Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-01-20
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 20 janvier 1873 20 janvier 1873
Description : 1873/01/20 (A3,N431). 1873/01/20 (A3,N431).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
1 — N* 43i.
8* Année. - NI, 431.
Pin DU NUMÉRO : PARIS 15 LBJITIMBS — DÉPARTEMENTS 20 Gérons.
Lundi 20 Janvier 1873.
RÉDACTION
adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
9* rue Drouot, 2
Les manuscrits non insérés seront rendus
Il
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ADMINISTRATION
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2. rue Drouot, 2
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
PAMS
Trois mois 13 fr.
Six mois. 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16. t'r.
Six mois. 32
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PARIS
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Six mois. 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Un an.,. 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et Co
6, place de la Bourse, 6
JOURNÉE POLITIQUE
Pans, le 19 janvier 4873.
Cinquante-neuf voix de majorité sur
635 votants, c'est un beau chiffre pour Ver-
sailles, et M. Jules Simon doit être con-
tent d'un tel succès. Il l'avait, d'ailleurs,
bien gagné par ce rare talent d'orateur po-
litique que l'on vantait hier avec tant de
raison. Sur la part qu'il a prise à la dis-
cussion de la loi, il ne nous reste rien à
dire. La gauche républicaine, le centre
gauche et la gauche extrême lui ont donné,
dans cette occasion, la plus grande partie
des voix dont il avait besoin pour faire
passer son contre-projet et peut-être même
pour rester ministre.La gauche extrême,ce-
pendant, n'a pour lui que peu de tendresse,
ce qui fait bien voir que,parmi les difficultés
présentes, l'accord est légitime et politi-
quement nécessaire entre tous ceux qui
font de la République leur but commun.
Si la gauche extrême, s'appropriant les
règles de conduite que M. Casimir Périer
venait de tracer à son parti, n'eût obéi
qu'à ses goûts personnels ou à ses propres
répugnances, elle laissait tomber M. Jules
Simon. A qui cela profitait-il ?
Maintenant, grâce à l'amendement qui
a été voté sur l'article 2, non-seule-
ment le ministre reste, mais la loi, de
mauvaise qu'elle était, devient presque
bonne. Elle contient sans doute des fautes
de détail, mais qui nuisent peu. Ce n'est
plus une œuvre de parti; ce n'est plus « le
gouvernement de l'enseignement, » comme
disaient les orateurs de la droite, aban-
donné aux passioas politiques et reli-
gieuses. Nous n'en voulions pas davan-
tage. On prétend que M. de Broglie, rap-
porteur de la loi, prépare, de concert avec
ses amis, de nouveaux amendements, de
profondes finesses, pour le jour où viendra
la seconde délibération. Ces projets nous
paraissent plus désespérés que redoutables,
et l'on peut, sans les craindre, se réjouir
du résultat acquis.
Nous ferons aujourd'hui peu de ré-
flexions sur les travaux de la commission
des trente. Les honorables commissaires
parlent assez clairement pour que tout
Français les entende. Ne les en blâmons
pas, car rien ne vaut les situations nettes.
Les idées de fusion étaient dans l'air, sans
doute, quand ils se sont livrés à cette belle
discussion sur l'article premier de leur
projet de constitution et sur le préambule
qui réserve leurs droits constitutifs. C'est
bien s'aventurer ! Quoi qu'il en soit, il pa-
raît à propos de rétablir ici le texte même
du préambule et du commencement d'arti-
cle que la commission a votés et que nous
n'avions pu donner qu'imparfaitement. Les
voici donc :
L'Assemblée, nationale réservant dans son in-
tégrité le pouvoir constituant qui lui appartient,
mais voulant apporter des améliorations aux
attributions des pouvoirs publics, décrète :
Art. fer. - L'article premier de la loi du 31
août 4871 est modifié ainsi qu'il suit :
Le président de la République communique
avec l'Assemblée par des messages, qui sont lus
à la tribune par un ministre.
Voilà ce qui est adopté jusqu'à présent
par la commission. Le second paragraphe
de l'article est ainsi conçu.
Néanmoins il sera entendu par l'Assemblée
lorsqu'il le jugera nécessaire et après l'avoir in-
formée de son intention par un message.
Ici M. le duc Decazes voudrait intro-
duire un amendement, portant que le pré-
sident de la République ne sera jamais en-
tendu que « dans la discussion des lois, »
d'où il suit qu'il ne devra pas intervenir
dans la discussion des interpellations.
Question délicate, après toutes les déclara-
tions de M. Thiers. On s'est donc ajourné
à lundi sur ce paragraphe. Attendons la
fin!
La Chambre des députés de Berlin,après
une discussion qui a duré deux jours, a
renvoyé à une commission spéciale l'un
des projets de loi déposés par le ministère
contre le Pape et les ultramontains ; c'est
celui que l'on intitule : « Projet de loi re-
latif à l'éducation préparatoire des mem-
brés du clergé catholique. » Le gouverne-
ment prussien s'est montré un peu plus
doux, dans ces débats, ou, si l'on aime
mieux, un peu moins agressif qu'il n'avait
été jusqu'ici. - « Nous ne songeons pas,
a dit le ministre des cultes, à opprimer le
clergé catholique ; mais il s'est trouvé des
évêques qui se sont insurgés contre les lois
de TEtat, et nous estimons qu'il convient
de les rappeler à l'obéissance. » Le prési-
dent du conseil a toutefois ajouté « que le
ministère'était unanime sur la nécessité
d'opposer une barrière aux prétentions en-
vahissantes de Rome. » Il paraît probable
que la « baréière » sera posée fort rudement;
on peut s'en rapporter, là-dessus, aux
moeurs prussiennes. Mais le texte du pro-
jet de loi sur l'éducation préparatoire .du
clergé ne nous est pas connu encore ; nous
ne saurions donc en parler davantage.
La Chambre des députés de Madrid a
nommé la commission qui examinera le
projet d'abolition de l'esclavage à Porto-
Rico. Les commissaires élus sort tous
abolitionnistes.
Les carlistes, pendant .ce temps, qui
comprennent le patriotisme et la civilisa-
tion à leur manière, coupent les chemins
de fer avec acharnement. Une dépêche de
Madrid nous apprend que, le 16 janvier,
les communications postales étaient inter-
ceptées entre l'Espagne et la France.
EUG. HÉBERT.
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 48 janvier 4873.
Le théâtre de Versailles est fécond en
surprises. Le programme annonçait : in-
terpellation Lespinasse et pétitions, c'est-
-dire peu de chose et rien. Nous avons
eu ce que nous n'espérions pas, une jour-
née pleine de gaîté.
L'honneur en revient à M. Lespinasse,
ingénieux auteur de l'idée-mère, à M.
Fresneau, agréable conteur, qui a brodé
des développements pleins d'humour sur
te scenario de M. Lespinasse, et enfin
r M. le ministre de l'intérieur, habile ma-
chiniste, qui a introduit dans le sujet des
trucs administratifs absolument nouveaux.
Grâce à la collaboration de ces trois hom-
iues d'esprit, « la féerie de Castel-Sarrazin »
a obtenu à l'Assemblée et obtiendra surtout
dans le pays un succès désopilant.
Il s'agit du refus de certains maires de
inandater les dépenses obligatoires. Et M.
Lespinasse vise particulièrement le maire
de Castel-Sarrazin.
Au premier abord, la chose paraît bien
Simple, n'est-ce pas ? Si les maires refusent
de mandater les dépenses obligatoires, la
loi est là pour MM. les maires, même pour
celui de Castel-Sarrazin. Il faut beaucoup
de talent pour tirer de grandes situations
d'un si petit sujet.
M. Lespinasse se charge de l'exposition
de la pièce. Bien que cette exposition man-
que absolument de clarté, nous devinons
que Castel-Sarrazin est un repaire des
Abruzzes situé dans le Tarn-et-Garonne,
ét qu'un certain chef de bande, qui s'inti-
tule depuis dix-huit mois maire de Castel-
Sarrazin, refuse de faire honneur au traité
que son prédécesseur a passé avec les con-
$Téganistes. Depuis un an et demi, les
ûongréganistes n'ont pas reçu une obolllle,
Comme dit le député de Tarn-et-Garonne,
ce qui, d'ailleurs, ne les empêche pas de
prospérer.
Jusqu'ici c'est mou, très-mou : l'orateur
manque d'éloquence et même de voix, il
Remplace la première par des gestes sacca-
4és, à ressort, et la seconde, par une déto-
nadon qui part de temps à autre et fait
trou dans le demi-silence de la salle. A
droite, on n'applaudit guère ; à gauche, on
ne murmure pas. Est-ce parce qu'on n'en-
tend rien, ou bien cette indifférence pro-
vient-elle de l'abus même des interpella-
tions? L'interpellation est le pâté d'an-
guilles parlementaire : on peut finir par
s'en dégoûter.
