Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-02-21
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 21 février 1873 21 février 1873
Description : 1873/02/21 (A3,N463). 1873/02/21 (A3,N463).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75567253
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
3* Année. — N* 463.
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 45 CENTIMES == DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES..
Vendredi 21 Février 4873.
LE XIX1 SIÈCLE
RÉDACTION
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de 2 heures à minuit
2, rue Drouot. 2
lM manuscrits non insérés seront rendus
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- Il
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aucune interruption dans la ré-
ception du journal.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 20 février 1813.
Est-ce la paix ? N'est-ce qu'un armis-
tice? Provisoirement, du moins, l'accord
est fait entre le gouvernement et la com-
mission des trente. Au compte-rendu de
la réunion que les trente ont tenue hier,
on trouvera des explications plus amples,
et l'on verra comment ont été adoptés l'a-
mendement de M. Dufaure et celui de M.
Ricard. Ajoutons seulement que la nou-
velle de cette conciliation in extremis a été
fort mal accueillie par la plupart des dé-
putés de la droite, qui n'ont d'autres mots
à la bouche que ceux de désertion et de
trahison.
Sans porter ici d'autre jugement sur ce
qui s'est passé à Versailles, nous en pou-
vons du moins conclure que la majorité
des trente a reconnu la vanité de ses illu-
sions dynastiques. Elle se fait accommo-
dante, elle qui se piquait d'être intraitable
tant que toutes les espérances de fusion
n'étaient pas renversées. Elle n'est pas ré-
publicaine, et ne le deviendra jamais sans
doute ; mais la voici forcée de ne plus
être royaliste. Les deux partis monarchi-
ques, toujours divisés, n'ont plus d'intérêt
à détruire un gouvernement à la place du-
quel ils n'espèrent s'implanter ni l'un ni
l'autre; ne pouvant attaquer la République
par calcul, reste à savoir s'ils ne continue-
ront pas à la combattre par haine et dé-
pit.
Ecoutez les réflexions que suggèrent à
l'un de leurs journaux les bruits, trop
prompts peut-être et trop affirmatifs, de la
prochaine délivance des dernières provin-
ces occupées : La libération du territoire !
Non, non, dit-on, elle n'aura pas lieu si
tôt ; il n'est pas probable qu'elle s'opère
avant la fin de l'année, « en supposant que
» la proclamation de la République et ses
» conséquences inévitables ne viennent
» pas augmenter les défiances de la Prusse
» et lui fournir des prétextes pour prolon-
» ger son occupation ! »
0 la loyale polémique, et comme ce pa-
triotisme est honorable ! — Ah 1 nous som-
mes obligés de laisser proclamer la Répu-
blique ! Eh bien ! souhaitons-lui tous les
malheurs ! Puisse-t-elle àjamais être misé-
rable ! Puisse-t-elle avoir bien longtemps
l'occupation étrangère à souffrir ! — Tar-
tuffe se fait tragédien et déclame l'impréca-
tion de Camille :
Puissent ses ennemis, ensemble conjurés,
Saper ses fondements encormal assurés!.
De fait, on a perdu le sens moral, et,
dans ces malheureux partis, la passion po-
litique égare au point que l'on emploie tout
ce qu'en possède d'énergie à injurier et à
maudire des compatriotes, des concitoyens,
des Français, qu'il est pourtant assez in-
juste de rendre responsables de l'impossi-
bilité où sont les princes de s'entendre.
Mais, depuis l'insuccès des dernières tenta-
tives de fusion, les fureurs redoublent.
C'est bien mal dépenser sa haine, et l'on
aurait vraiment d'autres ennemis à détes-
ter que les sept ou huit millions d'électeurs
qui désirent ardemment la proclamation
définitive de la République.
Quant à leur venir jeter ainsi la défiance
prussienne au visage, ce n'est ni ingénieux,
ni sensé, ni loyal. Si la Prusse a recu
jusqu'à présent près de trois milliards et
demi, nous ne le devons sans doute (elle
le sait bien) ni aux prétendants ni aux
monarchistes. On pourait retourner, avec
plus de vérité et d'à-propos, contre certains
écrivains de certains partis ces arguments
prussiens qu'ils emploient comme arme
suprême. On ne le fera pas, pour n'en
point avoir à rougir. Mais il est plus que
temps d'abandonner de pareils procédés de
polémique. Si l'on a des instincts et des
sentiments d'émigrés, qu'on aille à Co-
blentz ; et si l'on n'y va point, qu'on garde
au moins pour soi des choses qui ne de-
vraient ni s'imprimer, ni s'écrire, ni se
dire, ni s'avouer.
L'expulsion de M. Mermillod a causé en
Suisse une agitation profonde. Le curé de
Genève et son clergé ont donné d'ailleurs
le plus d'éclat possible à ce départ, qualifié
d'enlèvement par les feuilles catholiques.
Le Courrier de Genève publie, dans un nu-
méro encadré de noir, la protestation fière
et hautaine que M. Mermillod a dictée dans
sa résidence épiscopale avant d'être conduit
en France. Il proteste au nom des droits de
l'Eglise catholique, au nom de la liberté de
-conscience, au nom de ses droits de citoyen
libre de la République helvétique. Avec
cette pièce, il faut lire les récits de « l'en-
lèvement, » qui ont été, comme on dit,
fort dramatisés ; mais, avec quelque sim-
plicité qu'on le raconte, un tel fait, accom-
pli en Suisse, a par lui-même un grand et
poignant intérêt. C'est la liberté religieuse,
et aussi, pour dire plus encore, la liberté
de penser, méconnues, que le conseil fé-
déral exile et fait mener à la frontière sous
l'escorte de la police. Le premier village
français où s'est arrêté M. ec
les cinq prêtres qui 1 ont suivi, c'est Fer-
ney, oui, le Ferney de Voltaire ; il y pas-
sera, dit-on, les commencements de son
exil.
EUG. LIÉBERT.
» ——————————————
EMBRASSONS-NOUS!
Cet excellent abbé Lamourette est
ressuscité aujourd'hui, paraît-il, dans
la commission des trente. On nous as-
sure que les monarchistes et les répu-
blicains, les entrepreneurs de restaura-
tions impossibles et les conservateurs de
l'ordre établi, ceux qui conspirent à ciel
ouvert contre la volonté du peuple et
ceux qui tiennent fermement pour la
souveraineté nationale, se sont embrassés
à Versailles comme autrefois les gens
du droit divin et les hommes de la Ré-
volution.
Allons ! Faisons comme eux ! Embras-
sons-nous ! Suivons le monde !
Nous y mettrons du nôtre autant qu'il
le faudra. Nous sommes prêts à déclarer
que le piteux échec de la fusion n'est
pour rien dans la sagesse imprévue de
ces nobles messieurs de la droite. C'est
dans un mouvement de patriotisme can-
dide qu'ils ont ouvert leurs bras à M.
Thiers et consenti à organiser provisoi-
rement avec lui une façon de Républi-
que provisoire.
A Dieu ne plaise que nous les accu-
sions de faire bon visage à mauvais jeu,
d'exploiter au profit de leurs ambitions
pressées l'ajournement des solutions dé-
finitives, et de se rallier pour quelques
mois à M. Thiers sous la condition ex-
presse que M. Thiers partagera le pou-
voir avec eux.
Non ! Le seul mot de conciliation
sonne si doucement à nos oreilles, et
exerce un tel empire sur nos cœurs que
nous voulons tout oublier, sauf les paroles
à peu près bonnes qui se sont échangées
aujourd'hui. Nous ne nous souviendrons
ni des hostilités féroces qui, durant deux
années,ont ébranlé la République en mi-
nant la France elle-même, ni des mani-
festations royalistes, ni des pèlerinages
clérico-légitimistes, ni des cuisines sou-
terraines dont le rôti était toujours en
perspective M. Thiers, entouré de ses
meilleurs ministres.
Nous voulons même oublier nos sou-
venirs classiques et cette meralité d'une
fable de Lafontaine :
La paix est fort bonne de soi,
J'en conviens, mais de quoi sert-elle i
Avec des ennemis sans foi ! !
D'ailleurs, ces messieurs ont la foi 1
ÀBOUT.
———————— ————————
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 19 février 1875.
Ce qui s'est passé dans la séance inté-
resse médiocrement le public ; ce qui s'est
passé dans la journée intéresse tout le
pays.
On sait qu'hier soir M. le duc de Broglie
avait eu une entrevue avec M. le président
de la République. Ce matin, le grand rap-
porteur tenait, quelques heures avant la
réunion officielle de la. commission des
trente, une réunion privée, dans un bureau
de l'Assemblée, avec la droite de la com-
mission. Il s'agissait de rendre compte aux
alliés des pourparlers échangés entre M.
de Broglie et M. Thiers i et d'arrêter la
ligne de conduite à si livre pour le mo-
ment où l'on se trouverai t en présence des
adversaires, c'est-à-dire d e la minorité de
la commission.
