Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1909-07-09
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 09 juillet 1909 09 juillet 1909
Description : 1909/07/09 (N14364). 1909/07/09 (N14364).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7545097k
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 07/01/2013
N 14364 - 19 Messidor An 117. CINQ CENTIMES LE NUMÉRO
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Vendredi 9 Juillet 1909. — N. 143Ç4.- -
'- 1.
Fondateur t
AUGUSTE VACQUEBIÉ
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Ob scif Tro cza" une
Paris 2 fr. 5 fr. 9 fr. 18fir.
Départements 2 — 6 - t t - 20.
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Fondatew •
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- TRIBUNE LIBRE
Levée de Crosses
Comme les autres, j'ai
voulu, moi aussi, ne plus
croire au péril clérical et
penser que tout en ce sens
était définitivement clos et
que nous n'avions à nous
"II 'P__---- _;.,.:'1",.
préoccuper que oes reiormes swiw;cb
proprement dites.
L'ennemi de toujours disparaissant,
la marche devait être plus facile, et la
responsabilité du ministère Clemenceau
dans les retards apportés s'en trouvait
augmenter à mes yeux.
Les événements me forcent, malheu-
reusement, à ne pas persévérer plus
longtemps dans cette douce illusion.
Et si, pour moi, les responsabilités mi-
nistérielles restent aussi graves, il me
faut reconnaître tout de même que la
voie n'est pas libre et que toujours se
redresse l'ennemi que l'on croyait vain.
cu. C'est du reste, pour une part, les
sourires trop répétés du gouvernement
à la droite et les divisions que son
action dissolvante a créées entre les Ré-
publicains qui ont permis, aux éternels
adversaires de la République, de repren-
dre de nouvelles forces. Et c'est l'epar-
pillement de l'effort de la majorité ré-
publicaine, le manque absolu de clair-
voyance et de méthode qui ne lui ont
pas permis de prendre à temps les me-
sures de prudence que nécessitent cha-
que jour davantage les organisations
cléricales et réactionnaires oui se dres-
sent et contre l'école républicaine et
contre la République elle-même.
Que d'autres donc continuent à ne
plus vouloir connaître le danger clé-
rical, moi, je le vois encore, le signale,
le dénonce aux Républicains de toute
nuance, et leur demande de s'unir a
nouveau pour le combattre.
Certes, ce péril ne doit pas nous hyp-
notiser et nous faire renoncer ou mê-
me retarder notre action réformatrice,
mais nous ne pouvons le négliger. L'i-
nertie deviendrait complaisance et le
réveil pourrait être cruel.
Peut-on le nier ? Et nous reprochera-
t-on d'enfourcher un vieux dada pous-
sif ?
La chose semble difficile «en présence
des preuves, chaque jour plus éviden-
tes, plus palpables, d'une action con-
certée des troupes de l'Eglise. Il fau-
drait tout ignorer de ce qui se passe
pour nier quand même. Les associations
de pères de famille, destinées à décon-
sidérer et à vider l'école républicaine
Au profit des écoles libres, qu'une loi
incomplète a laissées subsister, ont été
créées pour préparer l'avenir en assu-
rant la main-mise de l'Eglise sur les
générations de demain. Œuvre de lon-
gue haleine, elles seront sans cesse mul-
tipliées, perfectionnées, et tout l'art
des Jésuites leur sera enseigné pour
permettre à leurs membres de mener
contre l'instituteur laïc la campagne
d'insinuations calomnieuses, de tracas-
series journalières, d'accusations écha-
faudées savamment dans les cerveaux
de quelques enfants dociles et men-
teurs qui le découragera, le déconsidé-
rera, et si possible, videra son école.
Le maître sera invité à faire peser plus
encore son autorité sur l'ouvrier, sur
le paysan, pour le forcer à envoyer
son enfant à l'écele libre où l'éternelle
résignation et la soumission aux auto-
rités célestes lui seront surtout ensei-
gnées.
Quant à l'œuvre immédiate, elle est
Confiée aux cercles catholiques où l'on
attire la jeunesse actuelle pour essayer
de l'enrégimenter par des gâteries, par
'des promesses, par l'espoir d'une place
Avantageuse dans une grande société
financière complice. Ils sont la pépi-
nière où l'on espère trouver les adhé-
rents dévoués qui, sous la direction de
quelques prêtres habiles et de quelques
fils d'ennoblis d'hier, d'enrichis de la
yeille qui doivent tout à la Révolution
'et à la République, formeront les co-
hortes de la « Jeunesse catholique »,
gros de l'armée qu'organise patiem-
ment l'Eglise.
- Les camelots du Roy, bruyants, agi-
tés, en sont l'avant-garde sacrifiée, la
réclame outrancière mais vivante, l'ar-
mée de fous, dont on veut bien se ser-
vir, mais qu'on pourra toujours renier
et sacrifier, si l'utilité s'en fait sentir.
.lIs marchent sous les bénédictions de
l'Eglise prête aux malédictions en cas
-Je danger.
r De tous - côtés des congrès et des
réunions s'organisent, sous la prési-
dence des évêques. Bans le départe-
ment de l'Allier, un congrès a eu liéu,
pendant deux jours, sous la présidence
et la" direction .de l'évêque de Moulins.
Tout ce que le pays compte de hobe-
reaux d'ancienne ou de nouvelle sou-
che* tout ce aue le Bourbonnais con-
naît de bourgeoisie égoïste et enrichie,
tout le monde outrecuidant des vilains
d'hier, parvenus d'aujourd'hui, tous
ceux qui luttent pour leurs privilèges
menacés et sont prêts à toutes les pa-
linodies, à toutes les alliances, tout ce
monde a délibéré, s'est congratulé, se
glorifiant trop tôt des victoires pro-
chaines, médisant à qui mieux mieux
de la Gueuse et de ses sectaires. Les
jupes froufroutantes s'y mêlaient aux
robes plus sévères des jeunes abbés fré-
tillants et batailleurs. On a dû faire
de solennelles promesses de nous met-
tre à mal, préparer des plans habiles,
soutirer aux bourses gonflées des som-
mes autrement élevées que celles que
leur arrachera l'impôt sur le revenu,
organiser la guerre.
Elle n'est point pour nous effrayer,
préparons-nous tout de même à la
soutenir.
Contre les lois qui les gênent, la
croisade des ensoutanés continue, con-
tre les ensoutanés, nous continuerons
à les défendre.
La loi doit être obéie, et il faut avoir
l'étrange mentalité catholique pour
émettre la singulière prétention de
choisir celles qui protègent, pour reje-
ter celles qui gênent. -
Mentalité aggravée, abaissée encore
par l'étalage des appétits, l'amour des
biens de ce monde dont la perte par-
tielle crève le cœur des mitrés.
Ce n'est pas la lutte finale annon-
cée par la chanson, c'est la lutte tout
de même pour tout ce que nous avons
conquis, pour tout ce que nous voulons
conquérir encore.
Nos adversaires s'y préparent, aux
Républicains de s'organiser et de s'u-
nir.
Marcel B.E(,';'NTER,
Député de i'Allier.
LA POLITIQUE
——
AVANT-GOUT
> - t'f.r-.
La majorité clemenciste
pourra, en lisant le discours
prononcé par M. Déroulède à
Bordeaux, ressentir, comme
avant-goût, H saveur des cri-
tiques qu'elle a valu, pai son attitude,
a.u parlementarisme.
La majorité républicaine, allante, ac-
tive, réformatrice, entraînée, bien en
main et conduite en avant par un gou-
vernement d'action, d'action républicai-
ve, d'action populaire, se trouvait autre-
fois au-dessus de toutes les attaques, de
toutes les récriminations
L'impuissance de ses adversaires fut
manifeste, en 1902, lorsqu'elle alla au
combat sous Waldeck-Rousseau, en
1906, lorsqu'elle s'y présenta avec les
formations de combats renforcées sous
le ministère Combes. C'est qu'alors tous
les groupes de gauche se sentaient les
coudes, se tenaient les mains, respiraient
un même air d'enihopsiasme réforma-
teur.
Aujourd'hui, l'entran est du côté
des adversaires et la majorité clemen-
ciste n'a plus que l'apparence d'une pha-
lange aux rangs flottant-, dont le sort est
lié au sort du chef. Les électeurs répu-
blicains, qui ne comprennent rien à ces
mentalités prétriiennes, voudraient bien
qu'iL fut question d'autre chose que
d'un homme, si incohérent fût-il, par
exemple, d'idées, de programme, de dé-
mocrate et de fidélité à la tradition ra-
dicale-socialiste. Il faut retourner à la
politique radicàle populaire ou renoncer
à défendre la République.
