Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1902-03-13
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 13 mars 1902 13 mars 1902
Description : 1902/03/13 (N11688). 1902/03/13 (N11688).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75493402
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 14/02/2013
~j:M~~ CENTIMES le Numéro; PARIS*S DÉPARTEMENTS Le Nusnéro. CI N Q CENTIMES
FTSDJTEUAY AUGUSTE VÂC0UERIE
ABONNEMENTS
-:. Bieoli Ttoit Mix SitM:t si
Faria 2fr. 5 fr. 9fr. 18 fr.
p 2— 6— 41 — 20 —•
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, RÉDÏCYEUB E» CHEF: CHARLES BOS
ANNONCES
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Srfgl. TOCTAGI EANGE, CERF & C4 1
N sei 6, lace de la Bourse, 6.
d.~ 8 U AUX du JOURNAl-
j
RÉDACTION : 131, rue Montmartre, 131
De 1 à 8 heures du soir et de 10 heures du soir à i heure du malin
No 11688. — O encii 13 Mars 1902
," 22 VENTOSE AN 110
ADMINISTRATION s « 3 «, rue &Ioniiiiarf rc, 131
« Adresser lettres et mandais à l'administrateur
NOS LEADERS
impie
Les Anglais viennent de subir au
rransvaa] un nouvel échec. L'opinion
française a enregistré avec satisfaction
2e revers que les troupes anglaises vien-
nent d'essuyer et qui doit être parti-
culièrement sensible à leur amour-pro-
pret puisqu'il constitue une grave dé-
faite : un général prisonnier, quatre
canons pris, trois cents hommes mis
hors de combat, toute la colonne en
déroute. Il est pénible que nous ayons
a éprouver un sentiment de plaisir à
constater la série d'échecs quo nos voi-
sins d'outre-Manche éprouvent sans
discontinuité dans la lutte du sud-afri-
cain. C'est que vraiment le gouverne-
ment anglais, aussi bien par son atti-
tude à l'égard de notre pays dans ces
dernières années que par le rôle odieux
qu'il a joué dans la campagne contre
les républiques de l'Orange et du Trans-
vaal, a fait tout ce qu'il fallait pour las-
ser notre sympathie et provoquer,avec
une juste irritation de notre opinion,
t'indignation du monde civilisé tout
entier.
Et malgré tout, les amis de l'Angle-
terre pacifique et humaine ne peuvent
que condamner violemment la guerre
de vengeance et d'extermination entre-
prise par une grande nation, qui s'était
flattée, au cours des siècles derniers,
d'être dans l'univers un champion dé-
terminé des droits de la civilisation.
Aujourd'hui, -après avoir fait faillite à
toutes ses traditions, l'Angleterre s'est du
coup, sous l'influence d'un méprisable
politicien, M. Chamberlain, placée au
dernier rang des peuples civilisés, au
niveau des pays barbares et des tribus
sauvages des mondes primitifs. La jus-
tice immanente des choses s'est cepen-
dant, dans cette mauvaise action, fait
plus tôt sentir qu'on eût pu l'espérer et
les Anglais en subissent les coups ven-
geurs.
D'ailleurs ils les subissent mal et eux
qui dans la conduite de leurs opérations
montrent une si cruelle ténacité, eux qui
emploient dans leurs moyens d'action
une autorité si féroce, qui déciment
avec une impitoyable duroté la popula-
tion inoffensive des femmes et des en-
fants par leurs camps de concentration,
qui ont procédé à des exécutions d'une
sauvagerie révoltante, éprouvent à l'i-
dée que des représailles pourraient être
exercées sur un de leurs officiers géné-
raux des craintes d'une pusillanimité
Indécente.
Le télégraphe nous a apporté ce ma-
tin le récit de quelques manifestations
qui s'étaient produites lundi soir, à l'an-
nonce du désastre, tant à la Chambre des
Communes, qu'à la Chambre des lords.
Dans cette dernière assemblée c'est
le maréchal lord Roberts qui a pris la
parole. Le noble guerrier n'a pas été
d'une crânerie remarquable.
a Le commandant en chef, dit le té-
légramme, demande à la Chambre de
différer toute discussion jusqu'à ce
qu'on ait reçu des informations précises
permettant d'établir les responsabilités.
Lord Roberts se déclare convaincu que
le général Delarey se conduira avec
humanité et ne voudra pas dépasser les
lois de la guerre. »
Il faut traduire que lord Roberts im-
plore la grâce de lord Methuen. On peut
être sûr que le général boer n'aura pas
attendu l'humble recours du comman-
dant en chef pour sauvegarder la vie
précieuse de l'infortuné général Me-
thuen et qu'illaissera à l'armée anglaise
ce précieux spécimen d'incapacité mili-
taire. Mais si lord Roberts se préoccupe
ainsi de ne pas voir « dépasser les lois
de la guerre » au profit des officiers
anglais fait prisonniers par les Boers,
pourquoi ne donne-t-il pas sur ce
même sujet d'utiles conseils au gouver-
nement et des ordre conformes à son
subordonné lord Kitchener, comman-
dant én chef au Cap? Pourquoi ne s'élève-
t'il pas contre la folie dévastatrice de
M. Chamberlain et de son représentant
au Cap,lord Milner? Pourquoi ses senti-
ments d'humanité ont-ils attendu pour
se manifester que le général Methuen
fût tombé aux mains de l'ennemi et
pourquoi a-t-il laissé accomplir ce for-
fait impardonnable, qui déshonore le
nom anglais l'exécution de Sheepers?
En vérité la manifestation de ces sen-
timents est trop tardive et trop inté-
ressée. Et là encore le prestige de la
Grande-Bretagne ne brille pas d'un
lustre remarquable. Cette cruauté dans
la poursuite de la guerre, cette inhu-
manité envers des êtres inoffensifs, cette
rigueur contre les non combattants,
cette férocité dans la répression et d'au-
tre part cette peur des représailles,
tette incapacité des chefs, cette insuffi-
sance des troupes, forment un con-
traste accablant pour l'honneur anglais.
Il y a entre le courage si persévérant, si
noble, si généreux des Boers pourchassés,
accablés, suppliciés, et l'attitude sans
grandeur, sans force, sans bonté des
Anglais une opposition qui frappe le
monde, et fait apparaître avec plus do
relief le rôle odieux du Royaume-Uni
et l'attitude lamentable des grandes
impuissances.
On peut dire qu'à l'heure présente, à
l'instant ou le conflit sud-africain per-
met que de nobles actions soient ac-
complies, ', un-seul peuple, donne au
monde figé dans une lâche immobilité,
aux grandes puissances du nouveau et
du vieux'monde, l'exemple de la vertu
et du courage : c'est le petit peuple
boër.
A. Gervais.
Nous publierons demain un article
de M. Xiueien Victor-Meunier.
LA GUERRE ÉTERNELLE
La thèse des journaux im-
périalistes anglais est depuis
hier celle-ci : la capture de lord
Methuen va prolonger la
guerre, car on est résolu à
n'offrir la paix qu'après une
victoire anglaise assez signi-
ficative pour obliger les Boers a accepter
les conditions de M. Chamberlain.
Or, à mesure que les généraux anglais
se font battre, se font prendre, laissent
capturer leurs convois et leurs hommes, il
devient plus improbable que lord Kitchener
obtienne cette victoiredecisive. Les troupes
anglaises du corps d'occupation sont dans
l'état d'esprit de la défaite, c'est-à dire que,
de moins en moins, elles vont être suscep
tibles d'endurance et d'activité ; de plus en
plus, elles iront au feu avec résignation
et la résignation n'est pas le sentiment qui
convient à des gens qui, de vaincus, veu
lent redevenir vainqueurs.
Les Anglais n'auront donc très probable
ment jamais la victoire décisive qu'ils com-
plotent ; ce que M. Chamberlain espère,
bien qu'il n'ose pas encore l'avouer, c'est
l'écrasement définitif de l'ennemi par le
patient meurtre de chacun des héros qui
composent la petite armée boer; et il est
bien certain, en effet, que si, à force de jeter
deux cent mille hommes contre quinze
mille, on arrive à tuer un à un ces quinze
mille braves, l'opération coûtera diantre-
ment cher, mais enfin on aura vaincu. Seu
lement, nous le demandons à ceux des An-
glais que M. Chamberlain n'a pas encore
totalement aveuglés : est-ce là vaincre?
Et quand même,avant un si abominable,
un si criminel massacre, lord Kitchener
aurait l'impossible chance de rencontrer la
victoire décisive que lui souhaitent ses
amis, est-ce sérieusement et sans rire que
nos voisins coifferaient le laurier ?
Donc une victoire, étant donnée la dis-
proportion des moyens employés dans les
deux camps, ne sauverait pas le prestige
anglais. Alors pourquoi s'obstiner à courir
après elle, s'exposer à ne pas la cueillir ? Il
serait plus sage de traiter tout de suite
sur des. bases raisonnables. — Ch. B.
- ■■■ ■
LES «MOONLIGHTER» IRLANDAIS
(De notre correspondant particulier)
Londres, 11 mar?.
Une patrouille de constables a rencontré
plusieurs hommes masqués, parcourant à che-
val les environs de Kibrush. Des coups de
fusils ont été échangés sans qu'aucune arres-
tation puisse être opérée.
9>
LE JURY ALGERIEN
M. Revoil, gouverneur général de l'Algérie,
s'est rendu hier après-midi au Sénat, où il a été
entendu par la commission sénatoriale de l'Al-
gérie. M. Revoil a donné les explications qui
lui avaient été demandées par la commission
sur une proposition adoptée par la Chambre
et relative à l'organisation en Algérie d'un
jury spécial chargé de juger exclusivement
les procès criminels dans lesquels seraient
impliqués des indigènes et des étrangers mu-
sulmans.
Ce jury comprendrait trois magistrats, deux
jurés citoyens français et deux jurés indigènes
musulmans.
M. Saint-Germain a demandé, par voie d'a-
mendement, la suppression des jurés indigè-
nes, mais M. Revoil s'est déclaré opposé à cette
suppression.
1 1 *
LE BUDGET AU SÉNAT
La commission sénatoriale des finances a
commencé, hier, l'examen du budget des recet-
tes, ainsi que de la loi de finances.
Elle a examiné également le budget de la
guerre. La commission a ajourné toute déci-
sion jusqu'après l'audition du ministre des fl-
nances.
L'ESPIONNAGE EN RUSSIE
(De notre correspondant particulier)
Varsovie, 11 mars.
On vient d'arrêlcr le colonel Grimm, ac-
cusé d'avoir livré à une puissance étrangère
des documents concernant la mobilisation
russe, et d'autres pièces secrètos.