Que s'est-il passé ? C'est ce que nous ne
savons pas au juste. C'es t ce que peuvent
cependant nous faire pressentir et la suite
des événements et la mine renfrognée de
certains légitimistes.
M. le duc d'Audiffret-Pasquier, connais-
sant la limite des intentj Qf.tS de M. Du-
faure, et redoutant une b ataille que cer-
tains droitiers n'envisagent plus qu'avec
effroi depuis la dernière fei tille tombée de
la fusion, et aussi depuis le vote de lundi,
M, le duc d'Audiffret-Paf iquier, disons-
nous, a sans doute soum is à la réunion
intime un nouveau projet J fait pour esqui-
ver la bataille, celui qui a été voté, quel-
ques heures plus tard, av ec des modifica-
tions demandées par MM. Bufaure et Ri-
card. La manœuvre d'aujo urd'hui est assez
habile : elle couvre la l'el raite sans enga-
ger grand chose; on gagne? du temps pour
ne pas perdre la partie. Et si les légiti-
mistes purs avaient une mime renfro çQee,
c'est que ceux-là, marchant droit devant
eux, ont en horreur tout; ce qui ressemble
à l'ombre d'une concession.
Nous n'aurons peut-être pas la première
bataille, nous commence rons par la secon-
de, et voilà tout !. Mais comment le pays
ignorant s'y reconnaîtra-t-il au milieu de
toutes ces finesses dans lesquelles se per-
dent les savants députés eux-mêmes?
La séance s'ouvre, la commission des
trente siége officiellement; la séance est
mortuaire. Des ouvertures de crédit, des
dépôts de projets, des premières délibéra-
tions.
Et cependant, il en est une, parmi ces
dernières, qui peut soulever un long dé-
bat. Il s'agit du projet de loi qui enlève
au ministère des finances le service des
forêts pour le réunir au ministère de l'a-
griculture et du commerce; il est présenté
par la commission des services adminis-
tratifs. La majorité de l'Assemblée s'ap-j
prête à le repousser.
Ce déménagement ne soulève pas chez
nous grande passion ; mais nous nous per-
mettrons, en cette occasion, une réflexion
incidente.
Il y a bien, bien longtemps déjà, la Cham-
bre a nommé une commission des services
administratifs, chargée de rechercher les
abus, de signaler les rouages usés de notre
administration, d'apporter enfin le remède
désiré au mal si connu. Et tout -le monde
a crié : « Enfin!» Cette commission s'est
donné beaucoup de mal; elle a opéré, pen-
dant des mois, dans le silence du cabinet,
et l'on en disait monts et merveilles; elle
a fait des enquêtes, des recherches, des
travaux. Et, toutes les fois qu'elle a proposé
une réforme à l'Assemblée, l'Assemblée a
impitoyablement refusé la réforme.
M. Lambert Sainte-Croix prend le parti
des forêts et des finances contre le minis-
tère de l'agriculture et du commerce; il
combat le projet.
M. Lambert, qui a été élevé dans les
forêts de la rue Sainte-Croix-de-la-Bre-
tonnerie, est un député fort eivilisé qui a
une calvitie précoce, une voix sonore, des
gestes bruyants et un aplomb à tout cas-
ser. Voilà qui suffit pour se faire entendre,
mais non point pour se faire écouter.
Et l'on écoute peu ; la salle est à moitié
vide, mais elle eause. Cela ne semble guère
gêner M. Lambert Sainte-Croix, qui, se
sachant grand politique, grand financier
et grand homme d'Etat, et, persuadé que le
portefeuille qui lui est dû est arrêté en
route par cette maudite République, se
livre, pour calmer son attente, à des réduc-
tions de discours-ministre. N'est-ce pas
en parlant de ce député qu'un malin vieil-
lard aurait dit :
— Ce diable de Lambert est extraordi-
naire ! Je l'ai connu tout petit, tout petit.
il faisait déjà des discours comme au-
jourd'hui. »
M. Cézanne succède au précédent ora-
teur et soutient le projet, en rappelant que
le ministre des finances succombe, de l'a-
veu de tous les ministres passés et pré-
sents, sous la multiplicité de ses fonc-
tions et l'étendue de sa besogne.
Le député des Hautes-Alpes, grand, mai-
gre, chevelu, barbu, a l'air d'un vrai chas-
seur de chamois, habitué à arpenter les mon-
tagnes et les forêts. Il arpente, en effet ;
c'est un ingénieur des ponts et chaussées,
un travailleur, ne se mêlant guère aux
débats politiques, mais traitant volontiers
les questions spéciales. Voulez-vous que
nous vous parlions questions de compta-
bilité? — Non.
En ce cas, contentons-nous de dire que
M. le ministre des finances vient se plain-
dre qu'on tente de déboiser son départe-
ment, c'est-à-dire de retirer les forêts à son
ministère; et que M. Corne, président de la
commission, monte, à son tour, se plain-
dre et du rôle qu'on fait jouer à la commis-
sion et de l'inattention de la salle.
Pour nous, ce qui nous choque le plus
dans l'état actuel des choses, c'est de voir
un inspecteur des finances, et non un syl-
viculteur, à la tête du service des forêts.
Figaro a dit, avant nous, son opinion là-
dessus.
PAUL LAFARGUE.
* —
L'Assemblée nationale, qui ne recule
devant aucune faute à commettre pour
se discréditer aux yeux du pays, a donné
hier un premier coup de pioche dans le
suffrage universel. Elle a voté le projet
de loi présenté par M. Savary, et décidé
qu'à l'avenir nul ne pourrait être élu dé-
puté à moins d'avoir obtenu la majorité
absolue, et un nombre de voix égal au
quart des électeurs inscrits.
Nous n'avons pas à examiner si cette
modification est bonne ou mauvaise en
principe; elle est inopportune et perfi-
de; c'est ainsi que le pays la jugera, et
il aura raison. Une commission spéciale
est chargée, depuis fort longtemps, de
préparer un projet de loi électoral; il
semblait donc tout naturel de la saisir
vdu projet Savary, qui vient modifier si
profondément la législation sous l'empire
de laquelle ont été faites les élections
de février 1871. Pourquoi donc l'Assem-
blée en a-t-elle jugé autrement ? Pour-
quoi a-t-elle déclare qu'il y avait urgen-
ce ? Elle-même l'a naïvement avoué :
c'est que huit sièges sont actuellement
vacants dans l'Assemblée et que des élec-
tions partielles vont avoir lieu.
Mais noS ne pouvons nous dispen-
ser d'enregistrer tout au long les aveux
dépouillés d'artifice qui ont échappé à
M. Savary :
« Cette proposition,. a-t-il dit, nous est inspi-
rée par l'intérêt que nl'>US attachons et que tous
doivent attacher au résultat des élections par-
tielles, quand les élections sont sincères, et
quand il y est procédé de façon à ce qu'elles
donnent véritablement l'expression du senti-
ment de la majorité des électeurs.Nous l'avons
présentée parce que nous tenons grand compte
des élections partielles, parce que nous y voyons
une manifestation des sentiments successifs de
l'opinion publique, à laquelle les assemblées qui
la reçoivent doivent attacher une jrftte impor-
tance; parce que nous avons voulu que ces
élections se fissent dans des conditions absolues
de sincérité et de liberté. »
Ouf! Nous pensions n'en pas sortir!
MTais à cheval donné on ne regarde pas
la bride, et comme c'est un vrai cadeau
que cet aveu d'un membre de la majo-
rité, il ne convient pas d'en critiquer la
forme."
Ah ! vous vous êtes offert à vous-
mêmes la pilule que vous aviez pré-
parée à notre intention, eh! bien,
vous l'a\ raierez, mes bons messieurs.
Oui, mille fl-)is oui, il faut que -1 les élec-
tions soiei it s. incères ; il faut qu'elles ex-
priment véritablement l'opinion de la
majorité dos électeurs; vous n'avez pas
toujours ét é de cet. avis, mais vous y
venez : mie ux vaut tard que jamais. Vous
reconnaisse z la nécessite de fournir au
suffrage universel d$Ns garanties d'indé-
pendance et les moyens @ d'exprimer exac-
tement la volonté générale ; c'est appa-
remment. que ces garanties et ces
moyens ont fait défaut jusqu'à ce jour.
D'où nous sommes obligés de conclure
que les élections du 8 février 1871 n'ont
été ni sincères, ni libres,et qu'elles n'ont
que très-imparfaitement exprimé le sen-
timent de l'opinion publique.
Les élections de février sont donc à
refaire.
Pour ne parler que de l'objet spé-
cial du projet de loi de M. Savary, et
du vice rédhibitoire auquel il veut porter
remède dans les élections à venir, nous
nous bornerons à signaler les 171 dépu-
tés actuels dont le mandat se trouve im-
plicitement infirmé par le vote d'hier.