Quelques journaux, le Temps par
exemple, prennent la défense de la ma-
jorité immobiliste du président-du con-
seil. Mais ce n'est pas là une garantie
pour la majorité. Le Temps a défendu
successivement les centre-gauche, les
opportunistes, les méHnistes. Où sont
donc ses clients ? Ils jonchent et ont
jonché de leurs cadavres les champs de
bataille électoraux.
La majorité, sous la direction de M.
Clemenceau, se présentera devant les
électeurs en accusée : elle devra s'expli-
quer et rendre des comptes, harcelée de
tous côtés. î-es fautes qu'elle a commi-
sont nombreuses ; peut-elle les ra-
cheter '? Dans tous les ças! la démocra-
tie lui pardonnera peut-être-si elle se
monfre derrière un chef~ dont le nom
iiiisse FesDom ouvert d'un avenir: d'ac-
tion et d'activité réformatrice. Elle ne
pardonnera pas à la cohorte qui n'a su
se dégager d'un gouvernement de sta-
gnation, de régression et de répression,
d'un gouvernement de résistance au
peuple, à la démocratie
LES ON-DIT
1..
NOTRE AGENDA
Aujourd'hui jeudi:
Lever du soleil à 4 h. 8 du matin ; cou-
cher à 8 h. 2 du soir.
Matinées : Comédie-Tïançaise, Trocadé-
ro, Déjazet, Parisuma, nouveau-Cirque.
Courses à Maisons-Laffitte (Prix de Beau-
vais).
Galanterie
Ne sont-ils pas d'un vieillot tour galant
ces verselets du poète .Maynard :
Aminte assis sur le bord d'une fontaine
Où chaque berger se miroit
Triste et pensif d'un ton bas soupiroit,
En se plaignant d'une aimable inhumaine.
Puissant amour, disoit cet affligé,
En une fleur Narcisse fut changé.
Termine ainsy mes ennuys et ma vie.
Mais je voudrais qu'après ce changement,
On me cueillit pour servir d'ornement
Aux cheveux blonds de la belle Svlvie. — M.
Constance et infidélité
De noire ancien poète Jehan de la Taille,
ces gracieux versiculets :
« Côté constance », dirons-nous.
Voicy la Pentecôte
Belle Nelly;
La fraise est à mi-côte
Du bois joli ;
- Déjà - roses nouvelles
Ont refleuri
, , C'est le temps où les belles
Changent d'amis.
Changerez-vous le vôtre,
Belle Nelly ?
- Non, je n'en veux point d'autre
Que mon ami
Le temps fane les roses <•
Fraises aussi ;
Il change toutes choses ;
Mon cœur, nenny 1
Et maintenant, ces vers de Piron 2
« Côté infidélité ». r
— Pour satisfaire à tous mes vœux, ..-
C'est trop peu que d'une amourette ;
Je fais tour à tour les doux yeux
A la Vestale, à la coquetté ;
Voilà le sort le. plus heureux
Où l'homme, à mon gré, puisse atteindre ;
La vestale allume les feux,
L'autre sert à les éteindre.
Laquelle de ces deux « maximes » pré-
féreront les amoureuses ? Ce n'est pas à
nous de le dire.
Qu'un seul jour celle que j'ai choisie
Soit fidèle et cela me suffira.
C'est folie d'aimer pour la vie,
Chante le duc de Mantoue dans Rigoletto.
Mais, écrivait l'abbé Trublet - toutefois,
qu'y connaissait-il, puisque curé ? —
« Dans l'amour si l'inconstance donne
'des plaisirs, la constance seule donne le
bonheur. »
Conclusion : « Il y en a pour tous les
goûts. »
M.
.——————————— ———————————-
« L'BTOE DES FUCS »
Quel sale été, constate M. Marcel Seim-
bat. On barbette cc sous la pluie et sous
Clemenceau ». De l'eau et des histoires de
police !
La police est maîtresse. Elle règne, sou-
veraine. A la cour de Clemenceau, les flics
sont officiers d'ordonnance et porte-coton.
« La Chambre, rappelle M. Sembat, a
voté lundi, pour le centenaire de Lamarck,
une série de croix destinées à des savants.
Je n'y contredis point. Mais, j'en appelle
aux sentiments de mes collègues, à la jus-
tice du gouvernement et du pays, n'y au-
rait-il pas lieu de voter aussi une fournée
de croix spécialement réservées à la po-
lice ?
« Ensuite, si vous voulez bien, nous
pou* souviendrons que 'les généraux les
plus chamarrés préfèrent à tous les ru-
bans la médaille militaire et nous réserve-
rons, à titre, exceptionnel, la simple croix
d'honneur à Clemenceau. C'est BouréJy qui
sera chargé de la lui attacher sur la poi-
trine, assisté d'un délégué de l'Association
générale des postes. Vous n'avez pas ou-
blié, n'est-ce pas, avec quelle grâce subtile
Clemenceau exposait à la Chambre la sur-
veillance policière des députés et des pos-
tiers ?
« Pour les députés, ce n'est pas lui, c'est
le zèle spontané de la Préfecture qui en-
voie aux ministères les brèves notules qui
relatent les entretiens de Dumont ej, les
écarts de Bourélv.
« La croix auBm, voulez-vous, au génie
encore inconnu qui dressa l'embûche aux
Camelots du roi. L'aventure était savoureu-
-se et fraîche comme un chapitre de G il
Blas ! Nuit close, boutique fermée, volets
rabattus, gardien complaisant, et là-Ue-
dans, parmi le bric-à-brac, un petit souper
d'alertes étudiants frondeurs et de jeunes
évaporées ! Mais c'est exquis ! J'entends
d'ici les jolies roulades des rires perlés et
les éclats de voix qu'on fait taire ! Chut !
chut ! La tante là-haut ! Et quels jolis
noms de roman, Mariette Divol, Mireille,
deI Sarte. !
« On a voulu maquiller "tout cela de noirs
trafics, de recels, que sais-je ! Il parait
qu'une nuit Mariette a décroché du mur un
sabre pour l'offrir en cadeau ! Un sabre !
Etait-ce pour taillier et pourfendre le guet
ou bien pour mettre au clou ? Le « Sabre
de mon père » se marie là au « sabre de
ma tante » et toute cette opérette n'a rien
du sombre mélo .policier qu'on nous a cui-
siné. Mais Qn le recommencera, soyez
tranquilles, car, s'il n'a pas pris cette fois-
<4 il & servi naguère, et il servira encore.
C'est à titre découragement que nous
proposons la croix d'homieur à l'artiste. »
Allons- :\:ovons M* Clmeu& un Bon,
mouvement : on attend la promotion du
mouchardat.
■ —" — —
L'Administration
de la Marine
II faut des Sanctions
De Y Echo de Paris :
Le rapport de la commission d'enquête
sur la marine et les discours prononcés à
la tribune de la -Chambre démontrent avec
un© abondance, d'ailleurs inutile, une ef-
froyable anarchie dans l'administration de
ce grand service d'Etat. La France a dé-
pensé des milliards et des milliards pour
mettre sa flotte de guerre en état de lui
rendre, à l'heure du péril, les services
qu'elle attend d'elle. Et il se trouve que
nous n'avons plus ni bateaux qui se tien-
nent sur l'eau, ni canons, ni approvision-
nements. A quoi tient celte faillite ?
A des causes multiples, mais secondai-
res, qui ont contribué concurremment à
nous conduire à ce désastre, dont un ora-
teur parlementaire a pu dire qu'il eût
mieux valu pour nous subir deux défaites
comme celle de Tsoushima que les effets
de notre administration navale. C'est d'a-
bord l'incohérence et l'antagonisme des ser-
vices, qui travaillent pour leur propre
compte, sans daigner connaître les œu-
vres et ¡les besoins des autres directions.
Ainsi, le service des constructions nava-
les construit ses bateaux sans consulter
l'artillerie ? l'artillerie, de son côté, fabri-
que des canons sans vouloir connaître les
dispositions du navire sur lequel ils doi-
vent être placés. Ceux qui font les tourel-
les ignorent ceux qui font' les affûts, et ré-
ciproquement, et ceux qui font les canons
se moquent des uns et des autres avec la
même désinvolture. De. son côté, le ser-
vice, du contrôle, à qui manque la techni-
que de chaque métier, se mêle de tout
sans rien connaître, et ne réussit qu'à exas-
pérer tout le monde. En dehors de ces
grands services il y a, paraît-il, au minis-
tère, vingt-cinq commissions qui délibèrent
tout au long de l'année, donnent des avis,
prennent des décisions, sans consulter qui
que ce soit.