Les agents de l'autorité militaire ont fait une
perquisition à son domicile. On dit qu'ils ont
trouvé une correspondance fort compromet-
tante.
——————————- ———————————
POUR LES BOERS
Générosité d'artistes. — Une expo-
sition.
Au mois de novembre dernier, un comité
d'artistes hollandais adressait un appel aux
artistes de tous les pays, en faveur des femmes
et des enfants boers. Il s'agissait de concourir,
par l'envoi d'une œuvre personnelle, au succès
d'une loterie internationale dont le produit est
destiné à sauver le plus possible de vies hu-
maines dans les camps de concentration de
l'Afrique du Sud.
M. S. de Korte, secrétaire général du comité
hollandais, est venu à Paris ; sur son initiative,
un comité spécial de propagande et d'organi-
sation s'est constitué chez nous. Ce comité a
désigné pour présidents d'honneur M. Bougue-
reau, membre do l'Institut, président de la So-
ciété des artistes français, M. Carolus Duran,
président de la Société nationale des beaux-
arts, M. Herbette, conseiller diEtat, M. Pau-
liat, sénateur, président des comités en faveur
des Boers; pour président M. Georges Berger,
député ; pour vice-présidents, MM. Alfred
Boucher, statuaire, et M. Albert Maignan, ar-
tiste peintre ; pour secrétaire généra), M. S. de
Korte, délégué du comité général de La Haye ;
pour commissaire do l'Exposition, M. Thié-
bault-Sissoo, critique d'art. u
Ont été désignés en outre, M. Lémory, avo-
cat, pour seconder le secrétaire général, en
qualité de secrétaire adjoint, et M. Lieure,
sous-économe de lycée, en qualité de secrétaire
de la comptabiliLÓ.
Parmi les adhérents à l'œuvre, citons des
maîtres tels quo MM. E. Barrias, Bernier,
Jules Breton, Chaplain, Coutan, Daumot, Fré-
miet, Gérôme, Jules Lefèbvre, Marqueste. Nor-
mahd membres de l'institut.de MM. Bartholdi,
Carrière, Dampt, Humbert, Rodin, Roll et bien
d'sutres de leurs collègues.
Une exposition spéciale aura lieu du 1" au
15 avril, dans les galeries Durand-Ruel, mises
gratuitement à la disposition du comité. Le
dépôt des oeuvres s'effectuera du 21 au 28 mars,
à l'atelier Henner, 75, rue de Dunkerque, pour
la rive droite; et chez M. Dubois, 7, avenue
de l'Observatoire, pour la rive gauche.
Les dons seront ensuite centralisés chez M.
Hesselle, 13, rue Laftilte.
0, —mmwumm i ■ .un l i ■ I I ——^
AVANT LE VOYAGE EN RUSSIE
L'escadre. — Sa composition. — Son
commandement.
Il se :onfirma que le vice-amiral Roustan,
préfet maritime à Brest, sera placé à la tête de
la division navale qui conduira le Président
de la République en Russie. L'amiral Roustan
est un des plus jeunes des vice-amiraux ; il
avait été, pendant pendant le récent séjour des
souverains russes en France, attaché b la per-
sonne de l'impératrice.
La division navale qu'il commandera com-
prendra comme unités principales : le croiseur
cuirassé Montealm, dont les essais sont à peine
achevés et qui va partir prochainement de
Toulon pour se rendre à Brest. Son déplace-
ment est de 9,517 tonneaux et il porte 610 offi-
ciers et hommes d'équipage et le croiseur Giu-
chen, du type dit croiseur corsaire, de 3.280
tonnes de déplacement et de 625 hommes d'ef-
fectif : (Le Giuchen a été envoyé en Extrême-
Orient pendant les affaires de Chine et est ren-
tré récemmont en France.
A ces deux croiseurs, qui tous deux sont
très rapides, on joindra un contre-torpilleur
du type Cassini.
Voir à la 3e page
les DERNIÈRES DÉPÊCHÉS
de la nuit et la
REVUE DES JOURNAUX
du matin
Fabrique de discours
(De notre correspondant parttCuHerJ
Carlsruhe. 11 mars.
Le conseil municipal de Carlsruhe, qui s'oc-
cupe en ce moment des préparatifs du 50' an-
niversaire grand-ducal, a reçu les offres bien
curieuses d'une maison d'édition de Brunswick,
Celle-ci propose de fournir les discours que
prononceraient les maires du duché à l'occasion
des solennités du jubilé. Le tarif n'est pas trop
élevé. Une courte allocution pour des localités
de moindre importance est taxée à 6 francs 25
centimes; un discours avec aperçus historiques
et panégyrique du grand-duc, 10 francs ; une
vraie conférence, 20 francs!
Malgré ces prix, bien modestes, te conseil
municipal a décliné l'offre de la maison de
Brunswick.
<»
LES AMAZONES AU 10E SIÈCLE
(De notre correspondant particulier)
Christiania, 11 mars.
On sait que les Wickings, hardis naviga-
teurs scandinaves, découvrirent au 10e siècle
le continent américain. On ignore générale-
ment que, à cette époque, la Norwège armait
des amazones. Des fouilles récentes opérées
dans les environs d'Aasnes ont confirmé le fait.
En ouvrant une tombe de l'époque, le D' Guld-
berg, anatomiste et anthropologiste de grand
mérite, a trouvé le squelette d'une femme
recouvert d'armures à côté d'ossements de
cheval.
Suivant l'antique coutume des guerriers
Scandinaves, la femme avait été enterrée ar-
mée et assise sur son cheval de bataille.
LA CAPTURE DE LORD METHUEN
Londres, 11 mars.
A la fin de la séance d'hier, aux Commune.
M. Brodrick a lu la troisième dépêche sui-
vante de lord Kitchener ;
Le convoi de bœufs de la colonne Methuen par-
tit une heure avant la convoi de mulets. Au point
du jour, l'ennemi fit une attaque soudaine sur l'ar-
rière. Une première confusion fut causée par des
chevaux conduits en main par des indigènes. Ces
chevaux se mirent à galoper à travers le convoi de
mulets au moment où celui-ci essayait de se rap-
procher du convoi de bœufs. Le désordre produit
dans le convoi de mulets se communiqua aux
troupes montées. Les Boors, revêtus d'uniformes
kakhi, déjouèrent toutes les tentatives des officiers
pour faire ceaset la grande confusion qui régnait
parmi cette fraction des troupes montées. Ces
troupes, ainsi que les wagons à traction de mulets,
galopèrent jusqu'à trois milles au delà du convoi
de bœufs et furent coupées du reste de la co-
lonne.
L'artillerie et l'infanterie firent preuve du plus
grand courage. L'infanterie refusa de se rendre
jusqu'à ce que la résistance fût devenue inutile.
Presque tous les hommes de Delarey étaient revê-
tus de notre uniforme, ce qui rendait impossible,
pour l'infanterie, de distinguer entre nos hommes
etlesBoërs.
L'ennemi était au nombre de 1,500 hommes avec
un canon pour projectiles de quinze livres et un
canon automatique. Delarey, Cellier, Kemp et d'au-
tres chefs boers étaient présents.
On a vu lord Methuen, bien soigné dans son wa-
gon.
J'apprends par des télégrammes privés qu'il a
la cuisse fracturée, mais que son état est satisfai-
sant.
J'espère que les renforts qui arrivent actuelle-
ment rectifieront la situation dans cette région sans
dérauger les opérations.
Londres, 11 mars.
Le correspondant du Standard à Bruxelles
télégraphie le 10 mars :
On dit ici que lord Methuen sera gardé comme
otage par Delarey.
LES CONGRÉGATIONS
Les jésuites prêcheurs
Bordeaux, 11 mars.
Des poursuites viennent d'être intentées par
le parquet de Bordeaux contre deux ex-pères
jésuites, le père Barjouet le père van den Brule,
qui ont prêché, le premier à l'église Notre-
Dame, le second à Saint-Seurin, en violation-
do la circulaire du ministre des cultes interdi-
sant aux religieux appartenant à des congré-
gations non autorisées de prêcher hors du
diocèse auquel ils sont attachés. Appelés de-
vant le juge d'instruction, ils ont déclaré qu'ils
ne répondraient à l'interrogatoire qu'avec l'as-
sistance d'un avocat.
Monlbdson, 11 mars.
Le procès engagé par la ministère public
contre les abbés Angelier et Gachet, autrefois
membres do la congrégation des Frères de la
Salette et habitant l'hermitage de NoiréLable,
est venu devant le tribunal correctionnel.
Après plaidoirie, le jugement a été reuvojé
à huitaine.,» 4
- - - -, L'B
SINISTRE DE LA RUE MONTMARTRE
LE CADAVRE DE Mme LEMOINE
Lprès l'incendie. — Les maisons atteintes. — La liste des sinistrés. — Cons-
tatations de M. Bunel. — M. G. Mesureur. — Pertes irréparables. —
La sympathie de M. Loubet. — Une lettre au préfet de police. — Le
corps de Mme Lemoine. — Chez MM. Brach et Blum. — La
matinée. — Les dégâts matériels. — L'enquête adminis-
trative. — Le jeune Schneider. — Le récit d'un
sauveteur.
La rue Montmartre présentait hier matin
un aspect inaccoutumé. Des cordons d'agents
empêchaient difficilement de circuler la foule
des gens affairés et des curieux ; la chaussée
était encombrée par les nombreux tuyaux qui
conduisaient l'eau jusqu'aux immeubles in-
cendiés.
La vue de ces maisons était sinistre. Par les
fenêtres aux carreaux brisés, aux châssis cal-
cinés, on apercevait les plafonds détruits ou
noircis par le feu, les armatures de fer tordues
par la chaleur.
Aux balcons, les enseignes ravagées par l'eau
et le feu pendaient lamentablement.
Et sur les balcons, sur les pierres effritées et
noires, on voyait courir, se démener, agiles,
infatiguables, héroïques, les pompiers dont les
casques étincelaient sous le soleil.
Cà et là, les décombres fumaient et une âcre
odeur prenait à la gorge.
Malheureusement, les dégâts n'étaient pas
purement matériels, ainsi qu'on l'avait cru
tout d'abord, et dans la matinée, les pompiers
devaient retrouver, carbonisé, le cadavre
d'une vieille femme, qu'on avait cru sauvée.
Les immeubles incendiés
L'immense incendie qui a mis en émoi le
quartier si populeux de la Bourse a été un vé-
ritable désastre.
Les immeub!es détruits appartenaient à une
société financière qui a fait construire, il y a
20 ans, les deux vastes immeubles qui portent
les numéros 170 rue Montmartre, 19 et 21 rue
d'Uzès.
