Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-02-03
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 03 février 1873 03 février 1873
Description : 1873/02/03 (A3,N445). 1873/02/03 (A3,N445).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
3e Année. — IV 445.
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
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Lundi 3 Février 1873.
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
"adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2. rue Drouot. 2
Les manuscrits non insérés seront rendus
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 13 fr.
Six mois. 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
6, place de la Bourse, 6
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2, rue Drouot, 2
Les lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS
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Trois moi:'>. 13 fr.
Six mois. 25
Un an ..,. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Un an. 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et Ga
0, place de la ISourse, 6
C'est mardi prochain, 4 février, à mi-
nuit, que doit être close la révision des
listes électorales pour 1873.
Nous engageons les électeurs à. ne
pont laisser passer ce délai sans vérifier
leur inscription, sous peine d'être privés
pour un an de l'exercice de leurs droits
politiques.
Ils ne doivent pas oublier que c'est
dans le courant de cette année que le
pays sera très-probablement appelé à
élire une nouvelle Chambrent que de la
composition de cette nouvelle Chambre
dépend le sort de la République.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 2 février 187S.
A côté de la commission des trente fonc-
tionne une commission électorale, nommée
par l'Assemblée en 1871, et dont les tra-
vaux semblent aussi sur le point d'aboutir.
Du moins ce qu'on avait tenu secret jus-
qu'ici sort de l'ombre, et nous voyons poin-
dre les premiers rapports des sous-commis-
sion. Le Temps, hier soir, nous a fait
connaître les conclusions de la sous-com-
mission qui avait pour tâche d'étudier la
question du domicile. Ce travail se divise
en deux parties. La première concerne les
citoyens nés dans la commune, ou encore
les citoyens revêtus de fonctions publiques,
les ministres des cultes et les officiers
ministériels ; toute cette catégorie, pour se
faire inscrire sur les listes électorales,
n'aura qu'à justifier de sa présence dans
la commune au moment de leur confec-
tion.
Dans la seconde partie sont englobés
tous les citoyens que ne renferme pas la
première catégorie, c'est-à-dire tous ceux
qui ne sont pas nés dans la commune ou
qui n'exercent pas des fonctic is publiques;
pour ceux-là, si le Temps est bien informé,
la commission exigerait trois ans de rési-
dence, constatée par l'inscription au rôle
de l'une des quatre contributions directes.
Voilà bien la « famille électorale » dont
parlait l'autre jour M. Waddington dans
la commission de décentralisation. Ces
projets, à vrai dire, affligent plus qu'ils
ne surprennent. Contentons-nous de les
mentionner aujourd'hui ; mais nous de-
vrons bientôt en faire voir le danger, qui
est redoutable.
La Russie n'est point arrêtée dans son
expédition contre Khiva par les interpel-
lations de la presse anglaise. Les troupes
qu'elle a envoyées dans l'Asie centrale
sont commandées par le général Kauff-
mann, qui passe pour un des officiers lès
plus distingués de l'armée russe. Il ne s'a-
git, si l'on en croit ce qui s'écrit à Saint-
Pétersbourg, que de châtier le Khan, de
délivrer un certain nombre de prisonniers
qu'il détient, de sauvegarder enfin la di-
gnité et les intérêts de la Russie. Toute
idée de cosquéte est répudiée hautement :
« Ce serait, dit le Golos, qui compare l'ex-
pédition de Khiva à l'expédition anglaise
d'Abyssinie, ce serait une faute lourde que
de vouloir conquérir, sous prétexte de châ-
timent, des steppes qui ne pourraient ser-
vir à personne. » Il est fort question, d'au-
tre part, d'un prochain arrangement diplo-
matique dont les conditions principales,
sans que l'expédition de Khiva fût d'ail-
leurs arrêtée, seraient la neutralisation de
l'Afghanistan et la délimitation par une
Commission anglo-russe des frontières au-
jourd'hui mal définies des possessions rus-
ses et anglaises. Tel serait, assure-t-on,
le résultat de la mission du comte Schou-
waloff à Londres.
La Chambre des députés de Berlin a
adopté en seconde lecture la modification
des articles 15 et 18 de la constitution, où
se trouvent réglés les rapports de l'Eglise
et de l'Etat. Dans le cours de la discussion,
le ministre des cultes a prononcé quelques
paroles menaçantes contre les piélats ca-
tholiques et surtout contre les évêques de
Paderborn et d'Ermeland. Le gouverne-
ment prussien fait-il de bonne politique ?
C'est ce que nous saurons un peu plus
tard.
BCG. LrÉBEIlT.
--'-- «. ——————————————
Or donc, peuples de l'univers, écou-
tez notre histoire mise au net par d'hon-
nêtes gentilshommes versaillais :
« Vous vous étiez imaginé peut-être
que la France avaitfait preuve dequelque
courage en continuant contre la Prusse
une lutte désespérée. Erreur profonde.
Les gens de sac et de corde qui ont ra-
massé les tronçons de l'épée de France
jetée aux pieds du roi Guillaume n'ont
jamais eu l'intention de s'en servir con-
tre les envahisseurs. Leur seul but .était
de fondre sur les places et sur les trai-
tements comme sur une curée , et s'ils
ont fait mine d'organiser la défense na-
tionale, c'était pour gagner du temps et
se donner le loisir de préparer leurs can-
didatures en vue des élections à venir. »
Ces quelques lignes résument de la
façon la plus nette les volumineux rap-
ports de la commission d'enquête sur
les actes du gouvernement de la défense
nationale.
La France dédaignera l'injure; l'Eu-
rope s'étonnera peut-être qu'une nation
réduite à néant en six semaines, privée
de ses meilleurs soldats, sans chefs, sans
armes, ait lutté cinq mois encore avant
de se rendre, quand elle n'avait à sa tête
que des farceurs occupés seulement à
garnir leurs estomacs de bonne nourri-
ture, et leurs goussets de gros écus.
En ce qui nous concerne, il faut que
nous fassions un aveu. Rien ne nous
semble plus gai, plus réjouissant, plus
comique, que le reproche adressé si
couramment aux hommes du 4 septem-
bre et à leurs amis d'avoir été des
couards et des avides.
Voici, par exemple, M. le comte de
Rességuier , après tant d'autres, qui
parle en termes indignés de ces ambi-
tieux qui, à la premiere heure des révo-
lutions, se distribuent les ministères, les
ambassades, les préfectures et le reste.
M. le comte de Rességuier n'est point si
naïf qu'il voudrait nous le faire croire,
et certainement il serait peu flatté si nous
ne le jugions pas capable de tenir le
simple raisonnement que voici :
Les gens qui font des révolutions ont
une idée quelconque, bonne ou mau-
vaise, mais ils en ont une ; et l'histoire
même nous apprend que c'est une idée
fixe. Ils veulent le pouvoir. Or, le pou-
voir, c'est la place des autres. La défi-
nition est un peu brutale, sans doute,
mais je défie qu'on en trouve une plus
juste, qu'il s'agisse, d'ailleurs, de Répu-
blique ou de monarchie. Que veulent
aujourd'hui les gens de la droite, et que
souhaite M. de Rességuier lui-même ?
Le pouvoir; c'est-à-dire les places qu'oc-
cupent — ou devraient régulièrement
occuper, - les républicains, puisque la
République est le gouvernement légal
de la France.
Le 4 septembre, il s'est trouvé que le
pouvoir était vacant ; il n'y a pas eu de
révolution, quoi qu'en disent les bona-
partistes, et tous les rapports de la com-
mission sont unanimes sur ce point. Les
royalistes pouvaient le prendre; nous
leur dirons, s'ils y tiennent, pourquoi
ils n'y ont pas même songé; les répu-
blicains l'ont recueilli. De bon compte,
vouliez-vous qu'ils prissent les porte-
feuilles pour aller les offrir sur des pla-
teaux d'argent à MM. de Broglie, de Sé-
gur, d'Audiffret, Lorgeril, etnous allions
dire Batbie, mais, à ce moment-là, il
n'était pas encore royaliste.
Les républicains ont pris le pouvoir, le
4 septembre, pour deux raisons : la pre-
mière, c'est qu'ils espéraient sauver la
France de l'invasion; la seconde, c'est
qu'ils comptaient bien la protéger contre
un retour de la monarchie. Voilà pour-
quoi ils se sont distribué les placei, nous
voulons dire le pouvoir, mais c'est la
même chose.
Le jour où la droite renversera M.
Thiers et escamotera la République, —
si Dieu le veut ! — vous verrez qu'elle
oubliera de proposer le portefeuille de
l'intérieur à M. Gambetta, celui de la
guerre au général Billot, celui des af-
faires étrangères à M. Jules Favre. Et
comme elle aura raisoji ! On fait quel-
quefois des civets de chat, mais ils ne
valent pas les civets de lièvre ; c'est
pour la même raison que pour fonder la
République il faut des républicains, et
des cemtes de Rességuier pour cuisiner
une monarchie.
