Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-01-31
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 31 janvier 1873 31 janvier 1873
Description : 1873/01/31 (A3,N442). 1873/01/31 (A3,N442).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7556704x
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
3' Année. — N* 442.
PRIX DU NUM/ma : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Vendredi 31 Janvier 4873.
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2, rue Drovot, »
les manuscrits non imérés seront rendus
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PARIS
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Six mois.h" 25
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6, place de la Bonne, 6
MM. les Souscripteurs des dé-
partements dont l'aboanement ex-
pire le 31 janvier sont instamment
priés de le renouveler dans le plus
bref délai, s'ils ne veulent éprouver
aucune interruption dans la ré-
ception du journal.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 50 janvier 4873.
Voici quelques journées que l'Assemblée
consacre à des délibérations peu bruyantes,
mais généralement utiles. On annonce,
malheureusement, pour aujourd'hui, une
discussion qui ne sera sans doute pas utile,
mais qui ne manquera point d'être bruyante.
Les rapports de M. de Ségur sur les mar-
chés passés à Lyon pendant la guerre, et
sur les dépenses de l'armée des Vosges
viennent en tête. de l'ordre du jour.
Nous avons déjà fait connaître l'esprit
du premier de ces rapports, celui qui rap-
pelle et qui juge les marchés de la Com-
mune lyonnaise. Lesjuge-t-il toujours avec
équité, avec convenance ? Evidemment la
passion politique a dicté trop souvent les
appréciations du rapporteur. Un de ses
plus graves défauts, comme le Journal des
Débats l'a fait justement remarquer, c'est
de ne tenir nul compte de l'extraordinaire,
du terrible et de l'imprévu où, pendant
plusieurs mois, on a vécu sans cesse. Mais
ce n'est pas tout, et l'exactitude de diverses
assertions de M. de Ségur sera vivement
contestée. La plus grande partie de son
travail tend à prouver que toutes les ar-
mes achetées par la ville de Lyon étaient
de mauvaise qualité et que les canons, no-
tamment, « n'ont jamais blessé que ceux
qui s'en servaient. » C'est ce que nie abso-
lument le chef d'état-major du général
Cremer, dans une lettre que la République
française vient de publier. Les fusils, les
canons que Lyon avait fournis ont été em-
ployés utilement dans l'armée de l'Est, et
la batterie Armstrong surtout, que M. de
Ségur a tant raillée, a subi les épreuves
les plus rudes et les plus honorables. Ce
fut avec ces armes crue le général Cremer
se battit à Nuits, où l'ennemi perdit, de
son propr aveu, 54 officiers et 800 hom-
mes. M. le colonel Poullet, auteur de la
lettre que nous citons, en appelle encore au
témoignage de deux honorables députés,
MM. de Carayon-Latour et Bérenger (de la
Drôme), qui furent, l'un commandant,
l'autre simple soldat, dans les légions du
Rhône que Cremer avait sous ses ordres.
Voici donc une série de faits sur lesquels
la eommissioif paraît insuffisamment ren-
seignée; nous supposons qu'elle en témoi-
gnera du regret.
Mais du moins M. de Ségur, dans la
question des marchés lyonnais, arrive à
des conclusions sur lesquelles la Chambre
devra voter. Des dépenses ont été faites,
les unes bien, les autres mal; le rappor-
teur propose d'en mettre une notable par-
tie à la charge de la ville de Lyon : c'est
ce qu'il faudra décider, et, tout en blâ-
mant les écarts et les exagérations politi-
ques, nous comprenons qu'il y ait là un
sujet de délibération pour l'Assemblée. Il
n'en est pas de même du rapport sur l'ar-
mée des Vosges. Celui-ci n'aboutit à des
conclusions d'aucuae espèce, à moins que
la commission ne propose de faire voter
que le général Garibaldi n'est qu'un mau-
vais soldat, amolli par la bonne chère; mais
ce genre d'appréciations historiques ou mo -
raies ne se décrète point ordinairement.
Quoi qu'il en soit, le rapport sur l'armée
des Vosges est un morceaa d'un goût bien
pire encore que le rapport sur les marchés
de Lyon. Nous n'avons à prendre parti ni
pour Garibaldi ni pour les officiers d'état-
major dont il lui a plu de s'entourer. Pour-
tant il nous semble que le vieux patriote
italien méritait bien au moins quelques
ménagements.
Que l'on fasse peu de fonds sur sa po-
litique, soit; mais c'était du moins un
brave chef et un cœur généreux. Il s'est
battu pour nous sans que rien l'y forçât,
et nous sommes choqués que le jeune M.
de Ségur traite de si haut un homme que la
reconnaissance de tout un grand peuplé
voisin a élevé au rang des libérateurs et
des héros. Parmi tant d'accusations, l'his-
toire du poisson deviendra célèbre, et ce
ne sera pas à notre honneur. On faisait,
dit M. de Ségur indigné, on faisait de
Marseille des envois de poisson à Garibal-
di. De Marseille à Dijon! Quelle corrup-
i on chez cet homme ! Tant de gourman-
dise eût fait honte à Vitellius! Cepen-
dant M. de Ségur, qui parle sur pièces,
donne en note une lettre — texte italien
avec traduction — de l'aide-de-camp de
Garibaldi, où l'on voit que le général n'a
reçu qu'un poisson et que ce poisson lui
fut donné par un de ses amis personnels :
« Cher Lelli, j'ai reçu le poisson que vôus
avez eu la bonté de nous envoyer. Il est
arrivé à Dijon en très-bon état, et il plaît
à notre général. etc. »
On imprime sérieusement ces belles cho-
ses après les avoir fait peser par une com-
mission de quarante-cinq membres que
M. le duc Pasquier préside; et non-seule-
ment on les imprime, mais l'Assemblée na-
tionale de France est convoquée pour en
délibérer, et sa délibération comptera,
comme on dit, parmi les séances qui re-
tentissent le plus fort et qui excitent le
plus d'émotion! Qu'ajouterons-nous? Cer-
tes une enquête minutieuse et sévère sur
les faits de la guerre était désirable; mais
est-ce bien cela qu'on nous avait promis?
Nous savons qu'on vient de déposer deux
autres rapports, lê'premier de M. de Sugny,
toujours sur Lyon, le second du marquis
de Mornay, sur Marseille. Quelle rage
d'aller choisir des hommes que le seul nom
de République fait bondir? Il fallait autre-
ment s'y prendre et apporter dans tout ceci
plus de raison et de sang-froid.
BUG. LIÉBBRT.
* —————————
NOTRE AMBASSADE
IV PART fit US)
Le Courrier de France a publié hier
soir les trois lignes suivantes :
La Libertà, journal italien, assure que M. Ed-
mond About est à Rome en qualité. d'agent of-
ficieux de M. Thiers.
Le Temps imprimait à la même heure,
dans sa correspondance de Rome :
M. Edmond About a assisté à un grand dîner
de vingt-cinq à trente couverts, (lisez quatorze)
donné par M. Fournier. Il est parti le sur-
lendemain de ce ainer (lisez six jours après.)
Le journal gouvernemental la Libertà lui adresse
un article solennel, dans lequel elle dit que
« les hommes politiques italiens confirment que
M. About est venu à Rome chargé par le gou-
vernement français de continuer à faire dispa-
raître les nuages qui peuvent exister par malen-
tendu entre les libéraux des deux pays. »
Et l'Union avant-hier avait dit, avec
cette courtoisie qui distingue les organes
du droit divin :
M. Edmond About, qui s'était fait une re-
nommée par ses insultes contre le gouverne-
ment du Pape, est à Rome depuis quelque
temps, non pas comme voyageur, mais comme
agent officieux de M. Thiers. Un des organes du
gouvernement italien, la Libertà, adresse à M.
Edmond About, sous forme de lettre, des ré-
flexions qu'il est bon de recueillir ; notre cor-
respondance de Rome en reproduit une partie ;
nous les signalons à l'attention de nos lecteurs.
La feuille officieuse, dans l'intérêt du bon ac-
cord entre nos pays et l'Italie; demande que la
France se fasse à l'image de M. About et de M.
Fournier.
Nous ne sommes pas diplomates ;
nous ne le sommes ni peu ni prou, et
nos lecteurs le savent assez pour qu'il
soit au moins superflu de leur en don-
ner l'assurance.