Du discours de M. Lespinasse, nous ne
retenons que ceci : « Je savais très-bien
qu'il me suffisait de signaler ces faits à
M. le ministre pour qu'ils fussent répri-
més. Voilà qui est vrai. Mais alors
pourquoi M. Lespinasse n'a-t-il pas tout
bêtement signalé les faits?. Parce que le
gouvernement de combat aime le bruit, le
tapage, et ne traite la société malade qu'à
l'aide du procédé employé par les dentistes
ambulants, à coups de grosse caisse.
Quand M. Lespinasse descend, tout est
tellement calme qu'on sent qu'il suffit
de quelques mots de M. de Goulard pour
enterrer l'interpellation.
M. le ministre de l'intérieur en dit beau-
coup trop long. La première partie de sa
réponse, ferme et vigoureuse, parlant du
respect que tous doivent aux lois, peut être
applaudie par toute l'Assemblée. Si elle ne
soulève que les « très-bien » de la droite,
c'est que M. de Goulard, sans s'en douter
probablement, a une manière de s'adresser
particulièrement à la droite qui lui fait
presque tourner le dos à la gauche.
La seconde partie de la réponse, traitant
le cas particulier en discussion, est moins
Heureuse. M. le ministre raconte les faits,
déclare que le conseil municipal de Castel-
Sarrazin a déféré le traité au conseil de
préfecture, qui l'a cassé, et quel'amire est,
à l'heure présente, en litige et toute prête
à aller devant le conseil d'Etat, jugeant en
dernier ressort. En attendait la décision
du conseil d'Etat, M. le ministre vient de
faire mandater d'office les dépenses des
congréganistes.
L'affaire a été jugée une première fois
par un conseil de préfecture, elle va être
jugée en dernier ressort, elle est pendante,
vous m'entendez bien? Et M. le ministre
qualifie le premier jugement rendu de
ex jugement monstrueux. »
M. de Goulard pouvait se contenter d'ê-
tre le serviteur dévoué de la loi; il préfère
se faire le complaisant des passions de la
droite. Il obtient un succès. Parbleu! il
ne l'a pas volé. Mais attendons la fin.
M. Lespinasse sent tout le profit qu'il
peut tirer des paroles de M. de Goulard en
forçant encore un peu la note, comme c'est
l'habitude en pareil cas, et empêche M.
Fresneau de se jeter dans le débat. Il re-
mercie M. le ministre.
Mais si longs que soient des remercî-
ments, ils ont toujours une fin. Et M. Fres-
neau, malgré les objurgations de ses amis,
s'empare de la parole. M. Fresneau, dé-
puté du Morbihan, est un membre de la
droite cléricale, mais si droitier et si cléri-
cal que la droite elle-même a peur parfois
de son ami M. Fresneau.
Rien que le début suffit pour, la faire
trembler : « Si par bonheur nos ministres
pouvaient agir comme ils parlent. » Ce
qui est une attaque indirecte à M. Thiers.
Après quoi M. Fresneau passe à une at-
taque directe à l'ancien ministre, M. Vic-
tor Lefranc, et continue par cet aphorisme,
qui, dédié dans la pensée de l'auteur aux
conseillers municipaux, se transforme en
charmante épigramme pour les amis mêmes
de M. Fresneau : « La représentation lé-
gale n'est pas toujours la représentation
réelle. »
A cette naïveté qui échappe au député
de la droite, la gauche et le centre gauche
ne peuvent plus tenir leur sérieux ; ils
rient, se tordent et font une ovation à M.
Fresneau, qui avoue, sans le vouloÎl',qu'un
député du Morbihan- quoi qu'il en dise,
— ne représente pas exactement la France.
,Quant à la .droite», elle est désolée, terri-
,flée ; elle crie : « Assez ! assez ! » eJ
cherche à couvrir la voix et les naïvetés de
son ami Fresneau.
La scène est des plus comiques ; n'était
X. Lefranc, qui, debout au pied de la tri-
bune, semble fort en colère, on jurerait
que le légitimiste et clérical député du
Morbihan appartient à la gauche. Car c'est
de ce côté que partent les applaudisse-
ments et les encouragements.
De l'autre côté, il est des députés quivou-
draient museler l'orateur ; M. Depeyre, un
chef de file de ladroite, fait circuler le mot
d'ordre.
« CIÓture 1 clô ture ! » crie la droite.—Ah!
bien, oui!
- M. Fresneau, il ne s'agit ici ni du
maire du Havre, ni de celui d'Angers,
mais du maire de Castel-Sarrazin, dit M.
Grévy. - Ah! bien, oui!
M. Fresneau a un discours rentré depuis
la fameuse séance de la dissolution ; il n'a
pu le placer alors, il l'insinue aujourd'hui.
Et il va, va, va toujours. Quand il ter-
mine, pas un applaudissement ne monte
à lui, pas une main ne se tend sur son
passage. C'est mal, messieurs de la droite,
très-mal; car, enfin, il n'a fait que dire
ce que vous pensez !
Ici la scène devient confuse : bien des
gens veulent aborder la tribune, qui pour
une question personnelle, qui pour la dis-
cussion générale. M. Victor Lefranc évince
M. Baragnon, presque brusquement ; son
feste prouve qu'il est profondément ir-
rité.
En effet, M. Fresneau l'a appelé « mi-1
nistre plus docile. »
Quelques mots seulement, mais très-
simples, très-dignes et bien cinglés à l'a-
dresse de M. Fresneau. La salle entière ap-
plaudit la protestation de l'orateur. Depuis
qu'il a perdu son portefeuille, M. Victor
Lefranc a retrouvé du talent.
Encore M. Fresneau ! La droite est dans
une désolation qui fait peine à voir : « Clô-
ture ! clôture ! » vocifère-t-elle, couvrant
la voix de l'orateur.
MM. Baragnon et Fourcand veulent par-
ler ensemble ; tout le monde a quelque
chose à dire.
M. Baragnon, très-habile, très-malin,ne
perdant jamais la tête au milieu du vacar-
me, enterre son ami Fresneau sous des
fleurs pleines d'épines, ne songeant qu'à
conserver tout le suc des déclarations de
M. le ministre.
M. Fourcand, maire de Bordeaux, ne
songe qu'à protester au nom de sa muni-
cipalité contre certaines paroles de M.
Fresneau.
Chacun ne dit qu'une phrase ou deux,
vite, en courant, pendant que la droite, qui
voudrait bien voir clore cette discussion
qu'elle a soulevée, crie, se démène.
Bon! M. Lepère à présent ! Qu'est-ce
qu'il veut encore?. Il veut traiter la vraie
question ; et il la traite de langue de maî-
tre.
Il s'associe aux premières paroles du
ministre, le respect de la loi étant le fon-
dement même du gouvernement républi-
cain ; mais il proteste contre les dernières
paroles, qui tiennent peu compte du res-
pect dû aux jugements.
Chaud, incisif, clair, vif, logique et mor-
dant, il reprend la filière des événements :
c: L'instance est pendante, et c'est en un
pareil moment qu'on veut condamner la
décision rendue par le conseil de préfec-
ture.! Respectez la loi, respectez la magis-
trature! »
C'est admirablement enlevé ; la gauche
fait un vrai succès à M. Lepère; la droite,
étonnée, se tait.
M. de Goulard, rudement battu en brè-
che par cette argumentation, est obligé de
résister. Il nous fait l'effet de s'écrouler
sous lui. Tout en annonçant qu'il va don-
ner une leçon de droit à M. Lepère, il dé-
bute par une sorte d'énormité juridique.
Tus les jurisconsultes de l'Assemblée font
des signes de désespoir et voudraient arrê-
tèr M. le ministre.
Ah ! si le vote n'avait pas une teinte
politique !
i. M. Lenoël, qui n'est certes pas un dé-
molisseur dé ministres, ne peut cependant
tenir en place. Malgré les cris de la droite,
il monte à la tribune, et met sous les yeux
de ses collègues un décret, le décret qui
condamne M. de Goulard. M. de Goulard
n'en connaissait pas un mot, paraît-il; la
droite ne veut pas le connaître !
Et M. Lenoël leur dit : « Voyez, voyez
si vous avez tort d'apporter de pareilles
interpellations à la tribune ! Faites des lois ;
ne faites pas du scandale. »
Est-ce qu'on peut avoir tort à droite ?
Quand on a tort, on crie; et cela vous
donne l'air d'avoir raison.
Pendant que M. Lespinasse cherche à
couvrir M. le ministre, qui n'a été rien
moins que brillant, les ordres du jour cou-
rent parla droite.
