Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1902-10-22
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 22 octobre 1902 22 octobre 1902
Description : 1902/10/22 (N11912). 1902/10/22 (N11912).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7549198k
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/01/2013
«SINO CENTIMËS lé NumëPa. PARIS « DEPARTEMENTS Ce Numéi-O, CINO CBNTIM08
fBKDATEUR i AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS
Ci mois Troli Doit Six mois Un an
Paris. 2fr. 5fr. 9 fr. 18 fr.
M, p ut a - - 2- 6- 11— 20 —
Pûstal®. 3— Ô-16 — 32 —
RÉDACTEUR EN CHEF : CHARLES BOS
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF & CM
6, Place de la Bourse, 6
« AUX BUREAUX du JOURNAL
RÉDACTION s 14, rue du Mail '----
'De 4 à 8 heures du soir et de 40 heures du soir à 1 heui-cedu matin
N' 11912. - Mercredi 22 Octobre 1902
1er BRUMAIRE AN 111
ADMINISTRATION ; 14, vue du Mail
Adresser lettres et mandats à l'administrateur
NOS LEADERS
Le tril. nnir
Lorsque j'étais simple soldat — il y
a vingt-cinq ans!. — les caporaux
avaient encore le droit d'infliger à ceux
4e la fiole desquels ils avaient soupé
Expression technique), deux jours de
aalle de police.
Et ceci fait se dresser devant moi,
-eh! pas bien haut !. la silhouette du
caporal Brocheriou.
Ce caporal Brocheriou, c'était- il me
suffira de trois mots pour le peindre tout
entier — une simple brute.Ayant en son
cœur fruste de paysan la haine instinc-
tive du «Parisien », il me tenait en ani-
madversion toute particulière. Point de
tracasseries qu'il m'épargnât. -
Un matin, à la théoriepratique, com-
bine j'avais mis un peu de fantaisie dans
un commandement, il se rua sur moi,
exaspéré : — «Vous aurez deux jours
de salle de police 1. »
Durant le reste de l'exercice, je ré-
fléchis ; il faisait très froid ; la perspec-
tive de coucher deux nuits sur la plan-
che était désolante. Enfants ! m'écriai-
ije in-petto, comme Beaumarchais, lors
'de la première représentation du Bar-
luier de Sêville : « Enfants ! un sacrifice
est ici nécessaire !. » Je n'étais point
riche, ah ! non, diable!. Mes ongles
/raclèrent le fond de ma poche. L'offre
de prendre un verre fit d'abord se fron-
ncer noblement les sourcils du caporal
rocheriou; je goûtai cette preuve d'é-
gards donnée par lui au respect humain,
iet j'insistai; à la deuxième tournée, il
ixae levait ma punition. Et voilà.
Inutile, après cette historiette, de me
demander mon avis sur le projet actuel-
lement à l'étude qui a pour objet de re-
tirer aux caporaux, aux sous-officiers,
même aux lieutenants le droit de punir.
***
Déjà, depuis l'époque lointaine à la-
quelle je faisais allusion tout à l'heure,
ce droit de punir a été considérablement
restreint ; les caporaux, notamment, ne
peuvent plus infliger que quatre jours
de consigne. Les heureux résultats pro-
duits par cette réforme doivent tout na-
turellement conduire à celle que l'on
propose aujourd'hui.
Je ne suis pas comme les officiers qui
ont si scandaleusement et si cléricale-
ment acquitté le colonel de Saint-Rémy,
je crois à la nécessité de la discipline
dans l'armée ; et je ne vois pas, je l'a-
voue, dans certains cas, d'autre moyen,
pour assurer le respect de cette discipline,
que les punitions.
Mais c'est là un moyen auquel il ne
faut avoir recours qu'en désespoir de
cause et dont il sied d'user avec le plus
grand discernement.
Le droit de punir conféré à des êtres
ignares, sans scrupules, produit des ef-
fets diamétralement opposés à ceux
qu'on pourrait espérer de lui; il est des-
tructif do l'idée même de discipline, et
tue, dans l'esprit des inférieurs, le res-
pect des chefs.
Combien, depuis que les armées per-
manentes existent, de malheureux jeu-
nes gens ont été les victimes de ce droit
de punir exercé à tort et à travers, sans
mesure, sans intelligence ! Nous avons
tous dans la mémoire des exemples que
nous pourrions raconter. Une punition
conduit presque fatalement à une autre;
les bas gradés s'accoutument à punir,
l'homme contracte l'habitude d'être puni;
devenu bête noire, convaincu de l'inutlité
de ses efforts pour remonter le courant
qui l'entraîne, il s'abandonne, se laisse
aller ; cela finira à biribi, peut-être de-
vant le peloton d'exécution. Et il n'y
aura eu au début, souvent, qu'une faute
vénielle ; et il aurait suffi d'un peu de
clairvoyance do la part des chefs pour
éviter ce malheur irréparable : la perte
d'un être humain.
.*.
Il le savait bien, ce colonel Denis, que
j'ai rencontré aux manœuvres de 92, en
Poitou, et pour lequel, après quinze
jours vécus en sa compagnie, j'ai conçu
une si haute estime. Il avait, ce colonel,
inventé la loi de sursis dans son régi -
ment, bien avant que M. Bérenger la fit
adopter par le Sénat.
Quand un des hommes placés sous
ses ordres avait encouru pour la pre-
mière fois une punition d'une certaine
gravité, il le faisait venir et, seul avec
lui, il l'admonestait paternellement; il
lui faisait apparaître les conséquences
possibles de cette première faute sé-
rieuse : il lui montrait la page encore
vierge de son livret matricule, et lui di-
sait ; « Quel dommage, il va falloir la
saht,ccttc page blanche.
«Et une fois l'inscription faite, il n'y
aura plus moyen de l'effacer. Quand
vous reviendrez plus tard, comme ré-
serviste ou comme territorial, les chefs
que vous aurez alors sauront que vous
avez été puni. Ils no pourront avoir
pleine confiance en vous. Et puis, il
est bien rare qu'une punition ne soit
pas suivie par d'autres. Quand on a
commencé à écrire sur le livret matri-
cule, on continue. Qui sait si vous
n'arriverez pas ainsi à vous faire refuser
le certificat de bonne conduite ?.
Quelle honte pour vous !. Quelle tris-
tesse pour votre famille r.»
Neuf fois sur dix, l'homme se mettait
I pleurer. Alors le colonel: - Voyons!
vous êtes un brave garçon. Vous vous
êtes laissé entraîner. tenez: promet-
tez-moi de ne pas recommencer, et je
n'écris rien sur le livret. Oui! votre
punition ne sera inscrite que si vous en
encourez une nouvelle. »
Dites si ce n'était pas tout à fait la
loi Bérenger. L'homme, bien entendu,
promettait, jurait. J'ai demandé au co-
lonel Denis s'ils tenaient leur parole. Il
m'a répondu que le contraire n'était ar-
rivé qu'une ou deux fois en bien des
années. Que d'existences a sauvées ce
colonel! Combien vivent tranquilles et
heureux, à présent, qui, s'il ne s'était
pas fait une si haute idée de ses devoirs
de chef militaire, auraient agonisé, se-
raient morts aux compagnies de disci-
pline!
Je me résume; le droit de punir ne
peut être, ne doit être que l'expédient
laissé aux supérieurs pour les cas où
l'autorité morale dont ils doivent être
revêtus ne suffit point. Mais c'est une
arme redoutable qui peut blesser aussi
bien celui qui l'emploie que celui contre
qui elle est dirigée. Il convient donc de ne
la confier qu'à des mains expérimentées
et prudentes. C'est pourquoi nous ap-
prouvons, sans réserves, le projet qui
retire aux gradés inférieurs le droit d3
punir.
Montfermeil.
O- I.i.
- L'INTERPELLATION
Plus de cent vingt voix de
majorité ont dit à Camille Pel-
letan qu'il avait la confiance de
la Chambre.
Il faut dire aussi que l'oppo-
sition poursuivait un but inac-
cessible : présenter Camille Pel-
letan comme un ministre antipatriote, l'ac-
cuser d'être vendu à la république de Ge-
nève ! C'était par trop comique.
Parce que Pelletan, selon son devoir, a
examiné l'idée que lui apportait un savant,
parce qu'il a mis ce savant à même d'exécu-
ter un plan qui permit de juger de la valeur
de son idée, on est venu porter contre le
ministre une sorte d'accusation de haute
trahison; la majorité a écouté c-ela avec
stupéfaction, puis elle s'est mise à rire, et
le résultat a été ce que les gens de bon sens
prévoyaient : une augmentation de la majo-
rité du ministère.
Notons ceci : que l'inventeur qui apporte
une idée soit Suisse ou qu'il soit Moldave,
qu'importe? L'essentiel est d'examiner ce
qu'il offre et de ne rien livrer de ce qu'il
doit ignorer. C'est ce que Pelletan a ex-
primé excellemment.
La Chambre l'a approuvé. Il faut attendre
un ministre à ses œuvres, et non lui jeter des
bàtons dans les jambes, pendant qu'il
étudie les propositions qu'on lui apporte,
propositions qu'il est dans son rôle, d'é-
couter et d'examiner ; supposer, sans
autre enquête, qu'un ministre français li-
vre à un particulier qui offre une invention
plus ou moins intéressante, les secrets de
la défense nationale, c'est plus absurde
encore que perfide. Pelletan n'a eu qu'à
répondre, comme il l'a fait, qu'il écoute les
inventeurs pour assurer à la France le bé-
néfice de leurs découvertes et non pour
leur livrer les idées qui appartiennent à la
France. Il n'a eu qu'à ajouter qu'à son
ministère, chose dont on ne doutait pas,
les armoires sont exactement fermées.
Les applaudissements de la Chambre ont
suffisamment vengé Pelletan des attaques
inconsidérées contre lesquelles il avait a
se défendre. — Ch. B.
0.
UN NOUVEAU RALLIEMENT
A propos d'un discours prononcé par M. Bé-
rard, sous-secrétaire d'Etat aux postes et télé-
graphes, nous avons signalé récemment la ten-
tative faite par un certain nombre de députés
et de journalistes progressistes.
Il s'agissait, on s'en souvient, de rapprocher
l'arrière-garde du parti radical et l'avant-garde
du parti modéré.
Nous avons dit ce que nous pensions de cette
nouvelle combinaison cléricale. Il s'agit de
ressusciter sous un nom et sous une forme dif-
férents le ralliement cher à M. Rcnault-Mol-
lière.
Les réactionnaires se diraient anticléricaux
en principe, et, sous l'équivoque de ce dégui-
sement, une fusion s'opérerait ; les ennemis
de la République entreraient une fois de plus
dans la place.
Nous avions deviné juste. Ce sont les hom-
mes qui ont inventé le ralliement qui sont à la
tête de cette entreprise.