Voilà 171 citoyens élus, — c'est M. Sa-
vary et la majorité de ses amis qui le
constatent,— en dehors des conditions
requises pour que le vole ait toute sa va-
leur ; nous sommes donc autorisés à
dire que les travaux de l'Assemblée natio-
nale, depuis deux ans, se trouvent légè-
rement compromis par la collaboration
de ces 171 députés. Compromis morale-
ment, et non légalement, il est à peine
besoin de le dire ; mais compromis ; et
c'en est assez pour que l'Assemblée
tienne à honneur de ne pas continuer
plus longtemps des errements aussi re-
grettables.
Peut-être ajouterions-nous quelques
arguments encore à celui que nous ve-
nons de présenter en faveur de la disso-
lution à bref délai de l'Assemblée, si
nous n'étions bien convaincus de prêcher
dans le désert. Mais notre but est atteint.
Nous nous étions proposé de recueillir
de la bouche même des élus de février
leur condamnation; ils l'ont prononcée
en déclarant que les élections d'où ils
sont issus n'avaient pas été l'expression
exacte de la volonté nationale. Nous n'en
demandons pas davantage.
Mais il importe de relever un autre
aveu du candide M. Savary. L'Assemblée,
a-t-il dit, tient grand compte des élections
partielles. A parler franchement, on
ne s'en serait pas douté ; car les quatre
ou cinq élections partielles qui ont eu
lieu depuis Bordeaux ont invariablement
amené des résultats identiques ; le suf-
frage universel, qui ne savait trop ce
qu'il faisait au moment de la guerre, a
marché toujours tout droit devant lui dès
qu'il a su où il voulait aller, et il n'a
plus manqué une seule occasion d'en-
voyer des républicains à Versailles.
M. Savary avouera que si l'Assemblée
tenait autant de compte qu'il le dit des
élections partielles, il y a beaux jours
qu'elle eût renoncé à ses espérances mo -
narchiques. Au contraire, elle s'y cram-
ponne, un peu, il est vrai, à la façon du
noyé qui étreint un bâton flottant; mais
il n'en est pas moins vrai qu'elle espère
toujours, et si bien même qu'elle nourrit
la folle illusion de pouvoir lutter contre
le courant qui l'emporte. ;
La loi Savary, qui est une réduction
Colas de la loi du 31 mai, est une arme
de guerre. On croit faire échec aux répu-
blicains dans les huit élections qui vont
avoir lieu, et comme l'on a eu soin d'a-
vertir qu'on tenait grand compter des
élections partielles, on espère présenter
prochainement au pays huit nouveaux
elus monarchistes, et lui dire : Vous
voyez bien que la France languit et brûle
pour Chambord. comme Phèdre pour
Thésée.
Si ce petit calcul avaitla moindre chance
de succès, il ne serait pas à dédaigner ;
mais va-t-en voir s'ils viennent, les élec-
teurs qui s'y laisseront prendre.
La loi Savary n'y fera rien, la com-
mission des trente n'y fera rien ; la
France veut la République, elle nommera
des républicains.
E. SCHNERB.
———————— ♦
Lettres d'Espagne
Madrid, ce 15 février 1873.
Monsieur le directeur,
Les faits qui ont suivi les premiers actes
du gouvernement élu par les Chambres vous
sont déjà connus. M. Figueras à voulu
couper court à toutes les démonstrations
oiseuses, et les manifestations, défilés, réu-
nions inutiles qui nuisent à l'ordre public
et entretiennent l'agitation, n'ont eu d'au..
tre encouragement que ce conseil donné
de haut : « Allez travailler, c'est ce que vous
pouvez faire de plus utile pour la Républi-
que. » è , d
Le ministère n'était pas sans inquiétude
relativement à la reconnaissance du gou-
vernement par les puissances étrangères;
le fait considérable de la démonstration
faite par M. Sickles, le ministre des Etats-
Unis, a produit ici une grande impression.
Au lieu de reconnaître à buis-clos la Ré-
publique espagnole, le représentant des
Etats-Unis s'est rendu te matin au palais
de la présidence et de là au congrès pour
offrir ses respects au chef du pouvoir exé-
cutif et au président de l'Assemblée. Il
avait revêtu son costume officiel.
Dès que la séance a été ouverte, M. Cas
telar, ministre des affaire3 étrangères, est
venu rendre compte de la démarche du
représentant des Etats-Unis et a lu à la
tribune le discours de l'ambassadeur et la
réponse du gouvernement.
Nous ne pouvons que reconnaître que le
discours de M. Castelar est digne, habile
et patriotique, et si les Etats-Unis confor-
ment leur conduite à la déclaration de M.
Sickles, ce dont nous n'avons aucune rai-
son de douter, nous ne pourrons que ga-
gner au change, car le gouvernement du
roi Amédée ne pouvait pas se flatter d'en-
tretenir de telles relations avec la Répu-
blique américaine.
La séance d'aujourd'hui n'a eu d'autre
épisode intéressant que l'interpellation d'un
certain député du nom de Mathet, qui a
cru pouvoir créer des difficultés au gou-
vernement en lui demandant d'apporter à
la tribune les dépêches échangées avec le
roi Victor-Emmanuel dans ces derniers
temps.
Avec un à-propos et une assurance qui
paraissent peu compatibles avec son novi-
ciat, M. Castelar, interpellé directement, a
répondu, aux applaudissements de la Cham-
bre, que le roi d'Italie était trop constitu-
tionnel pour correspondre par-dessus l'é-
paule de ses ministres. M. Mathet, voyant
qu'il avait affaire à forte partie, a posé la
question dans d'autres termes, et il a de-
mandé si M. le ministre des affaires étran-
gères ne voyait point d'inconvénients à
produire les dépêches échangées avec M.
de Montemar, ministre d'Espagne à Rome.
M. Castelar a catégoriquement refusé la
communication par deux mots : « Tengo
inconveniente. »
La raison secrète de cette réserve, c'est
que M. de Montemar, autrefois employé à la
direction des courriers au ministère du
gouvernement (intérieur), aujourd'hui
marquis et ambassadeur, a télégraphié,
jusqu'au dernier moment aux Cortès, afiu
d'influencer les députés pour refuser l'ac-
ceptation de la démission du roi Amédée.
Lundi prochain, sur la demande de se-
nor Suarez, viendra en discussion, aux
Cortès, la question de l'esclavage. Puis
viendra la discussion du projet d'amnistie,
on souhaite ici que cette amnistie s'étende
à tous les partis.
Le ministre de l'intérieur a reçu pen-
dant la séance une dépêche du capitaine-
général de Cuba dans laquelle il répond
avec patriotisme à la notification dela pro-
clamation de la République.
Nous ne savons pas au juste à quoi nous
en tenir à Madrid sur l'entrée de don Car-
los en Espagne ; on dit ici que don Diego
de Villadurias et don Calderon accompa-
gnent le prétendant, et depuis une heure
on répand ici dans les cercles les plus sé-
rieux la nouvelle d'une Junta tenue à Saint-
Jean-de-Luz, dans laquelle les chefs les plus
actifs du parti carliste auraient décidé de
ne rien tenter en ce moment.
La politique des carlistes serait la même
que celle des alphonsistes, laisser la Répu-
blique succomber sous le poids de ces
deux énormes questions, Cuba et le car-
lisme ; puis se présenter au moment de la
crise et recueillir la succession des hom-
mes politiques qui ont cru la forme répu-
blicaine possible en Espagne.
La démission de M. de Montemar, minis-
tre d'Espagne à Rome est acceptée; celle de
M. Fernandez y Jimenez, le jeune et sympa-
thique savant qui, depuis de longues an-
nées, remplit le poste de chargé d'affaires
auprès du pape ne serait point acceptée
malgré la démission qu'il a offerte digne-
ment et sans arrière pensée. M. Jimenez,
malgré l'incontestable supériorité de son
esprit, est un de ces hommes modestes et
désintéressés dont un gouvernement doit
rechercher les services; les cardinaux eux-
mêmes l'estiment pour sa modération et
son humeur de conciliantè, on espère qu'il
voudra bien garder son poste.
Il est désormais officiel que Morionès, le
général des troupes espagnoles envoyées
pour réduire l'insurrection carliste, est
remplacé par le général Pavia. On crai-
gnait que Morionès fût disposé en faveur
des alphonsistes.
Je vous résume ici les dernières nouvel-
les que nous avons reçues à Madrid :de
l'entreprise carliste:
Les mouvements des colonnes sont ren-
dus très-difficiles à cause de la grande
quantité de neige tombée dans les mon-
tagnes.