« L'Assemblée nationale, confiante dans
la fermeté de M. le ministre de l'intérieur,
passe à l'ordre du jour. » Tel est l'ordre du
jour de la droite, qui prodigue l'éloge à M.
de Goulard pour la science du droit admi-
nistratif qu'il vient de déployer.
La gauche demande simplement l'ordre
du jour pur et simple.
La confusion rne; et, à droite, certains,
redoute ;ti sans douta un ordre du jour lau-
datif en de iH><îs < u-oonstances et craignant
peut-être le ridicule, demandent aussi l'or-
dre du jour pur et simple. Ceux-là, on les
fait taire.
Que de bruit pour rien !
M. Lambert Sainte-Croix sent qu'il faut
raffermir les timides ; il monte à la tribu-
ne pour dicter à ses amis le vote en fa-
veur de l'ordre du jour motivé. De leur
côté MM. Lenoël et Langlois veulent ex-
pliquer que l'ordre du jour pur et simple
n'ôte rien à la confiance que la gauche a
en M. de Goulard, mais est fait pour ne
pas peser sur un arrêt. Ils veulent expli-
quer cela, mais la droite ne les laisse pas
parler.
Au scrutin, l'ordre du jour pur et sim-
ple est repoussé par 402 voix contre 251.
La droite refuse de voter un ordre du jour
motivé, qui est le seul vrai, ainsi conçu :
« L'Assemblée nationale, considérant que
,la justice es}, régulièrement saisie, de la
question qui fait l'objet de l'interpellation
et respectant l'ordre des juridictions, passe
à l'ordre du jour. »
La droite refuse, refuse, refuse et donne
la priorité à l'autre ordre du jour motivé,
qui est voté par 483 voix contre 80.
Et remarquez que dans tout cela il n'y
a pas de quoi fouetter un ministre !
Personne n'en voulait à M. de Goulard,
personne ne songeait à l'attaquer ; il n'y
avait donc pas à le défendre. Mais non!
droite et gauche étaient en présence; il
fallait se mesurer, et l'on apréféré, au lieu
de passer discrètement la gomme sur une
naïveté échappée à M. le ministre, la sou-
ligner par un vote élogieux.
Bénies soient vos interpellations, mes-
sieurs de la droite! Vous ne savez pas
encore tout le mal qu'elles vous font. Nous
voudrions qu'à celle de lundi, à l'interpel-
lation des vers latins scandée par M.-John-
ston, le peuple français entier pût assister,
travailleurs des champs et ouvriers de la
ville, commerçants et industriels. Car
savez-vous ce ° qui se passait après l'in-
terpellation de samedi soir, savez-vous ce
que nous avons entendu, de nos oreilles
entendu ?
Un groupes d'hommes âgés sortaient de
l'Assemblée : « Voilà quinze ans que je
n'avais été à Versailles, disait l'un d'eux,
et je n'y reviendrai pas de longtemps.
Quand on voit 750 individus (il a dit indi-
vidus) s'occuper toute une journée d'un pa-
reil sujet et s'en occuper d'une pareille
façon, ma parole, ça.
Nous ne mettrons pas la suite qui
n'avait rien de parlementaire.
it Et, ma foi, ce vieux-là avait pourtant
l'air d'un bien brave homme!
Ceux-là, messieurs, qui ne pensent
qu'au travail prisent médiocrement les
gouvernements de combat.
PAUL LAFARGUB.
+ ————————
VIEILLE HISTOIRE
Les monarchies vont vite. Le 8 jan-
vier il y en avait trois qui se disputaient
la France; le 9 il n'en restait plus que
deux; depuis hier il n'y en a plus
qu'une, la seule, la vraie, celle qui est
brevetée du Très-Haut.
C'est M. le duc de La Rochefoucauld-
Bisaccia qui l'a dit, après en avoir reçu
l'assurance de M. le comte de Paris en
personne, et si des doutes pouvaient
exister encore, la note publiée hier par
le Journal de Paris, organe officiel des
révolutionnaires de 1830, suffirait à les
dissiper.
Voilà, du moins, le bruit du jour.
Eh bien, voyez un peu si nous avons
le scepticisme robuste, de tout cela nous
ne croyons pas un traître mot ! M. de La
Rochefoucauld et ses amis se sont trop
pressés de se réjouir; il n'y a rien de
fait; et vraiment, s'ils étaient raisonna-
bles, ils comprendraient qu'il n'y a rien
de possible.
Voulez-vous que nous relisions en-
semble la note du Journal de Paris ?
«Siun jourla monarchie devait être ré-
tablie, elle ne pourrait l'être que par la
libre volonté de la nation et sur la triple
base de l'égalité civile, de la liberté po-
litique et religieuse, et des garanties
constitutionnelles.
» DANS CES CONDITIONS, l'aîné desprinces
de la maison de France est le représentant
naturel de l'idée monarchique : en tout
cas, il ne trouverait pas de compétiteur
dans sa famille. »
Est-ce clair ?
Expliquons néanmoins à M. de La Ro-
chefoucauld ce que parler veut dire :
Si le comte-de Chambord se rallie au
principe de la monarchie de 1830, et con-
sent à devenir le zéro couronné qui se
place àla gauche du chiffre appelé gou-
vernement parlementaire et constitu-
tionnel ;
Si le petit-fils d'Henri IV avoue que le
droit divin est bien démodé de nos jours
et qu'il est temps de lui substituer le
droit révolutionnaire ;
Si le fils de la duchesse de Berry, tout
en regrettant que sa mère ait été l'objet
de traitements un peu vifs de la part du
gouvernement de Juillet, consent à par-
donner à Louis-Philippe, en la personne
de ses fils et petits-fils, d'avoir manqué
aux égards qu'on se doit entre parents ;
S'il passe l'éponge sur les vilains sou-
venirs du château de Blaye, et, pour
mieux prouver qu'il est de son époque,
déclare qu'au prix d'un trône un fils peut
bien oublier les outrages faits à sa
mère :
Si le comte de Chambord admet tout
cela et quelques petites choses encore,
il sera possible, DANS CES CONDITIONS, que
l'entente se fasse entre la branche aînée
et la branche cadette.
Telle est la traduction exacte de la
note publiée hier par le Journal de
Paris.
Et, de fait, nous ne voyons pas ce qui
pourrait empêcher les d'Orléans d'accep-
ter les eaYcuses de leur cousin. Il n'y au-
rait qu'une voix dans le monde pour les
accuser d'avoir mauvais caractère, s'ils
refusaient une poignée de main offerte
de si bonne grâce et de si bon cœur.
Avouez, en effet, qu'il serait touchant de
voir le comte de Chambord parler au
comte de Paris le langage d'Auguste à
Cinna. Les méchants en riraient peut-
être; ils rappelleraient l'histoire de ce
monsieur qui, recevant une giffle, fait à
l'agresseur des observations sévères,mais
justes, le boude un instant, puis, n'écou-
tant que son bon cœur, lui tend la main,
,et d'une voix émue : Sans rancune,
i n'est-ce pas ?
! A n'en croire que M. de La Rochefou-
(
cauld, le comte de Chambord serait dans
le cas du monsieur en question, et con-
séquemment la fusion serait faite. Mais
M. de Larochefoucauld se trompe ; entre
la coupe et les lèvres, entre la giffle et
les excuses, il y a place encore pour une
infinité de réflexions que le fils de la
duchesse de Berry, l'auteur des mani-
festes que l'on sait, sur le droit divin et
le drapeau blanc, ne manquera pas de
faire.
Et puisque nous parlons de drapeau,
il faut que je vous conte la conversation
qu'avaient hier un légitimiste et un or-
léaniste. Le premier disait au second :
Eh bien, c'est fait !-Mais pas le moins du
monde répondit le second. Il y a bien un
peu defeupeut-être, mais trop de fumée,
assurément beaucoup trop. D'ailleurs la
note du Journal de Paris ne me paraît
point du tout concluante. Si les princes
avaient tenu le langage que leur prête
M. de La Rochefoucauld, nul doute qu'ils
se fussent contentés de faire dire dans
leur journal : le comte de Chambord ac-
cepte le drapeau tricolore ; ou bien : le
comte de Paris accepte le drapeau blanc!
- C'est bien ce qu'ils ont fait, riposta
le légitimiste. Ecoutez plutôt :
« Si un jour la monarchie devait être
rétablie, elle ne pourrait l'être que par la
libre volonté de la nation, et, - écoutez
bien, - et sur la triple base, — la triple
base, vous entendez, - de l'égalité ci-
vile, de la liberté politique et religieuse,
et des garanties constitutionnelles. »
L'orléaniste ouvrait de grands yeux ;
il avait bien écouté, parfaitement enten-
du, mais il ne comprenait pas.
