Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1873-01-02
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 02 janvier 1873 02 janvier 1873
Description : 1873/01/02 (A3,N413). 1873/01/02 (A3,N413).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/03/2013
38 Année. — N° 413.
PBa DU NCMÉBO : PARIS 15 UMTUIBS — DÈPARTËMKim 20 GENTIMBI.
Jeudi 2 janvier 1873.
E
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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£e& manuscrits non insérés seront rendus
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Annonce*, chez MM. LAGRANGE, CERF et C*
6, place de la Bourse, 6
JOURNÉE POLITIQUE
Pari,. le 1er janvier 4875.
C'est sur Rome toujours que les yeux
sont fixés. De la mission de M. de Cor-
celle, il n'est pas venu de nouvelles encore.
Divers journaux répètent depuis hier que
l'on doit voir en M. de Corcelle le rempla-
çant authentique et définitif de M. le comte
de Bourgoing. Ils se trompent. M. de Cor-
celle, ami personnel de Pie IX, n'a été
envoyé au Vatican que pour savoir ce qui
s'y est passé en rendre compte au gou-
vernement et calmer aussi, s'il le peut,
l'état d'agitation où est le pape. Au minis-
tère des affaires étrangères, on n'a pu
d'abord rien comprendre à la démission de
M. de Bourgoing; on s'est même demandé
si ce diplomate n'avait pas agi sous l'in-
fluence de quelque maladie, de quelque
accès de fièvre, de quelque désordre d'es-
prit, tant on a trouvé d'incohérence dans
son langage et dans ses actes ! C'est alors
que M. de Corcelle est parti, sans qu'on
lui ait donné ni qu'il ait accepté un titre
quelconque.
Il paraît en outre que M. de Corcelle, tout
catholique et tout ami du pape qu'il puisse
être, reconnaît maintenant que la pruden-
ce et la nécessité nous interdiraient, en
ce qui touche Rome et l'Italie, de suivre
les avis de la politique cléricale, lors mê-
me que le gouvernement y pencherait par
principe ou par goût. On nous affirme donc
que sur la politique française à Rome, M.
de Corcelle s'est mis absolument d'accord,
ou peu s'en faut, avec M. Thiers et M. de
Rémusat. C'est dans cet esprit qu'il est allé
trouver Pie IX. Non-seulement sa mis-
sion est extraordinaire et temporaire, mais
elle n'affecte aucun caractère public. Il ne
s'agit pas, comme on voit, d'ambassade, et
il n'en saurait être question, au plus tôt,
que lorsque M. de Corcelle aura rendu
compte de son voyage et de ses entre-
vues.
Voilà ce que l'on sait. Le gouvernement
n'a pris, en somme, aucune décision jus-
qu'à ce jour, ni sur le choix d'un ambassa-
deur, ni sur la conservation de l'ambas-
sade. S'il est sage, il se bornera à mainte-
nir à poste fixe auprès de Pie IX un agent
secondaire ou, comme dit le Journal des Dé-
bats, un négociateur des affaires ecclésias-
tiques. En attendant, nous comprenons fort
bien que le sentiment de convenances dé-
licates, le désir de ne rien irriter, et aussi
certaines raisons qu'on pourrait qualifier
de parlementaires, lui aient suggéré l'idée
d'une démarche qui, sans engager l'ave-
nir, doit être agréable à Pie IX en même
temps qu'elle peut satisfaire la portion rai-
sonnable et modérée du catholicisme fran-
çais. En ces temps difficiles, les tempéra-
ments et les concessions de forme sont
devenus le fond de la politique de M.
Thiers ; nous ne les lui reprocherons pas,
puisqu'il en vit, et nous savons d'ailleurs
qu'il est trop bon Français et trop homme
d'Etat pour rien sacrifier aux prétentions
de l'ultramontanisme.
Ne quittons pas Rome sans parler d'un
nouvel incident que l'on y commente à grand
bruit. Nous avons dit souvent, nous répé-
tions hier encore à quel point le gouver-
nement allemand était irrité des attaques
dirigées contre l'empereur Guillaume et ses
ministres dans un long passage de l'allo-
cution pontificale du 23 décembre. Tous
les journaux allemands ont été prévenus
que la reproduction de ce discours serait
punie de confiscation. M. de Bismarck a
fait plus ; il a envoyé l'ordre à son chargé
d'affaires auprès du Vatican, le lieutenant
Stumm, de prendre un congé illimité et
de quitter Rome sans retard. M. de Bis-
marck a été obéi dès hier. La rupture,
cette fois, est complète. Il sera curieux d'en
observer l'effet sur les catholiques d'Alle-
magne.
Le pape, cependant, fait toujours des ha-
rangues qui surpassent en traits imprévus
tout ce qui se pourrait imaginer. Hier, re-
cevant quelques nobles Romains, il leur a
dit « que l'aristocratie et le clergé étaient
les deux appuis des trônes : que les trônes
soutenus par les classes inférieures sont
très-faibles et ne résistent pas au choc; en-
fin que Jésus même a aimé l'aristocratie
et qu'il a voulu naître noble. » Voilà donc,
successeur de Pierre, ce que vous trouvez
dans l'Evangile ? et voilà ce qu'est devenu
le vieux christianisme après dix-aeuf siè-
cles ?
Une dépêche particulière annonce à
l'Union que, le 31 décembre, S. A. R. l'in-
fant don Alphonse de Bourbon, frère du
duc de Madrid, a pris le commandement
des forces carlistes en Catalogne.
Cette Altesse royale est bien révolution-
naire, et nous serions heureux que V Union
nous expliquât la différence qu'il convient
d'établir entre des insurgés parisiens, par
exemple, et des insurgés espagi, ols. Nous ne
pouvons, en effet, parvenir à trouver ce
qui distingue un chef de carlistes, fût-il
infant, d'un général de fédérés quelcon-
que. Don Alphonse absout-il Rosjel ? ou
bien Rossel doit-il faire condamner don
Alphonse ?
BUG. LIÉBBW.
MIL HUIT CENT SOIXANTE-TREIZE
Hé! oui, c'est entendu; nous connais-
sons le bilan de l'année rageuse qui vient
de finir, et qui succédait à l'année ter-
rible. A quoi bon additionner les crises
qui ont marqué tous les mois pendant
lesquels il eût été permis d'espérer au
contraire que nos représentants travaille-
raient à nous faire le présent moins dur et
l'avenir plus calme? Nous avons peu de
goût pour ces excursions rétrospectives
a travers les vieux calendriers. Tâchons
d'oublier le passé; on y trouve rarement
une consolation ou une espérance, ja-
mais un enseignement. Ceux qui disent
le contraire sont les premiers à n'en pas
croire un mot, et d'ailleurs il faut avouer
que si ce qu'on appelle l'expérience n'é-
tait pas un mot vide de sens, rien ne
serait moins flatteur pour l'humanité,
car Dieu sait si elle se conduit avec la
sagesse qu'auraient dû lui donner trente
ou quarante siècles passés !
La chaîne des temps, comme on dit,
est composée d'une infinité de chatnons
qui le plus souvent n'ont de rapports
mutuels que ceux que l'imagination des
historiens et des poètes s'efforce de leur
trouver. La vérité, c'est que la vie, celle
des nations comme celle des individus,
se distingue surtout par un manque ab-
solu de logique ; ce n'est point nous qui
commandons aux événements, la consta-
tation est banale. Demandez aux croyants,
ils vous disent : l'homme propose ; Dieu
seul dispose ; demandez au philosophe,
il vous répondra : l'homme propose,
mais les hommes disposent, voulant
montrer par là que la raison individuelle
n'a aucun rapport nécessaire avec la
raison collective et qu'en conséquence il
est impossible de rien préparer, de rien
établir, de rien fonder sur ce qu'on nom-
me l'expérience. A quoi bon la leçon du
passé si en toutes choses l'intervention
divine est nécessaire ? A quoi bon l'en-
seignement de l'histoire s'il est prou-
vé que du moment où les hom-
mes délibèrent en masse, ils ne
prennent plus conseil que de la passion,
de l'intérêt, de l'amour, de la haine, de
tous les sentiments qui sont tout juste
l'antipode de la réflexion?