Les journaux nationalistes de provincé se
sont faits les propagateurs du mouvement. Un
organe périodique, le Grand National, vient
d'être fondé 1 Toutes les feuilles cléricales l'an-
noncent avec des commentaires élogieux et lui
accordent une- publicité aussi large qu'inté-
ressée.
Cette maladresse perdra les néo-ralliés. Ils
viennent de laisser percer le bout de l'oreille.
Nous sommes avertis, nous nous tiendrons sur
nos gardes. -- ---
Bas les masques 1 Nous n avons pas l'babi-
tude, nous, de nous cacher sous des étiquettes
d'emprunt. Nous n'aimons point les combats
d'embuscade.
Nous déclarons ouvertement la guerre à ceux
qui veulent continuer l'œuvre néfaste qui illus-
tra le règne de M. Méline.
Qu'ils se le tiennent pour dit et que le gou-
vernement prenne le soin d'avertir ses amis un
peu tièdes du péril qui naît à leurs côtés 1 —
L. Armbruster.
JUSTICE MILITAIRE
(De notre correspondant particulier)
Carlsruha, 20 octobre.
Un maréchal des logis du régiment des dra-
gons de la gardo (Leibregiment) s'amusait à
pénétrer à- cheval dans un square et à sauter
par dessus un banc où des enfants jouaient.
On s'imagine facilement la scène qui se pro-
duisit.
Plusieurs de ces pauvres petits sont tombés
malades de terreur ; un petit garçon a reçu un
coup de sabot du cheval.
La justice militaire a condamné le maréchal
des logis à une amende .- d'un franc 25 cenli-
ÏÏ93.
Le conseil municipal de la ville a adressé
une viveprotes talion aux autorité* wHUairQI.t.
CHRONIQUE
DU NOUVEAU MONDE
Les voyageurs autour de leur cham-
bre. — La paille et la poutre, — La
dernière de Max Q'Rell. — Le « N. -
Y. Times » fait chorus. — Es-
prit de bigoterie protestante. -
Il faut en finir. — Les Fran-
çais des Etats-Unis approu-
vent les actes du gouver-
nement. — Cimetières à
profusien. — Déchu de
de ses droits.
(De notre correspondant particulier aux
Etats-Unis)
New-York, 10 octobre.
Le Français n'aime pas les voyages, c'est
en endu. De tous les côtés, dans les salons,
dans les journaux, dans des ouvrages on a dit.
on a noté, on a répélé — en exagérant — tou-
tes los bévues que notre ignorance des coutu-
mes des autres peuples nous faisait com-
mettre.
Mais ces « gaffes » qu'on nous reproche avec
sévérité, et pour lesquelles on nous tient ri-
gueur, sont bien innocentes quand on les com-
pare aux inepties que publient les quotidiens
américains en guise d'informations authenti-
ques. Et vous jugerez, après avoir vu l'échan-
tillon suivant, de ce que peuvent être alors les
nouvelles qui n'ont pas un caractère aussi in-
contestable.
« The New-York American Journal »
Récemment le n New-York American Jour-
nal » publiait un article consacré à l'applica-
tion de la loi sur les associations. Le titre com
posé en caractère d'un centimètre de hauteur
est une tête de colonne, et s'étale sur 3 lignes ;
puis au-dessous un chapeau de quatre lignes
et un sous-titre; entln celle mention en der-
nier lieu: câblogramme spécial du New-York
American; droits réservés, par Max O'HeIJ
(Paul Blonel).
Ainsi donc, c'est un littérateur, et des moins
suspects qui, après avoir enseigné notre lan-
gue en Angleterre pendant fort longtemps, a
débuté il y a une couple d'années dans l-ejour-
nalisme, so trouve l'auteur des appréciations
que voici :
La France est encore agitée par suite de l'appli-
cation de la loi sur les associations. Toutes les
congrégations et écoles qui sont fermées par ordre
du gouvernement et dont les locataires sont expul-
sés par la police, auraient dû recevoir un avis à
cet effet six mois auparavant.
Ce n'est pas tout, voici plus fort :
Vous parlez de monarques tyranniques, mais
pour, tyrannie, donnez-moi le gouvernement de
populace ; à côté du règne de la Terreur et de l'ad-
ministration de M. Combes les autocrates rus-
ses ne sont que. de la petite bière. Traduction non
littérale, mais équivalente do la phrdse do Max
0. R. qui d'ailleurs ne tient pas debout au point de
vue grammatical non plus.
N'est-ce pas que c'est tout à fait réjouissant
do voir l'auteur de « John Bull et son île » ra-
doter ainsi ; nous lui avions autrefois repro-
ché « Jonathan et son Continent» qui fourmille
d'inepties; avouez que ce spécimen de son ré-
cent « cru » est supérieurement idiot.
Max 0 Rell ou M. Paul BIonet ignore-t-il
donc, lui un intellectuel, que la loi sur les as-
sociations a été votée, il y a plus d'un an, que
les inspecteurs d'académie et divers fonction-
naires ont prévenu les délinquants par des
rappels, des circulaires. Certaines. congréga-
tions ont obtempéré, mais il en est d'autres, un
bon nombre, qui ont affecté de mépriser les
lois. — Elles ont considéré trop les mesures
prises par les Chambres comme ne s'appli-
quant qu'aux citoyens, aux laïques, aux ou-
vriers. La coterie militaire, une clique de
gratte-papiers plus ou moins officiels, quelques
magistrats de l'ancien régime et le personnel
qui touche aux Eglises; tous ces salariés de
l'Etat qui devraient donner l'exemple ont à
maintes reprises songé à s'insurger.
Leur dernière tentative la plus coupable a
piteusement échoué; des fonds secrets ont servi
à enivrer des paysans, les partisans de la mo-
narchie ont fomenté une chouannerie ; dos
cléricaux ont accueilli les représentants de la
loi avec des injures et des ordures! La répres-
sion a été trop bénigne. Il faut à tout prix que
les élus de la nation examinent co qu'il y a
lieu de faire. Les fauteurs ont été trop nom-
breux ; le clergé tout entier apprendra plus
tôt que bien des nalionaleux le pensent, que
les prêtres, révérends, rabbins ne vivront
bientôt exclusivement que de leur commerce.
Aux fidèles des cultes de subvenir à l'entre-
tien de ces gens-là.
Acnevons l'œuvre commencée
Il importe que le mot d'ordre donné par la
noblesse et auquel les presbytères ont si bien
obtempéré serve de point de départ pour
toute une série de lois nous affranchissant des
dogmes et de la prêlraille, Les églises libres
dans l'Etat libre, ce n'est pas trop exiger, nous
semble-t-il.
Le New-York Times qui, de fait, est l'organe
attitré des pasteurs protestants fait aussi du
zèle, dame 1 quand on touche aux subsides
d'autres dogmatiseurs, les enfroqués serrent
les rangs. L'enseignement, tel que le donne
l'Etat, c'est-à-dire une instruction sérieuse,
morale et purement scientifique, n'est pas de
leur goût. Mais c'est débarrassés de n'importe
quel giron religieux que les enfants de la troi-
sième République vont enfin être éduqués; et
si on est arrivé à ce résultat remarquable,
avouez que ce n'est pas sans peine et qu'il a
fallu des efforts constants.
L'opinion française aux Etats-Unis
Les Français qui habitent les Etats-Unis ont
suivi avec grand intérêt toutes les luttes que le
gouvernement a dû soutenir contre les en-
soutanés en révolte. Us ont haussé les épaules
en lisant toutes les absurdités que l'esprit de
bigoterie, de bondieuserie a fait jaillir ici des
plumes protestantes.
Car ce n'est pas dans l'Amérique du Nord
que ce qu'on est convenu d'appeler « le libre
examen » est pratiqué. La mort ne ramène
même pas l'égalité totale, puisque dans un
grand nombre de villes il y a trois cimetières :
un affecté aux catholiques, un autre réservé
aux juifs, un dernier pour l'usage exclusif des
protestants. Mais las libres-penseurs, deman-
derez-vous? Ma foi, nous n'en sommes pas
certain, mais on nous a affirmé que c'est dans
une des deux dernières catégories qu'on les
enterre. -
Aussi cette pauvre dépouille mortelle, cette
loque, ce corps inanimé est soumis, en dépit
souvent des dernières volontés du défunt, à un
deinier affront. L'enfant, pris au berceau est
conduit, inconscient de ce qu'on lui veut, sur
les fonds baptismaux à la religion de ses pa-
rents; cet être, après avoir grandi est devenu
raisonnable ; il reprend ses droits qui n'ont pas
été respectés. C'est la solidarité et la fraternité
qui le guident; il aime ses semblables, tra-
vaille et fait des efforts pour hâter l'avènement
d'une ère de paix, de justice, de lumière et de
vérité. A son tour, il disparaît, et ses proches
et ses amis s'empressent de se disputer sur ce
cercueil ; son cadavre est souillé encore une
toia!
La liberté civile où est-elle ? Ou la voyez-
vous? Et telle est encore la coutume, à
moins aue doutant jusqu'au Dout, le mort n'ait
songé à écrire qu'il devra être incinéré. C'est
làjle seul refuge, quant à présent.
Nous voici bien loin du sujet traité, mais il
nous a semblé à propos de jeter un simple
coup d'œil sur cette contre-partie de la ques-
tion qui nous occupait afin d'édifier ceux de
nos lecteurs qui pourraient croire que les
Etals-Unis sont mieux partagés que nous au
point de vue de la liberté de conscience.
Nous nous proposons même de réunir tous
les documents concernant les appointements'
concernant les appointements dos chapelains à
bord des navires de guerre et de ceux qui pon-
tifient en anonnant la prière d'ouverture aux
congrès, conventions, etc. Nous nous occupe-
rons de renseigner nos lecteurs sur le rôle
qu'ils jouent, l'influence néfaste dont ils jouis-
sent, etc,
La République actuelle des Etats-Unis diffère
très sensiblement de celle de Washington, de
Jackson et de Lincoln.
Elle est inféodée au culte protestant; sans ré-
connaître une religion d'Etat, elle exhibe os-
tensiblement des pasteurs aux grandes occa-
sions. C'est une maladresse, une tolérance
malheureuse qui pourraient un jour mettre en
péril son existence ou retarder encore davan-
tage l'émancipation des travailleurs, car c'est
pour maintenir dans l'ignorance, inspirer une
foi en une vie future pour laquelle nous de-
vrions sacrifier notre existence, que ces révé-
tends, comme notre prêlraille, vont partout
« évangélisant ». — Un démocrate.