Le légitimiste eut pitié de son peu
d'intelligence, et voulut bien lui expli-
quer que la tiiple base en question n'é-
tait autre chose que les trois couleurs du
drapeau français.
L'orléaniste pensa mourir de rire.
L'histoire tout entière de la fusion,
racontée par M. de La Rochefoucauld,
vaut celle de la triple base.
Le comte de Chambord n'a jamais son-
gé et ne songera jamais à troquer son
lys contre un coq, pas plus qu'à rayer
de bleu et de rouge, le blanc suaire de
la. monarchie du droit divin.
Mais en admettant même que cela fût
possible, en supposant que la branche
aînée et la branche cadette se rappro-
chent et se fondent aux conditions que
nous avons dites, croit-on que la récon-
ciliation des deux familles équivaudrait à
l'alliance des deux partis ? Croit-on que
les légitimistes convaincus accepteraient,
les yeux fermés, un compromis de ce
genre, et qu'ils ne s'éloigneraient pas,
avec quelque pudeur, d'un prince capa-
ble de pareils accommodements avec sa
conscience ? Et combien aussi, parmi
les orléanistes, ne voudraient point
manger de ce pain-là !
Laissons donc pour ce qu'elles valent
ces histoires de fusion, qui reviennent
périodiquement sur le tapis dès qu'il se
produit, dans la situation politique, un
fait de quelque importance. C'est la mort
de l'empereur, c'est l'effondrement, au
moins momentané, du parti bonapartiste
qhi-nous a valu ce nouveau ballon d'es-
sai lancé par un duc de la droite. Il n'a
fait que passer et n'était déjà plus.
Mais il importe de tenir compte,
dans une certaine mesure, des efforts
tentes par les monarchistes pour se
coaliser contre la République. Ils sen-
tent que l'heure approche où, faute de
s'entendre, il leur faudra se résigner à
ne plus seulement ajourner leurs espé-
rances, comme ils prétendent faire au-
jourd'hui, mais à y renoncer pour ja-
mais. Ils luttent, ils se débattent; ils
s'accrochent fiévreusement à tout ce
qu'ils rencontrent sous la main; bâtons
flottants comme l'orléanisme, ou plan-
ches pourries comme le bonapartisme;
ils se raidissent contre le sort, ils ne
veulent pas mourir.
La République n'a qu'à les regarder
faire. C'est une question de temps, une
question de mois.
E. SCHNERB.
; ♦ ——————————
LA SALLE DES PAS PERDUS
La séance paraît devoir être animée et
cependant le public est indifférent. On n'a
pas une grande inquiétude sur son issue.
La droite est trop satisfaite d'avoir un
ministre pris dans son sein, et les députés
de la gauche, interrogés, répondent qu'ils
ne veulent pas faire d'opposition au gou-
vernement de M. Thiers quand il ne s'agit
pas de sauver un principe.
Que sera la discussion ?
Les interpellateurs appartiennent à la
droite, mais il est bien probable que les
membres de la gauche prendront la parole.
*
* *
On s'entretient partout du succès rem-
porté à la séance de la veille par M. Jules
Simon.
- Que signifie ce vote? disait un mem-
bre de la droite; nous avons été abandon-
nés par nos amis.
- Que voulez-vous? répond un droi-
tier qui passe, on n'a pas voté sur les
principes ; plusieurs d'entre nous n'ont pas
voulu voter contre M. Jules Simon.
*
» *
Il paraît que c'est la vraie raison du
succès du ministre de l'instruction publi-
que. La discussion lui a été assurément
très-utile, mais quand on pense que M. le
; duc de Broglie a lutté pied à pied en mon-
trant à la droite l'importance du vote
«
qu'elle allait émettre, on est forcé de conve-
nir que les considérations de personne ont
été d'un grand poids dans l'affaire.
*
* <
M. de Kerdrel, un des grands chefs de
la droite, camarade de collège de M. Jules
Simon, expliquait dans un groupe qu'il
avait voté conformément aux désirs de la
commission, «mais qu'il avait engagé plu-
sieurs de ses collègues à voter avec le mi-
nistre. »
N'est-ce pas splendide?
M. de Kerdrel avait peur de se compro-
mettre; mais il eût été désolé d'un échec
pour le ministre.
C'est de l'amitié, ou je ne m'y connais
pas.
*
* <
Le ministre, paraît-il, est rempli de
bienveillance pour ses collègues, en ren-
contre aussi de très-bienveillants à son
égard.
Et puis il est Breton !
Et plusieurs Bretons de l'Assemblée
n'ont vu dans l'affaire qu'une question de
clocher.
Vous verrez qu'après cela tous les minis-
tres voudront être Bretons !
*
* *
On attend le résultat de l'interpellation
de lundi. M. Johnston essaie de convain-
cre M. Savary. Il voudrait que ce dernier
prenne part àla discussion, mais M. Savary
refuse. Nous le regrettons. Nous aurons un
discours de M. Johnston, un discours de
M. de Castellane, M. Savary aurait donné
à la discussion la gravité qui lui manque-
ra probablement.
On affirmait cependant que l'évêque
d'Orléans devait prendre la parole, ce qui
ne nous étonne pas.
*
* *
Voici, du reste, autant qu'on peut le
prévoir, l'ordre et la marche de cette dis-
cussion.
1° Discours de M. Johnston expliquant
au ministre qu'il a commis une illégalité.
2° Réponse du ministre expliquant à
M. JohRston qu'il s'est renfermé dans les
bornes de la légalité.
3° Réplique de l'évêque d'Orléans dis-
cutant le fond de la circulaire et demandant
à l'Assemblée de juger les réformes.
4° Nouvelle réplique du ministre, expli-
quant à l'Assemblée qu'elle n'a pas à juger
ces matières et que le conseil supérieur
aura à examiner les réformes. la pa-
M. de Castellane demande alors la pa-
role. Les vers latins et le thème grec ne
seraient pas contents si cet illustre orateur
ne leur prêtait pas l'appui de son talent et
de son expérience en matière d'enseigne-
ment public.
- Ensuite gâchis, violences de la droi-
te - et vote probablement favorable au
ministre.
*
* *
Constatons en terminant qu'au sortir
de la séance les représentants n'avaient pas
une haute idée du talent et des connais-
sances administratives de M. le ministre
de l'intérieur.
Nous l'avions bien dit !
RAYMOND.
P. S. - Il-nous reste encore à enregis-
trer un fait : le vote de vendredi donnait,
à la minute du dépouillement, 38 voix de
majorité aux idées de M. le ministre de l'ins-
truction publique. Le lendemain matin, le
Journal officiel constatait une majorité s'é-
levant au chiffre de 64 voir.
Vingt-six voix d'erreur, c'est beaucoup
dans une addition! MM. les secrétaires de
la Chambre auraient tort d'assumer la res-
ponsabilité entière de cette faute.
Il s'est passé simplement ceci : des amis
trop zélés ont .voté pour leurs collègues- ab-
sents de la droite. C'est bien; seulement
ils ont voté deux et trois fois pour le même
député. Le mieux est l'ennemi dn bien.
Et l'on se demande de quelle facon la
droite respecte les fameux principes émis
par M. Baragnon, il y a un mois environ,
pour un motif identique, mais pour les
besoins d'une autre cause.
Enfin, si ces 26 voix imaginaires avaient
rendus chose fort possible - la majorité
hostile au ministre, dans quelle situation
l'Assemblée se serait-elle trouvée le lende-
main ?
R.
+
INFORMATIONS
M. de Rémusat, qui était souffrant de-
puis trois semaines, est presque entière-
ment rétabli et doit reprendre possession
lundi prochain du ministère des affaires
étrangères à Versailles.
Oa est assez mécontent dans le part
otléaniste de la note du Journal de Paris
que nous avons reproduite hier. - « Il
vaudrait bien mieux ne rien dire, s'écrient
les hommes politiques du parti, que d'em-
ployer toujours des mots à double sens ! »
La note, cependant, avait été combinée
longuement par M. le comte de Paris et
par ses oncles avant d'être portée au jour-
nal de M. Hervé.
Le soir même du jour où elle a paru,
M. le duc de La Rochefoucauld-Bisaccia
était à l'Gpéra, et, la lisant à qui voulait
l'entendre, répétait que ses désirs étaient
comblés et que le parti légitimiste n'en
demandait pas davantage.
C'est que le parti légitimiste est facile à
satisfaire alors ! Mais M. de La Rochefou-
cauld a, depuis, entendu sans doute le
langage des orléanistes, lesquels crient sur
les toits que tout cela ne signifie rien.
M. le président de la République a dé-
claré hier matin à MM. Foubert, Vilfeu,
Delsol et Méplain qu'il ne se rendrait pas
8* Année. - NI, 431.