Et VEcho de Paris conclut qu' « aucune
sanction efficace » ne sera prise contre
cette Il monstrueuse gabegie ».
C'est le leit-motiv de toute la presse ré-
actionnaire — et, de ce fait, le devoir de la
Chambre apparaît' plus impérieux encore
si possible.
Sous peine d'apporter le plus formidable
argument aux adversaires du parlementa-
risme, il est indispensable de prendre non
seulement des garanties pour l'avenir, mais
de sévères sanctions pour le passé.
Elles sont inéluctables.
LES GOSEIiIftS
Nous avons visité les Gobelins la semai-
ne dernière.
Tout ce qu'on a dit et écrit au sujet de
l'état lamentable du musée de cet établis-
sement est au-dessous de la vérité.
Le musée des Gobelins est une honte
pour la France. -
Tous les étrangers qui viennent visiter
Paris consacrent une après-midi aux Gobe-
lins. Ils s'attendent à entner dans le Pa-
lais des fées et dans un Musée de? mer-
veilles. On peul juger de leur déconvenue
quand ils se trouvent dans deux ou trois
salles piteusement éclairées où il est im-
possible — môme par une claire journée
de juin — d'apercevoir une tapisserie quel-
conque.
La déception des étrangers devrait nous
servir de leçon. Ce désenchantement nuit
singulièrement au prestige de Paris, déjà
si entamé par la malpropreté de la Ville.
Quand donc l'Etat se décidera-t-il à don-
ner, au musée des Gobelins, un local di-
gne de la réputation die celte glorieuse mai-
son qui reste un des plus beaux rayons de
l'auréole artistique de la France ?
Quand s'occupera-t-on aussi de l'amélio-
ration de la "situation des artistes qui
créent tant de chefs-d'œuvre ?
Savez-vous ce que gagne un de ces ar-
tistes qui contribuent si puissamment à la
réputation de notre pays ?
Les apprentis débutent à 1,200 francs.
A leur retour du régiment, c'est-à-dire à
21 ans, ils touchent 1,400 francs.
A partir de 21 ans, les artistes ont un
avancement plus ou moins régulier qui les
amène, à la fin de leur carrière, au traite-
ment maximum de 3,000 francs alors que,
d'après le décret de 1906, ce maximum de-
vrait être de 3,600 francs.
Ainsi, voici des hommes qui fournissient
à nos musées, à toutes les cours, partout
enfin où on a le culte de l'art, des œuvres
admirables et qui ne gagnent même pas
le salaire 4lu plus médiocre des ouvriers
tapissiers !
On nous objectera bien que les artistes
des Gobelins sont logés.
Cet argument vient plutôt fortifier que
démolir nos revendications.
Chaque artiste des Gobelins a un appar-
tement de trois pièces qui représente, dans
ce quartier, un loyer maximum de 300 fr.,
mettons 400 francs. '- .--
Ces appartements sont installés dans de
vieux immeubles. Ils n'ont aucune des com-
modités des maisons modernes et remplis-
sent même imparfaitement les conditions
de l'hygiène la plus élémentaire.
En échange d'une indemnité, tous ces
artistes logeraient volontiers ailleurs, non
seulement pour éviter les inconvénients
d'une vie de caserne, mais encore pour
avoir des habitations plus confortables.
Il est grand temps de s'occuper de la si-
tuation de ces modestes et admirables au-
xiliaires à la hauteur de leur réputation.
Ne décourageons pas ces hommes qui don-
nent un si vif relief au renom de notre
pays.. Jean Clerval.
P. s. — Pourquoi M. Dujardin-Beaumetz
autorise-t-il des étrangères, notamment
des Danoises, à se perfectionner aux Go-
belins, dans l'art de la tapisserie ?
N'y a-t-il pas là une imprudence que
no us fitejfâ io.M 2 - .--
A LA CHAMBRE
L'ADMINISTRATION DE LA MIRINE
« L'anarchie règne en maîtresse dans la marine.
Pour tout dire, le Parlementa été impuissant
jusqu'ici à faire respecter par elle sa volonté.
Etre a pris les crédits et laissé les critiques.»
(M. Henri Michel, rapporteur de la Commission d'enquête)
M. Henri Michj^ a achevé son courageux
exposé sur l'état lamentable de là marine
et sur les scandales inouïs que couvre l'ad-
ministration de la rue Royale.
Les révélations du vaillant rapporteur au-
ront un retentissement considérable. Et si
la Chambre s'en est vivement émue, le
pays, mis enfin au courant de toute la vé-
rité, en ressentira une profonde indigna-
tion. -
Après l'intervention de M. Henry Michel,
les inéluctables sanctions ne sauraient pi us
— quelles que soient les infiuences, les pres-
sions et les complicités — être éludées.
Comment sont passés
les marchés
M. Henri -Michel s'occupe des conditions
dans lesquelles se traitent les marchés. Et
il montre qu'elles sont « une source très
importante de gaspillages. »
Jusqu'en 1900, l'administration de la marine
commandait ses bateaux individuellement. Lors-
qu'elle faisait appel à l'industrie privée, une
concurrence s'établissait. On se disputait la
construction du navire. Les chantiers travail-
laient, non seulement pour la marine française,
mais aussi pour les marines étrangères. C'était
le temps où l'on construisait pour la Russie.
l'Espagne et autres pays. Les frais généraux
de toute nature étaient supportés par l'ensem-
ble des commandes. -
Depuis 1900, les chantiers ne construisent plus
guère que pour la France, ils ne disputent plus
à la concurrence mondiale la construction
étrangère. Ce n'est pas là le moindre des dan-
gers qui les menacent dans un avenir prochain.
Mais l'Etat ne pourra pas indéfiniment les
alimenter. Il leur faudra bientôt affronter la
concurrence avec leurs rivaux étrangers.
Qu'ils se préparent donc à cette évolution iné-
luctable et fatale.
Quoi qu'il en soit, à partir de 1900, un chan-
gement radical s'est produit dans le mode des
commandes de la marine ; on procède désor-
mais par séries, l'ère des programmes s'ouvre.
M. de Lanessan décide la mise en chantier de
6 cuirassés et 5 croiseurs cuirassés. Sur ces
•11 bâtiments. 6 sont donnés aux arsenaux,„5 à
l'industrie privée.*
Quatre cuirassés sont mis en adjudication en
1902.
Le trust des fournisseurs
Vou' pensez peut-être que cette adjudica-
tion se produisit dans des conditions ror-
nlales et de loyauté élémentaire. Quelle er-
reur !
Il fallait construire quatre cuirassés. 11
y avait quatre grosses maisons de cons-
tructions navales.
Chacune des quatre grandes maisons de cons-
tructions navales, forges et chantiers de la Mé-
diterranée. ateliers et chantiers de la Gironde.
chantiers de la Loire, société de Penhoët, obtient
son cuirassé.
De pareils 'faits se passent de commen-
taires ; ils sont suffisamment monstrueux
par eux-mêmes. Cependant, êTIons une de
leurs conséquences :
De 1902 à 1906, les actions des forges et chan-
tiers de la Méditerranée passent de 782 fr. à
814, 925 et 1.200 fr. ; celles des chantiers de la
Loire de 959 fr. à 1.117, 1.283, 1.520 et 1.539 fr. ;
celles des ateliers et chantiers de la Gironde de
606 fr. à 679, 834. 1.150 et 1.300 fr. ; celles de la
société de Penhv:r, de 450 fr. à 900 fr.
Quant aux dividendes, ils passent de 40 à 45
francs, de 50 à 60 fr., de 30 à 40 fr. et de 25 à
30 francs.
On pourrait croire qu'il y a là un cas
irel- Malheureusement, ce qui e fit en
1SOO se reproduisit en 1906 où quatre cui-
rassés sont à5 nouveau mis en chantier et
répartis entre les quatre mémels maisons.
Bien mieux, dans sa hâte à procurer des
dividendes aux gros fournisseurs et à leurs
actionnaires, les commandes sont passées
alors que le plan même des batea.ux n'était
pas arrêté et qu'on ne savait pas de quelle
artillerie on les doterait !