N, B. — Les lecteurs qui ont parcouru la
Chronique du Nouveau Monde datée du 12 juin
et parue dans le Rappel du 23 du même mois
se souviendront probablement, en présence des
graves événements qui bouleversent les condi-
tions économiques aux Etats-Unis et pourraient
causer des désordres graves, socialement par-
lant, que nous avons annoncé que la grève des
mineurs aurait une durée minimum de 4 mois
et qu'elle pourrait se prolonger pendant six
mois. Nous étions dans le vrai.
De nouveaux renseignements nous permet-
tent d'affirmer que les mineurs n'abdiqueront
pas; ils sont résolus à accepter toute interven-
tion en vue de faciliter la reprise du travail,
mais avant de descendre dans les puits les con-
cessionnaires des mines et houillères devront
solennellement promettre que les décisions de
la commission d'enquête seront appliquées.
Les patrons auront même à fournir des garan-
ties à cet égard.
Le président Roosevelt ne devra pas négliger
ce dernier point, car sa parole ne suffira pas ;
les syndicats des mineurs se rappelant ce qui
s'est passé maintes fois, se rendent compte
qu'aucune loi ne confère au président le pou-
voir d'exiger que les Compagnies minières ob-
servent les règlements qu'elles ont adoptés vis-
à-vis de leur personnel.
Les provocations, le défi, l'insolente attitude
des cumulards américains ; propriétaires de
mines, directeurs de chemins de fer a profon-
dément impressionné le pays.
Actuellement, le prix du charbon est six fois
plus élevé que l'an dernier à pareille époque.
- L. V. D.
Voir à la 39 page
les DERNIÈRES DÉPÊCHES
EN TURQUIE
Constantinople, 20 octobre.
M. Constans, ambassadeur de la République
française, est parti aujourd'hi en congé.
LA RÉFORME DU CODE DE L'ARMÉE
MM. Messimy et Maujan, députés de la
Seine, viennent de déposer une proposition
sur la réforme du code de justice militaire.
Cette proposition comporte :
1* L'attribution aux juridictions de droit com-
mun de tous les crimes et délits de droit commun
commis par les militaires ;
2" L'attribution à la juridiction correctionnelle
des attentats contre le devoir militaire ;
3° L'abrogation complète du Code de justice mi-
litaire, l'adjonction au Code pénal de quelques ar-
ticles additionnels punissant le refus d'obéissance,
les outrages, les voies de fait et la désertion ; l'a-
doucissement dans des proportions considérables
des peines actuellement édictées contre ces divers
crimes et délits.
4" Le droit de punir, enlevé aux caporaux, sous-
officiers et officiers subalternes pour être réservé
aux capitaines et officiers supérieurs.
STATISTIQUE DES REBELLES DU CAP
(De notre - correspondant -- particulier) ---
Capetown, 20 octobre.
D'après la statistique officielle, 12,119 sujets
anglais ont combattu dans les rangs desBoers ;
7,737 ont été condamnés pour ce fait; 2,422
sont renvoyés devant les tribunaux ; 1,160
sont inculpés. 88 sont morts et 712 en fuite.
Le nombre des rebelles qui se sont rendus
après la proclamation du 11 juin et qui ont
perdu leur droit d'électeur se monte à 3,437.
Parmi ces derniers, il y a un enfant de 14 ans,
deux de 13 ans, et dix-sept de 13 ans. En
somme, parmi cea 3.437 rebelles, il y a 1,087
mineurs et 268 jeunes gens de 20 ans.
LA TORTURE DANS LA COLONIE ERYTHRÉENNE
(De notre correspondant particulier)
Naples, 20 octobre.
Des bruits vagues venant de Massaouah don-
nent à entendre que ducs l'Afrique italienne
des autorités auraient commis des forfaits qui
rappellent quelque peu les procédés du fa-
meux lieutenant Livraghi. A Asmarah plu-
sieurs Ascaris soupçonnés d'avoir commis des
vols à la douane ont été soumis à la torture.
On a donné à chacun cinquante coups de
courbache (sorte do fouet en lanières de cuir)
ot on les a ensuite privés de manger et de
boire pour obtenir des aveux.
— ■ ■
Saint Michel caissier da journal
(De notre correspondant particulier>
Vienne. 20 octobre.
Il parait que saint Michel utilise les loisirs
que lui laissent ses fonctions de protectour de
la marine française à s'occuper de l'adminis-
tration d'un journal, catholique (cela va sans
dire) paraissant à FCldkircb, en Tyrol. La
feuille en question s'intitule Emmanuel et
n'est que la continuation du Pelikan, ce fa-
meux journal qui a publié leg soi-disant ré-
vélations do l'imaginaire Mlle Vaughan sur la
franc-maçonnerie.
Or los abonnés de l'Emmanuel ne brillent
pas tous par l'exactitude. Le directeur an-
nonce donc qu'il enverra aux retardataires
l'archange saint Michel avec prière de payer
l'abonnement affiérO. On t'attend avec impa-
tience.
—————————.—— ————————————
LES ÉLECTIONS
-
M. Laurent, républicain ralical, a été élu
conseiller d'arrondissement pour le canton de
Granserre (Drôrae).
M. Decaux," réactionnaire, a été élu conseil-
ler général du canton d Ënues (Orne). -
A LA CHAMBRE
LES SOUS-MARINS
M. Ferrelte a pris sur lui de poser îine q uos
tion au ministre do la marine sur « l'affaire
Piclet D. Il s'agissait de demander à Camille
Pelletan pourquoi il avait autorisé le savant
suisse, M. Piclet, à établir les plans définitifs
d'un sous-marin dont il est l'inventeur, et à les
soumettre aux services compétents du minis-
tère de la marine.
Les nationalistes faisaient grand fond sur la
discussion qui s'est engagée à. ce propos. Leur
espeir a été trompé. Qu'on en juge par le résu-
mé de la discussion :
M. Ferrette. — J'ai demandé à M. le minis-
tre do la marine de répondre à une question qui
préoccupe certainement le pays tout entier. Vous
n'êtes pas sans avoir connaissance de certains ar-
ticles publiés par des journaux plutôt favorables
au ministère actuel, comme le Malin et le Temps,
journaux auxquels naguère a même collaboré l'ho-
norable M. Pelletan.
M. Pelletan, ministre de la marine. — Il
y a eu depuis un profond changement.
M. Ferrette. — Je ne prends pas la respon-
sabilité des reproches adressés à M. le ministre de
la marine; je ne lui demande qu'une explication
loyale des faits.
On l'a accusé de deux choses : d'abord d'avoir eu
comme première préoccupation, lors de son entrée
au ministère, de supprimer l'œuvre navale entre-
prise par ses prédécesseurs, MM. Lockroy et de
Lanessan.
M. le ministre de la marine. — Qui a
dit cela ?
M. Ferrette. — Des journaux, or Ils n'ont
pas été démentis. (Interruptions à gauche.)
M. le ministre de la marine — Vous ne
m'avez pas averti de cette question; vous m'avez
prévenu que vous me demanderiez des explications
au sujet d'une publication de la presse relative à
M. Raoul Pictet. Vous abordez maintenant une
question de politique générale concernant les cons-
tructions navales.
M. Ferrette. — Cette question est la préface
de l'autre.
On dit que c'est justement parce que l'honorable
M. Pelletan ne croyait pas devoir accepter les tra
vaux entrepris par ses prédécesseurs qu'il est en-
tré en relations avec un étranger, M. Raoul Pictet,
qui a une maison en Angleterre et une autre en
Allemagne; et c'est là le point principal de ma
question. -
On ajoute même qu'il ne s'est pas contenté de
cele, mais qu'il a mis à la disposition de M. Pictet
des dessinateurs de la marine qui connaissent les
secrets de nos sous marins. Le seul fait d'avoir
mis un étranger en rapport avec des détenteurs
des secrets de la défense maritime est de nature à
émouvoir l'opinion publique.
On dit encore que M. le ministre do la marine
aurait été renseigné sur certains faits inquiétants
pour M. Pictet. En janvier 1901, des faits graves
so seraient passés au ministère de la marine. Je
n'insiste pas. Le Français et d'autres journaux y
ont insisté plus que moi. (Bruits à gauche et à l'ex-
trême gauche.)
Camille Pelletan est alors monté à la tri-
bune.
Réponse de.Camille Pelletan
M. Pelletan, ministre de la marine. - Loin
de savoir mauvais gré à M. Férette de sa question,
je l'en remercie ; car j'estime que, quand un scan-
dale est soulevé par la presse, avec les moeurs
qu'elle pratique aujourd'hui, c'est à cette tribune
qu'il convient de s'expliquer. (Applaudissements à
gauche. — Mouvements divers au centre et à
droite.)
Je tiens à honneur d'être un vieux journaliste,
fils de journaliste. Toute ma carrière s'est passée
dans une profession que je considère comme essen-
tielle. J'ai donc le droit de m'étonner de l'intru-
sion de certaines mœurs dans une partie de la
presse. (Très bien 1 très bien ! a gauche.)
Ce n'est pas le moment de m'expliquer sur Je
parti que j'ai pris relativement à la construction
des sous-marins.
On fera difficilement croire que je sois un adver-
saire de ces engins de défense, puisque c'est moi
qui les ai préconisés et quo c'est sur ma proposi-
tion que la Chambre a voté cinquante millions
pour en construire.
Non seulement je n'ai supprimé aucun des sous-
marins dont M. Lockroy a ordonné la mise en
chantier — assez de temps s'est écoulé, d'ailleurs,
depuis sa sortie du ministère, pour que tous ces
sous-marins soient achevés — mais encore je n'ai
interrompu ni ne veux interrompre la construction
d'aucun des sous-marins prévus au budget 'de
1902.
Prenez l'état H. Vous y verrez -que, loin d'inter-
rompre la construction d'aucun sous-marin, j'ai
recommandé aux arsenaux d'en hâter la construc-
tion. J'ai refusé, il est vrai, certains sous-marins
de M. l'ingénieur Laubeuf. Nous nous expliquerons
plus tatà à ce sujet.
Que s'est il passé entre M. Pictet et moi ? M.
Raoul Pictet est venu m'offrir les plans d'un sous.
marin nouveau.
C'est un savant remarquable, connu du monde
entier pour ses inventions.
Si j'avais répondu à cette offre par une fin de
non-recevoir, j'aurais manqué à mon devoir. Tons
ceux qui ont engagé contre moi une lutte acharnée
m'auraient accusé avec plus do raison d'avoir re-
fusé une invention utile pour le pays.
Voix à droite. M. Pictet travaille pour l'étran-
ger.
- M. le ministre de la marine. — Tout le
monde travaille pour l'étranger, même celles de
nos grandes maisons qui construisent nos propres
navires. Le Creusot fait des plaques de blindage
pour toutes les marines du monde.
Quand M. Pictet est venu me présenter son plan
de sous-marin, je ne le connaissais que par la ré-
putation de ses inventions.
J'ai mis à la disposition de M. Pictet un cabinet
dans l'immeuble qui appartient à la marine rue de
l'Université.
