Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1892-04-28
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 28 avril 1892 28 avril 1892
Description : 1892/04/28 (N8084). 1892/04/28 (N8084).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7544656d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
N«8084 - Jeudi 28 Avril 1892
CINQ centimes le numéro
10 Floréal an 100 —•N'8034
RÉDACTIOff
loi, RUE MONTMARTRE, 131
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 4 a 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
£ C3 tlASXJSCUÏTB NON INSÉRÉS NE SERONT PAS RENDUS
ADMINISTRATION
131, BÛJG MONTMARTRE, 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et O
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
UN MOIS, , , ,',.. , 2 FB.
TROIS HOIS. , , , , , , , 6 —
SIX mois 9 FB.
UN AN" 18-
Rédacteur en chef : AUGUSTE ÏACQUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
1J]!l mois. - SFB.
TROIS MOIS, , 6 -
SIX MOIS H FB.
UN AN 80 —
RATACHOL EN COUR D ASSISES - LE VB BICT
Le Proès Ravachol
AVANT L'AUDIENCE
Les mesures que j'ai signalées hier ont
été observées avec une rigueur. excep-
tionnelle, par suite de l'émotion générale,
causée par l'explosion du restaurant
Véry. Toutes les portes donnant accès
dans le Palais sont fermées et gardées
par des gardes républicains et des gardes
du Palais. On ne laisse entrer strictement
que les ayants-droit. Aussi, à onze
heures, les galeries intérieures sont ab-
solument désertes.
Dans la salle d'audience, avocats, jour-
nalistes, magistrats ne causent que de la
catastrophe de la veille. Dans l'enceinte
du public debout, on remarque un grand
nombre d'agents de la sûreté. La partie
réservée aux témoins est comble d'avo-
cats en robe. Le prétoire est occupé par
les journalistes judiciaires, renforcés de
leurs confrères des départements et de
i'étranger. -
La table des pièces à conviction est
remplie de fourneaux, d'instruments de
chimie, de malles, de matelas, de boîtes,
de fioles, de débris de toutes sortes pro-
venant des maisons dynamitées du bou-
levard Saint-Germain et de la rue de
Clichy.
Un peu avant l'ouverture de l'au-
dience, les avocats des accusés arrivent
au banc de la défense : Mes Lagasse,
Georges Deschamps, Manuel Forcade,
Eugène Crémieux et Henri Robert.
A onze heures vingt minutes, les ac-
cusés font leur entrée, au milieu d'un
très vif mouvement de curiosité, Rava-
chol en tête.
Tous les cinq sont vêtus correctement.
La fille Soubère est entièrement vêtue
de noir, avec un grand manteau et une
mantille noire qui lui recouvre entière-
ment la tête. L'accusée se couvre le vi-
sage avec son mouchoir. C'est une
femme maigre, assez bien de visage.
Ravachol est vêtu d'une redingote
noire, avec cravate bleue. Il a l'air d'un
commis de bureau, le cou emprisonné
dans un col droit. La tête est intelligente.
Simon est un tout jeune homme. Chau-
martin et Beala sont également vêtus
d'une redingote et paraissent être plutôt
des employés que des ouvriers. Tous
jettent des regards avides du côté du
public debout. Ils relèvent la tête avec
ostentation lorsque la cour entre en
séance.
L'AUDIENCE
L'audience est ouverte à onze heures
et demie.
M. Guès préside les débats.
M. Quesnay de Beaurepaire occupe le
siège du ministère public. Sur ses ré-
quisitions, la cour s'adjoint un troisième
assesseur et un treizième juré est
nommé.
Le président procède à l'interrogatoire
sommaire des accusés, qui tous, sauf la
fille Soubère, qui pleure, répondent
d'une voix haute.
1° KOENINGSTEIN (François - Claudius),
dit RAVACHOL, né à Saint-Chamond, le
14 octobre 1859, teinturier;
2° SIMON (Charles-Achille), dit BISCUIT,
né à Saint-Jean-le-Blanc, le 11 mars 1873;
journalier ;
3° JAS-BEALA (Joseph-Marius), né à
Firminy, le 15 août 1865, chaudronnier.
4° CHAUMARTIN (Charles-Ferdinand), né
à Vienne, le 28 novembre 1857, maître
forgeron ;
30 SOUBÈRE (Rosalie), dite MARIETTE,
née à Saint-Etienne,le 21 septembre 1858,
plieuse de rubans.
Après la lecture de l'acte d'accusation,
que le Rappel a publié dans son numéro
du 16 avril, M. Wilmès, greffier, fait
l'appel des témoins.
Pendant la lecture de l'acte d'accusa-
tion, Ravachol sourit en regardant dé-
daigneusement le greffier. Le jeune Si-
mon ne quitte pas du regard le fond de
la salle et la fille Soubère sanglote dans
son mouchoir. Beala et Chaumartin
écoutent silencieux.
Au passage concernant son arrestation
grâce au flair du garçon Lhérot, Rava-
chol ricane.
Voici la liste des témoins cités par les
accusés :
Par Ravachol : le compagnon Lebou-
cher;
Par Beala : veuve Carpentier, Vialard
et Anglade ;
Par Chaumartin : Lagrange, Hilbers,
Lauze, Seguin, Lament, Chalayer et Bou-
quillon.
A l'appel des témoins à charge, on re-
marque que Mme Chaumartin est accom-
pagnée de sa petite fille, âgée de huit
ans.
Un témoin cité par Simon, ce matin
même, M. Douillet, sera entendu en
vertu du pouvoir discrétionnaire du pré-
sident.
INTERROGATOIRE DE RAVACHOL
Le président fait observer à Koenings-
tein qu'il s'appelle Ravachol, du nom de
sa mère; qu'il l'interrogera sous ce nom
qui lui est plus particulier.
Ravachol. — Peu importe le nom.
D. Vous avez trente-deux ans. D'après les
renseignements de police, vous avez des
antécédents déplorables : contrebandier,
faux-monnayeur, voleur, malfaiteur des
plus dangereux.
R. La police ne me connaît que de
puis 1891, comment a-t-elle appris tout
cela ?
Ravachol parle d'une voix haute et
quelque peu impertinente.
D. Mais vous avez avoué tout cela à l'ins-
truction. Ecoutez, on a trouvé chez vous, à
Saint-Mandé, une lanterne s'ourde, des car-
touches, un thermomètre à 200 degrés, un
revolver d'ordonnance , trois pinces-mon-
seigneur, des pièces de monnaie fausses.