L'expérience ! Thème excellent aux
spéculations philosophiques, mais c'est
tout ; à défaut d'autres raisons, les étroi-
tes limites où se meut l'intelligence hu-
maine interdiraient à celle-ci les retours
incessants vers le passé. Où sont-ils donc
les hommes assez bien équilibrés du cer-
veau pour être en mesure d'explorer
l'histoire jusque dans ses moindres re-
plis sans s'exposer aux périlleux résul-
tats dont nous n'avons que trop constaté
les effets dans ces derniers temps ; nqus
voulons dire sans éprouver la tentation
de modeler exactement le présent qu'ils
ne comprennent pas sur le passé qu'ils
croient connaître, et réciproquement ?
Ah! si l'expérience ne devait avoir pour
résultat que de rendre les esprits moins
absolus, moins exclusifs, en les amenant,
par la comparaison, à l'éclectisme phi-
losophique, nous proclamerions très-haut
les bienfaits de l'expérience. En sommes-
nous là? Hélas! non.
Dieu me pardonne ! je crois que je
me suis oublié ; il s'agissait tout bon-
nement de la revue de fin d'année qu'il
est d'usage de publier dans les journaux,
et voilà que je me suis laissé entraîner à
des mots longs d'une aune sur l'histoire,
l'expérience, la philosophie, que sais-je
encore ? Mes lecteurs, si j'en ai en ce
jour d'étrennes et de visites, voudront
bien m'excuser. Je reviens à mes mou-
tons.
Nous avons tous d'excellents motifs
pour n'avoir point oublié le menu de
l'année 1872, les crises parlementaires,
les manifestations monarchiques, les pè-
lerinages, l'emprunt, le banquet de
Grenoble et celui de Bordeaux, les pro-
testations républicaines des conseils gé-
néraux, le message présidentiel et tout
ce qui s'en est suivi, les interpellations,
les batailles, et enfin l'armistice avec la
nomination de trente commissaires char-
gés de rédiger les préliminaires de la
paix ;
.Voilà, belle Emilie, à quel point nous en sommes.
Voulez-vous maintenant que nous ti-
rions l'horoscope de mil huit cent
soixante-treize ? Sans prétendre être le
Mathieu Laënsberg de la politique, ni
vouloir influencer Dieu qui « dispose »,
nous pouvons user de la faculté qui nous
est laissée de « proposer. »
Essayons donc :
La commission des trente, qui, régu-
lièrement, devrait être le Deus ex machiné
de la situation, ne nous paraît pas devoir
prendre au sérieux sa mission. Déjà
nous avons expliqué pourquoi, suivant
nous, elle est condamn ée par la force des
choses à l'inaction iorcée. Elle est com-
posée de monarchistes en majorité, et
pour exécuter son mandat à la lettre, il
lui faudrait : 1° reconnaître implicitement
l'existence légale de la République com-
me gouvernement du pays ; 2° mettre au
jour une combinaison quelconque qui,en
fournissant au régime républicain les or-
ganes essentiels à sa conservation, équi-
vaudrait à la consécration officielle de la
politique formulée le 13 novembre der-
nier, par le président de la République
dans son message.
La commission des trente ne fera pas
eela, elle ne peut pas le faire. Mais il
lui est également impossible de l'avouer;
aussi la verrons-nous amuser le tapis
pendant des semaines, pendant dés mois
peut-être ; faisant la coquette avec M.
Thiers, qui, de son côté, fera le galant
avec elle ; mais de résultat, point. Et
si nous n'avons voulu prendre ici aucune
part aux discussions à perte de vue qui
se sont engagées sur cette fameuse ques-
tion des deux Chambres dont la sous-
commission est soi-disant saisie, c'est
tout justement à cause de l'intime con-
viction où nous sommes que, à l'heure
actuelle, ce serait parler pour ne rien
dire.
De ce côté-là, rien à espérer, mais du
côté de la Chambre ? Encore moins. La
commission n'agit que d'après la consi-
gne venue de l'Assemblée ; donc l'As-
semblée ne fera rien de plus que la com-
mission, au point de vue d'une solution
s'entend.
Mais il faut s'attendre à de vives es-
carmouches. L'Assemblée a eu beau re-
pousser la dissolution ; elle sait très-Lien
que la dissolution arrivera, qu'elle est
imminente, qu'elle se verra peut-être
elle-même dans la nécessité de la de-
mander dans six mois ; et c'est en vue
dflPprochaines élections que la majorité
va opérer dans la campagne de 1873.
Donnez-lui le pouvoir, non pas la prési-
dence, mais seulement deux ministères,
l'intérieur et la guerre — en supposant
qu'elle n'ait pas déjà la guerre, — et
soyez convaincus qu'un mois après elle
ira, souriante et pleine d'espoir, consul-
ter le suffrage universel.
Elle, repousser les élections, grand
Dieu ! c'est la juger bien mal : elle les
réclame, au contraire ; mais à la condi-
tion qu'elle les fasse elle-même, avec
des préfets à elle, des gendarmes à elle !
Attendons-nous donc à la voir se battre
en désespérée, pendant la session pro-
chaine, pour arriver à faire main basse
sur l'administration.
Si elle est victorieuse d'ici à trois
mois, on peut compter pour des élec-
tions en juillet; si elle est vaincue.
nous demandons à ne pas pousser
plus loin nos prédictions, car tout dé-
pend de savoir si nous serons en me-
sure, au mois de juillet, d'offrir à la
Prusse les garanties financières qui
achèveraient la rédemption du sol fran-
çais.
Dans tous les cas, on le devine, ceux
qui aiment leur patrie et eeux qui aiment
la République, — nous ne faisons d'ail-
leurs point de différence, — ne peuvent
former qu'un souhait pour 1873, car je
le dis en vérité, l'année qui verra le dé-
départ des Prussiens verra aussi l'éta-
blissement définitif de la République.
SCHNERB.
+ —
LES SOUHAITS DE BONNE ANNÉE
Quand vous lirez ces lignes, l'année
1872 aura, comme dit le poëte, replié ses
ailes dans l'ombre d'une seule nuit.
Peut-être le moment n'est-il pas bien
choisi pour faire sur la solennité de ce
jour quelques réflexions philosophiques.
Ce qui me décide, c'est que je pourrais,
ce matin-là, vous parler de n'importe
quoi, vous ne me liriez pas avec plus
d'attention. Vous seriez tout aux joies
de la famille, aux gros baisers des en-
fants qui vous la souhaitent bonne et
heureuse, et que vous comblez de bon-
bons, en enfonçant vos lèvres dans leurs
joues roses.
Quelques journaux ont pris texte du
31 décembre pour passer en revue les
événements de l'année et les présenter
en raccourci. Je n'ai pas lu sans quelque
mélancolie ces résumés tout pleins de
leçons.
Une remarque qui ne saurait manquer
de frapper les esprits à la suite de cette
lecture, c'est qu'il n'y a guère, au fond,
sous ses dehors de frivolité, de nation
plus passionnée et plus intolérante que
la nôtre. Nous affectons de nous dire les
fils de Voltaire, et nous sommes les plus
intolérants de tous les hommes.
Ce défaut de notre caractère ressort
de toute cette histoire ; il saute aux
yeux et se marque dans tous les inci-
dents de notre vie politique.
Y a-t-il un plus cruel spectacle d'into-
lérance que celui qui nous a été donné,
en cette année de malheur, par les fu-
reurs de la droite ? Notez que, moi, per-
sonnellement, je ne les attaque pas sur
ce qu'ils pensent; je tache, autant que
je puis, de me mettre à leur point de
vue, et je trouve tout naturel que, croyant
certaines idées bonnes, ils cherchent à
les faire triompher.
Mais ont-ils mis dans cette poursuite
assez de parti pris, d'esprit d'excluvi-
cisme et de passion intolérante ! Ils s'i-
maginent que la France ne saurait vivre
tranquille que sous une monarchie, qui
leur donnerait de bonnes places. Il n'y
a pas grand mal à professer cette opinion.