Un citoyen français a le droit de voya-
ger trois ou quatre semaines, soit pour
une excursion de pur agrément, soit en
vertu d'une ordonnance de son médecin,
surtout si les travaux nocturnes et les
tracas d'une situation menaçante l'ont
privé de sommeil pendant quarante jours.
C'est de ce droit commun à tous que le
rédacteur du XIXe Siècle a usé. Il s'est
réfugié dans la pays le plus beau, le plus
intelligent et le plus heureux de l'Europe;
ses souvenirs et ses goûts l'y portaient,
des amitiés précieuses et même illus-
tres l'y ont accueilli.
Si tel ou tel journal de Rome a sup-
posé que le gouvernement français
m'avait chargé de dissiper certains nua-
ges, il m'a fait plus d'honneur qrle je
n'en mérite et surtout que je n'en solli-
cite. La Libertà se trompe en s'adressant
à mon humble personne comme à un
représentant officieux de MM. Thiers et
de Rémusat; mais je suis sûr qu'elle se
trompe de bonne foi.
Quant à l'Union légitimiste de Paris,
qui, dans une lettre fabriquée au bord
de la Seine, signale la Libertà comme un
journal officieux, elle se trompe de son
plein gré et pour les besoins de sa cause.
a Libertà n'appartient pas plus au gou-
vernement du Quirinal que le XIXe
Siècle n'appartient au gouvernement de
Versailles.
Où la Libertà et les autres journaux
italiens sont dans le vrai, c'es4 quand ils
pensent que j'aime l'Italie un e et , libre,
immédiatement après la France républi-
caine, -et que je ferai de mon mieux pour
réconcilier les deux sœurs.
Oui, sans doute, j'ai regretté de n'être
pas la colombe de l'arche qui portait
dans son bec une branche d'olivier; oui,
j'ai couru la Péninsule dans tous les
sens en appelant à moi les amis désin-
téressés de ma patrie; oui, j'ai eu le
bonheur d'en rencontrer beaucoup, par-
mi les chefs loyaux et éclairés d'une
grande nation ; oui, les Se'ila, les Vis-
conti-Venosta, les Minghetti. les Giorgini,
les Biancheri, les BonghL, les Massari
m'ont accueilli à bras ouverts, et je reviens
tout ému et tout frémissant d'une si
cordiale hospitalité; mais j'étais parti
de mon chef, je ne représentais là-
bas que moi-même et les amis qui
sympathisent avec la politique de. ce
journal. J'avais une mission : chercher
le vrai et faire le bien ; c'est celle qu.'un
homme sincère et décidé peut toujours
se donner à lui-même. Et rentré dans
notre pays, je ne dois compte de ma con-
duite qu'à ce public de choix qui no us
fait l'amitié de nous lire tous les matin s.
ABOUT.
P.-S. — A bientôt les chapitres les
plus intéressants de l'Italie nouvelle. Je
commencerai par la question religieuse, i
qui vient à l'ordre du jour.
Avant un mois le public, seul juge i
compétent dans ces matières, décidera
si j'ai été en Italie l'ambassadevir du
vieux bon sens français.
LES ENTÊTÉS !
Les gens de la droite sont d'un entê-
tement rare. Ils ont beau subir défaite
sur défaite ; ils ne veulent pas avouer
qu'ils sont battus. Ils ressemblent à ces
maîtres d'armes grincheux qui ne con-
sentent jamais à reconnaître un coup de
bouton reçu.
Vous vous rappelez la longue discus-
sion qui s'est élevée à la Chambre sur
la constitution du conseil supérieur de
l'instruction publique, et qui s'est termi-
née, au grand déplaisir des cléricaux, parle
triomphe de M. Jules Simon. En avons-
nous assez parlé en ce temps-là! Nous
croyions bien que nous n'aurions plus
à revenir sur cette affaire, et nous
avions poussé comme un soupir de sou-
lagement. -
Elle avait l'air d'être si bien finie ! La
Chambre s'était piononcée de façon si
énergique, et le vote semblait si formelle-
ment acquis ! Vous savez de quoi il était
question. La droite voulait absolument
qu'on instituât une commission perma-
nente, qui demeurât près du ministre
pour le conseiller, le surveiller, et gou-
verner sous son nom l'instruction pu-
blique. Le ministre ne se souciait pas
trop, lui, d'avoir à ses côtés des colla-
borateurs si assidus.
— Mais au moins, disait-il, si vo as
m'imposez des gardes du corps, laissez-
les moi choisir moi-même. Il est clair
que si votre commission est nommée par
le conseil supérieur de l'instruction pu-
blique , si elle ne 'tient pas de moi ses
pouvoirs, mais d'une autorité plus haute
que la mienne, elle sera plus puissante
que moi, et je ne serai plus ministre que
de nom. Vous parlez sans cesse de ré-
tablir la responsabilité ministérielle
dans son intégrité. Où sera la mienne,
si les mesures que je signerai de mon
nom sont prises par d'autres que par
moi ?
Votre commission permanente relèvera
du conseil supérieur, qui lui-même
émanera de vous : ce sera donc vous,
Assemblée, qui serez responsable devant
vous-même. C'est une horrible confusion
des pouveirs législatif et exécutif.
Le raisonnement était si juste, si con-
vaincant, si péremptoire, que la Chambre
s'y rendit en dépit de la droite. Elle déci-
da que la commission permanente, qui de-
vait aider le ministre dans ses travaux,
serait nommée par lui; et c'est ainsi que
la loi fut votée en seconde lecture.
Il lui reste à subir l'épreuve de la troi-
sième. Ce n'est guère généralement
qu'une formalité : car la Chambre ne se
déjuge guère. Mais ce n'est pas ainsi que
l'entendent les entêtés de la droite. Ils
enragent de cette déconvenue, et vous ne
devineriez jamais par quel biais ils es-
pèrent revenir sur un point si nettement
acquis.
Mais pour bien comprendre l'imperti-
nence de leur résolution nouvelle, il
faut d'abord se reporter aux raisonne-
ments qu'ils avaient présentés dans la
discussion.
Ils n'avaient cessé de répéter que le
conseil supérieur ne serait rien par lui-
même,qu'il n'aurait d'influence et de force
que s'il se ramassait en quelque sorte
dans une commission peu nombreuse ,
qui connût les choses de l'Université et
s'en occupât avec une compétence réelle
et un intérêt de tous les jours.
Et ils n'étaient pas embarrassés de
prouver leur dire : que pourrait, en ef-
fet, un conseil supérieur très-nombreux,
composé d'éléments hétérogènes, qui ne
se reunirait que trois ou quatre fois par
an et dont les sessions seraient assez
courtes ? Le ministre lui demanderait en
bloc un satisfecit, et l'obtiendrait à peu
près sûrement, après quelques observa-
tions, qui ne seraient que de pure for-
me. Peut-être apporterait-il par ci par là
quelque grande question à résoudre. Mais
elle serait fort générale, et par la façon
dont il l'exécuterait ensuite, il serait
touj ours le maître de donner à la chose
le tour qu'il lui plairait.
Non, disaient-ils, nous ne tenons à
notre conseil supérieur, tel que nous
l'avons organisé, que parce que c'est lui
qui doit nommer la commission perma-
nente. Cette commission permanente,
c'est le fonds de notre projet. Si vous
la rejetez, ou si vous en confiez la nomi-
nation au ministre, notre loi croule tout
encore.
La Chambre ne fait aucune difficulté
d'accorder à ces messieurs la commis-
sion permanente qu'ils réclament ; mais
elle veut, fidèle en cela aux principes du
gouvernement parlementaire, que cette
commission ne puisse se substituer au
ministre, et le décharger de toute res-
ponsabilité , en accaparant ses fonc-
tions.
Là-dessus, savez-vous ce que fait la
droite ?
M. de Broglie et M. deSaint-Marc-Girar-
din, après avoir bien réfléchi, s'être
pris la mâchoire en main et s'être frappé
le front, décident qu'à la troisième lec-
ture il faudra demander à la Chambre
de supprimer cette commission perma-
nente, pour laquelle ils avaient si vive-
ment plaidé.
Voilà qui est merveilleux J Ils se sont
évertués à démontrer que sans cette
commission permanente le conseil su-
périeur de 1 instruction publique n'est
qu'un rouage inutile, une représen-
tation magnifique, et rien de plus; leurs
raisons sont si probantes que la Chambre
s'y laisse convaincre et institue, sur leur
demande, cette commission permanente
si désirée, et ce sont eux maintenant qui
vont en réclamer la suppression !
