Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-02-18
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 18 février 1873 18 février 1873
Description : 1873/02/18 (A3,N460). 1873/02/18 (A3,N460).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
as Année. SA IN0 460.
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 45 CENTIMES — DÉPARTEMENTS ÂO CENrIMES.
Mardi 18 Février 1873.
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
8adresser au Secrétaire de la Réd&etio»
de 2 heures iL minmt
2* rue Drouot..
las manuscrits non insérés seront rendus
ABONNEMENTS
PARIS
Trois 13 fr.
Six moil. 25
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DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Un «n 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
0, place de la Bourse, S
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à r Admini ;trateV
2* roc Drouot, 2
les Mires non affranchies ser&it refusées
ABONNEMENTS
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Trois mois 13 fr.
Six mois 25
On an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois H te.
Six mois 32
Un an 61
i&nnoucee, chez MM. LAGRANGE, CERF et 6*
0, place de la Bourse. 6
Nous sommes heureux d'an-
noncer à nos lecteurs que le
XIX SIÈCLE s'est assuré la colla-
boration de M. Jules Fleurichamp
pour la rédaction des articles finan-
ciers. M. Jules Fleurichamp s'est
acquis dans la monde des affaires
la réputation d'un rapporteur clair,
concis et impartial. Ces qualités
lui ont, avec le temps, acquis une
assez brillante réputation pour lui
mériter d'être tout récemment dé-
coré comme publiciste par le pré-
sident de la République.
Quoique deux correspondants
bien placés l'un et l'autre, à Madrid,
nous aient promis leur concours*
nous avons cru qu'il ne serait pas
inutile de suivre pas à pas et par
nous-mêmes les ÉVÉNEMENTS B'E8PAYE.
Un de nos collaborateurs, M.
Gragnon, qui n'est ni nouveau dans
la presse parisienne, ni médiocre-
ment apprécié du public, quitte
Paris aujourd'hui, et, si les com-
munications le permettent, nous
publierons ses lettres tous les jours.
Sous le titra :
MOUVEMENT DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ,
nous commençons aujourd hui la
publication d'une série d'articles
qui ne manquera pas d'intéresser
les amateurs et les collectionneurs.
Le voisinage de l'hô 1 el Drouot nous
invitait, pour ainsi dire, à mettre
le public au courant des mouve-
ments curieux et souvent instruc-
tifs qui se produisent dans le
commerce des objets d'art. Les
articles de M. Cantaloube paraîtront
le lundi matin, de quinzaine en
quinzaine et plus souvent, s'il y a
lieu.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 11 février 487H.
Les mutations annoncées dans les pré-
fectures ont paru dans le Journal officiel
d'hier. Deux préfets, MM. Vapereau et Gi-
rard de Rialle sont destitués pour des cau-
ses que nous ignorons. Au surplus, on
trouvera plus loin la liste de ces change-
ments, dont nous apprécions la portée dans
un autre article.
La Gazette de France nous apprend que
M. le duc de Broglie a déjà lu son rapport
à quelqués amis politiques, a Nous ne rap-
porterons pas, ajoute-t-elle, ce qu'on dit
de ce document, sinon qu'il est bien écrit
et qu'il expose dans un beau langage les
raisons qui ont déterminé la majorité de
la commission à prendre les résolutions
que l'on connaît. » Mince consolation tou-
tefois que le beau langage lorsque tant de
douces illusions se sont envolées. La Ga-
zette n'annonçait-elle pas, il y a quelques
jours, des déclarations catégoriques des
princes d'Orléans, associés désormais à la
fortune de M. le comte de Chambord et de
son drapeau ? Elles ne viennent pas et ne
sauraient venir. L'Union, moins naïve ou
plus sincère, s'emportait hier contre le
Journal de Paris, cr qui abuse quelque peu
de la bonne foi royaliste. » L' llnion, en
effet, a bientôt connu son erreur. Elle se
dit, avec un accent de mélancolie qui ne
manque pas de dignité, que « les justes
espérances gardent leur mérite et leur
constance, même quand elles se sentiraient
exposées à la déception. » Quel pendant au
sonnet d'Oronte !
On a de Madrid des nouvelles qui da-
tent du 15, et qui sont bonnes. Nous ren-
voyons pour les détails à la chronique
spéciale que nous donnons un peu plus
loin, et nous nous contentons de noter ici
une circulaire très-conservatrice et très-
ferme du ministre de l'intérieur aux gou-
verneurs civils.
Il arrive encore de l'étranger quelques
nouvelles intéressantes : on ne peut aujour-
d'hui que les mentionner sommairement.
A Vienne, le prince d'Auersperg a dé-
posé sur le bureau de la Chambre des dé-
putés les projets de loi relatifs aux élec-
tions directes pour le Reichsrath et à l'aug-
mentation du nombre des députés.
A Constantinople, Essad-Pacha est
nommé grand-vizir en remplacement de
Mehemet-Ruchdi-Pacha, destitué. Essad-
Pacha était ministre de la guerre, et c'est
Hussein-Pacha qui lui succède dans ce
poste.
En Grèce, les élections pour la Chambre
des députés viennent de s'achever paisible-
ment. La plupart des députés élus sont
favorables au gouvernement, et les princi-
paux chefs de l'opposition ont échoué dans
leurs candidatures.
L'ÉGLISE DU P. HYACINTHE
On ne se défend pas d'un sentiment
de sympathie pour ce missionnaire con-
vaincu, cet @ apôtre éloquent d'une ré-
forme chimérique, en butte, dans son
isolement, aux calomnies de ceux dont il
a osé séparer sa cause, et, ce qui est plus
douloureux peut-être, aux risées bru-
tales de la foule. Il vient, ces jours
derniers, de nous donner un curieux
spectacle, nouveauté singulière parmi
toutes les nouveautés de ce temps. « Je
mentirais aux autres et à moi, dit-
il, je mentirais à Dieu, si je disais que je
ne suis pas catholique. Je mentirais égale-
ment, si je dirais que je ne suis pas prê-
tre. » Et cet homme, qui prétend de-
meurer catholique et prêtre avec « l'obs-
tination d'un cœur meurtri, mais non
désabusé, » nous l'avons entendu
prêcher sa foi dans les assemblées pro-
testantes. « Je pouvais venir à vous,
s'est-il écrié dans le temple de l'Ora-
toire (1), comme protestant; l'âme hu-
maine a besoin d'une église plus encore
que d'une patrie, plus même que d'un
foyer : repoussé par les miens, j'eusse
été accueilli dans vos rangs, où Dieu, je le
sais, compte tant de serviteurs, où moi-
même je compte tant d'amis. Dans ce
cas, j'aurais été seul en cause et je me
serais tu. Mais c'est comme catholique
que vous m'avez appelé, comme catholi-
que et comme prêtre, — car vous ssvez
que je n'abj ure pas plus mon ordination
que mon symbole, et je me réclame de
l'une aussi énergiquement que de l'autre;
— c'est donc le sacerdoce, c'est l'Eglise
catholique qui sont venus par deux fois,
au premier et au dernier jour de vos
prières solennelles, s'asseoir avec moi
dans le cercle élargi de l'Alliance Evan-
gélique. C'est là ce que je ne crains pas
d'appeler un grand principe et un grand
fait. »
Que veut donc le P. Hyacinthe? et
quelles vérités inconnues se propose-t-il
de révéler à notre siècle? C'est aux con-
clusions que l'on courra d'abord ; peu de
mots suffisent à les résumer. L'Eglise
bienheureuse et pure que le P. Hyacin-
the entrevoit sera formée par l'intime
union des catholiques et des protestants,
mieux éclairés et revenus à la saine doc-
trine. Elle sera protestante, cette Eglise
de l'avenir, parce qu'elle aura rompu
avec toutes les fausses traditions du
passé ; mais elle sera catholique aussi,
parce que tel est son véritable nom, le
nom que lui donnait le symbole de Ni-
cée, c est-à-dire qu'elle sera une et uni-
verselle, non pas romaine ou grecque,
calviniste ou luthérienne. Dès à présent,
l'œuvre de salut nous appelle « à ébau-
cher une profession de foi que l'avenir
achèvera sans doute, résumé complet,
mais sobre, de ce que les vrais chrétiens
devront affirmer et pratiquer en com-
mun. » L'heure presse ; le christianisme
tombe en ruines. Pourquoi? Parce qu'on
a trouvé moyen « de faire mentir les
divines promesses ; » parce que « le
pharisaïsme des juifs et l'idolâtrie des
nations » ont reparu dans l'Eglise du
Christ ; parce que « la réconciliation des
pauvres et des riches ne s'est pas accom-
plie par cette égalité que prêchait l'A-
pôtre : Ut fiat oequalitas ! » Et cependant
la question religieuse, quoi que nous en
disions, est celle qui sourdement nous
divise ; les questions politiques et même
les questions sociales, auprès de celle-
ci, ne sont rien. « Il s'est formé parmi
nous deux conceptions opposées des cho-
ses, qui sont dans leur fond deux con-
ceptions dogmatiques, deux religions,
chacune à sa manière, et qui tendent
également à s'imposer aux lois, au gou-
vernement, à l'éducation, au pays tout
entier, pour y réaliser le règne "de l'a-
théisme ou de la théocratie. La France
est prise, comme dans la plus terrible
des impasses, entre une morale indépen-
dante de la religion et une religion in-
dépendante de la morale, entre la né-
gation du vrai Dieu et l'affirmation d'un
faux Dieu ! » Il faut donc que le chris-
tianisme rajeuni soit restauré sur les rui-
nes de la théocratie et de l'athéisme.