Pin DU NUMÉRO : PARIS 15 LBJITIMBS — DÉPARTEMENTS 20 Gérons.
Lundi 20 Janvier 1873.
RÉDACTION
adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
9* rue Drouot, 2
Les manuscrits non insérés seront rendus
Il
ABONNEMENTS
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2. rue Drouot, 2
Les lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
PAMS
Trois mois 13 fr.
Six mois. 25
Un an 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16. t'r.
Six mois. 32
Un an. 62
Annonce*, chez MM. LAGRANGE, CERF et G4
0, place de la Bonie, 6
PARIS
Trois mois. 13 fr.
Six mois. 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 16 fr.
Six mois. 32
Un an.,. 62
Annonces, chez MM. LAGRANGE, CERF et Co
6, place de la Bourse, 6
JOURNÉE POLITIQUE
Pans, le 19 janvier 4873.
Cinquante-neuf voix de majorité sur
635 votants, c'est un beau chiffre pour Ver-
sailles, et M. Jules Simon doit être con-
tent d'un tel succès. Il l'avait, d'ailleurs,
bien gagné par ce rare talent d'orateur po-
litique que l'on vantait hier avec tant de
raison. Sur la part qu'il a prise à la dis-
cussion de la loi, il ne nous reste rien à
dire. La gauche républicaine, le centre
gauche et la gauche extrême lui ont donné,
dans cette occasion, la plus grande partie
des voix dont il avait besoin pour faire
passer son contre-projet et peut-être même
pour rester ministre.La gauche extrême,ce-
pendant, n'a pour lui que peu de tendresse,
ce qui fait bien voir que,parmi les difficultés
présentes, l'accord est légitime et politi-
quement nécessaire entre tous ceux qui
font de la République leur but commun.
Si la gauche extrême, s'appropriant les
règles de conduite que M. Casimir Périer
venait de tracer à son parti, n'eût obéi
qu'à ses goûts personnels ou à ses propres
répugnances, elle laissait tomber M. Jules
Simon. A qui cela profitait-il ?
Maintenant, grâce à l'amendement qui
a été voté sur l'article 2, non-seule-
ment le ministre reste, mais la loi, de
mauvaise qu'elle était, devient presque
bonne. Elle contient sans doute des fautes
de détail, mais qui nuisent peu. Ce n'est
plus une œuvre de parti; ce n'est plus « le
gouvernement de l'enseignement, » comme
disaient les orateurs de la droite, aban-
donné aux passioas politiques et reli-
gieuses. Nous n'en voulions pas davan-
tage. On prétend que M. de Broglie, rap-
porteur de la loi, prépare, de concert avec
ses amis, de nouveaux amendements, de
profondes finesses, pour le jour où viendra
la seconde délibération. Ces projets nous
paraissent plus désespérés que redoutables,
et l'on peut, sans les craindre, se réjouir
du résultat acquis.
Nous ferons aujourd'hui peu de ré-
flexions sur les travaux de la commission
des trente. Les honorables commissaires
parlent assez clairement pour que tout
Français les entende. Ne les en blâmons
pas, car rien ne vaut les situations nettes.
Les idées de fusion étaient dans l'air, sans
doute, quand ils se sont livrés à cette belle
discussion sur l'article premier de leur
projet de constitution et sur le préambule
qui réserve leurs droits constitutifs. C'est
bien s'aventurer ! Quoi qu'il en soit, il pa-
raît à propos de rétablir ici le texte même
du préambule et du commencement d'arti-
cle que la commission a votés et que nous
n'avions pu donner qu'imparfaitement. Les
voici donc :
L'Assemblée, nationale réservant dans son in-
tégrité le pouvoir constituant qui lui appartient,
mais voulant apporter des améliorations aux
attributions des pouvoirs publics, décrète :
Art. fer. - L'article premier de la loi du 31
août 4871 est modifié ainsi qu'il suit :
Le président de la République communique
avec l'Assemblée par des messages, qui sont lus
à la tribune par un ministre.
Voilà ce qui est adopté jusqu'à présent
par la commission. Le second paragraphe
de l'article est ainsi conçu.
Néanmoins il sera entendu par l'Assemblée
lorsqu'il le jugera nécessaire et après l'avoir in-
formée de son intention par un message.
Ici M. le duc Decazes voudrait intro-
duire un amendement, portant que le pré-
sident de la République ne sera jamais en-
tendu que « dans la discussion des lois, »
d'où il suit qu'il ne devra pas intervenir
dans la discussion des interpellations.
Question délicate, après toutes les déclara-
tions de M. Thiers. On s'est donc ajourné
à lundi sur ce paragraphe. Attendons la
fin!
La Chambre des députés de Berlin,après
une discussion qui a duré deux jours, a
renvoyé à une commission spéciale l'un
des projets de loi déposés par le ministère
contre le Pape et les ultramontains ; c'est
celui que l'on intitule : « Projet de loi re-
latif à l'éducation préparatoire des mem-
brés du clergé catholique. » Le gouverne-
ment prussien s'est montré un peu plus
doux, dans ces débats, ou, si l'on aime
mieux, un peu moins agressif qu'il n'avait
été jusqu'ici. - « Nous ne songeons pas,
a dit le ministre des cultes, à opprimer le
clergé catholique ; mais il s'est trouvé des
évêques qui se sont insurgés contre les lois
de TEtat, et nous estimons qu'il convient
de les rappeler à l'obéissance. » Le prési-
dent du conseil a toutefois ajouté « que le
ministère'était unanime sur la nécessité
d'opposer une barrière aux prétentions en-
vahissantes de Rome. » Il paraît probable
que la « baréière » sera posée fort rudement;
on peut s'en rapporter, là-dessus, aux
moeurs prussiennes. Mais le texte du pro-
jet de loi sur l'éducation préparatoire .du
clergé ne nous est pas connu encore ; nous
ne saurions donc en parler davantage.
La Chambre des députés de Madrid a
nommé la commission qui examinera le
projet d'abolition de l'esclavage à Porto-
Rico. Les commissaires élus sort tous
abolitionnistes.
Les carlistes, pendant .ce temps, qui
comprennent le patriotisme et la civilisa-
tion à leur manière, coupent les chemins
de fer avec acharnement. Une dépêche de
Madrid nous apprend que, le 16 janvier,
les communications postales étaient inter-
ceptées entre l'Espagne et la France.
EUG. HÉBERT.
COURRIER PARLEMENTAIRE
Versailles, 48 janvier 4873.
Le théâtre de Versailles est fécond en
surprises. Le programme annonçait : in-
terpellation Lespinasse et pétitions, c'est-
-dire peu de chose et rien. Nous avons
eu ce que nous n'espérions pas, une jour-
née pleine de gaîté.
L'honneur en revient à M. Lespinasse,
ingénieux auteur de l'idée-mère, à M.
Fresneau, agréable conteur, qui a brodé
des développements pleins d'humour sur
te scenario de M. Lespinasse, et enfin
r M. le ministre de l'intérieur, habile ma-
chiniste, qui a introduit dans le sujet des
trucs administratifs absolument nouveaux.
Grâce à la collaboration de ces trois hom-
iues d'esprit, « la féerie de Castel-Sarrazin »
a obtenu à l'Assemblée et obtiendra surtout
dans le pays un succès désopilant.
Il s'agit du refus de certains maires de
inandater les dépenses obligatoires. Et M.
Lespinasse vise particulièrement le maire
de Castel-Sarrazin.
Au premier abord, la chose paraît bien
Simple, n'est-ce pas ? Si les maires refusent
de mandater les dépenses obligatoires, la
loi est là pour MM. les maires, même pour
celui de Castel-Sarrazin. Il faut beaucoup
de talent pour tirer de grandes situations
d'un si petit sujet.
M. Lespinasse se charge de l'exposition
de la pièce. Bien que cette exposition man-
que absolument de clarté, nous devinons
que Castel-Sarrazin est un repaire des
Abruzzes situé dans le Tarn-et-Garonne,
ét qu'un certain chef de bande, qui s'inti-
tule depuis dix-huit mois maire de Castel-
Sarrazin, refuse de faire honneur au traité
que son prédécesseur a passé avec les con-
$Téganistes. Depuis un an et demi, les
ûongréganistes n'ont pas reçu une obolllle,
Comme dit le député de Tarn-et-Garonne,
ce qui, d'ailleurs, ne les empêche pas de
prospérer.
Jusqu'ici c'est mou, très-mou : l'orateur
manque d'éloquence et même de voix, il
Remplace la première par des gestes sacca-
4és, à ressort, et la seconde, par une déto-
nadon qui part de temps à autre et fait
trou dans le demi-silence de la salle. A
droite, on n'applaudit guère ; à gauche, on
ne murmure pas. Est-ce parce qu'on n'en-
tend rien, ou bien cette indifférence pro-
vient-elle de l'abus même des interpella-
tions? L'interpellation est le pâté d'an-
guilles parlementaire : on peut finir par
s'en dégoûter.
