3° Année. — N0 449
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 10 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Vendredi 7 Févrièr 1873.
E
RÉDACTION
iradresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à iminuit
go rue Drouot. 2
Les manuscrits non insérés seront' rendus
ABD NJN E MEN T S -
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2, rue Drouot, 2
Les lettres non a/franchies seront refusées
ABOMMEMENTS
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
PARIS
Trois mois. 13 fr.
Six mois 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois moi3 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et. C.
6, place de la Bourse, a
PARIS
Trois mois 13 fr.
Six mois 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS '>
Trois mois.16 fr.
Six mois. 32
Un au 62 -..
-
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et ce
6, plaee de la Boone, 6
JOURN ÉE POLITIQUE
Parts, le 6 février 4875.
Ce que le public attend aujourd'hui,
c'est le récit de la nouvelle entrevue de
M. Thiers avec la commission des trente.
Il n'y a point, à vrai dire, d'autres ques-
tions de politique intérieure. Tout au plus
pourrions-nous dire quelques mots, d'une
longue circulaire adressée par le ministre
des travaux publics, M. de Fourtou, aux
administrations des chemins de fer, pour
leur recommander de veiller sur le col-
portage de pétitions dissolutionnistes, que
les employés des compagnies signent et
font signer dans les gares.
Il est bien certain que les employés
doivent avoir autre chose à faire, et que,
si leurs chefs les obligeaient à ne se livrer
qu'en dehors du service à la propagande
d'idées politiques quelconques , personne
n'y contredirait; mais il nous semble aussi
que ce genre d'abus ne méritait point que
M. de Fourtou écrivît une circulaire, sur-
tout aussi développée et, qu'il nous per-
mette d'ajouter, aussi pleine de subtilités
et de fausses distinctions.
Le droit de pétition demeurant réservé,
sinon intact, M. de Fourtou n'avait qu'à
dire, à supposer qu'il tînt à dire quelque
chose, qu'une gare n'est point un lieu où
ce droit puisse être exercé, et que des con-
férences politiques hors de saison y porte-
raient préjudice aux intérêts du public et
dgs compagnies. Il préfère, au lieu de cela,
se jeter sur le délit de colportage ! Le péti-
tionnement, il ne l'attaque point, mais il
s'en prend à ce malheureux colportage,
qu'il traite de « propagande manifestement
destructive de la spontanéité 1 » Voici à
quels traits il explique ensuite que doit se
reconnaître le délit : a Il faut que celui
qui détient la pétition s'en dessaisisse
dans le but de la faire circuler de main en
main, contrairement aux prohibitions du
législateur, qui interdit la distribution d'é-
crits à tous les individus qui ne sont pas
pourvus d'une autorisation délivrée dans
les formes établies par l'article 6 de la loi
précitée. Etc., etc. »
Oa le regrettera pour M. de Fourtou,
mais il ne donne ici qu'une piètre idée de
la netteté de se* conceptions. Et voilà
comme l'on a tort, lorsqu'on est chargé
d'un département spécial, de faire des ex-
cursions politiques hors de son domaine
et de s'embrouiller soi-même à plaisir!.
Si nous disons cela, c'est que nous suppo-
sons que le jugement de M. de Fourtou
est plus sûr, et que ses instructions sont
plus raisonnables et plus nettes dans les
affaires qui sont ordinairement de son res-
sort. Mjais peut-être nous trompons-nous.
Le Journal de Saint-Pétersbourg contient
une nouvelle importante : l'affaire de l'Asie
centrale est réglée, il n'y a plus de « ques-
tion khi vienne j>. Nous n'avons sous les
yeux qu'un résumé télégraphique de l'ar-
ticle où est annoncée l'issue des négocia-
tions anglo-russes. Il y est dit seulement
que tout est terminé, que l'on est d'accord
notamment sur la délimitation des fron-
tières et sur les règles que les deux puis-
sances devront réciproquement observer.
L'entente est tout à fait satisfaisante, con-
clut la feuille eusse; la Russie, en Asie
autant qu'en Europe, ne cherche que le
maintien de la paix; ses propres intérêts
lui commandent cette politique.
Les communications postales sont abso-
Ifl.,u-.t infoirffinipvAa-^AiftmR -huit jours en-
tre l'Espagne et la France, ce qui remplit
de joie Y Univers on reçoit toutefois en-
core, avec des retards, des dépêches télé-
graphiques de Madrid,
Les dernières, arrivées le 5, sont datées
du 3. Nous y voyons que, dans l'engage-
ment d'Aya, les carlistes ont eu 500 morts
et 200 prisonniers. Ils ont perdu un millier
de fusils et des munitions de toute sorte.
Telles sont les. nouvelles officielles. Les
journaux légitimistes de Paris en publient
d'autres, naturellement très-différentes,
mais où l'on trouvera cependant un aveu
déguisé de cette défaite. Malheureusement,
lé petit combat d'Aya n'est point décisif, et
les bandes qui, sous la conduite de cabe-
cillas ou même de curés, coupent les che-
mins de fer, font sauter les ponts et por-
tent partout avec elles la destruction èt
l'incendie, font un mal qu'on aura bien de
la peine à arrêter.
Le télégraphe annonce aussi, d'après la
Epoca, que don Alphonse de Bourbon, le
généralissime, n'est pas encore entré en
Catalogne et qu'il se tient sur la frontière.
Don Carlos résiderait tranquillement en
France, de son côté, daus le département
des Pyrénées-Orienlalés. C'est d'un peu
loin que cet deux princes encouragent leurs
serviteurs. Même chose advint, d'ailleurs,
chez nous pendant l'insurrection ven-
déenne.
Voici M. l'abbé Mermillod nommé par
le Saint-Siège évêque de Genève, malgré
le gouvernement genevois. Le bref ponti-
fical du 16 janvier, qui érige en vicariat
apostolique le canton de Genève en faveur
de son ancien curé, a été lu dimanche dans
toutes les églises catholiques, à la grande
indignation du conseil d'Etat et de la popu-
lation protestante. Une dépêche de Berne
nous apprend que le conseil fédéral refuse
formellement de reconnaître le bref du
pape. Nous trouvons cependant dans l'U-
nivers le texte d'un mandemkBiiaà3««?fres-
- -- -. 1
sif de M. Mermillod, qui tenait sans aoute
à jeter un défi au pouvoir civil, plus irrité
déjà qu'il ne faudrait. C'est beaucoup d'in-
solence et surtout beaucoup d'imprudence;
et l'on ne servira, par de telles provoca-
tions, ni les intérêts du catholicisme, ni la
cause de la liberté religieuse.
EUG. LIÉBERT.
PROPOSITION CONSTITUTIONNELLE
DU GOUVERNEMENT
M. Dafaure, garde des sceaux, ministre de la
justice, a déposé hier à la commission des.
trente, au nom du gouvernement, la proposition
suivante :
IL SERA STATUÉ, DANS UN BREF DÉLAI, PAR
DES LOIS SPÉCIALES :
1" SUR LA COMPOSITION ET LE MODE D'ÉLEC-
TION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE QUI
REMPLACERA L'ASSEMBLÉE ACTUELLE ;
2° SUR LA COMPOSITION, LE MODE D'ÉLECTION
ET LES ATTRIBUTIONS D'UNE DEUXIÈME
CHAMBRE ;
3° SUR L'ORGANISATION DU POUVOIR EXÉCUTIF
POUR LE TEMPS QUI S'ÉCOULERA ENTRE
LA DISSOLUTION DE L'ASSEMBLÉE AC-
TUELLE ET LA eONSTITUTION DES DEUX
NOUVELLES ASSEMBLÉES.
1 -
Voir à la seconde page le discours que
M. Thiers a prononcé à la commission des
trente.
+
FBÈRES, IL FAUT MOURIR
Patience et longueur de temps font
plus que force ni que rage. M. Thiers
vient de nous le prouver une fois de
plus par sa dernière entrevue avec la
commission des trente.