Sinon la société moderne est en péril de
mort. Mais le P. Hyacinthe est plein d'es-
pérance et de foi ; il croit que l'avenir
(1) Ceux qui voudraient lire ce discours du P.
Hyacinthe le trouveront inséré dans le n* du 15 fé-
vrier de la Revue politique et littéraire, l'excellent
recueil publié par la librairie Germer Baillière.
verra le règne de la vérité et de la justi-
ce, et que le genre humain, qui a com-
mencé avec Adam dans l'Eden, finira
dans le Millenium avec le Christ.
Nous avons admiré, en lisant ce dis-
cours, des beautés oratoires, on dirait
presque poétiques, car de nobles élans
d'imagination y tiennent lieu souvent
de dialectique, et le P. Hyacinthe ignore
ou méconnaît, comme cela est familier
aux prêtres, une partie des réalités ex-
térieures. Il est plein de force quand il
parle du catholicisme moderne, qu'il a
vu de si près et si longuement étudié;
il décrit admirablement le mal religieux
dont nous souffrons; et la preuve qu'ici
ses observations sont exactes, c'estqu'ilne
fait que répéter, dans une langue plus
vive et plus chaude, ce que l'on nous
a dit cent fois et ce que nous sentions
avant même qu'on nous l'eût dit. Mais
que propose-t-il ? et sur quelles bases
chancelantes parle-t-il d'élever un autre
édifice ? Quoi donc ! il suffira, pour ac-
complir son idéal, que protestants et ca-
tholiques se réconcilient et mettent un
terme à leurs discussions! Mais le pro-
testantisme, en notre siècle, a peu de
chose ifwwieram catholicisme ultramon-
tain; les deux Eglises sont caduques et
leurs fondateurs ne les voudraient plus
reconnaître. Qu'espérer de leur alliance?
Enlacez deux arbres stériles, en donne-
ront-ils plus de fruits? Chimères ! et ce
qui est plus chimérique encore, c'est de
rêver cette alliance impossible.
Qui la ferait ? Le P. Hyacinthe se li-
vre jusqu'ici tout seul à cette tâche ; il y
réussira moins que personne. Qu'il se
tourne vers les catholiques, vers l'Eglise
qui l'a rejeté et maudit, il reviendra
chargé par les pasteurs d'excommuni-
cations etd'anathèmes; etson nom n'ins-
pire plus à la foule dévote qu'un senti-
ment d'horreur et de mépris. Où donc
ce renégat pourra t-il trouver des disci-
ples? Quels seront ses coopérateurs?
Conserve-t-il l'illusion d'en trouver un
seul parmi les laïques, indifférents, igno-
rants ou hostiles ? En penso-t-il recruter
dans les rangs du clergé, qui le connait
mieux? Mais il ne voudrait pas des prê-
tres qui viendront à lui, s'il s'en pré-
sente, gens de mine suspecte et de mo-
ralité douteuse, comme l'abbé Junqua ou
le chanoine Mouls : le reste ne bougera
point, quelque jugement secret qu'il
porte sur les vues du réformateur; nous
n'en dirons pas les motifs, chacun les
devine, et il serait ici délicat de les ex-
poser. De quelle autorité sera revêtu
chez les protestants ce prêtre catholique
expulsé du catholicisme, lorsqu'il leur
viendra proposer un pacte d'alliance en-
tre les deux Eglises? En quel nom parle-
t-il? Où sont les garanties et le mandat ?
Les protestants parisiens l'accueillent
aujourd'hui dans leurs chapelles par cu-
riosité et par faveur; c'est un spectacle
qu'ils se donnent. Mais combien d'entre
eux le P. Hyacinthe a-t-il conquis à sa
nouvelle foi? Il se trompe, s'il croit ébran-
ler le protestantisme orthodoxe, devenu
plus gourmé, plus étroit et plus intrai-
table que ne le fut peut-être jamais le
catholicisme lui-même. Quant aux pro-
testants libéraux, moins religieux que
philosophes, qu'il accuse avec amertume
« d'hégélianisme soi-disant chrétien, »
convertira-t-il ces incrédules?
Il faut abandonner ce rêve. Les deux
grandes communions chrétiennes, puis-
que e'est ainsi qu'on les nomme, achève-
ront séparément leurs destinées; lors-
qu'elles se rencontreront, ce ne sera que
pour se combattre, comme on le voit trop
bien par ce qui se passe à cette heure
même en Allemagne et en Suisse. Quand
et comment elles noiront, nous n'avons
pas charge de le démêler ni de le prédire.
Humainement parlant, ce qui est bien
certain, c'est que les deux religions sont
en décadence. La foi a disparu et le culte
a subi des métamorphoses étranges ; ce-
pendant les ministres restent et se sont
transmis assez d'autorité et de prestige,
dans les pays catholiques surtout, pour
inquiéter la société civile, qui doit inces-
samment lutter contre l'ambition théo-
cratique. C'est, en effet, le combat de
tous les instants dont le P. Hyacinthe est
alarmé, et c'est dans ce combat que tôt
ou tard succombera le catholicisme ac-
tuel ; le protestantisme ne saurait long-
temps lui survivre. Les remplacera-t-on?
Evidemment ce temps n'est pas propice à
l'expérience de nouveaux dogmes; on
tenterait même en vain le rajeunisse-
ment des degmes anciens, et l'entreprise
des Vieux Catholiques allemands, la plus
respectable et la plus grave des tentati-
ves que l'on ait récemment connues, était
éphémère. Où prendre maintenant un
autre Rédempteur? Comparez nos mœurs,
notre esprit, à l'esprit et aux mœurs de
la société antique : les nations sont-elles
aujourd'hui ce qu'on les voyait sous Ti-
bère? Concevez-vous un Christ ou un
saint Paul enseignant les foules ? —
« Mais nous périssons, dit le P. Hya-
cinthe, entre deux blasphèmes : d'une
part une idole, de l'autre le néant ! »
Ce néant, c'est la morale humaine,
indépendante de la religion, et le Père
Hyacinthe en est troublé. Qu'y faire,
toutefois, puisque « l'idole-,, doit tomber?
Certes, nous les connaissons bien, les
imperfections de la morale humaine ;
mais elle n'est pas le néant et n'y mène
point, quoi que le Père Hyacinthe en
dise. Ses préceptes sont, pour la plu-
part, les préceptes mêmes du Décalo-
gue. Ils ont été dans la bouche des sages
depuis les quelques milliers d'années
dont on a conservé l'histoire. Que de-
mander de plus ? Un culte et une foi ?
Plusieurs croient, en effet, que cela
vaudrait mieux et que les destinées
des nations en deviendraient plus glo-
rieuses et plus belles. C'est une opinion;
la discuter serait oiseux. Les dieux
s'en vont et aucun d'entre nous ne les ra-
mènera sur la terre ; mais il nous reste
au moins les notions de vérité et de
justice qui, chez tous les peuples civili-
sés, ont réglé les actions des hommes.