Ajoutons ce détail : ces deux immeubles ont
été reconstruits sur l'emplacement d'un grand
magasin de nouveautés. « A la Ville de Paris»,
qui fut détruit dans un incendie. Le restaurant
installé depuis à l'entresol avait pris cette mô-
me dénomination on souvenir de ce magasin
disparu.
La maison qui fait l'angle des rues d'Uzès et
Montmartre est habitée au second étage, ainsi
que nous l'avons dit, par MM. Brach et Blum,
marchands de soieries, qui y ont installé leurs
bureaux et magasins. Ils ont agrandi leur com-
marce en louant l'étage correspondant dans
l'immeuble voisin, 19, rue d'Uzès, et réuni
ainsi les deux immeubles par une communica-
tion au second étage. Ceci explique que l'in-
cendie ayant pris dans l'un des immeubles,
s'est communiqué au second par les bureaux
de MM. Brach et Blum, embrasés en cinq mi-
nutes comme par une traînée de poudre.
Les immeubles détruits étaient occupés :
Le 21 de la ru9 d'Uzès, qui porte sur la rue
Montmartre le n' 170, par une maison de lino-
leum ; le restaurant de la Ville de Paris ; les
magasins de MM. Brach et Blum, fabricants
de rubans, soieries et velours : des fils de A.
Guillaumet et E. Chappat, teinturiers manu-
facturiers ; de MM. Kahn frères, rubans ; de
M. Lavergne, broderies mécaniques ; de M.
Charles Feïss, lainages et draperies , de M.
Charles Oster, fabricant de cols et cravates ;
enfin, par les appartements de M. Mesureur,
ancien ministre du commerce, vice-président
de la Chambre ; de Mme Page ; de Mme Pau-
line Lemoine, fabricante de fleurs artificielles;
et par le logement du chef des garçons de la
maison Brach et Blum, M. Jean Pachot.
Au 19 de la rue d'Uzès se trouvaient les ma-
gasins de la Compagnie rouennaise du lino-
leum, dont l'agent général est M. Anderson ;
de MM. Herbain, Rusconné et Trudelle, fabri-
cants de mouchoirs et toiles ; de M. Belon,
commissionnaire et directeur de la maison
d'achats des magasins « Aux Dames de
France », dont le siège social est 17, rue
Sainte-Catherine à Bordeaux ; de MM. Peni-
caud-Malâtre et Cie. fabricants de haute nou-
veauté ; de Mme Marie Meunier, lingère ; de
Mme veuve Pithon-Amiard, fabricantede plu-
mes pour parures, et par les appartements de
M. Faverot et de M. Biagolti, secrétaire de la
rédaction de l'Eclair.
Au rez-de-chaussée de l'immeuble qui fait
l'angle des rues d'Uzès et Montmartre se trou-
vent trois grandes boutiques ; l'une occupée
par un marchand de vin, l'autre par un mar-
chand de chaussures, la troisième par un mar-
chand de linoléum.
Ces boutiques ont été surtout détériorées par
l'eau, mais n'ont pas subi les atteintes da feu
qui s'est arrêté au second étage.
Le plancher de MM. Brach et Blum, fait en
ciment armé,a pu résister à la pression de l'eau
et a ainsi préservé le rez-de-chaussée, ainsi
que le premier étage.
A l'entresol, le restaurant de la Ville de Paris
t été également détruit par l'eau.
Les sinistrés
Voici la liste exacte des sinistrés de la catas-
trophe :
Au numéro 19 de la rue d'Uzès, ce sont, aux pre-
mier et deuxième étages MM. Brach et Blum. Ces
deux étages ont leur entrée par le numéro 21.
Au troisième étage : M. Herbin, marchand de
mouchoirs ; Mme Oster, marchande de cravates ;
MM. Scollet et Trudenne, marchands de toiles.
Au quatrième : M. Favreau, Mme Pitou-Auriat,
fabricants de plumes : M. Biaggiotti, secrétaire de
la rédaction de l'Eclair.
Au cinquième: M. Maurice Thibaut, employé do
commerce ; M. Fréquin, employé de commerce.
Au âi, à l'entresol: M. Germain, restaurateur ;
au premier et une partie du deuxième ; MM. Brach
et Blum, également au deuxième Mme Oster, mar-
chande de cravates.
Au troisième. M. Leguèze; M. Lavergne, mar-
chand de broderies.
Au quatrième' Mme Lemoine, fleuriste; M.Page,
marchand d'ameublements ; M. Mesureur, dé-
puté.
Au cinquième, M. Pachot, chef des garçons de la
maison Brach et Blum; Abel Auric, employé de
magasin; Piot, cuisinier; MUe Crevelin, coutu-
rière, Mlle Zumbil, modiste; Mlle Poussenard,
employée do magasin; Mme Marie Lemoine, M.
Ayral, marchand de vins.
Sur les lieux du sinistre
Ainsi que nous l'avons dit hier,MM. Lépine,
préfet de police, Laurent, secrétaire général de
la préfecture, sont arrivés dès la première
heure sur le lieu du sinistre, accompagnés de
M. Touny, directeur de la police municipale
qui a pris la direction du service d'ordre.
M. Bunel, architecte do la préfecture de po-
lice, est arrivé presque en même temps que
l'élat-major des pompiers.
M. Bunel a examiné l'immeuble qui flam-
bait, malgré les efforts des pompiers; ceux-ci
combattaient l'incendie avec des moyens insuf-
fisants. -
Leur audacieuse bravoure restait impuis-
sante contre les flammes énormes qui sor-
taient par les fenêtres et s'élevaiant à une hau-
teur prodigieuse, et ils durent surtout proté-
ger les immeubles voisins.
M. Bunel, qui craignait un écroulement de
la maison, donna des instructions pour que les
curieux fussent refoulés plu loio, et pour que
les pompiers eux mômes ne dressassent
plus leurs échelles contre les murailles, mais
au milieu de la chaussée.
— La résistance de cet immeuble, a dit M. Bu-
nel, est extraordinaire. Les plafonds n'ont pas cédé,
ce qui est remarquable, et il n'y a pas eu d'écrou-
lement. Ce mélange de plâtre, do ciment et do fer
est d'une résistance étonnante.
Non moins étonnante, toutefois, est la rapidité
-avec laquelle l'immeuble a pris feu tout entier.
Comment cet Immeuble neuf a-t-il été pris du haut
en bas, en quelques minutes ? Voilà qui est inouï,
et l'enquête doit surtout porter sur ce point.
M. Mesureur
On sait que l'appartemont de M. Mesureur a
été complètement détruit et qu'il n'a été sauvé,
ainsi que sa famille, que grâce à l'héroïsme
des pompiers.
Voici le récit que le vico-président de la
Chambre a fait du sinistre:
— J'étais dans mon cabinet de travail, occupé à
écrire des lettres, quand la bonne ouvrant brusque-
ment la porte me cria r a Il y a le Tetmni était
alors exactement neuf heures trente-cinq. J'allai
immédiatement à la porte de l'escalier pour me
rendre compte de ce qui se paasait et s'il était en-
core possible de passer. Mais je fus aveuglé par
une fumée épaisse. Je refermai aussitôt pour que
cette fumée n'envahit pas l'appartement. Mais, à
peine avais-je refermé qu'on frappa violemment à
la porte. Je rouvris : Mme Lemoine, une de nos
voisines, se précipita chez moi, suivie d'autres da-
mes: a Sauvez-nous », me dit-elle. Je les priai d'en-
trer dans mon cabinet de travail.
Ma femme et ma fille, qui se préparaient à se
coucher, se rhabillèrent vivement. Elles mon-
traient beaucoup de calme. Pour les rassurer, je
leur Os observer que vraisemblablement on étein-
drait le feu avant qu'il gagnât notre apparte-
ment.
Comme l'incendie se développait surtout du côté
de la cour où se trouvaient les chambres do mes
enfants je les en fis sortir après avoir fermé
les volets intérieurs le plus hermétiquement pos-
sible.
Au bout de quelques minutes, voyant que le
danger devenait plus pressant, j'ai réuni tout le
monde dans la chambre située à l'extrémité de
l'appartement et contigué au 168 de la rue Mont-
martre, parce que c'était le dernier endroit qui de-
vait brûler. Mme Lemoine avait avec elle des pa-
quets qu'elle tenait à sauver à tout prix. Ma femme
avait elle aussi fait des paquets.
Réunis sur le balcon, nous attendions, anxieux,
le secours qui nous viendrait de cette foule massée
dans la rue et qui poussait des cris : a Ne bougez
pas l » ',"
L'arrivée des pompiers nous rendit un peu d'es-
poir. Les pompes furent mises en batterie. Mais
quand les lances furent en place, à notre stupeur,
il n'en sortit pas d'eau. Plusieurs minutes, qui nous
parurent des siècles, se passèrent ainsi
Des flammèches commençaient à tombar sur le
balcon. La fumée nous gagnait. Ma femme, qui
était restée très maltresse d'elle-même, va prendre
dans l'armoire tous les draps qui s'y trouvent. Elle
avait pensé à les attacher ensemble pour en faire
une corde de sauvetage. Mais cela était Impratica-
ble. « Eh bien ! dit-elle, on les mouillera et nous
nous envelopperons dedans, cela nous protégera
contre la fumée. »
Enfin les pompes projetèrent de l'eau. La fumée
aussitôt devint plus intense. Notre position deve-
nait de plus en plus critique.
Par un vasistas, au-dessus de nos têtes, nous
vîmes tout à coup apparaître un employé de MM.
Braoh et Blum, Jean Pachot : « Je crois bien que
nous ne nous en sortirons pas, me dit-il, cependant
il nous faut essayer de passer sur le toit de la
maison voisine ».
Malheureusement il y avait une Inclinaison du
toit qui rendait à peu près impraticable notre fuite
par là.
Mais bientôt des pompiers et des agents cyclistes
apparurent sur le toit du 166 de la rue Montmar-
tre. Avec leur aide nous avons pu passer sur cette
maison et atteindre une lucarne.
Notre bonne a passé d'abord ; puis Mme Lemoine
et une autre dame qui était venue avec elle ; en*
suite la tilllette de Jean Pachot, qui a dix ans, puis
la mère de cette enfant. Enfin ma fille, ma femme,
mon fils, Jean Pachot et moi.
Il était dix heures quand nous sommes arrivés
à la taverne Artois, où nous avons été nous ré-
fugier. Il y avait donc près d'une demi-heure que
nous avions été prévenus que le feu était à la
maison.
Bien entendu, nous n'avons rien pu sauver des
objets mis en paquets.
