Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-02-08
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 08 février 1873 08 février 1873
Description : 1873/02/08 (A3,N450). 1873/02/08 (A3,N450).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
3s Année. — N° 450.
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Samedi 8 Février 1873.
E SIÈCLE
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
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de 2 heures à minuit
2p rue Drouot, 2
tes manuscrits non insérés seront rendus
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois .« 13 fr.
Six mois.t.. 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et C*
6, place de la Bourse, 6
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Les lettres non affranchies seront refuséet
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JOUJfflÉE POLITIQUE
Paris, le 7 février 4875.
A la Bourse d'hier, les fonds publics ont
monté de 70 et 75 centimes. Nous n'avons
nul dessein de triompher de cette hausse
ni de vanter l'accueil que fait la Bourse
aux déclarations de M. Thiers ; mais il est
peut-être permis d'opposer cette simple
remarque aux considérations de politique
financière qu'on trouvait, tous ces der-
niers jours, dans les feuilles d'opposition.
En résumé, le langage dont s'est servi M.
le président de la République a produit un
effet très-grand et très-heureux. Vous ne
rencontrerez presque partout (nous excep-
tons, bien entendu, les intraitables enne-
mis du gouvernement) que de vives expres-
sions de confiance; et tel est le mouvement
de l'opinion, que l'on annonce déjà de tou-
tes parts l'adoption par la commission des
trente du projet présidentiel. Treize mem-
bres seulement, dit-on, persévéreraient
dans leur résistance, et les dix-sept autres,
s'avouant vaincus ou convaincus, se renr
draient d'assez bonne grâce aux raisons
que M. Thiers a développées.
C'est dumoiL'S ce qui se répète, et, sans
garantir l'authenticité de ces nouvelles,
nous ne trouvons pas qu'il y ait lieu d'en
être surpris. On fait contre fortune bon
cœur et bravement l'on se jette à l'eau
parce qu'on sait bien qu'il faudra toujours
s'y jeter. IL n'y a que les ennemis person-
nels et violents du président de la Répu-
blique, trop compromis pour reculer, qui
préféreraient courir le risque d'un appel à
l'Assemblée entière et la charger de se pro-
noncer entre M. Thiers et eux. Voilà pour
quelles; raisons il paraît vraisemblable que
la majorité des trente va se montrer accom-
modante. Déjà les journaux réactionnaires
cherchent à expliquer ou à masquer cette
défaite. C'est le président, à les entendre,
qui se range à l'avis de la commission. Si
cela leur plaît, nous le voulons bien ; les
conséquences n'en seront point changées,
et nous ne sommes pas de ceux qui re-
nieraient leur politique si le Français ou
la Patrie assuraient qu'elle leur convient.
Ajoutons toutefois que ces feuilles et
quelques autres se rejettent surtout sur lia,
réforme du suffrage universel que M. Thiers
aurait promise. La Patrie, qui est bonai-
partiste, croit déjà pouvoir espérer « un
remaniement, dans le sens conservateur,
de l'organisation du suffrage universel. ?
Cela servirait son parti, dit-elle, « le jour
où, M. Thiers s'affaiblissant et la Répu-
blique périclitant, il faudra enfin consti-
tuer un pouvoir durable. » Qui en douterait?
Voilà qui indiquera à M. Thiers un côté
défectueux de ses déclarations, puisqu'on
peut ainsi les interpréter; le chapitre du
suffrage universel est, en effet, celui où il
s'est montré le moins précis dans les dé-
tails, et le Temps critiquait hier ce passage
de son discours, souvent avec justesse, par-
fois peut-être avec trop de vivacité. Ce qu'il
ne faut pas perdre de vue, c'est que nous
n'en possédons pas le texte exact. Mais
que la Patrie n'oublie point que tous les
comptes-rendus que l'on a publiés con-
tiennent également le passage où M. Thiers
avoue « que la loi du 31 mai avait mis
une arme terrible dans les mains de l'hom-
me qui rétablit le despotisme en France. »
Attendons le projet de loi, et tenons pour
certain qu'après ces paroles ce n'est pas au
rétablissement de la loi du 31 mai que le
gouvernement se propose de concourir.
Un certain nombre de journaux monar-
chiques annoncent, depuis deux ou trois
jours, que le discours de M. d'Audif-
fret-Pasquier sur les marchés de Lyon,
tiré à cent mille exemplaires, « par l.s
- soins d'un comité conservateur qui s'orga-
niserait ad hoc, » va être envoyé et distri-
bué dans toutes les communes de France.
Ce sont les feuilles bonapartistes surtout
qui propagent cette bonne idée, et l'une
d'elles en conçoit" tant de joie qu'elle y est
revenue deux jours de suite aux « derniè-
res nouvelles ». Sans doute, le discours des
marchés lyonnais console ce parti de l'ancien
discours sur les dilapidations de l'empire;
l'un pourtant ne détruit pas l'autre. Mais
la seule observation que nous voulions
faire, c'est que la distribution dont on es-
père tant de satisfaction et de reconfort a
été d'avance interdite par circulaire de M.
de Goulard. Nous avons blâmé cette circu-
laire, quand d'autres y applaudissaient. In-
terprétant à sa façon la législation du colr
portage, le ministre ne permet point que
l'on distribue des discours de députés, même
du centre droit ou de la droite, si l'Assem-
blée, par un vote spécial, n'en a ordonné
l'impression. C'est une mesure que nous
trouvons fort regrettable ; mais elle existe
eufin, et nous n'en sommes pas les auteurs.
Ceux qui ont approuvé et admiré naguère
la politique de M. de Goulard voudraient-
ils maintenant le faire revenir sur ses pre-
mières instructions? Qu'ils le disent; la
presse libérale leur offrira, avec un vrai
plaisir, son concours pour cette campagne.
C'était hier l'ouverture du Parlement an-
glais. Rien ne frappe les yeux dans le
discours royal. On y pourra trouver quel-
que froideur pour l'Allemagne, en souve-
nir peut-être de la sentence arbitrale ren-
due par l'empereur Guillaume en faveur
des Etats-Unis. L'issue pacifique des né-
gociations entamées avec la Russie sur
l'affaire de Khiva et de l'Asie centrale y
&8t confirmée, mais d'un ton morose. Le
passage relatif à la France ne concerne
guère que le nouveau traité de. commerce ;
il a été probablement mal traduit par le
télégraphe, car la phrase principale est
inintelligible ou peu s'en faut. On dirait
un discours du trône composé dans un
moment de spleen, et les membres du ca-
binet anglais produiront, en Europe, l'ef-
fet de gens polis et réservés sans doute,
mais profondément ennuyés. D'où provient
cette humeur chagrine ?
Le traité de commerce franco-belge a été
signé le 5 février à Bruxelles. Comme le
traité anglo-français, il va être soumis à
l'approbation de l'Assemblée.
EUG. LIÉBERT.
———————— + ————————
RETOUR AU MESSAGE
Oh ! méchant Cham.t Ne s'avise-t-il
pas, dans son dernier numéro du Cha-
rivari, de nous représenter M. Thiers,
condamné au mutisme par la commission
des trente, étudiant la pantomime avec
Debureau ! Si j'avais l'incomparable
honneur de siéger à côté des Ernoul et
des Broglie, je n'hésiterais pas à récla-
mer de M. le garde des sceaux un ordre
de poursuites immédiates contre Cham
pour publications de fausses nouvelles.
Où donc ce rieur éternel a-t-il vu que le
président de la République en fût réduit
à ne plus s'exprimer que par signes ?
Une heure durant, il a fait entendre hier
sa petite voix flûtée dans la commission
des trente, et s'il a joint le geste à sa
parole, ce n'était assurément que pour
mieux ponctuer sa phrase et accentuer
sa pensée.
Nous serions bien surpris si, après la
séance d'hier, les trente conservaient
une velléité quelconque de chicaner M.
Thiers sur le nombre de discours qu'il
lui sera permis de prononcer à la tri-
bune. Ils croyaient le tenir, ils pensaient
lui avoir fait peur; déjà, dans leurs con-
ciliabules à huis-clos, ils discutaient sur
le meilleur emploi à faire de ses dé-,
pouilles dans l'intérêt de la politique fu-
sionniste; et voilà que tout à coup ils
s'aperçoivent que petit bonhomme vit
encore. Il avait laissé faire, disant à part
lui : j'aurai ma revanche ! Il vient de la
prendre, éclatante.