— Quoi ! peut-on vivre ainsi ? dit le P.
Hyacinthe. — Il le faut bien, et, selon
nous, il vaut mieux se restreindre à ce
terre-à-terre que s'égarer dans la pour-
suite de l'impraticable et de l'inconnu.
BUGÈNB LIÉBBRT.
———————— ♦
LE mOUVEIENT PRÉFECTORAL
Deniquè, tandem I M. de Goulard a
opéré son mouvement préfectoral. Ce
n'est pas une conversion à droite, ce n'est
pas non plus, on peut le croire, une
conversion à gauche. Qu'est-ce donc,
direz-vous ? C'est une politesse de M. de
Goulard à ses amis de la droite. Rien de
plus.
Deux préfets républicains sont desti-
tués.
Deux autres sont envoyés en péniten-
ce dans des départements réputés diffi-
ciles.
Le reste n'est que mutations ou pro-
motions insignifiantes.
En somme, M. de Goulard a prenne
droit à nos sourires. Depuis six semaine
il aiguisait son grand sabre avec des airg
de croquemitaine qui nous faisaient trem-
bler. Ses amis se pourléchaient déjà les
lèvres en annonçant que M. le ministre
leur avait promis un festin pantagruéli-
que, tout composé de chair républicaine.
Et voilà qu'il ne leur en donne pas pour
leur dent creuse. Deux préfets seulement,
deux hommes du 4 septembre, quand on
s'apprêtait à mettre les petits plats dans
les grands ! Ce n'était vraiment pas la
peine de s'y mettre.
Il faut tout dire, aussi. M. de Goulard
ne demandait qu'à pourfendre les préfets
républicains ; mais il paraît que M. Thiers
lui a fait comprendre qu'un ministre de
la République ne devait pas se donner
pour unique tâche de servir les intérêts
des monarchistes ; et c'est ce qui expli-
que la discrétion relative dont a fait
preuve M. de Goulard dans ses exécu-
tions. -
Les deux préfets, mis en disponibilité
sont MM. Vapereau et Girard de Rialle.
M. Vapereau administrait, depuis le 4
septembre, le département de Tarn-et-
Garonne. M. Vapereau est un homme
instruit, modéré, mais républicain. On
se rappelle la façon menaçante dont M.
de Goulard l'a blâmé tout récemment à
la tribune, à propos des frères de Castel-
Sarrazin. Nous maintenons que dans cette
affaire, dont nous avons entretenu déjà
nos lecteurs, le préfet avait agi suivant
son devoir. Mais les sacristains n'ont pas
été de cet avis; il est bien juste que M.
de Goulard leur ait donné raison. Et puis,
j'ai beau chercher dans le Dictionnaire
des contemporains, dont M. Vapereau est
l'auteur, je ne trouve pas le nom de
l'illustre M. de Goulard. Ce sont là de
ces oublis qu'on ne pardonne pas.
M. Girard de Rialle, autre préfet du 4
septembre, administrait les Basses-Al-
pes. C'est un républicain, ami de M. Er-
nest Picard. Nous ne connaissons pas
d'autre motif à sa destitution.
M. Poubelle, préfet de l'Isère, est en-
voyé en Corse. On le livre aux bonapar-
tistes. De quel crime, grands dieux ! a-t-il
pu se rendre coupable ?
M. Doniol, le préfet de la Loire,avait con-
tre lui les pèlerins de Nantes. Ils se sont
montrés bons princes, et n'ont demandé
à M. de Goulard que son changement ;
sans doute parce qu'ils comptent recom-
mencer leurs promenades politico-ridi-
cules de l'an passé. On envoie M. Doniol
à Nancy ; on le remplace à Nantes par
M. Le Guay.
Nous n'avons pas l'honneur de con-
naître M. Le Guay, mais il nous semble
que M. Diard était l'homme qu'il fallait à
Nantes. On le nomme préfet de laDrôme.
M. Diard était un protégé de M. Cochin;
il est encore le protégé du Français et
de toutes les sacristies généralement
quelconques. Nul mieux que lui n'eût
fait les honneurs de Nantes aux pèlerins
bretons.
Les monarchistes ne seront qu'à moi-
tié satisfaits ; les républicains ne doi-
vent se montrer qu'à moitié mécontents.
Avec M. de Goulard pour ministre de
l'intérieur, ils avaient le droit de tout
craindre ; mais, par bonheur, il ne dé-
pend pas de lui seul d'organiser le gou-
FEUILLETON DU XIXe SIÈCLE
CAUSERIE DRAMATIQUE
Voici les premières lignes de la préface
de Marion de Lorme : « Cette pièce, dit
l'auteur, représentée dix-huit mois après
Hernani, fut faite trois mois auparavant.
Les deux drames ont été composés en
1829 : Marion de Lorme en juin, Hernanien
septembre. A cela près de quelques chan-
gements de détail, qui ne modifient en
rien la donnée fondamentale de l'ouvrage,
ni la nature des caractères, ni la valeur
respective des passions, ni la marche des
événements, ni même la distribution des
scènes ou l'invention des épisodes, l'au-
teur donne au public, au mois d'août 1831,
sa pièce telle qu'elle fut écrite au mois de
juin 1829. »
C'est ce drame que vient de nous resti-
tuer la Comédie-Française avec le luxe le
plus merveilleux et le soin le plus exquis.
L'intérêt excité par cette représentation
était considérable, on attendait cette soirée
avec une curiosité très-vivé.
La salle est comble. Le sentiment prin-
cipal qui domine le publie, il faut le re-
connaître, c'est le respect. On écoute reli-
gieusement les deux premiers actes, un
peu froids devant cette intensité frappante
de l'attention générale. Au troisième acte,
une phrase toute simple de Didier, em-
preinte d'une amertume mélancolique et
rêveuse, dite très-intelligemment et très
judicieusement, tout au rebours de l'indi-
eation romantique de 1831 :
Est-ce pas, que je suis bien heureux !
semble sortir de l'âme de l'art ste chargé
de l'interprétation du rôle, comme un sou-
pir qu'aucune autre forme ne saurait mieux
traduire, et va toiat droit à l'âme des spec-
tateurs. La glace est rompue : la douceur
de cette plainte discrète et pleine d'une
douleur ineffable atteint tous les cœurs,
l'émotion triomphe des préventions d'une
partie du public, venue là avec des disposi-
tions de réaction intérieure, et fraie la route
aux magnificences qui vont suivre, aux
grandeurs, nouvelles encore aujourd'hui, de
cette œuvre du plus grand génie poétique
de notre siècle.
Peut-être cet irrésistible effet de la sim-
plicité dans les grandes choses aurait-il pu
se produire plus tôt? La phrase que je cite
n'est pas la seule où l'expérience eût pu
se faire, et le clavier du poète est d'une
richesse telle que les occasions abondent.
Tous les intervalles diatoniques s'y ren-
contrent, tous les rhythmes y sont conte-
nus, toutes les nuances s'y trouvent.
Certes, tous les éléments d'une mise en
valeur complète avaient été réunis avec un
zèle ardent, un dévouement infini, une re-
ligion touchante ; mais, malgré tout cela,
l'oeuvre a vécu de sa vie propre et triom-
phé par son propre éclat. Elle a forcé l'ad-
miration plus peut être par sa puissance
virtuelle que par sa puissance effective :
l'esprit du poète y était contenu, émettant
ses vibrations comme la lumière. On sen-
tait sur tout cela je ne sais quel rayonne-
ment auquel nul ne pouvait se soustraire
et qui noyait dans ses clartés tous les
mauvais petits sentiments blottis, interdits
et honteux, dans les recoins obscurs des
esprits récalcitrants.
J'avais derrière moi à l'orchestre deux
messieurs dont la conversation peut donner
une idée des misérables sentiments qui sé-
journaient au dedans d'un certain nombre
de spectateurs, nombre fort petit, heureu-
sement, mais qui pourtant a dû gêner
quelque temps, dans les milieux où il se
trouvait réparti, le jeu naturel des impres-
sions vraies.