Depuis six semaines nous répétions à
satiété que messieurs les commissaires
n'obéissaient pas au mandat qui leur
avait été confié ; nous dénoncions la ca-
fuistique tortueuse des gens de la droite,
qui s'efforçaient de justifier la conduite
e la majorité de la commission, en
rappelant que si le projet Batbie avait
été repoussé par un vote, ce n'étaient
point des partisans du projet Dufaure
qui avaient été choisis par l'Assemblée
pour composer la commission, et qu'en
conséquence, il était tout naturel que
le projet Batbie fût d'abord étudié,
pauf à examiner plus tard le projet
pufaure.
Et la commission allait toujours, pré-
parant quoi? L'organisation de la res-
ponsabilité ministérielle sous toutes ses
formes. Quant à l'organisation des pou-.
voirs publics, expressément votée dans
la séance du 29 novembre, on en parlait
bien un peu, mais à la cantonnade. On
verrait plus tard ; à Pâques, ou bien à la
Trinité.
Le président de la République a com-
pris qu'un pareil sans-gêne passait la
permission, et il vient de signifier for-
mellement à messieurs les trente d'avoir
à tenir compte des décisions de la majo-
rité parlementaire, qui n'a point voulu
séparer l'organisation des pouvoirs pu-
blics de la responsabilité ministérielle,
ou, en d'autres termes, fournir au légis-
latif des garanties contre l'exécutif sans
en fournir en même temps à l'exécutif
contre le législatif.
La commission ne devait point s'at-
tendre à être si vertement rappelée à son
devoir, et nous allons sans doute en
entendre de belles ! Au fait, on ne peut
mettre plus galamment le couteau sous
la gorge des gens. M. Thiers est venu
leur dire : « Tout cela, c'est très-
bien ; vous vous êtes occupés de
vous, de vos petites affaires, de vos
petits intérêts; mais il s'agit mainte-
nant de songer aux choses sérieuses. Ne
vous imaginez point, bonnes gens, que
vous soyez immortels. Un jour ou l'au-
tre, il vous faudra déguerpir, et il impor-
te qu'avant de boucler vos malles, vous
prépariez le logement de vos succes-
seurs. »
Et le chœur antique, représenté par
M. le garde des sceaux, opinait du bon-
net, disant aux commissaires : Frères, il
:f.-.nt mnnriv î
iaUl AA •
« Vous devez comprendre, a continué
M. Thiers, que l'expérience actuelle d'une
Chambre unique me paraît plus que suf-
fisante; j'entends donc que vous formuliez
un projet sur la composition, le mode
d'élection et les attributions d'une se-
conde Chambre. Je suis même très-
pressé ; il me faut cela tout de suite,
car enfin vous n'en avez plus pour
longtemps, mes bons amis, et. »
M. Dufaure, interrompant : Frères, il
faut mourir !
« Encore un peu de patience, mes-
sieurs; un mot et je finis, a dit M. Thiers
en terminant. Il est indispensable d'é-
viter toute solution de continuité dans
le gouvernement, ce qui arriverait
si vous négligiez de prévoir la fa-
çon dont se transmettra le pouvoir.
Il se passera nécessairement quelques
semaines, quelques mois peut-être en-
tre le jour où l'Assemblée actuelle dis-
paraîtra et celui où une AssemMée nou-
velle viendra prendre sa place. Je vous
invite à statuer dans le plus bref délai
sur la façon dont s'exercera le pouvoir
exécutif pendant cet intervalle. »
Et M. Dufaure murmurait toujours :
Frères, il faut mourir !
C'est pourtant vrai ; lisez cette séance
de la commission ; elle rappelle beau-
coup cette scène d'une comédie cé-
lèbre, les Fatix- bonshommes, où M. Pé-
ponnet, qui vient de subir la lecture
d'un projet de contrat de mariage pour
son fils, s'écrie d'un air désespéré : Ah!
ça, mais, il n'est question que de ma
mort là-dedans !
E. SCHNERB.
-
L'ITALIE NOUVELLE
LA QUESTION RELIGIEUSE
(PREMIER ARTICLE.)
On voit à Rome, chez un papetier du
Corso, une photographie coloriée qui
représente le Saint-Père appuyé sur le
bras du roi d'Italie. Pie IX bénit le peu-
ple; Victor-Emmanuel, boutonné jus-
qu'au cou dans son habit de général, a
cette physionomie digne et simple que
l'on connaît ; les deux augustes person-
nages semblent être les meilleurs amis
du monde.
Un évêque français, mis en présence
d'une telle fantaisie, crierait au scandale
et peut-être enfoncerait d'un coup de
poing la vitrine du papetier. Les Italiens,
qui ne sont pas plus mécréants que nos
évêques, passent, regardent et sourient.
Pas un seul Polyeucte, au moins jusqu'à
présent, n'a fait le geste de briser cette
image. Je dis plus : il ne paraît pas que
le public la trouve impie.
Une opinion assez accréditée chez nos
voisins est que la monarchie italienne et
le Saint-Siège se réconcilieront tôt ou
tard. On ajoute, et non sans quelque
vraisemblance, que malgré l'esprit ab-
solu de Pie IX et son caractère intrai-
table, l'accord se ferait dès demain si le
pape n'était soutenu par l'espoir d'une
intervention étrangère. Que la France, à
l'exemple de tous les grands Etats, se
désintéresse enfin d'un conflit où elle
n'a lien à voir, tout se passera désor-
mais entre Italiens, et les Italiens, clercs
iou laïques, ont le génie des accommo-
dements.
En Italie, la société civile et le monde
religieux sont peut-être moins irrécon-
ciliables qu'on ne le suppose à Paris
gardons-nous de juger le prochain d'a-
près nous-mêmes !
J'entre à l'Assemblée de Versailles, je
prends entre le pouce et l'index un dé-
puté de la droite ou du centre droit, un
de ces honorables qui représentent très-
provisoirement la majorité de la France.
Si nous l'examinons de près, non pas
tel qu'il s'applique à paraître, ni même
tel qu'il croit être, mais tel que la na-
ture et les circonstances l'ont fait, nous
trouverons en lui un sceptique clérical. Il
ne croit pas, il ne se souvient pas d'avoir
cru depuis le collège aux dogmes, aux
mystères, aux miracles et à toutes les
fictions garanties par l'Eglise catholique;
mais le respect humain, le bon ton et
surtout la peur l'ont enrôlé dans un
parti qui manœuvre la religion comme
un frein. Cette mythologie, dont il rira
volontiers entre amis, après boire, lui
paraît assez bonne pour sa femme, pour
ses enfants et surtout pour le peuple.
Il voudrait que tous les pauvres eus-
sent la foi, parce que la menace des
châtiments éternels agit autant et coûte
moins que la gendarmerie; il désire que
les malheureux soient consolés par l'es-
poir d'une vie meilleure, qui les rendra
moins exigeants dans celle-ci. Pour ar-
river à ces fins, il a fait alliance avec M.
Dupanloup et ses vénérables frères; il
marche sous leur drapeau; il obéit à
leur consigne ; il est prêt à tous les sa-
crifices pour acheter cette sécurité que
le néo-catholicisme politique offre à ses
partisans. Il livrera l'instruction publi-
que au clergé ; il subventionnera les
moines; il interdira le travail du di-
manche ; il sévira contre les libres-pen-
seurs ; il suivra les processions ; il cour
ra les pèlerinages ; il ferait même, ou du
moins il voterait une croisade en faveur
du Temporel, si la France n'était pas con-
valescente.