Cet immeuble est, en partie, occupé par les
cartes de la marine livrées au commerce, en par-
tie par une bibliothèque d'hydrographie dont M.
Pictet n'a pas l'accès; enfin, en grande partie, il
est vide.
Il est matériellement impossible de découvrir
dans cet immeuble quoi que ce soit qui intéresse
les sous-marins. On est à trois kilomètres, à vol
d'oiseau, du ministère de la marine, où sont tous
les renseignements que l'on pourrait viser.
J'ai donc le droit de dire que jamais M. Pictet
n'a été introduit dans un endroit où il aurait pu
surprendre un secret quelconque de la défense.
(Très bien 1 très bien! à gauche.)
Alors, on s'est rabattu sur les dessinateurs
On a dit que j'aurais mis à la disposition de M.
Pictet des dessinateurs capables de divulguer les se-
crets qu'ils pouvont possédor C'est se hâter do sus
pecter de. modestes serviteurs qui sont absolument
incapables d'une pareille divulgation. (Applaudisse-
ments à gauche.)
Mais j'arrive au fait matériel. Ce l''st pas moi
naturellement qui ai désigné les dessinateurs mis
à la disposition de M. Pictet. C'os- le chef de la
section technique que cela concerne. Il était averti
de l'emploi auquel ces dessinateurs étaient des-
tinés.
Voilà la situation de fait suffisamment élucidée.
J'ajouterai maintenant quelques mots. Pourquoi
ai je accueilli la demande de M. Pictet? Pour-
quoi SUIS je disposé à accueillir toutes les de-
mandes qui se présenteront dans les mêmes condi-
tions ?
Je crois que mon devoir est, dans cette ques-
tion dos sous-marins, de ne négliger aucun dos
moyens d'arriver au progrès que nous attendons
tous.
Intervention de M. Ed. Lockroy
Le ministre a parlé à ce moment des accu-
sations d'espionnage portées contre M. Pictet.
Ht. le ministre de la marine. — On a dit
que j'avais été prévenu que cet homme était un
espion par M. l'amiral Fournier et par M. l'amiral
Marquer et que je n'avais pas écouté dos conseils
qui auraient dû avoir auprès de moi une si grande
autorité.
Je ne crois pas avoir vu l'amiral Fournier de-
puis que M. Pictet est installé rue de l'Université,
mais je suis sûr qu'il ne m'a fait parlerai avertir de
rien, directement ou indirectement. Quant à l'a-
mIrai Marquer, je le vois tous les jours , il est ici,
et s'il pouvait parler, il dirait que les conversations
que nous tenons sont strictement confidentielles et
ne sont révélée* à personne ; qùo ablammus la
conversation qui a été reproduite est absolument
fantaisiste.
M. Ed. Lockroy est alors intervenu:
M. Edouard Lockroy. — On a su qu'il
existait au ministère un dossier dans lequel il est
question de la personne qui travaille rue de l'Uni-
versité. Il est certain que l'amiral Merquer, fai-
sant en cela son devoir de soldat et d'honnête
homme, a dû vous faire connaître le contena de
ce dossier ; autrement il aurait manqué à son de-
voir. -- -..
On pourrait l'interroger en le déliant du secret
professionnel. (Mouvements divers.)
M. le ministre de la marine. — Puis-
que M. Lockroy a cru pouvoir se permettre cette
grave interruption, je lui pose cette simple ques-
tion :
Il dit qu'il existe au ministère un dossier éma-
nant de la sûreté générale.
M. Edouard Lockroy. — Je n'ai pas dit
qu'il fût de la sûreté générale.
M. le ministre de la marine. — Di
quelle nature est-il ?
M. Edouard Lockroy. — J'ignore son ori-
gine. Je sais seulement que des personnes autori-
sées m'ont affirmé son existence. Je dirai aussi,
pour éclairer la religion de M. le ministre, que j'ai
eu récemment une conversation avec M. l'amiral
Marquer, que je lui ai posé mes questions d'una
façon nette et précise, et qu'au lieu de me répon-
dre négativement il a demandé à se retrancher
derrière le secret professionnel ce qui, selon moi,
équivalait à un aveu.
M. Berttioulat. - Je demande à transformer
la question en interpellation. (Interruptions sur
divers bancs.)
M. Edouard Lockroy. — Puisque cet in-
cident paraît avoir ému la Chambre, je demanda
que l'amiral Marquer soit délié du secret profes-
sionnel et interrogé en présence de témoins.
M. le ministre de la marine. — Cha-
cun sent la gravité des paroles de M. Lockroy.
J'exprime ma profonde stupéfaction d'entendre un
ancien ministre de la marine (Très bien ! très
bien !) nous poser une question à laquelle aucun
memore d'un gouvernement ne pourrait accepter
de répondre. Il l'aurait refusé lui-même s'il était if
notre place. Un dossier d'espionnage, c'est un dos-
sier de la sûreté générale, et c'est ce qu'il y a de
perfide dans les accusations portées actuelle-
ment.
Je m'3dresse à l'honnêteté et à la conscience 06
tous. Ecartons la personnalité de M. Pictet (Inter-
ruptions au centre), et supposez qu'un homme, la
plus innocent, le plus éloigné des secrets de la. dé-
fense, soit accusé un jour dans les mêmes condi-
tions et qu'on demande à un ministre « Y a-t-il
un dossier contre cet homme ? H Le premier mou-
vement du ministre sera de répondre : « Mais non,
il n'y a rien. » Mais il n'en aura pas moins créé un
précédent. Et si le lendemain on cite au ministre la
nom d'un autre homme sur lequel une informaûou
quelconque a été faite, que répondra-t-il?
Il refusera de répondre, et on prendra son feXul
pour un aveu..
Je dis qu'il n'y a plus de sûreté générale, s'il
dépend d'un ministre ou d'un député de lui faird
livrer ses informations. (Trè3 bien ! très bien ! sar
divers bancs à gauche.) *
Il faut mettre un terme à ces vagues soupçons
par lesquels on cherche à inquiéter la France.
Devant le pays tout entier et sur l'honneur, je
dis que depuis que je suis au ministère aucun
soupçon de celle nature ne s'est élevé ; je dis qu'a-
près avoir repris et examiné toutes les questions
laissées par mon prédécesseur, jamais les services
compétents ne se sont aperçu d'une fuite.
M. de Lanessan, - Parfaitement.
M. le ministre de la marine. — Je dé.
clare sur l'honneur qu'il n'y a eu qu'un nombre
infime d'affaires engagées et qu'après les premières
vérifications elles ont été abandonnées parce
qu'elles ne reposaient sur aucun fondement eié-
rieux,
M. de Lanessan. — Parfaitement.
M. le ministre de la marine - Ne com-
prenez-vous pas que l'on fait une mauvaise beso-
gne en inquiétant ainsi le pays ? Il n'a jamais été
question de pièces dérobées. Nos armoires sont
mieux fermées qu'on ne le croit. (Interruptions à
droite.) -
— Le croit? Lockroy? Qu'on ne Lockroy?
ont crié des plaisantins.
- Qu'on ne le pense, a repris Camille
Pelletan, peu désireux, pour l'instant, de faire
des calembours.
Il a ajouté :
Nos secrets ne nous ont pas quittés pour passer
ailleurs. J'en attends une preuve, une démonstra-
tion quelconque. Je ne livrerai à personne les in-
formations de la sûreté générale et j'attends qua
M. Lockroy présente sa proposition sous une forme
nouvelle ; mais je crois qu'il en rougirait lui-
même.
M, Edouard Lockroy. — Je n'ai pas falu
de proposition ; j'ai seulement posé une question.
Les discours de MM. Berthoulat
et Ripert
Il nous sera permis de parler très briève-
mant des discours de MM. Borthoulat et Ri-
pert. Ces deux députés ont fait transformer. la
« question » posée par M. Ferrette en « inter-
pellation ». Ils annonçaient un édifiant débal-
lage de dossiers. Les dossiers se sont trouvés
vides, et il fallu reconnaître que MM Ber-
thoulat et Ripert tenaient simplement à ocqlJo.;
per la tribune, chacun trois quarts d'heure.
Total : une heure et demie d'ennuyeux laïus.
L'ordre du jour pur et simple N
Camille Pelletan a répliqué aux inlerpella.
teurs :
Quand on a demandé à transformer la question
en interpellation, j'ai cru qu'on répondrait quelque
chose à mes arguments. On n'a rien répondu. (Ap-
plaudissements à gauche) du moins en ce qui con-
cerne les intérêts généraux du pays. On s'est borné
à apporter ici sur l'honorable M. Pictet (interrup-
tions à droite) et sur les affaires auxquelles il a
été mêlé, des détails étrangers au débat actuel. J&
n'ai donc rien à répondre et, en conséquence, je
demande à la Chambre de régler par l'ordre du
jour pur et simple un débat qu'on a soulevé sans
motifs. (Applaudissements à gauche. — Interrup-
tions à droite.)
Par 336 voix contre 211, l'ordre du jour pur
et simple a été adopté.
La séparation des églises et de l'Etat
Avant ce débat, la Chambro s'élait occupée
de la séparation des églises et de i'Elat. C'est
la nationaliste M. Ernest Roche qui a convié le
Parlement à traiter cette question, importante
sans aucun doute.
Nf.]E. Roelie.- Tous ceux qui vous ont encon-,
ragé et félicité, monsieur le président du conseil,
croient à votre sincérité et à la suite de vos idées
dans cette lutte Le moment est venu de coaclura
M. Combes, président du conseil, mHustre
de l'intérieur et des cultes. — Ce n'est pas vous
qui m'y avez encouragé.
M. Combes a laissé la Chambre libre de se
prononcer.
M. Gérault-Richard a expliqué son vole en
faveur do l'urgence. M. Henri Brisson s'est au
contraire prononcé contre l'urgence, parce que
la proposition semblait faite uniquement pour
gôner le ministère.
M. Dejeanle a demandé l'urgence pour sa
propre proposition.
Par 237 voix contre 219, la priorité n'est paa.
accordée à la proposition Dejeanle; la proposi-
silion E. Roche a le même sort par 285 vol*
contre 179 ; en revanche, par 290 voix conlro
254, l'urgence est accordée à uneproposilioada s
Reveillaud.
Avant de s'occuper des sous-marins, on a en-
tendu M. Roussel, colousl en retraite, donnek
lecluro d'une proposition de loi décidant qu&
« le droit db réquisition des troupes par l'auto-
rilé civile ne peut s'exercer qu'après un décret
rendu en conseil des ministres ».
C'est tout pour la journée — et c'est assez.
Hugues Destrem.