Et pourquoi ? Parce qu'elle n'est pas
nommée par eux !
Est-il possible de mieux laisser voir
dans son j.eu? Agir ainsi, n'est-ce pas di-
re ouvertement : ce que nous souhai-
tions, ce n'était point du tout le bon gou-
vernement de l'Université ni le progrès
de l'éducation. Nous ne tenions qu'à une
seule chose, à être les maîtres du mi-
nistère. N'ayant point encore eu le bon-
heur de trouver la formule du poison
qui nous débarrassera de M. Jules Si-
mon, au moins voulions-nous le tenir
en bride, et diriger par ses mains l'in-
struction publique. Ce résultat, le seul
qui nous intéressât, n'a pu être atteint
par nous. Nous ne nous soucions plus
du reste. Dès que la commission
permanente n'est pas à nous, du mo-
ment qu'elle n'est pas en nos mains un
instrument de tyrannie, nous la suppri-
mons. ,KUô*ne ferait que nous gêner, ne
nous étant pas utile.
Et ils s'en vont, avec une aimable
désinvolture, démolir eux-mêmes les rai-
sonnements qu'ils avaient présentés à la
Chambre. Après lui avoir prouvé que le
conseil supérieur n'avait de vie réelle
que dans la commission permanente, ils
lui démontreront qu'il se suffit à lui-
même et qu'il est très-capable de faire à
lui tout seul toute la besogne.
M. Jules Simon les laissera dire :
l'importantpour lui n'était point qu'on lui
donnât une commission permanente. Il
peut très-bien s'en passer, et, s'il a be-
soin de s'entourer de conseils, rien ne
lui sera plus facile que de choisir dans
l'Université des hommes compétents à
qui il demande leur avis sur chaque
question. Il n'a que faire de la Chambre
pour se composer à lui-même toutes les
commissions qu'il lui plaira. Ce dont il
ne voulait point, c'est que cette commis-
sion tînt ses pouvoirs d'un autre que
lui.
Sur ce point il l'a emporté.
Maintenant M. de Broglie entend sup-
primer cette commission, devenue inu-
tile aux projets de la droite. A son aise !
Mais ce petit exemple ne suffit-il pas
à montrer aux lecteurs de ce journal
combien ces messieurs de la droite sont
peu préoccupés, dans tout ce qu'ils en-
treprennent, de l'intérêt général? Ils sont
toujours prêts à soutenir le pour ou le
contre selon les conseils de leur ambi-
tion personnelle. Ils n'ont qu'une idée et
qu'un but : s'emparer du pouvoir et des
places. Ils sacrifient la France à leur fé-
roce égoïsme, à leur prodigieux entête-
ment.
FRANCISQUE SA-RCBT.
♦
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 29 janvier 1873.
?
Il est très-rare que l'on tourne sept fois
sa langue dans sa bouche avant de parler,
mais il est fort commun que l'on tourne
sept fois sa plume dans sa main avant de
savoir ce que l'on va écrire. Nous sommes
dans ce dernier cas.
Et, voyant l'impression de panique que
produisent sur le public des tribunes des
séances comme celles "que nous subissons
en ce moment et notamment comme celle
que nous avons subie aujourd'hui, nous
nous demandons avec terreur quelle doit
être l'impression qHe peut produire ce
Courrier sur notre public de lecteurs.
Ce scrupule légitime rapidement étouffé,
nous ne ferons nulle difficulté d'avouer
que les scrutins ouverts sur des demandes
de crédit quelconque sont la base des As-
semblées, que la réglementation du travail
dans les manufactures est une loi sociale
des plus importantes et que par conséquent
la Chambre a bien mérité, aujourd'hui,
de la patrie. Elle n'a pas perdu sa jour-
née. Non; elle l'a seulement un peu gas-
pillée.
L'article 2 de la loi déclare que les en-
fants ne peuvent être admis dans les ma-
nufactures avant l'âge de dix ans. (Se rap-
peler que. de dix à douze ou treize ans, les
enfants ne doivent y travailler que six
heures par jour.)
M. Godin demande que les entants ne
soient pas admis dans les manufactures
avant l'âge de douze ans. Son argumenta-
tion repose sans doute sur l'urgence qu'il
y a à faire profiter de l'instruction le fils
de l'ouvrier.
Nous avons dit « sans doute ». En ef-
fet, la voix de M. Godin est tellement gut-
tural, tellement étouffée, qu'elle n'arrive
pas jusqu'à nous. Mais nous ne pouvons
ignorer ce qu'est et ce que vaut M. Godin :
riche industriel et grand philanthrope, il
est le fondateur du familistère de Guise; il
a créé des crèches, des écoles, et ce que,
simple particulier, il fait, il voudrait le
voir faire généralement. Celui-là a le droit
de prêcher ; il i prêche d'exemple.
Et pourtant il a une attitude gênée, em-
barrassée à la tribune; autant ses idées sont
nettes, autant sa parole est hésitante ; c'est
un timide. Ses collègues ne cherchent
guère à l'intimider, cependant ! Ils ne font
pas de bruit, ne causent pas ; tous les dé-
putés présents — ils ne sont pas nombreux
— lisent.
Ils lisent une brochure qui vient de leur
être distribuée : « Rapport de la commission
d'enquête sur les actes du gouvernement
de la défense nationale. » Cette brochure
concerne spécialement le département du
Rhône. Et ces choses-là sont toujours allé-
chantes!
Ce rapport, rédigé par M. de Sugny, un
membre de la droite, a été distribué au-
jourd'hui, c'est-à-dire la veille du jour où
doit s'engager la grosse discussion des mar-
chés de Lyon. Eh bien ! après l'avoir
parcouru, nous ne croyons pas qu'il pro-
duise sur les députés une impression défa-
vorable à M. Challemel-Lacour, qu'on y
voit lutter pied à pied contre la démagogie
lyonnaise; mais il peut gêner quelque peu
demain, dans les périodes de sa défense,
l'ancien préfet de Lyon.
Le travail des enfants continue. M.
Talion, rapporteur, inonde la salle de son
éloquence sonore et verbeuse. Non, là, sin-
cèrement, sans aucun parti pris, c'est trop
de discours ! De grandes périodes, de
grands mots, de grands sentiments. Il
est un démocrate ancien qui en a dit
bien plus long en bien moins de mots :
« Sinite venire ad me pueros. »
M. Leurent avait un amendement à
l'article 2 ; Il le retire. M. Tirard s'en
étonne, et non sans raison ; car, enfin, il
y a huit jours, M. Leurent a passé quel-
ques heures à nous démontrer que l'article
de la commission ne valait rien et que son
amendement était excellent. La vérité est
que l'on marche de tâtonnement en tâton-
nement, sautant d'une décision prise à la
décision inverse, voulant bien faire, mais
ne sachant pas au juste quoi faire.
L'amendement Godin repoussé, l'article
2 a été voté.
Dans les couloirs, même calme que dans
la salle, on se recueille en attendant
l'entrevue de M. le président de la Répu-
blique avec la commission des trente ; le
jour fixé est vendredi. Quant au futur rap-
porteur de la commission, on désigne déjà
M. Ernoul comme devant occuper ce poste
de combat ; l'attitude de ce fougueux dé-
puté, au début même de la discussion,
doit en effet le désigner aux suffrages de la
droite. Du moment qu'on veut des coups
de poing, il vaut mieux s'adresser à un
fort boxeur.
PAUL LAFARGUE.
+
LES MAUVAISES LOIS
N'avez-vous jamais remarqué la façon
intermittente dont certaines lois, certains
décrets, certains règlements sont appli-
qués en France, et ne vous en êtes-vous
jamais demandé la raison?
Voici, par exemple, les duellistes. Il se
passe des mois, des années pendant les-
quels ils ne sont nullement inquiétés;
puis, un beau jour, dame justice se ré-
veille, et se rappelant qu'il y a quelque
part dans le Code un article qui défend
les coups et blessures, elle lance les
gendarmes aux trousses des gens qui
s'en vont vider leurs querelles sur le
pré. fi -. , t
Les financiers véreux jouissent aussi,
à certains moments, de la plus complète
sécurité. Ils peuvent traficoter, tripoter,
filouter à leur aise. La justice regarde et
passe, guarda e passa. Puis, tout-à-coup,
comme si la réflexion lui était venue,
elle se retourne, prononce un formida-
ble Quos ego ! et voilà tous nos pêcheurs
en eau trouble pris dans leurs propres
filets !