Transportez-vous à Rome, entrez au
palais de Monte-Citorio et répétez la
même expérience sur un député de la
droite. Vous trouverez en lui un catho-
lique peu fervent, mais sincère, qui dès
l'enfance a respiré la foi dans l'air am-
biant et qui s'en est imbu jusqu'à là
moëlle des os, sans effort, sans résis-
tance, sans ces combats intérieurs qui
bouleversent les âmes. Il croit comme il
digère, comme il marche, comme il
dort ; et non-seulement il croit, mais il
pratique. Il ne s'en fait pas un mérite, il
ne s'en cache pas non plus, il ne se dit
pas: j'ai dompté les révoltes de ma rai-
son, quelle victoire ! Il se dit encore
moins : je me dégrade en niant la lu-
mière en plein midi. Non; son esprit
est assez large pour que la foi et la rai-
son y logent côte à côte, sans se heurter
ni se combattre. Un modus vivendi s'est
établi spontanément entre ces deux puis-
sances jumelles plutôt que rivales. Cela ne
s'est pas fait, je le crois bien, sans quel-
ques concessions réciproques ; le dogme
ne pousse point ses droits aussi loin qu'il
le pourrait, et la raison, sensible à ce
bon procédé, n'abuse pas de ses avanta-
ges. Une affirmation discrète et réduite
au strict nécessaire émousse tous les
traits de la dialecticrue et désarme l'es-
prit de discussion. Dieu, la Vierge et les
Saints du paradis sont là-bas des autori-
tés aimables et tolérantes, de bonne
composition, faciles à vivre; on ne leur
refuse rien, et c'est justice, car elles
exigent peu. La légende, qui est belle,
amuse l'imagination ; les splendeurs du
culte flattent l'œil. Le méridional ne se
trouvera jamais déplacé dans ces temples
magnifiques, au milieu des pompes
éblouissantes et grandioses d'un culte ar-
tiste. Si l'esprit critique aventurait quel-
que objection mal sonnante, toutes les
facultés sensitives de l'homme s'uniraient
pour lui imposer silence. Voilà pour-
quoi, comment et dans quelle mesure
les Italiens les plus instruits et les plus
cultivés sont presque tous catholiques,
croyants et pratiquants.
Mais ils ne sont pas cléricaux, ils ne
le sont ni peu ni prou, et vous ne les
blâmeriez point si vous pouviez un seul
instant vous mettre à leur place.
D'abord les dangers plus ou moins
sérieux qui menacent chez nous l'ordre
social sont encore inconnus en Italie.
Si ;l'on comprend à l'extrême rigueur
qu'un Parisien eenappe par miracle aux
violences, aux fusillades, aux incendies
et aux malpropretés de la Commune,
vende son âme au démon clérical en
échange d'une sécurité vraie ou fausse,
les Italiens, protégés par une dynastie
populaire, par un gouvernement libéral,
par une armée énergique et dévouée,
n'ont pas lieu de chercher un point d'ap-
pui en dehors de l'organisation légale.
Le noyé s'accroche où il peut, toute
branche lui paraît bonne, mais les Ita-
liens ne sont pas menacés de la noyade.
Peut-être se feraient-ils cléricaux, comme
tant d'autres, par instinct de conserva-
tion, si tous les éléments conservateurs
de la société laïque étaient battus, minés,
ébranlés par le flot montant d'une dé-
magogie avide et stupide. Il n'en sont
pas là, Dieu merci - !
La peur de la révolution, qui recrute
le parti clérical en France, est inconnue
au-delà des Alpes. En revanche, le grand
parti de la société laïque y est recruté et
renforcé au jour le jour par la peur de
la réaction.
C'est l'esprit laïque, heureusement
incarné dans la maison de Savoie, qui a
réalisé l'indépendance et l'unité natio-
nales, ce double rêve de tous les Ita-
liens. C'est lui qui, en un rien de temps,
a élevé l'Italie au premier rang des so-
ciétés modernes, en proclamant le droit
de penser, de parler et d'écrire, en
donnant à 27 millions d'hommes la li-
berté religieuse, la liberté civile, la li-
berté économique. Il a réorganisé la fa-
mille en abolissant les plus tristes abus
du moyen-âge ; il a civilisé la propriété
en rendant à la circulation les biens de
main-morte. Aussi tous les Italiens sont-
ils les membres dévoués et passionnés
de la société laïque. Comment sympa-
thiseraient-ils avec le parLi clérical que
son histoire, son langage et ses préten-
tions déclarées signalent comme un
implacable ennemi de la société mo-
derne ?
On ne peut pas oublier du jour au len-
demain les misères et les abominations
,de l'ancien régime; on se rappellera
longtemps cette complicité du clergé ca-
tholique avec quelques affreux petits
idespotes armés en guerre contre leurs
:sujets. La domination étrangère à Milan
jet à Venise, les garnisaires étrangers à
iBologne, à Florence, à Rome; les mer-
cenaires étrangers à Naples; l'oppres-
sion partout, une police inquisitoriale,
;l'ignorance érigée en moyen de gouver-
nement, la famille arbitrairement mani-
pulée par le prêtre, la violation systé-
matique des droits privés, les garçons
Fariés malgré eux, les filles emprison-
iuées dans un couvent malgré elles, le
petit Mortara volé à ses parents, l'égalité
naturelle des frères insultée par le droit
d'aînesse, l'industrie paralysée, le côm-
merce entravé, la liberté d'aller et venir
oumise au bon plaisir des sbires, les
bonnes terres accaparées et frappées de
stérilité par les moines, dans un pays où
la moitié du sol est rebelle à toute cul-
ture ; voilà les souvenirs qui bouillon-
nent dans le cerveau des Italiens au seul
nom du parti clérical.
Cette réaction que nos évêques préten-
dent leur offrir à la pointe des baïonnet-
tes françaises, que serait-elle, sinon l'a-
néantissement de l'ordre nouveau, cher
à tous, et la résurrection d'un passé qu'on
abhorre ? L'invasion étrangère est la fin
de l'indépendance, la restauration d'un
seul prince est la mort de l'unité ; l'exhu-
mation des vieilles lois dont le nouveau
gouvernement a fait litière supprimerait
toutes les libertés. Je dis plus : tous les
hommes d'ordre regardent les cléricaux
comme les ennemis de la famille et de la
propriété modernes ; ils frémissent à l'i-
dée de revoir les biens de main-morte
possédés en commun par des célibatai-
res, qui sont en même temps des fédé-
raux et des internationaux, les moines !
L'horreur de l'Internationale rouge, qui
trouble tant de Francais et les jette tout
éperdus dans les bras du cléricalisme, je
la retrouve en Italie, mais tournée contre
l'Internationale noire. Et ce sentiment est
si vif que j'ai entendu quelques hommes
d'Etat se demander ce qu'il adviendrait
de la civilisation, si un pape s'avi-
sait de réunir les deux Internationales en
une seule bande ? La religion catholique
est une arme à deux tranchants, il y a
des textes pour tout dans l'Evangile; on
y trouve le communisme, le prêt gratuit
et tout ce que les révolutionnaires les
plus audacieux ont inventé pour battre
en brèche la société moderne. Or, la
société italienne n'entend pas se laisser
détruire; elle se défend.
Mais nos spirituels voisins se défen-
dent en gens de goût, de sens et de
mesure; ils ne singeront jamais ni les
folies stupides des iconoclastes ni les
fureurs sanguinaires des septembriseurs.
Autant ils semblent résolus à s'affranchir
de la domination cléricale, autant je les
crois décidés à conserver leur foi, leur
culte et même leurs pasteurs.
Ceux qui ne les connaissent point s'ima-
ginent qu'ils pourraient embrasser le
protestantisme ou donner dans le schis-
me du bon Allemand Dollinger. Quelle
erreur ! Des résolutions si extrêmes com-
portent un degré de fanatisme qu'ils
n'ont point. Ils sont tout juste assez
convaincus pour rester catholiques, et, si
je ne me trompe, très-suffisants catho-
liques.