Et c'est pour tout la même clïose :
Pour les marchés de plaques de blindage,
mêmes errements. Cinq fabricants, principaux
se partagent les lots, et le même esprit d'équité
préside à la répartition. Je ne puis ici fournir
à la Chambre de renseignements sur les bénéfi-
ces réalisés, parce que ces fournisseurs n'ont
pas constitué leurs affaires en actions, et que
leurs bilans ne sont pas publiés ; mais je si-
gnale toujours cette étrangeté qu'au lieu de s'a-
dresser directement aux fabricants de plaques
de blindage, la marine ne traite avec eux que
car l'intermédiaire des constructeurs de co-
ques.
Pour les tourelles, c'est la même chose. Il y
a sept constructeurs : l'un d'eux ne construit
pas les tourelles 305. En 1906, les six autres
s'attribuent chacun un bâtiment complet, et
tandis qu'en 1908 les tourelles de l'Iéna et du
Suîfren coûtaient 2 fr. 87 et 2 fr. 20 le kilo, en
1903. celles de la République coûtaient 2 fr. 97,
et en 1907 celles du Voltaire 3 fr. 18, augmenta-
tion d'autant moins justifiée que les tourelles
du Voltaire comportent des plaques h 2 fr. 60
le kilo. 1
Pour les machines, pour les c'r&udières,
cette répartition « en famille » existe et
fonctionne identiquement.
Mais il y a mieux :
Le 1" mai 1903, dit M. Henri Michel, se cons-
tituait, par devant notaire, conformément à la
loi du 21 mars 188, la chambre syndicale des
fabricants et constructeurs de matériels de
guerre. D'après l'article 2 de ses statuts, ce syn-
dicat avait pour but : 1° d'établir des relations
entre ses membres ; 2° de permettre aux adhé-
rents de se concerter en vue de maintenir de
bons 'rapports entre patrons et ouvriers ; 3° de
créer un centre d'études et d'action pour la dé-
fense des intérêts généraux re l'industrie du
matériel de guerre, et enfin, 4*, et c'est la. le
point le plus important, d'obtenir des pouvoirs
publics, avec inscription au budget, une plus
iuste répartition des commandes entre l'indus-
trie privée et les ateliers de l'Etat, (Exclamations
à l'extrême-gauche.)
Comment dès lors ne pas supposer qu il y a
une entente en vue du partage des foumitures
et de la hausse factice des prix entre des indus-
triels ainsi organisés ? (Très bien ! Très bien !)
Ententes et collusions
'Aussi M. l'inspecteur général Korn dépo-
sant devant la commission sur les marchés
et leur mode "de passation a-t-il-pu affirmer :
« Quand la marine a mis en adjudication
les blindages des cuirassés, cinq usines seu-
lement firent des propositions. Rien ne fut
changé ; tout était préparé sur le papier.
Chaque usine eut son cuirassé. »
Aussi trouve-t-on parfois des différences
de prix du simple au double, comme entre
le Jules Ferry et le Victor Hugo, par exem-
ple. M. Henri Michel signale pourquoi :
Le matériel d'artillerie du Jules-Ferry ayant
fait l'objet d'un marché en 1901, une concur-
rence inusitée s'est produite à ce moment et le
bénéficiaire de l'adjudication fut une usine qui
ne s'était jamais occupée jusque-là de ce genre
de fournitures.
Quinze mois plus tard, quand on a demandé
aux industriels des offres pour la fourniture du
Victor-Hugo, les concurrents ont. été en aussi
grand nombre, mais ils s'étaient sans doute en-
tendus, car les offres étaient sensiblement les
mêmes et les prix doubles de ceux de l'année
Drécédente, sans que la hausse des métaux pût
justifier cette différence.
Et M. le président de la commission du grand
outillage nous a dit que If le département étant
dans l'impossibilité de lutter contre cette collu-
sion des concurrents, avait dû accepter, quelle
nue fût son élévation, l'offre la moins désavan-
tageuse pour la marine ».
Comment se défendre ?
La marine doit-elle être perpétuellement
soumise à de telles pratiques et n'est-il pas
possible de protéger l'argent des contribua-
blés contre un semblable pillage ?
M. Henri Michel estime que les. préten-
tions de MM. les fournisseurs pourraient
être aisément déçues avec un peu dè mé-
thode et de volonté. Comment ?
En élargissant la concurrence ; en outillant
l'établissement d'Indret pour la construction des
turbines, et l'établissement de Guérande pour la
construction des blindages épais ; en confiant
à nos arsenaux la construction des contre-tor-
pilleurs et en ne passant pas simultanément
les marchés de quatre cuirassés, alors qu'il y a
précisément quatre constructeurs, qui peuvent
ainsi s'attribuer chacun un bâtiment.
Il faudrait; enfin organiser nos arseraux de
Brest, Lorient et Toulon de façon à !eur per-
mettre de jouer vis-à-vis des industriels le rôle
de régulateur des prix, le seul nui. justifie leur
existence en temps de paix. (Très bien ! Trè:.
bien !)
La commission a, en effet, recueilli d'au-
tre part cette conviction que la marine tend
à donner beaucoup de travaux qui pour-
raient et .devraient être exécutés dans l'ar-
senaJ.
L'insuffisance de l'outillage, maintes fois
signalée par les rapporteurs du budget, est
telle qu'il importe d'y parer au plus tôt.
Une nouvelle organisation du travail
ada.ptée aux moyens d'action modernes per-
mettrait de réaliser sur -les effectifs détour-
nés du travail manuel d'énormes écono-
mies.
Partout le désordre
Partout l'anarchie
Mais, hélas, l'anarchie et le désordre ne
se limitent pas là. On les retrouve partout,
dans tous les services, dans chacun des
rouages. -
Insuffisance du personnel à bord des bâ-
timents du cadre de réserve et même de
ceux armés en escadre : ni chauffeurs, ni
mécaniciens, cependant que, à terre, le nom-
bre des embusqués va croissant
Les approvisionnements n'existent pas
davantage. Les stocks de charbon, d'huile,
etc., sont misérablement incomplets. Inu- •
tile d'ajouter qu'en cas de conflit, les con-
séquences d'une telle pénurie seraient dé-
sastreuses.
Les services de la flotte ne savent même pas,
assure M. Michel, si ces réserves sont destinées
à la consommation courante ou doivent rester
intactes pour la guerre. En tout cas, on a tout
à fait oublié que les torpilleurs et sous-marins
avaient aussi besoin d'objets en réserve pour
le cas de guerre.
Les magasins laissent en souffrance un gM.1j
nombre de demandes de matériel ; il n'y a pas
longtemps, 356 billets de demandes attendaient
à Brest, 251 à Cherbourg. Les achats et les
commandes subissent des retards importants ;
les clâuses infinies de détail insérées dans les
marchés d'objets les plus courants éloignent les
fournisseurs sérieux ; la concurrence d'mioie
donc, et les prix s'en ressentent.
Insouciance des dépenses
L'administration de la marine dispose des
crédits mis à sa disposition avec une dé-
sinvolture extraordinaire.
Elle passe des marchés écrits pour des
achats de 22 francs, de 8 francs et même
cHrTrente sous !
Les achats sur facture ne sont guère plus
avantageux:
Un objet, facturé 9 fr. en avril, est paV3
22 Ir. en décembre suivant ; les mêmes brossas
métalliques coûtent 16 fr. 75 en janvier, 18 fr. 40
20 fr. 10 en décembre.
en septembre, d'acier, qui reviennent à 1 fr. (3
Des bagues d'acir, qui reviennent. à 1 ir. ('3
dans les ateliers de la marine, sont facturées
5 fr. 50 par un fournisseur. Une cuvette de por-
celaine avait été commandée le 22 août 1905 à
Brest ; mais le fournisseur n'a pu savoir qlle leu
3 janvier 1906 ce que voulait exactement la
marine ; la cuveite a coûté 40 francs.
D'autre part, on entretient et on conserve
un matériel devenu absolument inutilisable.
Toute une vieille flotte onéreuse. hors de
service, est maintenue et nous coûte, de ,
l'aveu même d'un ancien ministre de la
marine, plus de 25 millions par afr 1
Quel est le remède ?
Comment remédier à cette situation, s*-
ncn en modifiant de fond en comble l'orga-
nisation actuelle de l'administration- cen-
trale ?
Son fonctionnement est « broussailleux
et touffu. 1) On parvient à peine à pouvoir
le connaître. La paperasserie y règne en
maîtresse ; la crainte des responsabilités y
râjtlverrie ; les Besognes cc infimes et ridicu-
les 1) y retiennent seules l'attention.