Est-ce exact?
R. Parfaitement.
D. Vous avez fait couper votre barbe avan t
votre arrestation ?
R. Oui.
Sur la demande de Me Lagasse, la cour
fait descendre Ravachol devant son bu-
reau, en déclarant que son client est
dur d'oreille. Deux gardes républicains
et un brigadier entourent Ravachol.
D. J'ai étudié votre caractère et je suis
convaincu que vous avouerez les faits ici
comme vous les avez avoués à l'instruction.
Vous vous êtes reconnu l'auteur des crimes
de votre passé.
R. Oui, mais c'est parce que je croyais
être poursuivi pour ces faits antérieurs. Au-
jourd'hui, je refuse de répondre à ce sujet.
D. C'est votre droit; mais c'est le mien de
les faire connaître aux jurés.
Le président expose dans quelles cir-
constances Ravachol, le 10 juin 1891,
assassina à Chambles, près de Saint-
Etienne, un vieillard de quatrevingt-
douze ans qui le suppliait de lui épargner
la vie.
— Ce vieillard possédait 25,000 fr. qu'il
avait économisés, vous les lui avez volés.
Une femme Rivière, qui était votre maî-
tresse à cette époque, a été condamnée à
sept ans de travaux forcés parce qu'on avait
trouvé chez elle une somme de 6,000 francs
provenant de l'argent du vol.
Plus tard, dans la nuit du 15 mai, vous
avez pénétré dans le cimetière où était en-
terrée la baronne de la Roche-Teullis, vous
avez profané sa tombe, vous avez déterré
son cadavre et vous vous êtes emparé des
bijoux dont il était paré.
Enfin, vous avez reconnu vous-même que
vous avez fait de la fausse-monnaie, de la
contrebande d'alcool. Dans ces conditions,
je ne puis m'empêcher de dire, moi magis-
trat, que votre passé est horrible. (Mouve-
ment.)
L'accusé ne répond pas.
D. Avant de venir à Saint-Denis, vous
avez habité pendant sept ans à Saint-Etienne.
C'est à Saint-Denis que vous avez connu
Beala?
R. Non.
D. Il est pourtant à peu près certain que
Beala était dépositaire d'une partie de l'ar-
gent volé à Chambles?
R. Nullement.
D. Cependant il semble acquis que vous
avez reçu 3,00 francs de Beala en arrivant
au mois de juillet 1891.
R. C'est faux !
D. Voyons, aviez-vous de l'argent quand
vous êtes arrivé à Saint-Denis?
R. J'avais six ou sept mille francs prove-
nant du vol de chez l'ermite de Chambles.
D. Vous ne vous faisiez pas appeler Ra-
vachol en arrivant à Saint-Denis, mais Léon
Léger. Pourquoi ?
R. J'avais intérêt à dissimuler mon iden-
tité à cause du crime de l'ermite.
D. Où êtes-vous descendu à Saint-Denis ?
R. A l'hôtel.
D. Puis vous êtes allé demander asile chez
Chaumartin. Vous le connaissiez ?
R. Non, je le connaissais parce qu'on
m'avait donné son adresse à la chambre
syndicale de Saint-Etienne dont je faisais
partie.
D. Qui vous avait donné l'adresse de
Chaumartin ?
R. Je ne me le rappelle pas; d'ailleurs, je
me le rappellerais que je ne le dirais pas.
D. Enlin vous avez été accueilli chez
Chaumartin, même très bien, car vous don-
niez des livres à sa petite fille. Vous avez
connu chez Chaumartin Simon, votre co-
accusé ?
R. Je ne saurais le dire.
D. Et Gustave Mathieu?
R. Oui.
D. Et Beala et la fille Soubère ?
R. Je les ai vus par hasard chez Chaumar-
tin.
D. Il n'a jamais été question entre vous
de complot?
R. Non.
Le président rappelle le procès Des-
camps, l'anarchiste qui fut condamné à
cinq ans de travaux forcés.
Ravachol déclare que c'est ce procès
qui l'a déterminé à agir.
..-' D. Pourauoi ?
R. Le président Benoît s'était montré bar-
bare à l'audience, d'une partialité révol-
tante.
D. Comment le saviez-vous, vous n'assis-
tiez pas aux débats ?
R. J'ai appris ça par les journaux et par
des amis.
D. Les journaux ont reconnu cependant
l'impartialité du président Benoît. Et pour-
quoi en vouliez-vous à M. Bulot?
R. Il avait commis, lui aussi,des infamies
en requérant la peine de mort contre un père
de famille dont les enfants sont aujourd'hui
dans la misère.
D. Si ce père de famille avait commis un
crime, le devoir de M. Bulot, qui représen-
tait le ministère public, était de demander
la peine de mort.
R. Le jury n'a pas été de cet avis. MM.
Benoît et Bulot ne sont pas les seuls à qui
j'en voulais. J'en voulais aussi à la police
qui avait maltraité Decamps et ses co-
accusés.
D. Donc, vous vouliez vous venger et
votre vengeance ne s'est exercée que long-
temps après. Parlez-nous maintenant du
vol de cartouches de dynamite à Soisy-
sous-Etioles.
R. Je n'y ai pas pris part.
D. Vous l'avez cependant déclaré à Chau-
martin.
R. Il a menti, alors.
D. Arrivons à l'exécution de vos projets
de vengéance. Beala étant arrivé à Saint-
Denis avec la fille Soubère à la fin de février,
on complote de faire sauter le commissa-
riat de police de Clichy.
R. Oui.
D. Pourquoi ?
R. Je vous l'ai déjà dit, à cause des tor-
tures que la police avait fait subir à De-
camps, à Daudais et à Léveillé après leur
arrestation.
D. Comment le savez-vous?
Ravachol avec audace :
- Est-ce que vous étiez là quand j'ai
commis le crime de Chambles, et cependant
vous le racontiez tout à l'heure. (Rires dans
l'auditoire. )
D. Vous avez renoncé à faire sauter le
commissariat de Clichy.
R. Oui.
D. Pourquoi.
R. Beala et Simon m'en ont empêché.
D. N'est-ce pas plutôt parce qu'il y avait
un agent à la porte?
R. Peut-être. Cependant un instant j'ai eu
l'idée de tuer cet agent.
D. Vous l'avouez ?
R. Oui. (Mouvement.)
On arrive à l'attentat du boulevard
Saint-Germain, 136. Ravachol déclare
que ce n'est pas par l'anarchiste Viard
qu'il a connu l'adresse de M. Benoît,
mais par le Bottin.