— Quel effet ça vous fait-il ? dit l'un au
commencement du troisième acte.
- Je trouve ça intéressant.
- Moi, ça m'agace : rien que de savoir
que c'est de Victor Hugo, ça me donne sur
les nerfs.
— Ma foi, je n'y pense pas, j'écoute et ça
ne me déplaît pas.
Celui-là n'était pas un enthousiaste,
mais il était sincère. Quant à l'autre ?.
Eh bien, il y en avait plus d'un comme
cela ; il y avait des incrédules dans la so-
ciété.
Au vers :
Le sang n'est pas une bonne rosée,
un gilet en cfeur se pencha à l'oreille
de son voisin et lui demanda si Victor
Hugo avait écrit cela avant ou après la
Commune !
S'il y a des gens charmants, intelligents
et instruits dans le monde, il y en a aussi
de bien désagréables, de bien sots et de
bien ignares.
Ces éléments discordants et inférieurs
ont pu et ont dû retarder, dans une cer-
taine mesure, l'explosion des sentiments du
public ; mais ils n'ont pu cependant l'em-
pêcher et n'ont pas tardé à se trouver com-
plètement submergés par la marée mon-
tante de l'admiration générale.
Pourtant il y a dans tout cela aussi un
sentiment honorable et dont il faut tenir
compte. Beaucoup, que les vieux préjugés
contre le romantisme, — mot de création
temporaire, et sans raison d'être aujour-
d'hui, — des préoccupations extra-littérai-
res, des préventions personnelles dispo-
saient mal à cette représentation, ont su
s'abstraire loyalement de toute considéra-
tion étrangère à la véritable question et se
sont livré3 sans réserve et en toute sincé-
rité à leurs impressions. Ils ont écouté,
passivement écouté ce haut et fier langa-
ge : ce point acquis, le reste n'était plus
douteux. Leurs bravos n'ont été, je dois
le dire, ni les derniers à se faire entendre,
ni les moins chaleureux. C'est cette bonne
foi et ce courage dans la justice qui expli-
quent ce caractère dominant de la repré-
sentation dont je parlais plus haut, je
veux dire le respect profond, presque .80.
lennel, avec lequel a été écoutée la pre-
mière moitié de ce drame, qui, en fin de
compte, n'a jamais dans aucun temps été
l'occasion d'un succès plus grand que celui
auquel nous venons d'assister.
En résumé, grande et glorieuse soirée
littéraire, véritable fête de l'intelligence,
suivant l'expression usitée en pareil cas :
la gloire du poète une fois de plus consa-
crée ; mais non accrue, car elle est tout ce
qu'elle peut être. Le succès, qui s'atta-
che à des œuvres médiocres et éphémères,
s'est emparé cette fois d'une grande œuvre;
il sera certainement très-considérable et
durable, et la Comédie-Française verra
s'accumuler les recettes miraculeuses. Que
peut-on vouloir de plus?
Je n'entreprendrai pas de rechercher si
le poète a envisagé Richelieu au point de
vue où doit se placer l'historien, et si le
Louis XIII de Marion de Lorme est au-des-
sus de toute critique. Un poète n'est pas
un photographe, et il partage avec le pein-
tre le droit d'oser - toutes - choses.
Je suis un peu sur ce point da l'avis
d'Alfred de Vigny et je crois, comme lui,
« qu'on doit s'abandonner à une grande
indifférence de la réalité historique pour
juger les œuvres dramatiques, poèmes,
romans ou tragédies qui empruntent à
l'histoire des personnages mémorables.
L'art ne doit jamais être considéré que
dans ses rapports avec sa beauté idéale. Il
faut le dire, ce qu'il y ajoute de vrai n'est
que secondaire, c'est seulement une illu-
sion de plus dont il s'embellit, un de nos
penchants qu'il caresse. Il pourrait s'en
passer, car la vérité dont il doit se nourrir
est la vérité d'observation sur la nature hu-
maine et non l'authenticité du fait. Les noms
des personnages ne font rien à la chose.
L'idée est tout. Le nom propre n'est rien
que l'exemple et la preuve de l'idée. »
Parviendrez-vous à arracher de la mé-
moire des peuples et de leurs traditions
certains jugements généraux portés sur des
personnages ou des faits historiques ?
« Nems nous récrions, dit encore M. de
Vigny ; les témoins oculaires et auriculai-
res entassent réfutations sur explications ;
les savants fouillent, feuillètent et écri-
vent; on ne les écoute pas. »
« Plus indifférente qu'on ne le pense sur
la réalité des faits, (L'humanité) cherche à
perfectionner l'événement pour lui donner
une grande signification morale. »
Qu'importe donc, au point de vue de
l'art, que la muse, comme dit Alfred de
Vigny, s'empare ainsi arbitrairement de
la légende ou du préjugé même, si l'on
veut, pourvu qu'elle conserve « la seule
chose essentielle : le génie de l'époque »
où elle a placé son action ?
Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse,quelles
que soient les montagnes de documents
qu'on amoncè'e, quels que soient les plai-
doyers, les dissertations, les preuves, les
exemples qu'on produise, rien n'enlèvera
jamais à Louis XI et à Richelieu, à la
Saint-Barthélémy et à la Terreur de 93, le
caractère indélébile imprimé à ces hom-
mes et à ces faits par la conscience hu-
maine, et consacré par l'assentiment aveu-
gle des générations successives.
Que nous importent les pensées profon-
des et les grandes visées du cardinal de
Richelieu, quand nous nous attendrissons
à l'épopée sentimentale d'une courtisane
touchée par la grâce et d'un bohème amou-
reux ?
Je lisais ces jours-ci dans les Archives
curieuses de l'histoire de France la liste
(certainement très-incomplète) des noms
de ceux qui ont esté esloignes, emprisonnez,
condamnez et suppliciez durant le ministère
du feu cardinal de Richelieu, et j'en puis
relever ce petit aperçu :
Eloignés 2t
Bannis et internés 30
Dames. 9
Emprisonnes. 82
Assassinés. 4
Suppliciés ou morts en prison. 42
Destitués avec confiscation.. 17
Comme plus des trois quarts des noms
sont pris paltmi les plus grands de France
et que je puis citer parmi les suppliciés,
par exemple, des personnages tels que : les
comte de Chalais, (un ami d'enfance de
Richelieu), comte de Bouteville et comte
des Chapelles (pour s'être battus de compa-
gnie avec La Berthe, place Royale, contre
le marquis de Beuveron, le comte Bussi
d'Amboise et Buquet, auquel duel Bussi
fut tué), maréchal de Marillac, maréchal
d'Ornano, duc de Montmorency, Cinq-
Mars, de Thou, duc de Puylaurens, duc de
la Valette (en effigie), duc de Guise (idem),
duc de Rouanez, marquise du Targis (en
effigie), vicomte de l'Estrange, etc., etc.,
on comprend l'impression qu'a dû laisser
dans le souvenir populaire la personnalité
terrible du cardinal.
Louis XI est le fondateur, — ne chica-
nons pas sur les mots, — de notre unité
politique, à laquelle Richelieu a puissam-
ment contribué. Charles IX a sauvé le
catholicisme, la Convention a restauré les
droits de l'humanité; après? Affranchirez-
vous la mémoire de ceux qui ont attaché
leur nom à ces faits énormes, raffranchirez-
vous, dis- je, de la tradition d'horreur qu'elle
traîne après soi? Est-ce que ce sont les
résultats généraux qui frappent en pareil
cas, et la grandeur du but ne disparaît-elle
pas dans l'inhumanité des moyens? De
même que les révolutions éclatent presque
toujours à propos de quelque fait senhmeu-
tal, isolé, obscur, les traditions se forment
par les impressiops que proluisent sur la
foule des faits particuliers, individuels, où
s'intéresse son sentiment, non son juge-
ment. C'est parce qu'Appius s'avisa de
vouloir mettre dans son lit une petite fille
de quinze ans, nommée Virginie, que le
peuple romain renversa le pouvoir des Dé-
cemvirs!