Sans bruit, mais avec une fermeté qui
ne laisse point de doute sur l'attitude
qu'il compte garder devant l'Assemblée,
si la commission se dérobe, il a replacé
toutes choses en Fétat où elles se trou-
vaient après le vote du projet Dufaure;
il a affirmé son droit, et rappelé leur
devoir à ceux qui s'étaieRt permis de
l'oublier.
Quand le moment en sera venu, nous
discuterons, comme il convient à des ré-
publicains qui voient et veulent autre
chose qu'un mot dans la République,
quelques-unes des idées émises par M.
Thiers devant les trente. Nous pensons
qu'il suffit aujourd'hui d'examiner rapi-
dement le fond même des propositions
présentées par le gouvernement, sauf à
indiquer, chemin faisant, la nature des
réserves que nous entendons faire sur la
forme.
M. Thiers a parlé du suffrage uni-
versel dans des termes qui ont pu éton-
ner ceux-là seuls qui n'avaient point lu
un volume publié sans nom d'auteur, il
y a quelque six mois, sous le titre de :
Vingt mois de présidence. Ce volume,
dont l'origine officielle est notoire, con-
tenait déjà, au sujet du principe de la
souveraineté nationale, le credo complet
du président de la République. En pou-
vait-il, d'ailleurs, être autrement? Est-
il, à notre époque, un seul homme
d'Etat, disons mieux, un seul homme
ayant lu l'histoire, ou seulement n'ayant
pas vécu les yeux fermés, les oreilles
beuchées, qui se refuse à comprendre
que le jour où une nation s'est avisée
de dire, à son tour : l'Etat, c'est moi !
ce jour-là la souveraineté d'un homme
a dû faire place à la souveraineté de
tous, le droit divin au droit populaire ?
Ce droit populaire a bien pu tarder à
se connaître lui-même, et à comprendre
le moyen de s'affirmer légalement ; il a
pu, dans des heures de lassitude géné-
rale, subir les attouchements odieux de
suborneurs ou d'aventuriers; mais le
droit ne se prescrit jamais ; il n'y a point
de droit contre le droit, dit le Code en
réponse à tous ces faux docteurs ès-poli-
tique qui voudraient faire entendre au
pays qu'au-dessus de lui, au-dessus de
sa volonté, au-dessus de son droit, il
existe une volonté plus haute, un droit
supérieur.
Le principe de la souveraineté natio-
nale est désormais la règle invariable de
l'avenir. Comment s'affirme cette souve-
raineté? Par le suffrage universel. Il
importe donc de perfectionner ce maître
outil sans relâche, si l'on veut en obtenir
de bonne et solide besogne.
Cette nécessité, M. Thiers l'a consta-
tée ; et, à ce propos, il a été amené tout
naturellement à parler de la loi du 31
mai, dont il a été, on le sait, un des ar-
tisans les plus actifs.
On ne peut que rendre hommage à la
parfaite sincérité du meâ culpd prononcé
par l'ancien ehef de la rue de Poitiers. Il
avoue s'être trompé; il a compris,
mais trop tard, que, par cette loi à ja-
mais regrettable, il avait mis aux mains
de l'homme qui s'est fait appeler Na-
poléon III une .arme terrible dont il de-
vait se servir, et dont il s'est servi, en
effet, pour s'ouvrir au cœur de la Loi la
route par où devaient passer l'empire et
l'empereur.
Mais il ne suffit point de se repentir
de ses fautes passées, il faut se faire un
rempart contre les fautes de l'avenir: ce
n'est point assez de pécher autrement;
il ne faut plus pécher du tout.
Peut-être la résolution de M. Thiers
n'est-elle point encore assez ferme. Sans
vouloir, pour l'instant, entrer dans le
détail et discuter une théorie qu'il n'a,
d'ailleurs, émise que d'une façon vague,
et dans le courant de son discours, il
n est peut-être pas inutile d appeler son
attention sur cette phrase qui, à elle seule,
paraît contenir tout un programme.
« Il n'a passé dans l'esprit de per-
sonne, a-t-il dit, que l'on pût faire les
élections prochaines avec la loi ac-
tuelle. »
M. Thiers en est-il bien sûr? Et sur-
tout en est-il à savoir que, s'il est des ac-
commodements avec le ciel, il n'en est
pas avec le droit? Il est ou il n'est pas;
on ne le restreint, on ne l'entame pas
plus ou moins ; et le peuple, qui se sent
et se sait maître aujourd'hui, pourrait
bien, à son tour, se réclamer du droit
divin, et dire de son bulletin de vote,
comme un roi de son sceptre : Dieu me
l'a donné, gare à qui le touche ! Dio mi
l'a dato, guai a chi lo tocca.
Sur la question de la seconde Cham-
bre, nous n'avons que peu de choses à
dire. Etant admis le besoin momentané
d'un rouage de sûreté dans la machine
gouvernementale, il ne reste plus qu a
examiner les divers modèles qui sont en
concurrence. Nous attendrons, pour cela,
le jour de la discussion publique.
Faisons pourtant remarquer que M.
Thiers ne semble pas devoir persister,
et nous l'en félicitons, dans l'opinion ex-
primée par l'auteur du livre que nous
rappelions tout à l'heure. Dans Vingt
mois de présidence, nous voyons que M.
Thiers était d'avis — cela date de six
mois, — de confier le choix des mem-
bres de la Chambre haute à tous ces
corps élus : conseils généraux, munici-
paux, chambres de commerce, des no-
taires, académies, etc. Dans son discours
devant la commission M. Thiers s'est
amendé lui-même, et il a déclaré que,
suivant lui, la Chambre basse et la
Chambre haute devaient avoir même
origine. C'est un progrès ; mais ce n'est
pas le seul qu'il soit permis de souhaiter.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, des cri-
tiques de détail que nous puissions for-
muler, le discours du président de la
République n'en doit pas moins être ac-
cueilli comme un gage certain de sa fi-
délité à la politique du message, de son
dévouement aux vrais intérêts du pays,
aux véritables aspirations de la France.
M. Thiers a nettement affirmé la sou-
veraineté nationale ; c'était affirmer une
fois encore la République. Ne lui de-
mandons rien de plus ; l'avenir fera le
reste.
E. SCHNERB.
——————— * ———————
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 6 février 4873.
Au lendemain d'un fait politique comme
celui qui s'est passé hier dans la commis-
sion des trente, il est toujours curieux de
consulter les différentes physionomies des
députés pour savoir à quel point en est le
baromètre politique. Aujourd'hui, il ré-
pondait assez bien au a variable » du ba-
romètre ordinaire.
Il y a, en effet, un grand désarroi dans
les camps politiques; certains groupes ho-
mogènes de la droite retentissent des opi-
nions les plus contradictoires, les amis ne
sont plus en communion d'idées. C'est l'ef-
fet naturel du premier moment : les résis-
tances, toutes plantes vivaces qu'elles sont,
ne naissent pas subitement grandes ; elles
germent et se développent. Or, le germe
existe; nous le verrons dans quelques
jours, pousser des feuilles et peut-être dé-
velopper de majestueux rameaux, car c'est
en politique surtout que l'absorption se fait
vite.
Le centre droit, qui hésite, deviendra la
proie de la droite, qui ne veut rien céder.
L'idée de déposer M. Grévy ayant été
abandonnée comme peu pratique (elle n'a-
vait pu d'ailleurs sortir que des fêlures
d'un petit nombre de cerveaux), la droite
a abaissé ses visées. M. Saint-Marc-Gi-
rardin s'est aperçu, dit-on, qu'il était souf-
frant, que les fonctions de vice-président
— qu'il ne remplit jamais — étaient au-
dessus de ses forces, que, que. Bref, aux
élections du 18 de ce mois, il se peut fort
bien que M. le duc d'Audiffret-Pasquier
soit porté à la vice-présidence.
Les souffrances de M. Saint-Marc-Girar-
din ne rappellent-elles pas beaucoup celles
de certaines femmes qui se font ordonner
les eaux par un docteur complaisant?
La séance commence tard. Un désap-
pointement : il est des curieux qui espé-
raient assister à la discussion da la régle-
mentation du travail des enfants dans les
manufactures, et ceux-là tombent sur une
interpellation relative aux Malles fran-
caises faisant le service entre Calais et
Douvres. On croyait avaler de l'eau de
Sedlitz, on tombe sur de l'huile de ricin ;
c'est toujours désagréable.