La Tue ftoyale est « un sixième port *
où les officiera parcourent leur camère aM
; ! :.:\-:/ ::/
Vendredi 9 Juillet 1909. — N. 143Ç4.- -
'- 1.
Fondateur t
AUGUSTE VACQUEBIÉ
ABONNEMENTS
Ob scif Tro cza" une
Paris 2 fr. 5 fr. 9 fr. 18fir.
Départements 2 — 6 - t t - 20.
Union Postale 3 M 9 - tG - 32-«
Fondatew •
AUGUSTE VACQUERIE
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6, Place de la Bourse
et aux BUREAUX DU JOURNAL
Adresser toutes les Communications an Directeur Adresser Lettres et Mandats au Directeur
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- TRIBUNE LIBRE
Levée de Crosses
Comme les autres, j'ai
voulu, moi aussi, ne plus
croire au péril clérical et
penser que tout en ce sens
était définitivement clos et
que nous n'avions à nous
"II 'P__---- _;.,.:'1",.
préoccuper que oes reiormes swiw;cb
proprement dites.
L'ennemi de toujours disparaissant,
la marche devait être plus facile, et la
responsabilité du ministère Clemenceau
dans les retards apportés s'en trouvait
augmenter à mes yeux.
Les événements me forcent, malheu-
reusement, à ne pas persévérer plus
longtemps dans cette douce illusion.
Et si, pour moi, les responsabilités mi-
nistérielles restent aussi graves, il me
faut reconnaître tout de même que la
voie n'est pas libre et que toujours se
redresse l'ennemi que l'on croyait vain.
cu. C'est du reste, pour une part, les
sourires trop répétés du gouvernement
à la droite et les divisions que son
action dissolvante a créées entre les Ré-
publicains qui ont permis, aux éternels
adversaires de la République, de repren-
dre de nouvelles forces. Et c'est l'epar-
pillement de l'effort de la majorité ré-
publicaine, le manque absolu de clair-
voyance et de méthode qui ne lui ont
pas permis de prendre à temps les me-
sures de prudence que nécessitent cha-
que jour davantage les organisations
cléricales et réactionnaires oui se dres-
sent et contre l'école républicaine et
contre la République elle-même.
Que d'autres donc continuent à ne
plus vouloir connaître le danger clé-
rical, moi, je le vois encore, le signale,
le dénonce aux Républicains de toute
nuance, et leur demande de s'unir a
nouveau pour le combattre.
Certes, ce péril ne doit pas nous hyp-
notiser et nous faire renoncer ou mê-
me retarder notre action réformatrice,
mais nous ne pouvons le négliger. L'i-
nertie deviendrait complaisance et le
réveil pourrait être cruel.
Peut-on le nier ? Et nous reprochera-
t-on d'enfourcher un vieux dada pous-
sif ?
La chose semble difficile «en présence
des preuves, chaque jour plus éviden-
tes, plus palpables, d'une action con-
certée des troupes de l'Eglise. Il fau-
drait tout ignorer de ce qui se passe
pour nier quand même. Les associations
de pères de famille, destinées à décon-
sidérer et à vider l'école républicaine
Au profit des écoles libres, qu'une loi
incomplète a laissées subsister, ont été
créées pour préparer l'avenir en assu-
rant la main-mise de l'Eglise sur les
générations de demain. Œuvre de lon-
gue haleine, elles seront sans cesse mul-
tipliées, perfectionnées, et tout l'art
des Jésuites leur sera enseigné pour
permettre à leurs membres de mener
contre l'instituteur laïc la campagne
d'insinuations calomnieuses, de tracas-
series journalières, d'accusations écha-
faudées savamment dans les cerveaux
de quelques enfants dociles et men-
teurs qui le découragera, le déconsidé-
rera, et si possible, videra son école.
Le maître sera invité à faire peser plus
encore son autorité sur l'ouvrier, sur
le paysan, pour le forcer à envoyer
son enfant à l'écele libre où l'éternelle
résignation et la soumission aux auto-
rités célestes lui seront surtout ensei-
gnées.
Quant à l'œuvre immédiate, elle est
Confiée aux cercles catholiques où l'on
attire la jeunesse actuelle pour essayer
de l'enrégimenter par des gâteries, par
'des promesses, par l'espoir d'une place
Avantageuse dans une grande société
financière complice. Ils sont la pépi-
nière où l'on espère trouver les adhé-
rents dévoués qui, sous la direction de
quelques prêtres habiles et de quelques
fils d'ennoblis d'hier, d'enrichis de la
yeille qui doivent tout à la Révolution
'et à la République, formeront les co-
hortes de la « Jeunesse catholique »,
gros de l'armée qu'organise patiem-
ment l'Eglise.
- Les camelots du Roy, bruyants, agi-
tés, en sont l'avant-garde sacrifiée, la
réclame outrancière mais vivante, l'ar-
mée de fous, dont on veut bien se ser-
vir, mais qu'on pourra toujours renier
et sacrifier, si l'utilité s'en fait sentir.
.lIs marchent sous les bénédictions de
l'Eglise prête aux malédictions en cas
-Je danger.
r De tous - côtés des congrès et des
réunions s'organisent, sous la prési-
dence des évêques. Bans le départe-
ment de l'Allier, un congrès a eu liéu,
pendant deux jours, sous la présidence
et la" direction .de l'évêque de Moulins.
Tout ce que le pays compte de hobe-
reaux d'ancienne ou de nouvelle sou-
che* tout ce aue le Bourbonnais con-
naît de bourgeoisie égoïste et enrichie,
tout le monde outrecuidant des vilains
d'hier, parvenus d'aujourd'hui, tous
ceux qui luttent pour leurs privilèges
menacés et sont prêts à toutes les pa-
linodies, à toutes les alliances, tout ce
monde a délibéré, s'est congratulé, se
glorifiant trop tôt des victoires pro-
chaines, médisant à qui mieux mieux
de la Gueuse et de ses sectaires. Les
jupes froufroutantes s'y mêlaient aux
robes plus sévères des jeunes abbés fré-
tillants et batailleurs. On a dû faire
de solennelles promesses de nous met-
tre à mal, préparer des plans habiles,
soutirer aux bourses gonflées des som-
mes autrement élevées que celles que
leur arrachera l'impôt sur le revenu,
organiser la guerre.
Elle n'est point pour nous effrayer,
préparons-nous tout de même à la
soutenir.
Contre les lois qui les gênent, la
croisade des ensoutanés continue, con-
tre les ensoutanés, nous continuerons
à les défendre.
La loi doit être obéie, et il faut avoir
l'étrange mentalité catholique pour
émettre la singulière prétention de
choisir celles qui protègent, pour reje-
ter celles qui gênent. -
Mentalité aggravée, abaissée encore
par l'étalage des appétits, l'amour des
biens de ce monde dont la perte par-
tielle crève le cœur des mitrés.
Ce n'est pas la lutte finale annon-
cée par la chanson, c'est la lutte tout
de même pour tout ce que nous avons
conquis, pour tout ce que nous voulons
conquérir encore.
Nos adversaires s'y préparent, aux
Républicains de s'organiser et de s'u-
nir.
Marcel B.E(,';'NTER,
Député de i'Allier.
LA POLITIQUE
——
AVANT-GOUT
> - t'f.r-.
La majorité clemenciste
pourra, en lisant le discours
prononcé par M. Déroulède à
Bordeaux, ressentir, comme
avant-goût, H saveur des cri-
tiques qu'elle a valu, pai son attitude,
a.u parlementarisme.
La majorité républicaine, allante, ac-
tive, réformatrice, entraînée, bien en
main et conduite en avant par un gou-
vernement d'action, d'action républicai-
ve, d'action populaire, se trouvait autre-
fois au-dessus de toutes les attaques, de
toutes les récriminations
L'impuissance de ses adversaires fut
manifeste, en 1902, lorsqu'elle alla au
combat sous Waldeck-Rousseau, en
1906, lorsqu'elle s'y présenta avec les
formations de combats renforcées sous
le ministère Combes. C'est qu'alors tous
les groupes de gauche se sentaient les
coudes, se tenaient les mains, respiraient
un même air d'enihopsiasme réforma-
teur.
Aujourd'hui, l'entran est du côté
des adversaires et la majorité clemen-
ciste n'a plus que l'apparence d'une pha-
lange aux rangs flottant-, dont le sort est
lié au sort du chef. Les électeurs répu-
blicains, qui ne comprennent rien à ces
mentalités prétriiennes, voudraient bien
qu'iL fut question d'autre chose que
d'un homme, si incohérent fût-il, par
exemple, d'idées, de programme, de dé-
mocrate et de fidélité à la tradition ra-
dicale-socialiste. Il faut retourner à la
politique radicàle populaire ou renoncer
à défendre la République.