D. Le 11 mars, vous avez apporté chez
Beala l'engin explosif dans une marmite?
R. Parfaitement.
D. Vous avez préparé seul le contenant et
le contenu?
R. Oui, seul.
D. Qui s'est chargé de la marmite pen-
dant le voyage de Saint-Denis à Paris, sur
le tramway ?
R. La maîtresse de Beala, Mariette Sou-
bère.
Sur interpellation, Ravachol explique
comment il est entré chez M. Benoît.
Il est monté au second étage, a déposé
l'engin sur le palier, a allumé la mèche
et est parti aussitôt.
D. Vous étiez habillé correctement, coiffé
d'un chapeau à haute forme.
Ravachol sourit et répond que c'était
pour détourner les soupçons.
D. Où étiez-vous au moment de l'explo-
sion ?
R. Près de la porte, sur le trottoir. Après
l'explosion je suis parti tranquillement.
D. Vous n'étiez pas seul?
R. Si.
D. Non, Beala et Simon qui avaient fait
le guet vous avaiént rejoint.
R. J'affirme que j'étais seul.
D. Nous entendrons tout à l'heure les
explications de Beala et de Chaumartin.
Répondez-moi bien. Aviez-vous l'intention
de tuer M. Benoit ?
R. Oui 1 (Mouvement.)
D. Ce même jour, vous vous êtes réunis
avec Simon et Beala ?
R. Je refuse de répondre.
L'accusé Simon. — Dis donc la vérité.
Le président. — Simon, n'interrompez
pas. (A Ravachol). Vous avez cependant dé-
claré à l'instruction que vous vous étiez
réunis tous les trois à Saint-Denis pour fa-
briquer de la nitro-glycérine.
Ravachol refuse de donner des expli-
cations sur cette fabrication, à laquelle
participaient Simon et Beala.
D. Arrivons à l'attentat chez M. Bulot, rue
de Clichy. Qui vous avait donné l'adresse
de M. Bulot?
R. Le Bottin.
D. Vous aviez décidé qu'on ne ferait l'at-
tentat chez M. Bulot que plus tard?
R. Je n'en sais rien.
D. Après l'explosion chez M. Benoît, vous
avez déménagé et vous êtes allé demeurer à
Saint-Mandé rue de la République.
R. Oui.
D. Sous quel nom?
R. Sous le nom de Laurent.
Ravachol se refuse à dire qui l'accom-
pagnait dans son déménagement ni où il
a mis ses meubles. Invité à rendre
compte de sa journée le 29 mars, Rava-
chol expose les faits, qui sont connus et
archi-connus.
D. Vous êtes descendu de l'omnibus rue
de Clichy, vers huit heures. Qu'avez-vous
fait?
R. J'ai ouvert ma valise, dans laquelle
j'avais déposé mon engin.
D. Un engin formidable, n'est-ce pas ?
R. Oui, formidable. Je suis entré au no 39,
je suis monté au deuxième étage et j'ai dé-
posé l'engin près de la porte, puis j'ai allu-
mé la mèche.
D. La mèche était longue?
R. 90 centimètres environ.
D. Où étiez-vous lorsque l'explosion s'est
produite?'
R. J'étais rue de Clichy, mais je n'ai ap-
pris les détails de l'explosion que par les
journaux. J'ai désiré cependant constater
par moi-même les dégâts; je suis monté
sur l'impériale de - l'omnibus de Clichy - au
Jardin des Plantes, mais 1 omnibus a lait un
détour et je n'ai pas vu les effets de l'explo-
sion.
D. Avez-vous vu que cinq personnes
avaient été blessées?
R. Oui, par les journaux.
D. Qu'avez-vous fait après l'explosion?
R. Je suis allé déjeuner dans un restau-
rant du boulevard Magenta.
D. Le restaurant Véry, tristement célèbre
aujourd'hui. (Mouvement prolongé.)
Vous avez causé avec le garçon Lhérot,
et même assez imprudemment, car ce sont
vos confidences qui ont donné l'éveil à ce
garçon et amené votre arrestation.
R. Ce garçon se plaignait d'être exploité.
J'ai voulu le convertir à nos idées.
D. Il ne paraît pas que vous ayez réussi.
R. Hélas! non. (Mouvement.)
D. Ravachol, votre interrogatoire est
presque terminé. Je n'ai plus qu'une ques-
tion à vous poser, mais avant, si vous avez
quelques explications personnelles à don-
ner, je vous laisse toute latitudè.
Ravachol sort un papier de sa poche et
lit une déclaration anarchiste, précédée
des mobiles qui l'ônt fait agir contre
M. Benoît et M. Bulot.
Ces mobiles, nous les connaissons. La
partialité et la barbarie du président des
assises qui ont jugé Decamps,Dardare et
Leveillé; ensuite l'infamie de M. Bulot,
qui a requis la peine de mort contre
Decamp, père de famille, dont la femme
et les enfants sont dans la misère; enfin
les tortures que les agents de police de
Clichy ont fait subir, après leur arresta-
tion, aux trois accusés.
Ceci dit, Ravachol expose ce qu'il ap-
pelle les bienfaits de l'anarchie, la mise
en commun des biens de la terre, etc. Il
dit en terminant que son intention a été
de terroriser les bourgeois, afin que
ceux-ci jettent un regard attentif sur les
anarchistes, qui ne sont pas, dit-il, des
« criminels, mais des défenseurs des
opprimés ».
D. Ravachol, vous n'attendez pas que je
veuille discuter avec vous vos théories.
R. Oh! je ne vous le demande pas ! (on
rit).
D. Encore une question. Ravachol, lorsque
je vous ai interrogé à la Conciergerie, vous
m'avez dit que vous aviez encore à votre
disposition 270 à 300 cartouches de dyna-
mite. Je vous ai demandé où se trouvaient
ces 300 cartouches de dynamite, vous avez
refusé de me répondre. Persistez-vous au-
jourd'hui dans ce système?
R. Oui.
D. Vous ne voulez pas dire où sont dépo-
sées ces cartouches de dynamite?
R. Non, je ne vous le dirai pas.
M. Quesnay de Beaurepaire. — Ravachol,
on a trouvé chez vous, à Saint-Mandé, un
poison violent, de la strychnine. A quoi le
destiniez-vous ?
R. C'était une arme dangereuse dont je
pouvais avoir besoin un jour.
D. Alors c'était une réserve.
R. Oui, une réserve. (Mouvement pro-
longé.)