Nous ne citons que pour mémoire les
règlements de police concernant les fem-
mes de Claude qui, le soir, envahissent
l'asphalte des boulevards. Pendant des
saisons entières elles ne sont entravées
en quoi que ce soit dans leur petit néli
goce ; puis, un matin, l'on apprend en
ouvrant son journal que la police a opé-
ré deux razzias, l'une aux carrières d'A-
mérique sur des hommes en guenilles,
l'autre au boulevard des Italiens sur
des femmes à falbalas.
Et puis après, lois, décrets et règle-
ments sommeillent de nouveau jusqu'à
une nouvelle occasion.
Pourquoi cela r
Nous ne croyons rien hasarder de sub-
versif en disant que les différents crimes
ou délits dont nous venons de parler ne
sont peut-être pas visés par des textes
assez précis; que, pour les atteindre, la
justice est le plus souvent obligée d'in-
terpréter telle ou telle loi, tel ou tel dé-
cret, et qu'elle ne se décide à le faire
que poussée dans ses derniers retran-
chements, pour donner satisfaction à la
conscience publique outragée, plutôt
que pour obéir à une loi bien précise.
C'est ainsi que, ce matin, il était grand
bruit d'une loi qui n'a point encore fait
beaucoup parler d'elle, la loi sur l'Inter-
nationale votée en mars 1872 par l'As-
semblée nationale.
La Gazette des Tribunaux nous apprend
qu'un journal a été condamné, dans la
personne de son gérant, à un mois de
prison et à l'amende, pour avoir publié
une circulaire du conseil général de New-
York, contenant les doctrines de l'As-
sociation internationale des travailleurs.
Ce journal, qu'on ne s'attendait assuré-
ment pas à trouver dans cette affaire, est
la Gazette de France. En publiant la cir-
culaire en question, elle a contrevenu à
l'article 3 de la loi du 14 mars 1872,
ainsi conçu :
« Article 3, — La peine de l'emprisonnement
pourra être élevée à 5 ans, et celle de l'amende
à 2,000 fr. à l'égard de tous, Français ou étran-
gers, qui auront accepté une fonction dans une
de ces associations, ou qui auront sciemment
concouru à son développement, « soit en rece-
3 vant ou en provoquant à son profit des sous-
» criptions, soit en lui procurant des adhésions
» collectives ou individuelles, soit, enfin, en
Il propageant ses doctrines, ses statuts ou ses cir-
» culaires, etc., etc. »
En même temps, on parle d'arresta-
tions nombreuses opérées lanuit dernière
sur des agents et affiliés de l'Internatio-
nale, en vertu de l'article 2 de la loi
susdite, où il est dit :
1 Art. 2. — Tout Français qui, après la pro-
» mulgation de la présente loi, s'affiliera ou fera
» acte d'affilié à l'Association internationale des
» travailleurs ou à toute autre association pro-
» fessant les mêmes doctrines et ayant le même
» but, sera puni d'un emprisonnement de trois
» mois à deux ans et d'une amende de 50 à
» 1,000 francs. Il pourra, en outre, être privé de
» tous ses droits civiques, civils et de famille
» énumérés en l'article 42 du code pénal pen-
» dant cinq ans au moins et dix ans au plus. »
IL y a un an bientôt que la loi sur
l'Internationale a été votée, et c'est la
première fois qu'à Paris, au moins, on
songe à l'appliquer. Est-ce donc la pre-
mière fois qu'il y est contrevenu ? Assu-
rément non ; mais la loi est mauvaise.
Nous n'avons cessé de le dire pendant
qu'on la discutait, et, si le parquet a si
longtemps hésité à en faire l'application,
ne serait-ce pas qu'il est un peu de no-
tre avis ?
Nous ne répéterons point ce qui a été
proclamé sur tous les tons par la presse
la plus modérée, la moins socialiste, au
sujetde l'article premier de cette loi, qui,
au lieu de viser, comme toute bonne loi
répressive doit le faire, un crime dûment
spécifié, vise une catégorie de criminels
qu'on doit reconnaître à tel signe infail-
lible. Rien que cet article premier suffit
à mettre en défiance.
Mais ne nous occupons que des arti-
cles 2 et 3 actuellement enquestion.
Il est incontestable que le parquet
avant de poursuivre, et le juge avant de
condamner la Gazette de France ont dû
hésiter. Leur droit et leur devoir étaient
d'appliquer la loi, ils l'ont fait. Mais si
le jugement est inattaquable, en peut-on
dire autant de la loi ?
Qu'a fait la Gazette ? Elle a publié une
circulaire de l'Internationale. Nous n'a-
vons pas le corps du délit sous les yeux,
mais tout le monde comprend bien que
la Gazette de France n'a point eu en, vue
d'aider à la propagande internationalis-
te, et nous gagerions même qu'elle a
fait suivre ou précéder cette publica-
tion de commentaires peu fadts pour
la vanter.
Cette même circulaire, il est vrai, ve-
nait d'être publiée par le Corsaire, et,
sans doute, avec de tout autres inten-
tions. Le Corsaire est poursuivi à raison
des mêmes faits ; il était donc indispen-
sable de poursuivre la Gazette de France.
Encore une fois — et nous sommes
vraiment humiliés de nous astreindre à
de telles précautions oratoires — la jus-
tice a fait son œuvre ; elle est ici hors
de cause; mais ne voit-on pas qu'elle y
a été obligée par un texte de loi déplora-
ble ?
Quittons les personnalités toujours
gênantes en pareil cas. Vous faites par-
tie d'une société setrète; moi, non.
Vous en publiez les statuts; vous pour
les exalter, moi pour les flétrir. Et tous
deux nous avons commis le même dé-
lit ? Est-ce admissible ?
J'ai en ce moment sous la main un.
journal publié à Londres par des réfu-
giés de la Commune. Cela s'appelle la
Fédération, et le numéro dont je parle
contient, entre autres morceaux de haut
goût, les statuts de la Fédération univer-
stlle des travailleurs, car il paraît qu'au-
jourd'hui il n'est plus question d'Inter-
nationale. Je n'ai pu lire sans indigna-
tion cet appel à toutes les haines, à tou-
tes les passions, à tous les mauvais ins-
tincts qui couvent sous la bête humaine
à l'état de nature, et je me proposais
d'en parler ici dans l'espoir que le jour-
nal tomberait sous les yeux de quelqu'un
des bons imbéciles qu'on enrôle malgré
eux, et que je lui ferais comprendre dans
quel guêpier il s'était fourvoyé. Eh bien,
la loi s'y oppose. La loi est-elle bonne?
La loi impose le silence sur l'Interaa-
tionale, sur son but, sur ses doctrines.
C'est le contraire qu'elle devait souhai-
ter. Sur cent affiliés il y en a quatre-
vingt dix qui ne connaissent de l'asso-
ciation que le but social. Ils ignorent son
but politique ; s'ils le connaissaient, s'il
nous était permis, à nous tous, de leur
faire toucher du doigt les monstruosités
qui s'élaborent dans ce qu'on appelle
les sections et conseils de l'Internatio-
nale, il est certain que nous pro-
voquerions des désertions nombreuses.
Nous aurions voulu également dire un
mot de l'article 3 en vertu duquel des
arrestations viennent d'être opérées.
Le seul fait d'être affilié à 1 Internatio-
nale constitue-t-il un délit? Oui,. d'après
l'article 3. Mais sur quoi le juge s ap-
puiera-t-il pour prouver que l'Associa-
tion des travailleurs professe les doc*
trines indiquées dans l'article 1 H de la
loi? Sur la notoriété publique? Outre
que ce n'est pas là une preuve, au sens
juridique du mot, comment cette noto-
riété pourra-t-elle s'établir, puisque l'ar-
ticle 2 fait défense expresse de publier
de rendre notoires les doctrines profes-
sées par l'association dans ses statuts
programmes et circulaires?
Les débats du procès qui va s'entamer
nous fourniront l'occasion de revenir
sur ce sujet, et de signaler bien d'autres
inconséquences, bien d'autres contradic-
tions dans cette loi du 14 mars, une
des plus mauvaises qui soient sorties de
l'officine de Versailles.
E. SCHNHRB,
PRIX DU NUM/ma : PARIS 15 CENTIMES — DÉPARTEMENTS 20 CENTIMES.