Ce n'est pas sur les théories abstraites
de la force primant le droit que nos hé-
roïques paysans de l'Est s'armaient et cou-
raient à la mort; mais parce qu'ils voyaient
brûler les chaumières et qu'ils entendaient
les cris déchirants des braves torturés, des
femmes, des enfants, des vieillards, froi-
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 45 CENTIMES — DÉPARTEMENTS ÂO CENrIMES.
Mardi 18 Février 1873.
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
8adresser au Secrétaire de la Réd&etio»
de 2 heures iL minmt
2* rue Drouot..
las manuscrits non insérés seront rendus
ABONNEMENTS
PARIS
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Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Un «n 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
0, place de la Bourse, S
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à r Admini ;trateV
2* roc Drouot, 2
les Mires non affranchies ser&it refusées
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Six mois 32
Un an 61
i&nnoucee, chez MM. LAGRANGE, CERF et 6*
0, place de la Bourse. 6
Nous sommes heureux d'an-
noncer à nos lecteurs que le
XIX SIÈCLE s'est assuré la colla-
boration de M. Jules Fleurichamp
pour la rédaction des articles finan-
ciers. M. Jules Fleurichamp s'est
acquis dans la monde des affaires
la réputation d'un rapporteur clair,
concis et impartial. Ces qualités
lui ont, avec le temps, acquis une
assez brillante réputation pour lui
mériter d'être tout récemment dé-
coré comme publiciste par le pré-
sident de la République.
Quoique deux correspondants
bien placés l'un et l'autre, à Madrid,
nous aient promis leur concours*
nous avons cru qu'il ne serait pas
inutile de suivre pas à pas et par
nous-mêmes les ÉVÉNEMENTS B'E8PAYE.
Un de nos collaborateurs, M.
Gragnon, qui n'est ni nouveau dans
la presse parisienne, ni médiocre-
ment apprécié du public, quitte
Paris aujourd'hui, et, si les com-
munications le permettent, nous
publierons ses lettres tous les jours.
Sous le titra :
MOUVEMENT DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ,
nous commençons aujourd hui la
publication d'une série d'articles
qui ne manquera pas d'intéresser
les amateurs et les collectionneurs.
Le voisinage de l'hô 1 el Drouot nous
invitait, pour ainsi dire, à mettre
le public au courant des mouve-
ments curieux et souvent instruc-
tifs qui se produisent dans le
commerce des objets d'art. Les
articles de M. Cantaloube paraîtront
le lundi matin, de quinzaine en
quinzaine et plus souvent, s'il y a
lieu.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 11 février 487H.
Les mutations annoncées dans les pré-
fectures ont paru dans le Journal officiel
d'hier. Deux préfets, MM. Vapereau et Gi-
rard de Rialle sont destitués pour des cau-
ses que nous ignorons. Au surplus, on
trouvera plus loin la liste de ces change-
ments, dont nous apprécions la portée dans
un autre article.
La Gazette de France nous apprend que
M. le duc de Broglie a déjà lu son rapport
à quelqués amis politiques, a Nous ne rap-
porterons pas, ajoute-t-elle, ce qu'on dit
de ce document, sinon qu'il est bien écrit
et qu'il expose dans un beau langage les
raisons qui ont déterminé la majorité de
la commission à prendre les résolutions
que l'on connaît. » Mince consolation tou-
tefois que le beau langage lorsque tant de
douces illusions se sont envolées. La Ga-
zette n'annonçait-elle pas, il y a quelques
jours, des déclarations catégoriques des
princes d'Orléans, associés désormais à la
fortune de M. le comte de Chambord et de
son drapeau ? Elles ne viennent pas et ne
sauraient venir. L'Union, moins naïve ou
plus sincère, s'emportait hier contre le
Journal de Paris, cr qui abuse quelque peu
de la bonne foi royaliste. » L' llnion, en
effet, a bientôt connu son erreur. Elle se
dit, avec un accent de mélancolie qui ne
manque pas de dignité, que « les justes
espérances gardent leur mérite et leur
constance, même quand elles se sentiraient
exposées à la déception. » Quel pendant au
sonnet d'Oronte !
On a de Madrid des nouvelles qui da-
tent du 15, et qui sont bonnes. Nous ren-
voyons pour les détails à la chronique
spéciale que nous donnons un peu plus
loin, et nous nous contentons de noter ici
une circulaire très-conservatrice et très-
ferme du ministre de l'intérieur aux gou-
verneurs civils.
Il arrive encore de l'étranger quelques
nouvelles intéressantes : on ne peut aujour-
d'hui que les mentionner sommairement.
A Vienne, le prince d'Auersperg a dé-
posé sur le bureau de la Chambre des dé-
putés les projets de loi relatifs aux élec-
tions directes pour le Reichsrath et à l'aug-
mentation du nombre des députés.
A Constantinople, Essad-Pacha est
nommé grand-vizir en remplacement de
Mehemet-Ruchdi-Pacha, destitué. Essad-
Pacha était ministre de la guerre, et c'est
Hussein-Pacha qui lui succède dans ce
poste.
En Grèce, les élections pour la Chambre
des députés viennent de s'achever paisible-
ment. La plupart des députés élus sont
favorables au gouvernement, et les princi-
paux chefs de l'opposition ont échoué dans
leurs candidatures.
L'ÉGLISE DU P. HYACINTHE
On ne se défend pas d'un sentiment
de sympathie pour ce missionnaire con-
vaincu, cet @ apôtre éloquent d'une ré-
forme chimérique, en butte, dans son
isolement, aux calomnies de ceux dont il
a osé séparer sa cause, et, ce qui est plus
douloureux peut-être, aux risées bru-
tales de la foule. Il vient, ces jours
derniers, de nous donner un curieux
spectacle, nouveauté singulière parmi
toutes les nouveautés de ce temps. « Je
mentirais aux autres et à moi, dit-
il, je mentirais à Dieu, si je disais que je
ne suis pas catholique. Je mentirais égale-
ment, si je dirais que je ne suis pas prê-
tre. » Et cet homme, qui prétend de-
meurer catholique et prêtre avec « l'obs-
tination d'un cœur meurtri, mais non
désabusé, » nous l'avons entendu
prêcher sa foi dans les assemblées pro-
testantes. « Je pouvais venir à vous,
s'est-il écrié dans le temple de l'Ora-
toire (1), comme protestant; l'âme hu-
maine a besoin d'une église plus encore
que d'une patrie, plus même que d'un
foyer : repoussé par les miens, j'eusse
été accueilli dans vos rangs, où Dieu, je le
sais, compte tant de serviteurs, où moi-
même je compte tant d'amis. Dans ce
cas, j'aurais été seul en cause et je me
serais tu. Mais c'est comme catholique
que vous m'avez appelé, comme catholi-
que et comme prêtre, — car vous ssvez
que je n'abj ure pas plus mon ordination
que mon symbole, et je me réclame de
l'une aussi énergiquement que de l'autre;
— c'est donc le sacerdoce, c'est l'Eglise
catholique qui sont venus par deux fois,
au premier et au dernier jour de vos
prières solennelles, s'asseoir avec moi
dans le cercle élargi de l'Alliance Evan-
gélique. C'est là ce que je ne crains pas
d'appeler un grand principe et un grand
fait. »
Que veut donc le P. Hyacinthe? et
quelles vérités inconnues se propose-t-il
de révéler à notre siècle? C'est aux con-
clusions que l'on courra d'abord ; peu de
mots suffisent à les résumer. L'Eglise
bienheureuse et pure que le P. Hyacin-
the entrevoit sera formée par l'intime
union des catholiques et des protestants,
mieux éclairés et revenus à la saine doc-
trine. Elle sera protestante, cette Eglise
de l'avenir, parce qu'elle aura rompu
avec toutes les fausses traditions du
passé ; mais elle sera catholique aussi,
parce que tel est son véritable nom, le
nom que lui donnait le symbole de Ni-
cée, c est-à-dire qu'elle sera une et uni-
verselle, non pas romaine ou grecque,
calviniste ou luthérienne. Dès à présent,
l'œuvre de salut nous appelle « à ébau-
cher une profession de foi que l'avenir
achèvera sans doute, résumé complet,
mais sobre, de ce que les vrais chrétiens
devront affirmer et pratiquer en com-
mun. » L'heure presse ; le christianisme
tombe en ruines. Pourquoi? Parce qu'on
a trouvé moyen « de faire mentir les
divines promesses ; » parce que « le
pharisaïsme des juifs et l'idolâtrie des
nations » ont reparu dans l'Eglise du
Christ ; parce que « la réconciliation des
pauvres et des riches ne s'est pas accom-
plie par cette égalité que prêchait l'A-
pôtre : Ut fiat oequalitas ! » Et cependant
la question religieuse, quoi que nous en
disions, est celle qui sourdement nous
divise ; les questions politiques et même
les questions sociales, auprès de celle-
ci, ne sont rien. « Il s'est formé parmi
nous deux conceptions opposées des cho-
ses, qui sont dans leur fond deux con-
ceptions dogmatiques, deux religions,
chacune à sa manière, et qui tendent
également à s'imposer aux lois, au gou-
vernement, à l'éducation, au pays tout
entier, pour y réaliser le règne "de l'a-
théisme ou de la théocratie. La France
est prise, comme dans la plus terrible
des impasses, entre une morale indépen-
dante de la religion et une religion in-
dépendante de la morale, entre la né-
gation du vrai Dieu et l'affirmation d'un
faux Dieu ! » Il faut donc que le chris-
tianisme rajeuni soit restauré sur les rui-
nes de la théocratie et de l'athéisme.