INTERROGATOIRE DE SIMON
Le jeune Simon, visage imberbe,
blond, atteint lui aussi de surdité, du
moins il le prétend, parle d'une voix
haute et avec gestes. L'accusé dit à
chaque question : -
— Parfaitement!
Ses antécédents sont déplorables. Il a
été condamné pour vol, mais il dit que
cette condamnation est une infamie.
D. On a trouvé chez vous une bombe.
R. Parfaitement, une bombe en bois, qui
n'était pas dangereuse et que j'avais trouvée
dans la rue.
D. Vous faisiez partie de l'expédition
contre le commissariat de police de Clichy?
R. Oui, et c'est moi qui ai empêché Ra-
vachol de jeter la machine infernale.
D. Pourquoi ?
R. Parce que la bombe était grosse et
que, par ricochet, elle aurait pu atteindre
des ouvriers qui travaillaient dans les pa.
rages.
D. Des ouvriers, et si ça avait été des
bourgeois ?
R. Ça aurait été la même chose.
D. Savez-vous si Ravachol avait l'intention
de tuer l'agent qui était de faction à la porte
du commissariat ?
R. Non.
Sur interpellation, Simon raconte COID.;
ment il a participé à l'explosion du bou-
levard Saint-Germain.
— Un jour, dit-il, j'ai rencontré Ravachol,
on a parlé des infamies du procès Decamps
et on a décidé entre nous qu'on irait posef
une bombe chez M. Benoît.
D. Comme cela, tout de suite ?
R. Parfaitement.
D. Vous trouvez cela tout naturel ?
R. Parfaitement.
Simon ajoute que c'est lui qui a été
envoyé en éclaireur chez M. Benoît. Il
a interrogé le concierge, est monté dans
la maison, croyant qu'il y avait une
plaque indicatrice sur l'appartement du*
président. Ne trouvant pas de plaque, il
a désigné à Ravachol au hasard le
deuxième étage.
L'accusé donne ensuite des détails
connus sur le départ pour Paris de Ra-
vachol, de Chaumartin et de la fille Sou-
bère qui, sur le tramway, avait caché lie
machine infernale sous ses jupes.
Il affirme cependant qu'il a quitté Ra-
vachol à moitié route, parce que celui-ci
voulait opérer tout seul chez M. Benoît.
Quant à la complicité qui pèse sur lui
pour avoir aidé, chez Beala, à la prépa-
tion de la nytro-glycérine destinée à M.
Bulot, Simon avoue, mais il croyait qu'il
s'agissait d'expériences et non que Rava-
chol voulait faire sauter des maisons.
Le président. — M. l'avocat général vous
démontrera le contraire.
L'audience est suspendue à deux heu*
res un quart. -
INTERROGATOIRE DE CHAUMARTIN
A trois heures moins vingt, l'audienca.
est reprise et le président interroga
Chaumartin, que les renseignements de
police représentent comme un travail-
leur intelligent, taciturne, mais ayant
une grande influence sur ses cama-
rades.
D. On a saisi çhez vous deux revolvers,
dont un de poche, six projectiles, des
douilles de fusil, un fusil de chasse.
R. C'est exact.
D. Avant d'habiter Saint-Denis, vous avez
demeuré à Saint-Etienne ?
R. Oui.
D. Au mois de juillet dernier, vous avea
reçu une lettre de Saim-ELienue vous an-
nonçant la visite d'un camarade et petr
de temps après Ravachol est arrivé chez
vous?
R. Oui, mais sous le nom de Léon Léger.
Ce n'est que plus tard que j'ai appris par
Ravachol ce nom, mais Léon Léger était
venu me demander asile à cause d'un crime
qu'il avait commis à Chambles.
D. Un mois après, n'êtes-vous pas allé à.
Saint-Etienne.
R. Oui, pour toucher de Beala une somme
de 3,000 francs que j'ai remise à Ravachol.
D. Beala vous a également remis des car-
touches de dynamite.
R. Oui.
D. Avez-vous connaissance du vol de
cartouches à Soisy-sous-Etioles.
R. J'en ai entendu parler et Ravachol lui-
même m'a avoué avoir participé à ce vol et
avoir reçu pour sa part quatrevingts car-
touches de dynamite environ.
D. (à Ravachol). — Vous entendez ! ;
Ravachol. — C'est possible, je ne m'en
souviens pas.
D. (à Chaumartin). Vous receviez beau-
coup de monde chez vous : Gustave Mathieu,
Beala, sa maîtresse, et votre femme était.
liée avec la femme de Decamps.
R. Oui, monsieur le président.
D. Avez-vous eu connaissance de l'atten-
tat du commissariat de police de Clichy?
R. Oui, par Ravachol, qui m'a tout ra-
conté et m'a fait part de son chagrin que le
coup eût manqué.
Feuilleton du RAPPEL
DU 28 AVRIL
J
118
LE DRAME
DES
DEUX JFRÈRES
TROISIÈME PARTIE
LES DERNIÈRES VINGT -QUATRE HEURES
VIII
Epingle tirée da jeu
— Suite —
Nédonchel regarda Fridolin, en fron-
çant les sourcils.
— Gare à toi si tu t'avises de vouloir
me tromper 1
— Je n'ai aucune envie de vous trom-
per, répondit Fridolin. Et je vais vous
le prouver en vous donnant les détails
les plus pris pour retrouver votre
homme.
i
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 1er janvier au g7 avril.
— Bien 1 Et d'abord, comment en-
trerai-je?
— Voici une double clef qui vous ou-
vrira la maison.Mais ce n'est pas tout; car
une fois entré, vous ne trouveriez rien,
si je ne vous en disais pas davantage.
- Parle donc ! et vitel
- Il y a une cachette.
— Où?
- Dans le sous-sol de la maison.
- Et c'est là qu'il s'est réfugié ?.
- Sans aucun doute. Quand vous serez
dans le salon, vous irez près de la che-
minée, à droite. Vous chercherez dans
le mur, à un pied du sol environ, le res-
sort qu'il faut faire mouvoir pour qu'une
porte s'ouvre. Elle s'ouvrira. Vou n'au-
rez qu'à descendre. Vous y serez.
— C'est bien étrange! murmura Né-
donchel. Qui me dit que tu ne me mens
pas ?
— C'est la vérité, la pure vérité, je
vous le jure. Et voulez-vous en savoir
plus encore?
— Dis.
— C'est là, dans ce sous-sol où mon
maître m'attend, c'est là qu'une nuit.