Il paraît que cette interpellation.a été ar-
rêtée, la veille, sans bruit, entre amis ;
nous pensions donc qu'elle ne soulèverait
qu'un semblant de discussion, nous comp-
tions sans notra droite,
M. Dussaussoy, l'interpellateur, est à la
tribune, expliquant une longue histoire de
concessions de paquebots qui n'intéresse
en rien le public; et il réclame, au nom
du droit français et même au nom du droit
international, pour la compagnie française
de Calais à Douvres, certaines prérogatives
que refuse la perfide Albion. Que de grands
mots pour faire obtenir à des concession-
naires quelques petites immunités !
M. Dussaussoy n'est pas habitué à la
tribune, cela se voit immédiatement : au
début, la voix s'étouffe dans la gorge et les
paroles se suivent avec une rapidité verti-
gineuse, un double signe de la peur. Si
donc M. Dussaussoy est là, c'est qu'il s'est
cru obligé de monter à ce calvaire par sa
qualité de député du Pas-de-Calais.
On écoute l'orateur; car on ne comprend
absolument rien au sujet quil traite. iout-
à-coup, au moment où l'orateur arrive à
une certaine série de concessionnaires, de
plusieurs bancs de la droite part ce cri :
«Les noms! les noms des concessionnai-
res! »
M. Dussaussoy, qui n'est pas là pour
provoquer du bruit et faire des personna-
lités, se défend d'abord fort dignement de
nommer personne, et finit par dire : MM.
Magnier et Dumont, de l'Evénement.
— Ah ! répondent cent voix de la droi-
te.
L'Evénement a le malheur d'être un jour-
nal républicain, soutenant la politique de
M. Thiers.
A ce « Ah ! » plein de promesses, nous
devinons que, malgré le désir de M. Dus-
saussoy, la droite ne lâchera pas aisément
l'ombre de cette proie qui lui est offerte.
Jusqu'ici, d'ailleurs, la disoussion n'est
pas absolument imposante :
« Les armateurs ont tous refusé, vient
de dire l'orateur, Darce qu'ils ont un pied
dans la Manche. » Il paraît que c'est
très-drôle, car la droite se tord. Plusieurs
députés tapent surl'épaulede M. de Tillan-
court, qui retire gravement sa calotte noire
et salue M. Dussaussoy; M. Dussaussoy
s'incline d'un air aimable ; un vrai salut
d'armes entre faiseurs de calembourgs.
Vous le voyez, c'était bien innocent.
M. Léon Say, ministre interpellé, donne
les explications voulues, et démontre
qu'ayant sauvegardé les intérêts du public,
il n'a pas à défendre outre mesure les inté-
rêts des concessionnaires. Dans tout cela,
il n'y a pas certainement de q'.1oi fouetter
un journaliste.
Aussi quel est notre étonnement quand
nous voyons se précipiter à la tribune un
député du Nord, M. Bottieau, qui souffle
sur les cendres de cette question éteinte et
en fait jaillir les flammes las plus inatten-
dues. Il prend la question sous un point de
vue politique et insinue que les derniers
concessionnaires, MM. Magnier et Dumont,
propriétaires de VEvénement, d'un journal
qui traite parfois la droite comme elle le
mérite ( « comme elle le mérite » est de
nous), ont été choisis par le ministère à
cause de.
— Je demande la parole, crie une voix
aubanc des ministres. C'est M. de Goulard,
ancien ministre des finances, qui est vive-
ment blessé des insinuations de son ami
de la droite.
EtM. Bottieau continue à faire un étran-
ge abus de la tribune, criant, gesticulant,
jetant des noms et des accusations auvent.
MM. Raoul Duval, de Castellane, Bara-
gnon, tout le coin des colériques enfin est
ravi ; beaucoup de députés à droite trou-
vent que la plaisanterie va un peu loin. En
effet, c'est un ami que l'on frappe, M. de
Goulard.
Quand l'orateur descend, quoiqu'il se
soit modéré vers la fin, il a tout au plus un
succès de quarante bravos. On commence
à réfléchir..
Il n'est pas content, M. de Goulard ; il
est même fort vexé. Rouge, cramoisi, fai-
sant marcher automatiquement ses bras
comme deux couperets, il hache menu
comme chair à pâté « les faits singulière-
ment dénaturés par le précédent orateur »
et les sert, sans le moindre apprêt, à l'As-
semblée. La droite sent qu'elle a tort, qu'elle
est en train de commettre une sottise, elle
se tait.
Mais M. Bottieau, lui, ne peut pas se
taire. Le ministre est son ami, il ne peut
être coupable; mais alors ce sont les em-
ployés du ministre qui ont fait tout le
mal. Et M. Bottieau attaque M. Rampon,
directeur des postes, à grands coups de
poing sur la tribune et à grands éclats de
voix. Est-il rageur, ce député du Nord! Il
va casser la tribune ou se casser la voix !
Il n'y a plus que MM. Baragnon, de
Castellane et de Lestourgie qui s'obstinent
à l'applaudir. Trois. c'est encore beau-
coup !
Mais M. de Goulard est rageur, lui
aussi, à ses moments perdus ! « Ah ! vous
dites que ce sont mes subordonnés?. Pas
du tout : c'est moi, c'est moi, et moi seul!
Et je suis ministre responsable! »
On se regarde, on a l'air tout sot. Une
sorte de question de responsabilité minis-
térielle amenée pour un pareil enfantillage,
et grâce à un pareil entêtement! M. le mi-
nistre, qui vient de montrer une fermeté
dont nous ne saurions trop le louer, est
entouré et félicité par beaucoup de députés
du centre gauche, de la gauche et aussi
du centre droit, qui trouvent la querelle
par trop allemande.
Mais le plus drôle de l'affaire, c'est la
fin. La fin, il n'y en a pas. A droite, on
est si ennuyé de ce .que l'on a fait que
chacun se lève et disparaît du côté de la
buvette.
D'ordinaire une interpellation (et l'Offi-
cielporte: «Interpellation Dussaussoy») se
termine par un ordre du jour. Nous espé-
rions voir M. Raoul Duval présenter le
suivant :
« L'Assemblée nationale, blâmant les
procédés internationaux de ceux qui élèvent
le drapeau blanc en guise de signal à l'a-
vant des paquebots, accorde à M. le mi-
nistre des finances la liberté de délivrer
lui-même des billets directs et passe à
l'ordre du jour. »
Dame ! cela ulest pas plus extraordinaire
qne le drapeau rouge -à propos des farines.
Et les petits enfants ?. Mais ils vont
bien, les petits enfants ; ils ont si bien mar-
ché qu'ils en sont à l'article 15.
PAUL LAFARGUE.
—————————————— + ——————————————
Le Journal officiel contient la note suivante :
Des bruits inexacts et même entière-
ment erronés ont été répandus par divers
journaux sur la commission de décentrali-
sation. Cette commission n'a jamais ma-
nifesté l'intention de revenir sur la loi dé-
partementale. Elle s'est uniquement appli-
quée, depuis qu'elle a repris ses travaux,
à l'étude de la législation municipale. Une
sous-commission a été chargée de prépa-
rer, d'après un questionnaire précédem-
ment arrêté, les rédactions sur lesquelles
s'établira la délibération. Mais aucune dé-
cision définitive n'a encore été prise : la
commission n'a donc pu manifester aucun
des sentiments qui lui ont été si gratuite-
ment prêtés. l'
il iauarait au moins attendre les actes
avant de les juger.
———————— « ————————
Une vraie Francaise
6
Nos lecteurs n'ont peut-être pas ou-
blié l'histoire d'un testament qui fit
grand bruit vers le mois de mai 1870.
Mme la comtesse de Caen avait laissé
une somme très-considérable à l'Acadé-
mie des beaux-arts. Une partie devait,
dans l'intention de la testatrice, être
consacrée à la fondation d'un musée,
dont elle avait donné le plan. L'autre
devait être convertie en une rente per-
pétuelle de quarante mille francs, dont
la destination était vraiment. ingénieuse
et touchante.
Mme la comtesse de Caen avait re-
marqué combien les premières années
que les jeunes artistes, à leur retour de
l'école de Rome, vivent à Paris, leur
sont dures et cruelles. Ils passent brus-
quement de l'atmosphère paisible et la-
borieuse de la villa Médicis aux luttes,
aux misères et aux désespoirs de la vie
parisienne. Elle avait donc stipulé qu'à
chaque élève peintre et sculpteur, il se-
rait servi durant trois ans, après sa
sortie de l'école, une rente de quatre
mille francs ; trois mille seulement aux
architectes ; les musiciens avaient été
oubliés, sans que l'on sût pourquoi.