Vendredi 31 Janvier 4873.
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2, rue Drovot, »
les manuscrits non imérés seront rendus
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois 13 fr
Six mois.h" 25
Un an.tM. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et C.
6, plaee de la Bourse, 0
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
£ • me Drouot. 9
les lettres non affranchies seront refusées
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Un an.. !. 50
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Un an .- 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et C"
6, place de la Bonne, 6
MM. les Souscripteurs des dé-
partements dont l'aboanement ex-
pire le 31 janvier sont instamment
priés de le renouveler dans le plus
bref délai, s'ils ne veulent éprouver
aucune interruption dans la ré-
ception du journal.
JOURNÉE POLITIQUE
Paris, le 50 janvier 4873.
Voici quelques journées que l'Assemblée
consacre à des délibérations peu bruyantes,
mais généralement utiles. On annonce,
malheureusement, pour aujourd'hui, une
discussion qui ne sera sans doute pas utile,
mais qui ne manquera point d'être bruyante.
Les rapports de M. de Ségur sur les mar-
chés passés à Lyon pendant la guerre, et
sur les dépenses de l'armée des Vosges
viennent en tête. de l'ordre du jour.
Nous avons déjà fait connaître l'esprit
du premier de ces rapports, celui qui rap-
pelle et qui juge les marchés de la Com-
mune lyonnaise. Lesjuge-t-il toujours avec
équité, avec convenance ? Evidemment la
passion politique a dicté trop souvent les
appréciations du rapporteur. Un de ses
plus graves défauts, comme le Journal des
Débats l'a fait justement remarquer, c'est
de ne tenir nul compte de l'extraordinaire,
du terrible et de l'imprévu où, pendant
plusieurs mois, on a vécu sans cesse. Mais
ce n'est pas tout, et l'exactitude de diverses
assertions de M. de Ségur sera vivement
contestée. La plus grande partie de son
travail tend à prouver que toutes les ar-
mes achetées par la ville de Lyon étaient
de mauvaise qualité et que les canons, no-
tamment, « n'ont jamais blessé que ceux
qui s'en servaient. » C'est ce que nie abso-
lument le chef d'état-major du général
Cremer, dans une lettre que la République
française vient de publier. Les fusils, les
canons que Lyon avait fournis ont été em-
ployés utilement dans l'armée de l'Est, et
la batterie Armstrong surtout, que M. de
Ségur a tant raillée, a subi les épreuves
les plus rudes et les plus honorables. Ce
fut avec ces armes crue le général Cremer
se battit à Nuits, où l'ennemi perdit, de
son propr aveu, 54 officiers et 800 hom-
mes. M. le colonel Poullet, auteur de la
lettre que nous citons, en appelle encore au
témoignage de deux honorables députés,
MM. de Carayon-Latour et Bérenger (de la
Drôme), qui furent, l'un commandant,
l'autre simple soldat, dans les légions du
Rhône que Cremer avait sous ses ordres.
Voici donc une série de faits sur lesquels
la eommissioif paraît insuffisamment ren-
seignée; nous supposons qu'elle en témoi-
gnera du regret.
Mais du moins M. de Ségur, dans la
question des marchés lyonnais, arrive à
des conclusions sur lesquelles la Chambre
devra voter. Des dépenses ont été faites,
les unes bien, les autres mal; le rappor-
teur propose d'en mettre une notable par-
tie à la charge de la ville de Lyon : c'est
ce qu'il faudra décider, et, tout en blâ-
mant les écarts et les exagérations politi-
ques, nous comprenons qu'il y ait là un
sujet de délibération pour l'Assemblée. Il
n'en est pas de même du rapport sur l'ar-
mée des Vosges. Celui-ci n'aboutit à des
conclusions d'aucuae espèce, à moins que
la commission ne propose de faire voter
que le général Garibaldi n'est qu'un mau-
vais soldat, amolli par la bonne chère; mais
ce genre d'appréciations historiques ou mo -
raies ne se décrète point ordinairement.
Quoi qu'il en soit, le rapport sur l'armée
des Vosges est un morceaa d'un goût bien
pire encore que le rapport sur les marchés
de Lyon. Nous n'avons à prendre parti ni
pour Garibaldi ni pour les officiers d'état-
major dont il lui a plu de s'entourer. Pour-
tant il nous semble que le vieux patriote
italien méritait bien au moins quelques
ménagements.
Que l'on fasse peu de fonds sur sa po-
litique, soit; mais c'était du moins un
brave chef et un cœur généreux. Il s'est
battu pour nous sans que rien l'y forçât,
et nous sommes choqués que le jeune M.
de Ségur traite de si haut un homme que la
reconnaissance de tout un grand peuplé
voisin a élevé au rang des libérateurs et
des héros. Parmi tant d'accusations, l'his-
toire du poisson deviendra célèbre, et ce
ne sera pas à notre honneur. On faisait,
dit M. de Ségur indigné, on faisait de
Marseille des envois de poisson à Garibal-
di. De Marseille à Dijon! Quelle corrup-
i on chez cet homme ! Tant de gourman-
dise eût fait honte à Vitellius! Cepen-
dant M. de Ségur, qui parle sur pièces,
donne en note une lettre — texte italien
avec traduction — de l'aide-de-camp de
Garibaldi, où l'on voit que le général n'a
reçu qu'un poisson et que ce poisson lui
fut donné par un de ses amis personnels :
« Cher Lelli, j'ai reçu le poisson que vôus
avez eu la bonté de nous envoyer. Il est
arrivé à Dijon en très-bon état, et il plaît
à notre général. etc. »
On imprime sérieusement ces belles cho-
ses après les avoir fait peser par une com-
mission de quarante-cinq membres que
M. le duc Pasquier préside; et non-seule-
ment on les imprime, mais l'Assemblée na-
tionale de France est convoquée pour en
délibérer, et sa délibération comptera,
comme on dit, parmi les séances qui re-
tentissent le plus fort et qui excitent le
plus d'émotion! Qu'ajouterons-nous? Cer-
tes une enquête minutieuse et sévère sur
les faits de la guerre était désirable; mais
est-ce bien cela qu'on nous avait promis?
Nous savons qu'on vient de déposer deux
autres rapports, lê'premier de M. de Sugny,
toujours sur Lyon, le second du marquis
de Mornay, sur Marseille. Quelle rage
d'aller choisir des hommes que le seul nom
de République fait bondir? Il fallait autre-
ment s'y prendre et apporter dans tout ceci
plus de raison et de sang-froid.
BUG. LIÉBBRT.
* —————————
NOTRE AMBASSADE
IV PART fit US)
Le Courrier de France a publié hier
soir les trois lignes suivantes :
La Libertà, journal italien, assure que M. Ed-
mond About est à Rome en qualité. d'agent of-
ficieux de M. Thiers.
Le Temps imprimait à la même heure,
dans sa correspondance de Rome :
M. Edmond About a assisté à un grand dîner
de vingt-cinq à trente couverts, (lisez quatorze)
donné par M. Fournier. Il est parti le sur-
lendemain de ce ainer (lisez six jours après.)
Le journal gouvernemental la Libertà lui adresse
un article solennel, dans lequel elle dit que
« les hommes politiques italiens confirment que
M. About est venu à Rome chargé par le gou-
vernement français de continuer à faire dispa-
raître les nuages qui peuvent exister par malen-
tendu entre les libéraux des deux pays. »
Et l'Union avant-hier avait dit, avec
cette courtoisie qui distingue les organes
du droit divin :
M. Edmond About, qui s'était fait une re-
nommée par ses insultes contre le gouverne-
ment du Pape, est à Rome depuis quelque
temps, non pas comme voyageur, mais comme
agent officieux de M. Thiers. Un des organes du
gouvernement italien, la Libertà, adresse à M.
Edmond About, sous forme de lettre, des ré-
flexions qu'il est bon de recueillir ; notre cor-
respondance de Rome en reproduit une partie ;
nous les signalons à l'attention de nos lecteurs.
La feuille officieuse, dans l'intérêt du bon ac-
cord entre nos pays et l'Italie; demande que la
France se fasse à l'image de M. About et de M.
Fournier.
Nous ne sommes pas diplomates ;
nous ne le sommes ni peu ni prou, et
nos lecteurs le savent assez pour qu'il
soit au moins superflu de leur en don-
ner l'assurance.