— Eh bien?
— C'est là que Mlle Antoinette, votre
filleule, a été apportée, endormie. C'est
là.
— Tais-toi 1 tais-toi I cria Nédonchel
d'une voix rauque.
— Maintenant vous savez tout, dit
1. Fridolin, -
— Prends-y garde, fit Nédonchel, si tu
m'as trompé, si tu as menti, c'est ton
arrêt de mort que tu as signé.
— Je ne vous ai pas trompé, je n'avais
aucune raison pour vous tromper. Au
contraire. Mais à présent deliez-moi les
mains. J'ai votre parole d'honnête
homme, de soldat.
— Tout à l'heure.
Nédonchel se rappelait la carafe dans
laquelle Fridolin avait versé le contenu
du petit flacon que lui avait remis An-
gèle.
Il saisit la carafe et la jeta avec force
sur le foyer de marbre de la cheminée,
où elle se brisa.
— Au nom du ciel, répéta Fridolin,
délivrez-moi.
— Soit, puisque je te l'ai promis, ca-
naille, dit le vieux soldat ; disparais ! Si
tu avais fait de moi ta dupe, je saurais
bien te rattraper. Si tu as dit vrai, je dé-
sire ne jamais te revoir.
- Moi non plus ! murmura Fridolin.
Nédonchel défit le nœud de la serviette
et, sans regarder en arrière, s'occupant
peu de ce que devenait le laquais, il se
précipita dehors.
Il était trois heures de l'après-midi.
IX
La revue
Le soldat auquel Marc avait remis sa
lettre pour le lieutenant de Saint-Aman d
ne perdit pas de temps pour arriver sur
le terrain où se passait la revue.
C'était plus qu'une revue ordinaire,
une préparation à l'inspection générale
qui était prochaine.
Le régiment, divisé en deux escadrons,
manœuvrait sous les yeux du général de
Grand-la-Plaine, auprès duquel se te-
naient le colonel et les officiers supé-
rieurs.
Assez vite le bruit s'était répandu dans
la ville de l'événement sanglant qui s'é-
tait accompli pendant la nuit au château.
Il était venu aux oreilles des officiers du
régiment. Ce fut vite le sujet de toutes
les conversations.
On ne savait pas au juste si la version
que le docteur Fromenteau s'était chargé
de colporter était bien la vraie. Beau-
coup se demandaient si, au lieu d'un ac-
cident arrivé en maniant un revolver, il
n'y avait pas eu plutôt tentative de sui-
cide.
Ce qui était sûr, c'est que le fils aîné
du général avait été trouvé dans sa
chambre le front laboure par une balle.
Aussi le colonel s'était-il attendu à re-
cevoir pour la revue annoncée un
contre-ordre. Mais le contre-ordre n'ar-
rivant pas, il se décida à conduire son
régiment sur le champ de manœuvres.
A l'heure fixée, avec une exactitude
toute militaire, le général arriva.
En grande tenue, sanglé dans son
.d cl m an, la croix de commandeur au cou
et, sur la poitrine, les décorations et mé-
dailles qu'il avait récoltées pendant sa
longue et brillante carrière. Il arriva au
trot, tout seul.
Le colonel alla au devant de lui, le sa-
lua du sabre, et, après les politesses d'u-
sage, eut le bon goût de faire une allu-
sion à l'accident dont toute la ville et
tout le régiment parlaient.
— Me permettrez-vous, mon général,
de vous demander des nouvelles de M.
Marc de Grand-la-Plaine.
— Ah! vous savez?. fit le général.
— Nous avons appris qu'un épouvan-
table accident.
— .Qui n'aura pas de suites fâ-
cheuses, par bonheur. La blessure est
légère. Marc en sera quitte pour quel-
ques jours de repos.
Le colonel s'inclina.
— Nous sommes prêts, mon général.
— Bien ! Veuillez donner vos ordres,
dit le général en venant saluer le groupe
des officiers supérieurs devant lesquels
il vint se placer..
En l'examinant, les officiers chucho-
taient. Il était pâle ; ses yeux rougis ra-
contaient la nuit qu'il venait de passer ;
mais il se tenait droit en selle et parais-
sait jouir de son entière liberté d'esprit.
— C'est un crâne bougre! murmura
un chef d'escadron à l'officier qui se
trouvait près de lui.
Les évolutions commencèrent.
C'était merveille de voir les petits
chasseurs sur leurs chevaux fringants
arpenter en tous sens le vaste terrain des'
manœuvres.
Les pelotons s'entrecroisaient; il y
avait par moments des galopades effré-
nées, puis des alignements laborieux.
Les chevaux excités, grattaient le sol du
pied, tiraient sur les mors ; s'ébrouaient
à grand bruit, agitaient leurs crinières ;
les hommes d'un geste furtif s'essuyaient
le front.
Quand l'ordonnance de Marc arriva
sur le terrain de manœuvres, la pous-
sière soulevée par les pieds des chevaux
était épaisse ; une charge était exécutéfl
que le général suivait d'un regard appro
bateur.
— Bon ! se dit le soldat. Il faut atten.
dre.
Il s'adossa à un arbre et regarda ses
camarades évoluer.
— Mâtin ! fit-il à part. Comme ils piv,
tent!
Bientôt, sur l'ordre du général, les.
trompettes sonnaient la pause. Un quart
d'heure de repos était accordé aux hom-
mes et aux chevaux avant le défilé. Les
chasseurs mirent pied à terre. Alors;
s'approchèrent les ambulants, débitants
de rafraîchissements à prix doux, mar-,
chands de coco, de café à deux sous l
tasse et de petits pains.
MONTFERMEIL.
(A suivre.)
CINQ centimes le numéro
10 Floréal an 100 —•N'8034
RÉDACTIOff
loi, RUE MONTMARTRE, 131
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 4 a 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
£ C3 tlASXJSCUÏTB NON INSÉRÉS NE SERONT PAS RENDUS
ADMINISTRATION
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Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et O
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ABONNEMENTS
PARIS
UN MOIS, , , ,',.. , 2 FB.
TROIS HOIS. , , , , , , , 6 —
SIX mois 9 FB.
UN AN" 18-
Rédacteur en chef : AUGUSTE ÏACQUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
1J]!l mois. - SFB.
TROIS MOIS, , 6 -
SIX MOIS H FB.