A Grenade, un certain nombre d'indi-
vidus indisciplinés ont tenté des mouve-
ments d'un caractère séparatiste. La dépu-
tation provinciale et le chef des milices se
sont réunis pour étouffer le mouvement,
et ils y sont parvenus sans effusion de
sang.
a Le général Pavia est entré à Tudela
à neuf heures et demie du soir le 15, et il
a poursuivi sa marche sur Vittoria. Là il
a rencontré le général Moriones, accompa-
gné de deux JjataiJlons de chasseurs, quel-
ques compagnies d'infanterie, et une bat-
terie commandée par les anciens officiers
de l'artillerie ; il avait aussi quelques for-
ces de cavalerie. »
Nos différentes possesions d'Afrique,
Ceuta et Melilla ont proclamé la Républi-
que sans qu'il en résultât aucun désor-
dre.
Madrid est véritablement fort calme, le
travail n'est pas interrompu, et si 49 ppùple
espagnol ne se laisse point aller à ces dé-
monstrations oiseuses que M. Figueras a
réprimées si énergiquement avec son bon
sens pratique et ses vues honnêtes, il n'est
pas impossible qu'on conjure tout désor-
dre. La République bènéfipierait de çet éfa^
de choses.
A la date du 14, le qhçf de l'escadre an-
glaise se trouvait encore dans le port de
Lisbonne, à la disposition de don Amédée.
Son vapeur est prêt à partir à première
réquisition..
Adieu, mqn cher directeur, j'espère vous
tjBQjx au courant de tout événement grave.
Le X/XII Siècle a été accueilli, ici, avec une
grande cordialité, et on m'a facilité tous les
moyens d'information.
C. B.
NOUVELLES DIVERSES
Parmi !es télégrammes espagnols d'au-
jourd'hui, il en est un qui nous inquiète
quelque peu sur l'avenir de la nouvelle, si-
tuation : c'est l'annonce que les corns do vo-
lontaires s'organisent partout. Si la chose
est vraie, le carlisme ue doit pas se tenir
de joie
Ciette résurrection déguisée des gardes
nationales servirait, en effet, doublement
ses desseins eu lui assurant, dans les cam-
pagnes, un approvisionnement gratuit de i
fusils et de munitions, et dans les grands
centres, une diversion précieuse. Si peu
d'importance qu'ait encore la faction rouge
au-delà des Pyrénées, elle compte cepen-
dant à Madrid, dans quelques ports d'An-
dalousie et surtout à Barcelone, assez
d'adhérents pour être tentée d'abuser des
armes qu'on va si imprudemment lui met -
tre aux mains, et il est aisé de compren-
dre quel parti la réaction tirerait de cet
épouvantail.
Les autres télégrammes offrent assez
peu d'intérêt. L'un, en date de Madrid, 18
février, annonce qu'un brigadier d'un es-
cadron de lanciers, en garnison à Alcaza-
de-San-Juan, ayant tenté un soulèvement
en faveur des carlistes, a été arrêté et li-
vré aux tribunaux. Le capitaine ayant ha-
rangué les troupes, celles-ci ont acclamé
la République.
Nous lisons dans un autre télégramme
en date du 19 :
M. Castelar, ministre d'Etat (affaires étran-
gères), s'occupe de la rédaction d'un mémoran-
dum dans lequel il exposera les conditions dans
lesquelles a été fondée la République espagnole.
Il fera ressortir :
1° La spontanéité de l'abdication du roi;
20 L'urgence d'établir un gouvernement, et la
légitimité du gouvernement institué par les Cor-
tès nationales ;
3° L'assurance que la République conservera
l'ordre et la liberté intérieure, et qu'elle ne se
mêlera aucunement des affaires des autres pays.
L'Assemblée continue la discussion rela-
tive à l'abolition de l'esclavage à Puerto-
Rico.
Un télégramme de New-York, 18 février,
annonce que des flibustiers ont de nou-
veau réussi à débarquer avec des armes et
des munitions à Vertientes, dans l'île de
Cuba.
——————— + •
LA COMMISSION DES TRENTE
Séance du mercredi 19 février 1875.
M. le rapporteur soumet à l'Assemblée un
projet nouveau sur l'article 4, déposé par le gou-
vernement, et un projet déposé par M. le duc
Pasquier.
M. LE PRESIDENT dépose un amendement
de M. Bérenger.
Voioi ces projets nouveaux :
Amendement de M. le duc d'Audiffret-Pasquier.
L'Assemblée nationale ne se séparera pas
avant d'avoir statué sur l'organisation et le
mode de transmission des pouvoirs publics.
Modification du gouvernement à l'amendement
de M. le duc d'Audiffret-Pasquier.
L'Assemblée nationale ne se séparera pas
sans avoir statué :
1° Sur l'organisation et le mode de transmis-
sion des pouvoirs législatif et exécutif ;
2° Sur la nature et les attributions d'une se-
conde Chambre;
3° Sur la loi électorale.
Proposition de M. Bérenger.
Supprimer le préambule.
Art. 4. — L'Assemblée nationale statuera,
avant de se séparer, sur l'organisation du gou-
vernement de la République.
Le gouvernement lui soumettra, à cet effet; le
plus promptement possible, des projets de loi
concernant : 1° et 2" (comme au projet de M. le
garde des sceaux) ; 3° l'organisation du pouvoir
exécutif et son mode de transmission.
1° Sur la composition et le mode d'élection de
l'Assemblée nationale qui remplacera l'Assem-
blée actuelle.
2° Sur la composition et le mode d'élection tt
les attributions d'une seconde Chambre.
M, Bérenger est appelé.
M. BERENGER développe son amende-
ment :
Il aurait voulu établir la monarchie constitu-
tionnelle ; il recannait que cette rouvre est im-
possible aujourd'hui à établir, il croit qu'il est
plus noble, plus patriotique de déclarer loyale-
ment que la monarchie ne peut être fondée, et
que c'est la République qu'il faut définitivement
fonder; l'Assemblée est constituante, il faut .-
qu'elle constitue la République. ,
Il supprime donc le préambule du projet..
Il demande que le gouvernement présente dêk
projets pour éviter ce chaos de projets qui vien-
draient entraver l'œuvre de la commission plutôt
que l'aider; enfin, au paragraphe 3, il demande
formellement que l'Assemblée organise pour l'a-
venir et définitivement le pouvoir exécutif.
Il ne fait nulle difficulté de reconnaître m
c'est la République qu'il veut fonder définitive-
ment, et c'est dans l'intérêt de la paix pubjjq4u^
qu'il veut procéder ainsi,
La commission décide qu'elle va djscnter 1Er
projet même de M. Bérenger.
M. DELACOUR dit qu'il voudrait adopter cet-
amendement ; mais il reconnaît qu'en deman-
dant au sein de cette commission de constituer
la République *1 n'a aucune chance de russir,
et il c^ançiç alors s'il ne serait pas possible d 1
supprimer les mots « de la République t-, en
laissant seulement les mots « erganisatis M « du
gouvernâmes. *
M- DE BROQLIE demande qw'M repousse.
çet ameneD,J.e."
M. D1\TE1 partage le sentiment expri-
mé p,ar M. Çtelacour, sur ce point, que le parti
conservateur doàt surtout désirer que les pro-
cnaiueg élections générales n'aient pas lieu sur
la question de Monarchie ou de République
mais ce pumi aamis, Il ne comprendrait pas qur
le mot de « République » fût supprimé dans 1;
texte de l amendement proposé par M. Bè' «J,"
ger, ÇAM t;:.'es là 1(6 teIjlI1. qUi distingue r, -en-
dernent des rédaction* p)qS ou moina w ues qui
auraient pne s,e séparera pas avant d'avoir M~~ vu à l'or-
ganisation ou à la transmission du pouvoir exé-
cutif. » Pour tous ceux qui, partisane An n..jW'O-
- ----. _.L& .t'.I.LI.-
cipe de lî\ monarchie constitutionnelle, croient
actuollement cette forme de gouvernement im-
possible et se rallient à la forme républicaine il
n'y a d'autre solution franche et nette que l'adhé-
sion pure et simjtfe au texte proposé par M
Bérenger. C'est pGurquoi, personnellement il
est disposé à le voler.
M, ÎÏMMANUEL ARAGO. - La commis.
sion doit, selon moi, prendre en considération
l'amendement de M. Bérenger et le soumettre à
un sérieux exam. ^i la commission m'avait
fait 1 hMwuï. d'accepter l'amendement que j'ai
ÏWÏVVsé sur la transmission dv* pouvoir exécutif
amendement qui cousine, dan& la prorogation
des pouvoirs de M. le président de la Répu-«
blique iqu "à. l'organisation du pouvoir exéca-
tif pour la prochaine représentation national*
je ne vous demanderais rien de plus à prsent -
mais, mon Rendement r été, je préfère la ré-
daction (jà M. éreJ;I" à celles qui mous S"t
apportées d'~Ueu~.
Elle a, par temple, pour la tranquillité pu-
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 45 CENTIMES == DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES..