Sinon la société moderne est en péril de
mort. Mais le P. Hyacinthe est plein d'es-
pérance et de foi ; il croit que l'avenir
(1) Ceux qui voudraient lire ce discours du P.
Hyacinthe le trouveront inséré dans le n* du 15 fé-
vrier de la Revue politique et littéraire, l'excellent
recueil publié par la librairie Germer Baillière.
verra le règne de la vérité et de la justi-
ce, et que le genre humain, qui a com-
mencé avec Adam dans l'Eden, finira
dans le Millenium avec le Christ.
Nous avons admiré, en lisant ce dis-
cours, des beautés oratoires, on dirait
presque poétiques, car de nobles élans
d'imagination y tiennent lieu souvent
de dialectique, et le P. Hyacinthe ignore
ou méconnaît, comme cela est familier
aux prêtres, une partie des réalités ex-
térieures. Il est plein de force quand il
parle du catholicisme moderne, qu'il a
vu de si près et si longuement étudié;
il décrit admirablement le mal religieux
dont nous souffrons; et la preuve qu'ici
ses observations sont exactes, c'estqu'ilne
fait que répéter, dans une langue plus
vive et plus chaude, ce que l'on nous
a dit cent fois et ce que nous sentions
avant même qu'on nous l'eût dit. Mais
que propose-t-il ? et sur quelles bases
chancelantes parle-t-il d'élever un autre
édifice ? Quoi donc ! il suffira, pour ac-
complir son idéal, que protestants et ca-
tholiques se réconcilient et mettent un
terme à leurs discussions! Mais le pro-
testantisme, en notre siècle, a peu de
chose ifwwieram catholicisme ultramon-
tain; les deux Eglises sont caduques et
leurs fondateurs ne les voudraient plus
reconnaître. Qu'espérer de leur alliance?
Enlacez deux arbres stériles, en donne-
ront-ils plus de fruits? Chimères ! et ce
qui est plus chimérique encore, c'est de
rêver cette alliance impossible.
Qui la ferait ? Le P. Hyacinthe se li-
vre jusqu'ici tout seul à cette tâche ; il y
réussira moins que personne. Qu'il se
tourne vers les catholiques, vers l'Eglise
qui l'a rejeté et maudit, il reviendra
chargé par les pasteurs d'excommuni-
cations etd'anathèmes; etson nom n'ins-
pire plus à la foule dévote qu'un senti-
ment d'horreur et de mépris. Où donc
ce renégat pourra t-il trouver des disci-
ples? Quels seront ses coopérateurs?
Conserve-t-il l'illusion d'en trouver un
seul parmi les laïques, indifférents, igno-
rants ou hostiles ? En penso-t-il recruter
dans les rangs du clergé, qui le connait
mieux? Mais il ne voudrait pas des prê-
tres qui viendront à lui, s'il s'en pré-
sente, gens de mine suspecte et de mo-
ralité douteuse, comme l'abbé Junqua ou
le chanoine Mouls : le reste ne bougera
point, quelque jugement secret qu'il
porte sur les vues du réformateur; nous
n'en dirons pas les motifs, chacun les
devine, et il serait ici délicat de les ex-
poser. De quelle autorité sera revêtu
chez les protestants ce prêtre catholique
expulsé du catholicisme, lorsqu'il leur
viendra proposer un pacte d'alliance en-
tre les deux Eglises? En quel nom parle-
t-il? Où sont les garanties et le mandat ?
Les protestants parisiens l'accueillent
aujourd'hui dans leurs chapelles par cu-
riosité et par faveur; c'est un spectacle
qu'ils se donnent. Mais combien d'entre
eux le P. Hyacinthe a-t-il conquis à sa
nouvelle foi? Il se trompe, s'il croit ébran-
ler le protestantisme orthodoxe, devenu
plus gourmé, plus étroit et plus intrai-
table que ne le fut peut-être jamais le
catholicisme lui-même. Quant aux pro-
testants libéraux, moins religieux que
philosophes, qu'il accuse avec amertume
« d'hégélianisme soi-disant chrétien, »
convertira-t-il ces incrédules?
Il faut abandonner ce rêve. Les deux
grandes communions chrétiennes, puis-
que e'est ainsi qu'on les nomme, achève-
ront séparément leurs destinées; lors-
qu'elles se rencontreront, ce ne sera que
pour se combattre, comme on le voit trop
bien par ce qui se passe à cette heure
même en Allemagne et en Suisse. Quand
et comment elles noiront, nous n'avons
pas charge de le démêler ni de le prédire.
Humainement parlant, ce qui est bien
certain, c'est que les deux religions sont
en décadence. La foi a disparu et le culte
a subi des métamorphoses étranges ; ce-
pendant les ministres restent et se sont
transmis assez d'autorité et de prestige,
dans les pays catholiques surtout, pour
inquiéter la société civile, qui doit inces-
samment lutter contre l'ambition théo-
cratique. C'est, en effet, le combat de
tous les instants dont le P. Hyacinthe est
alarmé, et c'est dans ce combat que tôt
ou tard succombera le catholicisme ac-
tuel ; le protestantisme ne saurait long-
temps lui survivre. Les remplacera-t-on?
Evidemment ce temps n'est pas propice à
l'expérience de nouveaux dogmes; on
tenterait même en vain le rajeunisse-
ment des degmes anciens, et l'entreprise
des Vieux Catholiques allemands, la plus
respectable et la plus grave des tentati-
ves que l'on ait récemment connues, était
éphémère. Où prendre maintenant un
autre Rédempteur? Comparez nos mœurs,
notre esprit, à l'esprit et aux mœurs de
la société antique : les nations sont-elles
aujourd'hui ce qu'on les voyait sous Ti-
bère? Concevez-vous un Christ ou un
saint Paul enseignant les foules ? —
« Mais nous périssons, dit le P. Hya-
cinthe, entre deux blasphèmes : d'une
part une idole, de l'autre le néant ! »
Ce néant, c'est la morale humaine,
indépendante de la religion, et le Père
Hyacinthe en est troublé. Qu'y faire,
toutefois, puisque « l'idole-,, doit tomber?
Certes, nous les connaissons bien, les
imperfections de la morale humaine ;
mais elle n'est pas le néant et n'y mène
point, quoi que le Père Hyacinthe en
dise. Ses préceptes sont, pour la plu-
part, les préceptes mêmes du Décalo-
gue. Ils ont été dans la bouche des sages
depuis les quelques milliers d'années
dont on a conservé l'histoire. Que de-
mander de plus ? Un culte et une foi ?
Plusieurs croient, en effet, que cela
vaudrait mieux et que les destinées
des nations en deviendraient plus glo-
rieuses et plus belles. C'est une opinion;
la discuter serait oiseux. Les dieux
s'en vont et aucun d'entre nous ne les ra-
mènera sur la terre ; mais il nous reste
au moins les notions de vérité et de
justice qui, chez tous les peuples civili-
sés, ont réglé les actions des hommes.