UN AN 80 —
RATACHOL EN COUR D ASSISES - LE VB BICT
Le Proès Ravachol
AVANT L'AUDIENCE
Les mesures que j'ai signalées hier ont
été observées avec une rigueur. excep-
tionnelle, par suite de l'émotion générale,
causée par l'explosion du restaurant
Véry. Toutes les portes donnant accès
dans le Palais sont fermées et gardées
par des gardes républicains et des gardes
du Palais. On ne laisse entrer strictement
que les ayants-droit. Aussi, à onze
heures, les galeries intérieures sont ab-
solument désertes.
Dans la salle d'audience, avocats, jour-
nalistes, magistrats ne causent que de la
catastrophe de la veille. Dans l'enceinte
du public debout, on remarque un grand
nombre d'agents de la sûreté. La partie
réservée aux témoins est comble d'avo-
cats en robe. Le prétoire est occupé par
les journalistes judiciaires, renforcés de
leurs confrères des départements et de
i'étranger. -
La table des pièces à conviction est
remplie de fourneaux, d'instruments de
chimie, de malles, de matelas, de boîtes,
de fioles, de débris de toutes sortes pro-
venant des maisons dynamitées du bou-
levard Saint-Germain et de la rue de
Clichy.
Un peu avant l'ouverture de l'au-
dience, les avocats des accusés arrivent
au banc de la défense : Mes Lagasse,
Georges Deschamps, Manuel Forcade,
Eugène Crémieux et Henri Robert.
A onze heures vingt minutes, les ac-
cusés font leur entrée, au milieu d'un
très vif mouvement de curiosité, Rava-
chol en tête.
Tous les cinq sont vêtus correctement.
La fille Soubère est entièrement vêtue
de noir, avec un grand manteau et une
mantille noire qui lui recouvre entière-
ment la tête. L'accusée se couvre le vi-
sage avec son mouchoir. C'est une
femme maigre, assez bien de visage.
Ravachol est vêtu d'une redingote
noire, avec cravate bleue. Il a l'air d'un
commis de bureau, le cou emprisonné
dans un col droit. La tête est intelligente.
Simon est un tout jeune homme. Chau-
martin et Beala sont également vêtus
d'une redingote et paraissent être plutôt
des employés que des ouvriers. Tous
jettent des regards avides du côté du
public debout. Ils relèvent la tête avec
ostentation lorsque la cour entre en
séance.
L'AUDIENCE
L'audience est ouverte à onze heures
et demie.
M. Guès préside les débats.
M. Quesnay de Beaurepaire occupe le
siège du ministère public. Sur ses ré-
quisitions, la cour s'adjoint un troisième
assesseur et un treizième juré est
nommé.
Le président procède à l'interrogatoire
sommaire des accusés, qui tous, sauf la
fille Soubère, qui pleure, répondent
d'une voix haute.
1° KOENINGSTEIN (François - Claudius),
dit RAVACHOL, né à Saint-Chamond, le
14 octobre 1859, teinturier;
2° SIMON (Charles-Achille), dit BISCUIT,
né à Saint-Jean-le-Blanc, le 11 mars 1873;
journalier ;
3° JAS-BEALA (Joseph-Marius), né à
Firminy, le 15 août 1865, chaudronnier.
4° CHAUMARTIN (Charles-Ferdinand), né
à Vienne, le 28 novembre 1857, maître
forgeron ;
30 SOUBÈRE (Rosalie), dite MARIETTE,
née à Saint-Etienne,le 21 septembre 1858,
plieuse de rubans.
Après la lecture de l'acte d'accusation,
que le Rappel a publié dans son numéro
du 16 avril, M. Wilmès, greffier, fait
l'appel des témoins.
Pendant la lecture de l'acte d'accusa-
tion, Ravachol sourit en regardant dé-
daigneusement le greffier. Le jeune Si-
mon ne quitte pas du regard le fond de
la salle et la fille Soubère sanglote dans
son mouchoir. Beala et Chaumartin
écoutent silencieux.
Au passage concernant son arrestation
grâce au flair du garçon Lhérot, Rava-
chol ricane.
Voici la liste des témoins cités par les
accusés :
Par Ravachol : le compagnon Lebou-
cher;
Par Beala : veuve Carpentier, Vialard
et Anglade ;
Par Chaumartin : Lagrange, Hilbers,
Lauze, Seguin, Lament, Chalayer et Bou-
quillon.
A l'appel des témoins à charge, on re-
marque que Mme Chaumartin est accom-
pagnée de sa petite fille, âgée de huit
ans.
Un témoin cité par Simon, ce matin
même, M. Douillet, sera entendu en
vertu du pouvoir discrétionnaire du pré-
sident.
INTERROGATOIRE DE RAVACHOL
Le président fait observer à Koenings-
tein qu'il s'appelle Ravachol, du nom de
sa mère; qu'il l'interrogera sous ce nom
qui lui est plus particulier.
Ravachol. — Peu importe le nom.
D. Vous avez trente-deux ans. D'après les
renseignements de police, vous avez des
antécédents déplorables : contrebandier,
faux-monnayeur, voleur, malfaiteur des
plus dangereux.
R. La police ne me connaît que de
puis 1891, comment a-t-elle appris tout
cela ?
Ravachol parle d'une voix haute et
quelque peu impertinente.
D. Mais vous avez avoué tout cela à l'ins-
truction. Ecoutez, on a trouvé chez vous, à
Saint-Mandé, une lanterne s'ourde, des car-
touches, un thermomètre à 200 degrés, un
revolver d'ordonnance , trois pinces-mon-
seigneur, des pièces de monnaie fausses.
Est-ce exact?
R. Parfaitement.
D. Vous avez fait couper votre barbe avan t
votre arrestation ?
R. Oui.
Sur la demande de Me Lagasse, la cour
fait descendre Ravachol devant son bu-
reau, en déclarant que son client est
dur d'oreille. Deux gardes républicains
et un brigadier entourent Ravachol.
D. J'ai étudié votre caractère et je suis
convaincu que vous avouerez les faits ici
comme vous les avez avoués à l'instruction.
Vous vous êtes reconnu l'auteur des crimes
de votre passé.
R. Oui, mais c'est parce que je croyais
être poursuivi pour ces faits antérieurs. Au-
jourd'hui, je refuse de répondre à ce sujet.
D. C'est votre droit; mais c'est le mien de
les faire connaître aux jurés.
Le président expose dans quelles cir-
constances Ravachol, le 10 juin 1891,
assassina à Chambles, près de Saint-
Etienne, un vieillard de quatrevingt-
douze ans qui le suppliait de lui épargner
la vie.