Quelques journaux, le Temps par
exemple, prennent la défense de la ma-
jorité immobiliste du président-du con-
seil. Mais ce n'est pas là une garantie
pour la majorité. Le Temps a défendu
successivement les centre-gauche, les
opportunistes, les méHnistes. Où sont
donc ses clients ? Ils jonchent et ont
jonché de leurs cadavres les champs de
bataille électoraux.
La majorité, sous la direction de M.
Clemenceau, se présentera devant les
électeurs en accusée : elle devra s'expli-
quer et rendre des comptes, harcelée de
tous côtés. î-es fautes qu'elle a commi-
sont nombreuses ; peut-elle les ra-
cheter '? Dans tous les ças! la démocra-
tie lui pardonnera peut-être-si elle se
monfre derrière un chef~ dont le nom
iiiisse FesDom ouvert d'un avenir: d'ac-
tion et d'activité réformatrice. Elle ne
pardonnera pas à la cohorte qui n'a su
se dégager d'un gouvernement de sta-
gnation, de régression et de répression,
d'un gouvernement de résistance au
peuple, à la démocratie
LES ON-DIT
1..
NOTRE AGENDA
Aujourd'hui jeudi:
Lever du soleil à 4 h. 8 du matin ; cou-
cher à 8 h. 2 du soir.
Matinées : Comédie-Tïançaise, Trocadé-
ro, Déjazet, Parisuma, nouveau-Cirque.
Courses à Maisons-Laffitte (Prix de Beau-
vais).
Galanterie
Ne sont-ils pas d'un vieillot tour galant
ces verselets du poète .Maynard :
Aminte assis sur le bord d'une fontaine
Où chaque berger se miroit
Triste et pensif d'un ton bas soupiroit,
En se plaignant d'une aimable inhumaine.
Puissant amour, disoit cet affligé,
En une fleur Narcisse fut changé.
Termine ainsy mes ennuys et ma vie.
Mais je voudrais qu'après ce changement,
On me cueillit pour servir d'ornement
Aux cheveux blonds de la belle Svlvie. — M.
Constance et infidélité
De noire ancien poète Jehan de la Taille,
ces gracieux versiculets :
« Côté constance », dirons-nous.
Voicy la Pentecôte
Belle Nelly;
La fraise est à mi-côte
Du bois joli ;
- Déjà - roses nouvelles
Ont refleuri
, , C'est le temps où les belles
Changent d'amis.
Changerez-vous le vôtre,
Belle Nelly ?
- Non, je n'en veux point d'autre
Que mon ami
Le temps fane les roses <•
Fraises aussi ;
Il change toutes choses ;
Mon cœur, nenny 1
Et maintenant, ces vers de Piron 2
« Côté infidélité ». r
— Pour satisfaire à tous mes vœux, ..-
C'est trop peu que d'une amourette ;
Je fais tour à tour les doux yeux
A la Vestale, à la coquetté ;
Voilà le sort le. plus heureux
Où l'homme, à mon gré, puisse atteindre ;
La vestale allume les feux,
L'autre sert à les éteindre.
Laquelle de ces deux « maximes » pré-
féreront les amoureuses ? Ce n'est pas à
nous de le dire.
Qu'un seul jour celle que j'ai choisie
Soit fidèle et cela me suffira.
C'est folie d'aimer pour la vie,
Chante le duc de Mantoue dans Rigoletto.
Mais, écrivait l'abbé Trublet - toutefois,
qu'y connaissait-il, puisque curé ? —
« Dans l'amour si l'inconstance donne
'des plaisirs, la constance seule donne le
bonheur. »
Conclusion : « Il y en a pour tous les
goûts. »
M.
.——————————— ———————————-
« L'BTOE DES FUCS »
Quel sale été, constate M. Marcel Seim-
bat. On barbette cc sous la pluie et sous
Clemenceau ». De l'eau et des histoires de
police !
La police est maîtresse. Elle règne, sou-
veraine. A la cour de Clemenceau, les flics
sont officiers d'ordonnance et porte-coton.
« La Chambre, rappelle M. Sembat, a
voté lundi, pour le centenaire de Lamarck,
une série de croix destinées à des savants.
Je n'y contredis point. Mais, j'en appelle
aux sentiments de mes collègues, à la jus-
tice du gouvernement et du pays, n'y au-
rait-il pas lieu de voter aussi une fournée
de croix spécialement réservées à la po-
lice ?
« Ensuite, si vous voulez bien, nous
pou* souviendrons que 'les généraux les
plus chamarrés préfèrent à tous les ru-
bans la médaille militaire et nous réserve-
rons, à titre, exceptionnel, la simple croix
d'honneur à Clemenceau. C'est BouréJy qui
sera chargé de la lui attacher sur la poi-
trine, assisté d'un délégué de l'Association
générale des postes. Vous n'avez pas ou-
blié, n'est-ce pas, avec quelle grâce subtile
Clemenceau exposait à la Chambre la sur-
veillance policière des députés et des pos-
tiers ?
« Pour les députés, ce n'est pas lui, c'est
le zèle spontané de la Préfecture qui en-
voie aux ministères les brèves notules qui
relatent les entretiens de Dumont ej, les
écarts de Bourélv.
« La croix auBm, voulez-vous, au génie
encore inconnu qui dressa l'embûche aux
Camelots du roi. L'aventure était savoureu-
-se et fraîche comme un chapitre de G il
Blas ! Nuit close, boutique fermée, volets
rabattus, gardien complaisant, et là-Ue-
dans, parmi le bric-à-brac, un petit souper
d'alertes étudiants frondeurs et de jeunes
évaporées ! Mais c'est exquis ! J'entends
d'ici les jolies roulades des rires perlés et
les éclats de voix qu'on fait taire ! Chut !
chut ! La tante là-haut ! Et quels jolis
noms de roman, Mariette Divol, Mireille,
deI Sarte. !
« On a voulu maquiller "tout cela de noirs
trafics, de recels, que sais-je ! Il parait
qu'une nuit Mariette a décroché du mur un
sabre pour l'offrir en cadeau ! Un sabre !
Etait-ce pour taillier et pourfendre le guet
ou bien pour mettre au clou ? Le « Sabre
de mon père » se marie là au « sabre de
ma tante » et toute cette opérette n'a rien
du sombre mélo .policier qu'on nous a cui-
siné. Mais Qn le recommencera, soyez
tranquilles, car, s'il n'a pas pris cette fois-
<4 il & servi naguère, et il servira encore.
C'est à titre découragement que nous
proposons la croix d'homieur à l'artiste. »
Allons- :\:ovons M* Clmeu& un Bon,
mouvement : on attend la promotion du
mouchardat.
■ —" — —
L'Administration
de la Marine
II faut des Sanctions
De Y Echo de Paris :
Le rapport de la commission d'enquête
sur la marine et les discours prononcés à
la tribune de la -Chambre démontrent avec
un© abondance, d'ailleurs inutile, une ef-
froyable anarchie dans l'administration de
ce grand service d'Etat. La France a dé-
pensé des milliards et des milliards pour
mettre sa flotte de guerre en état de lui
rendre, à l'heure du péril, les services
qu'elle attend d'elle. Et il se trouve que
nous n'avons plus ni bateaux qui se tien-
nent sur l'eau, ni canons, ni approvision-
nements. A quoi tient celte faillite ?
A des causes multiples, mais secondai-
res, qui ont contribué concurremment à
nous conduire à ce désastre, dont un ora-
teur parlementaire a pu dire qu'il eût
mieux valu pour nous subir deux défaites
comme celle de Tsoushima que les effets
de notre administration navale. C'est d'a-
bord l'incohérence et l'antagonisme des ser-
vices, qui travaillent pour leur propre
compte, sans daigner connaître les œu-
vres et ¡les besoins des autres directions.
Ainsi, le service des constructions nava-
les construit ses bateaux sans consulter
l'artillerie ? l'artillerie, de son côté, fabri-
que des canons sans vouloir connaître les
dispositions du navire sur lequel ils doi-
vent être placés. Ceux qui font les tourel-
les ignorent ceux qui font' les affûts, et ré-
ciproquement, et ceux qui font les canons
se moquent des uns et des autres avec la
même désinvolture. De. son côté, le ser-
vice, du contrôle, à qui manque la techni-
que de chaque métier, se mêle de tout
sans rien connaître, et ne réussit qu'à exas-
pérer tout le monde. En dehors de ces
grands services il y a, paraît-il, au minis-
tère, vingt-cinq commissions qui délibèrent
tout au long de l'année, donnent des avis,
prennent des décisions, sans consulter qui
que ce soit.