*» i-,
ADRESSES REPUBLICAINES
Les électeurs du quartier de la Santé, réunis
au nombre d'euviron 300, salle Dumesnil, pour
le compte, rendu de mandat du citoyen Hér-
Qaffe, conseiller cnunicip&l, sur la proosjliol
fBKDATEUR i AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS
Ci mois Troli Doit Six mois Un an
Paris. 2fr. 5fr. 9 fr. 18 fr.
M, p ut a - - 2- 6- 11— 20 —
Pûstal®. 3— Ô-16 — 32 —
RÉDACTEUR EN CHEF : CHARLES BOS
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF & CM
6, Place de la Bourse, 6
« AUX BUREAUX du JOURNAL
RÉDACTION s 14, rue du Mail '----
'De 4 à 8 heures du soir et de 40 heures du soir à 1 heui-cedu matin
N' 11912. - Mercredi 22 Octobre 1902
1er BRUMAIRE AN 111
ADMINISTRATION ; 14, vue du Mail
Adresser lettres et mandats à l'administrateur
NOS LEADERS
Le tril. nnir
Lorsque j'étais simple soldat — il y
a vingt-cinq ans!. — les caporaux
avaient encore le droit d'infliger à ceux
4e la fiole desquels ils avaient soupé
Expression technique), deux jours de
aalle de police.
Et ceci fait se dresser devant moi,
-eh! pas bien haut !. la silhouette du
caporal Brocheriou.
Ce caporal Brocheriou, c'était- il me
suffira de trois mots pour le peindre tout
entier — une simple brute.Ayant en son
cœur fruste de paysan la haine instinc-
tive du «Parisien », il me tenait en ani-
madversion toute particulière. Point de
tracasseries qu'il m'épargnât. -
Un matin, à la théoriepratique, com-
bine j'avais mis un peu de fantaisie dans
un commandement, il se rua sur moi,
exaspéré : — «Vous aurez deux jours
de salle de police 1. »
Durant le reste de l'exercice, je ré-
fléchis ; il faisait très froid ; la perspec-
tive de coucher deux nuits sur la plan-
che était désolante. Enfants ! m'écriai-
ije in-petto, comme Beaumarchais, lors
'de la première représentation du Bar-
luier de Sêville : « Enfants ! un sacrifice
est ici nécessaire !. » Je n'étais point
riche, ah ! non, diable!. Mes ongles
/raclèrent le fond de ma poche. L'offre
de prendre un verre fit d'abord se fron-
ncer noblement les sourcils du caporal
rocheriou; je goûtai cette preuve d'é-
gards donnée par lui au respect humain,
iet j'insistai; à la deuxième tournée, il
ixae levait ma punition. Et voilà.
Inutile, après cette historiette, de me
demander mon avis sur le projet actuel-
lement à l'étude qui a pour objet de re-
tirer aux caporaux, aux sous-officiers,
même aux lieutenants le droit de punir.
***
Déjà, depuis l'époque lointaine à la-
quelle je faisais allusion tout à l'heure,
ce droit de punir a été considérablement
restreint ; les caporaux, notamment, ne
peuvent plus infliger que quatre jours
de consigne. Les heureux résultats pro-
duits par cette réforme doivent tout na-
turellement conduire à celle que l'on
propose aujourd'hui.
Je ne suis pas comme les officiers qui
ont si scandaleusement et si cléricale-
ment acquitté le colonel de Saint-Rémy,
je crois à la nécessité de la discipline
dans l'armée ; et je ne vois pas, je l'a-
voue, dans certains cas, d'autre moyen,
pour assurer le respect de cette discipline,
que les punitions.
Mais c'est là un moyen auquel il ne
faut avoir recours qu'en désespoir de
cause et dont il sied d'user avec le plus
grand discernement.
Le droit de punir conféré à des êtres
ignares, sans scrupules, produit des ef-
fets diamétralement opposés à ceux
qu'on pourrait espérer de lui; il est des-
tructif do l'idée même de discipline, et
tue, dans l'esprit des inférieurs, le res-
pect des chefs.
Combien, depuis que les armées per-
manentes existent, de malheureux jeu-
nes gens ont été les victimes de ce droit
de punir exercé à tort et à travers, sans
mesure, sans intelligence ! Nous avons
tous dans la mémoire des exemples que
nous pourrions raconter. Une punition
conduit presque fatalement à une autre;
les bas gradés s'accoutument à punir,
l'homme contracte l'habitude d'être puni;
devenu bête noire, convaincu de l'inutlité
de ses efforts pour remonter le courant
qui l'entraîne, il s'abandonne, se laisse
aller ; cela finira à biribi, peut-être de-
vant le peloton d'exécution. Et il n'y
aura eu au début, souvent, qu'une faute
vénielle ; et il aurait suffi d'un peu de
clairvoyance do la part des chefs pour
éviter ce malheur irréparable : la perte
d'un être humain.
.*.
Il le savait bien, ce colonel Denis, que
j'ai rencontré aux manœuvres de 92, en
Poitou, et pour lequel, après quinze
jours vécus en sa compagnie, j'ai conçu
une si haute estime. Il avait, ce colonel,
inventé la loi de sursis dans son régi -
ment, bien avant que M. Bérenger la fit
adopter par le Sénat.
Quand un des hommes placés sous
ses ordres avait encouru pour la pre-
mière fois une punition d'une certaine
gravité, il le faisait venir et, seul avec
lui, il l'admonestait paternellement; il
lui faisait apparaître les conséquences
possibles de cette première faute sé-
rieuse : il lui montrait la page encore
vierge de son livret matricule, et lui di-
sait ; « Quel dommage, il va falloir la
saht,ccttc page blanche.
«Et une fois l'inscription faite, il n'y
aura plus moyen de l'effacer. Quand
vous reviendrez plus tard, comme ré-
serviste ou comme territorial, les chefs
que vous aurez alors sauront que vous
avez été puni. Ils no pourront avoir
pleine confiance en vous. Et puis, il
est bien rare qu'une punition ne soit
pas suivie par d'autres. Quand on a
commencé à écrire sur le livret matri-
cule, on continue. Qui sait si vous
n'arriverez pas ainsi à vous faire refuser
le certificat de bonne conduite ?.
Quelle honte pour vous !. Quelle tris-
tesse pour votre famille r.»
Neuf fois sur dix, l'homme se mettait
I pleurer. Alors le colonel: - Voyons!
vous êtes un brave garçon. Vous vous
êtes laissé entraîner. tenez: promet-
tez-moi de ne pas recommencer, et je
n'écris rien sur le livret. Oui! votre
punition ne sera inscrite que si vous en
encourez une nouvelle. »
Dites si ce n'était pas tout à fait la
loi Bérenger. L'homme, bien entendu,
promettait, jurait. J'ai demandé au co-
lonel Denis s'ils tenaient leur parole. Il
m'a répondu que le contraire n'était ar-
rivé qu'une ou deux fois en bien des
années. Que d'existences a sauvées ce
colonel! Combien vivent tranquilles et
heureux, à présent, qui, s'il ne s'était
pas fait une si haute idée de ses devoirs
de chef militaire, auraient agonisé, se-
raient morts aux compagnies de disci-
pline!
Je me résume; le droit de punir ne
peut être, ne doit être que l'expédient
laissé aux supérieurs pour les cas où
l'autorité morale dont ils doivent être
revêtus ne suffit point. Mais c'est une
arme redoutable qui peut blesser aussi
bien celui qui l'emploie que celui contre
qui elle est dirigée. Il convient donc de ne
la confier qu'à des mains expérimentées
et prudentes. C'est pourquoi nous ap-
prouvons, sans réserves, le projet qui
retire aux gradés inférieurs le droit d3
punir.
Montfermeil.
O- I.i.
- L'INTERPELLATION
Plus de cent vingt voix de
majorité ont dit à Camille Pel-
letan qu'il avait la confiance de
la Chambre.
Il faut dire aussi que l'oppo-
sition poursuivait un but inac-
cessible : présenter Camille Pel-
letan comme un ministre antipatriote, l'ac-
cuser d'être vendu à la république de Ge-
nève ! C'était par trop comique.
Parce que Pelletan, selon son devoir, a
examiné l'idée que lui apportait un savant,
parce qu'il a mis ce savant à même d'exécu-
ter un plan qui permit de juger de la valeur
de son idée, on est venu porter contre le
ministre une sorte d'accusation de haute
trahison; la majorité a écouté c-ela avec
stupéfaction, puis elle s'est mise à rire, et
le résultat a été ce que les gens de bon sens
prévoyaient : une augmentation de la majo-
rité du ministère.
Notons ceci : que l'inventeur qui apporte
une idée soit Suisse ou qu'il soit Moldave,
qu'importe? L'essentiel est d'examiner ce
qu'il offre et de ne rien livrer de ce qu'il
doit ignorer. C'est ce que Pelletan a ex-
primé excellemment.
La Chambre l'a approuvé. Il faut attendre
un ministre à ses œuvres, et non lui jeter des
bàtons dans les jambes, pendant qu'il
étudie les propositions qu'on lui apporte,
propositions qu'il est dans son rôle, d'é-
couter et d'examiner ; supposer, sans
autre enquête, qu'un ministre français li-
vre à un particulier qui offre une invention
plus ou moins intéressante, les secrets de
la défense nationale, c'est plus absurde
encore que perfide. Pelletan n'a eu qu'à
répondre, comme il l'a fait, qu'il écoute les
inventeurs pour assurer à la France le bé-
néfice de leurs découvertes et non pour
leur livrer les idées qui appartiennent à la
France. Il n'a eu qu'à ajouter qu'à son
ministère, chose dont on ne doutait pas,
les armoires sont exactement fermées.
Les applaudissements de la Chambre ont
suffisamment vengé Pelletan des attaques
inconsidérées contre lesquelles il avait a
se défendre. — Ch. B.
0.
UN NOUVEAU RALLIEMENT
A propos d'un discours prononcé par M. Bé-
rard, sous-secrétaire d'Etat aux postes et télé-
graphes, nous avons signalé récemment la ten-
tative faite par un certain nombre de députés
et de journalistes progressistes.
Il s'agissait, on s'en souvient, de rapprocher
l'arrière-garde du parti radical et l'avant-garde
du parti modéré.
Nous avons dit ce que nous pensions de cette
nouvelle combinaison cléricale. Il s'agit de
ressusciter sous un nom et sous une forme dif-
férents le ralliement cher à M. Rcnault-Mol-
lière.
Les réactionnaires se diraient anticléricaux
en principe, et, sous l'équivoque de ce dégui-
sement, une fusion s'opérerait ; les ennemis
de la République entreraient une fois de plus
dans la place.
Nous avions deviné juste. Ce sont les hom-
mes qui ont inventé le ralliement qui sont à la
tête de cette entreprise.