Un citoyen français a le droit de voya-
ger trois ou quatre semaines, soit pour
une excursion de pur agrément, soit en
vertu d'une ordonnance de son médecin,
surtout si les travaux nocturnes et les
tracas d'une situation menaçante l'ont
privé de sommeil pendant quarante jours.
C'est de ce droit commun à tous que le
rédacteur du XIXe Siècle a usé. Il s'est
réfugié dans la pays le plus beau, le plus
intelligent et le plus heureux de l'Europe;
ses souvenirs et ses goûts l'y portaient,
des amitiés précieuses et même illus-
tres l'y ont accueilli.
Si tel ou tel journal de Rome a sup-
posé que le gouvernement français
m'avait chargé de dissiper certains nua-
ges, il m'a fait plus d'honneur qrle je
n'en mérite et surtout que je n'en solli-
cite. La Libertà se trompe en s'adressant
à mon humble personne comme à un
représentant officieux de MM. Thiers et
de Rémusat; mais je suis sûr qu'elle se
trompe de bonne foi.
Quant à l'Union légitimiste de Paris,
qui, dans une lettre fabriquée au bord
de la Seine, signale la Libertà comme un
journal officieux, elle se trompe de son
plein gré et pour les besoins de sa cause.
a Libertà n'appartient pas plus au gou-
vernement du Quirinal que le XIXe
Siècle n'appartient au gouvernement de
Versailles.
Où la Libertà et les autres journaux
italiens sont dans le vrai, c'es4 quand ils
pensent que j'aime l'Italie un e et , libre,
immédiatement après la France républi-
caine, -et que je ferai de mon mieux pour
réconcilier les deux sœurs.
Oui, sans doute, j'ai regretté de n'être
pas la colombe de l'arche qui portait
dans son bec une branche d'olivier; oui,
j'ai couru la Péninsule dans tous les
sens en appelant à moi les amis désin-
téressés de ma patrie; oui, j'ai eu le
bonheur d'en rencontrer beaucoup, par-
mi les chefs loyaux et éclairés d'une
grande nation ; oui, les Se'ila, les Vis-
conti-Venosta, les Minghetti. les Giorgini,
les Biancheri, les BonghL, les Massari
m'ont accueilli à bras ouverts, et je reviens
tout ému et tout frémissant d'une si
cordiale hospitalité; mais j'étais parti
de mon chef, je ne représentais là-
bas que moi-même et les amis qui
sympathisent avec la politique de. ce
journal. J'avais une mission : chercher
le vrai et faire le bien ; c'est celle qu.'un
homme sincère et décidé peut toujours
se donner à lui-même. Et rentré dans
notre pays, je ne dois compte de ma con-
duite qu'à ce public de choix qui no us
fait l'amitié de nous lire tous les matin s.
ABOUT.
P.-S. — A bientôt les chapitres les
plus intéressants de l'Italie nouvelle. Je
commencerai par la question religieuse, i
qui vient à l'ordre du jour.
Avant un mois le public, seul juge i
compétent dans ces matières, décidera
si j'ai été en Italie l'ambassadevir du
vieux bon sens français.
LES ENTÊTÉS !
Les gens de la droite sont d'un entê-
tement rare. Ils ont beau subir défaite
sur défaite ; ils ne veulent pas avouer
qu'ils sont battus. Ils ressemblent à ces
maîtres d'armes grincheux qui ne con-
sentent jamais à reconnaître un coup de
bouton reçu.
Vous vous rappelez la longue discus-
sion qui s'est élevée à la Chambre sur
la constitution du conseil supérieur de
l'instruction publique, et qui s'est termi-
née, au grand déplaisir des cléricaux, parle
triomphe de M. Jules Simon. En avons-
nous assez parlé en ce temps-là! Nous
croyions bien que nous n'aurions plus
à revenir sur cette affaire, et nous
avions poussé comme un soupir de sou-
lagement. -
Elle avait l'air d'être si bien finie ! La
Chambre s'était piononcée de façon si
énergique, et le vote semblait si formelle-
ment acquis ! Vous savez de quoi il était
question. La droite voulait absolument
qu'on instituât une commission perma-
nente, qui demeurât près du ministre
pour le conseiller, le surveiller, et gou-
verner sous son nom l'instruction pu-
blique. Le ministre ne se souciait pas
trop, lui, d'avoir à ses côtés des colla-
borateurs si assidus.
— Mais au moins, disait-il, si vo as
m'imposez des gardes du corps, laissez-
les moi choisir moi-même. Il est clair
que si votre commission est nommée par
le conseil supérieur de l'instruction pu-
blique , si elle ne 'tient pas de moi ses
pouvoirs, mais d'une autorité plus haute
que la mienne, elle sera plus puissante
que moi, et je ne serai plus ministre que
de nom. Vous parlez sans cesse de ré-
tablir la responsabilité ministérielle
dans son intégrité. Où sera la mienne,
si les mesures que je signerai de mon
nom sont prises par d'autres que par
moi ?
Votre commission permanente relèvera
du conseil supérieur, qui lui-même
émanera de vous : ce sera donc vous,
Assemblée, qui serez responsable devant
vous-même. C'est une horrible confusion
des pouveirs législatif et exécutif.
Le raisonnement était si juste, si con-
vaincant, si péremptoire, que la Chambre
s'y rendit en dépit de la droite. Elle déci-
da que la commission permanente, qui de-
vait aider le ministre dans ses travaux,
serait nommée par lui; et c'est ainsi que
la loi fut votée en seconde lecture.
Il lui reste à subir l'épreuve de la troi-
sième. Ce n'est guère généralement
qu'une formalité : car la Chambre ne se
déjuge guère. Mais ce n'est pas ainsi que
l'entendent les entêtés de la droite. Ils
enragent de cette déconvenue, et vous ne
devineriez jamais par quel biais ils es-
pèrent revenir sur un point si nettement
acquis.
Mais pour bien comprendre l'imperti-
nence de leur résolution nouvelle, il
faut d'abord se reporter aux raisonne-
ments qu'ils avaient présentés dans la
discussion.
Ils n'avaient cessé de répéter que le
conseil supérieur ne serait rien par lui-
même,qu'il n'aurait d'influence et de force
que s'il se ramassait en quelque sorte
dans une commission peu nombreuse ,
qui connût les choses de l'Université et
s'en occupât avec une compétence réelle
et un intérêt de tous les jours.
Et ils n'étaient pas embarrassés de
prouver leur dire : que pourrait, en ef-
fet, un conseil supérieur très-nombreux,
composé d'éléments hétérogènes, qui ne
se reunirait que trois ou quatre fois par
an et dont les sessions seraient assez
courtes ? Le ministre lui demanderait en
bloc un satisfecit, et l'obtiendrait à peu
près sûrement, après quelques observa-
tions, qui ne seraient que de pure for-
me. Peut-être apporterait-il par ci par là
quelque grande question à résoudre. Mais
elle serait fort générale, et par la façon
dont il l'exécuterait ensuite, il serait
touj ours le maître de donner à la chose
le tour qu'il lui plairait.
Non, disaient-ils, nous ne tenons à
notre conseil supérieur, tel que nous
l'avons organisé, que parce que c'est lui
qui doit nommer la commission perma-
nente. Cette commission permanente,
c'est le fonds de notre projet. Si vous
la rejetez, ou si vous en confiez la nomi-
nation au ministre, notre loi croule tout
encore.
La Chambre ne fait aucune difficulté
d'accorder à ces messieurs la commis-
sion permanente qu'ils réclament ; mais
elle veut, fidèle en cela aux principes du
gouvernement parlementaire, que cette
commission ne puisse se substituer au
ministre, et le décharger de toute res-
ponsabilité , en accaparant ses fonc-
tions.
Là-dessus, savez-vous ce que fait la
droite ?
M. de Broglie et M. deSaint-Marc-Girar-
din, après avoir bien réfléchi, s'être
pris la mâchoire en main et s'être frappé
le front, décident qu'à la troisième lec-
ture il faudra demander à la Chambre
de supprimer cette commission perma-
nente, pour laquelle ils avaient si vive-
ment plaidé.
Voilà qui est merveilleux J Ils se sont
évertués à démontrer que sans cette
commission permanente le conseil su-
périeur de 1 instruction publique n'est
qu'un rouage inutile, une représen-
tation magnifique, et rien de plus; leurs
raisons sont si probantes que la Chambre
s'y laisse convaincre et institue, sur leur
demande, cette commission permanente
si désirée, et ce sont eux maintenant qui
vont en réclamer la suppression !