Quant au reproche de couardise dont
quelques braves poursuivent les hommes
du gouvernement de la défense nationa-
le, il est plus risible encore.
Il faut vraiment compter un peu trop
sur l'imbécillité des gens qui vous lis( nt
ou qui vous écoutent pour croire qu'ils
ne lèveront pas les épaules quand on
vient leur dire : Vous voyez bien tous
ces ministres, tous ces préfets, tous ces
magistrats du 4 septembre ? Ce sont des
lâches; ils n'ont pris la place de l'empire
que pour échapper à la levée en masse,
que pour ne point se battre ! Pendant que
M. Jules Favre écrivait sa fameuse cir-
culaire : « pas un pouce de terrain, » il
savait bien que c'était condamner à mort
des milliers de citoyens, mais que lui
importait ? Il avait les pieds chauds, le
ventre libre. Les autres iraient se faire
tuer.
Et M. Challemel-Lacour ! Il n'a pris
la préfecture de uyon que pour échap-
per à la garde nationale ! Et M. Gambetta
lui-même ! Il n'a quitté Paris en ballon
que parce que les huîtres commençaient
à manquer! Ne riez pas. Si vous me
montrez dans un seul journal de la réac-
tion une phrase sur Gambetta où il ne
soit pas dit qu'il s'est sauvé de Paris par
lâcheté, je consens à faire un pèlerinage
à Chislehurst.
Se tairont-ils bientôt, tous ces pour-
fendeurs ridicules qui s'étonnent de ce
qu'un ministre ne se soit pas fait zouave,
de ce qu'un préfet n'ait pas monté sa
garde, parce que ce ministre et ce préfet
étaient des républicains ? Pauvres gens !
que je vous plains d'en être réduits à de
pareils expédients pour vous défendre,
et combien je félicite la cause républi-
caine d'être au butte à de pareilles atta-
ques !
E. SCHNBRB.
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 1er février 4873.
Oh! oh! oh !. Ce sont des hurrahs, qui
s'engouffrent dans le petit escalier que
nous gravissons pour monter aux tribunes.
Qu'y a-t-il donc ?. Il y a que la journée
qui s'est terminée, hier, à huit heures, a
commencé, aujourd'hui, à une heure et
demie.
Nous avons manqué une heure de
séance. Nous ne le regrettons pas; nous
en avons vu bien assez pour ne pas tenir
à en voir davantage.
Les bouffées de cris qui nous ont enve-
loppé dans notre ascension partent de la
droite et s'adressent à M. Ordinaire. C'est
lui qui occupe la tribune, et défend l'armée
des Vosges attaquée dans un des rapports
de la commission.
L'orateur, dont la personnalité est en
dehors de ce .débat, a fait partie de l'armée
des Vosges. Il croit de son devoir de la
défendre ou du moins de séparer la légion
garibaldienne de certains corps francs qui
opéraient à ses côtés, ce qu'oublie quelque
peu de faire le rapport.
M.' Ordiaaire, qui est un jeune député
siégeant à l'extrême gauche, s'est fait, dès
son entrée à la Chambre, une réputation de
« violent. » Nous pouvons donc supposer
un instant que les propos provocateurs que
le député du Rhône lançait jadis de sa
place viennent d'être apportés à la tribune,
et que c'est là ce qui cause la grande co-
lère de la droite.
Cette impression n'est pas de longue
durée, car nous voyons M. Ordinaire, par-
faitement calme, parfaitement maître de
lui, poursuivre son idée, supportant les
interruptions, les cris, même les interpella
tions directes, sans y répondre, sans se
laisser emporter par l'irascibilité nerveuse
que nous lui croyions naturelle.
La journée s'annonce bien ! Evidemment
cette troisième séance est la dernière, le
bouquet.
M. Perrot (de l'Oise) vient protester, au
nom de la commission, contre la glorifica-
tion de Garibaldi. Le tumulte continue ;
seulement il n'est plus simplement à droi-
te, il est partout : l'extrême gauche s'em-
porte après l'orateur, la droite s'emporte
après l'extrême gauche.
« L'intervention de Garibaldi a coûté une
troisième armée à la France, vient de dire
M. Perrot ; le poste qu'on lui a confié, il
n'était pas digne de le défendre. »
-C'est une honte!. C'est uneinfamie!.
On n'entend que ces cris partir de la gau-
che ; MM. Lepère, Lefebvre, Peyrat, Jour-
nault, Ordinaire- et vingt autres crient,
gesticulent. Les aménités ont commencé.
Dans la tribune diplomatique, il n'y a
pas un diplomate ; il en est ainsi depuis
trois jeurs. Ces messieurs de la diplomatie
font preuve d'une haute convenance ; ils
détournent la tête pour laisser ces mes-
sieurs de l'Assemblée laver entre eux leur
linge — à grand renfort de crachats.
Il n'est que deuxheures quarante, et l'af-
faire est déjà si bien engagée que M. Grévy
se voit obligé de faire dégager les abords
de la tribune.
M. le duc d'Audiffret-Pasquier paraît,
M. le duc, le grand champion des mar-
chés, le grand président de toutes les
commissions ; le général en chef va char-
ger lui-même à la tête de ses troupes. Le
silence se rétablit, absolu.
Eh bien, nous sommes forcé de le con-
fesser. Décidément M. d'Audiffret-Pas-
quier est plus fort que son neveu, M. de
Ségur!
Ce style ferme, serré, vigoureux, débité
avec une abondance extraordinaire, vous
saisit, vous étourdit, ne vous laisse pas
le temps de vous reconnaître. Et dans
cette profusion de phrases, le trait arrive
violent, bien amené; il passe, rapide;
c'est à peine si la droite a eu le temps de
l'applaudir, déjà la discussion manœuvre
sur un autre terrain. Autant M. Challemel
est froid, autant M. d'Audiffret-Pasquier
est chaud ; autant le premier a le geste ré-
glé, autant le second l'a vif, pétulant, cas-
sant; celui-ci a l'éloquence démonstra-
tive, celui-là l'éloquence entraînante.
Très-fin, très-habile, l'orateur laisse de
côté tout ce bagage de vétilles dont s'est
empêtré la commission et qui lui a fait
grand tort; très - adroit, il adoucit ce
que l'ancien préfet du Rhône a appelé
« les insinuations du rapport » ; il tour-
ne ses attaques contre la politique pra-
tiquée jadis à Lyon et cherche à mettre les
dépositions de M. Challemel chargeant la
populace lyonnaise en opposition avec le
discours de M. Challemel déchargeant la
population de Lyon.
La droite reconnaît son brillant général;
elle le voit, elle le tient, elle rayonne ; de
ce côté de la salle, les visages sont en ex-
tase devant la tribune, ou se tournent, iro-
niques, vers la place de M. Challemel-
Lacour. Celui-ci, impassible, prend des
notes.
Et puis, M. le duc d'Audiffret-Pasquier
est à bon aise à la tribune; il semble que la
iribune soit son terrain. Il est aussi à l'aise
dans son sujet, qui est également sa chose,
car il dit : a Moi et ma commission ! » Ma
commission ! Et moi d'abord!
Pan! attrapez, M. le duc! Voilà un mem-
bre de votre commission qui n'est pas con-
tent.
L'orateur vient de citer des paroles inti-
mes du général comte Rampon, qui a dit
que « le conseil municipal de Lyon était
une maison d'aliénés. »
Le comte Rampon se lève, et, de sa pla-
ce, dit au milieu du silence : « Je proteste
contre ces paroles ; j'avais demandé qu'el-
les fussent rayées du rapport, et j'avais le
droit de croire qu'on ne les citerait pas à
la tribune. »
Le vieux comte Rampon est un type de
droiture et de loyauté ; tous les partis
de la Chambre l'honorent. Venant de lui,
le coup est dur ; M. le duc en reste un
instant tout interloqué ; la droite en est
navrée.
Et voyez à quel point la passion politi-
que est poussée dans ce débat, quoi qu'en
aise la commission ! En causaat avec des
amis, vous dites d'un monsieur quelcon-
que : « Il est bête à manger du foin. » Im-
médiatement un de ces amis écrit au mon-
sieur en question, la phrase désobligeante,
dite en l'air, sans portée dans votre esprit.
C'est ainsi que la commission se retran-
che derrière des mots échappés au vieux
général Rampon ; c'est ainsi que M. Raoul
Duval abuse d'un propos tenu par M. de
Carayon-Latour ; c'est dans le même esprit
que M. d'Audiffret-Pasquier, à propos du
marché des farines, use et abuse de l'in-
citation pour faire monter à la tribune M.