Pour moi, cet incendie est un désastre irrépa-
rable. J'avais plus de cinq mille volumes, des do-
cuments de toute nature, des collections de mé-
dailles, de dessins. Tout cola est perdu.
Je m'étais promis depuis longtemps de faire un
Je
inventaire détaillé des objets que je possédais et
d'augmenter ma police d'assurance en rapport
avec la valeur de ces objets. Mais je remettais
toujours à plus tard. En sorte que je suis assuré
pour une somme bien inférieure à la perte que
j'éprouve.
A propos de la mort de Mme Lemoine,
dont nous parlons plus loin, M. Mesureur a
dit :
- Je viens d'apprendre qu'elle a été retrouvée
dans mon appartement. C'est donc qu'elle est venue
chez moi avec sa belle-fille.
Mais tandis que nous nous étions réfugiés sur le
balcon, elle a dû rester dans la chambre. Je me
souviens même qu'à un moment donné j'ai vu les
portes se refermer. J'ai attribué cela à un courant
d'air. Peut-être est-ce Mme Lemoine mère qui,
effrayée par la fumée qui pénétrait, s'enfermait.
Nous étions persuadès, quand nous avons quitté
le balcon,que toutes les dames étaient sauvées.
Ajoutons que M. Mesurent prie les personnes
qui auraient à lui faire des communications
de vouloir bien désormais les lui adresser à la
Chambre des députés.
Le député du 2S arrondissement n'a pas paru
hier sur le lieu du sinistre.
On croyait que M. Mesureur s'était réfugié,
avec sa famille, chez M. Bellan, conseiller mu-
nicipal, qui demeure rue des Jeûneurs, 33. Il
n'en était rien. L'ancien ministre s'était rendu
chez son beau-frère, M. Dudicourt, professeur
de dessin dans les écoles de la Ville de Paris,
domicilié rue d'Assa?. M. Georges Berger, dé-
puté est venu remettre sa carte au secrétaire
de M. Mesureur.
Deux lettres
Le Président de la République a fait porter,
hier ma.tin, chez M. Mesureur une lettre le
félicitant d'avoir échappé au sinistre et lui
ofirant ses condoléances pour les pertes que lui
a causées la catastrophe.
De son côté, M. Mesureur a adressé à M. Lé-
pine la lettre suivante: -..
Monsieur le préfet,
Ma première pensée, mon premier devoir, après
cette terrible soirée, sera de vous adresser ma pro-
fonde gratitude pour les agents de la police muni-
cipale et les pompiers qui ont sauvé les miens, ceux
qui me sont chers, d'un si grand péril.
Permettez-moi de joindre à l'expression de ma
reconnaissance le nom de M. Jean Pachot, garçon
de magasin dans la maison, dont l'initiative et le
sang-froid ont permis de sauver les huit femmes
réfugiées à cet angle do l'immeuble.
Veuillez me croire votre très reconnaissant ei dd.
voué,
MESUREUR.
Touchante manifestation
Dans to milhsur qii la jrapgq M. G. Masareur -
vu iurgir d'innombrables marques delà sympathie
profonde dont il est entouré Voici, par exemple, le
communication qu'on nous prie d'insérer :
Les présidents des sociétés du 2* arrondisse-
ment réunis le mardi 11 mars t la suite da si--
ristre qui frappe un des quartiers de l'arron-
dissement, émus du malheur de leurs conci-
toyens, décident à l'unanimité de vonir en aida
aux victimes nécessiteuses en ouvrant entre
eux une souscription inspirée par l'esprit di
solidarité qui anime tous les républicains.
Us envoient à leur dépulé, M. Mesureur,
l'expression de leur plus vive sympathie.
Le montant de la souscription s'élevant &
500 francs a été remis entre les mainâ de Mu
le maire de l'arrondissewont.
Société républicaine.
Dispensaire gratuit.
Patronage laïque.
Assistance par le travail.
Soupe populaire.
Prêt gratuit de couvertures.
Chasseurs topographes.
Ligne d'action républicaine.
Les Sans Souci.
La Patriotique.
Les Associations d'anciens élèves.
Société d'enseignement moderne.
L'Union du travail.
Société des garçons de magasins.
Lendemain de sinistre
A un de nos confrères qui l'interrogeait sar
ses impressions, M. Mesureur a répondu :
— Que vous dirai-je de nouveau ? Vous savez
comment les miens et moi nous avons été sauvés
par les toits, déjà léchés par les flammes, et com-
ment nous avons pu échapper à une mort atrboo
Co que je no saurais trop louer,c'est le courage des'
pompiers, qui se sont montrés tous sans une dé-
faillance, sans une exception, des héros dans toute
l'acception du mot. Ce sont eux qui nous ont sau-
vés, et je leur dois une reconnaissance sincère.
Mais, hélas ! ils n'ont pu arracher à la flamme ce
à quoi je tenais le plus, mes documents, mes pa-
piers, mes dossiers et mes notes. Tout le travail
d'une vie est détruit en quelques heures.
DECOUVERTE D'UN CADAVRE
On croyait que toutes les personnes en péril
avaient été sauvées, il n'en était rien, hélasl
et hier matin à 9 heures, tandis que les pom-
piers fouillaient les décombres, ils retrouvèrent
le cadavre carbonisé de Mme Lemoine.
Mme Clémentine Lemoine était une vieille
femme de 82 ans, à demi paralysée, qui habi-
tait avec son fils, M. Lemoine, employé à la
compagnie du gaz, et sa belle-fille, Mme Le-
moine, un appartement au cinquième étage,
en face de l'appartement de M. Mesureur.
La famille Lemoine terminait le repas du
soir lorsque la bonne, affolée, surgit dans la
salle à manger, criant: a Au tout Sauvez-
vous! »
M. et Mme Lemoine, affolés à leur tour, sa
dirigèrent vers l'escalier, entraînant à leur
suite leur mère infirme.
Périlleux sauvetage
La fumée les obligea à reculer: ils ouvri-
rent alors les fenêtres, appelèrent à l'aide,
cherchant vainement une issue.
Enfin, toujours entraînant leur vieille mère,
ils enjambèrent la balustrade qui séparait leur
balcon de celui de M. Mesureur. Ils atteigni-
rent ainsi la limite extrême de l'immeuble si-
nistré et firent des signes désespérés aux habi-
tants de la maison voisine, le n* 168. On leur
tendit des planches et des échelles et ils purent
passer sur le toit d'où ils gaguèrent resca-
lier.
Ils étaient sauvés, mais dans le sauve-qui-
peut généra], M. Lemoine avait perdu de vue
sa mère. Dès qu'il se trouva dans la rue avec
sa femme, il la réclama à tous les échos et
voulut remonter dans son appartement. On l'en
empêcha et, d'ailleurs, des personnes vinrent
affirmer que Mme Lemoine mère avait été sau-
vée comme ses enfants. Alors son fils et sa
belle-fille se mirent à la recherche. Où avait
été transportée Mme Lemoine ? Où se trou-
vait-ello?
Ce fut la question angoissante que ses en-
fants se posèrent durant toute la nuit. M. Le-
moine, qui souffre d'une maladie de coeur,
brisé par la fatigue et l'émotion, se fit conduiri
chez des amis, rue Turenne.
Lugubre découverte
A 8 heures, hier matin, Mme Lemoine était
de nouveau rue Montmartre, cherchant tou-
jours sa belle: mère, questionnant les commis-
saires de police, MM. Landel et Duponnois,
interrogeant les officiers de pompiers. Des
voisins, marchands de vins fins, rue Mont-
martre, en face de la rue d'Uzès, lui offrirent
une hospitalité passagère, et là, debout devant
la porte, Mme Lemoine suivit d'un œil anxieux
les opérations des pompiers qui fouillaient les
étages supérieurs.
A neuf heures, un lieutenant de pompiers
fait une sinistre découverte. Il a trouvé dans
l'appartement de M. Mesureur un corps hu-
main complètement carbonisé. C'est le cadavre
de Mme Lemoine mère. L'officier en informe
M. Duponnois, commissaire do police, qui
charge une parente de la belle fille de la vic-
time de lui apprendre avec des ménagements
la mort de sa belle-mère.
La pauvre femme pleure et, accablée de dou-
leur, va apprendre la triste nouvelle à son
mari, dont l'état de santé a empiré et qui n'a
pu se lever hier matin..
Au dépôt mortuaire
Le cadavre carbonisé de Mme Lemoine a été
transporté à 5 heures, au dépôt mortuaire de
la rue de Maistre, à Montmartre, dans une voi-
ture des ambulances municipales.
Le bras gauche de la victime avait été arra-
ché par la chute des matériaux et le ventre hor-
riblement ouvert.
Au magasin de soieries
MM. Brach et Blum, accompagnés d'une di-
zaino de leurs employés — ils en ont 125 —
sont venus hier matin rue d'Uzès pour visiter
ce qui reste de leurs bureaux et magasins.Mais
M. Chanot, officier de paix, et le commandant
des sapeurs-pompiers se sont opposés à cette
visite qui aurait pu occasionner des accidents.
De l'ancien immeuble, il ne reste plus guère,
en effet, que des débrits de parquet, des pou-
tres de fer et des pans de mur.
L'eau ruisselait des murs en une véritable
cataracte, de la bâtisse d'où sortent parfois
encore quelques jets de fumée épaisse.
M. Blum paraît très affecté. M. Brach n'a
pas l'air aussi ému et il parle du sinistre, tan-
dis que son associé va chercher des papiers et
des livres déposés rue Montmartre, au rez de-
chaussée,chez le marchand de chaussures dont
la boutique est presque indemne.
— Quelle est la cause de l'incendie? dit-ll.On ne
peut encore répondre précisément à cette question.
Le feu a pris dans l'atelier d'emballage, le fait est
certain , mais est-il dû à un court-circuit élec-
trique ou à toute autre cause ? L'enquête éluci.
dera probablement ce point.
Quoi qu'il en soit, cet événement pour nous est
déplorable, Toutes nos marchandises sont détruites.
Leur valeur sans atteindre, comme on l'a dit, une
somme de dix millions, représentait néanmoins
deux ou trois millions. Nos pertes matérielles sont
d'ailleurs couvertes par des assurances. Mais nous
avons malheureusement d'autres pertes à enre-
gistrer. Notre vente de l'annéo est réduite à néant
car la saison productrice commençait et on ne re-
monta pas en huit jours une maison de commoroa
de l'importance de la nôtre. Il faudra un an pour
ta reconstituer.
M. Brach dit en terminant que déjà il s'est oc-
cupé do trouver un nouveau local et qu'il pense
Installer sa maison sur lo boulevard Saint Denis.