Quant au positivisme, au panthéisme,
au déisme et aux autres formes de l'a-
théisme, ils en sont à mille lieues. Les in-
trigues, les menaces et les provocations
du parti clérical ne réussiront point à. les
brouiller avec Dieu, la Vierge et les saints,
ni même avec leurs prêtres et leurs évê-
ques un peu raisonnables. L'Italien a
son idée, il ne veut pas céder sa part de
Paradis , il le veut d'autant moins que
le chemin du ciel, tel que ses pères
l'ont tracé, macadamisé et bordé de pe-
tits jardins, rend l'ascension facile et
douce. Il remplira ses devoirs stricts,
il entendra la messe, il prêtera l'oreille
au sermon, il recevra les sacrements au
jour marqué par le catéchisme ; et
comme il ne peut ni célébrer la messe
lui-même, ni acheter l'absolution de ses
fautes chez l'épicier du coin, il main-
tiendra le clergé national sur un pied
convenable et ne lésinera ni sur le bud-
get des paroisses, ni sur le traitement
des évêques, ni sur la subvention des
séminaires.
Cette grande et pacifique révolution
qui s'accomplit en Italie depuis 1859 n'a
pas porté la moindre atteinte aux droits
du clergé séculier. Non-seulement l'Etat
se serait fait scrupule de taquiner les
évêques ou les simples vicaires, mais il
se laisse persécuter par eux avec une
bonhomie édifiante. Tout leur est permis
dans l'église et à la porte de l'église, ils
crient, ils affichent, ils publient ce qui
leur passe par la tête; le spirituel est
leur bien, leur domaine, ils s'y ébattènt
plus librement que M. Dupanloup lui-
même n'oserait le faire chez nous.
Quant à leur temporel, je veux dire leur
revenu, on l'a réduit lorsqu'il était exor-
bitant, mais on l'a réduit à des propor-
tions qu'un évêque français trouverait
fort décentes. Dans cet enfer des con-
tribuables où tous les citoyens doivent
le tiers de leur revenu à l'Etat, les béné-
fices paroissiaux sont taxés à 5 0^0 sur
tout revepu net de plus de 2,000 francs
et de moins de 5,000; à 12 0[0 entre
5,000 et 10,000, et à 20 0[0 sur les re-
venus nets supérieurs à ce chiffre. Les
archevêchés et évêchés donnent un tiers
sur leurs revenus nets au-dessus de
10,000 francs, moitié sur ceux qui dé-
passent 20,000, deux tiers au-dessus de
30,000, et la totalité au-dessus de
60,000. (Décret royal du 7 juillet 1866,
art. 31, §§ 1 et 3.) Ou je me trompe fort,
ou la plupart des prélats français ren-
draient grâces à Dieu d'une spoliation
si généreuse.
Si le clergé italien laisse percer çà et
là quelque mécontentement, c'est paree
qu'il oppose le présent au passé; il ne se
plaindrait pas s'il comparait son sort à
celui des autres clergés catholiques. Il
jouit d'une liberté absolue, à la condi-
tion de respecter le droit d'autrui ; l'Etat
lui fournit les moyens de vivre digne-
ment, et les fidèles lui témoignent plus
de respect et d'amitié qu'au temps de sa
toute-puissance.
On ne se fait aucun scrupule de tour-
ner le dos aux prélats qui bravent les lois
de l'Etat et les droits de la société civile;
mais un bon prêtre, qui accomplit mo-
destement son devoir, comptera autant
d'amis que de paroissiens. Quant au res-
pect des choses saintes, je ne sais s'il est
très-profond, mais à coup sûr il est una-
nime. Au commencement de janvier, je
rencontrai l'archevêque de Bologne
dans son carrosse et j'observai que peu
de gens le saluaient; à peine trois sur
dix : c'est un prélat qui sans raison s'est
mis en guerre avec le gouvernement du
pays. Quelques heures après, je vis pas-
ser un pauvre vicaire qui portait le
saint-sacrement : pas un homme ne resta
découvert, et plus d'un s'agenouilla dans
la rue. Où le culte a conservé tant de
prestige, un prêtre qui n'est pas respecté
ne doit s'en prendre qu'à lui-même.
ABOUT.
(A suivre.)
« —————————.
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 5 février 4875:
Trois heures. Il paraît que la séance est
ouverte. Iln'y a que les habitués qui puis-
sent s'en douter ; la salle est quasi vide,
la commission n'est même pas à son banc.
Au coin de droite, un spectacle qui repose
la vue : M. Rouher, retour de Chialehurst,
M. Rouher pérorant avec une grande ani-
mation au milieu d'un groupe ; M. de
Plœuc semble tenir tête à l'ex-vice empe-
reur, mais les députés bonapartistes l'é-
coutent, le cou tendu, la tête un peu basse,
avec componction. Cela amuse l'œil et dé-
tend l'esprit, qui voltige du côté du 11e
bureau, où M. Thiers et M. Dufaure sont
enfermés, pour la seconde et dernière fois,
avec les membres de la commission des
trente.
Vous savez : Il s agit toujours de la ré-
glementation du travail des enfants dans
les manufactures ! Aujourd'hui, l'on traite
le travail de nuit.
Cet article 4 se subdivise en plusieurs
paragraphes. Le premier, « les enfants
ne peuvent être employés à aucun travail
de nuit jusqu'à l'âge de 16 ans révolus,» est
voté sans difficulté. Mais le second trouve.
de nombreux adversaires. Voici ce second
paragraphe : *
« La même interdiction est appliquée à
l'emploi dans les usines et manufactures
des filles âgées de moins de 21 ans. »
La morale, messieurs, la saine moraLe!
Il paraît que, nuitamment, il se pass e,
dans les usines et manufactures, des ci io-
ses. Il y a là comme une sorte de feu
grisou terrible pour les jeunes mineu res,
un feu grisou qui fait sauter les cœiK s.
Aussi un dèputé très-moral proposa -t-il
d'ajouter au 2e paragraphe : « des nU es et
des femmes âgées de moins de 21 aças. »
Et un autre député, M. Wolowski, 'pous-
sant la moralité jusqu'aux dernières, limi-
tes — celles qu'elle n'a jamais attei ntes —
supprime-t-il complètement le tra rail des
femmes, la nuit.
Très-heureusement les curieuses des tri-
bunes ne doivent rien entendre de, ce que
disent les orateurs. Il fait un temps gris,
noir ; la salle est sombre et semble s'être
mise à l'unisson de l'article. Da ns le fond,
on devine la tribune, et l'on dis'ic.gue mal,
à cette tribune, une boule clair.-e placée au
sommet d'une masse noire : c'est la tête
d'un orateur surmontant lared ingote noire
d'un philanthrope. Le temps • s'éeiaircit un
peu ; nous voyons que le to ut appartient
à M. Prétavoine.
M. Préiavoine est celui q ui met dans le
même sac « les femmes et les filles âgées
de moins de 21 ans. »
« Ron, ron ! » répond en chœur l'As-
semblée, avec ce bruit co-nt: inu, persistant,
igacaiit, que les oratears inécoutés doi-
vent entendre parfois, la n uit, dans leurs
cauchemars.
Au tour de M. WOowskj. Pas de fem-
mes du tout, ni filles, ni mariées, ni jeu-
nes, m vieilles.
« Ron, ron, ron! » conti] true la salle.
La vérité est que, sur un sujet qui n'est
Dase que sur aes arçume flts moraux ou
philosophiques, chacun a ( :u le tômpr de
se faire une opinion.'
A trois heures et demie, on nous accorde
de la lumière. A la bonne ht jure ! on peut
voir enfin l'orateur, M. Fuuîin Giliou ;
par exemple, on continue à ne pas Fenten-
dre.
Ce luxe de luminaire r,ous permet de
voir passer au loin deux trentièmes de la
fameuse commission, M M. Barthe et de
Broglie. Mais, alors, la séance intime
est donc levée ?
On s'en aperçoit imulédiatement au
mouvement qui se produ it dans la salle.
Pendant que M. Teissere nc de BQrt com-
bat l'amendement Wolo-v vski et que M. To-
lain le soutient, l'auditl jire cause moins
haut, mais il caase avef 3 plus d'animation;
de petits groupes se so nt formés à droite,
à gauche ; on comment e les paroles pro-
noncées par M. Thiers La droite ne sem-
ble pas contente!
1 Sans vouloir entrer dans les détails, di-
sons que M. Dufaure vient d'apporter à la
commission un coy itre-projet opposé à
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 10 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Vendredi 7 Févrièr 1873.