On s'entretint beaucoup de ce testa-
ment singulier ; bien des gens le prirent
pour une invention de journaliste à
court de nouvelles. Puis on cessa d'en
parler ; la guerre survint, et le très-petil
bruit de cette histoire se perdit dans le
retentissement de nos désastres.
Elle revient sur l'eau à cette heure :
le testament, après avoir subi toutes les
épreuves réservées à ces actes un peu
excentriques, va enfin être mis à exécu-
tion, et je viens de recevoir sur la per-
sonne qui l'a écrit des documents qui
m'ont fait plaisir.
J'avais peur que ces générosités pos-
thumes, un peu extraordinaires, ne par-
tissent soit d'un cerveau exalté, soit
d'une vanité amoureuse d'éloges. Je me
défie en général des imitateurs du célè-
bre Monthyon.
— Sans doute, me dis-je à moi-même,
il faut savoir gré à ces bienfaiteurs de
l'humanité des largesses qu'ils font après
leur mort. Mais ne semble-t-il pas qu'ils
soient généreux à bon compte ? Pour-
quoi n'ont-ils pas fait, de leur vivant,
le bien que leurs dernières volon-
tés prescrivent à d'autres ? Voilà un
monsieur, par exemple, qui laisse vingt
mille francs pour fonder à l'Académie
française un prix annuel d'éloquence et
de poésie. Ces vingt mille francs sont les
bien venus; à la bonne heure! mais qui
empêchait ce protecteur des lettres de
chercher lui-même, au temps où il vi-
vait, un jeune homme pauvre, instruit,
laborieux, auquel il aurait reconnu du
talent; de le sauver des mauvais conseils
de la misère en lui donnant, de la main
à la main, une partie de ces fameux
vingt mille francs ? Il aurait eu ce plaisir,
que Labruyère recommande comme le
premier de tous, de rencontrer les yeux
d'une personne à qui il aurait rendu ser-
vice. Peut-être même aurait-il eu la
bonne fortune de faire éclore un chef-
d'œuvre. Il eût joui de sa bonne action.
Il est vrai qu'il n'aurait pas été loué so-
lennellement, en pleine distribution de
prix, à l'Académie, par un secrétaire
perpétuel. Mais ces éloges sont-ils si
agréables, quand on n'est plus, comme
disent les poètes, qu'une cendre insensi-
ble! Il y a dans tout ce faste de largesses
posthumes plus d'amour-propre et d'os-
tentation que de goût sincère de vertu.
Ces réflexions ne laissent pas d'être
justes dans la plupart des cas. J'ai ap-
pris avec bien du plaisir qu'elles ne s'ap-
pliquaient point à Mme la comtesse
de Caen. Elle avait, en faisant du bien
toute sa vie, mérité l'honneur d'en faire
encore après sa mort. Un de ses amis,
M. Alphonse de Jestières, a écrit sur elle
une notice biographique très-simple,
très-émue, et dont j'ai été fort touche.
Mme de Caen était la fille d'un des
plus honorables notaires de Paris, M.
Marchoux. Son mari était fils de l'ancien
capitaine général gouverneur de l'île de
la Guadeloupe. Elle était riche : le testa-
ment qu'elle a fait le prouve; il paraît
qu'elle était belle, ce qui ne gâte jamais
rien.
r Son biographe nous la représente
telle que nous voudrions que fassent
toutes nos Françaises : intelligente êt
bonne, aimant les lettres et les arts, s'y
connaissant et les pratiquant même,
sans avoir rien du bas-hleu. Elle pei-
gnait et sculptait, et quelques-unes de
ses œuvres ont figuré au salon, où elles
étaient appréciées des connaisseurs.
Mais ces occupations ne prenaient
qu'une part de sa vie, la moindre. Elle
donnait le meilleur de son âme à ses
devoirs de maîtresse de maison, aux
sollicitudes d'une charité ingénieuse et
active. Elle possédait à Saint-Georges-le-
Thoureil, canton de Gennes, dans le dé-
partement de Maine-et-Loire, une habi-
tation que tous les pauvres du pays
connaissaient bien.
L'angine est endémique en ces con-
trées où les malheureux logent dans des
espèces de caves, que forment de vieilles
carrières à tuffeau. La comtesse regar-
dait comme un de ses premiers devoirs
de châtelaine de s'en aller chez les ma-
lades que lui signalaient ses courtiers en
bienfaits, de s'asseoir à leur chevet, de
les veiller et de les secourir. C'est même
en leur donnant ses soins qu'elle con-
tracta le germe de la maladie qui l'a em-
portée en quelques jours.
Cette sorte de charité, qui est fami-
lière aux Françaises, ne lui suffisait
point. Elle en avait d'autres, non pas plus
respectables, mais plus intelligentes et
plus rares.
De son grand salon elle avait fait une
école. On y voyait, à côté des dressoirs
antiques, entre des crédences merveilleu-
sement, SCnlntftflS. pt mplp« fliiY nhiofs
d'art les plus curieux, des livres de
classe, des cahiers barbouillés d'encre,
des échantillons des produits du pays,
des instruments de travail ; puis çà et là,
empilés sur des chaises ou même jon-
chant le sol, des paquets de toile, des
ballots d'étoffes de toute espèce, des
fichus de toutes couleurs, des blouses,
des cottes, des bas, des chaussures, tous
objets qu'elle donnait et distribuait à
ceux qui lui étaient désignés comme les
plus nécessiteux.
Aussi était-ce chez elle un va-et-vient
indescriptible de pieds nus, de sabots,
de blouses et de cotillons, de journaliers
et de mendiants, de fermiers et de tra-
vailleurs qui venaient prendre leur part
des conseils et des aumônes de leur
bonne maîtresse : c'était le nom d'amitié
dont tout le monde l'appelait.
Elle faisait elle-même la classe aux
petits enfants ; elle la faisait même aux
hommes. Elle avait appris ce qu'il faut
savoir à la campagne pour combattre
la routine; elle enseignait aux paysans
les perfectionnements à apporter dans
l'outillage, les nouvelles méthodes de
culture, et, non contente de prêcher
d'exemple, elle encourageait par des
avances en argent ceux qui marquaient
le plus de goût pour ces innovations.'
Le dimanche, elle se retrouvait en-
core avec eux, et c'était elle qui touchait
l'orgue du village.
Elle n'a pas voulu que la mort même
la fît inutile à ce pays qu'elle avait com-
blé de ses bienfaits. Elle a établi par
son testament une ferme-école dans ses
propriétés de Saint-Georges. Les jeunes
gens de Saint-Gennes y seront admis
gratuitement; on leur apprendra tout ce
qui intéresse l'agriculture, et une fois
sortis, après trois ans d'études, on les
pourvoira d'un petit viatique, pour atten-
dre le moment d'être employés.
Voilà, certes, une vie bien remplie et
une figure aimable. Ce qui me plaît, c'est
qu'avec toutes ses qualités solides Mme
de Caen était spirituelle et artiste. On peut
donc aimer les lettres sans être frivole
et rester gracieuse tout en se donnant
aux plus sévères études.
Ce caractère de femme n'était pas rare
autrefois. C'était par excellence celui de
la Française.
Si ce que dit M. de Jestières est vrai,
Mme la comtesse de Caen en aurait été
un des plus charmants modèles. Et y
eût-il quelque exagération dans cet éloge,
où serait le mal ? Il n'est pas mau-
vais de placer un peu haut l'idéal où
toutes doivent s'efforcer d'atteindre.
FRANCISQUE SARCEY.
INFORMATIONS
Une dépêche de Bruxelles annonce que
le traité de commerce franco-belge a été
signé hier par M. le comte d'Aspremont-
Lynden pour la Belgique, et par AIM. Er-
nest Picard et Ozenne pour la France.
Une députation des fabricants de sucres
.du Nord est venue hier à Versailles pour
défendre les intérêts de son industrie.
M. Cantonnet, préfet du Rhône, est ar-
rivé à Versailles; il sera entendu dans la
prochaine réunion de la commission de
décentralisation, relativement au projet
sur la suppression des mairies centrales.
L'Union républicaine, qui devait pu-
blier hier le texte de son adresse au géné-
ral Garibaldi, a renoucé à envoyer cette
adresse à Caprera.