Voici les noms des employés qui êlaiâfit
FTSDJTEUAY AUGUSTE VÂC0UERIE
ABONNEMENTS
-:. Bieoli Ttoit Mix SitM:t si
Faria 2fr. 5 fr. 9fr. 18 fr.
p 2— 6— 41 — 20 —•
EC4tal 3 —' 9 — iO — 32,—
-" .,. '9 -- .,.:.
, RÉDÏCYEUB E» CHEF: CHARLES BOS
ANNONCES
------- -- .f 1
Srfgl. TOCTAGI EANGE, CERF & C4 1
N sei 6, lace de la Bourse, 6.
d.~ 8 U AUX du JOURNAl-
j
RÉDACTION : 131, rue Montmartre, 131
De 1 à 8 heures du soir et de 10 heures du soir à i heure du malin
No 11688. — O encii 13 Mars 1902
," 22 VENTOSE AN 110
ADMINISTRATION s « 3 «, rue &Ioniiiiarf rc, 131
« Adresser lettres et mandais à l'administrateur
NOS LEADERS
impie
Les Anglais viennent de subir au
rransvaa] un nouvel échec. L'opinion
française a enregistré avec satisfaction
2e revers que les troupes anglaises vien-
nent d'essuyer et qui doit être parti-
culièrement sensible à leur amour-pro-
pret puisqu'il constitue une grave dé-
faite : un général prisonnier, quatre
canons pris, trois cents hommes mis
hors de combat, toute la colonne en
déroute. Il est pénible que nous ayons
a éprouver un sentiment de plaisir à
constater la série d'échecs quo nos voi-
sins d'outre-Manche éprouvent sans
discontinuité dans la lutte du sud-afri-
cain. C'est que vraiment le gouverne-
ment anglais, aussi bien par son atti-
tude à l'égard de notre pays dans ces
dernières années que par le rôle odieux
qu'il a joué dans la campagne contre
les républiques de l'Orange et du Trans-
vaal, a fait tout ce qu'il fallait pour las-
ser notre sympathie et provoquer,avec
une juste irritation de notre opinion,
t'indignation du monde civilisé tout
entier.
Et malgré tout, les amis de l'Angle-
terre pacifique et humaine ne peuvent
que condamner violemment la guerre
de vengeance et d'extermination entre-
prise par une grande nation, qui s'était
flattée, au cours des siècles derniers,
d'être dans l'univers un champion dé-
terminé des droits de la civilisation.
Aujourd'hui, -après avoir fait faillite à
toutes ses traditions, l'Angleterre s'est du
coup, sous l'influence d'un méprisable
politicien, M. Chamberlain, placée au
dernier rang des peuples civilisés, au
niveau des pays barbares et des tribus
sauvages des mondes primitifs. La jus-
tice immanente des choses s'est cepen-
dant, dans cette mauvaise action, fait
plus tôt sentir qu'on eût pu l'espérer et
les Anglais en subissent les coups ven-
geurs.
D'ailleurs ils les subissent mal et eux
qui dans la conduite de leurs opérations
montrent une si cruelle ténacité, eux qui
emploient dans leurs moyens d'action
une autorité si féroce, qui déciment
avec une impitoyable duroté la popula-
tion inoffensive des femmes et des en-
fants par leurs camps de concentration,
qui ont procédé à des exécutions d'une
sauvagerie révoltante, éprouvent à l'i-
dée que des représailles pourraient être
exercées sur un de leurs officiers géné-
raux des craintes d'une pusillanimité
Indécente.
Le télégraphe nous a apporté ce ma-
tin le récit de quelques manifestations
qui s'étaient produites lundi soir, à l'an-
nonce du désastre, tant à la Chambre des
Communes, qu'à la Chambre des lords.
Dans cette dernière assemblée c'est
le maréchal lord Roberts qui a pris la
parole. Le noble guerrier n'a pas été
d'une crânerie remarquable.
a Le commandant en chef, dit le té-
légramme, demande à la Chambre de
différer toute discussion jusqu'à ce
qu'on ait reçu des informations précises
permettant d'établir les responsabilités.
Lord Roberts se déclare convaincu que
le général Delarey se conduira avec
humanité et ne voudra pas dépasser les
lois de la guerre. »
Il faut traduire que lord Roberts im-
plore la grâce de lord Methuen. On peut
être sûr que le général boer n'aura pas
attendu l'humble recours du comman-
dant en chef pour sauvegarder la vie
précieuse de l'infortuné général Me-
thuen et qu'illaissera à l'armée anglaise
ce précieux spécimen d'incapacité mili-
taire. Mais si lord Roberts se préoccupe
ainsi de ne pas voir « dépasser les lois
de la guerre » au profit des officiers
anglais fait prisonniers par les Boers,
pourquoi ne donne-t-il pas sur ce
même sujet d'utiles conseils au gouver-
nement et des ordre conformes à son
subordonné lord Kitchener, comman-
dant én chef au Cap? Pourquoi ne s'élève-
t'il pas contre la folie dévastatrice de
M. Chamberlain et de son représentant
au Cap,lord Milner? Pourquoi ses senti-
ments d'humanité ont-ils attendu pour
se manifester que le général Methuen
fût tombé aux mains de l'ennemi et
pourquoi a-t-il laissé accomplir ce for-
fait impardonnable, qui déshonore le
nom anglais l'exécution de Sheepers?
En vérité la manifestation de ces sen-
timents est trop tardive et trop inté-
ressée. Et là encore le prestige de la
Grande-Bretagne ne brille pas d'un
lustre remarquable. Cette cruauté dans
la poursuite de la guerre, cette inhu-
manité envers des êtres inoffensifs, cette
rigueur contre les non combattants,
cette férocité dans la répression et d'au-
tre part cette peur des représailles,
tette incapacité des chefs, cette insuffi-
sance des troupes, forment un con-
traste accablant pour l'honneur anglais.
Il y a entre le courage si persévérant, si
noble, si généreux des Boers pourchassés,
accablés, suppliciés, et l'attitude sans
grandeur, sans force, sans bonté des
Anglais une opposition qui frappe le
monde, et fait apparaître avec plus do
relief le rôle odieux du Royaume-Uni
et l'attitude lamentable des grandes
impuissances.
On peut dire qu'à l'heure présente, à
l'instant ou le conflit sud-africain per-
met que de nobles actions soient ac-
complies, ', un-seul peuple, donne au
monde figé dans une lâche immobilité,
aux grandes puissances du nouveau et
du vieux'monde, l'exemple de la vertu
et du courage : c'est le petit peuple
boër.
A. Gervais.
Nous publierons demain un article
de M. Xiueien Victor-Meunier.
LA GUERRE ÉTERNELLE
La thèse des journaux im-
périalistes anglais est depuis
hier celle-ci : la capture de lord
Methuen va prolonger la
guerre, car on est résolu à
n'offrir la paix qu'après une
victoire anglaise assez signi-
ficative pour obliger les Boers a accepter
les conditions de M. Chamberlain.
Or, à mesure que les généraux anglais
se font battre, se font prendre, laissent
capturer leurs convois et leurs hommes, il
devient plus improbable que lord Kitchener
obtienne cette victoiredecisive. Les troupes
anglaises du corps d'occupation sont dans
l'état d'esprit de la défaite, c'est-à dire que,
de moins en moins, elles vont être suscep
tibles d'endurance et d'activité ; de plus en
plus, elles iront au feu avec résignation
et la résignation n'est pas le sentiment qui
convient à des gens qui, de vaincus, veu
lent redevenir vainqueurs.
Les Anglais n'auront donc très probable
ment jamais la victoire décisive qu'ils com-
plotent ; ce que M. Chamberlain espère,
bien qu'il n'ose pas encore l'avouer, c'est
l'écrasement définitif de l'ennemi par le
patient meurtre de chacun des héros qui
composent la petite armée boer; et il est
bien certain, en effet, que si, à force de jeter
deux cent mille hommes contre quinze
mille, on arrive à tuer un à un ces quinze
mille braves, l'opération coûtera diantre-
ment cher, mais enfin on aura vaincu. Seu
lement, nous le demandons à ceux des An-
glais que M. Chamberlain n'a pas encore
totalement aveuglés : est-ce là vaincre?
Et quand même,avant un si abominable,
un si criminel massacre, lord Kitchener
aurait l'impossible chance de rencontrer la
victoire décisive que lui souhaitent ses
amis, est-ce sérieusement et sans rire que
nos voisins coifferaient le laurier ?
Donc une victoire, étant donnée la dis-
proportion des moyens employés dans les
deux camps, ne sauverait pas le prestige
anglais. Alors pourquoi s'obstiner à courir
après elle, s'exposer à ne pas la cueillir ? Il
serait plus sage de traiter tout de suite
sur des. bases raisonnables. — Ch. B.
- ■■■ ■
LES «MOONLIGHTER» IRLANDAIS
(De notre correspondant particulier)
Londres, 11 mar?.
Une patrouille de constables a rencontré
plusieurs hommes masqués, parcourant à che-
val les environs de Kibrush. Des coups de
fusils ont été échangés sans qu'aucune arres-
tation puisse être opérée.
9>
LE JURY ALGERIEN
M. Revoil, gouverneur général de l'Algérie,
s'est rendu hier après-midi au Sénat, où il a été
entendu par la commission sénatoriale de l'Al-
gérie. M. Revoil a donné les explications qui
lui avaient été demandées par la commission
sur une proposition adoptée par la Chambre
et relative à l'organisation en Algérie d'un
jury spécial chargé de juger exclusivement
les procès criminels dans lesquels seraient
impliqués des indigènes et des étrangers mu-
sulmans.
Ce jury comprendrait trois magistrats, deux
jurés citoyens français et deux jurés indigènes
musulmans.
M. Saint-Germain a demandé, par voie d'a-
mendement, la suppression des jurés indigè-
nes, mais M. Revoil s'est déclaré opposé à cette
suppression.
1 1 *
LE BUDGET AU SÉNAT
La commission sénatoriale des finances a
commencé, hier, l'examen du budget des recet-
tes, ainsi que de la loi de finances.
Elle a examiné également le budget de la
guerre. La commission a ajourné toute déci-
sion jusqu'après l'audition du ministre des fl-
nances.
L'ESPIONNAGE EN RUSSIE
(De notre correspondant particulier)
Varsovie, 11 mars.
On vient d'arrêlcr le colonel Grimm, ac-
cusé d'avoir livré à une puissance étrangère
des documents concernant la mobilisation
russe, et d'autres pièces secrètos.