Et VEcho de Paris conclut qu' « aucune
sanction efficace » ne sera prise contre
cette Il monstrueuse gabegie ».
C'est le leit-motiv de toute la presse ré-
actionnaire — et, de ce fait, le devoir de la
Chambre apparaît' plus impérieux encore
si possible.
Sous peine d'apporter le plus formidable
argument aux adversaires du parlementa-
risme, il est indispensable de prendre non
seulement des garanties pour l'avenir, mais
de sévères sanctions pour le passé.
Elles sont inéluctables.
LES GOSEIiIftS
Nous avons visité les Gobelins la semai-
ne dernière.
Tout ce qu'on a dit et écrit au sujet de
l'état lamentable du musée de cet établis-
sement est au-dessous de la vérité.
Le musée des Gobelins est une honte
pour la France. -
Tous les étrangers qui viennent visiter
Paris consacrent une après-midi aux Gobe-
lins. Ils s'attendent à entner dans le Pa-
lais des fées et dans un Musée de? mer-
veilles. On peul juger de leur déconvenue
quand ils se trouvent dans deux ou trois
salles piteusement éclairées où il est im-
possible — môme par une claire journée
de juin — d'apercevoir une tapisserie quel-
conque.
La déception des étrangers devrait nous
servir de leçon. Ce désenchantement nuit
singulièrement au prestige de Paris, déjà
si entamé par la malpropreté de la Ville.
Quand donc l'Etat se décidera-t-il à don-
ner, au musée des Gobelins, un local di-
gne de la réputation die celte glorieuse mai-
son qui reste un des plus beaux rayons de
l'auréole artistique de la France ?
Quand s'occupera-t-on aussi de l'amélio-
ration de la "situation des artistes qui
créent tant de chefs-d'œuvre ?
Savez-vous ce que gagne un de ces ar-
tistes qui contribuent si puissamment à la
réputation de notre pays ?
Les apprentis débutent à 1,200 francs.
A leur retour du régiment, c'est-à-dire à
21 ans, ils touchent 1,400 francs.
A partir de 21 ans, les artistes ont un
avancement plus ou moins régulier qui les
amène, à la fin de leur carrière, au traite-
ment maximum de 3,000 francs alors que,
d'après le décret de 1906, ce maximum de-
vrait être de 3,600 francs.
Ainsi, voici des hommes qui fournissient
à nos musées, à toutes les cours, partout
enfin où on a le culte de l'art, des œuvres
admirables et qui ne gagnent même pas
le salaire 4lu plus médiocre des ouvriers
tapissiers !
On nous objectera bien que les artistes
des Gobelins sont logés.
Cet argument vient plutôt fortifier que
démolir nos revendications.
Chaque artiste des Gobelins a un appar-
tement de trois pièces qui représente, dans
ce quartier, un loyer maximum de 300 fr.,
mettons 400 francs. '- .--
Ces appartements sont installés dans de
vieux immeubles. Ils n'ont aucune des com-
modités des maisons modernes et remplis-
sent même imparfaitement les conditions
de l'hygiène la plus élémentaire.
En échange d'une indemnité, tous ces
artistes logeraient volontiers ailleurs, non
seulement pour éviter les inconvénients
d'une vie de caserne, mais encore pour
avoir des habitations plus confortables.
Il est grand temps de s'occuper de la si-
tuation de ces modestes et admirables au-
xiliaires à la hauteur de leur réputation.
Ne décourageons pas ces hommes qui don-
nent un si vif relief au renom de notre
pays.. Jean Clerval.
P. s. — Pourquoi M. Dujardin-Beaumetz
autorise-t-il des étrangères, notamment
des Danoises, à se perfectionner aux Go-
belins, dans l'art de la tapisserie ?
N'y a-t-il pas là une imprudence que
no us fitejfâ io.M 2 - .--
A LA CHAMBRE
L'ADMINISTRATION DE LA MIRINE
« L'anarchie règne en maîtresse dans la marine.
Pour tout dire, le Parlementa été impuissant
jusqu'ici à faire respecter par elle sa volonté.
Etre a pris les crédits et laissé les critiques.»
(M. Henri Michel, rapporteur de la Commission d'enquête)
M. Henri Michj^ a achevé son courageux
exposé sur l'état lamentable de là marine
et sur les scandales inouïs que couvre l'ad-
ministration de la rue Royale.
Les révélations du vaillant rapporteur au-
ront un retentissement considérable. Et si
la Chambre s'en est vivement émue, le
pays, mis enfin au courant de toute la vé-
rité, en ressentira une profonde indigna-
tion. -
Après l'intervention de M. Henry Michel,
les inéluctables sanctions ne sauraient pi us
— quelles que soient les infiuences, les pres-
sions et les complicités — être éludées.
Comment sont passés
les marchés
M. Henri -Michel s'occupe des conditions
dans lesquelles se traitent les marchés. Et
il montre qu'elles sont « une source très
importante de gaspillages. »
Jusqu'en 1900, l'administration de la marine
commandait ses bateaux individuellement. Lors-
qu'elle faisait appel à l'industrie privée, une
concurrence s'établissait. On se disputait la
construction du navire. Les chantiers travail-
laient, non seulement pour la marine française,
mais aussi pour les marines étrangères. C'était
le temps où l'on construisait pour la Russie.
l'Espagne et autres pays. Les frais généraux
de toute nature étaient supportés par l'ensem-
ble des commandes. -
Depuis 1900, les chantiers ne construisent plus
guère que pour la France, ils ne disputent plus
à la concurrence mondiale la construction
étrangère. Ce n'est pas là le moindre des dan-
gers qui les menacent dans un avenir prochain.
Mais l'Etat ne pourra pas indéfiniment les
alimenter. Il leur faudra bientôt affronter la
concurrence avec leurs rivaux étrangers.
Qu'ils se préparent donc à cette évolution iné-
luctable et fatale.
Quoi qu'il en soit, à partir de 1900, un chan-
gement radical s'est produit dans le mode des
commandes de la marine ; on procède désor-
mais par séries, l'ère des programmes s'ouvre.
M. de Lanessan décide la mise en chantier de
6 cuirassés et 5 croiseurs cuirassés. Sur ces
•11 bâtiments. 6 sont donnés aux arsenaux,„5 à
l'industrie privée.*
Quatre cuirassés sont mis en adjudication en
1902.
Le trust des fournisseurs
Vou' pensez peut-être que cette adjudica-
tion se produisit dans des conditions ror-
nlales et de loyauté élémentaire. Quelle er-
reur !
Il fallait construire quatre cuirassés. 11
y avait quatre grosses maisons de cons-
tructions navales.
Chacune des quatre grandes maisons de cons-
tructions navales, forges et chantiers de la Mé-
diterranée. ateliers et chantiers de la Gironde.
chantiers de la Loire, société de Penhoët, obtient
son cuirassé.
De pareils 'faits se passent de commen-
taires ; ils sont suffisamment monstrueux
par eux-mêmes. Cependant, êTIons une de
leurs conséquences :
De 1902 à 1906, les actions des forges et chan-
tiers de la Méditerranée passent de 782 fr. à
814, 925 et 1.200 fr. ; celles des chantiers de la
Loire de 959 fr. à 1.117, 1.283, 1.520 et 1.539 fr. ;
celles des ateliers et chantiers de la Gironde de
606 fr. à 679, 834. 1.150 et 1.300 fr. ; celles de la
société de Penhv:r, de 450 fr. à 900 fr.
Quant aux dividendes, ils passent de 40 à 45
francs, de 50 à 60 fr., de 30 à 40 fr. et de 25 à
30 francs.
On pourrait croire qu'il y a là un cas
irel- Malheureusement, ce qui e fit en
1SOO se reproduisit en 1906 où quatre cui-
rassés sont à5 nouveau mis en chantier et
répartis entre les quatre mémels maisons.
Bien mieux, dans sa hâte à procurer des
dividendes aux gros fournisseurs et à leurs
actionnaires, les commandes sont passées
alors que le plan même des batea.ux n'était
pas arrêté et qu'on ne savait pas de quelle
artillerie on les doterait !