Après une interruption de sept jours, le
service régulier des correspondances en-
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Samedi 8 Février 1873.
E SIÈCLE
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2p rue Drouot, 2
tes manuscrits non insérés seront rendus
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois .« 13 fr.
Six mois.t.. 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et C*
6, place de la Bourse, 6
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2. rue Drouot, 2
Les lettres non affranchies seront refuséet
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Trois mois 13 fr.
Six mois. 25
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6, place de la Bourse, 6
JOUJfflÉE POLITIQUE
Paris, le 7 février 4875.
A la Bourse d'hier, les fonds publics ont
monté de 70 et 75 centimes. Nous n'avons
nul dessein de triompher de cette hausse
ni de vanter l'accueil que fait la Bourse
aux déclarations de M. Thiers ; mais il est
peut-être permis d'opposer cette simple
remarque aux considérations de politique
financière qu'on trouvait, tous ces der-
niers jours, dans les feuilles d'opposition.
En résumé, le langage dont s'est servi M.
le président de la République a produit un
effet très-grand et très-heureux. Vous ne
rencontrerez presque partout (nous excep-
tons, bien entendu, les intraitables enne-
mis du gouvernement) que de vives expres-
sions de confiance; et tel est le mouvement
de l'opinion, que l'on annonce déjà de tou-
tes parts l'adoption par la commission des
trente du projet présidentiel. Treize mem-
bres seulement, dit-on, persévéreraient
dans leur résistance, et les dix-sept autres,
s'avouant vaincus ou convaincus, se renr
draient d'assez bonne grâce aux raisons
que M. Thiers a développées.
C'est dumoiL'S ce qui se répète, et, sans
garantir l'authenticité de ces nouvelles,
nous ne trouvons pas qu'il y ait lieu d'en
être surpris. On fait contre fortune bon
cœur et bravement l'on se jette à l'eau
parce qu'on sait bien qu'il faudra toujours
s'y jeter. IL n'y a que les ennemis person-
nels et violents du président de la Répu-
blique, trop compromis pour reculer, qui
préféreraient courir le risque d'un appel à
l'Assemblée entière et la charger de se pro-
noncer entre M. Thiers et eux. Voilà pour
quelles; raisons il paraît vraisemblable que
la majorité des trente va se montrer accom-
modante. Déjà les journaux réactionnaires
cherchent à expliquer ou à masquer cette
défaite. C'est le président, à les entendre,
qui se range à l'avis de la commission. Si
cela leur plaît, nous le voulons bien ; les
conséquences n'en seront point changées,
et nous ne sommes pas de ceux qui re-
nieraient leur politique si le Français ou
la Patrie assuraient qu'elle leur convient.
Ajoutons toutefois que ces feuilles et
quelques autres se rejettent surtout sur lia,
réforme du suffrage universel que M. Thiers
aurait promise. La Patrie, qui est bonai-
partiste, croit déjà pouvoir espérer « un
remaniement, dans le sens conservateur,
de l'organisation du suffrage universel. ?
Cela servirait son parti, dit-elle, « le jour
où, M. Thiers s'affaiblissant et la Répu-
blique périclitant, il faudra enfin consti-
tuer un pouvoir durable. » Qui en douterait?
Voilà qui indiquera à M. Thiers un côté
défectueux de ses déclarations, puisqu'on
peut ainsi les interpréter; le chapitre du
suffrage universel est, en effet, celui où il
s'est montré le moins précis dans les dé-
tails, et le Temps critiquait hier ce passage
de son discours, souvent avec justesse, par-
fois peut-être avec trop de vivacité. Ce qu'il
ne faut pas perdre de vue, c'est que nous
n'en possédons pas le texte exact. Mais
que la Patrie n'oublie point que tous les
comptes-rendus que l'on a publiés con-
tiennent également le passage où M. Thiers
avoue « que la loi du 31 mai avait mis
une arme terrible dans les mains de l'hom-
me qui rétablit le despotisme en France. »
Attendons le projet de loi, et tenons pour
certain qu'après ces paroles ce n'est pas au
rétablissement de la loi du 31 mai que le
gouvernement se propose de concourir.
Un certain nombre de journaux monar-
chiques annoncent, depuis deux ou trois
jours, que le discours de M. d'Audif-
fret-Pasquier sur les marchés de Lyon,
tiré à cent mille exemplaires, « par l.s
- soins d'un comité conservateur qui s'orga-
niserait ad hoc, » va être envoyé et distri-
bué dans toutes les communes de France.
Ce sont les feuilles bonapartistes surtout
qui propagent cette bonne idée, et l'une
d'elles en conçoit" tant de joie qu'elle y est
revenue deux jours de suite aux « derniè-
res nouvelles ». Sans doute, le discours des
marchés lyonnais console ce parti de l'ancien
discours sur les dilapidations de l'empire;
l'un pourtant ne détruit pas l'autre. Mais
la seule observation que nous voulions
faire, c'est que la distribution dont on es-
père tant de satisfaction et de reconfort a
été d'avance interdite par circulaire de M.
de Goulard. Nous avons blâmé cette circu-
laire, quand d'autres y applaudissaient. In-
terprétant à sa façon la législation du colr
portage, le ministre ne permet point que
l'on distribue des discours de députés, même
du centre droit ou de la droite, si l'Assem-
blée, par un vote spécial, n'en a ordonné
l'impression. C'est une mesure que nous
trouvons fort regrettable ; mais elle existe
eufin, et nous n'en sommes pas les auteurs.
Ceux qui ont approuvé et admiré naguère
la politique de M. de Goulard voudraient-
ils maintenant le faire revenir sur ses pre-
mières instructions? Qu'ils le disent; la
presse libérale leur offrira, avec un vrai
plaisir, son concours pour cette campagne.
C'était hier l'ouverture du Parlement an-
glais. Rien ne frappe les yeux dans le
discours royal. On y pourra trouver quel-
que froideur pour l'Allemagne, en souve-
nir peut-être de la sentence arbitrale ren-
due par l'empereur Guillaume en faveur
des Etats-Unis. L'issue pacifique des né-
gociations entamées avec la Russie sur
l'affaire de Khiva et de l'Asie centrale y
&8t confirmée, mais d'un ton morose. Le
passage relatif à la France ne concerne
guère que le nouveau traité de. commerce ;
il a été probablement mal traduit par le
télégraphe, car la phrase principale est
inintelligible ou peu s'en faut. On dirait
un discours du trône composé dans un
moment de spleen, et les membres du ca-
binet anglais produiront, en Europe, l'ef-
fet de gens polis et réservés sans doute,
mais profondément ennuyés. D'où provient
cette humeur chagrine ?
Le traité de commerce franco-belge a été
signé le 5 février à Bruxelles. Comme le
traité anglo-français, il va être soumis à
l'approbation de l'Assemblée.
EUG. LIÉBERT.
———————— + ————————
RETOUR AU MESSAGE
Oh ! méchant Cham.t Ne s'avise-t-il
pas, dans son dernier numéro du Cha-
rivari, de nous représenter M. Thiers,
condamné au mutisme par la commission
des trente, étudiant la pantomime avec
Debureau ! Si j'avais l'incomparable
honneur de siéger à côté des Ernoul et
des Broglie, je n'hésiterais pas à récla-
mer de M. le garde des sceaux un ordre
de poursuites immédiates contre Cham
pour publications de fausses nouvelles.
Où donc ce rieur éternel a-t-il vu que le
président de la République en fût réduit
à ne plus s'exprimer que par signes ?
Une heure durant, il a fait entendre hier
sa petite voix flûtée dans la commission
des trente, et s'il a joint le geste à sa
parole, ce n'était assurément que pour
mieux ponctuer sa phrase et accentuer
sa pensée.
Nous serions bien surpris si, après la
séance d'hier, les trente conservaient
une velléité quelconque de chicaner M.
Thiers sur le nombre de discours qu'il
lui sera permis de prononcer à la tri-
bune. Ils croyaient le tenir, ils pensaient
lui avoir fait peur; déjà, dans leurs con-
ciliabules à huis-clos, ils discutaient sur
le meilleur emploi à faire de ses dé-,
pouilles dans l'intérêt de la politique fu-
sionniste; et voilà que tout à coup ils
s'aperçoivent que petit bonhomme vit
encore. Il avait laissé faire, disant à part
lui : j'aurai ma revanche ! Il vient de la
prendre, éclatante.