Les journaux nationalistes de provincé se
sont faits les propagateurs du mouvement. Un
organe périodique, le Grand National, vient
d'être fondé 1 Toutes les feuilles cléricales l'an-
noncent avec des commentaires élogieux et lui
accordent une- publicité aussi large qu'inté-
ressée.
Cette maladresse perdra les néo-ralliés. Ils
viennent de laisser percer le bout de l'oreille.
Nous sommes avertis, nous nous tiendrons sur
nos gardes. -- ---
Bas les masques 1 Nous n avons pas l'babi-
tude, nous, de nous cacher sous des étiquettes
d'emprunt. Nous n'aimons point les combats
d'embuscade.
Nous déclarons ouvertement la guerre à ceux
qui veulent continuer l'œuvre néfaste qui illus-
tra le règne de M. Méline.
Qu'ils se le tiennent pour dit et que le gou-
vernement prenne le soin d'avertir ses amis un
peu tièdes du péril qui naît à leurs côtés 1 —
L. Armbruster.
JUSTICE MILITAIRE
(De notre correspondant particulier)
Carlsruha, 20 octobre.
Un maréchal des logis du régiment des dra-
gons de la gardo (Leibregiment) s'amusait à
pénétrer à- cheval dans un square et à sauter
par dessus un banc où des enfants jouaient.
On s'imagine facilement la scène qui se pro-
duisit.
Plusieurs de ces pauvres petits sont tombés
malades de terreur ; un petit garçon a reçu un
coup de sabot du cheval.
La justice militaire a condamné le maréchal
des logis à une amende .- d'un franc 25 cenli-
ÏÏ93.
Le conseil municipal de la ville a adressé
une viveprotes talion aux autorité* wHUairQI.t.
CHRONIQUE
DU NOUVEAU MONDE
Les voyageurs autour de leur cham-
bre. — La paille et la poutre, — La
dernière de Max Q'Rell. — Le « N. -
Y. Times » fait chorus. — Es-
prit de bigoterie protestante. -
Il faut en finir. — Les Fran-
çais des Etats-Unis approu-
vent les actes du gouver-
nement. — Cimetières à
profusien. — Déchu de
de ses droits.
(De notre correspondant particulier aux
Etats-Unis)
New-York, 10 octobre.
Le Français n'aime pas les voyages, c'est
en endu. De tous les côtés, dans les salons,
dans les journaux, dans des ouvrages on a dit.
on a noté, on a répélé — en exagérant — tou-
tes los bévues que notre ignorance des coutu-
mes des autres peuples nous faisait com-
mettre.
Mais ces « gaffes » qu'on nous reproche avec
sévérité, et pour lesquelles on nous tient ri-
gueur, sont bien innocentes quand on les com-
pare aux inepties que publient les quotidiens
américains en guise d'informations authenti-
ques. Et vous jugerez, après avoir vu l'échan-
tillon suivant, de ce que peuvent être alors les
nouvelles qui n'ont pas un caractère aussi in-
contestable.
« The New-York American Journal »
Récemment le n New-York American Jour-
nal » publiait un article consacré à l'applica-
tion de la loi sur les associations. Le titre com
posé en caractère d'un centimètre de hauteur
est une tête de colonne, et s'étale sur 3 lignes ;
puis au-dessous un chapeau de quatre lignes
et un sous-titre; entln celle mention en der-
nier lieu: câblogramme spécial du New-York
American; droits réservés, par Max O'HeIJ
(Paul Blonel).
Ainsi donc, c'est un littérateur, et des moins
suspects qui, après avoir enseigné notre lan-
gue en Angleterre pendant fort longtemps, a
débuté il y a une couple d'années dans l-ejour-
nalisme, so trouve l'auteur des appréciations
que voici :
La France est encore agitée par suite de l'appli-
cation de la loi sur les associations. Toutes les
congrégations et écoles qui sont fermées par ordre
du gouvernement et dont les locataires sont expul-
sés par la police, auraient dû recevoir un avis à
cet effet six mois auparavant.
Ce n'est pas tout, voici plus fort :
Vous parlez de monarques tyranniques, mais
pour, tyrannie, donnez-moi le gouvernement de
populace ; à côté du règne de la Terreur et de l'ad-
ministration de M. Combes les autocrates rus-
ses ne sont que. de la petite bière. Traduction non
littérale, mais équivalente do la phrdse do Max
0. R. qui d'ailleurs ne tient pas debout au point de
vue grammatical non plus.
N'est-ce pas que c'est tout à fait réjouissant
do voir l'auteur de « John Bull et son île » ra-
doter ainsi ; nous lui avions autrefois repro-
ché « Jonathan et son Continent» qui fourmille
d'inepties; avouez que ce spécimen de son ré-
cent « cru » est supérieurement idiot.
Max 0 Rell ou M. Paul BIonet ignore-t-il
donc, lui un intellectuel, que la loi sur les as-
sociations a été votée, il y a plus d'un an, que
les inspecteurs d'académie et divers fonction-
naires ont prévenu les délinquants par des
rappels, des circulaires. Certaines. congréga-
tions ont obtempéré, mais il en est d'autres, un
bon nombre, qui ont affecté de mépriser les
lois. — Elles ont considéré trop les mesures
prises par les Chambres comme ne s'appli-
quant qu'aux citoyens, aux laïques, aux ou-
vriers. La coterie militaire, une clique de
gratte-papiers plus ou moins officiels, quelques
magistrats de l'ancien régime et le personnel
qui touche aux Eglises; tous ces salariés de
l'Etat qui devraient donner l'exemple ont à
maintes reprises songé à s'insurger.
Leur dernière tentative la plus coupable a
piteusement échoué; des fonds secrets ont servi
à enivrer des paysans, les partisans de la mo-
narchie ont fomenté une chouannerie ; dos
cléricaux ont accueilli les représentants de la
loi avec des injures et des ordures! La répres-
sion a été trop bénigne. Il faut à tout prix que
les élus de la nation examinent co qu'il y a
lieu de faire. Les fauteurs ont été trop nom-
breux ; le clergé tout entier apprendra plus
tôt que bien des nalionaleux le pensent, que
les prêtres, révérends, rabbins ne vivront
bientôt exclusivement que de leur commerce.
Aux fidèles des cultes de subvenir à l'entre-
tien de ces gens-là.
Acnevons l'œuvre commencée
Il importe que le mot d'ordre donné par la
noblesse et auquel les presbytères ont si bien
obtempéré serve de point de départ pour
toute une série de lois nous affranchissant des
dogmes et de la prêlraille, Les églises libres
dans l'Etat libre, ce n'est pas trop exiger, nous
semble-t-il.
Le New-York Times qui, de fait, est l'organe
attitré des pasteurs protestants fait aussi du
zèle, dame 1 quand on touche aux subsides
d'autres dogmatiseurs, les enfroqués serrent
les rangs. L'enseignement, tel que le donne
l'Etat, c'est-à-dire une instruction sérieuse,
morale et purement scientifique, n'est pas de
leur goût. Mais c'est débarrassés de n'importe
quel giron religieux que les enfants de la troi-
sième République vont enfin être éduqués; et
si on est arrivé à ce résultat remarquable,
avouez que ce n'est pas sans peine et qu'il a
fallu des efforts constants.
L'opinion française aux Etats-Unis
Les Français qui habitent les Etats-Unis ont
suivi avec grand intérêt toutes les luttes que le
gouvernement a dû soutenir contre les en-
soutanés en révolte. Us ont haussé les épaules
en lisant toutes les absurdités que l'esprit de
bigoterie, de bondieuserie a fait jaillir ici des
plumes protestantes.
Car ce n'est pas dans l'Amérique du Nord
que ce qu'on est convenu d'appeler « le libre
examen » est pratiqué. La mort ne ramène
même pas l'égalité totale, puisque dans un
grand nombre de villes il y a trois cimetières :
un affecté aux catholiques, un autre réservé
aux juifs, un dernier pour l'usage exclusif des
protestants. Mais las libres-penseurs, deman-
derez-vous? Ma foi, nous n'en sommes pas
certain, mais on nous a affirmé que c'est dans
une des deux dernières catégories qu'on les
enterre. -
Aussi cette pauvre dépouille mortelle, cette
loque, ce corps inanimé est soumis, en dépit
souvent des dernières volontés du défunt, à un
deinier affront. L'enfant, pris au berceau est
conduit, inconscient de ce qu'on lui veut, sur
les fonds baptismaux à la religion de ses pa-
rents; cet être, après avoir grandi est devenu
raisonnable ; il reprend ses droits qui n'ont pas
été respectés. C'est la solidarité et la fraternité
qui le guident; il aime ses semblables, tra-
vaille et fait des efforts pour hâter l'avènement
d'une ère de paix, de justice, de lumière et de
vérité. A son tour, il disparaît, et ses proches
et ses amis s'empressent de se disputer sur ce
cercueil ; son cadavre est souillé encore une
toia!
La liberté civile où est-elle ? Ou la voyez-
vous? Et telle est encore la coutume, à
moins aue doutant jusqu'au Dout, le mort n'ait
songé à écrire qu'il devra être incinéré. C'est
làjle seul refuge, quant à présent.
Nous voici bien loin du sujet traité, mais il
nous a semblé à propos de jeter un simple
coup d'œil sur cette contre-partie de la ques-
tion qui nous occupait afin d'édifier ceux de
nos lecteurs qui pourraient croire que les
Etals-Unis sont mieux partagés que nous au
point de vue de la liberté de conscience.
Nous nous proposons même de réunir tous
les documents concernant les appointements'
concernant les appointements dos chapelains à
bord des navires de guerre et de ceux qui pon-
tifient en anonnant la prière d'ouverture aux
congrès, conventions, etc. Nous nous occupe-
rons de renseigner nos lecteurs sur le rôle
qu'ils jouent, l'influence néfaste dont ils jouis-
sent, etc,
La République actuelle des Etats-Unis diffère
très sensiblement de celle de Washington, de
Jackson et de Lincoln.
Elle est inféodée au culte protestant; sans ré-
connaître une religion d'Etat, elle exhibe os-
tensiblement des pasteurs aux grandes occa-
sions. C'est une maladresse, une tolérance
malheureuse qui pourraient un jour mettre en
péril son existence ou retarder encore davan-
tage l'émancipation des travailleurs, car c'est
pour maintenir dans l'ignorance, inspirer une
foi en une vie future pour laquelle nous de-
vrions sacrifier notre existence, que ces révé-
tends, comme notre prêlraille, vont partout
« évangélisant ». — Un démocrate.
N, B. — Les lecteurs qui ont parcouru la
Chronique du Nouveau Monde datée du 12 juin
et parue dans le Rappel du 23 du même mois
se souviendront probablement, en présence des
graves événements qui bouleversent les condi-
tions économiques aux Etats-Unis et pourraient
causer des désordres graves, socialement par-
lant, que nous avons annoncé que la grève des
mineurs aurait une durée minimum de 4 mois
et qu'elle pourrait se prolonger pendant six
mois. Nous étions dans le vrai.