Ducarre, un député de Lyon. Celui-ci a
l'air de ne rien entendre ; il lorgne ; plus
l'orateur le provoque indirectement, plus
M. Ducarre lorgne la salle. La scène est
comique au suprême degré pour les initiés.
La droite est plus froide ; l'incident
Rampon a calmé ses ardeurs. Nous avons
épuisé les comptes, les fusils, les cartou-
ches, les canons, les farines, nous passons
à l'armée garibaldienne. Ici un hôrs-
d'œuvre inattendu.
« Et pendant que vous receviez ces étran-
gers avec enthousiasme, il y avait des
Français dans l'exil, des Français qui vous
offraient leur épée. Veus la refusiez ! »
Tandis que toutes les mains de droite é'P'
plaudissent avec frénésie, toutes les têtes
se tournent vers la plac qu'occupent les
princes d'Orléans, quiparaissentquelquepeu
décontenancés. Et M. le duc continue ; il
raconte « la légende de Robert Lefort » et
les applaudissements de la droite redou-
blent. Le prince de Join ville a la tête
basse ; le duc d'Aumale se fait tout petit.
M. le duc d'Audiffret-Pasquier est à coup
sûr un bon courtisan; mais, en cette cir-
constance, se montre-t-il habile metteur
en scène? N'expose-t-il pas ses princes à
quelque protestation violente, à quelque
interpellation directe d'un membre poin-
tilleux de l'extrême gauche? Très-heu-
reusement. le fait ne s'est pas produit. Il
y a bien eu quelques exclamations à gau-
che, mais elles se perdaient dans le
bruit des bravos de la droite. Les oreilles
princières n'ont été écorchées que par des
applaudissements, — et cela écorche si
peu!
Dans la péroraison de l'orateur est la
perfidie; il rappelle l'affaire Carayon-La-
tour et insinue que M. Keller viendra
sans doute dire lui-même à l'Assemblée
comment M. Challemel a tenté de le faire
arrêter.
Devant les applaudissements immenses
de la droite, tout le côté gauche, y compris
le centre gauche, reste muet.
Le défilé des complimenteurs commen-
ce. Debout à la tribune, M. Challemel at-
tend; il attend dix minutes.
Avant-hier, il était froid; aujourd'hui,
il est rigide. Le silence est énorme; cha-
que parole, quoique prononcée sur un ton
peu élevé, mais bien scandée, fait son trou
dans ce vide, lentement, régulièrement. La
thèse, longuement développée, est celle-ci :
« Un honorable collègue a lu, de ses
yeux lu l'annotation ; il l'affirme ; je crois
à sa parole, je crois à l'existence de cette
annotation, elle existe. Mais il y a autre
chose que l'annotation ; il faut qu'on sache
à quoi elle se rapporte. Qui sait si les
faits signalés n'étaient pas des violences
contre des femmes, contre les autorités du
pays? Apportez la pièce. »
A droite, il y a des hochements de tête,
des murmures ébauchés. M. de Carayon-
Latour s'est levé ; il s'est campé au pied de
la tribune. Le silence de la salle, le ton de
l'orateur, tout est saisissant; on dirait un
gros mélodrame.
M. Challemel, allant de l'affaire Keller
qu'il nie à l'affaire Carayon qu'il discute,
est toujours aussi maître de lui-même,
aussi glacial. Les interruptions partent,les'
cris éclatent; il répète toujours : « Donnez
la pièce ! »
— Mais je ne l'ai pas entre les mains !
riposte M. de Carayon. M. de Carayon a
deux ou trois réponses que la droite couvre
d'applaudissements, entre autres celle-ci.
L'orateur a dit : « Pourquoi ce fait, connu
de beaucoup, n'est-il apporté qu'aujourd'hui
à la tribune? »
— Parce qu'il m'était personnel ! ré-
pond le député de la Gironde.
A première vue, le mot est large, grand
et vous a un petit air cornélien. Mais, à la
réflexion, il est absurde, puisque le fait
est porté en ce moment à la tribune, et
juste à la minute la plus défavorable pour
M. Challemel. M. de Carayon a eu un
bon mot et fort naturel ; mais ce mot
prouve absolument que d'indiscrets amis
ont fourré l'honorable député dans une
sotte affaire.
La fin de l'explication est coupée de cris,
de huées : MM. Baragnon, Raoul Duval,
de Laborderie et cent autres membres de
la droite ne veulent plus laisser parler M.
Challemel, qui, du reste, a dit tout ce qu'il
avait à dire.
M. Keller. Une explication très-bonne,
selon nous, pour M. Challemel. Jugez plu-
tôt : Un monsieur, grave, a dit sur la place
des Terreaux à M. Keller que le préfet avait
l'intention de le faire arrêter. Quant à lui,
Keller, il n'attache aucune importance à
cet incident. Mais, alors, pourquoi M.
d'Audiffret en a-t il fait étalage ?
Passons.
M. Raoul Duval est à la tribune. M.
Raoul Duval ! Mais ça ne fait donc que
commencer ! Il est cinq heures un quart.
M. Raoul Duval n'a rien à dire; il ne
sait même pas quoi dire, il se lance dans
des tirades morales.
— La pièce ! la pièce ! crie la gauche.
Le tumulte est énorme; l'extrême gau-
che ne veut pas laisser parler l'orateur, et
l'orateur, qui comptait bien là-dessus, lance
des coups de poing dans le vide et fait des
bonds à la tribune.
— La pièce ! la pièce !
— C'est à vous de l'apporter, la pièce !
riposte M. Raoul Duval, profitant d'une
éclaircie.
Comment! c'est maintenant aux gens qui
ne connaissent pas l'existence de la pièce
de l'apporter ! C'est au prévenu de fournir
la preuve de son crime. On dirait que nous
assistons au Palais-Royal, à une représen-
tation de Tricoche et Cacolet.
— Nous ne sommes pas une commission
mixte et nous ne condamnons pas sans en-
tendre !
C'est M. Daumas qui a lancé ce cri, de
l'hémicycle de gauche. Ce cri jette un
froid; le père de M. Raoul Duval a apparte-
nu aux commissions mixtes.
Montée dès le debutà ce diapason, lacon-
versation s'est ainsi continuée jusqu'à la
fin. M. Raoul Duval, qut n'avait rien à
ajouter au débat, venait y faire valoir sa
personnalité, provoquant, criant, écu-
mant. Ah ! il n'y a pas de passion politi-
que dans ce débat, M. le duc d'Audiffret ?
Vous l'avez dit, redit et répété. Mais en-
tendez-la donc tonner dans les paroles de
votre ami M. RaoulDuval; regardez-la donc
éclater dans ces cris frénétiques de vos
amis de la droite ; regardez-les donc, lui
et eux, appliquer à votre parole le camou-
flet du démenti.
C'est un * brouhaha impossible ; cris à
gauche, cris à droite, cris partout. M.
Grévy ne peut parvenir à se faire enten-
dre. Quel bel exemple de haine donné
au pays !
Et tout cela pourquoi? Pour des marchés
passés à Lyon, marchés où la commis-
sion n'a trouvé à blâmer personne. Cril
s'agit de marchés, vous m'entendez bien,
de marchés! Et de marchés qui datent de
deux ans!
M. Raoul Duval demande qu'on vote
d'autres conclusions que celles de la com-
mission, celle de M. Paris par exemple :
« L'Assemblée nationale,blâmant les procédés
révolutionnaires de ceux qui ont élevés le dra-
peau rouge en présence de l'ennemi et ont com-
promis la cause de l'ordre dans la ville de
Lyon, renvoie aux ministres des finances, de la
guerre et de l'intérieur, le rapport de la com-
mission. »
Le bruit est toujours le même. M. Paris
tente de développer son amendement.
M. de Pressensé essaye de démontrer
le mauvais côté d'une pareille décision.
Mais les autres amendements se sont
évanouis ; la commission se rallie à
la conclusion Paris ; M. Turquet , au
nom de la gauche républicaine, s'y ral-
lie également en faisant des réserves ; M.
Millaud s'efforce d'expliquer la présence
du drapeau rouge à Lyon; M. Iiou-
vier proteste contre ce chaos ; M. Marcel
Çarthe voudrait dire quelque chose. On
ne sait plus ce que l'on fait, et nous ne sa-
vons plus ce que l'on dit. C'est la confu-
sion des confusions. On vote :
Pour 559
Contre 42.
Le vote, assurément, ne frappe pas M.
Challemel, car les révolutionnaires de Lyon,
les gens du drapeau rouge étaient et sont
encore ses ennemis. Il ne frappe ni M.