— Quoi ! peut-on vivre ainsi ? dit le P.
Hyacinthe. — Il le faut bien, et, selon
nous, il vaut mieux se restreindre à ce
terre-à-terre que s'égarer dans la pour-
suite de l'impraticable et de l'inconnu.
BUGÈNB LIÉBBRT.
———————— ♦
LE mOUVEIENT PRÉFECTORAL
Deniquè, tandem I M. de Goulard a
opéré son mouvement préfectoral. Ce
n'est pas une conversion à droite, ce n'est
pas non plus, on peut le croire, une
conversion à gauche. Qu'est-ce donc,
direz-vous ? C'est une politesse de M. de
Goulard à ses amis de la droite. Rien de
plus.
Deux préfets républicains sont desti-
tués.
Deux autres sont envoyés en péniten-
ce dans des départements réputés diffi-
ciles.
Le reste n'est que mutations ou pro-
motions insignifiantes.
En somme, M. de Goulard a prenne
droit à nos sourires. Depuis six semaine
il aiguisait son grand sabre avec des airg
de croquemitaine qui nous faisaient trem-
bler. Ses amis se pourléchaient déjà les
lèvres en annonçant que M. le ministre
leur avait promis un festin pantagruéli-
que, tout composé de chair républicaine.
Et voilà qu'il ne leur en donne pas pour
leur dent creuse. Deux préfets seulement,
deux hommes du 4 septembre, quand on
s'apprêtait à mettre les petits plats dans
les grands ! Ce n'était vraiment pas la
peine de s'y mettre.
Il faut tout dire, aussi. M. de Goulard
ne demandait qu'à pourfendre les préfets
républicains ; mais il paraît que M. Thiers
lui a fait comprendre qu'un ministre de
la République ne devait pas se donner
pour unique tâche de servir les intérêts
des monarchistes ; et c'est ce qui expli-
que la discrétion relative dont a fait
preuve M. de Goulard dans ses exécu-
tions. -
Les deux préfets, mis en disponibilité
sont MM. Vapereau et Girard de Rialle.
M. Vapereau administrait, depuis le 4
septembre, le département de Tarn-et-
Garonne. M. Vapereau est un homme
instruit, modéré, mais républicain. On
se rappelle la façon menaçante dont M.
de Goulard l'a blâmé tout récemment à
la tribune, à propos des frères de Castel-
Sarrazin. Nous maintenons que dans cette
affaire, dont nous avons entretenu déjà
nos lecteurs, le préfet avait agi suivant
son devoir. Mais les sacristains n'ont pas
été de cet avis; il est bien juste que M.
de Goulard leur ait donné raison. Et puis,
j'ai beau chercher dans le Dictionnaire
des contemporains, dont M. Vapereau est
l'auteur, je ne trouve pas le nom de
l'illustre M. de Goulard. Ce sont là de
ces oublis qu'on ne pardonne pas.
M. Girard de Rialle, autre préfet du 4
septembre, administrait les Basses-Al-
pes. C'est un républicain, ami de M. Er-
nest Picard. Nous ne connaissons pas
d'autre motif à sa destitution.
M. Poubelle, préfet de l'Isère, est en-
voyé en Corse. On le livre aux bonapar-
tistes. De quel crime, grands dieux ! a-t-il
pu se rendre coupable ?
M. Doniol, le préfet de la Loire,avait con-
tre lui les pèlerins de Nantes. Ils se sont
montrés bons princes, et n'ont demandé
à M. de Goulard que son changement ;
sans doute parce qu'ils comptent recom-
mencer leurs promenades politico-ridi-
cules de l'an passé. On envoie M. Doniol
à Nancy ; on le remplace à Nantes par
M. Le Guay.
Nous n'avons pas l'honneur de con-
naître M. Le Guay, mais il nous semble
que M. Diard était l'homme qu'il fallait à
Nantes. On le nomme préfet de laDrôme.
M. Diard était un protégé de M. Cochin;
il est encore le protégé du Français et
de toutes les sacristies généralement
quelconques. Nul mieux que lui n'eût
fait les honneurs de Nantes aux pèlerins
bretons.
Les monarchistes ne seront qu'à moi-
tié satisfaits ; les républicains ne doi-
vent se montrer qu'à moitié mécontents.
Avec M. de Goulard pour ministre de
l'intérieur, ils avaient le droit de tout
craindre ; mais, par bonheur, il ne dé-
pend pas de lui seul d'organiser le gou-
FEUILLETON DU XIXe SIÈCLE
CAUSERIE DRAMATIQUE
Voici les premières lignes de la préface
de Marion de Lorme : « Cette pièce, dit
l'auteur, représentée dix-huit mois après
Hernani, fut faite trois mois auparavant.
Les deux drames ont été composés en
1829 : Marion de Lorme en juin, Hernanien
septembre. A cela près de quelques chan-
gements de détail, qui ne modifient en
rien la donnée fondamentale de l'ouvrage,
ni la nature des caractères, ni la valeur
respective des passions, ni la marche des
événements, ni même la distribution des
scènes ou l'invention des épisodes, l'au-
teur donne au public, au mois d'août 1831,
sa pièce telle qu'elle fut écrite au mois de
juin 1829. »
C'est ce drame que vient de nous resti-
tuer la Comédie-Française avec le luxe le
plus merveilleux et le soin le plus exquis.
L'intérêt excité par cette représentation
était considérable, on attendait cette soirée
avec une curiosité très-vivé.
La salle est comble. Le sentiment prin-
cipal qui domine le publie, il faut le re-
connaître, c'est le respect. On écoute reli-
gieusement les deux premiers actes, un
peu froids devant cette intensité frappante
de l'attention générale. Au troisième acte,
une phrase toute simple de Didier, em-
preinte d'une amertume mélancolique et
rêveuse, dite très-intelligemment et très
judicieusement, tout au rebours de l'indi-
eation romantique de 1831 :
Est-ce pas, que je suis bien heureux !
semble sortir de l'âme de l'art ste chargé
de l'interprétation du rôle, comme un sou-
pir qu'aucune autre forme ne saurait mieux
traduire, et va toiat droit à l'âme des spec-
tateurs. La glace est rompue : la douceur
de cette plainte discrète et pleine d'une
douleur ineffable atteint tous les cœurs,
l'émotion triomphe des préventions d'une
partie du public, venue là avec des disposi-
tions de réaction intérieure, et fraie la route
aux magnificences qui vont suivre, aux
grandeurs, nouvelles encore aujourd'hui, de
cette œuvre du plus grand génie poétique
de notre siècle.
Peut-être cet irrésistible effet de la sim-
plicité dans les grandes choses aurait-il pu
se produire plus tôt? La phrase que je cite
n'est pas la seule où l'expérience eût pu
se faire, et le clavier du poète est d'une
richesse telle que les occasions abondent.
Tous les intervalles diatoniques s'y ren-
contrent, tous les rhythmes y sont conte-
nus, toutes les nuances s'y trouvent.
Certes, tous les éléments d'une mise en
valeur complète avaient été réunis avec un
zèle ardent, un dévouement infini, une re-
ligion touchante ; mais, malgré tout cela,
l'oeuvre a vécu de sa vie propre et triom-
phé par son propre éclat. Elle a forcé l'ad-
miration plus peut être par sa puissance
virtuelle que par sa puissance effective :
l'esprit du poète y était contenu, émettant
ses vibrations comme la lumière. On sen-
tait sur tout cela je ne sais quel rayonne-
ment auquel nul ne pouvait se soustraire
et qui noyait dans ses clartés tous les
mauvais petits sentiments blottis, interdits
et honteux, dans les recoins obscurs des
esprits récalcitrants.
J'avais derrière moi à l'orchestre deux
messieurs dont la conversation peut donner
une idée des misérables sentiments qui sé-
journaient au dedans d'un certain nombre
de spectateurs, nombre fort petit, heureu-
sement, mais qui pourtant a dû gêner
quelque temps, dans les milieux où il se
trouvait réparti, le jeu naturel des impres-
sions vraies.
— Quel effet ça vous fait-il ? dit l'un au
commencement du troisième acte.
- Je trouve ça intéressant.
