbale et précéder M. de
Rémusat. Qui sait ? Mgr Dupanloup est un
homme si politique ! S'il dépose une inter-
pellation, c'est évidemment qu'il est sur
de son affaire.
<
« fit
M. Batbie, — toujours le même ; il n'y
en a qu'un, — est le sujet des conversa-
tions de ses collègues. Son entrée dans
la dernière réunion du centre droit est
un chef-d'œuvre. Un de nos amis,
qui était derrière la porte, a pu en-
tendre son discours et nous en envoie la
sténographie.
— Messieurs, mes chers amis, a dit.
l'illustre professeur de droit, je suis très
en colère; et vous savez que je ne me
connais plus quand je me mets en colère.
Je ne puis me contenir, mais je compte
bien sur vous. M. Casimir Périer m'a in-
sulté, je dois me veager. — Mais, je vous
en supplie, retenez-moi, empêchez-moi de
me livrer à des actes irréfléchis qui com-
promettraient ma personne si précieuse à la
droite, c'est-à-dire au pays. Le pays, c'est
moi; me compromettre, c'est compromettre
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