Gambetta, ni aucun des membres de la
gauche, qui, tous, sans exception, à la face
du pays, - se serrent autour du drapeau
tricolore.
La majorité de l'Assemblée a donc four-
ni ua énorme coup de lance contre un
moulin à vent qui n'est pas même dans
le paysage et que nous sommes tout prêts
à démolir, demain, de fond en comble, si
elle réussit à nous le montrer.
L'unique résultat de cette campagne
qui a duré trois jours, qui a pris trois
séances entières d'une Assemblée dont les
jours sont comptés, est d'avoir retardé,
sans fruit, mais non sans scandale, la dis-
cussion des affaires sérieuses.
Nous sommes rongés par les rancunes et
les inimitiés stériles, et nous dirions qu'on
ahurit la France par l'abus du rétrospectif,
si nous ne savions que le bon sens fran-
çais, dédaigneux de tous ces vains débats,
entrevoit un avenir serein pardessus les
orages de l'Assemblée.
PAUL LAFARGUB.
————————— —————————
INFORMATIONS
L'entrevue de M. Thiers avec la com-
mission des trente est ajournée à demain
lundi.
Tous ks ministres sont invités à un grand
dîner qui sera donné ce soir dimanche à
l'ambassade d'Allemagne. Une partie des
membres du corps diplomatique ont été
invités par M. d'Arnim. A la suite du dîner
il y aura grande réception.
Les rèceptioBS hebdomadaires du corps
diplomatique, qui avaient été suspendues
depuis troia semaines, par suite de l'indis-
position de M. le comte de Rémusa, ont
repris vendredi au ministère des affaires
étrangères. ,
Les ambassadeurs et ministres étrangers
se ont tous rendus chez M. de Rémusat.
Demain soir lundi, grand dîner suivi de
réception au ministère des affaires étran-
gères.
Hier, les soixante-huit architectes qui ont
pris part au concours pour la reconstruc-
tion de l'Hôtel-de-Ville se sont réunis à
midi, au Luxembourg, et ont élu, comme
membres du jury :
MM. Millet, Ginain, Louvet, Lebouteux,
André, Garnier, Lefuel, Abadie, Lesueur
et Viollet-Leduc.
Cette liste, comme on voit, diffère très-
peu de celle que nous avons donnée hier
et qui avait été arrêtée par les concurrents
dans une réunion préparatoire.
D'un autre côté, le choix de l'adminis-
tration s'est définitivement arrêté sur MM.
Husson, Alphand, Ch. Blanc, Bailly, Duc,
Guillaume, Labrouste, de Longpérier, Vi-.
tet et Croiseau.
Elle leur a adjoint comme secrétaires
sans voix délibérative les chefs du service
d'architecture et des beaux-arts : MM. Mi-
chau, Hensat, Tisserand et Rabut.
Pour compléter la formation de ce jury,
composé de trente personnes, il nous suffit
de rappeler les noms de MM. Perrin. Piat,
Jobbé-Duval, Ohnet, Binder, Thorel, He-
rold, Vauthier, Delzant et Callon, mem-
bres du conseil municipal désignés par
leurs collègues.
La première réunion du jury se tiendra
jeudi prochain, sous la présidence du pré-
fet de la Seine. 'Son premier soin sera de
choisir un vice-président.
L'exposition publique aura lieu le 10 fé-
vrier, au Palais de l'Industrie. Elle doit
occuper un développement considérable en
raison des 8 à 900 châssis dont se compose
l'ensemble des projets et qu'il s'agit de
placer dans un jour et à une hauteur con-
venables. Le devis le plus économique
monte à 7 millions : et encore l'artiste
a-t-il fait table rase en se refusant à uti-
liser les substructions actuelles. En revan-
che, le fltJvis le plus coûteux ne s'élève à
rien moins qu'à 85 millions.
Vingt-cinq à trente projets sont, dit-on,
des plus remarquables. Il n'y aura donc
que l'embarras du choix.
La Gazette des Tribunaux publie une
nouvotlo noto à propoo des dernières arres-
tations. La voici :
L'Evénement revient encore sur les arresta-
tions opérées en exécution de la loi sur l'Inter-
nationale. Il ajoute que « cette affaire est l'objet
d'une juridiction spéciale, et qu'on n'a pas suivi
la marche commune usitée poar les arrestations
ordinaires. »
L'Evénement est mal informé. Il n'y a et il ne
peut y avoir aucune juridiction spéciale à saisir
de cette affaire, et il a été procédé, en tout ce
qui s'y rattache, dans les termes du droit com-
mun.
Nous apprenons que M. Edmond Magnier,
directeur de l'Evénement, a été appelé aujour-
d'hui devant M. des Cilleuls, juge d'instruction,
pour donner des explications sur l'origine des
informations publiées par son journal.
Le Journal officiel doit publier aujourd'hui
une note relative aux arrestations faites à
Paris d'après les indications des parquets de
province. Cette note confirmera les recti-
fications de la Gazette des Tribunaux.
Il paraît qu'aucune charge sérieuse n'a
pu être établie contre les onze personnes
arrêtées à Paris sous la prévention d'affilia-
tion à l'Internationale, et qu'aucun des
papiers saisis n'a justifié les renseigne-
ments venus de province. Par suite, ces
personnes seraient mises en liberté.
JIll
9 Il
L'Officiel rectifie en ces termes une nou-
velle du Figaro.
Le Figaro, dans son numéro du 30 janvier, a
publié la note suivante :
« Les divers' rapports qui parviennent au
ministère de la marine, au sujet des désastres
causés par la grande tempête de la semaine der-
nière annoncent que les canots de sauvetage ap-
partenant à la plupart de nos ports ont été trou-
vés dans un très-mauvais état, ce qui a empê-
ché de les utiliser. M. le ministre de la marine
vient de donner des ordres à tous les comman-
dants des ports pour qu'à l'avenir semblable fait
ne puisse se renouveler. »
Le Figaro se trompe. Le ministre de la ma-
rine n'a pas reçu de plainte ni de réclamation
à ce sujet; le service du sauvetage n'est pas
d'ailleurs dans ses attributions, et les bateaux
établis le long de nos côtes appartiennent exclu-
sivement à la Société centrale de sauvetage
des naufragés, dont le siège est à Paris. Il ne
Deut être exact que ces bateaux aient été trou-
vés en mauvais état, attendu qu'ils sont pres-
que tous de construction récente et parfaite-
ment entretenus. Pendant les dernières tem-
pêtes, ils ont rendu de très-importants services
aux bâtiments en détresse ; le bateau de Saint-
Nazaire, entre autres, a eu l'occasion de sortir
par un temps exceptionnellement mauvais, et
s'est admirablement acquitté de sa périlleuse
mission.
On a annoncé, la semaine dernière, que
le comte de Paris avait exprimé le désir
d'une entrevue avec le comte de Charn-
bord, en vue d'une entente avec-ce prince,
chef de la branche aînée des Bourbons.
Le Mémorial diplomatique dit que M. le
comte de Chambord a fait répondre à cette,
demande qu'il fera connaître très-pro-
chainement, dans une lettre, ses vues au
sujet de ses rapports futurs, avec les prin-
ces de la famille d'Orléans.
On a vaguement parlé de M. Batbie
pour remplacer M. Ch. Dupin, qui a laissé
une place vacante à l'Academie des scien-
ces morales et politiques : mais la noto-
riété de réaction qui s'est attachée depuis
peu au nom de M. Batbie ne sera pas un
mince obstacle au succès de sa candida-
ture.
Il serait question, dit l'Indépendance
belge, d'un mariage pour une princesse de
l'ancienne famille impériale restée veuve.
Ce serait un artiste, un peintre, que cette
princesse épouserait.
Le vice-amiral Jauréguiberry, préfet
maritime de Toulon, a quitté Versailles
pour retourner à son poste.
Le vice-amiral avait été mandé par la
commission d'enquête sur les actes du
gouvernement du 4 septembre. Il a eu à
déposer sur deux points principalement :
1° le retour à Cherbourg, sans ordres, de
l'escadre commaadée par M. le vice-amiral
Fourichon (le contre-amiral Jauréguiberry
commandait alors une division et avait
son pavillon arbo'é sur l'Héro'ine)j 20 l'or-
ganisation de l'armée de la Loire, notam-
ment du 16" corps, qui était placé sous les
ordres de l'amiral, et la part d'initiative
laissée aux généraux par le ministre de la
guerre.
* *
La polémique passionnée et maladroite,
soulevée à propos du rang occupé sur le
tableau d'avancement de M. le lieutenant
de vaisseau Farcy, a donné lieu à une
réplique assez raide, de la part de cet of-
ficier.