— Ce vieillard possédait 25,000 fr. qu'il
avait économisés, vous les lui avez volés.
Une femme Rivière, qui était votre maî-
tresse à cette époque, a été condamnée à
sept ans de travaux forcés parce qu'on avait
trouvé chez elle une somme de 6,000 francs
provenant de l'argent du vol.
Plus tard, dans la nuit du 15 mai, vous
avez pénétré dans le cimetière où était en-
terrée la baronne de la Roche-Teullis, vous
avez profané sa tombe, vous avez déterré
son cadavre et vous vous êtes emparé des
bijoux dont il était paré.
Enfin, vous avez reconnu vous-même que
vous avez fait de la fausse-monnaie, de la
contrebande d'alcool. Dans ces conditions,
je ne puis m'empêcher de dire, moi magis-
trat, que votre passé est horrible. (Mouve-
ment.)
L'accusé ne répond pas.
D. Avant de venir à Saint-Denis, vous
avez habité pendant sept ans à Saint-Etienne.
C'est à Saint-Denis que vous avez connu
Beala?
R. Non.
D. Il est pourtant à peu près certain que
Beala était dépositaire d'une partie de l'ar-
gent volé à Chambles?
R. Nullement.
D. Cependant il semble acquis que vous
avez reçu 3,00 francs de Beala en arrivant
au mois de juillet 1891.
R. C'est faux !
D. Voyons, aviez-vous de l'argent quand
vous êtes arrivé à Saint-Denis?
R. J'avais six ou sept mille francs prove-
nant du vol de chez l'ermite de Chambles.
D. Vous ne vous faisiez pas appeler Ra-
vachol en arrivant à Saint-Denis, mais Léon
Léger. Pourquoi ?
R. J'avais intérêt à dissimuler mon iden-
tité à cause du crime de l'ermite.
D. Où êtes-vous descendu à Saint-Denis ?
R. A l'hôtel.
D. Puis vous êtes allé demander asile chez
Chaumartin. Vous le connaissiez ?
R. Non, je le connaissais parce qu'on
m'avait donné son adresse à la chambre
syndicale de Saint-Etienne dont je faisais
partie.
D. Qui vous avait donné l'adresse de
Chaumartin ?
R. Je ne me le rappelle pas; d'ailleurs, je
me le rappellerais que je ne le dirais pas.
D. Enlin vous avez été accueilli chez
Chaumartin, même très bien, car vous don-
niez des livres à sa petite fille. Vous avez
connu chez Chaumartin Simon, votre co-
accusé ?
R. Je ne saurais le dire.
D. Et Gustave Mathieu?
R. Oui.
D. Et Beala et la fille Soubère ?
R. Je les ai vus par hasard chez Chaumar-
tin.
D. Il n'a jamais été question entre vous
de complot?
R. Non.
Le président rappelle le procès Des-
camps, l'anarchiste qui fut condamné à
cinq ans de travaux forcés.
Ravachol déclare que c'est ce procès
qui l'a déterminé à agir.
..-' D. Pourauoi ?
R. Le président Benoît s'était montré bar-
bare à l'audience, d'une partialité révol-
tante.
D. Comment le saviez-vous, vous n'assis-
tiez pas aux débats ?
R. J'ai appris ça par les journaux et par
des amis.
D. Les journaux ont reconnu cependant
l'impartialité du président Benoît. Et pour-
quoi en vouliez-vous à M. Bulot?
R. Il avait commis, lui aussi,des infamies
en requérant la peine de mort contre un père
de famille dont les enfants sont aujourd'hui
dans la misère.
D. Si ce père de famille avait commis un
crime, le devoir de M. Bulot, qui représen-
tait le ministère public, était de demander
la peine de mort.
R. Le jury n'a pas été de cet avis. MM.
Benoît et Bulot ne sont pas les seuls à qui
j'en voulais. J'en voulais aussi à la police
qui avait maltraité Decamps et ses co-
accusés.
D. Donc, vous vouliez vous venger et
votre vengeance ne s'est exercée que long-
temps après. Parlez-nous maintenant du
vol de cartouches de dynamite à Soisy-
sous-Etioles.
R. Je n'y ai pas pris part.
D. Vous l'avez cependant déclaré à Chau-
martin.
R. Il a menti, alors.
D. Arrivons à l'exécution de vos projets
de vengéance. Beala étant arrivé à Saint-
Denis avec la fille Soubère à la fin de février,
on complote de faire sauter le commissa-
riat de police de Clichy.
R. Oui.
D. Pourquoi ?
R. Je vous l'ai déjà dit, à cause des tor-
tures que la police avait fait subir à De-
camps, à Daudais et à Léveillé après leur
arrestation.
D. Comment le savez-vous?
Ravachol avec audace :
- Est-ce que vous étiez là quand j'ai
commis le crime de Chambles, et cependant
vous le racontiez tout à l'heure. (Rires dans
l'auditoire. )
D. Vous avez renoncé à faire sauter le
commissariat de Clichy.
R. Oui.
D. Pourquoi.
R. Beala et Simon m'en ont empêché.
D. N'est-ce pas plutôt parce qu'il y avait
un agent à la porte?
R. Peut-être. Cependant un instant j'ai eu
l'idée de tuer cet agent.
D. Vous l'avouez ?
R. Oui. (Mouvement.)
On arrive à l'attentat du boulevard
Saint-Germain, 136. Ravachol déclare
que ce n'est pas par l'anarchiste Viard
qu'il a connu l'adresse de M. Benoît,
mais par le Bottin.
D. Le 11 mars, vous avez apporté chez
Beala l'engin explosif dans une marmite?
R. Parfaitement.
D. Vous avez préparé seul le contenant et
le contenu?
R. Oui, seul.
D. Qui s'est chargé de la marmite pen-
dant le voyage de Saint-Denis à Paris, sur
le tramway ?
R. La maîtresse de Beala, Mariette Sou-
bère.
Sur interpellation, Ravachol explique
comment il est entré chez M. Benoît.
Il est monté au second étage, a déposé
l'engin sur le palier, a allumé la mèche
et est parti aussitôt.
D. Vous étiez habillé correctement, coiffé
d'un chapeau à haute forme.
Ravachol sourit et répond que c'était
pour détourner les soupçons.
D. Où étiez-vous au moment de l'explo-
sion ?
R. Près de la porte, sur le trottoir. Après
l'explosion je suis parti tranquillement.
D. Vous n'étiez pas seul?
R. Si.
D. Non, Beala et Simon qui avaient fait
le guet vous avaiént rejoint.