E
RÉDACTION
iradresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à iminuit
go rue Drouot. 2
Les manuscrits non insérés seront' rendus
ABD NJN E MEN T S -
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2, rue Drouot, 2
Les lettres non a/franchies seront refusées
ABOMMEMENTS
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
PARIS
Trois mois. 13 fr.
Six mois 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois moi3 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et. C.
6, place de la Bourse, a
PARIS
Trois mois 13 fr.
Six mois 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS '>
Trois mois.16 fr.
Six mois. 32
Un au 62 -..
-
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et ce
6, plaee de la Boone, 6
JOURN ÉE POLITIQUE
Parts, le 6 février 4875.
Ce que le public attend aujourd'hui,
c'est le récit de la nouvelle entrevue de
M. Thiers avec la commission des trente.
Il n'y a point, à vrai dire, d'autres ques-
tions de politique intérieure. Tout au plus
pourrions-nous dire quelques mots, d'une
longue circulaire adressée par le ministre
des travaux publics, M. de Fourtou, aux
administrations des chemins de fer, pour
leur recommander de veiller sur le col-
portage de pétitions dissolutionnistes, que
les employés des compagnies signent et
font signer dans les gares.
Il est bien certain que les employés
doivent avoir autre chose à faire, et que,
si leurs chefs les obligeaient à ne se livrer
qu'en dehors du service à la propagande
d'idées politiques quelconques , personne
n'y contredirait; mais il nous semble aussi
que ce genre d'abus ne méritait point que
M. de Fourtou écrivît une circulaire, sur-
tout aussi développée et, qu'il nous per-
mette d'ajouter, aussi pleine de subtilités
et de fausses distinctions.
Le droit de pétition demeurant réservé,
sinon intact, M. de Fourtou n'avait qu'à
dire, à supposer qu'il tînt à dire quelque
chose, qu'une gare n'est point un lieu où
ce droit puisse être exercé, et que des con-
férences politiques hors de saison y porte-
raient préjudice aux intérêts du public et
dgs compagnies. Il préfère, au lieu de cela,
se jeter sur le délit de colportage ! Le péti-
tionnement, il ne l'attaque point, mais il
s'en prend à ce malheureux colportage,
qu'il traite de « propagande manifestement
destructive de la spontanéité 1 » Voici à
quels traits il explique ensuite que doit se
reconnaître le délit : a Il faut que celui
qui détient la pétition s'en dessaisisse
dans le but de la faire circuler de main en
main, contrairement aux prohibitions du
législateur, qui interdit la distribution d'é-
crits à tous les individus qui ne sont pas
pourvus d'une autorisation délivrée dans
les formes établies par l'article 6 de la loi
précitée. Etc., etc. »
Oa le regrettera pour M. de Fourtou,
mais il ne donne ici qu'une piètre idée de
la netteté de se* conceptions. Et voilà
comme l'on a tort, lorsqu'on est chargé
d'un département spécial, de faire des ex-
cursions politiques hors de son domaine
et de s'embrouiller soi-même à plaisir!.
Si nous disons cela, c'est que nous suppo-
sons que le jugement de M. de Fourtou
est plus sûr, et que ses instructions sont
plus raisonnables et plus nettes dans les
affaires qui sont ordinairement de son res-
sort. Mjais peut-être nous trompons-nous.
Le Journal de Saint-Pétersbourg contient
une nouvelle importante : l'affaire de l'Asie
centrale est réglée, il n'y a plus de « ques-
tion khi vienne j>. Nous n'avons sous les
yeux qu'un résumé télégraphique de l'ar-
ticle où est annoncée l'issue des négocia-
tions anglo-russes. Il y est dit seulement
que tout est terminé, que l'on est d'accord
notamment sur la délimitation des fron-
tières et sur les règles que les deux puis-
sances devront réciproquement observer.
L'entente est tout à fait satisfaisante, con-
clut la feuille eusse; la Russie, en Asie
autant qu'en Europe, ne cherche que le
maintien de la paix; ses propres intérêts
lui commandent cette politique.
Les communications postales sont abso-
Ifl.,u-.t infoirffinipvAa-^AiftmR -huit jours en-
tre l'Espagne et la France, ce qui remplit
de joie Y Univers on reçoit toutefois en-
core, avec des retards, des dépêches télé-
graphiques de Madrid,
Les dernières, arrivées le 5, sont datées
du 3. Nous y voyons que, dans l'engage-
ment d'Aya, les carlistes ont eu 500 morts
et 200 prisonniers. Ils ont perdu un millier
de fusils et des munitions de toute sorte.
Telles sont les. nouvelles officielles. Les
journaux légitimistes de Paris en publient
d'autres, naturellement très-différentes,
mais où l'on trouvera cependant un aveu
déguisé de cette défaite. Malheureusement,
lé petit combat d'Aya n'est point décisif, et
les bandes qui, sous la conduite de cabe-
cillas ou même de curés, coupent les che-
mins de fer, font sauter les ponts et por-
tent partout avec elles la destruction èt
l'incendie, font un mal qu'on aura bien de
la peine à arrêter.
Le télégraphe annonce aussi, d'après la
Epoca, que don Alphonse de Bourbon, le
généralissime, n'est pas encore entré en
Catalogne et qu'il se tient sur la frontière.
Don Carlos résiderait tranquillement en
France, de son côté, daus le département
des Pyrénées-Orienlalés. C'est d'un peu
loin que cet deux princes encouragent leurs
serviteurs. Même chose advint, d'ailleurs,
chez nous pendant l'insurrection ven-
déenne.
Voici M. l'abbé Mermillod nommé par
le Saint-Siège évêque de Genève, malgré
le gouvernement genevois. Le bref ponti-
fical du 16 janvier, qui érige en vicariat
apostolique le canton de Genève en faveur
de son ancien curé, a été lu dimanche dans
toutes les églises catholiques, à la grande
indignation du conseil d'Etat et de la popu-
lation protestante. Une dépêche de Berne
nous apprend que le conseil fédéral refuse
formellement de reconnaître le bref du
pape. Nous trouvons cependant dans l'U-
nivers le texte d'un mandemkBiiaà3««?fres-
- -- -. 1
sif de M. Mermillod, qui tenait sans aoute
à jeter un défi au pouvoir civil, plus irrité
déjà qu'il ne faudrait. C'est beaucoup d'in-
solence et surtout beaucoup d'imprudence;
et l'on ne servira, par de telles provoca-
tions, ni les intérêts du catholicisme, ni la
cause de la liberté religieuse.
EUG. LIÉBERT.
PROPOSITION CONSTITUTIONNELLE
DU GOUVERNEMENT
M. Dafaure, garde des sceaux, ministre de la
justice, a déposé hier à la commission des.
trente, au nom du gouvernement, la proposition
suivante :
IL SERA STATUÉ, DANS UN BREF DÉLAI, PAR
DES LOIS SPÉCIALES :
1" SUR LA COMPOSITION ET LE MODE D'ÉLEC-
TION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE QUI
REMPLACERA L'ASSEMBLÉE ACTUELLE ;
2° SUR LA COMPOSITION, LE MODE D'ÉLECTION
ET LES ATTRIBUTIONS D'UNE DEUXIÈME
CHAMBRE ;
3° SUR L'ORGANISATION DU POUVOIR EXÉCUTIF
POUR LE TEMPS QUI S'ÉCOULERA ENTRE
LA DISSOLUTION DE L'ASSEMBLÉE AC-
TUELLE ET LA eONSTITUTION DES DEUX
NOUVELLES ASSEMBLÉES.
1 -
Voir à la seconde page le discours que
M. Thiers a prononcé à la commission des
trente.
+
FBÈRES, IL FAUT MOURIR
Patience et longueur de temps font
plus que force ni que rage. M. Thiers
vient de nous le prouver une fois de
plus par sa dernière entrevue avec la
commission des trente.