De nouveaux renseignements nous permet-
tent d'affirmer que les mineurs n'abdiqueront
pas; ils sont résolus à accepter toute interven-
tion en vue de faciliter la reprise du travail,
mais avant de descendre dans les puits les con-
cessionnaires des mines et houillères devront
solennellement promettre que les décisions de
la commission d'enquête seront appliquées.
Les patrons auront même à fournir des garan-
ties à cet égard.
Le président Roosevelt ne devra pas négliger
ce dernier point, car sa parole ne suffira pas ;
les syndicats des mineurs se rappelant ce qui
s'est passé maintes fois, se rendent compte
qu'aucune loi ne confère au président le pou-
voir d'exiger que les Compagnies minières ob-
servent les règlements qu'elles ont adoptés vis-
à-vis de leur personnel.
Les provocations, le défi, l'insolente attitude
des cumulards américains ; propriétaires de
mines, directeurs de chemins de fer a profon-
dément impressionné le pays.
Actuellement, le prix du charbon est six fois
plus élevé que l'an dernier à pareille époque.
- L. V. D.
Voir à la 39 page
les DERNIÈRES DÉPÊCHES
EN TURQUIE
Constantinople, 20 octobre.
M. Constans, ambassadeur de la République
française, est parti aujourd'hi en congé.
LA RÉFORME DU CODE DE L'ARMÉE
MM. Messimy et Maujan, députés de la
Seine, viennent de déposer une proposition
sur la réforme du code de justice militaire.
Cette proposition comporte :
1* L'attribution aux juridictions de droit com-
mun de tous les crimes et délits de droit commun
commis par les militaires ;
2" L'attribution à la juridiction correctionnelle
des attentats contre le devoir militaire ;
3° L'abrogation complète du Code de justice mi-
litaire, l'adjonction au Code pénal de quelques ar-
ticles additionnels punissant le refus d'obéissance,
les outrages, les voies de fait et la désertion ; l'a-
doucissement dans des proportions considérables
des peines actuellement édictées contre ces divers
crimes et délits.
4" Le droit de punir, enlevé aux caporaux, sous-
officiers et officiers subalternes pour être réservé
aux capitaines et officiers supérieurs.
STATISTIQUE DES REBELLES DU CAP
(De notre - correspondant -- particulier) ---
Capetown, 20 octobre.
D'après la statistique officielle, 12,119 sujets
anglais ont combattu dans les rangs desBoers ;
7,737 ont été condamnés pour ce fait; 2,422
sont renvoyés devant les tribunaux ; 1,160
sont inculpés. 88 sont morts et 712 en fuite.
Le nombre des rebelles qui se sont rendus
après la proclamation du 11 juin et qui ont
perdu leur droit d'électeur se monte à 3,437.
Parmi ces derniers, il y a un enfant de 14 ans,
deux de 13 ans, et dix-sept de 13 ans. En
somme, parmi cea 3.437 rebelles, il y a 1,087
mineurs et 268 jeunes gens de 20 ans.
LA TORTURE DANS LA COLONIE ERYTHRÉENNE
(De notre correspondant particulier)
Naples, 20 octobre.
Des bruits vagues venant de Massaouah don-
nent à entendre que ducs l'Afrique italienne
des autorités auraient commis des forfaits qui
rappellent quelque peu les procédés du fa-
meux lieutenant Livraghi. A Asmarah plu-
sieurs Ascaris soupçonnés d'avoir commis des
vols à la douane ont été soumis à la torture.
On a donné à chacun cinquante coups de
courbache (sorte do fouet en lanières de cuir)
ot on les a ensuite privés de manger et de
boire pour obtenir des aveux.
— ■ ■
Saint Michel caissier da journal
(De notre correspondant particulier>
Vienne. 20 octobre.
Il parait que saint Michel utilise les loisirs
que lui laissent ses fonctions de protectour de
la marine française à s'occuper de l'adminis-
tration d'un journal, catholique (cela va sans
dire) paraissant à FCldkircb, en Tyrol. La
feuille en question s'intitule Emmanuel et
n'est que la continuation du Pelikan, ce fa-
meux journal qui a publié leg soi-disant ré-
vélations do l'imaginaire Mlle Vaughan sur la
franc-maçonnerie.
Or los abonnés de l'Emmanuel ne brillent
pas tous par l'exactitude. Le directeur an-
nonce donc qu'il enverra aux retardataires
l'archange saint Michel avec prière de payer
l'abonnement affiérO. On t'attend avec impa-
tience.
—————————.—— ————————————
LES ÉLECTIONS
-
M. Laurent, républicain ralical, a été élu
conseiller d'arrondissement pour le canton de
Granserre (Drôrae).
M. Decaux," réactionnaire, a été élu conseil-
ler général du canton d Ënues (Orne). -
A LA CHAMBRE
LES SOUS-MARINS
M. Ferrelte a pris sur lui de poser îine q uos
tion au ministre do la marine sur « l'affaire
Piclet D. Il s'agissait de demander à Camille
Pelletan pourquoi il avait autorisé le savant
suisse, M. Piclet, à établir les plans définitifs
d'un sous-marin dont il est l'inventeur, et à les
soumettre aux services compétents du minis-
tère de la marine.
Les nationalistes faisaient grand fond sur la
discussion qui s'est engagée à. ce propos. Leur
espeir a été trompé. Qu'on en juge par le résu-
mé de la discussion :
M. Ferrette. — J'ai demandé à M. le minis-
tre do la marine de répondre à une question qui
préoccupe certainement le pays tout entier. Vous
n'êtes pas sans avoir connaissance de certains ar-
ticles publiés par des journaux plutôt favorables
au ministère actuel, comme le Malin et le Temps,
journaux auxquels naguère a même collaboré l'ho-
norable M. Pelletan.
M. Pelletan, ministre de la marine. — Il
y a eu depuis un profond changement.
M. Ferrette. — Je ne prends pas la respon-
sabilité des reproches adressés à M. le ministre de
la marine; je ne lui demande qu'une explication
loyale des faits.
On l'a accusé de deux choses : d'abord d'avoir eu
comme première préoccupation, lors de son entrée
au ministère, de supprimer l'œuvre navale entre-
prise par ses prédécesseurs, MM. Lockroy et de
Lanessan.
M. le ministre de la marine. — Qui a
dit cela ?
M. Ferrette. — Des journaux, or Ils n'ont
pas été démentis. (Interruptions à gauche.)
M. le ministre de la marine — Vous ne
m'avez pas averti de cette question; vous m'avez
prévenu que vous me demanderiez des explications
au sujet d'une publication de la presse relative à
M. Raoul Pictet. Vous abordez maintenant une
question de politique générale concernant les cons-
tructions navales.
M. Ferrette. — Cette question est la préface
de l'autre.
On dit que c'est justement parce que l'honorable
M. Pelletan ne croyait pas devoir accepter les tra
vaux entrepris par ses prédécesseurs qu'il est en-
tré en relations avec un étranger, M. Raoul Pictet,
qui a une maison en Angleterre et une autre en
Allemagne; et c'est là le point principal de ma
question. -
On ajoute même qu'il ne s'est pas contenté de
cele, mais qu'il a mis à la disposition de M. Pictet
des dessinateurs de la marine qui connaissent les
secrets de nos sous marins. Le seul fait d'avoir
mis un étranger en rapport avec des détenteurs
des secrets de la défense maritime est de nature à
émouvoir l'opinion publique.
On dit encore que M. le ministre do la marine
aurait été renseigné sur certains faits inquiétants
pour M. Pictet. En janvier 1901, des faits graves
so seraient passés au ministère de la marine. Je
n'insiste pas. Le Français et d'autres journaux y
ont insisté plus que moi. (Bruits à gauche et à l'ex-
trême gauche.)
Camille Pelletan est alors monté à la tri-
bune.
Réponse de.Camille Pelletan
M. Pelletan, ministre de la marine. - Loin
de savoir mauvais gré à M. Férette de sa question,
je l'en remercie ; car j'estime que, quand un scan-
dale est soulevé par la presse, avec les moeurs
qu'elle pratique aujourd'hui, c'est à cette tribune
qu'il convient de s'expliquer. (Applaudissements à
gauche. — Mouvements divers au centre et à
droite.)
Je tiens à honneur d'être un vieux journaliste,
fils de journaliste. Toute ma carrière s'est passée
dans une profession que je considère comme essen-
tielle. J'ai donc le droit de m'étonner de l'intru-
sion de certaines mœurs dans une partie de la
presse. (Très bien 1 très bien ! a gauche.)
Ce n'est pas le moment de m'expliquer sur Je
parti que j'ai pris relativement à la construction
des sous-marins.
On fera difficilement croire que je sois un adver-
saire de ces engins de défense, puisque c'est moi
qui les ai préconisés et quo c'est sur ma proposi-
tion que la Chambre a voté cinquante millions
pour en construire.
Non seulement je n'ai supprimé aucun des sous-
marins dont M. Lockroy a ordonné la mise en
chantier — assez de temps s'est écoulé, d'ailleurs,
depuis sa sortie du ministère, pour que tous ces
sous-marins soient achevés — mais encore je n'ai
interrompu ni ne veux interrompre la construction
d'aucun des sous-marins prévus au budget 'de
1902.
Prenez l'état H. Vous y verrez -que, loin d'inter-
rompre la construction d'aucun sous-marin, j'ai
recommandé aux arsenaux d'en hâter la construc-
tion. J'ai refusé, il est vrai, certains sous-marins
de M. l'ingénieur Laubeuf. Nous nous expliquerons
plus tatà à ce sujet.
Que s'est il passé entre M. Pictet et moi ? M.
Raoul Pictet est venu m'offrir les plans d'un sous.
marin nouveau.
C'est un savant remarquable, connu du monde
entier pour ses inventions.
Si j'avais répondu à cette offre par une fin de
non-recevoir, j'aurais manqué à mon devoir. Tons
ceux qui ont engagé contre moi une lutte acharnée
m'auraient accusé avec plus do raison d'avoir re-
fusé une invention utile pour le pays.
Voix à droite. M. Pictet travaille pour l'étran-
ger.
- M. le ministre de la marine. — Tout le
monde travaille pour l'étranger, même celles de
nos grandes maisons qui construisent nos propres
navires. Le Creusot fait des plaques de blindage
pour toutes les marines du monde.
Quand M. Pictet est venu me présenter son plan
de sous-marin, je ne le connaissais que par la ré-
putation de ses inventions.
J'ai mis à la disposition de M. Pictet un cabinet
dans l'immeuble qui appartient à la marine rue de
l'Université.
Cet immeuble est, en partie, occupé par les
cartes de la marine livrées au commerce, en par-
tie par une bibliothèque d'hydrographie dont M.