M. le ministre de la marine n'a accordé
qu'une seule faveur à ce député de la
Seine, c'est de le traiter et de le considé-
rer comme un membre de l'Assemblée na-
PRIX DU NUMÉRO : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
.- .- : V : H : 'i : f \L
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ïi)
'------- 11,
Lundi 3 Février 1873.
- M4 ;. ~â
-
E
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
"adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2. rue Drouot. 2
Les manuscrits non insérés seront rendus
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 13 fr.
Six mois. 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et G*
6, place de la Bourse, 6
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2, rue Drouot, 2
Les lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS
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Un an ..,. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Un an. 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et Ga
0, place de la ISourse, 6
C'est mardi prochain, 4 février, à mi-
nuit, que doit être close la révision des
listes électorales pour 1873.
Nous engageons les électeurs à. ne
pont laisser passer ce délai sans vérifier
leur inscription, sous peine d'être privés
pour un an de l'exercice de leurs droits
politiques.
Ils ne doivent pas oublier que c'est
dans le courant de cette année que le
pays sera très-probablement appelé à
élire une nouvelle Chambrent que de la
composition de cette nouvelle Chambre
dépend le sort de la République.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 2 février 187S.
A côté de la commission des trente fonc-
tionne une commission électorale, nommée
par l'Assemblée en 1871, et dont les tra-
vaux semblent aussi sur le point d'aboutir.
Du moins ce qu'on avait tenu secret jus-
qu'ici sort de l'ombre, et nous voyons poin-
dre les premiers rapports des sous-commis-
sion. Le Temps, hier soir, nous a fait
connaître les conclusions de la sous-com-
mission qui avait pour tâche d'étudier la
question du domicile. Ce travail se divise
en deux parties. La première concerne les
citoyens nés dans la commune, ou encore
les citoyens revêtus de fonctions publiques,
les ministres des cultes et les officiers
ministériels ; toute cette catégorie, pour se
faire inscrire sur les listes électorales,
n'aura qu'à justifier de sa présence dans
la commune au moment de leur confec-
tion.
Dans la seconde partie sont englobés
tous les citoyens que ne renferme pas la
première catégorie, c'est-à-dire tous ceux
qui ne sont pas nés dans la commune ou
qui n'exercent pas des fonctic is publiques;
pour ceux-là, si le Temps est bien informé,
la commission exigerait trois ans de rési-
dence, constatée par l'inscription au rôle
de l'une des quatre contributions directes.
Voilà bien la « famille électorale » dont
parlait l'autre jour M. Waddington dans
la commission de décentralisation. Ces
projets, à vrai dire, affligent plus qu'ils
ne surprennent. Contentons-nous de les
mentionner aujourd'hui ; mais nous de-
vrons bientôt en faire voir le danger, qui
est redoutable.
La Russie n'est point arrêtée dans son
expédition contre Khiva par les interpel-
lations de la presse anglaise. Les troupes
qu'elle a envoyées dans l'Asie centrale
sont commandées par le général Kauff-
mann, qui passe pour un des officiers lès
plus distingués de l'armée russe. Il ne s'a-
git, si l'on en croit ce qui s'écrit à Saint-
Pétersbourg, que de châtier le Khan, de
délivrer un certain nombre de prisonniers
qu'il détient, de sauvegarder enfin la di-
gnité et les intérêts de la Russie. Toute
idée de cosquéte est répudiée hautement :
« Ce serait, dit le Golos, qui compare l'ex-
pédition de Khiva à l'expédition anglaise
d'Abyssinie, ce serait une faute lourde que
de vouloir conquérir, sous prétexte de châ-
timent, des steppes qui ne pourraient ser-
vir à personne. » Il est fort question, d'au-
tre part, d'un prochain arrangement diplo-
matique dont les conditions principales,
sans que l'expédition de Khiva fût d'ail-
leurs arrêtée, seraient la neutralisation de
l'Afghanistan et la délimitation par une
Commission anglo-russe des frontières au-
jourd'hui mal définies des possessions rus-
ses et anglaises. Tel serait, assure-t-on,
le résultat de la mission du comte Schou-
waloff à Londres.
La Chambre des députés de Berlin a
adopté en seconde lecture la modification
des articles 15 et 18 de la constitution, où
se trouvent réglés les rapports de l'Eglise
et de l'Etat. Dans le cours de la discussion,
le ministre des cultes a prononcé quelques
paroles menaçantes contre les piélats ca-
tholiques et surtout contre les évêques de
Paderborn et d'Ermeland. Le gouverne-
ment prussien fait-il de bonne politique ?
C'est ce que nous saurons un peu plus
tard.
BCG. LrÉBEIlT.
--'-- «. ——————————————
Or donc, peuples de l'univers, écou-
tez notre histoire mise au net par d'hon-
nêtes gentilshommes versaillais :
« Vous vous étiez imaginé peut-être
que la France avaitfait preuve dequelque
courage en continuant contre la Prusse
une lutte désespérée. Erreur profonde.
Les gens de sac et de corde qui ont ra-
massé les tronçons de l'épée de France
jetée aux pieds du roi Guillaume n'ont
jamais eu l'intention de s'en servir con-
tre les envahisseurs. Leur seul but .était
de fondre sur les places et sur les trai-
tements comme sur une curée , et s'ils
ont fait mine d'organiser la défense na-
tionale, c'était pour gagner du temps et
se donner le loisir de préparer leurs can-
didatures en vue des élections à venir. »
Ces quelques lignes résument de la
façon la plus nette les volumineux rap-
ports de la commission d'enquête sur
les actes du gouvernement de la défense
nationale.
La France dédaignera l'injure; l'Eu-
rope s'étonnera peut-être qu'une nation
réduite à néant en six semaines, privée
de ses meilleurs soldats, sans chefs, sans
armes, ait lutté cinq mois encore avant
de se rendre, quand elle n'avait à sa tête
que des farceurs occupés seulement à
garnir leurs estomacs de bonne nourri-
ture, et leurs goussets de gros écus.
En ce qui nous concerne, il faut que
nous fassions un aveu. Rien ne nous
semble plus gai, plus réjouissant, plus
comique, que le reproche adressé si
couramment aux hommes du 4 septem-
bre et à leurs amis d'avoir été des
couards et des avides.
Voici, par exemple, M. le comte de
Rességuier , après tant d'autres, qui
parle en termes indignés de ces ambi-
tieux qui, à la premiere heure des révo-
lutions, se distribuent les ministères, les
ambassades, les préfectures et le reste.
M. le comte de Rességuier n'est point si
naïf qu'il voudrait nous le faire croire,
et certainement il serait peu flatté si nous
ne le jugions pas capable de tenir le
simple raisonnement que voici :
Les gens qui font des révolutions ont
une idée quelconque, bonne ou mau-
vaise, mais ils en ont une ; et l'histoire
même nous apprend que c'est une idée
fixe. Ils veulent le pouvoir. Or, le pou-
voir, c'est la place des autres. La défi-
nition est un peu brutale, sans doute,
mais je défie qu'on en trouve une plus
juste, qu'il s'agisse, d'ailleurs, de Répu-
blique ou de monarchie. Que veulent
aujourd'hui les gens de la droite, et que
souhaite M. de Rességuier lui-même ?
Le pouvoir; c'est-à-dire les places qu'oc-
cupent — ou devraient régulièrement
occuper, - les républicains, puisque la
République est le gouvernement légal
de la France.
Le 4 septembre, il s'est trouvé que le
pouvoir était vacant ; il n'y a pas eu de
révolution, quoi qu'en disent les bona-
partistes, et tous les rapports de la com-
mission sont unanimes sur ce point. Les
royalistes pouvaient le prendre; nous
leur dirons, s'ils y tiennent, pourquoi
ils n'y ont pas même songé; les répu-
blicains l'ont recueilli. De bon compte,
vouliez-vous qu'ils prissent les porte-
feuilles pour aller les offrir sur des pla-
teaux d'argent à MM. de Broglie, de Sé-
gur, d'Audiffret, Lorgeril, etnous allions
dire Batbie, mais, à ce moment-là, il
n'était pas encore royaliste.
Les républicains ont pris le pouvoir, le
4 septembre, pour deux raisons : la pre-
mière, c'est qu'ils espéraient sauver la
France de l'invasion; la seconde, c'est
qu'ils comptaient bien la protéger contre
un retour de la monarchie. Voilà pour-
quoi ils se sont distribué les placei, nous
voulons dire le pouvoir, mais c'est la
même chose.
Le jour où la droite renversera M.
Thiers et escamotera la République, —
si Dieu le veut ! — vous verrez qu'elle
oubliera de proposer le portefeuille de
l'intérieur à M. Gambetta, celui de la
guerre au général Billot, celui des af-
faires étrangères à M. Jules Favre. Et
comme elle aura raisoji ! On fait quel-
quefois des civets de chat, mais ils ne
valent pas les civets de lièvre ; c'est
pour la même raison que pour fonder la
République il faut des républicains, et
des cemtes de Rességuier pour cuisiner
une monarchie.