Sans bruit, mais avec une fermeté qui
ne laisse point de doute sur l'attitude
qu'il compte garder devant l'Assemblée,
si la commission se dérobe, il a replacé
toutes choses en Fétat où elles se trou-
vaient après le vote du projet Dufaure;
il a affirmé son droit, et rappelé leur
devoir à ceux qui s'étaieRt permis de
l'oublier.
Quand le moment en sera venu, nous
discuterons, comme il convient à des ré-
publicains qui voient et veulent autre
chose qu'un mot dans la République,
quelques-unes des idées émises par M.
Thiers devant les trente. Nous pensons
qu'il suffit aujourd'hui d'examiner rapi-
dement le fond même des propositions
présentées par le gouvernement, sauf à
indiquer, chemin faisant, la nature des
réserves que nous entendons faire sur la
forme.
M. Thiers a parlé du suffrage uni-
versel dans des termes qui ont pu éton-
ner ceux-là seuls qui n'avaient point lu
un volume publié sans nom d'auteur, il
y a quelque six mois, sous le titre de :
Vingt mois de présidence. Ce volume,
dont l'origine officielle est notoire, con-
tenait déjà, au sujet du principe de la
souveraineté nationale, le credo complet
du président de la République. En pou-
vait-il, d'ailleurs, être autrement? Est-
il, à notre époque, un seul homme
d'Etat, disons mieux, un seul homme
ayant lu l'histoire, ou seulement n'ayant
pas vécu les yeux fermés, les oreilles
beuchées, qui se refuse à comprendre
que le jour où une nation s'est avisée
de dire, à son tour : l'Etat, c'est moi !
ce jour-là la souveraineté d'un homme
a dû faire place à la souveraineté de
tous, le droit divin au droit populaire ?
Ce droit populaire a bien pu tarder à
se connaître lui-même, et à comprendre
le moyen de s'affirmer légalement ; il a
pu, dans des heures de lassitude géné-
rale, subir les attouchements odieux de
suborneurs ou d'aventuriers; mais le
droit ne se prescrit jamais ; il n'y a point
de droit contre le droit, dit le Code en
réponse à tous ces faux docteurs ès-poli-
tique qui voudraient faire entendre au
pays qu'au-dessus de lui, au-dessus de
sa volonté, au-dessus de son droit, il
existe une volonté plus haute, un droit
supérieur.
Le principe de la souveraineté natio-
nale est désormais la règle invariable de
l'avenir. Comment s'affirme cette souve-
raineté? Par le suffrage universel. Il
importe donc de perfectionner ce maître
outil sans relâche, si l'on veut en obtenir
de bonne et solide besogne.
Cette nécessité, M. Thiers l'a consta-
tée ; et, à ce propos, il a été amené tout
naturellement à parler de la loi du 31
mai, dont il a été, on le sait, un des ar-
tisans les plus actifs.
On ne peut que rendre hommage à la
parfaite sincérité du meâ culpd prononcé
par l'ancien ehef de la rue de Poitiers. Il
avoue s'être trompé; il a compris,
mais trop tard, que, par cette loi à ja-
mais regrettable, il avait mis aux mains
de l'homme qui s'est fait appeler Na-
poléon III une .arme terrible dont il de-
vait se servir, et dont il s'est servi, en
effet, pour s'ouvrir au cœur de la Loi la
route par où devaient passer l'empire et
l'empereur.
Mais il ne suffit point de se repentir
de ses fautes passées, il faut se faire un
rempart contre les fautes de l'avenir: ce
n'est point assez de pécher autrement;
il ne faut plus pécher du tout.
Peut-être la résolution de M. Thiers
n'est-elle point encore assez ferme. Sans
vouloir, pour l'instant, entrer dans le
détail et discuter une théorie qu'il n'a,
d'ailleurs, émise que d'une façon vague,
et dans le courant de son discours, il
n est peut-être pas inutile d appeler son
attention sur cette phrase qui, à elle seule,
paraît contenir tout un programme.
« Il n'a passé dans l'esprit de per-
sonne, a-t-il dit, que l'on pût faire les
élections prochaines avec la loi ac-
tuelle. »
M. Thiers en est-il bien sûr? Et sur-
tout en est-il à savoir que, s'il est des ac-
commodements avec le ciel, il n'en est
pas avec le droit? Il est ou il n'est pas;
on ne le restreint, on ne l'entame pas
plus ou moins ; et le peuple, qui se sent
et se sait maître aujourd'hui, pourrait
bien, à son tour, se réclamer du droit
divin, et dire de son bulletin de vote,
comme un roi de son sceptre : Dieu me
l'a donné, gare à qui le touche ! Dio mi
l'a dato, guai a chi lo tocca.
Sur la question de la seconde Cham-
bre, nous n'avons que peu de choses à
dire. Etant admis le besoin momentané
d'un rouage de sûreté dans la machine
gouvernementale, il ne reste plus qu a
examiner les divers modèles qui sont en
concurrence. Nous attendrons, pour cela,
le jour de la discussion publique.
Faisons pourtant remarquer que M.
Thiers ne semble pas devoir persister,
et nous l'en félicitons, dans l'opinion ex-
primée par l'auteur du livre que nous
rappelions tout à l'heure. Dans Vingt
mois de présidence, nous voyons que M.
Thiers était d'avis — cela date de six
mois, — de confier le choix des mem-
bres de la Chambre haute à tous ces
corps élus : conseils généraux, munici-
paux, chambres de commerce, des no-
taires, académies, etc. Dans son discours
devant la commission M. Thiers s'est
amendé lui-même, et il a déclaré que,
suivant lui, la Chambre basse et la
Chambre haute devaient avoir même
origine. C'est un progrès ; mais ce n'est
pas le seul qu'il soit permis de souhaiter.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, des cri-
tiques de détail que nous puissions for-
muler, le discours du président de la
République n'en doit pas moins être ac-
cueilli comme un gage certain de sa fi-
délité à la politique du message, de son
dévouement aux vrais intérêts du pays,
aux véritables aspirations de la France.
M. Thiers a nettement affirmé la sou-
veraineté nationale ; c'était affirmer une
fois encore la République. Ne lui de-
mandons rien de plus ; l'avenir fera le
reste.
E. SCHNERB.
——————— * ———————
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 6 février 4873.
Au lendemain d'un fait politique comme
celui qui s'est passé hier dans la commis-
sion des trente, il est toujours curieux de
consulter les différentes physionomies des
députés pour savoir à quel point en est le
baromètre politique. Aujourd'hui, il ré-
pondait assez bien au a variable » du ba-
romètre ordinaire.
Il y a, en effet, un grand désarroi dans
les camps politiques; certains groupes ho-
mogènes de la droite retentissent des opi-
nions les plus contradictoires, les amis ne
sont plus en communion d'idées. C'est l'ef-
fet naturel du premier moment : les résis-
tances, toutes plantes vivaces qu'elles sont,
ne naissent pas subitement grandes ; elles
germent et se développent. Or, le germe
existe; nous le verrons dans quelques
jours, pousser des feuilles et peut-être dé-
velopper de majestueux rameaux, car c'est
en politique surtout que l'absorption se fait
vite.
Le centre droit, qui hésite, deviendra la
proie de la droite, qui ne veut rien céder.
L'idée de déposer M. Grévy ayant été
abandonnée comme peu pratique (elle n'a-
vait pu d'ailleurs sortir que des fêlures
d'un petit nombre de cerveaux), la droite
a abaissé ses visées. M. Saint-Marc-Gi-
rardin s'est aperçu, dit-on, qu'il était souf-
frant, que les fonctions de vice-président
— qu'il ne remplit jamais — étaient au-
dessus de ses forces, que, que. Bref, aux
élections du 18 de ce mois, il se peut fort
bien que M. le duc d'Audiffret-Pasquier
soit porté à la vice-présidence.
Les souffrances de M. Saint-Marc-Girar-
din ne rappellent-elles pas beaucoup celles
de certaines femmes qui se font ordonner
les eaux par un docteur complaisant?
La séance commence tard. Un désap-
pointement : il est des curieux qui espé-
raient assister à la discussion da la régle-
mentation du travail des enfants dans les
manufactures, et ceux-là tombent sur une
interpellation relative aux Malles fran-
caises faisant le service entre Calais et
Douvres. On croyait avaler de l'eau de
Sedlitz, on tombe sur de l'huile de ricin ;
c'est toujours désagréable.