Vendredi 21 Février 4873.
LE XIX1 SIÈCLE
RÉDACTION
adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2, rue Drouot. 2
lM manuscrits non insérés seront rendus
ABONNEMENTS
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2. rue Drouot. 2
Les lettres non affranchies seront refusées
- Il
1
ABONNEMENTS
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
PARIS
Trois mois 13 fr
Six mois. 25
Un an.:;. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF, et C*
6, place de la Bourse, 6
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les Souscripteurs des dépar-
tements dont l'abonnement expire
LE 28 FEVRIER sont instamment
priés de. le renouveler dans le plus
bref délai, s'ils ne veulent éprouver
aucune interruption dans la ré-
ception du journal.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, 20 février 1813.
Est-ce la paix ? N'est-ce qu'un armis-
tice? Provisoirement, du moins, l'accord
est fait entre le gouvernement et la com-
mission des trente. Au compte-rendu de
la réunion que les trente ont tenue hier,
on trouvera des explications plus amples,
et l'on verra comment ont été adoptés l'a-
mendement de M. Dufaure et celui de M.
Ricard. Ajoutons seulement que la nou-
velle de cette conciliation in extremis a été
fort mal accueillie par la plupart des dé-
putés de la droite, qui n'ont d'autres mots
à la bouche que ceux de désertion et de
trahison.
Sans porter ici d'autre jugement sur ce
qui s'est passé à Versailles, nous en pou-
vons du moins conclure que la majorité
des trente a reconnu la vanité de ses illu-
sions dynastiques. Elle se fait accommo-
dante, elle qui se piquait d'être intraitable
tant que toutes les espérances de fusion
n'étaient pas renversées. Elle n'est pas ré-
publicaine, et ne le deviendra jamais sans
doute ; mais la voici forcée de ne plus
être royaliste. Les deux partis monarchi-
ques, toujours divisés, n'ont plus d'intérêt
à détruire un gouvernement à la place du-
quel ils n'espèrent s'implanter ni l'un ni
l'autre; ne pouvant attaquer la République
par calcul, reste à savoir s'ils ne continue-
ront pas à la combattre par haine et dé-
pit.
Ecoutez les réflexions que suggèrent à
l'un de leurs journaux les bruits, trop
prompts peut-être et trop affirmatifs, de la
prochaine délivance des dernières provin-
ces occupées : La libération du territoire !
Non, non, dit-on, elle n'aura pas lieu si
tôt ; il n'est pas probable qu'elle s'opère
avant la fin de l'année, « en supposant que
» la proclamation de la République et ses
» conséquences inévitables ne viennent
» pas augmenter les défiances de la Prusse
» et lui fournir des prétextes pour prolon-
» ger son occupation ! »
0 la loyale polémique, et comme ce pa-
triotisme est honorable ! — Ah 1 nous som-
mes obligés de laisser proclamer la Répu-
blique ! Eh bien ! souhaitons-lui tous les
malheurs ! Puisse-t-elle àjamais être misé-
rable ! Puisse-t-elle avoir bien longtemps
l'occupation étrangère à souffrir ! — Tar-
tuffe se fait tragédien et déclame l'impréca-
tion de Camille :
Puissent ses ennemis, ensemble conjurés,
Saper ses fondements encormal assurés!.
De fait, on a perdu le sens moral, et,
dans ces malheureux partis, la passion po-
litique égare au point que l'on emploie tout
ce qu'en possède d'énergie à injurier et à
maudire des compatriotes, des concitoyens,
des Français, qu'il est pourtant assez in-
juste de rendre responsables de l'impossi-
bilité où sont les princes de s'entendre.
Mais, depuis l'insuccès des dernières tenta-
tives de fusion, les fureurs redoublent.
C'est bien mal dépenser sa haine, et l'on
aurait vraiment d'autres ennemis à détes-
ter que les sept ou huit millions d'électeurs
qui désirent ardemment la proclamation
définitive de la République.
Quant à leur venir jeter ainsi la défiance
prussienne au visage, ce n'est ni ingénieux,
ni sensé, ni loyal. Si la Prusse a recu
jusqu'à présent près de trois milliards et
demi, nous ne le devons sans doute (elle
le sait bien) ni aux prétendants ni aux
monarchistes. On pourait retourner, avec
plus de vérité et d'à-propos, contre certains
écrivains de certains partis ces arguments
prussiens qu'ils emploient comme arme
suprême. On ne le fera pas, pour n'en
point avoir à rougir. Mais il est plus que
temps d'abandonner de pareils procédés de
polémique. Si l'on a des instincts et des
sentiments d'émigrés, qu'on aille à Co-
blentz ; et si l'on n'y va point, qu'on garde
au moins pour soi des choses qui ne de-
vraient ni s'imprimer, ni s'écrire, ni se
dire, ni s'avouer.
L'expulsion de M. Mermillod a causé en
Suisse une agitation profonde. Le curé de
Genève et son clergé ont donné d'ailleurs
le plus d'éclat possible à ce départ, qualifié
d'enlèvement par les feuilles catholiques.
Le Courrier de Genève publie, dans un nu-
méro encadré de noir, la protestation fière
et hautaine que M. Mermillod a dictée dans
sa résidence épiscopale avant d'être conduit
en France. Il proteste au nom des droits de
l'Eglise catholique, au nom de la liberté de
-conscience, au nom de ses droits de citoyen
libre de la République helvétique. Avec
cette pièce, il faut lire les récits de « l'en-
lèvement, » qui ont été, comme on dit,
fort dramatisés ; mais, avec quelque sim-
plicité qu'on le raconte, un tel fait, accom-
pli en Suisse, a par lui-même un grand et
poignant intérêt. C'est la liberté religieuse,
et aussi, pour dire plus encore, la liberté
de penser, méconnues, que le conseil fé-
déral exile et fait mener à la frontière sous
l'escorte de la police. Le premier village
français où s'est arrêté M. ec
les cinq prêtres qui 1 ont suivi, c'est Fer-
ney, oui, le Ferney de Voltaire ; il y pas-
sera, dit-on, les commencements de son
exil.
EUG. LIÉBERT.
» ——————————————
EMBRASSONS-NOUS!
Cet excellent abbé Lamourette est
ressuscité aujourd'hui, paraît-il, dans
la commission des trente. On nous as-
sure que les monarchistes et les répu-
blicains, les entrepreneurs de restaura-
tions impossibles et les conservateurs de
l'ordre établi, ceux qui conspirent à ciel
ouvert contre la volonté du peuple et
ceux qui tiennent fermement pour la
souveraineté nationale, se sont embrassés
à Versailles comme autrefois les gens
du droit divin et les hommes de la Ré-
volution.
Allons ! Faisons comme eux ! Embras-
sons-nous ! Suivons le monde !
Nous y mettrons du nôtre autant qu'il
le faudra. Nous sommes prêts à déclarer
que le piteux échec de la fusion n'est
pour rien dans la sagesse imprévue de
ces nobles messieurs de la droite. C'est
dans un mouvement de patriotisme can-
dide qu'ils ont ouvert leurs bras à M.
Thiers et consenti à organiser provisoi-
rement avec lui une façon de Républi-
que provisoire.
A Dieu ne plaise que nous les accu-
sions de faire bon visage à mauvais jeu,
d'exploiter au profit de leurs ambitions
pressées l'ajournement des solutions dé-
finitives, et de se rallier pour quelques
mois à M. Thiers sous la condition ex-
presse que M. Thiers partagera le pou-
voir avec eux.
Non ! Le seul mot de conciliation
sonne si doucement à nos oreilles, et
exerce un tel empire sur nos cœurs que
nous voulons tout oublier, sauf les paroles
à peu près bonnes qui se sont échangées
aujourd'hui. Nous ne nous souviendrons
ni des hostilités féroces qui, durant deux
années,ont ébranlé la République en mi-
nant la France elle-même, ni des mani-
festations royalistes, ni des pèlerinages
clérico-légitimistes, ni des cuisines sou-
terraines dont le rôti était toujours en
perspective M. Thiers, entouré de ses
meilleurs ministres.
Nous voulons même oublier nos sou-
venirs classiques et cette meralité d'une
fable de Lafontaine :
La paix est fort bonne de soi,
J'en conviens, mais de quoi sert-elle i
Avec des ennemis sans foi ! !
D'ailleurs, ces messieurs ont la foi 1
ÀBOUT.
———————— ————————
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 19 février 1875.
Ce qui s'est passé dans la séance inté-
resse médiocrement le public ; ce qui s'est
passé dans la journée intéresse tout le
pays.