Quant au reproche de couardise dont
quelques braves poursuivent les hommes
du gouvernement de la défense nationa-
le, il est plus risible encore.
Il faut vraiment compter un peu trop
sur l'imbécillité des gens qui vous lis( nt
ou qui vous écoutent pour croire qu'ils
ne lèveront pas les épaules quand on
vient leur dire : Vous voyez bien tous
ces ministres, tous ces préfets, tous ces
magistrats du 4 septembre ? Ce sont des
lâches; ils n'ont pris la place de l'empire
que pour échapper à la levée en masse,
que pour ne point se battre ! Pendant que
M. Jules Favre écrivait sa fameuse cir-
culaire : « pas un pouce de terrain, » il
savait bien que c'était condamner à mort
des milliers de citoyens, mais que lui
importait ? Il avait les pieds chauds, le
ventre libre. Les autres iraient se faire
tuer.
Et M. Challemel-Lacour ! Il n'a pris
la préfecture de uyon que pour échap-
per à la garde nationale ! Et M. Gambetta
lui-même ! Il n'a quitté Paris en ballon
que parce que les huîtres commençaient
à manquer! Ne riez pas. Si vous me
montrez dans un seul journal de la réac-
tion une phrase sur Gambetta où il ne
soit pas dit qu'il s'est sauvé de Paris par
lâcheté, je consens à faire un pèlerinage
à Chislehurst.
Se tairont-ils bientôt, tous ces pour-
fendeurs ridicules qui s'étonnent de ce
qu'un ministre ne se soit pas fait zouave,
de ce qu'un préfet n'ait pas monté sa
garde, parce que ce ministre et ce préfet
étaient des républicains ? Pauvres gens !
que je vous plains d'en être réduits à de
pareils expédients pour vous défendre,
et combien je félicite la cause républi-
caine d'être au butte à de pareilles atta-
ques !
E. SCHNBRB.
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 1er février 4873.
Oh! oh! oh !. Ce sont des hurrahs, qui
s'engouffrent dans le petit escalier que
nous gravissons pour monter aux tribunes.
Qu'y a-t-il donc ?. Il y a que la journée
qui s'est terminée, hier, à huit heures, a
commencé, aujourd'hui, à une heure et
demie.
Nous avons manqué une heure de
séance. Nous ne le regrettons pas; nous
en avons vu bien assez pour ne pas tenir
à en voir davantage.
Les bouffées de cris qui nous ont enve-
loppé dans notre ascension partent de la
droite et s'adressent à M. Ordinaire. C'est
lui qui occupe la tribune, et défend l'armée
des Vosges attaquée dans un des rapports
de la commission.
L'orateur, dont la personnalité est en
dehors de ce .débat, a fait partie de l'armée
des Vosges. Il croit de son devoir de la
défendre ou du moins de séparer la légion
garibaldienne de certains corps francs qui
opéraient à ses côtés, ce qu'oublie quelque
peu de faire le rapport.
M.' Ordiaaire, qui est un jeune député
siégeant à l'extrême gauche, s'est fait, dès
son entrée à la Chambre, une réputation de
« violent. » Nous pouvons donc supposer
un instant que les propos provocateurs que
le député du Rhône lançait jadis de sa
place viennent d'être apportés à la tribune,
et que c'est là ce qui cause la grande co-
lère de la droite.
Cette impression n'est pas de longue
durée, car nous voyons M. Ordinaire, par-
faitement calme, parfaitement maître de
lui, poursuivre son idée, supportant les
interruptions, les cris, même les interpella
tions directes, sans y répondre, sans se
laisser emporter par l'irascibilité nerveuse
que nous lui croyions naturelle.
La journée s'annonce bien ! Evidemment
cette troisième séance est la dernière, le
bouquet.
M. Perrot (de l'Oise) vient protester, au
nom de la commission, contre la glorifica-
tion de Garibaldi. Le tumulte continue ;
seulement il n'est plus simplement à droi-
te, il est partout : l'extrême gauche s'em-
porte après l'orateur, la droite s'emporte
après l'extrême gauche.
« L'intervention de Garibaldi a coûté une
troisième armée à la France, vient de dire
M. Perrot ; le poste qu'on lui a confié, il
n'était pas digne de le défendre. »
-C'est une honte!. C'est uneinfamie!.
On n'entend que ces cris partir de la gau-
che ; MM. Lepère, Lefebvre, Peyrat, Jour-
nault, Ordinaire- et vingt autres crient,
gesticulent. Les aménités ont commencé.
Dans la tribune diplomatique, il n'y a
pas un diplomate ; il en est ainsi depuis
trois jeurs. Ces messieurs de la diplomatie
font preuve d'une haute convenance ; ils
détournent la tête pour laisser ces mes-
sieurs de l'Assemblée laver entre eux leur
linge — à grand renfort de crachats.
Il n'est que deuxheures quarante, et l'af-
faire est déjà si bien engagée que M. Grévy
se voit obligé de faire dégager les abords
de la tribune.
M. le duc d'Audiffret-Pasquier paraît,
M. le duc, le grand champion des mar-
chés, le grand président de toutes les
commissions ; le général en chef va char-
ger lui-même à la tête de ses troupes. Le
silence se rétablit, absolu.
Eh bien, nous sommes forcé de le con-
fesser. Décidément M. d'Audiffret-Pas-
quier est plus fort que son neveu, M. de
Ségur!
Ce style ferme, serré, vigoureux, débité
avec une abondance extraordinaire, vous
saisit, vous étourdit, ne vous laisse pas
le temps de vous reconnaître. Et dans
cette profusion de phrases, le trait arrive
violent, bien amené; il passe, rapide;
c'est à peine si la droite a eu le temps de
l'applaudir, déjà la discussion manœuvre
sur un autre terrain. Autant M. Challemel
est froid, autant M. d'Audiffret-Pasquier
est chaud ; autant le premier a le geste ré-
glé, autant le second l'a vif, pétulant, cas-
sant; celui-ci a l'éloquence démonstra-
tive, celui-là l'éloquence entraînante.
Très-fin, très-habile, l'orateur laisse de
côté tout ce bagage de vétilles dont s'est
empêtré la commission et qui lui a fait
grand tort; très - adroit, il adoucit ce
que l'ancien préfet du Rhône a appelé
« les insinuations du rapport » ; il tour-
ne ses attaques contre la politique pra-
tiquée jadis à Lyon et cherche à mettre les
dépositions de M. Challemel chargeant la
populace lyonnaise en opposition avec le
discours de M. Challemel déchargeant la
population de Lyon.
La droite reconnaît son brillant général;
elle le voit, elle le tient, elle rayonne ; de
ce côté de la salle, les visages sont en ex-
tase devant la tribune, ou se tournent, iro-
niques, vers la place de M. Challemel-
Lacour. Celui-ci, impassible, prend des
notes.
Et puis, M. le duc d'Audiffret-Pasquier
est à bon aise à la tribune; il semble que la
iribune soit son terrain. Il est aussi à l'aise
dans son sujet, qui est également sa chose,
car il dit : a Moi et ma commission ! » Ma
commission ! Et moi d'abord!
Pan! attrapez, M. le duc! Voilà un mem-
bre de votre commission qui n'est pas con-
tent.
L'orateur vient de citer des paroles inti-
mes du général comte Rampon, qui a dit
que « le conseil municipal de Lyon était
une maison d'aliénés. »
Le comte Rampon se lève, et, de sa pla-
ce, dit au milieu du silence : « Je proteste
contre ces paroles ; j'avais demandé qu'el-
les fussent rayées du rapport, et j'avais le
droit de croire qu'on ne les citerait pas à
la tribune. »
Le vieux comte Rampon est un type de
droiture et de loyauté ; tous les partis
de la Chambre l'honorent. Venant de lui,
le coup est dur ; M. le duc en reste un
instant tout interloqué ; la droite en est
navrée.
Et voyez à quel point la passion politi-
que est poussée dans ce débat, quoi qu'en
aise la commission ! En causaat avec des
amis, vous dites d'un monsieur quelcon-
que : « Il est bête à manger du foin. » Im-
médiatement un de ces amis écrit au mon-
sieur en question, la phrase désobligeante,
dite en l'air, sans portée dans votre esprit.
C'est ainsi que la commission se retran-
che derrière des mots échappés au vieux
général Rampon ; c'est ainsi que M. Raoul
Duval abuse d'un propos tenu par M. de
Carayon-Latour ; c'est dans le même esprit
que M. d'Audiffret-Pasquier, à propos du
marché des farines, use et abuse de l'in-
citation pour faire monter à la tribune M.