Il paraît que cette interpellation.a été ar-
rêtée, la veille, sans bruit, entre amis ;
nous pensions donc qu'elle ne soulèverait
qu'un semblant de discussion, nous comp-
tions sans notra droite,
M. Dussaussoy, l'interpellateur, est à la
tribune, expliquant une longue histoire de
concessions de paquebots qui n'intéresse
en rien le public; et il réclame, au nom
du droit français et même au nom du droit
international, pour la compagnie française
de Calais à Douvres, certaines prérogatives
que refuse la perfide Albion. Que de grands
mots pour faire obtenir à des concession-
naires quelques petites immunités !
M. Dussaussoy n'est pas habitué à la
tribune, cela se voit immédiatement : au
début, la voix s'étouffe dans la gorge et les
paroles se suivent avec une rapidité verti-
gineuse, un double signe de la peur. Si
donc M. Dussaussoy est là, c'est qu'il s'est
cru obligé de monter à ce calvaire par sa
qualité de député du Pas-de-Calais.
On écoute l'orateur; car on ne comprend
absolument rien au sujet quil traite. iout-
à-coup, au moment où l'orateur arrive à
une certaine série de concessionnaires, de
plusieurs bancs de la droite part ce cri :
«Les noms! les noms des concessionnai-
res! »
M. Dussaussoy, qui n'est pas là pour
provoquer du bruit et faire des personna-
lités, se défend d'abord fort dignement de
nommer personne, et finit par dire : MM.
Magnier et Dumont, de l'Evénement.
— Ah ! répondent cent voix de la droi-
te.
L'Evénement a le malheur d'être un jour-
nal républicain, soutenant la politique de
M. Thiers.
A ce « Ah ! » plein de promesses, nous
devinons que, malgré le désir de M. Dus-
saussoy, la droite ne lâchera pas aisément
l'ombre de cette proie qui lui est offerte.
Jusqu'ici, d'ailleurs, la disoussion n'est
pas absolument imposante :
« Les armateurs ont tous refusé, vient
de dire l'orateur, Darce qu'ils ont un pied
dans la Manche. » Il paraît que c'est
très-drôle, car la droite se tord. Plusieurs
députés tapent surl'épaulede M. de Tillan-
court, qui retire gravement sa calotte noire
et salue M. Dussaussoy; M. Dussaussoy
s'incline d'un air aimable ; un vrai salut
d'armes entre faiseurs de calembourgs.
Vous le voyez, c'était bien innocent.
M. Léon Say, ministre interpellé, donne
les explications voulues, et démontre
qu'ayant sauvegardé les intérêts du public,
il n'a pas à défendre outre mesure les inté-
rêts des concessionnaires. Dans tout cela,
il n'y a pas certainement de q'.1oi fouetter
un journaliste.
Aussi quel est notre étonnement quand
nous voyons se précipiter à la tribune un
député du Nord, M. Bottieau, qui souffle
sur les cendres de cette question éteinte et
en fait jaillir les flammes las plus inatten-
dues. Il prend la question sous un point de
vue politique et insinue que les derniers
concessionnaires, MM. Magnier et Dumont,
propriétaires de VEvénement, d'un journal
qui traite parfois la droite comme elle le
mérite ( « comme elle le mérite » est de
nous), ont été choisis par le ministère à
cause de.
— Je demande la parole, crie une voix
aubanc des ministres. C'est M. de Goulard,
ancien ministre des finances, qui est vive-
ment blessé des insinuations de son ami
de la droite.
EtM. Bottieau continue à faire un étran-
ge abus de la tribune, criant, gesticulant,
jetant des noms et des accusations auvent.
MM. Raoul Duval, de Castellane, Bara-
gnon, tout le coin des colériques enfin est
ravi ; beaucoup de députés à droite trou-
vent que la plaisanterie va un peu loin. En
effet, c'est un ami que l'on frappe, M. de
Goulard.
Quand l'orateur descend, quoiqu'il se
soit modéré vers la fin, il a tout au plus un
succès de quarante bravos. On commence
à réfléchir..
Il n'est pas content, M. de Goulard ; il
est même fort vexé. Rouge, cramoisi, fai-
sant marcher automatiquement ses bras
comme deux couperets, il hache menu
comme chair à pâté « les faits singulière-
ment dénaturés par le précédent orateur »
et les sert, sans le moindre apprêt, à l'As-
semblée. La droite sent qu'elle a tort, qu'elle
est en train de commettre une sottise, elle
se tait.
Mais M. Bottieau, lui, ne peut pas se
taire. Le ministre est son ami, il ne peut
être coupable; mais alors ce sont les em-
ployés du ministre qui ont fait tout le
mal. Et M. Bottieau attaque M. Rampon,
directeur des postes, à grands coups de
poing sur la tribune et à grands éclats de
voix. Est-il rageur, ce député du Nord! Il
va casser la tribune ou se casser la voix !
Il n'y a plus que MM. Baragnon, de
Castellane et de Lestourgie qui s'obstinent
à l'applaudir. Trois. c'est encore beau-
coup !
Mais M. de Goulard est rageur, lui
aussi, à ses moments perdus ! « Ah ! vous
dites que ce sont mes subordonnés?. Pas
du tout : c'est moi, c'est moi, et moi seul!
Et je suis ministre responsable! »
On se regarde, on a l'air tout sot. Une
sorte de question de responsabilité minis-
térielle amenée pour un pareil enfantillage,
et grâce à un pareil entêtement! M. le mi-
nistre, qui vient de montrer une fermeté
dont nous ne saurions trop le louer, est
entouré et félicité par beaucoup de députés
du centre gauche, de la gauche et aussi
du centre droit, qui trouvent la querelle
par trop allemande.
Mais le plus drôle de l'affaire, c'est la
fin. La fin, il n'y en a pas. A droite, on
est si ennuyé de ce .que l'on a fait que
chacun se lève et disparaît du côté de la
buvette.
D'ordinaire une interpellation (et l'Offi-
cielporte: «Interpellation Dussaussoy») se
termine par un ordre du jour. Nous espé-
rions voir M. Raoul Duval présenter le
suivant :
« L'Assemblée nationale, blâmant les
procédés internationaux de ceux qui élèvent
le drapeau blanc en guise de signal à l'a-
vant des paquebots, accorde à M. le mi-
nistre des finances la liberté de délivrer
lui-même des billets directs et passe à
l'ordre du jour. »
Dame ! cela ulest pas plus extraordinaire
qne le drapeau rouge -à propos des farines.
Et les petits enfants ?. Mais ils vont
bien, les petits enfants ; ils ont si bien mar-
ché qu'ils en sont à l'article 15.
PAUL LAFARGUE.
—————————————— + ——————————————
Le Journal officiel contient la note suivante :
Des bruits inexacts et même entière-
ment erronés ont été répandus par divers
journaux sur la commission de décentrali-
sation. Cette commission n'a jamais ma-
nifesté l'intention de revenir sur la loi dé-
partementale. Elle s'est uniquement appli-
quée, depuis qu'elle a repris ses travaux,
à l'étude de la législation municipale. Une
sous-commission a été chargée de prépa-
rer, d'après un questionnaire précédem-
ment arrêté, les rédactions sur lesquelles
s'établira la délibération. Mais aucune dé-
cision définitive n'a encore été prise : la
commission n'a donc pu manifester aucun
des sentiments qui lui ont été si gratuite-
ment prêtés. l'
il iauarait au moins attendre les actes
avant de les juger.
———————— « ————————
Une vraie Francaise
6
Nos lecteurs n'ont peut-être pas ou-
blié l'histoire d'un testament qui fit
grand bruit vers le mois de mai 1870.
Mme la comtesse de Caen avait laissé
une somme très-considérable à l'Acadé-
mie des beaux-arts. Une partie devait,
dans l'intention de la testatrice, être
consacrée à la fondation d'un musée,
dont elle avait donné le plan. L'autre
devait être convertie en une rente per-
pétuelle de quarante mille francs, dont
la destination était vraiment. ingénieuse
et touchante.
Mme la comtesse de Caen avait re-
marqué combien les premières années
que les jeunes artistes, à leur retour de
l'école de Rome, vivent à Paris, leur
sont dures et cruelles. Ils passent brus-
quement de l'atmosphère paisible et la-
borieuse de la villa Médicis aux luttes,
aux misères et aux désespoirs de la vie
parisienne. Elle avait donc stipulé qu'à
chaque élève peintre et sculpteur, il se-
rait servi durant trois ans, après sa
sortie de l'école, une rente de quatre
mille francs ; trois mille seulement aux
architectes ; les musiciens avaient été
oubliés, sans que l'on sût pourquoi.