Les agents de l'autorité militaire ont fait une
perquisition à son domicile. On dit qu'ils ont
trouvé une correspondance fort compromet-
tante.
——————————- ———————————
POUR LES BOERS
Générosité d'artistes. — Une expo-
sition.
Au mois de novembre dernier, un comité
d'artistes hollandais adressait un appel aux
artistes de tous les pays, en faveur des femmes
et des enfants boers. Il s'agissait de concourir,
par l'envoi d'une œuvre personnelle, au succès
d'une loterie internationale dont le produit est
destiné à sauver le plus possible de vies hu-
maines dans les camps de concentration de
l'Afrique du Sud.
M. S. de Korte, secrétaire général du comité
hollandais, est venu à Paris ; sur son initiative,
un comité spécial de propagande et d'organi-
sation s'est constitué chez nous. Ce comité a
désigné pour présidents d'honneur M. Bougue-
reau, membre do l'Institut, président de la So-
ciété des artistes français, M. Carolus Duran,
président de la Société nationale des beaux-
arts, M. Herbette, conseiller diEtat, M. Pau-
liat, sénateur, président des comités en faveur
des Boers; pour président M. Georges Berger,
député ; pour vice-présidents, MM. Alfred
Boucher, statuaire, et M. Albert Maignan, ar-
tiste peintre ; pour secrétaire généra), M. S. de
Korte, délégué du comité général de La Haye ;
pour commissaire do l'Exposition, M. Thié-
bault-Sissoo, critique d'art. u
Ont été désignés en outre, M. Lémory, avo-
cat, pour seconder le secrétaire général, en
qualité de secrétaire adjoint, et M. Lieure,
sous-économe de lycée, en qualité de secrétaire
de la comptabiliLÓ.
Parmi les adhérents à l'œuvre, citons des
maîtres tels quo MM. E. Barrias, Bernier,
Jules Breton, Chaplain, Coutan, Daumot, Fré-
miet, Gérôme, Jules Lefèbvre, Marqueste. Nor-
mahd membres de l'institut.de MM. Bartholdi,
Carrière, Dampt, Humbert, Rodin, Roll et bien
d'sutres de leurs collègues.
Une exposition spéciale aura lieu du 1" au
15 avril, dans les galeries Durand-Ruel, mises
gratuitement à la disposition du comité. Le
dépôt des oeuvres s'effectuera du 21 au 28 mars,
à l'atelier Henner, 75, rue de Dunkerque, pour
la rive droite; et chez M. Dubois, 7, avenue
de l'Observatoire, pour la rive gauche.
Les dons seront ensuite centralisés chez M.
Hesselle, 13, rue Laftilte.
0, —mmwumm i ■ .un l i ■ I I ——^
AVANT LE VOYAGE EN RUSSIE
L'escadre. — Sa composition. — Son
commandement.
Il se :onfirma que le vice-amiral Roustan,
préfet maritime à Brest, sera placé à la tête de
la division navale qui conduira le Président
de la République en Russie. L'amiral Roustan
est un des plus jeunes des vice-amiraux ; il
avait été, pendant pendant le récent séjour des
souverains russes en France, attaché b la per-
sonne de l'impératrice.
La division navale qu'il commandera com-
prendra comme unités principales : le croiseur
cuirassé Montealm, dont les essais sont à peine
achevés et qui va partir prochainement de
Toulon pour se rendre à Brest. Son déplace-
ment est de 9,517 tonneaux et il porte 610 offi-
ciers et hommes d'équipage et le croiseur Giu-
chen, du type dit croiseur corsaire, de 3.280
tonnes de déplacement et de 625 hommes d'ef-
fectif : (Le Giuchen a été envoyé en Extrême-
Orient pendant les affaires de Chine et est ren-
tré récemmont en France.
A ces deux croiseurs, qui tous deux sont
très rapides, on joindra un contre-torpilleur
du type Cassini.
Voir à la 3e page
les DERNIÈRES DÉPÊCHÉS
de la nuit et la
REVUE DES JOURNAUX
du matin
Fabrique de discours
(De notre correspondant parttCuHerJ
Carlsruhe. 11 mars.
Le conseil municipal de Carlsruhe, qui s'oc-
cupe en ce moment des préparatifs du 50' an-
niversaire grand-ducal, a reçu les offres bien
curieuses d'une maison d'édition de Brunswick,
Celle-ci propose de fournir les discours que
prononceraient les maires du duché à l'occasion
des solennités du jubilé. Le tarif n'est pas trop
élevé. Une courte allocution pour des localités
de moindre importance est taxée à 6 francs 25
centimes; un discours avec aperçus historiques
et panégyrique du grand-duc, 10 francs ; une
vraie conférence, 20 francs!
Malgré ces prix, bien modestes, te conseil
municipal a décliné l'offre de la maison de
Brunswick.
<»
LES AMAZONES AU 10E SIÈCLE
(De notre correspondant particulier)
Christiania, 11 mars.
On sait que les Wickings, hardis naviga-
teurs scandinaves, découvrirent au 10e siècle
le continent américain. On ignore générale-
ment que, à cette époque, la Norwège armait
des amazones. Des fouilles récentes opérées
dans les environs d'Aasnes ont confirmé le fait.
En ouvrant une tombe de l'époque, le D' Guld-
berg, anatomiste et anthropologiste de grand
mérite, a trouvé le squelette d'une femme
recouvert d'armures à côté d'ossements de
cheval.
Suivant l'antique coutume des guerriers
Scandinaves, la femme avait été enterrée ar-
mée et assise sur son cheval de bataille.
LA CAPTURE DE LORD METHUEN
Londres, 11 mars.
A la fin de la séance d'hier, aux Commune.
M. Brodrick a lu la troisième dépêche sui-
vante de lord Kitchener ;
Le convoi de bœufs de la colonne Methuen par-
tit une heure avant la convoi de mulets. Au point
du jour, l'ennemi fit une attaque soudaine sur l'ar-
rière. Une première confusion fut causée par des
chevaux conduits en main par des indigènes. Ces
chevaux se mirent à galoper à travers le convoi de
mulets au moment où celui-ci essayait de se rap-
procher du convoi de bœufs. Le désordre produit
dans le convoi de mulets se communiqua aux
troupes montées. Les Boors, revêtus d'uniformes
kakhi, déjouèrent toutes les tentatives des officiers
pour faire ceaset la grande confusion qui régnait
parmi cette fraction des troupes montées. Ces
troupes, ainsi que les wagons à traction de mulets,
galopèrent jusqu'à trois milles au delà du convoi
de bœufs et furent coupées du reste de la co-
lonne.
L'artillerie et l'infanterie firent preuve du plus
grand courage. L'infanterie refusa de se rendre
jusqu'à ce que la résistance fût devenue inutile.
Presque tous les hommes de Delarey étaient revê-
tus de notre uniforme, ce qui rendait impossible,
pour l'infanterie, de distinguer entre nos hommes
etlesBoërs.
L'ennemi était au nombre de 1,500 hommes avec
un canon pour projectiles de quinze livres et un
canon automatique. Delarey, Cellier, Kemp et d'au-
tres chefs boers étaient présents.
On a vu lord Methuen, bien soigné dans son wa-
gon.
J'apprends par des télégrammes privés qu'il a
la cuisse fracturée, mais que son état est satisfai-
sant.
J'espère que les renforts qui arrivent actuelle-
ment rectifieront la situation dans cette région sans
dérauger les opérations.
Londres, 11 mars.
Le correspondant du Standard à Bruxelles
télégraphie le 10 mars :
On dit ici que lord Methuen sera gardé comme
otage par Delarey.
LES CONGRÉGATIONS
Les jésuites prêcheurs
Bordeaux, 11 mars.
Des poursuites viennent d'être intentées par
le parquet de Bordeaux contre deux ex-pères
jésuites, le père Barjouet le père van den Brule,
qui ont prêché, le premier à l'église Notre-
Dame, le second à Saint-Seurin, en violation-
do la circulaire du ministre des cultes interdi-
sant aux religieux appartenant à des congré-
gations non autorisées de prêcher hors du
diocèse auquel ils sont attachés. Appelés de-
vant le juge d'instruction, ils ont déclaré qu'ils
ne répondraient à l'interrogatoire qu'avec l'as-
sistance d'un avocat.
Monlbdson, 11 mars.
Le procès engagé par la ministère public
contre les abbés Angelier et Gachet, autrefois
membres do la congrégation des Frères de la
Salette et habitant l'hermitage de NoiréLable,
est venu devant le tribunal correctionnel.
Après plaidoirie, le jugement a été reuvojé
à huitaine.,» 4
- - - -, L'B
SINISTRE DE LA RUE MONTMARTRE
LE CADAVRE DE Mme LEMOINE
Lprès l'incendie. — Les maisons atteintes. — La liste des sinistrés. — Cons-
tatations de M. Bunel. — M. G. Mesureur. — Pertes irréparables. —
La sympathie de M. Loubet. — Une lettre au préfet de police. — Le
corps de Mme Lemoine. — Chez MM. Brach et Blum. — La
matinée. — Les dégâts matériels. — L'enquête adminis-
trative. — Le jeune Schneider. — Le récit d'un
sauveteur.
La rue Montmartre présentait hier matin
un aspect inaccoutumé. Des cordons d'agents
empêchaient difficilement de circuler la foule
des gens affairés et des curieux ; la chaussée
était encombrée par les nombreux tuyaux qui
conduisaient l'eau jusqu'aux immeubles in-
cendiés.
La vue de ces maisons était sinistre. Par les
fenêtres aux carreaux brisés, aux châssis cal-
cinés, on apercevait les plafonds détruits ou
noircis par le feu, les armatures de fer tordues
par la chaleur.
Aux balcons, les enseignes ravagées par l'eau
et le feu pendaient lamentablement.
Et sur les balcons, sur les pierres effritées et
noires, on voyait courir, se démener, agiles,
infatiguables, héroïques, les pompiers dont les
casques étincelaient sous le soleil.
Cà et là, les décombres fumaient et une âcre
odeur prenait à la gorge.
Malheureusement, les dégâts n'étaient pas
purement matériels, ainsi qu'on l'avait cru
tout d'abord, et dans la matinée, les pompiers
devaient retrouver, carbonisé, le cadavre
d'une vieille femme, qu'on avait cru sauvée.
Les immeubles incendiés
L'immense incendie qui a mis en émoi le
quartier si populeux de la Bourse a été un vé-
ritable désastre.
Les immeub!es détruits appartenaient à une
société financière qui a fait construire, il y a
20 ans, les deux vastes immeubles qui portent
les numéros 170 rue Montmartre, 19 et 21 rue
d'Uzès.