Ducarre, un député de Lyon. Celui-ci a
l'air de ne rien entendre ; il lorgne ; plus
l'orateur le provoque indirectement, plus
M. Ducarre lorgne la salle. La scène est
comique au suprême degré pour les initiés.
La droite est plus froide ; l'incident
Rampon a calmé ses ardeurs. Nous avons
épuisé les comptes, les fusils, les cartou-
ches, les canons, les farines, nous passons
à l'armée garibaldienne. Ici un hôrs-
d'œuvre inattendu.
« Et pendant que vous receviez ces étran-
gers avec enthousiasme, il y avait des
Français dans l'exil, des Français qui vous
offraient leur épée. Veus la refusiez ! »
Tandis que toutes les mains de droite é'P'
plaudissent avec frénésie, toutes les têtes
se tournent vers la plac qu'occupent les
princes d'Orléans, quiparaissentquelquepeu
décontenancés. Et M. le duc continue ; il
raconte « la légende de Robert Lefort » et
les applaudissements de la droite redou-
blent. Le prince de Join ville a la tête
basse ; le duc d'Aumale se fait tout petit.
M. le duc d'Audiffret-Pasquier est à coup
sûr un bon courtisan; mais, en cette cir-
constance, se montre-t-il habile metteur
en scène? N'expose-t-il pas ses princes à
quelque protestation violente, à quelque
interpellation directe d'un membre poin-
tilleux de l'extrême gauche? Très-heu-
reusement. le fait ne s'est pas produit. Il
y a bien eu quelques exclamations à gau-
che, mais elles se perdaient dans le
bruit des bravos de la droite. Les oreilles
princières n'ont été écorchées que par des
applaudissements, — et cela écorche si
peu!
Dans la péroraison de l'orateur est la
perfidie; il rappelle l'affaire Carayon-La-
tour et insinue que M. Keller viendra
sans doute dire lui-même à l'Assemblée
comment M. Challemel a tenté de le faire
arrêter.
Devant les applaudissements immenses
de la droite, tout le côté gauche, y compris
le centre gauche, reste muet.
Le défilé des complimenteurs commen-
ce. Debout à la tribune, M. Challemel at-
tend; il attend dix minutes.
Avant-hier, il était froid; aujourd'hui,
il est rigide. Le silence est énorme; cha-
que parole, quoique prononcée sur un ton
peu élevé, mais bien scandée, fait son trou
dans ce vide, lentement, régulièrement. La
thèse, longuement développée, est celle-ci :
« Un honorable collègue a lu, de ses
yeux lu l'annotation ; il l'affirme ; je crois
à sa parole, je crois à l'existence de cette
annotation, elle existe. Mais il y a autre
chose que l'annotation ; il faut qu'on sache
à quoi elle se rapporte. Qui sait si les
faits signalés n'étaient pas des violences
contre des femmes, contre les autorités du
pays? Apportez la pièce. »
A droite, il y a des hochements de tête,
des murmures ébauchés. M. de Carayon-
Latour s'est levé ; il s'est campé au pied de
la tribune. Le silence de la salle, le ton de
l'orateur, tout est saisissant; on dirait un
gros mélodrame.
M. Challemel, allant de l'affaire Keller
qu'il nie à l'affaire Carayon qu'il discute,
est toujours aussi maître de lui-même,
aussi glacial. Les interruptions partent,les'
cris éclatent; il répète toujours : « Donnez
la pièce ! »
— Mais je ne l'ai pas entre les mains !
riposte M. de Carayon. M. de Carayon a
deux ou trois réponses que la droite couvre
d'applaudissements, entre autres celle-ci.
L'orateur a dit : « Pourquoi ce fait, connu
de beaucoup, n'est-il apporté qu'aujourd'hui
à la tribune? »
— Parce qu'il m'était personnel ! ré-
pond le député de la Gironde.
A première vue, le mot est large, grand
et vous a un petit air cornélien. Mais, à la
réflexion, il est absurde, puisque le fait
est porté en ce moment à la tribune, et
juste à la minute la plus défavorable pour
M. Challemel. M. de Carayon a eu un
bon mot et fort naturel ; mais ce mot
prouve absolument que d'indiscrets amis
ont fourré l'honorable député dans une
sotte affaire.
La fin de l'explication est coupée de cris,
de huées : MM. Baragnon, Raoul Duval,
de Laborderie et cent autres membres de
la droite ne veulent plus laisser parler M.
Challemel, qui, du reste, a dit tout ce qu'il
avait à dire.
M. Keller. Une explication très-bonne,
selon nous, pour M. Challemel. Jugez plu-
tôt : Un monsieur, grave, a dit sur la place
des Terreaux à M. Keller que le préfet avait
l'intention de le faire arrêter. Quant à lui,
Keller, il n'attache aucune importance à
cet incident. Mais, alors, pourquoi M.
d'Audiffret en a-t il fait étalage ?
Passons.
M. Raoul Duval est à la tribune. M.
Raoul Duval ! Mais ça ne fait donc que
commencer ! Il est cinq heures un quart.
M. Raoul Duval n'a rien à dire; il ne
sait même pas quoi dire, il se lance dans
des tirades morales.
— La pièce ! la pièce ! crie la gauche.
Le tumulte est énorme; l'extrême gau-
che ne veut pas laisser parler l'orateur, et
l'orateur, qui comptait bien là-dessus, lance
des coups de poing dans le vide et fait des
bonds à la tribune.
— La pièce ! la pièce !
— C'est à vous de l'apporter, la pièce !
riposte M. Raoul Duval, profitant d'une
éclaircie.
Comment! c'est maintenant aux gens qui
ne connaissent pas l'existence de la pièce
de l'apporter ! C'est au prévenu de fournir
la preuve de son crime. On dirait que nous
assistons au Palais-Royal, à une représen-
tation de Tricoche et Cacolet.
— Nous ne sommes pas une commission
mixte et nous ne condamnons pas sans en-
tendre !
C'est M. Daumas qui a lancé ce cri, de
l'hémicycle de gauche. Ce cri jette un
froid; le père de M. Raoul Duval a apparte-
nu aux commissions mixtes.
Montée dès le debutà ce diapason, lacon-
versation s'est ainsi continuée jusqu'à la
fin. M. Raoul Duval, qut n'avait rien à
ajouter au débat, venait y faire valoir sa
personnalité, provoquant, criant, écu-
mant. Ah ! il n'y a pas de passion politi-
que dans ce débat, M. le duc d'Audiffret ?
Vous l'avez dit, redit et répété. Mais en-
tendez-la donc tonner dans les paroles de
votre ami M. RaoulDuval; regardez-la donc
éclater dans ces cris frénétiques de vos
amis de la droite ; regardez-les donc, lui
et eux, appliquer à votre parole le camou-
flet du démenti.
C'est un * brouhaha impossible ; cris à
gauche, cris à droite, cris partout. M.
Grévy ne peut parvenir à se faire enten-
dre. Quel bel exemple de haine donné
au pays !
Et tout cela pourquoi? Pour des marchés
passés à Lyon, marchés où la commis-
sion n'a trouvé à blâmer personne. Cril
s'agit de marchés, vous m'entendez bien,
de marchés! Et de marchés qui datent de
deux ans!
M. Raoul Duval demande qu'on vote
d'autres conclusions que celles de la com-
mission, celle de M. Paris par exemple :
« L'Assemblée nationale,blâmant les procédés
révolutionnaires de ceux qui ont élevés le dra-
peau rouge en présence de l'ennemi et ont com-
promis la cause de l'ordre dans la ville de
Lyon, renvoie aux ministres des finances, de la
guerre et de l'intérieur, le rapport de la com-
mission. »
Le bruit est toujours le même. M. Paris
tente de développer son amendement.
M. de Pressensé essaye de démontrer
le mauvais côté d'une pareille décision.
Mais les autres amendements se sont
évanouis ; la commission se rallie à
la conclusion Paris ; M. Turquet , au
nom de la gauche républicaine, s'y ral-
lie également en faisant des réserves ; M.
Millaud s'efforce d'expliquer la présence
du drapeau rouge à Lyon; M. Iiou-
vier proteste contre ce chaos ; M. Marcel
Çarthe voudrait dire quelque chose. On
ne sait plus ce que l'on fait, et nous ne sa-
vons plus ce que l'on dit. C'est la confu-
sion des confusions. On vote :
Pour 559
Contre 42.
Le vote, assurément, ne frappe pas M.
Challemel, car les révolutionnaires de Lyon,
les gens du drapeau rouge étaient et sont
encore ses ennemis. Il ne frappe ni M.
Gambetta, ni aucun des membres de la
gauche, qui, tous, sans exception, à la face
du pays, - se serrent autour du drapeau
tricolore.