On sait qu'hier soir M. le duc de Broglie
avait eu une entrevue avec M. le président
de la République. Ce matin, le grand rap-
porteur tenait, quelques heures avant la
réunion officielle de la. commission des
trente, une réunion privée, dans un bureau
de l'Assemblée, avec la droite de la com-
mission. Il s'agissait de rendre compte aux
alliés des pourparlers échangés entre M.
de Broglie et M. Thiers i et d'arrêter la
ligne de conduite à si livre pour le mo-
ment où l'on se trouverai t en présence des
adversaires, c'est-à-dire d e la minorité de
la commission.
Que s'est-il passé ? C'est ce que nous ne
savons pas au juste. C'es t ce que peuvent
cependant nous faire pressentir et la suite
des événements et la mine renfrognée de
certains légitimistes.
M. le duc d'Audiffret-Pasquier, connais-
sant la limite des intentj Qf.tS de M. Du-
faure, et redoutant une b ataille que cer-
tains droitiers n'envisagent plus qu'avec
effroi depuis la dernière fei tille tombée de
la fusion, et aussi depuis le vote de lundi,
M, le duc d'Audiffret-Paf iquier, disons-
nous, a sans doute soum is à la réunion
intime un nouveau projet J fait pour esqui-
ver la bataille, celui qui a été voté, quel-
ques heures plus tard, av ec des modifica-
tions demandées par MM. Bufaure et Ri-
card. La manœuvre d'aujo urd'hui est assez
habile : elle couvre la l'el raite sans enga-
ger grand chose; on gagne? du temps pour
ne pas perdre la partie. Et si les légiti-
mistes purs avaient une mime renfro çQee,
c'est que ceux-là, marchant droit devant
eux, ont en horreur tout; ce qui ressemble
à l'ombre d'une concession.
Nous n'aurons peut-être pas la première
bataille, nous commence rons par la secon-
de, et voilà tout !. Mais comment le pays
ignorant s'y reconnaîtra-t-il au milieu de
toutes ces finesses dans lesquelles se per-
dent les savants députés eux-mêmes?
La séance s'ouvre, la commission des
trente siége officiellement; la séance est
mortuaire. Des ouvertures de crédit, des
dépôts de projets, des premières délibéra-
tions.
Et cependant, il en est une, parmi ces
dernières, qui peut soulever un long dé-
bat. Il s'agit du projet de loi qui enlève
au ministère des finances le service des
forêts pour le réunir au ministère de l'a-
griculture et du commerce; il est présenté
par la commission des services adminis-
tratifs. La majorité de l'Assemblée s'ap-j
prête à le repousser.
Ce déménagement ne soulève pas chez
nous grande passion ; mais nous nous per-
mettrons, en cette occasion, une réflexion
incidente.
Il y a bien, bien longtemps déjà, la Cham-
bre a nommé une commission des services
administratifs, chargée de rechercher les
abus, de signaler les rouages usés de notre
administration, d'apporter enfin le remède
désiré au mal si connu. Et tout -le monde
a crié : « Enfin!» Cette commission s'est
donné beaucoup de mal; elle a opéré, pen-
dant des mois, dans le silence du cabinet,
et l'on en disait monts et merveilles; elle
a fait des enquêtes, des recherches, des
travaux. Et, toutes les fois qu'elle a proposé
une réforme à l'Assemblée, l'Assemblée a
impitoyablement refusé la réforme.
M. Lambert Sainte-Croix prend le parti
des forêts et des finances contre le minis-
tère de l'agriculture et du commerce; il
combat le projet.
M. Lambert, qui a été élevé dans les
forêts de la rue Sainte-Croix-de-la-Bre-
tonnerie, est un député fort eivilisé qui a
une calvitie précoce, une voix sonore, des
gestes bruyants et un aplomb à tout cas-
ser. Voilà qui suffit pour se faire entendre,
mais non point pour se faire écouter.
Et l'on écoute peu ; la salle est à moitié
vide, mais elle eause. Cela ne semble guère
gêner M. Lambert Sainte-Croix, qui, se
sachant grand politique, grand financier
et grand homme d'Etat, et, persuadé que le
portefeuille qui lui est dû est arrêté en
route par cette maudite République, se
livre, pour calmer son attente, à des réduc-
tions de discours-ministre. N'est-ce pas
en parlant de ce député qu'un malin vieil-
lard aurait dit :
— Ce diable de Lambert est extraordi-
naire ! Je l'ai connu tout petit, tout petit.
il faisait déjà des discours comme au-
jourd'hui. »
M. Cézanne succède au précédent ora-
teur et soutient le projet, en rappelant que
le ministre des finances succombe, de l'a-
veu de tous les ministres passés et pré-
sents, sous la multiplicité de ses fonc-
tions et l'étendue de sa besogne.
Le député des Hautes-Alpes, grand, mai-
gre, chevelu, barbu, a l'air d'un vrai chas-
seur de chamois, habitué à arpenter les mon-
tagnes et les forêts. Il arpente, en effet ;
c'est un ingénieur des ponts et chaussées,
un travailleur, ne se mêlant guère aux
débats politiques, mais traitant volontiers
les questions spéciales. Voulez-vous que
nous vous parlions questions de compta-
bilité? — Non.
En ce cas, contentons-nous de dire que
M. le ministre des finances vient se plain-
dre qu'on tente de déboiser son départe-
ment, c'est-à-dire de retirer les forêts à son
ministère; et que M. Corne, président de la
commission, monte, à son tour, se plain-
dre et du rôle qu'on fait jouer à la commis-
sion et de l'inattention de la salle.
Pour nous, ce qui nous choque le plus
dans l'état actuel des choses, c'est de voir
un inspecteur des finances, et non un syl-
viculteur, à la tête du service des forêts.
Figaro a dit, avant nous, son opinion là-
dessus.
PAUL LAFARGUE.
* —
L'Assemblée nationale, qui ne recule
devant aucune faute à commettre pour
se discréditer aux yeux du pays, a donné
hier un premier coup de pioche dans le
suffrage universel. Elle a voté le projet
de loi présenté par M. Savary, et décidé
qu'à l'avenir nul ne pourrait être élu dé-
puté à moins d'avoir obtenu la majorité
absolue, et un nombre de voix égal au
quart des électeurs inscrits.
Nous n'avons pas à examiner si cette
modification est bonne ou mauvaise en
principe; elle est inopportune et perfi-
de; c'est ainsi que le pays la jugera, et
il aura raison. Une commission spéciale
est chargée, depuis fort longtemps, de
préparer un projet de loi électoral; il
semblait donc tout naturel de la saisir
vdu projet Savary, qui vient modifier si
profondément la législation sous l'empire
de laquelle ont été faites les élections
de février 1871. Pourquoi donc l'Assem-
blée en a-t-elle jugé autrement ? Pour-
quoi a-t-elle déclare qu'il y avait urgen-
ce ? Elle-même l'a naïvement avoué :
c'est que huit sièges sont actuellement
vacants dans l'Assemblée et que des élec-
tions partielles vont avoir lieu.
Mais noS ne pouvons nous dispen-
ser d'enregistrer tout au long les aveux
dépouillés d'artifice qui ont échappé à
M. Savary :
« Cette proposition,. a-t-il dit, nous est inspi-
rée par l'intérêt que nl'>US attachons et que tous
doivent attacher au résultat des élections par-
tielles, quand les élections sont sincères, et
quand il y est procédé de façon à ce qu'elles
donnent véritablement l'expression du senti-
ment de la majorité des électeurs.Nous l'avons
présentée parce que nous tenons grand compte
des élections partielles, parce que nous y voyons
une manifestation des sentiments successifs de
l'opinion publique, à laquelle les assemblées qui
la reçoivent doivent attacher une jrftte impor-
tance; parce que nous avons voulu que ces
élections se fissent dans des conditions absolues
de sincérité et de liberté. »
Ouf! Nous pensions n'en pas sortir!
MTais à cheval donné on ne regarde pas
la bride, et comme c'est un vrai cadeau
que cet aveu d'un membre de la majo-
rité, il ne convient pas d'en critiquer la
forme."
Ah ! vous vous êtes offert à vous-
mêmes la pilule que vous aviez pré-
parée à notre intention, eh! bien,
vous l'a\ raierez, mes bons messieurs.
Oui, mille fl-)is oui, il faut que -1 les élec-
tions soiei it s. incères ; il faut qu'elles ex-
priment véritablement l'opinion de la
majorité dos électeurs; vous n'avez pas
toujours ét é de cet. avis, mais vous y
venez : mie ux vaut tard que jamais. Vous
reconnaisse z la nécessite de fournir au
suffrage universel d$Ns garanties d'indé-
pendance et les moyens @ d'exprimer exac-
tement la volonté générale ; c'est appa-
remment. que ces garanties et ces
moyens ont fait défaut jusqu'à ce jour.
D'où nous sommes obligés de conclure
que les élections du 8 février 1871 n'ont
été ni sincères, ni libres,et qu'elles n'ont
que très-imparfaitement exprimé le sen-
timent de l'opinion publique.
Les élections de février sont donc à
refaire.