Depuis six semaines nous répétions à
satiété que messieurs les commissaires
n'obéissaient pas au mandat qui leur
avait été confié ; nous dénoncions la ca-
fuistique tortueuse des gens de la droite,
qui s'efforçaient de justifier la conduite
e la majorité de la commission, en
rappelant que si le projet Batbie avait
été repoussé par un vote, ce n'étaient
point des partisans du projet Dufaure
qui avaient été choisis par l'Assemblée
pour composer la commission, et qu'en
conséquence, il était tout naturel que
le projet Batbie fût d'abord étudié,
pauf à examiner plus tard le projet
pufaure.
Et la commission allait toujours, pré-
parant quoi? L'organisation de la res-
ponsabilité ministérielle sous toutes ses
formes. Quant à l'organisation des pou-.
voirs publics, expressément votée dans
la séance du 29 novembre, on en parlait
bien un peu, mais à la cantonnade. On
verrait plus tard ; à Pâques, ou bien à la
Trinité.
Le président de la République a com-
pris qu'un pareil sans-gêne passait la
permission, et il vient de signifier for-
mellement à messieurs les trente d'avoir
à tenir compte des décisions de la majo-
rité parlementaire, qui n'a point voulu
séparer l'organisation des pouvoirs pu-
blics de la responsabilité ministérielle,
ou, en d'autres termes, fournir au légis-
latif des garanties contre l'exécutif sans
en fournir en même temps à l'exécutif
contre le législatif.
La commission ne devait point s'at-
tendre à être si vertement rappelée à son
devoir, et nous allons sans doute en
entendre de belles ! Au fait, on ne peut
mettre plus galamment le couteau sous
la gorge des gens. M. Thiers est venu
leur dire : « Tout cela, c'est très-
bien ; vous vous êtes occupés de
vous, de vos petites affaires, de vos
petits intérêts; mais il s'agit mainte-
nant de songer aux choses sérieuses. Ne
vous imaginez point, bonnes gens, que
vous soyez immortels. Un jour ou l'au-
tre, il vous faudra déguerpir, et il impor-
te qu'avant de boucler vos malles, vous
prépariez le logement de vos succes-
seurs. »
Et le chœur antique, représenté par
M. le garde des sceaux, opinait du bon-
net, disant aux commissaires : Frères, il
:f.-.nt mnnriv î
iaUl AA •
« Vous devez comprendre, a continué
M. Thiers, que l'expérience actuelle d'une
Chambre unique me paraît plus que suf-
fisante; j'entends donc que vous formuliez
un projet sur la composition, le mode
d'élection et les attributions d'une se-
conde Chambre. Je suis même très-
pressé ; il me faut cela tout de suite,
car enfin vous n'en avez plus pour
longtemps, mes bons amis, et. »
M. Dufaure, interrompant : Frères, il
faut mourir !
« Encore un peu de patience, mes-
sieurs; un mot et je finis, a dit M. Thiers
en terminant. Il est indispensable d'é-
viter toute solution de continuité dans
le gouvernement, ce qui arriverait
si vous négligiez de prévoir la fa-
çon dont se transmettra le pouvoir.
Il se passera nécessairement quelques
semaines, quelques mois peut-être en-
tre le jour où l'Assemblée actuelle dis-
paraîtra et celui où une AssemMée nou-
velle viendra prendre sa place. Je vous
invite à statuer dans le plus bref délai
sur la façon dont s'exercera le pouvoir
exécutif pendant cet intervalle. »
Et M. Dufaure murmurait toujours :
Frères, il faut mourir !
C'est pourtant vrai ; lisez cette séance
de la commission ; elle rappelle beau-
coup cette scène d'une comédie cé-
lèbre, les Fatix- bonshommes, où M. Pé-
ponnet, qui vient de subir la lecture
d'un projet de contrat de mariage pour
son fils, s'écrie d'un air désespéré : Ah!
ça, mais, il n'est question que de ma
mort là-dedans !
E. SCHNERB.
-
L'ITALIE NOUVELLE
LA QUESTION RELIGIEUSE
(PREMIER ARTICLE.)
On voit à Rome, chez un papetier du
Corso, une photographie coloriée qui
représente le Saint-Père appuyé sur le
bras du roi d'Italie. Pie IX bénit le peu-
ple; Victor-Emmanuel, boutonné jus-
qu'au cou dans son habit de général, a
cette physionomie digne et simple que
l'on connaît ; les deux augustes person-
nages semblent être les meilleurs amis
du monde.
Un évêque français, mis en présence
d'une telle fantaisie, crierait au scandale
et peut-être enfoncerait d'un coup de
poing la vitrine du papetier. Les Italiens,
qui ne sont pas plus mécréants que nos
évêques, passent, regardent et sourient.
Pas un seul Polyeucte, au moins jusqu'à
présent, n'a fait le geste de briser cette
image. Je dis plus : il ne paraît pas que
le public la trouve impie.
Une opinion assez accréditée chez nos
voisins est que la monarchie italienne et
le Saint-Siège se réconcilieront tôt ou
tard. On ajoute, et non sans quelque
vraisemblance, que malgré l'esprit ab-
solu de Pie IX et son caractère intrai-
table, l'accord se ferait dès demain si le
pape n'était soutenu par l'espoir d'une
intervention étrangère. Que la France, à
l'exemple de tous les grands Etats, se
désintéresse enfin d'un conflit où elle
n'a lien à voir, tout se passera désor-
mais entre Italiens, et les Italiens, clercs
iou laïques, ont le génie des accommo-
dements.
En Italie, la société civile et le monde
religieux sont peut-être moins irrécon-
ciliables qu'on ne le suppose à Paris
gardons-nous de juger le prochain d'a-
près nous-mêmes !
J'entre à l'Assemblée de Versailles, je
prends entre le pouce et l'index un dé-
puté de la droite ou du centre droit, un
de ces honorables qui représentent très-
provisoirement la majorité de la France.
Si nous l'examinons de près, non pas
tel qu'il s'applique à paraître, ni même
tel qu'il croit être, mais tel que la na-
ture et les circonstances l'ont fait, nous
trouverons en lui un sceptique clérical. Il
ne croit pas, il ne se souvient pas d'avoir
cru depuis le collège aux dogmes, aux
mystères, aux miracles et à toutes les
fictions garanties par l'Eglise catholique;
mais le respect humain, le bon ton et
surtout la peur l'ont enrôlé dans un
parti qui manœuvre la religion comme
un frein. Cette mythologie, dont il rira
volontiers entre amis, après boire, lui
paraît assez bonne pour sa femme, pour
ses enfants et surtout pour le peuple.
Il voudrait que tous les pauvres eus-
sent la foi, parce que la menace des
châtiments éternels agit autant et coûte
moins que la gendarmerie; il désire que
les malheureux soient consolés par l'es-
poir d'une vie meilleure, qui les rendra
moins exigeants dans celle-ci. Pour ar-
river à ces fins, il a fait alliance avec M.
Dupanloup et ses vénérables frères; il
marche sous leur drapeau; il obéit à
leur consigne ; il est prêt à tous les sa-
crifices pour acheter cette sécurité que
le néo-catholicisme politique offre à ses
partisans. Il livrera l'instruction publi-
que au clergé ; il subventionnera les
moines; il interdira le travail du di-
manche ; il sévira contre les libres-pen-
seurs ; il suivra les processions ; il cour
ra les pèlerinages ; il ferait même, ou du
moins il voterait une croisade en faveur
du Temporel, si la France n'était pas con-
valescente.