La majorité de l'Assemblée a donc four-
ni ua énorme coup de lance contre un
moulin à vent qui n'est pas même dans
le paysage et que nous sommes tout prêts
à démolir, demain, de fond en comble, si
elle réussit à nous le montrer.
L'unique résultat de cette campagne
qui a duré trois jours, qui a pris trois
séances entières d'une Assemblée dont les
jours sont comptés, est d'avoir retardé,
sans fruit, mais non sans scandale, la dis-
cussion des affaires sérieuses.
Nous sommes rongés par les rancunes et
les inimitiés stériles, et nous dirions qu'on
ahurit la France par l'abus du rétrospectif,
si nous ne savions que le bon sens fran-
çais, dédaigneux de tous ces vains débats,
entrevoit un avenir serein pardessus les
orages de l'Assemblée.
PAUL LAFARGUB.
————————— —————————
INFORMATIONS
L'entrevue de M. Thiers avec la com-
mission des trente est ajournée à demain
lundi.
Tous ks ministres sont invités à un grand
dîner qui sera donné ce soir dimanche à
l'ambassade d'Allemagne. Une partie des
membres du corps diplomatique ont été
invités par M. d'Arnim. A la suite du dîner
il y aura grande réception.
Les rèceptioBS hebdomadaires du corps
diplomatique, qui avaient été suspendues
depuis troia semaines, par suite de l'indis-
position de M. le comte de Rémusa, ont
repris vendredi au ministère des affaires
étrangères. ,
Les ambassadeurs et ministres étrangers
se ont tous rendus chez M. de Rémusat.
Demain soir lundi, grand dîner suivi de
réception au ministère des affaires étran-
gères.
Hier, les soixante-huit architectes qui ont
pris part au concours pour la reconstruc-
tion de l'Hôtel-de-Ville se sont réunis à
midi, au Luxembourg, et ont élu, comme
membres du jury :
MM. Millet, Ginain, Louvet, Lebouteux,
André, Garnier, Lefuel, Abadie, Lesueur
et Viollet-Leduc.
Cette liste, comme on voit, diffère très-
peu de celle que nous avons donnée hier
et qui avait été arrêtée par les concurrents
dans une réunion préparatoire.
D'un autre côté, le choix de l'adminis-
tration s'est définitivement arrêté sur MM.
Husson, Alphand, Ch. Blanc, Bailly, Duc,
Guillaume, Labrouste, de Longpérier, Vi-.
tet et Croiseau.
Elle leur a adjoint comme secrétaires
sans voix délibérative les chefs du service
d'architecture et des beaux-arts : MM. Mi-
chau, Hensat, Tisserand et Rabut.
Pour compléter la formation de ce jury,
composé de trente personnes, il nous suffit
de rappeler les noms de MM. Perrin. Piat,
Jobbé-Duval, Ohnet, Binder, Thorel, He-
rold, Vauthier, Delzant et Callon, mem-
bres du conseil municipal désignés par
leurs collègues.
La première réunion du jury se tiendra
jeudi prochain, sous la présidence du pré-
fet de la Seine. 'Son premier soin sera de
choisir un vice-président.
L'exposition publique aura lieu le 10 fé-
vrier, au Palais de l'Industrie. Elle doit
occuper un développement considérable en
raison des 8 à 900 châssis dont se compose
l'ensemble des projets et qu'il s'agit de
placer dans un jour et à une hauteur con-
venables. Le devis le plus économique
monte à 7 millions : et encore l'artiste
a-t-il fait table rase en se refusant à uti-
liser les substructions actuelles. En revan-
che, le fltJvis le plus coûteux ne s'élève à
rien moins qu'à 85 millions.
Vingt-cinq à trente projets sont, dit-on,
des plus remarquables. Il n'y aura donc
que l'embarras du choix.
La Gazette des Tribunaux publie une
nouvotlo noto à propoo des dernières arres-
tations. La voici :
L'Evénement revient encore sur les arresta-
tions opérées en exécution de la loi sur l'Inter-
nationale. Il ajoute que « cette affaire est l'objet
d'une juridiction spéciale, et qu'on n'a pas suivi
la marche commune usitée poar les arrestations
ordinaires. »
L'Evénement est mal informé. Il n'y a et il ne
peut y avoir aucune juridiction spéciale à saisir
de cette affaire, et il a été procédé, en tout ce
qui s'y rattache, dans les termes du droit com-
mun.
Nous apprenons que M. Edmond Magnier,
directeur de l'Evénement, a été appelé aujour-
d'hui devant M. des Cilleuls, juge d'instruction,
pour donner des explications sur l'origine des
informations publiées par son journal.
Le Journal officiel doit publier aujourd'hui
une note relative aux arrestations faites à
Paris d'après les indications des parquets de
province. Cette note confirmera les recti-
fications de la Gazette des Tribunaux.
Il paraît qu'aucune charge sérieuse n'a
pu être établie contre les onze personnes
arrêtées à Paris sous la prévention d'affilia-
tion à l'Internationale, et qu'aucun des
papiers saisis n'a justifié les renseigne-
ments venus de province. Par suite, ces
personnes seraient mises en liberté.
JIll
9 Il
L'Officiel rectifie en ces termes une nou-
velle du Figaro.
Le Figaro, dans son numéro du 30 janvier, a
publié la note suivante :
« Les divers' rapports qui parviennent au
ministère de la marine, au sujet des désastres
causés par la grande tempête de la semaine der-
nière annoncent que les canots de sauvetage ap-
partenant à la plupart de nos ports ont été trou-
vés dans un très-mauvais état, ce qui a empê-
ché de les utiliser. M. le ministre de la marine
vient de donner des ordres à tous les comman-
dants des ports pour qu'à l'avenir semblable fait
ne puisse se renouveler. »
Le Figaro se trompe. Le ministre de la ma-
rine n'a pas reçu de plainte ni de réclamation
à ce sujet; le service du sauvetage n'est pas
d'ailleurs dans ses attributions, et les bateaux
établis le long de nos côtes appartiennent exclu-
sivement à la Société centrale de sauvetage
des naufragés, dont le siège est à Paris. Il ne
Deut être exact que ces bateaux aient été trou-
vés en mauvais état, attendu qu'ils sont pres-
que tous de construction récente et parfaite-
ment entretenus. Pendant les dernières tem-
pêtes, ils ont rendu de très-importants services
aux bâtiments en détresse ; le bateau de Saint-
Nazaire, entre autres, a eu l'occasion de sortir
par un temps exceptionnellement mauvais, et
s'est admirablement acquitté de sa périlleuse
mission.
On a annoncé, la semaine dernière, que
le comte de Paris avait exprimé le désir
d'une entrevue avec le comte de Charn-
bord, en vue d'une entente avec-ce prince,
chef de la branche aînée des Bourbons.
Le Mémorial diplomatique dit que M. le
comte de Chambord a fait répondre à cette,
demande qu'il fera connaître très-pro-
chainement, dans une lettre, ses vues au
sujet de ses rapports futurs, avec les prin-
ces de la famille d'Orléans.
On a vaguement parlé de M. Batbie
pour remplacer M. Ch. Dupin, qui a laissé
une place vacante à l'Academie des scien-
ces morales et politiques : mais la noto-
riété de réaction qui s'est attachée depuis
peu au nom de M. Batbie ne sera pas un
mince obstacle au succès de sa candida-
ture.
Il serait question, dit l'Indépendance
belge, d'un mariage pour une princesse de
l'ancienne famille impériale restée veuve.
Ce serait un artiste, un peintre, que cette
princesse épouserait.
Le vice-amiral Jauréguiberry, préfet
maritime de Toulon, a quitté Versailles
pour retourner à son poste.
Le vice-amiral avait été mandé par la
commission d'enquête sur les actes du
gouvernement du 4 septembre. Il a eu à
déposer sur deux points principalement :
1° le retour à Cherbourg, sans ordres, de
l'escadre commaadée par M. le vice-amiral
Fourichon (le contre-amiral Jauréguiberry
commandait alors une division et avait
son pavillon arbo'é sur l'Héro'ine)j 20 l'or-
ganisation de l'armée de la Loire, notam-
ment du 16" corps, qui était placé sous les
ordres de l'amiral, et la part d'initiative
laissée aux généraux par le ministre de la
guerre.
* *
La polémique passionnée et maladroite,
soulevée à propos du rang occupé sur le
tableau d'avancement de M. le lieutenant
de vaisseau Farcy, a donné lieu à une
réplique assez raide, de la part de cet of-
ficier.
M. le ministre de la marine n'a accordé
qu'une seule faveur à ce député de la
Seine, c'est de le traiter et de le considé-
rer comme un membre de l'Assemblée na-
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