Du discours de M. Lespinasse, nous ne
retenons que ceci : « Je savais très-bien
qu'il me suffisait de signaler ces faits à
M. le ministre pour qu'ils fussent répri-
més. Voilà qui est vrai. Mais alors
pourquoi M. Lespinasse n'a-t-il pas tout
bêtement signalé les faits?. Parce que le
gouvernement de combat aime le bruit, le
tapage, et ne traite la société malade qu'à
l'aide du procédé employé par les dentistes
ambulants, à coups de grosse caisse.
Quand M. Lespinasse descend, tout est
tellement calme qu'on sent qu'il suffit
de quelques mots de M. de Goulard pour
enterrer l'interpellation.
M. le ministre de l'intérieur en dit beau-
coup trop long. La première partie de sa
réponse, ferme et vigoureuse, parlant du
respect que tous doivent aux lois, peut être
applaudie par toute l'Assemblée. Si elle ne
soulève que les « très-bien » de la droite,
c'est que M. de Goulard, sans s'en douter
probablement, a une manière de s'adresser
particulièrement à la droite qui lui fait
presque tourner le dos à la gauche.
La seconde partie de la réponse, traitant
le cas particulier en discussion, est moins
Heureuse. M. le ministre raconte les faits,
déclare que le conseil municipal de Castel-
Sarrazin a déféré le traité au conseil de
préfecture, qui l'a cassé, et quel'amire est,
à l'heure présente, en litige et toute prête
à aller devant le conseil d'Etat, jugeant en
dernier ressort. En attendait la décision
du conseil d'Etat, M. le ministre vient de
faire mandater d'office les dépenses des
congréganistes.
L'affaire a été jugée une première fois
par un conseil de préfecture, elle va être
jugée en dernier ressort, elle est pendante,
vous m'entendez bien? Et M. le ministre
qualifie le premier jugement rendu de
ex jugement monstrueux. »
M. de Goulard pouvait se contenter d'ê-
tre le serviteur dévoué de la loi; il préfère
se faire le complaisant des passions de la
droite. Il obtient un succès. Parbleu! il
ne l'a pas volé. Mais attendons la fin.
M. Lespinasse sent tout le profit qu'il
peut tirer des paroles de M. de Goulard en
forçant encore un peu la note, comme c'est
l'habitude en pareil cas, et empêche M.
Fresneau de se jeter dans le débat. Il re-
mercie M. le ministre.
Mais si longs que soient des remercî-
ments, ils ont toujours une fin. Et M. Fres-
neau, malgré les objurgations de ses amis,
s'empare de la parole. M. Fresneau, dé-
puté du Morbihan, est un membre de la
droite cléricale, mais si droitier et si cléri-
cal que la droite elle-même a peur parfois
de son ami M. Fresneau.
Rien que le début suffit pour, la faire
trembler : « Si par bonheur nos ministres
pouvaient agir comme ils parlent. » Ce
qui est une attaque indirecte à M. Thiers.
Après quoi M. Fresneau passe à une at-
taque directe à l'ancien ministre, M. Vic-
tor Lefranc, et continue par cet aphorisme,
qui, dédié dans la pensée de l'auteur aux
conseillers municipaux, se transforme en
charmante épigramme pour les amis mêmes
de M. Fresneau : « La représentation lé-
gale n'est pas toujours la représentation
réelle. »
A cette naïveté qui échappe au député
de la droite, la gauche et le centre gauche
ne peuvent plus tenir leur sérieux ; ils
rient, se tordent et font une ovation à M.
Fresneau, qui avoue, sans le vouloÎl',qu'un
député du Morbihan- quoi qu'il en dise,
— ne représente pas exactement la France.
,Quant à la .droite», elle est désolée, terri-
,flée ; elle crie : « Assez ! assez ! » eJ
cherche à couvrir la voix et les naïvetés de
son ami Fresneau.
La scène est des plus comiques ; n'était
X. Lefranc, qui, debout au pied de la tri-
bune, semble fort en colère, on jurerait
que le légitimiste et clérical député du
Morbihan appartient à la gauche. Car c'est
de ce côté que partent les applaudisse-
ments et les encouragements.
De l'autre côté, il est des députés quivou-
draient museler l'orateur ; M. Depeyre, un
chef de file de ladroite, fait circuler le mot
d'ordre.
« CIÓture 1 clô ture ! » crie la droite.—Ah!
bien, oui!
- M. Fresneau, il ne s'agit ici ni du
maire du Havre, ni de celui d'Angers,
mais du maire de Castel-Sarrazin, dit M.
Grévy. - Ah! bien, oui!
M. Fresneau a un discours rentré depuis
la fameuse séance de la dissolution ; il n'a
pu le placer alors, il l'insinue aujourd'hui.
Et il va, va, va toujours. Quand il ter-
mine, pas un applaudissement ne monte
à lui, pas une main ne se tend sur son
passage. C'est mal, messieurs de la droite,
très-mal; car, enfin, il n'a fait que dire
ce que vous pensez !
Ici la scène devient confuse : bien des
gens veulent aborder la tribune, qui pour
une question personnelle, qui pour la dis-
cussion générale. M. Victor Lefranc évince
M. Baragnon, presque brusquement ; son
feste prouve qu'il est profondément ir-
rité.
En effet, M. Fresneau l'a appelé « mi-1
nistre plus docile. »
Quelques mots seulement, mais très-
simples, très-dignes et bien cinglés à l'a-
dresse de M. Fresneau. La salle entière ap-
plaudit la protestation de l'orateur. Depuis
qu'il a perdu son portefeuille, M. Victor
Lefranc a retrouvé du talent.
Encore M. Fresneau ! La droite est dans
une désolation qui fait peine à voir : « Clô-
ture ! clôture ! » vocifère-t-elle, couvrant
la voix de l'orateur.
MM. Baragnon et Fourcand veulent par-
ler ensemble ; tout le monde a quelque
chose à dire.
M. Baragnon, très-habile, très-malin,ne
perdant jamais la tête au milieu du vacar-
me, enterre son ami Fresneau sous des
fleurs pleines d'épines, ne songeant qu'à
conserver tout le suc des déclarations de
M. le ministre.
M. Fourcand, maire de Bordeaux, ne
songe qu'à protester au nom de sa muni-
cipalité contre certaines paroles de M.
Fresneau.
Chacun ne dit qu'une phrase ou deux,
vite, en courant, pendant que la droite, qui
voudrait bien voir clore cette discussion
qu'elle a soulevée, crie, se démène.
Bon! M. Lepère à présent ! Qu'est-ce
qu'il veut encore?. Il veut traiter la vraie
question ; et il la traite de langue de maî-
tre.
Il s'associe aux premières paroles du
ministre, le respect de la loi étant le fon-
dement même du gouvernement républi-
cain ; mais il proteste contre les dernières
paroles, qui tiennent peu compte du res-
pect dû aux jugements.
Chaud, incisif, clair, vif, logique et mor-
dant, il reprend la filière des événements :
c: L'instance est pendante, et c'est en un
pareil moment qu'on veut condamner la
décision rendue par le conseil de préfec-
ture.! Respectez la loi, respectez la magis-
trature! »
C'est admirablement enlevé ; la gauche
fait un vrai succès à M. Lepère; la droite,
étonnée, se tait.
M. de Goulard, rudement battu en brè-
che par cette argumentation, est obligé de
résister. Il nous fait l'effet de s'écrouler
sous lui. Tout en annonçant qu'il va don-
ner une leçon de droit à M. Lepère, il dé-
bute par une sorte d'énormité juridique.
Tus les jurisconsultes de l'Assemblée font
des signes de désespoir et voudraient arrê-
tèr M. le ministre.
Ah ! si le vote n'avait pas une teinte
politique !
i. M. Lenoël, qui n'est certes pas un dé-
molisseur dé ministres, ne peut cependant
tenir en place. Malgré les cris de la droite,
il monte à la tribune, et met sous les yeux
de ses collègues un décret, le décret qui
condamne M. de Goulard. M. de Goulard
n'en connaissait pas un mot, paraît-il; la
droite ne veut pas le connaître !
Et M. Lenoël leur dit : « Voyez, voyez
si vous avez tort d'apporter de pareilles
interpellations à la tribune ! Faites des lois ;
ne faites pas du scandale. »
Est-ce qu'on peut avoir tort à droite ?
Quand on a tort, on crie; et cela vous
donne l'air d'avoir raison.
Pendant que M. Lespinasse cherche à
couvrir M. le ministre, qui n'a été rien
moins que brillant, les ordres du jour cou-
rent parla droite.