Transportez-vous à Rome, entrez au
palais de Monte-Citorio et répétez la
même expérience sur un député de la
droite. Vous trouverez en lui un catho-
lique peu fervent, mais sincère, qui dès
l'enfance a respiré la foi dans l'air am-
biant et qui s'en est imbu jusqu'à là
moëlle des os, sans effort, sans résis-
tance, sans ces combats intérieurs qui
bouleversent les âmes. Il croit comme il
digère, comme il marche, comme il
dort ; et non-seulement il croit, mais il
pratique. Il ne s'en fait pas un mérite, il
ne s'en cache pas non plus, il ne se dit
pas: j'ai dompté les révoltes de ma rai-
son, quelle victoire ! Il se dit encore
moins : je me dégrade en niant la lu-
mière en plein midi. Non; son esprit
est assez large pour que la foi et la rai-
son y logent côte à côte, sans se heurter
ni se combattre. Un modus vivendi s'est
établi spontanément entre ces deux puis-
sances jumelles plutôt que rivales. Cela ne
s'est pas fait, je le crois bien, sans quel-
ques concessions réciproques ; le dogme
ne pousse point ses droits aussi loin qu'il
le pourrait, et la raison, sensible à ce
bon procédé, n'abuse pas de ses avanta-
ges. Une affirmation discrète et réduite
au strict nécessaire émousse tous les
traits de la dialecticrue et désarme l'es-
prit de discussion. Dieu, la Vierge et les
Saints du paradis sont là-bas des autori-
tés aimables et tolérantes, de bonne
composition, faciles à vivre; on ne leur
refuse rien, et c'est justice, car elles
exigent peu. La légende, qui est belle,
amuse l'imagination ; les splendeurs du
culte flattent l'œil. Le méridional ne se
trouvera jamais déplacé dans ces temples
magnifiques, au milieu des pompes
éblouissantes et grandioses d'un culte ar-
tiste. Si l'esprit critique aventurait quel-
que objection mal sonnante, toutes les
facultés sensitives de l'homme s'uniraient
pour lui imposer silence. Voilà pour-
quoi, comment et dans quelle mesure
les Italiens les plus instruits et les plus
cultivés sont presque tous catholiques,
croyants et pratiquants.
Mais ils ne sont pas cléricaux, ils ne
le sont ni peu ni prou, et vous ne les
blâmeriez point si vous pouviez un seul
instant vous mettre à leur place.
D'abord les dangers plus ou moins
sérieux qui menacent chez nous l'ordre
social sont encore inconnus en Italie.
Si ;l'on comprend à l'extrême rigueur
qu'un Parisien eenappe par miracle aux
violences, aux fusillades, aux incendies
et aux malpropretés de la Commune,
vende son âme au démon clérical en
échange d'une sécurité vraie ou fausse,
les Italiens, protégés par une dynastie
populaire, par un gouvernement libéral,
par une armée énergique et dévouée,
n'ont pas lieu de chercher un point d'ap-
pui en dehors de l'organisation légale.
Le noyé s'accroche où il peut, toute
branche lui paraît bonne, mais les Ita-
liens ne sont pas menacés de la noyade.
Peut-être se feraient-ils cléricaux, comme
tant d'autres, par instinct de conserva-
tion, si tous les éléments conservateurs
de la société laïque étaient battus, minés,
ébranlés par le flot montant d'une dé-
magogie avide et stupide. Il n'en sont
pas là, Dieu merci - !
La peur de la révolution, qui recrute
le parti clérical en France, est inconnue
au-delà des Alpes. En revanche, le grand
parti de la société laïque y est recruté et
renforcé au jour le jour par la peur de
la réaction.
C'est l'esprit laïque, heureusement
incarné dans la maison de Savoie, qui a
réalisé l'indépendance et l'unité natio-
nales, ce double rêve de tous les Ita-
liens. C'est lui qui, en un rien de temps,
a élevé l'Italie au premier rang des so-
ciétés modernes, en proclamant le droit
de penser, de parler et d'écrire, en
donnant à 27 millions d'hommes la li-
berté religieuse, la liberté civile, la li-
berté économique. Il a réorganisé la fa-
mille en abolissant les plus tristes abus
du moyen-âge ; il a civilisé la propriété
en rendant à la circulation les biens de
main-morte. Aussi tous les Italiens sont-
ils les membres dévoués et passionnés
de la société laïque. Comment sympa-
thiseraient-ils avec le parLi clérical que
son histoire, son langage et ses préten-
tions déclarées signalent comme un
implacable ennemi de la société mo-
derne ?
On ne peut pas oublier du jour au len-
demain les misères et les abominations
,de l'ancien régime; on se rappellera
longtemps cette complicité du clergé ca-
tholique avec quelques affreux petits
idespotes armés en guerre contre leurs
:sujets. La domination étrangère à Milan
jet à Venise, les garnisaires étrangers à
iBologne, à Florence, à Rome; les mer-
cenaires étrangers à Naples; l'oppres-
sion partout, une police inquisitoriale,
;l'ignorance érigée en moyen de gouver-
nement, la famille arbitrairement mani-
pulée par le prêtre, la violation systé-
matique des droits privés, les garçons
Fariés malgré eux, les filles emprison-
iuées dans un couvent malgré elles, le
petit Mortara volé à ses parents, l'égalité
naturelle des frères insultée par le droit
d'aînesse, l'industrie paralysée, le côm-
merce entravé, la liberté d'aller et venir
oumise au bon plaisir des sbires, les
bonnes terres accaparées et frappées de
stérilité par les moines, dans un pays où
la moitié du sol est rebelle à toute cul-
ture ; voilà les souvenirs qui bouillon-
nent dans le cerveau des Italiens au seul
nom du parti clérical.
Cette réaction que nos évêques préten-
dent leur offrir à la pointe des baïonnet-
tes françaises, que serait-elle, sinon l'a-
néantissement de l'ordre nouveau, cher
à tous, et la résurrection d'un passé qu'on
abhorre ? L'invasion étrangère est la fin
de l'indépendance, la restauration d'un
seul prince est la mort de l'unité ; l'exhu-
mation des vieilles lois dont le nouveau
gouvernement a fait litière supprimerait
toutes les libertés. Je dis plus : tous les
hommes d'ordre regardent les cléricaux
comme les ennemis de la famille et de la
propriété modernes ; ils frémissent à l'i-
dée de revoir les biens de main-morte
possédés en commun par des célibatai-
res, qui sont en même temps des fédé-
raux et des internationaux, les moines !
L'horreur de l'Internationale rouge, qui
trouble tant de Francais et les jette tout
éperdus dans les bras du cléricalisme, je
la retrouve en Italie, mais tournée contre
l'Internationale noire. Et ce sentiment est
si vif que j'ai entendu quelques hommes
d'Etat se demander ce qu'il adviendrait
de la civilisation, si un pape s'avi-
sait de réunir les deux Internationales en
une seule bande ? La religion catholique
est une arme à deux tranchants, il y a
des textes pour tout dans l'Evangile; on
y trouve le communisme, le prêt gratuit
et tout ce que les révolutionnaires les
plus audacieux ont inventé pour battre
en brèche la société moderne. Or, la
société italienne n'entend pas se laisser
détruire; elle se défend.
Mais nos spirituels voisins se défen-
dent en gens de goût, de sens et de
mesure; ils ne singeront jamais ni les
folies stupides des iconoclastes ni les
fureurs sanguinaires des septembriseurs.
Autant ils semblent résolus à s'affranchir
de la domination cléricale, autant je les
crois décidés à conserver leur foi, leur
culte et même leurs pasteurs.
Ceux qui ne les connaissent point s'ima-
ginent qu'ils pourraient embrasser le
protestantisme ou donner dans le schis-
me du bon Allemand Dollinger. Quelle
erreur ! Des résolutions si extrêmes com-
portent un degré de fanatisme qu'ils
n'ont point. Ils sont tout juste assez
convaincus pour rester catholiques, et, si
je ne me trompe, très-suffisants catho-
liques.