Je ne la crois pas juste; mais elle se
peut soutenir, et ils ont leurs raisons
pour l'appuyer.
Mais ce qui me passe, c'est le fanatis-
me tumultueux et violent dont ils ont
fait preuve en cette circonstance. Quel-
que robuste que puisse être en cette ma-
tière leur entêtement, il est bien diffi-
cile qu'ils ne voient pas clairement que
prétendre rétablir la royauté est une
impossible absurdité ; que toute tentative
en ce sens nous jetterait sur l'heure
dans une '- révolution plus cruelle que,
toutes celles dont nous venons de sor-
tir. Cela crève les yeux des moins clair-
voyants.
Ils s'en rendent compte ; mais la pas-
sion l'emporte. Tel est sur les âmes l'ef-
fet naturel de l'intolérance; elle les
aveugle. Et ces messieurs, à bonne in-
tention, je n'en doute pas, s'en vont en
guerre contre M. Thiers, qu'ils regardent
comme le seul appui sérieux de l'idée
républicaine. -
voilà que des lors tous les services
de M. Thiers sont oubliés. Et ce n'est pas
seulement eux ; un grand nombre d'es-
prits légers les suivent dans cette cam-
pagne. Personne ne se dit plus que M.
Thiers nous a tirés de la ruine, qu'il a
payé la moitié de notre dette, qu'il peut
seul mener à bien cette grande entre-
prise de renvoyer les Prussiens et de
maintenir la paix jusqu'à ce moment.
Non, il suffit que M. Thiers ait déclaré,
ce qui est une vérité de fait, que nous
vivons en ce moment sous la forme ré-
publicaine : le sang bouillonne et pé-
tille, les humeurs s'aigrissent, et la
droite tout entière se range sous l'éten-
dard de M. Batbie.
Qu'y aurait-il pourtant de plus sim-
ple que d'attendre? de voter les impôts?
de faire le mieux qu'on pourrait les trois
ou quatre lois indispensables, sur l'ins-
truction primaire, sur l'armée, sur
la question électorale, et de remettre
à un autre temps des débats qui ne
peuvent à cette heure qu'agiter la nation
et jeter partout le désordre ?
Qu'y aurait-il de plus simple que de se
dire: M. Thiers gouverne, et jusqu'à pré-
sent il a fort bien mené la barque ; il
n'y a plus que quelques mois à at-
tendre pour qu'on ait doublé le
cap de l'évacuation ; remettons nos
discordes jusqu'à cette échéance, Il sera
bien temps alors de voir ce que nous
aurons à résoudre de définitif ; au
moins, si nous nous disputons, ce sera
en famille, entre nous.
Si ces messieurs de la droite avaient
eu le patriotisme de raisonner ainsi, sa-
crifiant l'espoir des ministères et des
places qui en dépendent, nous serions
fort tranquilles et ferions nos affaires,
sans nous soucier de rien. Ce sont eux
qui, par ambition personnelle, par
fanatisme, tranchons le mot, par into-
lérance, ont déchaîné la tempête. C'est
grâce à eux que, depuis trois mois, nous
ne savons jamais, en nous levant le ma-
tin, si notre journal n'enferme pas en
ses plis le récit d'une révolution. Et ce
qu'il y a de plus étrange, c'est qu'ils ont
fait passer dans un certain nombre de
cerveaux cette idée bizarre, inouïe, je
dirai presque saugrenue, qu'ils ne bou-
leversent tout que par goût d'ordre et
de conservation, qu'ils ne veulent cul-
buter ce qui existe que pour mieux as-
surer la paix.
Ils ont inoculé à une faible partie de la
nation le venin de la tarentule qui les a
piqués. C'est comme une contagion d'in-
tolérance.
, Ne croyez pas que, pour cela, je n'ac-
cuse pas aussi l'intolérance de ceux qui
voudraient précipiter les événements, et
fonder dès à présent une certaine Répu-
blique, qu'ils regardent comme la seule
digne de ce nom.
Le fanatisme radical ne me dé-
plaît guère moins que le fanatisme mo-
narchique, et je dirai aux seconds,
comme aux premiers :
— Attendez ! que vous coûte-t-il d'at-
tendre ? Il peut se faire que vous ayez
raison. Mais si en effet vous avez raison,
le temps travaille pour vous. Laissez le
faire.
Le pays est un grand convalescent ;
permettez-lui de sucer paisiblement son
os de poulet, sans lui casser la tête de
toutes vos récriminations et de toutes vos
disputes.
Il ne doit songer qu'à reprendre des
forces ; il y a des affaires pendantes, il
en décidera plus tard. Ce n'est donc
rien que de vivre ! mais toute l'Europe
croyait la France anéantie, morte à tout
jamais ! La voilà qui respire, étend les
bras, remue les jambes, et vous n'êtes
pas contents encore ! Ne l'épuisez pas
d'un coup.
Ce n'est pas certes un conseil à donner
en toute occasion aux peuples de se
laisser vivre. Mais les circonstances sont
exceptionnelles. Vivre est déjà une con-
quête après tant de désastres. C'est quel-
que chose d'inespéré ; n'arrêtez pas le
sang qui recommence à circuler dans ce
grand corps appauvri.
Faites taire vos passions personnelles.
Un peu de tolérance.
On conte que Saint-Paul , devenu
vieux et pouvant à peine parler, disait
aux fidèles réunis pour l'entendre cette
seule parole qui valait tous les sermons :
« Mes enfants, aiméz-vous les uns les
autres. »
Et moi, je dirai de même pour tout
conseil :
« Soyez tolérants, mes amis, les uns
pour les autres. »
Soyez tolérants ! tout est là. Ne croyez
pas que vous avez à vous la seule, uni-
que et irréfragable vérité. Ne poursui-
vez pas avec violence et acharnement
la réalisation de vos idées, sans tenir
compte des objections de l'adversaire ;
sachez faire la part des temps, des hom-
mes et des circonstances.
Je vous souhaite donc, ômes lecteurs !
pour votre année nouvelle, d'être tolé-
rants. Et si parfois nous avons été quel-
quefois emportés par l'esprit de parti
pris, par l'exclusivisme du préjugé, ren-
trons en nous-mêmes, et tâchons de
nous - corriger de ce défaut.
C'est le péché mignon de la nation
française.
Qui sait d'ailleurs ? peut-être est-ce
celui de l'humanité.
FRANCISQUE SARCEY.
————————————— + ,
LA FIN DU REMPLACEMENT
MILITAIRE
Le 1er janvier 1873, le remplacement
militaire est aboli par la loi.
Cette institution défectueuse, qui pou-
vait avoir sa raison d'être à une époque
où le service des armes n'était pas un
devoir obligatoire, n'emporte pas nos re-
grets. Si elle a été avantageuse à un
certain nombre de jeunes gens enchaî-
nés à une profession civile, son in-
fluence s'est montrée malfaisante dans
l'armée.
Il existait une catégorie de bons rem-
plaçants, c'étaient les soldats admis à
remplacer dans leur dernière année de
service par les chefs de corps, et dont il
avait été permis d'éprouver le courage
et la moralité. Ceux-là offraient des ga-
ranties, jusqu'au moment toutefois où
beaucoup se laissaient entraîner à Fin-
conduite par les grosses sommes dont ils
disposaient. Mais il n'y avait pas de bons
résultats à attendre de cette cargaison de
chair humaine entassée chez les mar-
chands d'hommes et que la conscience
publique flétrissait du nom de vendus.
Il en était cependant parmi eux qui se
sacrifiaient pour venir en aide à leurs fa-
milles et qui présentaient d'honnêtes
exceptions. -
Les autres devenaient la clientèle la
plus abondante des compagnies de disci-
pline et des conseils de guerre. Ils se
composaient d'hommes encere jeunes,
mais étrangers aux nobles sentiments et
qui n'avaient pu réussir dans aucun mé-
tier. Inhabiles à atteindre la fortune par
leur travail, ils se hâtaient de la saisir
quand elle se présentait comme une
proie facile, afin de donner un libre cours
aux plus tristes passions.