- Moi, ça m'agace : rien que de savoir
que c'est de Victor Hugo, ça me donne sur
les nerfs.
— Ma foi, je n'y pense pas, j'écoute et ça
ne me déplaît pas.
Celui-là n'était pas un enthousiaste,
mais il était sincère. Quant à l'autre ?.
Eh bien, il y en avait plus d'un comme
cela ; il y avait des incrédules dans la so-
ciété.
Au vers :
Le sang n'est pas une bonne rosée,
un gilet en cfeur se pencha à l'oreille
de son voisin et lui demanda si Victor
Hugo avait écrit cela avant ou après la
Commune !
S'il y a des gens charmants, intelligents
et instruits dans le monde, il y en a aussi
de bien désagréables, de bien sots et de
bien ignares.
Ces éléments discordants et inférieurs
ont pu et ont dû retarder, dans une cer-
taine mesure, l'explosion des sentiments du
public ; mais ils n'ont pu cependant l'em-
pêcher et n'ont pas tardé à se trouver com-
plètement submergés par la marée mon-
tante de l'admiration générale.
Pourtant il y a dans tout cela aussi un
sentiment honorable et dont il faut tenir
compte. Beaucoup, que les vieux préjugés
contre le romantisme, — mot de création
temporaire, et sans raison d'être aujour-
d'hui, — des préoccupations extra-littérai-
res, des préventions personnelles dispo-
saient mal à cette représentation, ont su
s'abstraire loyalement de toute considéra-
tion étrangère à la véritable question et se
sont livré3 sans réserve et en toute sincé-
rité à leurs impressions. Ils ont écouté,
passivement écouté ce haut et fier langa-
ge : ce point acquis, le reste n'était plus
douteux. Leurs bravos n'ont été, je dois
le dire, ni les derniers à se faire entendre,
ni les moins chaleureux. C'est cette bonne
foi et ce courage dans la justice qui expli-
quent ce caractère dominant de la repré-
sentation dont je parlais plus haut, je
veux dire le respect profond, presque .80.
lennel, avec lequel a été écoutée la pre-
mière moitié de ce drame, qui, en fin de
compte, n'a jamais dans aucun temps été
l'occasion d'un succès plus grand que celui
auquel nous venons d'assister.
En résumé, grande et glorieuse soirée
littéraire, véritable fête de l'intelligence,
suivant l'expression usitée en pareil cas :
la gloire du poète une fois de plus consa-
crée ; mais non accrue, car elle est tout ce
qu'elle peut être. Le succès, qui s'atta-
che à des œuvres médiocres et éphémères,
s'est emparé cette fois d'une grande œuvre;
il sera certainement très-considérable et
durable, et la Comédie-Française verra
s'accumuler les recettes miraculeuses. Que
peut-on vouloir de plus?
Je n'entreprendrai pas de rechercher si
le poète a envisagé Richelieu au point de
vue où doit se placer l'historien, et si le
Louis XIII de Marion de Lorme est au-des-
sus de toute critique. Un poète n'est pas
un photographe, et il partage avec le pein-
tre le droit d'oser - toutes - choses.
Je suis un peu sur ce point da l'avis
d'Alfred de Vigny et je crois, comme lui,
« qu'on doit s'abandonner à une grande
indifférence de la réalité historique pour
juger les œuvres dramatiques, poèmes,
romans ou tragédies qui empruntent à
l'histoire des personnages mémorables.
L'art ne doit jamais être considéré que
dans ses rapports avec sa beauté idéale. Il
faut le dire, ce qu'il y ajoute de vrai n'est
que secondaire, c'est seulement une illu-
sion de plus dont il s'embellit, un de nos
penchants qu'il caresse. Il pourrait s'en
passer, car la vérité dont il doit se nourrir
est la vérité d'observation sur la nature hu-
maine et non l'authenticité du fait. Les noms
des personnages ne font rien à la chose.
L'idée est tout. Le nom propre n'est rien
que l'exemple et la preuve de l'idée. »
Parviendrez-vous à arracher de la mé-
moire des peuples et de leurs traditions
certains jugements généraux portés sur des
personnages ou des faits historiques ?
« Nems nous récrions, dit encore M. de
Vigny ; les témoins oculaires et auriculai-
res entassent réfutations sur explications ;
les savants fouillent, feuillètent et écri-
vent; on ne les écoute pas. »
« Plus indifférente qu'on ne le pense sur
la réalité des faits, (L'humanité) cherche à
perfectionner l'événement pour lui donner
une grande signification morale. »
Qu'importe donc, au point de vue de
l'art, que la muse, comme dit Alfred de
Vigny, s'empare ainsi arbitrairement de
la légende ou du préjugé même, si l'on
veut, pourvu qu'elle conserve « la seule
chose essentielle : le génie de l'époque »
où elle a placé son action ?
Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse,quelles
que soient les montagnes de documents
qu'on amoncè'e, quels que soient les plai-
doyers, les dissertations, les preuves, les
exemples qu'on produise, rien n'enlèvera
jamais à Louis XI et à Richelieu, à la
Saint-Barthélémy et à la Terreur de 93, le
caractère indélébile imprimé à ces hom-
mes et à ces faits par la conscience hu-
maine, et consacré par l'assentiment aveu-
gle des générations successives.
Que nous importent les pensées profon-
des et les grandes visées du cardinal de
Richelieu, quand nous nous attendrissons
à l'épopée sentimentale d'une courtisane
touchée par la grâce et d'un bohème amou-
reux ?
Je lisais ces jours-ci dans les Archives
curieuses de l'histoire de France la liste
(certainement très-incomplète) des noms
de ceux qui ont esté esloignes, emprisonnez,
condamnez et suppliciez durant le ministère
du feu cardinal de Richelieu, et j'en puis
relever ce petit aperçu :
Eloignés 2t
Bannis et internés 30
Dames. 9
Emprisonnes. 82
Assassinés. 4
Suppliciés ou morts en prison. 42
Destitués avec confiscation.. 17
Comme plus des trois quarts des noms
sont pris paltmi les plus grands de France
et que je puis citer parmi les suppliciés,
par exemple, des personnages tels que : les
comte de Chalais, (un ami d'enfance de
Richelieu), comte de Bouteville et comte
des Chapelles (pour s'être battus de compa-
gnie avec La Berthe, place Royale, contre
le marquis de Beuveron, le comte Bussi
d'Amboise et Buquet, auquel duel Bussi
fut tué), maréchal de Marillac, maréchal
d'Ornano, duc de Montmorency, Cinq-
Mars, de Thou, duc de Puylaurens, duc de
la Valette (en effigie), duc de Guise (idem),
duc de Rouanez, marquise du Targis (en
effigie), vicomte de l'Estrange, etc., etc.,
on comprend l'impression qu'a dû laisser
dans le souvenir populaire la personnalité
terrible du cardinal.
Louis XI est le fondateur, — ne chica-
nons pas sur les mots, — de notre unité
politique, à laquelle Richelieu a puissam-
ment contribué. Charles IX a sauvé le
catholicisme, la Convention a restauré les
droits de l'humanité; après? Affranchirez-
vous la mémoire de ceux qui ont attaché
leur nom à ces faits énormes, raffranchirez-
vous, dis- je, de la tradition d'horreur qu'elle
traîne après soi? Est-ce que ce sont les
résultats généraux qui frappent en pareil
cas, et la grandeur du but ne disparaît-elle
pas dans l'inhumanité des moyens? De
même que les révolutions éclatent presque
toujours à propos de quelque fait senhmeu-
tal, isolé, obscur, les traditions se forment
par les impressiops que proluisent sur la
foule des faits particuliers, individuels, où
s'intéresse son sentiment, non son juge-
ment. C'est parce qu'Appius s'avisa de
vouloir mettre dans son lit une petite fille
de quinze ans, nommée Virginie, que le
peuple romain renversa le pouvoir des Dé-
cemvirs!
Ce n'est pas sur les théories abstraites
de la force primant le droit que nos hé-
roïques paysans de l'Est s'armaient et cou-
raient à la mort; mais parce qu'ils voyaient
brûler les chaumières et qu'ils entendaient
les cris déchirants des braves torturés, des
femmes, des enfants, des vieillards, froi-
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