Quant au positivisme, au panthéisme,
au déisme et aux autres formes de l'a-
théisme, ils en sont à mille lieues. Les in-
trigues, les menaces et les provocations
du parti clérical ne réussiront point à. les
brouiller avec Dieu, la Vierge et les saints,
ni même avec leurs prêtres et leurs évê-
ques un peu raisonnables. L'Italien a
son idée, il ne veut pas céder sa part de
Paradis , il le veut d'autant moins que
le chemin du ciel, tel que ses pères
l'ont tracé, macadamisé et bordé de pe-
tits jardins, rend l'ascension facile et
douce. Il remplira ses devoirs stricts,
il entendra la messe, il prêtera l'oreille
au sermon, il recevra les sacrements au
jour marqué par le catéchisme ; et
comme il ne peut ni célébrer la messe
lui-même, ni acheter l'absolution de ses
fautes chez l'épicier du coin, il main-
tiendra le clergé national sur un pied
convenable et ne lésinera ni sur le bud-
get des paroisses, ni sur le traitement
des évêques, ni sur la subvention des
séminaires.
Cette grande et pacifique révolution
qui s'accomplit en Italie depuis 1859 n'a
pas porté la moindre atteinte aux droits
du clergé séculier. Non-seulement l'Etat
se serait fait scrupule de taquiner les
évêques ou les simples vicaires, mais il
se laisse persécuter par eux avec une
bonhomie édifiante. Tout leur est permis
dans l'église et à la porte de l'église, ils
crient, ils affichent, ils publient ce qui
leur passe par la tête; le spirituel est
leur bien, leur domaine, ils s'y ébattènt
plus librement que M. Dupanloup lui-
même n'oserait le faire chez nous.
Quant à leur temporel, je veux dire leur
revenu, on l'a réduit lorsqu'il était exor-
bitant, mais on l'a réduit à des propor-
tions qu'un évêque français trouverait
fort décentes. Dans cet enfer des con-
tribuables où tous les citoyens doivent
le tiers de leur revenu à l'Etat, les béné-
fices paroissiaux sont taxés à 5 0^0 sur
tout revepu net de plus de 2,000 francs
et de moins de 5,000; à 12 0[0 entre
5,000 et 10,000, et à 20 0[0 sur les re-
venus nets supérieurs à ce chiffre. Les
archevêchés et évêchés donnent un tiers
sur leurs revenus nets au-dessus de
10,000 francs, moitié sur ceux qui dé-
passent 20,000, deux tiers au-dessus de
30,000, et la totalité au-dessus de
60,000. (Décret royal du 7 juillet 1866,
art. 31, §§ 1 et 3.) Ou je me trompe fort,
ou la plupart des prélats français ren-
draient grâces à Dieu d'une spoliation
si généreuse.
Si le clergé italien laisse percer çà et
là quelque mécontentement, c'est paree
qu'il oppose le présent au passé; il ne se
plaindrait pas s'il comparait son sort à
celui des autres clergés catholiques. Il
jouit d'une liberté absolue, à la condi-
tion de respecter le droit d'autrui ; l'Etat
lui fournit les moyens de vivre digne-
ment, et les fidèles lui témoignent plus
de respect et d'amitié qu'au temps de sa
toute-puissance.
On ne se fait aucun scrupule de tour-
ner le dos aux prélats qui bravent les lois
de l'Etat et les droits de la société civile;
mais un bon prêtre, qui accomplit mo-
destement son devoir, comptera autant
d'amis que de paroissiens. Quant au res-
pect des choses saintes, je ne sais s'il est
très-profond, mais à coup sûr il est una-
nime. Au commencement de janvier, je
rencontrai l'archevêque de Bologne
dans son carrosse et j'observai que peu
de gens le saluaient; à peine trois sur
dix : c'est un prélat qui sans raison s'est
mis en guerre avec le gouvernement du
pays. Quelques heures après, je vis pas-
ser un pauvre vicaire qui portait le
saint-sacrement : pas un homme ne resta
découvert, et plus d'un s'agenouilla dans
la rue. Où le culte a conservé tant de
prestige, un prêtre qui n'est pas respecté
ne doit s'en prendre qu'à lui-même.
ABOUT.
(A suivre.)
« —————————.
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 5 février 4875:
Trois heures. Il paraît que la séance est
ouverte. Iln'y a que les habitués qui puis-
sent s'en douter ; la salle est quasi vide,
la commission n'est même pas à son banc.
Au coin de droite, un spectacle qui repose
la vue : M. Rouher, retour de Chialehurst,
M. Rouher pérorant avec une grande ani-
mation au milieu d'un groupe ; M. de
Plœuc semble tenir tête à l'ex-vice empe-
reur, mais les députés bonapartistes l'é-
coutent, le cou tendu, la tête un peu basse,
avec componction. Cela amuse l'œil et dé-
tend l'esprit, qui voltige du côté du 11e
bureau, où M. Thiers et M. Dufaure sont
enfermés, pour la seconde et dernière fois,
avec les membres de la commission des
trente.
Vous savez : Il s agit toujours de la ré-
glementation du travail des enfants dans
les manufactures ! Aujourd'hui, l'on traite
le travail de nuit.
Cet article 4 se subdivise en plusieurs
paragraphes. Le premier, « les enfants
ne peuvent être employés à aucun travail
de nuit jusqu'à l'âge de 16 ans révolus,» est
voté sans difficulté. Mais le second trouve.
de nombreux adversaires. Voici ce second
paragraphe : *
« La même interdiction est appliquée à
l'emploi dans les usines et manufactures
des filles âgées de moins de 21 ans. »
La morale, messieurs, la saine moraLe!
Il paraît que, nuitamment, il se pass e,
dans les usines et manufactures, des ci io-
ses. Il y a là comme une sorte de feu
grisou terrible pour les jeunes mineu res,
un feu grisou qui fait sauter les cœiK s.
Aussi un dèputé très-moral proposa -t-il
d'ajouter au 2e paragraphe : « des nU es et
des femmes âgées de moins de 21 aças. »
Et un autre député, M. Wolowski, 'pous-
sant la moralité jusqu'aux dernières, limi-
tes — celles qu'elle n'a jamais attei ntes —
supprime-t-il complètement le tra rail des
femmes, la nuit.
Très-heureusement les curieuses des tri-
bunes ne doivent rien entendre de, ce que
disent les orateurs. Il fait un temps gris,
noir ; la salle est sombre et semble s'être
mise à l'unisson de l'article. Da ns le fond,
on devine la tribune, et l'on dis'ic.gue mal,
à cette tribune, une boule clair.-e placée au
sommet d'une masse noire : c'est la tête
d'un orateur surmontant lared ingote noire
d'un philanthrope. Le temps • s'éeiaircit un
peu ; nous voyons que le to ut appartient
à M. Prétavoine.
M. Préiavoine est celui q ui met dans le
même sac « les femmes et les filles âgées
de moins de 21 ans. »
« Ron, ron ! » répond en chœur l'As-
semblée, avec ce bruit co-nt: inu, persistant,
igacaiit, que les oratears inécoutés doi-
vent entendre parfois, la n uit, dans leurs
cauchemars.
Au tour de M. WOowskj. Pas de fem-
mes du tout, ni filles, ni mariées, ni jeu-
nes, m vieilles.
« Ron, ron, ron! » conti] true la salle.
La vérité est que, sur un sujet qui n'est
Dase que sur aes arçume flts moraux ou
philosophiques, chacun a ( :u le tômpr de
se faire une opinion.'
A trois heures et demie, on nous accorde
de la lumière. A la bonne ht jure ! on peut
voir enfin l'orateur, M. Fuuîin Giliou ;
par exemple, on continue à ne pas Fenten-
dre.
Ce luxe de luminaire r,ous permet de
voir passer au loin deux trentièmes de la
fameuse commission, M M. Barthe et de
Broglie. Mais, alors, la séance intime
est donc levée ?
On s'en aperçoit imulédiatement au
mouvement qui se produ it dans la salle.
Pendant que M. Teissere nc de BQrt com-
bat l'amendement Wolo-v vski et que M. To-
lain le soutient, l'auditl jire cause moins
haut, mais il caase avef 3 plus d'animation;
de petits groupes se so nt formés à droite,
à gauche ; on comment e les paroles pro-
noncées par M. Thiers La droite ne sem-
ble pas contente!
1 Sans vouloir entrer dans les détails, di-
sons que M. Dufaure vient d'apporter à la
commission un coy itre-projet opposé à
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