Ceux qui ont vécu dans l'armée, à
l'époque où florissait le remplacement,
non encore mitigé par les règles de
l'exonération, ont été les témoins indi-
gnés du scandale perpétuel offert à nos
jeunes soldats par ces hommes qui,
pour de l'argent, je ne dirais pas ser-
vaient, mais prenaient la place d'un
autre sous les drapeaux. Indifférents à
l'honneur de porter l'uniforme, ils enri-
chissaient les cantines, les cabarets ou
d'autres maisons moins avouables, et
quand ils avaient usé leur dernier sou à
1 orgie du plaisir, on ne trouvait plus
en eux que des suiets en révolte contre
la discipline ou contre la société.
Il existait une spéculation fréquente
chez ces êtres viciés de bonne heure,
c'était la fuite à l'étranger, quand, à la
fin de la période de responsabilité, du
remplacé ils touchaient la plus forte part
de la - somme affectée au marché. Ils
n'ignoraient pas qu'au - delà des fron-
tières, la désertion n'est pas un délit
qui entraine l'extradition. Combien existe-
t-il chez les nations voisines de ces dé-
classés qu'a perdus le remplacement !
Nous ne serions pas revenu sur ce
thème si débattu, si nous n'avions à si-
gnaler le trafic humain qui s'est produit
dans les derniers mois de l'annee 1872,
grâce à la tolérance de la loi du 27 juil-
let dernier. Du jour où le service mili-
taire était déclaré obligatoire, il n'y
avait pas, selon nous, de motif plausible
d'excepter de ce devoir la classe de 1871
et de continuer ainsi le spectacle hideux
du remplacement.
Les marchands d'hommes se sont crus
aux plus beaux jours de leur peu hono-
rable industrie, et leur exploitation s'est
faite sur une échelle qui prouve malheu-
reusement que les idées généreuses de
sacrifice et d'abnégation qui sauvent une
nation n'ont pas encore suffisamment
pénétré la jeunesse de notre pays.
- On a vu des jeunes gens des classes
postérieures à celle de 1871, c'est-à-dire
n'ayant pas vingt ans, contracter des en-
gagements volontaires pour se faire
remplacer et se soustraire ainsi à une
obligation devenue sacrée. Le ministre
de la guerre a été obligé de faire pa..
raître une circulaire pour interdire ce
coupable expédient, dont quelques-uns
sont devenus les dupes en restant au ser-
vice malgré eux.
Ce qui vient à l'appui de cette vérité
énoncee plus haut, c'est l'empressement
avec lequel se sont fait inscrire les vo-
lontaires d'un an et leur retraite préci-
pitée devant la prestation de 1,500 fr.
exigée par l'administration. On dit qu'un
huitième seulement des candidats s'est
présenté aux examens. Il eût été trop
commode en effet que, SQUS prétexte d'é-
tudier le commerce, des jeunesgensforts
et vigoureux fussent restés dans leurs
magasins à l'abri du service de cinq ans.
Nous n'ignorons pas que dans beau-
coup de familles ce versement de 1,500 fr.
a été déclaré exhorbitant. C'est une er-
reur de leur part. Puisque nous emprun-
tons le volontariat aux institutions alle-
mandes, il faut qne l'on sache qu'en
Prusse, non-seulement le volontaire
s'habille, s'équipe, sa monte et M
nourrit à ses frais, mais encore qu'il
subvient à la nourriture de son cheval,
Le sacrifice n'est donc pas plus onéreux
dans un pays que dans l'autre.
Ce volontariat est du reste la seule
concession de la loi qui se rapproche de
l'exonération, et encore cette faveur ne
concernera-t-elle que des jeunes gens
instruits, et dans une période de paix
seulement.
Quant au remplacement, il est mort à
tout jamais, et nous ne ménagerons pas
l'éloge à une législation qai fait dispa-
raître de nos régiments une cause de
scandale et d'immoralité, des conseils de
guerre leurs justiciables les plus habi-
tuels et de nos mœurs un négoce d'une
honorabilité douteuse.
DE Ti ioissty.
»
INFORMATIONS
Le gouverneur de Paris, général de
Ladmirault, devant assister aujourd'hui
aux réceptions de M. le président de la
République à Versailles, a recu hier dans
l'après-midi, au Louvre, les généraux et
officiers de tous grades de l'armée de
Paris.
On croit de plus en plus à Calais que
M. Thiers se rendra dans cette ville pour
assister aux expériences de tir.
Ce serait entre le 8 et le 12 janvier que
M. le président de la République effectue-
rait ce voyage. 1
C'est à tort qu'on. a annoncé la prochaine
arrivée à Paris de M. le marquis de Ban-
neville, ambassadeur de France à Vienne,
en rattachant son voyage à l'incident Gra-
mont. M. de Banneville n'a pas quitté
son poste.
Il doit être dressé un procès-verbal de
la dernière entrevue de la commission des
trente avec * M. Thiers qui fera connaître
comment les choses se sont passées. Ce
procès-verbal sera communiqué d'abord à
la commission des trente, réunis en séance
à cet effet, puis à M. Thiers ; ce ne sera
qu'après que le président l'aura vu qu'il
sera livré à la publicité.
M. de Corcelle, à son arrivée à Rome,
est descendu chez Mgr de Mérode.
Un nouveau dîner aura lieu chez lord
Lyons le mardi 7 janvier. M. de Rémusat
y assistera.
Le mouvement qui se prépare au minis-
tère de l'intérieur n'entraînerait, paraît-il,
le changement ou l'éloignement que de
deux ou trois préfets. Il y aurait au con-
traire des modifications très-considérables
dans le personnel des sous-préfets.
- i
D'après le bulletin publié hier, à 3 h.
de l'après-midi, le prince héritier de Rus-
sie a dormi six heures la nuit dernière.
La fièvre a diminué un peu sur le matin.
L'état général du prince est relativement
satisfaisant.
Le dîner offert lundi par M. le président
de la République aux généraux de l'armée
de Paris et de Versailles réunissait qua-
rante invités.
A la réception du soir, on remarquait
les ministres, le préfet de la Seine, le pré-
fet de police, plusieurs membres du corps
diplomatique, des députés et un grand
nombre d'officiers de toutes armes, des
Américains des Anglais de distinction.
L'ambassade birmane était au complet.
Au ministère des affaires étrangères, M.
de Rémusat donnait à dîner aux membres
du corps diplomatique et à différents per-
sonnages marquants dans le monde otft.
ciel.
Les convives, au nombre de cinquante
étaient les ambassadeurs et secrétaires
d'ambassade, les chefs de légation et le
personnel de l'ambassade japonaise.
Le soir, il y a ou réception, qui a été fort
brillante et à laquelle sont venus les mi-
nistres, des44putés, des généraux, les en-
voyés birmans.
- *
u.;
M. Gratiot Washburn, fils du mimatfe
des Etats-Unis à Paris, vient d'être nom-
mé secrétaire de légation. Il doit rempla-
cer à Paris M. Frank Moore.
M. Stumm, chargé d'affaires d'Allema-
gne auprès du Vatican, est parti brusque-
ment hier. 1
La veille, il avait fait savoir au eardinal
Antonini qu'il venait de recevoir l'ordre de
Antonini
prendre un congé illimité.
Ce départ se rattache à la dernière allé*
cution prononcée par le pape et dans W.
quelle l'Allemagne- et son gouvernement
n'étaient pas ménagés.
Le gouvernement prussien a fait savoir
à tous les journaux allemands et polonaif
de la province de Posen que la reproduc-
tion du passage de l'allocution du pape
concernant l'Allemagne amènerait immé-
diatement leur confiscation.
La Gazette de UAllemagne orientale publie
néanmoins le passage en question, en
déclarant qu'elle se laisse guider par son
opinion et non pas par la police.
- .E,'j
Le prince de Monaco, qui était :1i!\
passer quelques jours en France, vient do
PBa DU NCMÉBO : PARIS 15 UMTUIBS — DÈPARTËMKim 20 GENTIMBI.
Jeudi 2 janvier 1873.