« L'Assemblée nationale, confiante dans
la fermeté de M. le ministre de l'intérieur,
passe à l'ordre du jour. » Tel est l'ordre du
jour de la droite, qui prodigue l'éloge à M.
de Goulard pour la science du droit admi-
nistratif qu'il vient de déployer.
La gauche demande simplement l'ordre
du jour pur et simple.
La confusion rne; et, à droite, certains,
redoute ;ti sans douta un ordre du jour lau-
datif en de iH><îs < u-oonstances et craignant
peut-être le ridicule, demandent aussi l'or-
dre du jour pur et simple. Ceux-là, on les
fait taire.
Que de bruit pour rien !
M. Lambert Sainte-Croix sent qu'il faut
raffermir les timides ; il monte à la tribu-
ne pour dicter à ses amis le vote en fa-
veur de l'ordre du jour motivé. De leur
côté MM. Lenoël et Langlois veulent ex-
pliquer que l'ordre du jour pur et simple
n'ôte rien à la confiance que la gauche a
en M. de Goulard, mais est fait pour ne
pas peser sur un arrêt. Ils veulent expli-
quer cela, mais la droite ne les laisse pas
parler.
Au scrutin, l'ordre du jour pur et sim-
ple est repoussé par 402 voix contre 251.
La droite refuse de voter un ordre du jour
motivé, qui est le seul vrai, ainsi conçu :
« L'Assemblée nationale, considérant que
,la justice es}, régulièrement saisie, de la
question qui fait l'objet de l'interpellation
et respectant l'ordre des juridictions, passe
à l'ordre du jour. »
La droite refuse, refuse, refuse et donne
la priorité à l'autre ordre du jour motivé,
qui est voté par 483 voix contre 80.
Et remarquez que dans tout cela il n'y
a pas de quoi fouetter un ministre !
Personne n'en voulait à M. de Goulard,
personne ne songeait à l'attaquer ; il n'y
avait donc pas à le défendre. Mais non!
droite et gauche étaient en présence; il
fallait se mesurer, et l'on apréféré, au lieu
de passer discrètement la gomme sur une
naïveté échappée à M. le ministre, la sou-
ligner par un vote élogieux.
Bénies soient vos interpellations, mes-
sieurs de la droite! Vous ne savez pas
encore tout le mal qu'elles vous font. Nous
voudrions qu'à celle de lundi, à l'interpel-
lation des vers latins scandée par M.-John-
ston, le peuple français entier pût assister,
travailleurs des champs et ouvriers de la
ville, commerçants et industriels. Car
savez-vous ce ° qui se passait après l'in-
terpellation de samedi soir, savez-vous ce
que nous avons entendu, de nos oreilles
entendu ?
Un groupes d'hommes âgés sortaient de
l'Assemblée : « Voilà quinze ans que je
n'avais été à Versailles, disait l'un d'eux,
et je n'y reviendrai pas de longtemps.
Quand on voit 750 individus (il a dit indi-
vidus) s'occuper toute une journée d'un pa-
reil sujet et s'en occuper d'une pareille
façon, ma parole, ça.
Nous ne mettrons pas la suite qui
n'avait rien de parlementaire.
it Et, ma foi, ce vieux-là avait pourtant
l'air d'un bien brave homme!
Ceux-là, messieurs, qui ne pensent
qu'au travail prisent médiocrement les
gouvernements de combat.
PAUL LAFARGUB.
+ ————————
VIEILLE HISTOIRE
Les monarchies vont vite. Le 8 jan-
vier il y en avait trois qui se disputaient
la France; le 9 il n'en restait plus que
deux; depuis hier il n'y en a plus
qu'une, la seule, la vraie, celle qui est
brevetée du Très-Haut.
C'est M. le duc de La Rochefoucauld-
Bisaccia qui l'a dit, après en avoir reçu
l'assurance de M. le comte de Paris en
personne, et si des doutes pouvaient
exister encore, la note publiée hier par
le Journal de Paris, organe officiel des
révolutionnaires de 1830, suffirait à les
dissiper.
Voilà, du moins, le bruit du jour.
Eh bien, voyez un peu si nous avons
le scepticisme robuste, de tout cela nous
ne croyons pas un traître mot ! M. de La
Rochefoucauld et ses amis se sont trop
pressés de se réjouir; il n'y a rien de
fait; et vraiment, s'ils étaient raisonna-
bles, ils comprendraient qu'il n'y a rien
de possible.
Voulez-vous que nous relisions en-
semble la note du Journal de Paris ?
«Siun jourla monarchie devait être ré-
tablie, elle ne pourrait l'être que par la
libre volonté de la nation et sur la triple
base de l'égalité civile, de la liberté po-
litique et religieuse, et des garanties
constitutionnelles.
» DANS CES CONDITIONS, l'aîné desprinces
de la maison de France est le représentant
naturel de l'idée monarchique : en tout
cas, il ne trouverait pas de compétiteur
dans sa famille. »
Est-ce clair ?
Expliquons néanmoins à M. de La Ro-
chefoucauld ce que parler veut dire :
Si le comte-de Chambord se rallie au
principe de la monarchie de 1830, et con-
sent à devenir le zéro couronné qui se
place àla gauche du chiffre appelé gou-
vernement parlementaire et constitu-
tionnel ;
Si le petit-fils d'Henri IV avoue que le
droit divin est bien démodé de nos jours
et qu'il est temps de lui substituer le
droit révolutionnaire ;
Si le fils de la duchesse de Berry, tout
en regrettant que sa mère ait été l'objet
de traitements un peu vifs de la part du
gouvernement de Juillet, consent à par-
donner à Louis-Philippe, en la personne
de ses fils et petits-fils, d'avoir manqué
aux égards qu'on se doit entre parents ;
S'il passe l'éponge sur les vilains sou-
venirs du château de Blaye, et, pour
mieux prouver qu'il est de son époque,
déclare qu'au prix d'un trône un fils peut
bien oublier les outrages faits à sa
mère :
Si le comte de Chambord admet tout
cela et quelques petites choses encore,
il sera possible, DANS CES CONDITIONS, que
l'entente se fasse entre la branche aînée
et la branche cadette.
Telle est la traduction exacte de la
note publiée hier par le Journal de
Paris.
Et, de fait, nous ne voyons pas ce qui
pourrait empêcher les d'Orléans d'accep-
ter les eaYcuses de leur cousin. Il n'y au-
rait qu'une voix dans le monde pour les
accuser d'avoir mauvais caractère, s'ils
refusaient une poignée de main offerte
de si bonne grâce et de si bon cœur.
Avouez, en effet, qu'il serait touchant de
voir le comte de Chambord parler au
comte de Paris le langage d'Auguste à
Cinna. Les méchants en riraient peut-
être; ils rappelleraient l'histoire de ce
monsieur qui, recevant une giffle, fait à
l'agresseur des observations sévères,mais
justes, le boude un instant, puis, n'écou-
tant que son bon cœur, lui tend la main,
,et d'une voix émue : Sans rancune,
i n'est-ce pas ?
! A n'en croire que M. de La Rochefou-
(
cauld, le comte de Chambord serait dans
le cas du monsieur en question, et con-
séquemment la fusion serait faite. Mais
M. de Larochefoucauld se trompe ; entre
la coupe et les lèvres, entre la giffle et
les excuses, il y a place encore pour une
infinité de réflexions que le fils de la
duchesse de Berry, l'auteur des mani-
festes que l'on sait, sur le droit divin et
le drapeau blanc, ne manquera pas de
faire.
Et puisque nous parlons de drapeau,
il faut que je vous conte la conversation
qu'avaient hier un légitimiste et un or-
léaniste. Le premier disait au second :
Eh bien, c'est fait !-Mais pas le moins du
monde répondit le second. Il y a bien un
peu defeupeut-être, mais trop de fumée,
assurément beaucoup trop. D'ailleurs la
note du Journal de Paris ne me paraît
point du tout concluante. Si les princes
avaient tenu le langage que leur prête
M. de La Rochefoucauld, nul doute qu'ils
se fussent contentés de faire dire dans
leur journal : le comte de Chambord ac-
cepte le drapeau tricolore ; ou bien : le
comte de Paris accepte le drapeau blanc!
- C'est bien ce qu'ils ont fait, riposta
le légitimiste. Ecoutez plutôt :
« Si un jour la monarchie devait être
rétablie, elle ne pourrait l'être que par la
libre volonté de la nation, et, - écoutez
bien, - et sur la triple base, — la triple
base, vous entendez, - de l'égalité ci-
vile, de la liberté politique et religieuse,
et des garanties constitutionnelles. »
L'orléaniste ouvrait de grands yeux ;
il avait bien écouté, parfaitement enten-
du, mais il ne comprenait pas.