Et pourquoi ? Parce qu'elle n'est pas
nommée par eux !
Est-il possible de mieux laisser voir
dans son j.eu? Agir ainsi, n'est-ce pas di-
re ouvertement : ce que nous souhai-
tions, ce n'était point du tout le bon gou-
vernement de l'Université ni le progrès
de l'éducation. Nous ne tenions qu'à une
seule chose, à être les maîtres du mi-
nistère. N'ayant point encore eu le bon-
heur de trouver la formule du poison
qui nous débarrassera de M. Jules Si-
mon, au moins voulions-nous le tenir
en bride, et diriger par ses mains l'in-
struction publique. Ce résultat, le seul
qui nous intéressât, n'a pu être atteint
par nous. Nous ne nous soucions plus
du reste. Dès que la commission
permanente n'est pas à nous, du mo-
ment qu'elle n'est pas en nos mains un
instrument de tyrannie, nous la suppri-
mons. ,KUô*ne ferait que nous gêner, ne
nous étant pas utile.
Et ils s'en vont, avec une aimable
désinvolture, démolir eux-mêmes les rai-
sonnements qu'ils avaient présentés à la
Chambre. Après lui avoir prouvé que le
conseil supérieur n'avait de vie réelle
que dans la commission permanente, ils
lui démontreront qu'il se suffit à lui-
même et qu'il est très-capable de faire à
lui tout seul toute la besogne.
M. Jules Simon les laissera dire :
l'importantpour lui n'était point qu'on lui
donnât une commission permanente. Il
peut très-bien s'en passer, et, s'il a be-
soin de s'entourer de conseils, rien ne
lui sera plus facile que de choisir dans
l'Université des hommes compétents à
qui il demande leur avis sur chaque
question. Il n'a que faire de la Chambre
pour se composer à lui-même toutes les
commissions qu'il lui plaira. Ce dont il
ne voulait point, c'est que cette commis-
sion tînt ses pouvoirs d'un autre que
lui.
Sur ce point il l'a emporté.
Maintenant M. de Broglie entend sup-
primer cette commission, devenue inu-
tile aux projets de la droite. A son aise !
Mais ce petit exemple ne suffit-il pas
à montrer aux lecteurs de ce journal
combien ces messieurs de la droite sont
peu préoccupés, dans tout ce qu'ils en-
treprennent, de l'intérêt général? Ils sont
toujours prêts à soutenir le pour ou le
contre selon les conseils de leur ambi-
tion personnelle. Ils n'ont qu'une idée et
qu'un but : s'emparer du pouvoir et des
places. Ils sacrifient la France à leur fé-
roce égoïsme, à leur prodigieux entête-
ment.
FRANCISQUE SA-RCBT.
♦
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 29 janvier 1873.
?
Il est très-rare que l'on tourne sept fois
sa langue dans sa bouche avant de parler,
mais il est fort commun que l'on tourne
sept fois sa plume dans sa main avant de
savoir ce que l'on va écrire. Nous sommes
dans ce dernier cas.
Et, voyant l'impression de panique que
produisent sur le public des tribunes des
séances comme celles "que nous subissons
en ce moment et notamment comme celle
que nous avons subie aujourd'hui, nous
nous demandons avec terreur quelle doit
être l'impression qHe peut produire ce
Courrier sur notre public de lecteurs.
Ce scrupule légitime rapidement étouffé,
nous ne ferons nulle difficulté d'avouer
que les scrutins ouverts sur des demandes
de crédit quelconque sont la base des As-
semblées, que la réglementation du travail
dans les manufactures est une loi sociale
des plus importantes et que par conséquent
la Chambre a bien mérité, aujourd'hui,
de la patrie. Elle n'a pas perdu sa jour-
née. Non; elle l'a seulement un peu gas-
pillée.
L'article 2 de la loi déclare que les en-
fants ne peuvent être admis dans les ma-
nufactures avant l'âge de dix ans. (Se rap-
peler que. de dix à douze ou treize ans, les
enfants ne doivent y travailler que six
heures par jour.)
M. Godin demande que les entants ne
soient pas admis dans les manufactures
avant l'âge de douze ans. Son argumenta-
tion repose sans doute sur l'urgence qu'il
y a à faire profiter de l'instruction le fils
de l'ouvrier.
Nous avons dit « sans doute ». En ef-
fet, la voix de M. Godin est tellement gut-
tural, tellement étouffée, qu'elle n'arrive
pas jusqu'à nous. Mais nous ne pouvons
ignorer ce qu'est et ce que vaut M. Godin :
riche industriel et grand philanthrope, il
est le fondateur du familistère de Guise; il
a créé des crèches, des écoles, et ce que,
simple particulier, il fait, il voudrait le
voir faire généralement. Celui-là a le droit
de prêcher ; il i prêche d'exemple.
Et pourtant il a une attitude gênée, em-
barrassée à la tribune; autant ses idées sont
nettes, autant sa parole est hésitante ; c'est
un timide. Ses collègues ne cherchent
guère à l'intimider, cependant ! Ils ne font
pas de bruit, ne causent pas ; tous les dé-
putés présents — ils ne sont pas nombreux
— lisent.
Ils lisent une brochure qui vient de leur
être distribuée : « Rapport de la commission
d'enquête sur les actes du gouvernement
de la défense nationale. » Cette brochure
concerne spécialement le département du
Rhône. Et ces choses-là sont toujours allé-
chantes!
Ce rapport, rédigé par M. de Sugny, un
membre de la droite, a été distribué au-
jourd'hui, c'est-à-dire la veille du jour où
doit s'engager la grosse discussion des mar-
chés de Lyon. Eh bien ! après l'avoir
parcouru, nous ne croyons pas qu'il pro-
duise sur les députés une impression défa-
vorable à M. Challemel-Lacour, qu'on y
voit lutter pied à pied contre la démagogie
lyonnaise; mais il peut gêner quelque peu
demain, dans les périodes de sa défense,
l'ancien préfet de Lyon.
Le travail des enfants continue. M.
Talion, rapporteur, inonde la salle de son
éloquence sonore et verbeuse. Non, là, sin-
cèrement, sans aucun parti pris, c'est trop
de discours ! De grandes périodes, de
grands mots, de grands sentiments. Il
est un démocrate ancien qui en a dit
bien plus long en bien moins de mots :
« Sinite venire ad me pueros. »
M. Leurent avait un amendement à
l'article 2 ; Il le retire. M. Tirard s'en
étonne, et non sans raison ; car, enfin, il
y a huit jours, M. Leurent a passé quel-
ques heures à nous démontrer que l'article
de la commission ne valait rien et que son
amendement était excellent. La vérité est
que l'on marche de tâtonnement en tâton-
nement, sautant d'une décision prise à la
décision inverse, voulant bien faire, mais
ne sachant pas au juste quoi faire.
L'amendement Godin repoussé, l'article
2 a été voté.
Dans les couloirs, même calme que dans
la salle, on se recueille en attendant
l'entrevue de M. le président de la Répu-
blique avec la commission des trente ; le
jour fixé est vendredi. Quant au futur rap-
porteur de la commission, on désigne déjà
M. Ernoul comme devant occuper ce poste
de combat ; l'attitude de ce fougueux dé-
puté, au début même de la discussion,
doit en effet le désigner aux suffrages de la
droite. Du moment qu'on veut des coups
de poing, il vaut mieux s'adresser à un
fort boxeur.
PAUL LAFARGUE.
+
LES MAUVAISES LOIS
N'avez-vous jamais remarqué la façon
intermittente dont certaines lois, certains
décrets, certains règlements sont appli-
qués en France, et ne vous en êtes-vous
jamais demandé la raison?
Voici, par exemple, les duellistes. Il se
passe des mois, des années pendant les-
quels ils ne sont nullement inquiétés;
puis, un beau jour, dame justice se ré-
veille, et se rappelant qu'il y a quelque
part dans le Code un article qui défend
les coups et blessures, elle lance les
gendarmes aux trousses des gens qui
s'en vont vider leurs querelles sur le
pré. fi -. , t
Les financiers véreux jouissent aussi,
à certains moments, de la plus complète
sécurité. Ils peuvent traficoter, tripoter,
filouter à leur aise. La justice regarde et
passe, guarda e passa. Puis, tout-à-coup,
comme si la réflexion lui était venue,
elle se retourne, prononce un formida-
ble Quos ego ! et voilà tous nos pêcheurs
en eau trouble pris dans leurs propres
filets !