E
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
2» rue Drouot, 2
£e& manuscrits non insérés seront rendus
ABONNEMENTS
PARIS
trois mois.«..« 13 fr.
Six mois. 25
Un an~t~ 50
ADMINISTRATION
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
2. rue Drouot. 2
Les lettres non affranchies seront refusées
ABONNEMENTS -.-,
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
DÉPARTEMENTS
Trois mois 16 fr.
Six mois. 32
Un an 62
ADDOIICH, chez MM. LAGRANGE, CERF et O
6, place de la Bonne, 8
PARIS
Trois mois « 13 fr.
Six mois. 25
Un an. 50
DÉPARTEMENTS :
Trois mois. 16 fr.
Six mois .é 32
Un an. 62 1
Annonce*, chez MM. LAGRANGE, CERF et C*
6, place de la Bourse, 6
JOURNÉE POLITIQUE
Pari,. le 1er janvier 4875.
C'est sur Rome toujours que les yeux
sont fixés. De la mission de M. de Cor-
celle, il n'est pas venu de nouvelles encore.
Divers journaux répètent depuis hier que
l'on doit voir en M. de Corcelle le rempla-
çant authentique et définitif de M. le comte
de Bourgoing. Ils se trompent. M. de Cor-
celle, ami personnel de Pie IX, n'a été
envoyé au Vatican que pour savoir ce qui
s'y est passé en rendre compte au gou-
vernement et calmer aussi, s'il le peut,
l'état d'agitation où est le pape. Au minis-
tère des affaires étrangères, on n'a pu
d'abord rien comprendre à la démission de
M. de Bourgoing; on s'est même demandé
si ce diplomate n'avait pas agi sous l'in-
fluence de quelque maladie, de quelque
accès de fièvre, de quelque désordre d'es-
prit, tant on a trouvé d'incohérence dans
son langage et dans ses actes ! C'est alors
que M. de Corcelle est parti, sans qu'on
lui ait donné ni qu'il ait accepté un titre
quelconque.
Il paraît en outre que M. de Corcelle, tout
catholique et tout ami du pape qu'il puisse
être, reconnaît maintenant que la pruden-
ce et la nécessité nous interdiraient, en
ce qui touche Rome et l'Italie, de suivre
les avis de la politique cléricale, lors mê-
me que le gouvernement y pencherait par
principe ou par goût. On nous affirme donc
que sur la politique française à Rome, M.
de Corcelle s'est mis absolument d'accord,
ou peu s'en faut, avec M. Thiers et M. de
Rémusat. C'est dans cet esprit qu'il est allé
trouver Pie IX. Non-seulement sa mis-
sion est extraordinaire et temporaire, mais
elle n'affecte aucun caractère public. Il ne
s'agit pas, comme on voit, d'ambassade, et
il n'en saurait être question, au plus tôt,
que lorsque M. de Corcelle aura rendu
compte de son voyage et de ses entre-
vues.
Voilà ce que l'on sait. Le gouvernement
n'a pris, en somme, aucune décision jus-
qu'à ce jour, ni sur le choix d'un ambassa-
deur, ni sur la conservation de l'ambas-
sade. S'il est sage, il se bornera à mainte-
nir à poste fixe auprès de Pie IX un agent
secondaire ou, comme dit le Journal des Dé-
bats, un négociateur des affaires ecclésias-
tiques. En attendant, nous comprenons fort
bien que le sentiment de convenances dé-
licates, le désir de ne rien irriter, et aussi
certaines raisons qu'on pourrait qualifier
de parlementaires, lui aient suggéré l'idée
d'une démarche qui, sans engager l'ave-
nir, doit être agréable à Pie IX en même
temps qu'elle peut satisfaire la portion rai-
sonnable et modérée du catholicisme fran-
çais. En ces temps difficiles, les tempéra-
ments et les concessions de forme sont
devenus le fond de la politique de M.
Thiers ; nous ne les lui reprocherons pas,
puisqu'il en vit, et nous savons d'ailleurs
qu'il est trop bon Français et trop homme
d'Etat pour rien sacrifier aux prétentions
de l'ultramontanisme.
Ne quittons pas Rome sans parler d'un
nouvel incident que l'on y commente à grand
bruit. Nous avons dit souvent, nous répé-
tions hier encore à quel point le gouver-
nement allemand était irrité des attaques
dirigées contre l'empereur Guillaume et ses
ministres dans un long passage de l'allo-
cution pontificale du 23 décembre. Tous
les journaux allemands ont été prévenus
que la reproduction de ce discours serait
punie de confiscation. M. de Bismarck a
fait plus ; il a envoyé l'ordre à son chargé
d'affaires auprès du Vatican, le lieutenant
Stumm, de prendre un congé illimité et
de quitter Rome sans retard. M. de Bis-
marck a été obéi dès hier. La rupture,
cette fois, est complète. Il sera curieux d'en
observer l'effet sur les catholiques d'Alle-
magne.
Le pape, cependant, fait toujours des ha-
rangues qui surpassent en traits imprévus
tout ce qui se pourrait imaginer. Hier, re-
cevant quelques nobles Romains, il leur a
dit « que l'aristocratie et le clergé étaient
les deux appuis des trônes : que les trônes
soutenus par les classes inférieures sont
très-faibles et ne résistent pas au choc; en-
fin que Jésus même a aimé l'aristocratie
et qu'il a voulu naître noble. » Voilà donc,
successeur de Pierre, ce que vous trouvez
dans l'Evangile ? et voilà ce qu'est devenu
le vieux christianisme après dix-aeuf siè-
cles ?
Une dépêche particulière annonce à
l'Union que, le 31 décembre, S. A. R. l'in-
fant don Alphonse de Bourbon, frère du
duc de Madrid, a pris le commandement
des forces carlistes en Catalogne.
Cette Altesse royale est bien révolution-
naire, et nous serions heureux que V Union
nous expliquât la différence qu'il convient
d'établir entre des insurgés parisiens, par
exemple, et des insurgés espagi, ols. Nous ne
pouvons, en effet, parvenir à trouver ce
qui distingue un chef de carlistes, fût-il
infant, d'un général de fédérés quelcon-
que. Don Alphonse absout-il Rosjel ? ou
bien Rossel doit-il faire condamner don
Alphonse ?
BUG. LIÉBBW.
MIL HUIT CENT SOIXANTE-TREIZE
Hé! oui, c'est entendu; nous connais-
sons le bilan de l'année rageuse qui vient
de finir, et qui succédait à l'année ter-
rible. A quoi bon additionner les crises
qui ont marqué tous les mois pendant
lesquels il eût été permis d'espérer au
contraire que nos représentants travaille-
raient à nous faire le présent moins dur et
l'avenir plus calme? Nous avons peu de
goût pour ces excursions rétrospectives
a travers les vieux calendriers. Tâchons
d'oublier le passé; on y trouve rarement
une consolation ou une espérance, ja-
mais un enseignement. Ceux qui disent
le contraire sont les premiers à n'en pas
croire un mot, et d'ailleurs il faut avouer
que si ce qu'on appelle l'expérience n'é-
tait pas un mot vide de sens, rien ne
serait moins flatteur pour l'humanité,
car Dieu sait si elle se conduit avec la
sagesse qu'auraient dû lui donner trente
ou quarante siècles passés !
La chaîne des temps, comme on dit,
est composée d'une infinité de chatnons
qui le plus souvent n'ont de rapports
mutuels que ceux que l'imagination des
historiens et des poètes s'efforce de leur
trouver. La vérité, c'est que la vie, celle
des nations comme celle des individus,
se distingue surtout par un manque ab-
solu de logique ; ce n'est point nous qui
commandons aux événements, la consta-
tation est banale. Demandez aux croyants,
ils vous disent : l'homme propose ; Dieu
seul dispose ; demandez au philosophe,
il vous répondra : l'homme propose,
mais les hommes disposent, voulant
montrer par là que la raison individuelle
n'a aucun rapport nécessaire avec la
raison collective et qu'en conséquence il
est impossible de rien préparer, de rien
établir, de rien fonder sur ce qu'on nom-
me l'expérience. A quoi bon la leçon du
passé si en toutes choses l'intervention
divine est nécessaire ? A quoi bon l'en-
seignement de l'histoire s'il est prou-
vé que du moment où les hom-
mes délibèrent en masse, ils ne
prennent plus conseil que de la passion,
de l'intérêt, de l'amour, de la haine, de
tous les sentiments qui sont tout juste
l'antipode de la réflexion?