Pour ne parler que de l'objet spé-
cial du projet de loi de M. Savary, et
du vice rédhibitoire auquel il veut porter
remède dans les élections à venir, nous
nous bornerons à signaler les 171 dépu-
tés actuels dont le mandat se trouve im-
plicitement infirmé par le vote d'hier.
Voilà 171 citoyens élus, — c'est M. Sa-
vary et la majorité de ses amis qui le
constatent,— en dehors des conditions
requises pour que le vole ait toute sa va-
leur ; nous sommes donc autorisés à
dire que les travaux de l'Assemblée natio-
nale, depuis deux ans, se trouvent légè-
rement compromis par la collaboration
de ces 171 députés. Compromis morale-
ment, et non légalement, il est à peine
besoin de le dire ; mais compromis ; et
c'en est assez pour que l'Assemblée
tienne à honneur de ne pas continuer
plus longtemps des errements aussi re-
grettables.
Peut-être ajouterions-nous quelques
arguments encore à celui que nous ve-
nons de présenter en faveur de la disso-
lution à bref délai de l'Assemblée, si
nous n'étions bien convaincus de prêcher
dans le désert. Mais notre but est atteint.
Nous nous étions proposé de recueillir
de la bouche même des élus de février
leur condamnation; ils l'ont prononcée
en déclarant que les élections d'où ils
sont issus n'avaient pas été l'expression
exacte de la volonté nationale. Nous n'en
demandons pas davantage.
Mais il importe de relever un autre
aveu du candide M. Savary. L'Assemblée,
a-t-il dit, tient grand compte des élections
partielles. A parler franchement, on
ne s'en serait pas douté ; car les quatre
ou cinq élections partielles qui ont eu
lieu depuis Bordeaux ont invariablement
amené des résultats identiques ; le suf-
frage universel, qui ne savait trop ce
qu'il faisait au moment de la guerre, a
marché toujours tout droit devant lui dès
qu'il a su où il voulait aller, et il n'a
plus manqué une seule occasion d'en-
voyer des républicains à Versailles.
M. Savary avouera que si l'Assemblée
tenait autant de compte qu'il le dit des
élections partielles, il y a beaux jours
qu'elle eût renoncé à ses espérances mo -
narchiques. Au contraire, elle s'y cram-
ponne, un peu, il est vrai, à la façon du
noyé qui étreint un bâton flottant; mais
il n'en est pas moins vrai qu'elle espère
toujours, et si bien même qu'elle nourrit
la folle illusion de pouvoir lutter contre
le courant qui l'emporte. ;
La loi Savary, qui est une réduction
Colas de la loi du 31 mai, est une arme
de guerre. On croit faire échec aux répu-
blicains dans les huit élections qui vont
avoir lieu, et comme l'on a eu soin d'a-
vertir qu'on tenait grand compter des
élections partielles, on espère présenter
prochainement au pays huit nouveaux
elus monarchistes, et lui dire : Vous
voyez bien que la France languit et brûle
pour Chambord. comme Phèdre pour
Thésée.
Si ce petit calcul avaitla moindre chance
de succès, il ne serait pas à dédaigner ;
mais va-t-en voir s'ils viennent, les élec-
teurs qui s'y laisseront prendre.
La loi Savary n'y fera rien, la com-
mission des trente n'y fera rien ; la
France veut la République, elle nommera
des républicains.
E. SCHNERB.
———————— ♦
Lettres d'Espagne
Madrid, ce 15 février 1873.
Monsieur le directeur,
Les faits qui ont suivi les premiers actes
du gouvernement élu par les Chambres vous
sont déjà connus. M. Figueras à voulu
couper court à toutes les démonstrations
oiseuses, et les manifestations, défilés, réu-
nions inutiles qui nuisent à l'ordre public
et entretiennent l'agitation, n'ont eu d'au..
tre encouragement que ce conseil donné
de haut : « Allez travailler, c'est ce que vous
pouvez faire de plus utile pour la Républi-
que. » è , d
Le ministère n'était pas sans inquiétude
relativement à la reconnaissance du gou-
vernement par les puissances étrangères;
le fait considérable de la démonstration
faite par M. Sickles, le ministre des Etats-
Unis, a produit ici une grande impression.
Au lieu de reconnaître à buis-clos la Ré-
publique espagnole, le représentant des
Etats-Unis s'est rendu te matin au palais
de la présidence et de là au congrès pour
offrir ses respects au chef du pouvoir exé-
cutif et au président de l'Assemblée. Il
avait revêtu son costume officiel.
Dès que la séance a été ouverte, M. Cas
telar, ministre des affaire3 étrangères, est
venu rendre compte de la démarche du
représentant des Etats-Unis et a lu à la
tribune le discours de l'ambassadeur et la
réponse du gouvernement.
Nous ne pouvons que reconnaître que le
discours de M. Castelar est digne, habile
et patriotique, et si les Etats-Unis confor-
ment leur conduite à la déclaration de M.
Sickles, ce dont nous n'avons aucune rai-
son de douter, nous ne pourrons que ga-
gner au change, car le gouvernement du
roi Amédée ne pouvait pas se flatter d'en-
tretenir de telles relations avec la Répu-
blique américaine.
La séance d'aujourd'hui n'a eu d'autre
épisode intéressant que l'interpellation d'un
certain député du nom de Mathet, qui a
cru pouvoir créer des difficultés au gou-
vernement en lui demandant d'apporter à
la tribune les dépêches échangées avec le
roi Victor-Emmanuel dans ces derniers
temps.
Avec un à-propos et une assurance qui
paraissent peu compatibles avec son novi-
ciat, M. Castelar, interpellé directement, a
répondu, aux applaudissements de la Cham-
bre, que le roi d'Italie était trop constitu-
tionnel pour correspondre par-dessus l'é-
paule de ses ministres. M. Mathet, voyant
qu'il avait affaire à forte partie, a posé la
question dans d'autres termes, et il a de-
mandé si M. le ministre des affaires étran-
gères ne voyait point d'inconvénients à
produire les dépêches échangées avec M.
de Montemar, ministre d'Espagne à Rome.
M. Castelar a catégoriquement refusé la
communication par deux mots : « Tengo
inconveniente. »
La raison secrète de cette réserve, c'est
que M. de Montemar, autrefois employé à la
direction des courriers au ministère du
gouvernement (intérieur), aujourd'hui
marquis et ambassadeur, a télégraphié,
jusqu'au dernier moment aux Cortès, afiu
d'influencer les députés pour refuser l'ac-
ceptation de la démission du roi Amédée.
Lundi prochain, sur la demande de se-
nor Suarez, viendra en discussion, aux
Cortès, la question de l'esclavage. Puis
viendra la discussion du projet d'amnistie,
on souhaite ici que cette amnistie s'étende
à tous les partis.
Le ministre de l'intérieur a reçu pen-
dant la séance une dépêche du capitaine-
général de Cuba dans laquelle il répond
avec patriotisme à la notification dela pro-
clamation de la République.
Nous ne savons pas au juste à quoi nous
en tenir à Madrid sur l'entrée de don Car-
los en Espagne ; on dit ici que don Diego
de Villadurias et don Calderon accompa-
gnent le prétendant, et depuis une heure
on répand ici dans les cercles les plus sé-
rieux la nouvelle d'une Junta tenue à Saint-
Jean-de-Luz, dans laquelle les chefs les plus
actifs du parti carliste auraient décidé de
ne rien tenter en ce moment.
La politique des carlistes serait la même
que celle des alphonsistes, laisser la Répu-
blique succomber sous le poids de ces
deux énormes questions, Cuba et le car-
lisme ; puis se présenter au moment de la
crise et recueillir la succession des hom-
mes politiques qui ont cru la forme répu-
blicaine possible en Espagne.
La démission de M. de Montemar, minis-
tre d'Espagne à Rome est acceptée; celle de
M. Fernandez y Jimenez, le jeune et sympa-
thique savant qui, depuis de longues an-
nées, remplit le poste de chargé d'affaires
auprès du pape ne serait point acceptée
malgré la démission qu'il a offerte digne-
ment et sans arrière pensée. M. Jimenez,
malgré l'incontestable supériorité de son
esprit, est un de ces hommes modestes et
désintéressés dont un gouvernement doit
rechercher les services; les cardinaux eux-
mêmes l'estiment pour sa modération et
son humeur de conciliantè, on espère qu'il
voudra bien garder son poste.
Il est désormais officiel que Morionès, le
général des troupes espagnoles envoyées
pour réduire l'insurrection carliste, est
remplacé par le général Pavia. On crai-
gnait que Morionès fût disposé en faveur
des alphonsistes.
Je vous résume ici les dernières nouvel-
les que nous avons reçues à Madrid :de
l'entreprise carliste:
Les mouvements des colonnes sont ren-
dus très-difficiles à cause de la grande
quantité de neige tombée dans les mon-
tagnes.