Et c'est pour tout la même clïose :
Pour les marchés de plaques de blindage,
mêmes errements. Cinq fabricants, principaux
se partagent les lots, et le même esprit d'équité
préside à la répartition. Je ne puis ici fournir
à la Chambre de renseignements sur les bénéfi-
ces réalisés, parce que ces fournisseurs n'ont
pas constitué leurs affaires en actions, et que
leurs bilans ne sont pas publiés ; mais je si-
gnale toujours cette étrangeté qu'au lieu de s'a-
dresser directement aux fabricants de plaques
de blindage, la marine ne traite avec eux que
car l'intermédiaire des constructeurs de co-
ques.
Pour les tourelles, c'est la même chose. Il y
a sept constructeurs : l'un d'eux ne construit
pas les tourelles 305. En 1906, les six autres
s'attribuent chacun un bâtiment complet, et
tandis qu'en 1908 les tourelles de l'Iéna et du
Suîfren coûtaient 2 fr. 87 et 2 fr. 20 le kilo, en
1903. celles de la République coûtaient 2 fr. 97,
et en 1907 celles du Voltaire 3 fr. 18, augmenta-
tion d'autant moins justifiée que les tourelles
du Voltaire comportent des plaques h 2 fr. 60
le kilo. 1
Pour les machines, pour les c'r&udières,
cette répartition « en famille » existe et
fonctionne identiquement.
Mais il y a mieux :
Le 1" mai 1903, dit M. Henri Michel, se cons-
tituait, par devant notaire, conformément à la
loi du 21 mars 188, la chambre syndicale des
fabricants et constructeurs de matériels de
guerre. D'après l'article 2 de ses statuts, ce syn-
dicat avait pour but : 1° d'établir des relations
entre ses membres ; 2° de permettre aux adhé-
rents de se concerter en vue de maintenir de
bons 'rapports entre patrons et ouvriers ; 3° de
créer un centre d'études et d'action pour la dé-
fense des intérêts généraux re l'industrie du
matériel de guerre, et enfin, 4*, et c'est la. le
point le plus important, d'obtenir des pouvoirs
publics, avec inscription au budget, une plus
iuste répartition des commandes entre l'indus-
trie privée et les ateliers de l'Etat, (Exclamations
à l'extrême-gauche.)
Comment dès lors ne pas supposer qu il y a
une entente en vue du partage des foumitures
et de la hausse factice des prix entre des indus-
triels ainsi organisés ? (Très bien ! Très bien !)
Ententes et collusions
'Aussi M. l'inspecteur général Korn dépo-
sant devant la commission sur les marchés
et leur mode "de passation a-t-il-pu affirmer :
« Quand la marine a mis en adjudication
les blindages des cuirassés, cinq usines seu-
lement firent des propositions. Rien ne fut
changé ; tout était préparé sur le papier.
Chaque usine eut son cuirassé. »
Aussi trouve-t-on parfois des différences
de prix du simple au double, comme entre
le Jules Ferry et le Victor Hugo, par exem-
ple. M. Henri Michel signale pourquoi :
Le matériel d'artillerie du Jules-Ferry ayant
fait l'objet d'un marché en 1901, une concur-
rence inusitée s'est produite à ce moment et le
bénéficiaire de l'adjudication fut une usine qui
ne s'était jamais occupée jusque-là de ce genre
de fournitures.
Quinze mois plus tard, quand on a demandé
aux industriels des offres pour la fourniture du
Victor-Hugo, les concurrents ont. été en aussi
grand nombre, mais ils s'étaient sans doute en-
tendus, car les offres étaient sensiblement les
mêmes et les prix doubles de ceux de l'année
Drécédente, sans que la hausse des métaux pût
justifier cette différence.
Et M. le président de la commission du grand
outillage nous a dit que If le département étant
dans l'impossibilité de lutter contre cette collu-
sion des concurrents, avait dû accepter, quelle
nue fût son élévation, l'offre la moins désavan-
tageuse pour la marine ».
Comment se défendre ?
La marine doit-elle être perpétuellement
soumise à de telles pratiques et n'est-il pas
possible de protéger l'argent des contribua-
blés contre un semblable pillage ?
M. Henri Michel estime que les. préten-
tions de MM. les fournisseurs pourraient
être aisément déçues avec un peu dè mé-
thode et de volonté. Comment ?
En élargissant la concurrence ; en outillant
l'établissement d'Indret pour la construction des
turbines, et l'établissement de Guérande pour la
construction des blindages épais ; en confiant
à nos arsenaux la construction des contre-tor-
pilleurs et en ne passant pas simultanément
les marchés de quatre cuirassés, alors qu'il y a
précisément quatre constructeurs, qui peuvent
ainsi s'attribuer chacun un bâtiment.
Il faudrait; enfin organiser nos arseraux de
Brest, Lorient et Toulon de façon à !eur per-
mettre de jouer vis-à-vis des industriels le rôle
de régulateur des prix, le seul nui. justifie leur
existence en temps de paix. (Très bien ! Trè:.
bien !)
La commission a, en effet, recueilli d'au-
tre part cette conviction que la marine tend
à donner beaucoup de travaux qui pour-
raient et .devraient être exécutés dans l'ar-
senaJ.
L'insuffisance de l'outillage, maintes fois
signalée par les rapporteurs du budget, est
telle qu'il importe d'y parer au plus tôt.
Une nouvelle organisation du travail
ada.ptée aux moyens d'action modernes per-
mettrait de réaliser sur -les effectifs détour-
nés du travail manuel d'énormes écono-
mies.
Partout le désordre
Partout l'anarchie
Mais, hélas, l'anarchie et le désordre ne
se limitent pas là. On les retrouve partout,
dans tous les services, dans chacun des
rouages. -
Insuffisance du personnel à bord des bâ-
timents du cadre de réserve et même de
ceux armés en escadre : ni chauffeurs, ni
mécaniciens, cependant que, à terre, le nom-
bre des embusqués va croissant
Les approvisionnements n'existent pas
davantage. Les stocks de charbon, d'huile,
etc., sont misérablement incomplets. Inu- •
tile d'ajouter qu'en cas de conflit, les con-
séquences d'une telle pénurie seraient dé-
sastreuses.
Les services de la flotte ne savent même pas,
assure M. Michel, si ces réserves sont destinées
à la consommation courante ou doivent rester
intactes pour la guerre. En tout cas, on a tout
à fait oublié que les torpilleurs et sous-marins
avaient aussi besoin d'objets en réserve pour
le cas de guerre.
Les magasins laissent en souffrance un gM.1j
nombre de demandes de matériel ; il n'y a pas
longtemps, 356 billets de demandes attendaient
à Brest, 251 à Cherbourg. Les achats et les
commandes subissent des retards importants ;
les clâuses infinies de détail insérées dans les
marchés d'objets les plus courants éloignent les
fournisseurs sérieux ; la concurrence d'mioie
donc, et les prix s'en ressentent.
Insouciance des dépenses
L'administration de la marine dispose des
crédits mis à sa disposition avec une dé-
sinvolture extraordinaire.
Elle passe des marchés écrits pour des
achats de 22 francs, de 8 francs et même
cHrTrente sous !
Les achats sur facture ne sont guère plus
avantageux:
Un objet, facturé 9 fr. en avril, est paV3
22 Ir. en décembre suivant ; les mêmes brossas
métalliques coûtent 16 fr. 75 en janvier, 18 fr. 40
20 fr. 10 en décembre.
en septembre, d'acier, qui reviennent à 1 fr. (3
Des bagues d'acir, qui reviennent. à 1 ir. ('3
dans les ateliers de la marine, sont facturées
5 fr. 50 par un fournisseur. Une cuvette de por-
celaine avait été commandée le 22 août 1905 à
Brest ; mais le fournisseur n'a pu savoir qlle leu
3 janvier 1906 ce que voulait exactement la
marine ; la cuveite a coûté 40 francs.
D'autre part, on entretient et on conserve
un matériel devenu absolument inutilisable.
Toute une vieille flotte onéreuse. hors de
service, est maintenue et nous coûte, de ,
l'aveu même d'un ancien ministre de la
marine, plus de 25 millions par afr 1
Quel est le remède ?
Comment remédier à cette situation, s*-
ncn en modifiant de fond en comble l'orga-
nisation actuelle de l'administration- cen-
trale ?
Son fonctionnement est « broussailleux
et touffu. 1) On parvient à peine à pouvoir
le connaître. La paperasserie y règne en
maîtresse ; la crainte des responsabilités y
râjtlverrie ; les Besognes cc infimes et ridicu-
les 1) y retiennent seules l'attention.
La Tue ftoyale est « un sixième port *
où les officiera parcourent leur camère aM
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