On s'entretint beaucoup de ce testa-
ment singulier ; bien des gens le prirent
pour une invention de journaliste à
court de nouvelles. Puis on cessa d'en
parler ; la guerre survint, et le très-petil
bruit de cette histoire se perdit dans le
retentissement de nos désastres.
Elle revient sur l'eau à cette heure :
le testament, après avoir subi toutes les
épreuves réservées à ces actes un peu
excentriques, va enfin être mis à exécu-
tion, et je viens de recevoir sur la per-
sonne qui l'a écrit des documents qui
m'ont fait plaisir.
J'avais peur que ces générosités pos-
thumes, un peu extraordinaires, ne par-
tissent soit d'un cerveau exalté, soit
d'une vanité amoureuse d'éloges. Je me
défie en général des imitateurs du célè-
bre Monthyon.
— Sans doute, me dis-je à moi-même,
il faut savoir gré à ces bienfaiteurs de
l'humanité des largesses qu'ils font après
leur mort. Mais ne semble-t-il pas qu'ils
soient généreux à bon compte ? Pour-
quoi n'ont-ils pas fait, de leur vivant,
le bien que leurs dernières volon-
tés prescrivent à d'autres ? Voilà un
monsieur, par exemple, qui laisse vingt
mille francs pour fonder à l'Académie
française un prix annuel d'éloquence et
de poésie. Ces vingt mille francs sont les
bien venus; à la bonne heure! mais qui
empêchait ce protecteur des lettres de
chercher lui-même, au temps où il vi-
vait, un jeune homme pauvre, instruit,
laborieux, auquel il aurait reconnu du
talent; de le sauver des mauvais conseils
de la misère en lui donnant, de la main
à la main, une partie de ces fameux
vingt mille francs ? Il aurait eu ce plaisir,
que Labruyère recommande comme le
premier de tous, de rencontrer les yeux
d'une personne à qui il aurait rendu ser-
vice. Peut-être même aurait-il eu la
bonne fortune de faire éclore un chef-
d'œuvre. Il eût joui de sa bonne action.
Il est vrai qu'il n'aurait pas été loué so-
lennellement, en pleine distribution de
prix, à l'Académie, par un secrétaire
perpétuel. Mais ces éloges sont-ils si
agréables, quand on n'est plus, comme
disent les poètes, qu'une cendre insensi-
ble! Il y a dans tout ce faste de largesses
posthumes plus d'amour-propre et d'os-
tentation que de goût sincère de vertu.
Ces réflexions ne laissent pas d'être
justes dans la plupart des cas. J'ai ap-
pris avec bien du plaisir qu'elles ne s'ap-
pliquaient point à Mme la comtesse
de Caen. Elle avait, en faisant du bien
toute sa vie, mérité l'honneur d'en faire
encore après sa mort. Un de ses amis,
M. Alphonse de Jestières, a écrit sur elle
une notice biographique très-simple,
très-émue, et dont j'ai été fort touche.
Mme de Caen était la fille d'un des
plus honorables notaires de Paris, M.
Marchoux. Son mari était fils de l'ancien
capitaine général gouverneur de l'île de
la Guadeloupe. Elle était riche : le testa-
ment qu'elle a fait le prouve; il paraît
qu'elle était belle, ce qui ne gâte jamais
rien.
r Son biographe nous la représente
telle que nous voudrions que fassent
toutes nos Françaises : intelligente êt
bonne, aimant les lettres et les arts, s'y
connaissant et les pratiquant même,
sans avoir rien du bas-hleu. Elle pei-
gnait et sculptait, et quelques-unes de
ses œuvres ont figuré au salon, où elles
étaient appréciées des connaisseurs.
Mais ces occupations ne prenaient
qu'une part de sa vie, la moindre. Elle
donnait le meilleur de son âme à ses
devoirs de maîtresse de maison, aux
sollicitudes d'une charité ingénieuse et
active. Elle possédait à Saint-Georges-le-
Thoureil, canton de Gennes, dans le dé-
partement de Maine-et-Loire, une habi-
tation que tous les pauvres du pays
connaissaient bien.
L'angine est endémique en ces con-
trées où les malheureux logent dans des
espèces de caves, que forment de vieilles
carrières à tuffeau. La comtesse regar-
dait comme un de ses premiers devoirs
de châtelaine de s'en aller chez les ma-
lades que lui signalaient ses courtiers en
bienfaits, de s'asseoir à leur chevet, de
les veiller et de les secourir. C'est même
en leur donnant ses soins qu'elle con-
tracta le germe de la maladie qui l'a em-
portée en quelques jours.
Cette sorte de charité, qui est fami-
lière aux Françaises, ne lui suffisait
point. Elle en avait d'autres, non pas plus
respectables, mais plus intelligentes et
plus rares.
De son grand salon elle avait fait une
école. On y voyait, à côté des dressoirs
antiques, entre des crédences merveilleu-
sement, SCnlntftflS. pt mplp« fliiY nhiofs
d'art les plus curieux, des livres de
classe, des cahiers barbouillés d'encre,
des échantillons des produits du pays,
des instruments de travail ; puis çà et là,
empilés sur des chaises ou même jon-
chant le sol, des paquets de toile, des
ballots d'étoffes de toute espèce, des
fichus de toutes couleurs, des blouses,
des cottes, des bas, des chaussures, tous
objets qu'elle donnait et distribuait à
ceux qui lui étaient désignés comme les
plus nécessiteux.
Aussi était-ce chez elle un va-et-vient
indescriptible de pieds nus, de sabots,
de blouses et de cotillons, de journaliers
et de mendiants, de fermiers et de tra-
vailleurs qui venaient prendre leur part
des conseils et des aumônes de leur
bonne maîtresse : c'était le nom d'amitié
dont tout le monde l'appelait.
Elle faisait elle-même la classe aux
petits enfants ; elle la faisait même aux
hommes. Elle avait appris ce qu'il faut
savoir à la campagne pour combattre
la routine; elle enseignait aux paysans
les perfectionnements à apporter dans
l'outillage, les nouvelles méthodes de
culture, et, non contente de prêcher
d'exemple, elle encourageait par des
avances en argent ceux qui marquaient
le plus de goût pour ces innovations.'
Le dimanche, elle se retrouvait en-
core avec eux, et c'était elle qui touchait
l'orgue du village.
Elle n'a pas voulu que la mort même
la fît inutile à ce pays qu'elle avait com-
blé de ses bienfaits. Elle a établi par
son testament une ferme-école dans ses
propriétés de Saint-Georges. Les jeunes
gens de Saint-Gennes y seront admis
gratuitement; on leur apprendra tout ce
qui intéresse l'agriculture, et une fois
sortis, après trois ans d'études, on les
pourvoira d'un petit viatique, pour atten-
dre le moment d'être employés.
Voilà, certes, une vie bien remplie et
une figure aimable. Ce qui me plaît, c'est
qu'avec toutes ses qualités solides Mme
de Caen était spirituelle et artiste. On peut
donc aimer les lettres sans être frivole
et rester gracieuse tout en se donnant
aux plus sévères études.
Ce caractère de femme n'était pas rare
autrefois. C'était par excellence celui de
la Française.
Si ce que dit M. de Jestières est vrai,
Mme la comtesse de Caen en aurait été
un des plus charmants modèles. Et y
eût-il quelque exagération dans cet éloge,
où serait le mal ? Il n'est pas mau-
vais de placer un peu haut l'idéal où
toutes doivent s'efforcer d'atteindre.
FRANCISQUE SARCEY.
INFORMATIONS
Une dépêche de Bruxelles annonce que
le traité de commerce franco-belge a été
signé hier par M. le comte d'Aspremont-
Lynden pour la Belgique, et par AIM. Er-
nest Picard et Ozenne pour la France.
Une députation des fabricants de sucres
.du Nord est venue hier à Versailles pour
défendre les intérêts de son industrie.
M. Cantonnet, préfet du Rhône, est ar-
rivé à Versailles; il sera entendu dans la
prochaine réunion de la commission de
décentralisation, relativement au projet
sur la suppression des mairies centrales.
L'Union républicaine, qui devait pu-
blier hier le texte de son adresse au géné-
ral Garibaldi, a renoucé à envoyer cette
adresse à Caprera.
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