L'expérience ! Thème excellent aux
spéculations philosophiques, mais c'est
tout ; à défaut d'autres raisons, les étroi-
tes limites où se meut l'intelligence hu-
maine interdiraient à celle-ci les retours
incessants vers le passé. Où sont-ils donc
les hommes assez bien équilibrés du cer-
veau pour être en mesure d'explorer
l'histoire jusque dans ses moindres re-
plis sans s'exposer aux périlleux résul-
tats dont nous n'avons que trop constaté
les effets dans ces derniers temps ; nqus
voulons dire sans éprouver la tentation
de modeler exactement le présent qu'ils
ne comprennent pas sur le passé qu'ils
croient connaître, et réciproquement ?
Ah! si l'expérience ne devait avoir pour
résultat que de rendre les esprits moins
absolus, moins exclusifs, en les amenant,
par la comparaison, à l'éclectisme phi-
losophique, nous proclamerions très-haut
les bienfaits de l'expérience. En sommes-
nous là? Hélas! non.
Dieu me pardonne ! je crois que je
me suis oublié ; il s'agissait tout bon-
nement de la revue de fin d'année qu'il
est d'usage de publier dans les journaux,
et voilà que je me suis laissé entraîner à
des mots longs d'une aune sur l'histoire,
l'expérience, la philosophie, que sais-je
encore ? Mes lecteurs, si j'en ai en ce
jour d'étrennes et de visites, voudront
bien m'excuser. Je reviens à mes mou-
tons.
Nous avons tous d'excellents motifs
pour n'avoir point oublié le menu de
l'année 1872, les crises parlementaires,
les manifestations monarchiques, les pè-
lerinages, l'emprunt, le banquet de
Grenoble et celui de Bordeaux, les pro-
testations républicaines des conseils gé-
néraux, le message présidentiel et tout
ce qui s'en est suivi, les interpellations,
les batailles, et enfin l'armistice avec la
nomination de trente commissaires char-
gés de rédiger les préliminaires de la
paix ;
.Voilà, belle Emilie, à quel point nous en sommes.
Voulez-vous maintenant que nous ti-
rions l'horoscope de mil huit cent
soixante-treize ? Sans prétendre être le
Mathieu Laënsberg de la politique, ni
vouloir influencer Dieu qui « dispose »,
nous pouvons user de la faculté qui nous
est laissée de « proposer. »
Essayons donc :
La commission des trente, qui, régu-
lièrement, devrait être le Deus ex machiné
de la situation, ne nous paraît pas devoir
prendre au sérieux sa mission. Déjà
nous avons expliqué pourquoi, suivant
nous, elle est condamn ée par la force des
choses à l'inaction iorcée. Elle est com-
posée de monarchistes en majorité, et
pour exécuter son mandat à la lettre, il
lui faudrait : 1° reconnaître implicitement
l'existence légale de la République com-
me gouvernement du pays ; 2° mettre au
jour une combinaison quelconque qui,en
fournissant au régime républicain les or-
ganes essentiels à sa conservation, équi-
vaudrait à la consécration officielle de la
politique formulée le 13 novembre der-
nier, par le président de la République
dans son message.
La commission des trente ne fera pas
eela, elle ne peut pas le faire. Mais il
lui est également impossible de l'avouer;
aussi la verrons-nous amuser le tapis
pendant des semaines, pendant dés mois
peut-être ; faisant la coquette avec M.
Thiers, qui, de son côté, fera le galant
avec elle ; mais de résultat, point. Et
si nous n'avons voulu prendre ici aucune
part aux discussions à perte de vue qui
se sont engagées sur cette fameuse ques-
tion des deux Chambres dont la sous-
commission est soi-disant saisie, c'est
tout justement à cause de l'intime con-
viction où nous sommes que, à l'heure
actuelle, ce serait parler pour ne rien
dire.
De ce côté-là, rien à espérer, mais du
côté de la Chambre ? Encore moins. La
commission n'agit que d'après la consi-
gne venue de l'Assemblée ; donc l'As-
semblée ne fera rien de plus que la com-
mission, au point de vue d'une solution
s'entend.
Mais il faut s'attendre à de vives es-
carmouches. L'Assemblée a eu beau re-
pousser la dissolution ; elle sait très-Lien
que la dissolution arrivera, qu'elle est
imminente, qu'elle se verra peut-être
elle-même dans la nécessité de la de-
mander dans six mois ; et c'est en vue
dflPprochaines élections que la majorité
va opérer dans la campagne de 1873.
Donnez-lui le pouvoir, non pas la prési-
dence, mais seulement deux ministères,
l'intérieur et la guerre — en supposant
qu'elle n'ait pas déjà la guerre, — et
soyez convaincus qu'un mois après elle
ira, souriante et pleine d'espoir, consul-
ter le suffrage universel.
Elle, repousser les élections, grand
Dieu ! c'est la juger bien mal : elle les
réclame, au contraire ; mais à la condi-
tion qu'elle les fasse elle-même, avec
des préfets à elle, des gendarmes à elle !
Attendons-nous donc à la voir se battre
en désespérée, pendant la session pro-
chaine, pour arriver à faire main basse
sur l'administration.
Si elle est victorieuse d'ici à trois
mois, on peut compter pour des élec-
tions en juillet; si elle est vaincue.
nous demandons à ne pas pousser
plus loin nos prédictions, car tout dé-
pend de savoir si nous serons en me-
sure, au mois de juillet, d'offrir à la
Prusse les garanties financières qui
achèveraient la rédemption du sol fran-
çais.
Dans tous les cas, on le devine, ceux
qui aiment leur patrie et eeux qui aiment
la République, — nous ne faisons d'ail-
leurs point de différence, — ne peuvent
former qu'un souhait pour 1873, car je
le dis en vérité, l'année qui verra le dé-
départ des Prussiens verra aussi l'éta-
blissement définitif de la République.
SCHNERB.
+ —
LES SOUHAITS DE BONNE ANNÉE
Quand vous lirez ces lignes, l'année
1872 aura, comme dit le poëte, replié ses
ailes dans l'ombre d'une seule nuit.
Peut-être le moment n'est-il pas bien
choisi pour faire sur la solennité de ce
jour quelques réflexions philosophiques.
Ce qui me décide, c'est que je pourrais,
ce matin-là, vous parler de n'importe
quoi, vous ne me liriez pas avec plus
d'attention. Vous seriez tout aux joies
de la famille, aux gros baisers des en-
fants qui vous la souhaitent bonne et
heureuse, et que vous comblez de bon-
bons, en enfonçant vos lèvres dans leurs
joues roses.
Quelques journaux ont pris texte du
31 décembre pour passer en revue les
événements de l'année et les présenter
en raccourci. Je n'ai pas lu sans quelque
mélancolie ces résumés tout pleins de
leçons.
Une remarque qui ne saurait manquer
de frapper les esprits à la suite de cette
lecture, c'est qu'il n'y a guère, au fond,
sous ses dehors de frivolité, de nation
plus passionnée et plus intolérante que
la nôtre. Nous affectons de nous dire les
fils de Voltaire, et nous sommes les plus
intolérants de tous les hommes.
Ce défaut de notre caractère ressort
de toute cette histoire ; il saute aux
yeux et se marque dans tous les inci-
dents de notre vie politique.
Y a-t-il un plus cruel spectacle d'into-
lérance que celui qui nous a été donné,
en cette année de malheur, par les fu-
reurs de la droite ? Notez que, moi, per-
sonnellement, je ne les attaque pas sur
ce qu'ils pensent; je tache, autant que
je puis, de me mettre à leur point de
vue, et je trouve tout naturel que, croyant
certaines idées bonnes, ils cherchent à
les faire triompher.