Pictet n'a pas l'accès; enfin, en grande partie, il
est vide.
Il est matériellement impossible de découvrir
dans cet immeuble quoi que ce soit qui intéresse
les sous-marins. On est à trois kilomètres, à vol
d'oiseau, du ministère de la marine, où sont tous
les renseignements que l'on pourrait viser.
J'ai donc le droit de dire que jamais M. Pictet
n'a été introduit dans un endroit où il aurait pu
surprendre un secret quelconque de la défense.
(Très bien 1 très bien! à gauche.)
Alors, on s'est rabattu sur les dessinateurs
On a dit que j'aurais mis à la disposition de M.
Pictet des dessinateurs capables de divulguer les se-
crets qu'ils pouvont possédor C'est se hâter do sus
pecter de. modestes serviteurs qui sont absolument
incapables d'une pareille divulgation. (Applaudisse-
ments à gauche.)
Mais j'arrive au fait matériel. Ce l''st pas moi
naturellement qui ai désigné les dessinateurs mis
à la disposition de M. Pictet. C'os- le chef de la
section technique que cela concerne. Il était averti
de l'emploi auquel ces dessinateurs étaient des-
tinés.
Voilà la situation de fait suffisamment élucidée.
J'ajouterai maintenant quelques mots. Pourquoi
ai je accueilli la demande de M. Pictet? Pour-
quoi SUIS je disposé à accueillir toutes les de-
mandes qui se présenteront dans les mêmes condi-
tions ?
Je crois que mon devoir est, dans cette ques-
tion dos sous-marins, de ne négliger aucun dos
moyens d'arriver au progrès que nous attendons
tous.
Intervention de M. Ed. Lockroy
Le ministre a parlé à ce moment des accu-
sations d'espionnage portées contre M. Pictet.
Ht. le ministre de la marine. — On a dit
que j'avais été prévenu que cet homme était un
espion par M. l'amiral Fournier et par M. l'amiral
Marquer et que je n'avais pas écouté dos conseils
qui auraient dû avoir auprès de moi une si grande
autorité.
Je ne crois pas avoir vu l'amiral Fournier de-
puis que M. Pictet est installé rue de l'Université,
mais je suis sûr qu'il ne m'a fait parlerai avertir de
rien, directement ou indirectement. Quant à l'a-
mIrai Marquer, je le vois tous les jours , il est ici,
et s'il pouvait parler, il dirait que les conversations
que nous tenons sont strictement confidentielles et
ne sont révélée* à personne ; qùo ablammus la
conversation qui a été reproduite est absolument
fantaisiste.
M. Ed. Lockroy est alors intervenu:
M. Edouard Lockroy. — On a su qu'il
existait au ministère un dossier dans lequel il est
question de la personne qui travaille rue de l'Uni-
versité. Il est certain que l'amiral Merquer, fai-
sant en cela son devoir de soldat et d'honnête
homme, a dû vous faire connaître le contena de
ce dossier ; autrement il aurait manqué à son de-
voir. -- -..
On pourrait l'interroger en le déliant du secret
professionnel. (Mouvements divers.)
M. le ministre de la marine. — Puis-
que M. Lockroy a cru pouvoir se permettre cette
grave interruption, je lui pose cette simple ques-
tion :
Il dit qu'il existe au ministère un dossier éma-
nant de la sûreté générale.
M. Edouard Lockroy. — Je n'ai pas dit
qu'il fût de la sûreté générale.
M. le ministre de la marine. — Di
quelle nature est-il ?
M. Edouard Lockroy. — J'ignore son ori-
gine. Je sais seulement que des personnes autori-
sées m'ont affirmé son existence. Je dirai aussi,
pour éclairer la religion de M. le ministre, que j'ai
eu récemment une conversation avec M. l'amiral
Marquer, que je lui ai posé mes questions d'una
façon nette et précise, et qu'au lieu de me répon-
dre négativement il a demandé à se retrancher
derrière le secret professionnel ce qui, selon moi,
équivalait à un aveu.
M. Berttioulat. - Je demande à transformer
la question en interpellation. (Interruptions sur
divers bancs.)
M. Edouard Lockroy. — Puisque cet in-
cident paraît avoir ému la Chambre, je demanda
que l'amiral Marquer soit délié du secret profes-
sionnel et interrogé en présence de témoins.
M. le ministre de la marine. — Cha-
cun sent la gravité des paroles de M. Lockroy.
J'exprime ma profonde stupéfaction d'entendre un
ancien ministre de la marine (Très bien ! très
bien !) nous poser une question à laquelle aucun
memore d'un gouvernement ne pourrait accepter
de répondre. Il l'aurait refusé lui-même s'il était if
notre place. Un dossier d'espionnage, c'est un dos-
sier de la sûreté générale, et c'est ce qu'il y a de
perfide dans les accusations portées actuelle-
ment.
Je m'3dresse à l'honnêteté et à la conscience 06
tous. Ecartons la personnalité de M. Pictet (Inter-
ruptions au centre), et supposez qu'un homme, la
plus innocent, le plus éloigné des secrets de la. dé-
fense, soit accusé un jour dans les mêmes condi-
tions et qu'on demande à un ministre « Y a-t-il
un dossier contre cet homme ? H Le premier mou-
vement du ministre sera de répondre : « Mais non,
il n'y a rien. » Mais il n'en aura pas moins créé un
précédent. Et si le lendemain on cite au ministre la
nom d'un autre homme sur lequel une informaûou
quelconque a été faite, que répondra-t-il?
Il refusera de répondre, et on prendra son feXul
pour un aveu..
Je dis qu'il n'y a plus de sûreté générale, s'il
dépend d'un ministre ou d'un député de lui faird
livrer ses informations. (Trè3 bien ! très bien ! sar
divers bancs à gauche.) *
Il faut mettre un terme à ces vagues soupçons
par lesquels on cherche à inquiéter la France.
Devant le pays tout entier et sur l'honneur, je
dis que depuis que je suis au ministère aucun
soupçon de celle nature ne s'est élevé ; je dis qu'a-
près avoir repris et examiné toutes les questions
laissées par mon prédécesseur, jamais les services
compétents ne se sont aperçu d'une fuite.
M. de Lanessan, - Parfaitement.
M. le ministre de la marine. — Je dé.
clare sur l'honneur qu'il n'y a eu qu'un nombre
infime d'affaires engagées et qu'après les premières
vérifications elles ont été abandonnées parce
qu'elles ne reposaient sur aucun fondement eié-
rieux,
M. de Lanessan. — Parfaitement.
M. le ministre de la marine - Ne com-
prenez-vous pas que l'on fait une mauvaise beso-
gne en inquiétant ainsi le pays ? Il n'a jamais été
question de pièces dérobées. Nos armoires sont
mieux fermées qu'on ne le croit. (Interruptions à
droite.) -
— Le croit? Lockroy? Qu'on ne Lockroy?
ont crié des plaisantins.
- Qu'on ne le pense, a repris Camille
Pelletan, peu désireux, pour l'instant, de faire
des calembours.
Il a ajouté :
Nos secrets ne nous ont pas quittés pour passer
ailleurs. J'en attends une preuve, une démonstra-
tion quelconque. Je ne livrerai à personne les in-
formations de la sûreté générale et j'attends qua
M. Lockroy présente sa proposition sous une forme
nouvelle ; mais je crois qu'il en rougirait lui-
même.
M, Edouard Lockroy. — Je n'ai pas falu
de proposition ; j'ai seulement posé une question.
Les discours de MM. Berthoulat
et Ripert
Il nous sera permis de parler très briève-
mant des discours de MM. Borthoulat et Ri-
pert. Ces deux députés ont fait transformer. la
« question » posée par M. Ferrette en « inter-
pellation ». Ils annonçaient un édifiant débal-
lage de dossiers. Les dossiers se sont trouvés
vides, et il fallu reconnaître que MM Ber-
thoulat et Ripert tenaient simplement à ocqlJo.;
per la tribune, chacun trois quarts d'heure.
Total : une heure et demie d'ennuyeux laïus.
L'ordre du jour pur et simple N
Camille Pelletan a répliqué aux inlerpella.
teurs :
Quand on a demandé à transformer la question
en interpellation, j'ai cru qu'on répondrait quelque
chose à mes arguments. On n'a rien répondu. (Ap-
plaudissements à gauche) du moins en ce qui con-
cerne les intérêts généraux du pays. On s'est borné
à apporter ici sur l'honorable M. Pictet (interrup-
tions à droite) et sur les affaires auxquelles il a
été mêlé, des détails étrangers au débat actuel. J&
n'ai donc rien à répondre et, en conséquence, je
demande à la Chambre de régler par l'ordre du
jour pur et simple un débat qu'on a soulevé sans
motifs. (Applaudissements à gauche. — Interrup-
tions à droite.)
Par 336 voix contre 211, l'ordre du jour pur
et simple a été adopté.
La séparation des églises et de l'Etat
Avant ce débat, la Chambro s'élait occupée
de la séparation des églises et de i'Elat. C'est
la nationaliste M. Ernest Roche qui a convié le
Parlement à traiter cette question, importante
sans aucun doute.
Nf.]E. Roelie.- Tous ceux qui vous ont encon-,
ragé et félicité, monsieur le président du conseil,
croient à votre sincérité et à la suite de vos idées
dans cette lutte Le moment est venu de coaclura
M. Combes, président du conseil, mHustre
de l'intérieur et des cultes. — Ce n'est pas vous
qui m'y avez encouragé.
M. Combes a laissé la Chambre libre de se
prononcer.
M. Gérault-Richard a expliqué son vole en
faveur do l'urgence. M. Henri Brisson s'est au
contraire prononcé contre l'urgence, parce que
la proposition semblait faite uniquement pour
gôner le ministère.
M. Dejeanle a demandé l'urgence pour sa
propre proposition.
Par 237 voix contre 219, la priorité n'est paa.
accordée à la proposition Dejeanle; la proposi-
silion E. Roche a le même sort par 285 vol*
contre 179 ; en revanche, par 290 voix conlro
254, l'urgence est accordée à uneproposilioada s
Reveillaud.
Avant de s'occuper des sous-marins, on a en-
tendu M. Roussel, colousl en retraite, donnek
lecluro d'une proposition de loi décidant qu&
« le droit db réquisition des troupes par l'auto-
rilé civile ne peut s'exercer qu'après un décret
rendu en conseil des ministres ».
C'est tout pour la journée — et c'est assez.
Hugues Destrem.
*» i-,
ADRESSES REPUBLICAINES
Les électeurs du quartier de la Santé, réunis
au nombre d'euviron 300, salle Dumesnil, pour
le compte, rendu de mandat du citoyen Hér-
Qaffe, conseiller cnunicip&l, sur la proosjliol
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