Nous ne citons que pour mémoire les
règlements de police concernant les fem-
mes de Claude qui, le soir, envahissent
l'asphalte des boulevards. Pendant des
saisons entières elles ne sont entravées
en quoi que ce soit dans leur petit néli
goce ; puis, un matin, l'on apprend en
ouvrant son journal que la police a opé-
ré deux razzias, l'une aux carrières d'A-
mérique sur des hommes en guenilles,
l'autre au boulevard des Italiens sur
des femmes à falbalas.
Et puis après, lois, décrets et règle-
ments sommeillent de nouveau jusqu'à
une nouvelle occasion.
Pourquoi cela r
Nous ne croyons rien hasarder de sub-
versif en disant que les différents crimes
ou délits dont nous venons de parler ne
sont peut-être pas visés par des textes
assez précis; que, pour les atteindre, la
justice est le plus souvent obligée d'in-
terpréter telle ou telle loi, tel ou tel dé-
cret, et qu'elle ne se décide à le faire
que poussée dans ses derniers retran-
chements, pour donner satisfaction à la
conscience publique outragée, plutôt
que pour obéir à une loi bien précise.
C'est ainsi que, ce matin, il était grand
bruit d'une loi qui n'a point encore fait
beaucoup parler d'elle, la loi sur l'Inter-
nationale votée en mars 1872 par l'As-
semblée nationale.
La Gazette des Tribunaux nous apprend
qu'un journal a été condamné, dans la
personne de son gérant, à un mois de
prison et à l'amende, pour avoir publié
une circulaire du conseil général de New-
York, contenant les doctrines de l'As-
sociation internationale des travailleurs.
Ce journal, qu'on ne s'attendait assuré-
ment pas à trouver dans cette affaire, est
la Gazette de France. En publiant la cir-
culaire en question, elle a contrevenu à
l'article 3 de la loi du 14 mars 1872,
ainsi conçu :
« Article 3, — La peine de l'emprisonnement
pourra être élevée à 5 ans, et celle de l'amende
à 2,000 fr. à l'égard de tous, Français ou étran-
gers, qui auront accepté une fonction dans une
de ces associations, ou qui auront sciemment
concouru à son développement, « soit en rece-
3 vant ou en provoquant à son profit des sous-
» criptions, soit en lui procurant des adhésions
» collectives ou individuelles, soit, enfin, en
Il propageant ses doctrines, ses statuts ou ses cir-
» culaires, etc., etc. »
En même temps, on parle d'arresta-
tions nombreuses opérées lanuit dernière
sur des agents et affiliés de l'Internatio-
nale, en vertu de l'article 2 de la loi
susdite, où il est dit :
1 Art. 2. — Tout Français qui, après la pro-
» mulgation de la présente loi, s'affiliera ou fera
» acte d'affilié à l'Association internationale des
» travailleurs ou à toute autre association pro-
» fessant les mêmes doctrines et ayant le même
» but, sera puni d'un emprisonnement de trois
» mois à deux ans et d'une amende de 50 à
» 1,000 francs. Il pourra, en outre, être privé de
» tous ses droits civiques, civils et de famille
» énumérés en l'article 42 du code pénal pen-
» dant cinq ans au moins et dix ans au plus. »
IL y a un an bientôt que la loi sur
l'Internationale a été votée, et c'est la
première fois qu'à Paris, au moins, on
songe à l'appliquer. Est-ce donc la pre-
mière fois qu'il y est contrevenu ? Assu-
rément non ; mais la loi est mauvaise.
Nous n'avons cessé de le dire pendant
qu'on la discutait, et, si le parquet a si
longtemps hésité à en faire l'application,
ne serait-ce pas qu'il est un peu de no-
tre avis ?
Nous ne répéterons point ce qui a été
proclamé sur tous les tons par la presse
la plus modérée, la moins socialiste, au
sujetde l'article premier de cette loi, qui,
au lieu de viser, comme toute bonne loi
répressive doit le faire, un crime dûment
spécifié, vise une catégorie de criminels
qu'on doit reconnaître à tel signe infail-
lible. Rien que cet article premier suffit
à mettre en défiance.
Mais ne nous occupons que des arti-
cles 2 et 3 actuellement enquestion.
Il est incontestable que le parquet
avant de poursuivre, et le juge avant de
condamner la Gazette de France ont dû
hésiter. Leur droit et leur devoir étaient
d'appliquer la loi, ils l'ont fait. Mais si
le jugement est inattaquable, en peut-on
dire autant de la loi ?
Qu'a fait la Gazette ? Elle a publié une
circulaire de l'Internationale. Nous n'a-
vons pas le corps du délit sous les yeux,
mais tout le monde comprend bien que
la Gazette de France n'a point eu en, vue
d'aider à la propagande internationalis-
te, et nous gagerions même qu'elle a
fait suivre ou précéder cette publica-
tion de commentaires peu fadts pour
la vanter.
Cette même circulaire, il est vrai, ve-
nait d'être publiée par le Corsaire, et,
sans doute, avec de tout autres inten-
tions. Le Corsaire est poursuivi à raison
des mêmes faits ; il était donc indispen-
sable de poursuivre la Gazette de France.
Encore une fois — et nous sommes
vraiment humiliés de nous astreindre à
de telles précautions oratoires — la jus-
tice a fait son œuvre ; elle est ici hors
de cause; mais ne voit-on pas qu'elle y
a été obligée par un texte de loi déplora-
ble ?
Quittons les personnalités toujours
gênantes en pareil cas. Vous faites par-
tie d'une société setrète; moi, non.
Vous en publiez les statuts; vous pour
les exalter, moi pour les flétrir. Et tous
deux nous avons commis le même dé-
lit ? Est-ce admissible ?
J'ai en ce moment sous la main un.
journal publié à Londres par des réfu-
giés de la Commune. Cela s'appelle la
Fédération, et le numéro dont je parle
contient, entre autres morceaux de haut
goût, les statuts de la Fédération univer-
stlle des travailleurs, car il paraît qu'au-
jourd'hui il n'est plus question d'Inter-
nationale. Je n'ai pu lire sans indigna-
tion cet appel à toutes les haines, à tou-
tes les passions, à tous les mauvais ins-
tincts qui couvent sous la bête humaine
à l'état de nature, et je me proposais
d'en parler ici dans l'espoir que le jour-
nal tomberait sous les yeux de quelqu'un
des bons imbéciles qu'on enrôle malgré
eux, et que je lui ferais comprendre dans
quel guêpier il s'était fourvoyé. Eh bien,
la loi s'y oppose. La loi est-elle bonne?
La loi impose le silence sur l'Interaa-
tionale, sur son but, sur ses doctrines.
C'est le contraire qu'elle devait souhai-
ter. Sur cent affiliés il y en a quatre-
vingt dix qui ne connaissent de l'asso-
ciation que le but social. Ils ignorent son
but politique ; s'ils le connaissaient, s'il
nous était permis, à nous tous, de leur
faire toucher du doigt les monstruosités
qui s'élaborent dans ce qu'on appelle
les sections et conseils de l'Internatio-
nale, il est certain que nous pro-
voquerions des désertions nombreuses.
Nous aurions voulu également dire un
mot de l'article 3 en vertu duquel des
arrestations viennent d'être opérées.
Le seul fait d'être affilié à 1 Internatio-
nale constitue-t-il un délit? Oui,. d'après
l'article 3. Mais sur quoi le juge s ap-
puiera-t-il pour prouver que l'Associa-
tion des travailleurs professe les doc*
trines indiquées dans l'article 1 H de la
loi? Sur la notoriété publique? Outre
que ce n'est pas là une preuve, au sens
juridique du mot, comment cette noto-
riété pourra-t-elle s'établir, puisque l'ar-
ticle 2 fait défense expresse de publier
de rendre notoires les doctrines profes-
sées par l'association dans ses statuts
programmes et circulaires?
Les débats du procès qui va s'entamer
nous fourniront l'occasion de revenir
sur ce sujet, et de signaler bien d'autres
inconséquences, bien d'autres contradic-
tions dans cette loi du 14 mars, une
des plus mauvaises qui soient sorties de
l'officine de Versailles.
E. SCHNHRB,
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