Mais ont-ils mis dans cette poursuite
assez de parti pris, d'esprit d'excluvi-
cisme et de passion intolérante ! Ils s'i-
maginent que la France ne saurait vivre
tranquille que sous une monarchie, qui
leur donnerait de bonnes places. Il n'y
a pas grand mal à professer cette opinion.
Je ne la crois pas juste; mais elle se
peut soutenir, et ils ont leurs raisons
pour l'appuyer.
Mais ce qui me passe, c'est le fanatis-
me tumultueux et violent dont ils ont
fait preuve en cette circonstance. Quel-
que robuste que puisse être en cette ma-
tière leur entêtement, il est bien diffi-
cile qu'ils ne voient pas clairement que
prétendre rétablir la royauté est une
impossible absurdité ; que toute tentative
en ce sens nous jetterait sur l'heure
dans une '- révolution plus cruelle que,
toutes celles dont nous venons de sor-
tir. Cela crève les yeux des moins clair-
voyants.
Ils s'en rendent compte ; mais la pas-
sion l'emporte. Tel est sur les âmes l'ef-
fet naturel de l'intolérance; elle les
aveugle. Et ces messieurs, à bonne in-
tention, je n'en doute pas, s'en vont en
guerre contre M. Thiers, qu'ils regardent
comme le seul appui sérieux de l'idée
républicaine. -
voilà que des lors tous les services
de M. Thiers sont oubliés. Et ce n'est pas
seulement eux ; un grand nombre d'es-
prits légers les suivent dans cette cam-
pagne. Personne ne se dit plus que M.
Thiers nous a tirés de la ruine, qu'il a
payé la moitié de notre dette, qu'il peut
seul mener à bien cette grande entre-
prise de renvoyer les Prussiens et de
maintenir la paix jusqu'à ce moment.
Non, il suffit que M. Thiers ait déclaré,
ce qui est une vérité de fait, que nous
vivons en ce moment sous la forme ré-
publicaine : le sang bouillonne et pé-
tille, les humeurs s'aigrissent, et la
droite tout entière se range sous l'éten-
dard de M. Batbie.
Qu'y aurait-il pourtant de plus sim-
ple que d'attendre? de voter les impôts?
de faire le mieux qu'on pourrait les trois
ou quatre lois indispensables, sur l'ins-
truction primaire, sur l'armée, sur
la question électorale, et de remettre
à un autre temps des débats qui ne
peuvent à cette heure qu'agiter la nation
et jeter partout le désordre ?
Qu'y aurait-il de plus simple que de se
dire: M. Thiers gouverne, et jusqu'à pré-
sent il a fort bien mené la barque ; il
n'y a plus que quelques mois à at-
tendre pour qu'on ait doublé le
cap de l'évacuation ; remettons nos
discordes jusqu'à cette échéance, Il sera
bien temps alors de voir ce que nous
aurons à résoudre de définitif ; au
moins, si nous nous disputons, ce sera
en famille, entre nous.
Si ces messieurs de la droite avaient
eu le patriotisme de raisonner ainsi, sa-
crifiant l'espoir des ministères et des
places qui en dépendent, nous serions
fort tranquilles et ferions nos affaires,
sans nous soucier de rien. Ce sont eux
qui, par ambition personnelle, par
fanatisme, tranchons le mot, par into-
lérance, ont déchaîné la tempête. C'est
grâce à eux que, depuis trois mois, nous
ne savons jamais, en nous levant le ma-
tin, si notre journal n'enferme pas en
ses plis le récit d'une révolution. Et ce
qu'il y a de plus étrange, c'est qu'ils ont
fait passer dans un certain nombre de
cerveaux cette idée bizarre, inouïe, je
dirai presque saugrenue, qu'ils ne bou-
leversent tout que par goût d'ordre et
de conservation, qu'ils ne veulent cul-
buter ce qui existe que pour mieux as-
surer la paix.
Ils ont inoculé à une faible partie de la
nation le venin de la tarentule qui les a
piqués. C'est comme une contagion d'in-
tolérance.
, Ne croyez pas que, pour cela, je n'ac-
cuse pas aussi l'intolérance de ceux qui
voudraient précipiter les événements, et
fonder dès à présent une certaine Répu-
blique, qu'ils regardent comme la seule
digne de ce nom.
Le fanatisme radical ne me dé-
plaît guère moins que le fanatisme mo-
narchique, et je dirai aux seconds,
comme aux premiers :
— Attendez ! que vous coûte-t-il d'at-
tendre ? Il peut se faire que vous ayez
raison. Mais si en effet vous avez raison,
le temps travaille pour vous. Laissez le
faire.
Le pays est un grand convalescent ;
permettez-lui de sucer paisiblement son
os de poulet, sans lui casser la tête de
toutes vos récriminations et de toutes vos
disputes.
Il ne doit songer qu'à reprendre des
forces ; il y a des affaires pendantes, il
en décidera plus tard. Ce n'est donc
rien que de vivre ! mais toute l'Europe
croyait la France anéantie, morte à tout
jamais ! La voilà qui respire, étend les
bras, remue les jambes, et vous n'êtes
pas contents encore ! Ne l'épuisez pas
d'un coup.
Ce n'est pas certes un conseil à donner
en toute occasion aux peuples de se
laisser vivre. Mais les circonstances sont
exceptionnelles. Vivre est déjà une con-
quête après tant de désastres. C'est quel-
que chose d'inespéré ; n'arrêtez pas le
sang qui recommence à circuler dans ce
grand corps appauvri.
Faites taire vos passions personnelles.
Un peu de tolérance.
On conte que Saint-Paul , devenu
vieux et pouvant à peine parler, disait
aux fidèles réunis pour l'entendre cette
seule parole qui valait tous les sermons :
« Mes enfants, aiméz-vous les uns les
autres. »
Et moi, je dirai de même pour tout
conseil :
« Soyez tolérants, mes amis, les uns
pour les autres. »
Soyez tolérants ! tout est là. Ne croyez
pas que vous avez à vous la seule, uni-
que et irréfragable vérité. Ne poursui-
vez pas avec violence et acharnement
la réalisation de vos idées, sans tenir
compte des objections de l'adversaire ;
sachez faire la part des temps, des hom-
mes et des circonstances.
Je vous souhaite donc, ômes lecteurs !
pour votre année nouvelle, d'être tolé-
rants. Et si parfois nous avons été quel-
quefois emportés par l'esprit de parti
pris, par l'exclusivisme du préjugé, ren-
trons en nous-mêmes, et tâchons de
nous - corriger de ce défaut.
C'est le péché mignon de la nation
française.
Qui sait d'ailleurs ? peut-être est-ce
celui de l'humanité.
FRANCISQUE SARCEY.
————————————— + ,
LA FIN DU REMPLACEMENT
MILITAIRE
Le 1er janvier 1873, le remplacement
militaire est aboli par la loi.
Cette institution défectueuse, qui pou-
vait avoir sa raison d'être à une époque
où le service des armes n'était pas un
devoir obligatoire, n'emporte pas nos re-
grets. Si elle a été avantageuse à un
certain nombre de jeunes gens enchaî-
nés à une profession civile, son in-
fluence s'est montrée malfaisante dans
l'armée.
Il existait une catégorie de bons rem-
plaçants, c'étaient les soldats admis à
remplacer dans leur dernière année de
service par les chefs de corps, et dont il
avait été permis d'éprouver le courage
et la moralité. Ceux-là offraient des ga-
ranties, jusqu'au moment toutefois où
beaucoup se laissaient entraîner à Fin-
conduite par les grosses sommes dont ils
disposaient. Mais il n'y avait pas de bons
résultats à attendre de cette cargaison de
chair humaine entassée chez les mar-
chands d'hommes et que la conscience
publique flétrissait du nom de vendus.
Il en était cependant parmi eux qui se
sacrifiaient pour venir en aide à leurs fa-
milles et qui présentaient d'honnêtes
exceptions. -
Les autres devenaient la clientèle la
plus abondante des compagnies de disci-
pline et des conseils de guerre. Ils se
composaient d'hommes encere jeunes,
mais étrangers aux nobles sentiments et
qui n'avaient pu réussir dans aucun mé-
tier. Inhabiles à atteindre la fortune par
leur travail, ils se hâtaient de la saisir
quand elle se présentait comme une
proie facile, afin de donner un libre cours
aux plus tristes passions.