Le légitimiste eut pitié de son peu
d'intelligence, et voulut bien lui expli-
quer que la tiiple base en question n'é-
tait autre chose que les trois couleurs du
drapeau français.
L'orléaniste pensa mourir de rire.
L'histoire tout entière de la fusion,
racontée par M. de La Rochefoucauld,
vaut celle de la triple base.
Le comte de Chambord n'a jamais son-
gé et ne songera jamais à troquer son
lys contre un coq, pas plus qu'à rayer
de bleu et de rouge, le blanc suaire de
la. monarchie du droit divin.
Mais en admettant même que cela fût
possible, en supposant que la branche
aînée et la branche cadette se rappro-
chent et se fondent aux conditions que
nous avons dites, croit-on que la récon-
ciliation des deux familles équivaudrait à
l'alliance des deux partis ? Croit-on que
les légitimistes convaincus accepteraient,
les yeux fermés, un compromis de ce
genre, et qu'ils ne s'éloigneraient pas,
avec quelque pudeur, d'un prince capa-
ble de pareils accommodements avec sa
conscience ? Et combien aussi, parmi
les orléanistes, ne voudraient point
manger de ce pain-là !
Laissons donc pour ce qu'elles valent
ces histoires de fusion, qui reviennent
périodiquement sur le tapis dès qu'il se
produit, dans la situation politique, un
fait de quelque importance. C'est la mort
de l'empereur, c'est l'effondrement, au
moins momentané, du parti bonapartiste
qhi-nous a valu ce nouveau ballon d'es-
sai lancé par un duc de la droite. Il n'a
fait que passer et n'était déjà plus.
Mais il importe de tenir compte,
dans une certaine mesure, des efforts
tentes par les monarchistes pour se
coaliser contre la République. Ils sen-
tent que l'heure approche où, faute de
s'entendre, il leur faudra se résigner à
ne plus seulement ajourner leurs espé-
rances, comme ils prétendent faire au-
jourd'hui, mais à y renoncer pour ja-
mais. Ils luttent, ils se débattent; ils
s'accrochent fiévreusement à tout ce
qu'ils rencontrent sous la main; bâtons
flottants comme l'orléanisme, ou plan-
ches pourries comme le bonapartisme;
ils se raidissent contre le sort, ils ne
veulent pas mourir.
La République n'a qu'à les regarder
faire. C'est une question de temps, une
question de mois.
E. SCHNERB.
; ♦ ——————————
LA SALLE DES PAS PERDUS
La séance paraît devoir être animée et
cependant le public est indifférent. On n'a
pas une grande inquiétude sur son issue.
La droite est trop satisfaite d'avoir un
ministre pris dans son sein, et les députés
de la gauche, interrogés, répondent qu'ils
ne veulent pas faire d'opposition au gou-
vernement de M. Thiers quand il ne s'agit
pas de sauver un principe.
Que sera la discussion ?
Les interpellateurs appartiennent à la
droite, mais il est bien probable que les
membres de la gauche prendront la parole.
*
* *
On s'entretient partout du succès rem-
porté à la séance de la veille par M. Jules
Simon.
- Que signifie ce vote? disait un mem-
bre de la droite; nous avons été abandon-
nés par nos amis.
- Que voulez-vous? répond un droi-
tier qui passe, on n'a pas voté sur les
principes ; plusieurs d'entre nous n'ont pas
voulu voter contre M. Jules Simon.
*
» *
Il paraît que c'est la vraie raison du
succès du ministre de l'instruction publi-
que. La discussion lui a été assurément
très-utile, mais quand on pense que M. le
; duc de Broglie a lutté pied à pied en mon-
trant à la droite l'importance du vote
«
qu'elle allait émettre, on est forcé de conve-
nir que les considérations de personne ont
été d'un grand poids dans l'affaire.
*
* <
M. de Kerdrel, un des grands chefs de
la droite, camarade de collège de M. Jules
Simon, expliquait dans un groupe qu'il
avait voté conformément aux désirs de la
commission, «mais qu'il avait engagé plu-
sieurs de ses collègues à voter avec le mi-
nistre. »
N'est-ce pas splendide?
M. de Kerdrel avait peur de se compro-
mettre; mais il eût été désolé d'un échec
pour le ministre.
C'est de l'amitié, ou je ne m'y connais
pas.
*
* <
Le ministre, paraît-il, est rempli de
bienveillance pour ses collègues, en ren-
contre aussi de très-bienveillants à son
égard.
Et puis il est Breton !
Et plusieurs Bretons de l'Assemblée
n'ont vu dans l'affaire qu'une question de
clocher.
Vous verrez qu'après cela tous les minis-
tres voudront être Bretons !
*
* *
On attend le résultat de l'interpellation
de lundi. M. Johnston essaie de convain-
cre M. Savary. Il voudrait que ce dernier
prenne part àla discussion, mais M. Savary
refuse. Nous le regrettons. Nous aurons un
discours de M. Johnston, un discours de
M. de Castellane, M. Savary aurait donné
à la discussion la gravité qui lui manque-
ra probablement.
On affirmait cependant que l'évêque
d'Orléans devait prendre la parole, ce qui
ne nous étonne pas.
*
* *
Voici, du reste, autant qu'on peut le
prévoir, l'ordre et la marche de cette dis-
cussion.
1° Discours de M. Johnston expliquant
au ministre qu'il a commis une illégalité.
2° Réponse du ministre expliquant à
M. JohRston qu'il s'est renfermé dans les
bornes de la légalité.
3° Réplique de l'évêque d'Orléans dis-
cutant le fond de la circulaire et demandant
à l'Assemblée de juger les réformes.
4° Nouvelle réplique du ministre, expli-
quant à l'Assemblée qu'elle n'a pas à juger
ces matières et que le conseil supérieur
aura à examiner les réformes. la pa-
M. de Castellane demande alors la pa-
role. Les vers latins et le thème grec ne
seraient pas contents si cet illustre orateur
ne leur prêtait pas l'appui de son talent et
de son expérience en matière d'enseigne-
ment public.
- Ensuite gâchis, violences de la droi-
te - et vote probablement favorable au
ministre.
*
* *
Constatons en terminant qu'au sortir
de la séance les représentants n'avaient pas
une haute idée du talent et des connais-
sances administratives de M. le ministre
de l'intérieur.
Nous l'avions bien dit !
RAYMOND.
P. S. - Il-nous reste encore à enregis-
trer un fait : le vote de vendredi donnait,
à la minute du dépouillement, 38 voix de
majorité aux idées de M. le ministre de l'ins-
truction publique. Le lendemain matin, le
Journal officiel constatait une majorité s'é-
levant au chiffre de 64 voir.
Vingt-six voix d'erreur, c'est beaucoup
dans une addition! MM. les secrétaires de
la Chambre auraient tort d'assumer la res-
ponsabilité entière de cette faute.
Il s'est passé simplement ceci : des amis
trop zélés ont .voté pour leurs collègues- ab-
sents de la droite. C'est bien; seulement
ils ont voté deux et trois fois pour le même
député. Le mieux est l'ennemi dn bien.
Et l'on se demande de quelle facon la
droite respecte les fameux principes émis
par M. Baragnon, il y a un mois environ,
pour un motif identique, mais pour les
besoins d'une autre cause.
Enfin, si ces 26 voix imaginaires avaient
rendus chose fort possible - la majorité
hostile au ministre, dans quelle situation
l'Assemblée se serait-elle trouvée le lende-
main ?
R.
+
INFORMATIONS
M. de Rémusat, qui était souffrant de-
puis trois semaines, est presque entière-
ment rétabli et doit reprendre possession
lundi prochain du ministère des affaires
étrangères à Versailles.
Oa est assez mécontent dans le part
otléaniste de la note du Journal de Paris
que nous avons reproduite hier. - « Il
vaudrait bien mieux ne rien dire, s'écrient
les hommes politiques du parti, que d'em-
ployer toujours des mots à double sens ! »
La note, cependant, avait été combinée
longuement par M. le comte de Paris et
par ses oncles avant d'être portée au jour-
nal de M. Hervé.
Le soir même du jour où elle a paru,
M. le duc de La Rochefoucauld-Bisaccia
était à l'Gpéra, et, la lisant à qui voulait
l'entendre, répétait que ses désirs étaient
comblés et que le parti légitimiste n'en
demandait pas davantage.
C'est que le parti légitimiste est facile à
satisfaire alors ! Mais M. de La Rochefou-
cauld a, depuis, entendu sans doute le
langage des orléanistes, lesquels crient sur
les toits que tout cela ne signifie rien.
M. le président de la République a dé-
claré hier matin à MM. Foubert, Vilfeu,
Delsol et Méplain qu'il ne se rendrait pas
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