A Grenade, un certain nombre d'indi-
vidus indisciplinés ont tenté des mouve-
ments d'un caractère séparatiste. La dépu-
tation provinciale et le chef des milices se
sont réunis pour étouffer le mouvement,
et ils y sont parvenus sans effusion de
sang.
a Le général Pavia est entré à Tudela
à neuf heures et demie du soir le 15, et il
a poursuivi sa marche sur Vittoria. Là il
a rencontré le général Moriones, accompa-
gné de deux JjataiJlons de chasseurs, quel-
ques compagnies d'infanterie, et une bat-
terie commandée par les anciens officiers
de l'artillerie ; il avait aussi quelques for-
ces de cavalerie. »
Nos différentes possesions d'Afrique,
Ceuta et Melilla ont proclamé la Républi-
que sans qu'il en résultât aucun désor-
dre.
Madrid est véritablement fort calme, le
travail n'est pas interrompu, et si 49 ppùple
espagnol ne se laisse point aller à ces dé-
monstrations oiseuses que M. Figueras a
réprimées si énergiquement avec son bon
sens pratique et ses vues honnêtes, il n'est
pas impossible qu'on conjure tout désor-
dre. La République bènéfipierait de çet éfa^
de choses.
A la date du 14, le qhçf de l'escadre an-
glaise se trouvait encore dans le port de
Lisbonne, à la disposition de don Amédée.
Son vapeur est prêt à partir à première
réquisition..
Adieu, mqn cher directeur, j'espère vous
tjBQjx au courant de tout événement grave.
Le X/XII Siècle a été accueilli, ici, avec une
grande cordialité, et on m'a facilité tous les
moyens d'information.
C. B.
NOUVELLES DIVERSES
Parmi !es télégrammes espagnols d'au-
jourd'hui, il en est un qui nous inquiète
quelque peu sur l'avenir de la nouvelle, si-
tuation : c'est l'annonce que les corns do vo-
lontaires s'organisent partout. Si la chose
est vraie, le carlisme ue doit pas se tenir
de joie
Ciette résurrection déguisée des gardes
nationales servirait, en effet, doublement
ses desseins eu lui assurant, dans les cam-
pagnes, un approvisionnement gratuit de i
fusils et de munitions, et dans les grands
centres, une diversion précieuse. Si peu
d'importance qu'ait encore la faction rouge
au-delà des Pyrénées, elle compte cepen-
dant à Madrid, dans quelques ports d'An-
dalousie et surtout à Barcelone, assez
d'adhérents pour être tentée d'abuser des
armes qu'on va si imprudemment lui met -
tre aux mains, et il est aisé de compren-
dre quel parti la réaction tirerait de cet
épouvantail.
Les autres télégrammes offrent assez
peu d'intérêt. L'un, en date de Madrid, 18
février, annonce qu'un brigadier d'un es-
cadron de lanciers, en garnison à Alcaza-
de-San-Juan, ayant tenté un soulèvement
en faveur des carlistes, a été arrêté et li-
vré aux tribunaux. Le capitaine ayant ha-
rangué les troupes, celles-ci ont acclamé
la République.
Nous lisons dans un autre télégramme
en date du 19 :
M. Castelar, ministre d'Etat (affaires étran-
gères), s'occupe de la rédaction d'un mémoran-
dum dans lequel il exposera les conditions dans
lesquelles a été fondée la République espagnole.
Il fera ressortir :
1° La spontanéité de l'abdication du roi;
20 L'urgence d'établir un gouvernement, et la
légitimité du gouvernement institué par les Cor-
tès nationales ;
3° L'assurance que la République conservera
l'ordre et la liberté intérieure, et qu'elle ne se
mêlera aucunement des affaires des autres pays.
L'Assemblée continue la discussion rela-
tive à l'abolition de l'esclavage à Puerto-
Rico.
Un télégramme de New-York, 18 février,
annonce que des flibustiers ont de nou-
veau réussi à débarquer avec des armes et
des munitions à Vertientes, dans l'île de
Cuba.
——————— + •
LA COMMISSION DES TRENTE
Séance du mercredi 19 février 1875.
M. le rapporteur soumet à l'Assemblée un
projet nouveau sur l'article 4, déposé par le gou-
vernement, et un projet déposé par M. le duc
Pasquier.
M. LE PRESIDENT dépose un amendement
de M. Bérenger.
Voioi ces projets nouveaux :
Amendement de M. le duc d'Audiffret-Pasquier.
L'Assemblée nationale ne se séparera pas
avant d'avoir statué sur l'organisation et le
mode de transmission des pouvoirs publics.
Modification du gouvernement à l'amendement
de M. le duc d'Audiffret-Pasquier.
L'Assemblée nationale ne se séparera pas
sans avoir statué :
1° Sur l'organisation et le mode de transmis-
sion des pouvoirs législatif et exécutif ;
2° Sur la nature et les attributions d'une se-
conde Chambre;
3° Sur la loi électorale.
Proposition de M. Bérenger.
Supprimer le préambule.
Art. 4. — L'Assemblée nationale statuera,
avant de se séparer, sur l'organisation du gou-
vernement de la République.
Le gouvernement lui soumettra, à cet effet; le
plus promptement possible, des projets de loi
concernant : 1° et 2" (comme au projet de M. le
garde des sceaux) ; 3° l'organisation du pouvoir
exécutif et son mode de transmission.
1° Sur la composition et le mode d'élection de
l'Assemblée nationale qui remplacera l'Assem-
blée actuelle.
2° Sur la composition et le mode d'élection tt
les attributions d'une seconde Chambre.
M, Bérenger est appelé.
M. BERENGER développe son amende-
ment :
Il aurait voulu établir la monarchie constitu-
tionnelle ; il recannait que cette rouvre est im-
possible aujourd'hui à établir, il croit qu'il est
plus noble, plus patriotique de déclarer loyale-
ment que la monarchie ne peut être fondée, et
que c'est la République qu'il faut définitivement
fonder; l'Assemblée est constituante, il faut .-
qu'elle constitue la République. ,
Il supprime donc le préambule du projet..
Il demande que le gouvernement présente dêk
projets pour éviter ce chaos de projets qui vien-
draient entraver l'œuvre de la commission plutôt
que l'aider; enfin, au paragraphe 3, il demande
formellement que l'Assemblée organise pour l'a-
venir et définitivement le pouvoir exécutif.
Il ne fait nulle difficulté de reconnaître m
c'est la République qu'il veut fonder définitive-
ment, et c'est dans l'intérêt de la paix pubjjq4u^
qu'il veut procéder ainsi,
La commission décide qu'elle va djscnter 1Er
projet même de M. Bérenger.
M. DELACOUR dit qu'il voudrait adopter cet-
amendement ; mais il reconnaît qu'en deman-
dant au sein de cette commission de constituer
la République *1 n'a aucune chance de russir,
et il c^ançiç alors s'il ne serait pas possible d 1
supprimer les mots « de la République t-, en
laissant seulement les mots « erganisatis M « du
gouvernâmes. *
M- DE BROQLIE demande qw'M repousse.
çet ameneD,J.e."
M. D1\TE1 partage le sentiment expri-
mé p,ar M. Çtelacour, sur ce point, que le parti
conservateur doàt surtout désirer que les pro-
cnaiueg élections générales n'aient pas lieu sur
la question de Monarchie ou de République
mais ce pumi aamis, Il ne comprendrait pas qur
le mot de « République » fût supprimé dans 1;
texte de l amendement proposé par M. Bè' «J,"
ger, ÇAM t;:.'es là 1(6 teIjlI1. qUi distingue r, -en-
dernent des rédaction* p)qS ou moina w ues qui
auraient p
ganisation ou à la transmission du pouvoir exé-
cutif. » Pour tous ceux qui, partisane An n..jW'O-
- ----. _.L& .t'.I.LI.-
cipe de lî\ monarchie constitutionnelle, croient
actuollement cette forme de gouvernement im-
possible et se rallient à la forme républicaine il
n'y a d'autre solution franche et nette que l'adhé-
sion pure et simjtfe au texte proposé par M
Bérenger. C'est pGurquoi, personnellement il
est disposé à le voler.
M, ÎÏMMANUEL ARAGO. - La commis.
sion doit, selon moi, prendre en considération
l'amendement de M. Bérenger et le soumettre à
un sérieux exam. ^i la commission m'avait
fait 1 hMwuï. d'accepter l'amendement que j'ai
ÏWÏVVsé sur la transmission dv* pouvoir exécutif
amendement qui cousine, dan& la prorogation
des pouvoirs de M. le président de la Répu-«
blique iqu "à. l'organisation du pouvoir exéca-
tif pour la prochaine représentation national*
je ne vous demanderais rien de plus à prsent -
mais, mon Rendement r été, je préfère la ré-
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