Ceux qui ont vécu dans l'armée, à
l'époque où florissait le remplacement,
non encore mitigé par les règles de
l'exonération, ont été les témoins indi-
gnés du scandale perpétuel offert à nos
jeunes soldats par ces hommes qui,
pour de l'argent, je ne dirais pas ser-
vaient, mais prenaient la place d'un
autre sous les drapeaux. Indifférents à
l'honneur de porter l'uniforme, ils enri-
chissaient les cantines, les cabarets ou
d'autres maisons moins avouables, et
quand ils avaient usé leur dernier sou à
1 orgie du plaisir, on ne trouvait plus
en eux que des suiets en révolte contre
la discipline ou contre la société.
Il existait une spéculation fréquente
chez ces êtres viciés de bonne heure,
c'était la fuite à l'étranger, quand, à la
fin de la période de responsabilité, du
remplacé ils touchaient la plus forte part
de la - somme affectée au marché. Ils
n'ignoraient pas qu'au - delà des fron-
tières, la désertion n'est pas un délit
qui entraine l'extradition. Combien existe-
t-il chez les nations voisines de ces dé-
classés qu'a perdus le remplacement !
Nous ne serions pas revenu sur ce
thème si débattu, si nous n'avions à si-
gnaler le trafic humain qui s'est produit
dans les derniers mois de l'annee 1872,
grâce à la tolérance de la loi du 27 juil-
let dernier. Du jour où le service mili-
taire était déclaré obligatoire, il n'y
avait pas, selon nous, de motif plausible
d'excepter de ce devoir la classe de 1871
et de continuer ainsi le spectacle hideux
du remplacement.
Les marchands d'hommes se sont crus
aux plus beaux jours de leur peu hono-
rable industrie, et leur exploitation s'est
faite sur une échelle qui prouve malheu-
reusement que les idées généreuses de
sacrifice et d'abnégation qui sauvent une
nation n'ont pas encore suffisamment
pénétré la jeunesse de notre pays.
- On a vu des jeunes gens des classes
postérieures à celle de 1871, c'est-à-dire
n'ayant pas vingt ans, contracter des en-
gagements volontaires pour se faire
remplacer et se soustraire ainsi à une
obligation devenue sacrée. Le ministre
de la guerre a été obligé de faire pa..
raître une circulaire pour interdire ce
coupable expédient, dont quelques-uns
sont devenus les dupes en restant au ser-
vice malgré eux.
Ce qui vient à l'appui de cette vérité
énoncee plus haut, c'est l'empressement
avec lequel se sont fait inscrire les vo-
lontaires d'un an et leur retraite préci-
pitée devant la prestation de 1,500 fr.
exigée par l'administration. On dit qu'un
huitième seulement des candidats s'est
présenté aux examens. Il eût été trop
commode en effet que, SQUS prétexte d'é-
tudier le commerce, des jeunesgensforts
et vigoureux fussent restés dans leurs
magasins à l'abri du service de cinq ans.
Nous n'ignorons pas que dans beau-
coup de familles ce versement de 1,500 fr.
a été déclaré exhorbitant. C'est une er-
reur de leur part. Puisque nous emprun-
tons le volontariat aux institutions alle-
mandes, il faut qne l'on sache qu'en
Prusse, non-seulement le volontaire
s'habille, s'équipe, sa monte et M
nourrit à ses frais, mais encore qu'il
subvient à la nourriture de son cheval,
Le sacrifice n'est donc pas plus onéreux
dans un pays que dans l'autre.
Ce volontariat est du reste la seule
concession de la loi qui se rapproche de
l'exonération, et encore cette faveur ne
concernera-t-elle que des jeunes gens
instruits, et dans une période de paix
seulement.
Quant au remplacement, il est mort à
tout jamais, et nous ne ménagerons pas
l'éloge à une législation qai fait dispa-
raître de nos régiments une cause de
scandale et d'immoralité, des conseils de
guerre leurs justiciables les plus habi-
tuels et de nos mœurs un négoce d'une
honorabilité douteuse.
DE Ti ioissty.
»
INFORMATIONS
Le gouverneur de Paris, général de
Ladmirault, devant assister aujourd'hui
aux réceptions de M. le président de la
République à Versailles, a recu hier dans
l'après-midi, au Louvre, les généraux et
officiers de tous grades de l'armée de
Paris.
On croit de plus en plus à Calais que
M. Thiers se rendra dans cette ville pour
assister aux expériences de tir.
Ce serait entre le 8 et le 12 janvier que
M. le président de la République effectue-
rait ce voyage. 1
C'est à tort qu'on. a annoncé la prochaine
arrivée à Paris de M. le marquis de Ban-
neville, ambassadeur de France à Vienne,
en rattachant son voyage à l'incident Gra-
mont. M. de Banneville n'a pas quitté
son poste.
Il doit être dressé un procès-verbal de
la dernière entrevue de la commission des
trente avec * M. Thiers qui fera connaître
comment les choses se sont passées. Ce
procès-verbal sera communiqué d'abord à
la commission des trente, réunis en séance
à cet effet, puis à M. Thiers ; ce ne sera
qu'après que le président l'aura vu qu'il
sera livré à la publicité.
M. de Corcelle, à son arrivée à Rome,
est descendu chez Mgr de Mérode.
Un nouveau dîner aura lieu chez lord
Lyons le mardi 7 janvier. M. de Rémusat
y assistera.
Le mouvement qui se prépare au minis-
tère de l'intérieur n'entraînerait, paraît-il,
le changement ou l'éloignement que de
deux ou trois préfets. Il y aurait au con-
traire des modifications très-considérables
dans le personnel des sous-préfets.
- i
D'après le bulletin publié hier, à 3 h.
de l'après-midi, le prince héritier de Rus-
sie a dormi six heures la nuit dernière.
La fièvre a diminué un peu sur le matin.
L'état général du prince est relativement
satisfaisant.
Le dîner offert lundi par M. le président
de la République aux généraux de l'armée
de Paris et de Versailles réunissait qua-
rante invités.
A la réception du soir, on remarquait
les ministres, le préfet de la Seine, le pré-
fet de police, plusieurs membres du corps
diplomatique, des députés et un grand
nombre d'officiers de toutes armes, des
Américains des Anglais de distinction.
L'ambassade birmane était au complet.
Au ministère des affaires étrangères, M.
de Rémusat donnait à dîner aux membres
du corps diplomatique et à différents per-
sonnages marquants dans le monde otft.
ciel.
Les convives, au nombre de cinquante
étaient les ambassadeurs et secrétaires
d'ambassade, les chefs de légation et le
personnel de l'ambassade japonaise.
Le soir, il y a ou réception, qui a été fort
brillante et à laquelle sont venus les mi-
nistres, des44putés, des généraux, les en-
voyés birmans.
- *
u.;
M. Gratiot Washburn, fils du mimatfe
des Etats-Unis à Paris, vient d'être nom-
mé secrétaire de légation. Il doit rempla-
cer à Paris M. Frank Moore.
M. Stumm, chargé d'affaires d'Allema-
gne auprès du Vatican, est parti brusque-
ment hier. 1
La veille, il avait fait savoir au eardinal
Antonini qu'il venait de recevoir l'ordre de
Antonini
prendre un congé illimité.
Ce départ se rattache à la dernière allé*
cution prononcée par le pape et dans W.
quelle l'Allemagne- et son gouvernement
n'étaient pas ménagés.
Le gouvernement prussien a fait savoir
à tous les journaux allemands et polonaif
de la province de Posen que la reproduc-
tion du passage de l'allocution du pape
concernant l'Allemagne amènerait immé-
diatement leur confiscation.
La Gazette de UAllemagne orientale publie
néanmoins le passage en question, en
déclarant qu'elle se laisse guider par son
opinion et non pas par la police.
- .E,'j
Le prince de Monaco, qui était :1i!\
passer quelques jours en France, vient do
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