Ajoutons ce détail : ces deux immeubles ont
été reconstruits sur l'emplacement d'un grand
magasin de nouveautés. « A la Ville de Paris»,
qui fut détruit dans un incendie. Le restaurant
installé depuis à l'entresol avait pris cette mô-
me dénomination on souvenir de ce magasin
disparu.
La maison qui fait l'angle des rues d'Uzès et
Montmartre est habitée au second étage, ainsi
que nous l'avons dit, par MM. Brach et Blum,
marchands de soieries, qui y ont installé leurs
bureaux et magasins. Ils ont agrandi leur com-
marce en louant l'étage correspondant dans
l'immeuble voisin, 19, rue d'Uzès, et réuni
ainsi les deux immeubles par une communica-
tion au second étage. Ceci explique que l'in-
cendie ayant pris dans l'un des immeubles,
s'est communiqué au second par les bureaux
de MM. Brach et Blum, embrasés en cinq mi-
nutes comme par une traînée de poudre.
Les immeubles détruits étaient occupés :
Le 21 de la ru9 d'Uzès, qui porte sur la rue
Montmartre le n' 170, par une maison de lino-
leum ; le restaurant de la Ville de Paris ; les
magasins de MM. Brach et Blum, fabricants
de rubans, soieries et velours : des fils de A.
Guillaumet et E. Chappat, teinturiers manu-
facturiers ; de MM. Kahn frères, rubans ; de
M. Lavergne, broderies mécaniques ; de M.
Charles Feïss, lainages et draperies , de M.
Charles Oster, fabricant de cols et cravates ;
enfin, par les appartements de M. Mesureur,
ancien ministre du commerce, vice-président
de la Chambre ; de Mme Page ; de Mme Pau-
line Lemoine, fabricante de fleurs artificielles;
et par le logement du chef des garçons de la
maison Brach et Blum, M. Jean Pachot.
Au 19 de la rue d'Uzès se trouvaient les ma-
gasins de la Compagnie rouennaise du lino-
leum, dont l'agent général est M. Anderson ;
de MM. Herbain, Rusconné et Trudelle, fabri-
cants de mouchoirs et toiles ; de M. Belon,
commissionnaire et directeur de la maison
d'achats des magasins « Aux Dames de
France », dont le siège social est 17, rue
Sainte-Catherine à Bordeaux ; de MM. Peni-
caud-Malâtre et Cie. fabricants de haute nou-
veauté ; de Mme Marie Meunier, lingère ; de
Mme veuve Pithon-Amiard, fabricantede plu-
mes pour parures, et par les appartements de
M. Faverot et de M. Biagolti, secrétaire de la
rédaction de l'Eclair.
Au rez-de-chaussée de l'immeuble qui fait
l'angle des rues d'Uzès et Montmartre se trou-
vent trois grandes boutiques ; l'une occupée
par un marchand de vin, l'autre par un mar-
chand de chaussures, la troisième par un mar-
chand de linoléum.
Ces boutiques ont été surtout détériorées par
l'eau, mais n'ont pas subi les atteintes da feu
qui s'est arrêté au second étage.
Le plancher de MM. Brach et Blum, fait en
ciment armé,a pu résister à la pression de l'eau
et a ainsi préservé le rez-de-chaussée, ainsi
que le premier étage.
A l'entresol, le restaurant de la Ville de Paris
t été également détruit par l'eau.
Les sinistrés
Voici la liste exacte des sinistrés de la catas-
trophe :
Au numéro 19 de la rue d'Uzès, ce sont, aux pre-
mier et deuxième étages MM. Brach et Blum. Ces
deux étages ont leur entrée par le numéro 21.
Au troisième étage : M. Herbin, marchand de
mouchoirs ; Mme Oster, marchande de cravates ;
MM. Scollet et Trudenne, marchands de toiles.
Au quatrième : M. Favreau, Mme Pitou-Auriat,
fabricants de plumes : M. Biaggiotti, secrétaire de
la rédaction de l'Eclair.
Au cinquième: M. Maurice Thibaut, employé do
commerce ; M. Fréquin, employé de commerce.
Au âi, à l'entresol: M. Germain, restaurateur ;
au premier et une partie du deuxième ; MM. Brach
et Blum, également au deuxième Mme Oster, mar-
chande de cravates.
Au troisième. M. Leguèze; M. Lavergne, mar-
chand de broderies.
Au quatrième' Mme Lemoine, fleuriste; M.Page,
marchand d'ameublements ; M. Mesureur, dé-
puté.
Au cinquième, M. Pachot, chef des garçons de la
maison Brach et Blum; Abel Auric, employé de
magasin; Piot, cuisinier; MUe Crevelin, coutu-
rière, Mlle Zumbil, modiste; Mlle Poussenard,
employée do magasin; Mme Marie Lemoine, M.
Ayral, marchand de vins.
Sur les lieux du sinistre
Ainsi que nous l'avons dit hier,MM. Lépine,
préfet de police, Laurent, secrétaire général de
la préfecture, sont arrivés dès la première
heure sur le lieu du sinistre, accompagnés de
M. Touny, directeur de la police municipale
qui a pris la direction du service d'ordre.
M. Bunel, architecte do la préfecture de po-
lice, est arrivé presque en même temps que
l'élat-major des pompiers.
M. Bunel a examiné l'immeuble qui flam-
bait, malgré les efforts des pompiers; ceux-ci
combattaient l'incendie avec des moyens insuf-
fisants. -
Leur audacieuse bravoure restait impuis-
sante contre les flammes énormes qui sor-
taient par les fenêtres et s'élevaiant à une hau-
teur prodigieuse, et ils durent surtout proté-
ger les immeubles voisins.
M. Bunel, qui craignait un écroulement de
la maison, donna des instructions pour que les
curieux fussent refoulés plu loio, et pour que
les pompiers eux mômes ne dressassent
plus leurs échelles contre les murailles, mais
au milieu de la chaussée.
— La résistance de cet immeuble, a dit M. Bu-
nel, est extraordinaire. Les plafonds n'ont pas cédé,
ce qui est remarquable, et il n'y a pas eu d'écrou-
lement. Ce mélange de plâtre, do ciment et do fer
est d'une résistance étonnante.
Non moins étonnante, toutefois, est la rapidité
-avec laquelle l'immeuble a pris feu tout entier.
Comment cet Immeuble neuf a-t-il été pris du haut
en bas, en quelques minutes ? Voilà qui est inouï,
et l'enquête doit surtout porter sur ce point.
M. Mesureur
On sait que l'appartemont de M. Mesureur a
été complètement détruit et qu'il n'a été sauvé,
ainsi que sa famille, que grâce à l'héroïsme
des pompiers.
Voici le récit que le vico-président de la
Chambre a fait du sinistre:
— J'étais dans mon cabinet de travail, occupé à
écrire des lettres, quand la bonne ouvrant brusque-
ment la porte me cria r a Il y a le Tetmni était
alors exactement neuf heures trente-cinq. J'allai
immédiatement à la porte de l'escalier pour me
rendre compte de ce qui se paasait et s'il était en-
core possible de passer. Mais je fus aveuglé par
une fumée épaisse. Je refermai aussitôt pour que
cette fumée n'envahit pas l'appartement. Mais, à
peine avais-je refermé qu'on frappa violemment à
la porte. Je rouvris : Mme Lemoine, une de nos
voisines, se précipita chez moi, suivie d'autres da-
mes: a Sauvez-nous », me dit-elle. Je les priai d'en-
trer dans mon cabinet de travail.
Ma femme et ma fille, qui se préparaient à se
coucher, se rhabillèrent vivement. Elles mon-
traient beaucoup de calme. Pour les rassurer, je
leur Os observer que vraisemblablement on étein-
drait le feu avant qu'il gagnât notre apparte-
ment.
Comme l'incendie se développait surtout du côté
de la cour où se trouvaient les chambres do mes
enfants je les en fis sortir après avoir fermé
les volets intérieurs le plus hermétiquement pos-
sible.
Au bout de quelques minutes, voyant que le
danger devenait plus pressant, j'ai réuni tout le
monde dans la chambre située à l'extrémité de
l'appartement et contigué au 168 de la rue Mont-
martre, parce que c'était le dernier endroit qui de-
vait brûler. Mme Lemoine avait avec elle des pa-
quets qu'elle tenait à sauver à tout prix. Ma femme
avait elle aussi fait des paquets.
Réunis sur le balcon, nous attendions, anxieux,
le secours qui nous viendrait de cette foule massée
dans la rue et qui poussait des cris : a Ne bougez
pas l » ',"
L'arrivée des pompiers nous rendit un peu d'es-
poir. Les pompes furent mises en batterie. Mais
quand les lances furent en place, à notre stupeur,
il n'en sortit pas d'eau. Plusieurs minutes, qui nous
parurent des siècles, se passèrent ainsi
Des flammèches commençaient à tombar sur le
balcon. La fumée nous gagnait. Ma femme, qui
était restée très maltresse d'elle-même, va prendre
dans l'armoire tous les draps qui s'y trouvent. Elle
avait pensé à les attacher ensemble pour en faire
une corde de sauvetage. Mais cela était Impratica-
ble. « Eh bien ! dit-elle, on les mouillera et nous
nous envelopperons dedans, cela nous protégera
contre la fumée. »
Enfin les pompes projetèrent de l'eau. La fumée
aussitôt devint plus intense. Notre position deve-
nait de plus en plus critique.
Par un vasistas, au-dessus de nos têtes, nous
vîmes tout à coup apparaître un employé de MM.
Braoh et Blum, Jean Pachot : « Je crois bien que
nous ne nous en sortirons pas, me dit-il, cependant
il nous faut essayer de passer sur le toit de la
maison voisine ».
Malheureusement il y avait une Inclinaison du
toit qui rendait à peu près impraticable notre fuite
par là.
Mais bientôt des pompiers et des agents cyclistes
apparurent sur le toit du 166 de la rue Montmar-
tre. Avec leur aide nous avons pu passer sur cette
maison et atteindre une lucarne.
Notre bonne a passé d'abord ; puis Mme Lemoine
et une autre dame qui était venue avec elle ; en*
suite la tilllette de Jean Pachot, qui a dix ans, puis
la mère de cette enfant. Enfin ma fille, ma femme,
mon fils, Jean Pachot et moi.
Il était dix heures quand nous sommes arrivés
à la taverne Artois, où nous avons été nous ré-
fugier. Il y avait donc près d'une demi-heure que
nous avions été prévenus que le feu était à la
maison.
Bien entendu, nous n'avons rien pu sauver des
objets mis en paquets.
Pour moi, cet incendie est un désastre irrépa-
rable. J'avais plus de cinq mille volumes, des do-
cuments de toute nature, des collections de mé-
dailles, de dessins. Tout cola est perdu.
Je m'étais promis depuis longtemps de faire un
Je
inventaire détaillé des objets que je possédais et
d'augmenter ma police d'assurance en rapport
avec la valeur de ces objets. Mais je remettais
toujours à plus tard. En sorte que je suis assuré
pour une somme bien inférieure à la perte que
j'éprouve.
A propos de la mort de Mme Lemoine,
dont nous parlons plus loin, M. Mesureur a
dit :
- Je viens d'apprendre qu'elle a été retrouvée
dans mon appartement. C'est donc qu'elle est venue
chez moi avec sa belle-fille.
Mais tandis que nous nous étions réfugiés sur le
balcon, elle a dû rester dans la chambre. Je me
souviens même qu'à un moment donné j'ai vu les
portes se refermer. J'ai attribué cela à un courant
d'air. Peut-être est-ce Mme Lemoine mère qui,
effrayée par la fumée qui pénétrait, s'enfermait.
Nous étions persuadès, quand nous avons quitté
le balcon,que toutes les dames étaient sauvées.
Ajoutons que M. Mesurent prie les personnes
qui auraient à lui faire des communications
de vouloir bien désormais les lui adresser à la
Chambre des députés.
Le député du 2S arrondissement n'a pas paru
hier sur le lieu du sinistre.
On croyait que M. Mesureur s'était réfugié,
avec sa famille, chez M. Bellan, conseiller mu-
nicipal, qui demeure rue des Jeûneurs, 33. Il
n'en était rien. L'ancien ministre s'était rendu
chez son beau-frère, M. Dudicourt, professeur
de dessin dans les écoles de la Ville de Paris,
domicilié rue d'Assa?. M. Georges Berger, dé-
puté est venu remettre sa carte au secrétaire
de M. Mesureur.
Deux lettres
Le Président de la République a fait porter,
hier ma.tin, chez M. Mesureur une lettre le
félicitant d'avoir échappé au sinistre et lui
ofirant ses condoléances pour les pertes que lui
a causées la catastrophe.
De son côté, M. Mesureur a adressé à M. Lé-
pine la lettre suivante: -..
Monsieur le préfet,
Ma première pensée, mon premier devoir, après
cette terrible soirée, sera de vous adresser ma pro-
fonde gratitude pour les agents de la police muni-
cipale et les pompiers qui ont sauvé les miens, ceux
qui me sont chers, d'un si grand péril.
Permettez-moi de joindre à l'expression de ma
reconnaissance le nom de M. Jean Pachot, garçon
de magasin dans la maison, dont l'initiative et le
sang-froid ont permis de sauver les huit femmes
réfugiées à cet angle do l'immeuble.
Veuillez me croire votre très reconnaissant ei dd.
voué,
MESUREUR.
Touchante manifestation
Dans to milhsur qii la jrapgq M. G. Masareur -
vu iurgir d'innombrables marques delà sympathie
profonde dont il est entouré Voici, par exemple, le
communication qu'on nous prie d'insérer :
Les présidents des sociétés du 2* arrondisse-
ment réunis le mardi 11 mars t la suite da si--
ristre qui frappe un des quartiers de l'arron-
dissement, émus du malheur de leurs conci-
toyens, décident à l'unanimité de vonir en aida
aux victimes nécessiteuses en ouvrant entre
eux une souscription inspirée par l'esprit di
solidarité qui anime tous les républicains.
Us envoient à leur dépulé, M. Mesureur,
l'expression de leur plus vive sympathie.
Le montant de la souscription s'élevant &
500 francs a été remis entre les mainâ de Mu
le maire de l'arrondissewont.
Société républicaine.
Dispensaire gratuit.
Patronage laïque.
Assistance par le travail.
Soupe populaire.
Prêt gratuit de couvertures.
Chasseurs topographes.
Ligne d'action républicaine.
Les Sans Souci.
La Patriotique.
Les Associations d'anciens élèves.
Société d'enseignement moderne.
L'Union du travail.
Société des garçons de magasins.
Lendemain de sinistre
A un de nos confrères qui l'interrogeait sar
ses impressions, M. Mesureur a répondu :
— Que vous dirai-je de nouveau ? Vous savez
comment les miens et moi nous avons été sauvés
par les toits, déjà léchés par les flammes, et com-
ment nous avons pu échapper à une mort atrboo
Co que je no saurais trop louer,c'est le courage des'
pompiers, qui se sont montrés tous sans une dé-
faillance, sans une exception, des héros dans toute
l'acception du mot. Ce sont eux qui nous ont sau-
vés, et je leur dois une reconnaissance sincère.
Mais, hélas ! ils n'ont pu arracher à la flamme ce
à quoi je tenais le plus, mes documents, mes pa-
piers, mes dossiers et mes notes. Tout le travail
d'une vie est détruit en quelques heures.
DECOUVERTE D'UN CADAVRE
On croyait que toutes les personnes en péril
avaient été sauvées, il n'en était rien, hélasl
et hier matin à 9 heures, tandis que les pom-
piers fouillaient les décombres, ils retrouvèrent
le cadavre carbonisé de Mme Lemoine.
Mme Clémentine Lemoine était une vieille
femme de 82 ans, à demi paralysée, qui habi-
tait avec son fils, M. Lemoine, employé à la
compagnie du gaz, et sa belle-fille, Mme Le-
moine, un appartement au cinquième étage,
en face de l'appartement de M. Mesureur.
La famille Lemoine terminait le repas du
soir lorsque la bonne, affolée, surgit dans la
salle à manger, criant: a Au tout Sauvez-
vous! »
M. et Mme Lemoine, affolés à leur tour, sa
dirigèrent vers l'escalier, entraînant à leur
suite leur mère infirme.
Périlleux sauvetage
La fumée les obligea à reculer: ils ouvri-
rent alors les fenêtres, appelèrent à l'aide,
cherchant vainement une issue.
Enfin, toujours entraînant leur vieille mère,
ils enjambèrent la balustrade qui séparait leur
balcon de celui de M. Mesureur. Ils atteigni-
rent ainsi la limite extrême de l'immeuble si-
nistré et firent des signes désespérés aux habi-
tants de la maison voisine, le n* 168. On leur
tendit des planches et des échelles et ils purent
passer sur le toit d'où ils gaguèrent resca-
lier.
Ils étaient sauvés, mais dans le sauve-qui-
peut généra], M. Lemoine avait perdu de vue
sa mère. Dès qu'il se trouva dans la rue avec
sa femme, il la réclama à tous les échos et
voulut remonter dans son appartement. On l'en
empêcha et, d'ailleurs, des personnes vinrent
affirmer que Mme Lemoine mère avait été sau-
vée comme ses enfants. Alors son fils et sa
belle-fille se mirent à la recherche. Où avait
été transportée Mme Lemoine ? Où se trou-
vait-ello?
Ce fut la question angoissante que ses en-
fants se posèrent durant toute la nuit. M. Le-
moine, qui souffre d'une maladie de coeur,
brisé par la fatigue et l'émotion, se fit conduiri
chez des amis, rue Turenne.
Lugubre découverte
A 8 heures, hier matin, Mme Lemoine était
de nouveau rue Montmartre, cherchant tou-
jours sa belle: mère, questionnant les commis-
saires de police, MM. Landel et Duponnois,
interrogeant les officiers de pompiers. Des
voisins, marchands de vins fins, rue Mont-
martre, en face de la rue d'Uzès, lui offrirent
une hospitalité passagère, et là, debout devant
la porte, Mme Lemoine suivit d'un œil anxieux
les opérations des pompiers qui fouillaient les
étages supérieurs.
A neuf heures, un lieutenant de pompiers
fait une sinistre découverte. Il a trouvé dans
l'appartement de M. Mesureur un corps hu-
main complètement carbonisé. C'est le cadavre
de Mme Lemoine mère. L'officier en informe
M. Duponnois, commissaire do police, qui
charge une parente de la belle fille de la vic-
time de lui apprendre avec des ménagements
la mort de sa belle-mère.
La pauvre femme pleure et, accablée de dou-
leur, va apprendre la triste nouvelle à son
mari, dont l'état de santé a empiré et qui n'a
pu se lever hier matin..
Au dépôt mortuaire
Le cadavre carbonisé de Mme Lemoine a été
transporté à 5 heures, au dépôt mortuaire de
la rue de Maistre, à Montmartre, dans une voi-
ture des ambulances municipales.
Le bras gauche de la victime avait été arra-
ché par la chute des matériaux et le ventre hor-
riblement ouvert.
Au magasin de soieries
MM. Brach et Blum, accompagnés d'une di-
zaino de leurs employés — ils en ont 125 —
sont venus hier matin rue d'Uzès pour visiter
ce qui reste de leurs bureaux et magasins.Mais
M. Chanot, officier de paix, et le commandant
des sapeurs-pompiers se sont opposés à cette
visite qui aurait pu occasionner des accidents.
De l'ancien immeuble, il ne reste plus guère,
en effet, que des débrits de parquet, des pou-
tres de fer et des pans de mur.
L'eau ruisselait des murs en une véritable
cataracte, de la bâtisse d'où sortent parfois
encore quelques jets de fumée épaisse.
M. Blum paraît très affecté. M. Brach n'a
pas l'air aussi ému et il parle du sinistre, tan-
dis que son associé va chercher des papiers et
des livres déposés rue Montmartre, au rez de-
chaussée,chez le marchand de chaussures dont
la boutique est presque indemne.
— Quelle est la cause de l'incendie? dit-ll.On ne
peut encore répondre précisément à cette question.
Le feu a pris dans l'atelier d'emballage, le fait est
certain , mais est-il dû à un court-circuit élec-
trique ou à toute autre cause ? L'enquête éluci.
dera probablement ce point.
Quoi qu'il en soit, cet événement pour nous est
déplorable, Toutes nos marchandises sont détruites.
Leur valeur sans atteindre, comme on l'a dit, une
somme de dix millions, représentait néanmoins
deux ou trois millions. Nos pertes matérielles sont
d'ailleurs couvertes par des assurances. Mais nous
avons malheureusement d'autres pertes à enre-
gistrer. Notre vente de l'annéo est réduite à néant
car la saison productrice commençait et on ne re-
monta pas en huit jours une maison de commoroa
de l'importance de la nôtre. Il faudra un an pour
ta reconstituer.
M. Brach dit en terminant que déjà il s'est oc-
cupé do trouver un nouveau local et qu'il pense
Installer sa maison sur lo boulevard Saint Denis.
Voici les noms des employés qui êlaiâfit
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