R. J'affirme que j'étais seul.
D. Nous entendrons tout à l'heure les
explications de Beala et de Chaumartin.
Répondez-moi bien. Aviez-vous l'intention
de tuer M. Benoit ?
R. Oui 1 (Mouvement.)
D. Ce même jour, vous vous êtes réunis
avec Simon et Beala ?
R. Je refuse de répondre.
L'accusé Simon. — Dis donc la vérité.
Le président. — Simon, n'interrompez
pas. (A Ravachol). Vous avez cependant dé-
claré à l'instruction que vous vous étiez
réunis tous les trois à Saint-Denis pour fa-
briquer de la nitro-glycérine.
Ravachol refuse de donner des expli-
cations sur cette fabrication, à laquelle
participaient Simon et Beala.
D. Arrivons à l'attentat chez M. Bulot, rue
de Clichy. Qui vous avait donné l'adresse
de M. Bulot?
R. Le Bottin.
D. Vous aviez décidé qu'on ne ferait l'at-
tentat chez M. Bulot que plus tard?
R. Je n'en sais rien.
D. Après l'explosion chez M. Benoît, vous
avez déménagé et vous êtes allé demeurer à
Saint-Mandé rue de la République.
R. Oui.
D. Sous quel nom?
R. Sous le nom de Laurent.
Ravachol se refuse à dire qui l'accom-
pagnait dans son déménagement ni où il
a mis ses meubles. Invité à rendre
compte de sa journée le 29 mars, Rava-
chol expose les faits, qui sont connus et
archi-connus.
D. Vous êtes descendu de l'omnibus rue
de Clichy, vers huit heures. Qu'avez-vous
fait?
R. J'ai ouvert ma valise, dans laquelle
j'avais déposé mon engin.
D. Un engin formidable, n'est-ce pas ?
R. Oui, formidable. Je suis entré au no 39,
je suis monté au deuxième étage et j'ai dé-
posé l'engin près de la porte, puis j'ai allu-
mé la mèche.
D. La mèche était longue?
R. 90 centimètres environ.
D. Où étiez-vous lorsque l'explosion s'est
produite?'
R. J'étais rue de Clichy, mais je n'ai ap-
pris les détails de l'explosion que par les
journaux. J'ai désiré cependant constater
par moi-même les dégâts; je suis monté
sur l'impériale de - l'omnibus de Clichy - au
Jardin des Plantes, mais 1 omnibus a lait un
détour et je n'ai pas vu les effets de l'explo-
sion.
D. Avez-vous vu que cinq personnes
avaient été blessées?
R. Oui, par les journaux.
D. Qu'avez-vous fait après l'explosion?
R. Je suis allé déjeuner dans un restau-
rant du boulevard Magenta.
D. Le restaurant Véry, tristement célèbre
aujourd'hui. (Mouvement prolongé.)
Vous avez causé avec le garçon Lhérot,
et même assez imprudemment, car ce sont
vos confidences qui ont donné l'éveil à ce
garçon et amené votre arrestation.
R. Ce garçon se plaignait d'être exploité.
J'ai voulu le convertir à nos idées.
D. Il ne paraît pas que vous ayez réussi.
R. Hélas! non. (Mouvement.)
D. Ravachol, votre interrogatoire est
presque terminé. Je n'ai plus qu'une ques-
tion à vous poser, mais avant, si vous avez
quelques explications personnelles à don-
ner, je vous laisse toute latitudè.
Ravachol sort un papier de sa poche et
lit une déclaration anarchiste, précédée
des mobiles qui l'ônt fait agir contre
M. Benoît et M. Bulot.
Ces mobiles, nous les connaissons. La
partialité et la barbarie du président des
assises qui ont jugé Decamps,Dardare et
Leveillé; ensuite l'infamie de M. Bulot,
qui a requis la peine de mort contre
Decamp, père de famille, dont la femme
et les enfants sont dans la misère; enfin
les tortures que les agents de police de
Clichy ont fait subir, après leur arresta-
tion, aux trois accusés.
Ceci dit, Ravachol expose ce qu'il ap-
pelle les bienfaits de l'anarchie, la mise
en commun des biens de la terre, etc. Il
dit en terminant que son intention a été
de terroriser les bourgeois, afin que
ceux-ci jettent un regard attentif sur les
anarchistes, qui ne sont pas, dit-il, des
« criminels, mais des défenseurs des
opprimés ».
D. Ravachol, vous n'attendez pas que je
veuille discuter avec vous vos théories.
R. Oh! je ne vous le demande pas ! (on
rit).
D. Encore une question. Ravachol, lorsque
je vous ai interrogé à la Conciergerie, vous
m'avez dit que vous aviez encore à votre
disposition 270 à 300 cartouches de dyna-
mite. Je vous ai demandé où se trouvaient
ces 300 cartouches de dynamite, vous avez
refusé de me répondre. Persistez-vous au-
jourd'hui dans ce système?
R. Oui.
D. Vous ne voulez pas dire où sont dépo-
sées ces cartouches de dynamite?
R. Non, je ne vous le dirai pas.
M. Quesnay de Beaurepaire. — Ravachol,
on a trouvé chez vous, à Saint-Mandé, un
poison violent, de la strychnine. A quoi le
destiniez-vous ?
R. C'était une arme dangereuse dont je
pouvais avoir besoin un jour.
D. Alors c'était une réserve.
R. Oui, une réserve. (Mouvement pro-
longé.)
INTERROGATOIRE DE SIMON
Le jeune Simon, visage imberbe,
blond, atteint lui aussi de surdité, du
moins il le prétend, parle d'une voix
haute et avec gestes. L'accusé dit à
chaque question : -
— Parfaitement!
Ses antécédents sont déplorables. Il a
été condamné pour vol, mais il dit que
cette condamnation est une infamie.
D. On a trouvé chez vous une bombe.
R. Parfaitement, une bombe en bois, qui
n'était pas dangereuse et que j'avais trouvée
dans la rue.
D. Vous faisiez partie de l'expédition
contre le commissariat de police de Clichy?
R. Oui, et c'est moi qui ai empêché Ra-
vachol de jeter la machine infernale.
D. Pourquoi ?
R. Parce que la bombe était grosse et
que, par ricochet, elle aurait pu atteindre
des ouvriers qui travaillaient dans les pa.
rages.
D. Des ouvriers, et si ça avait été des
bourgeois ?
R. Ça aurait été la même chose.
D. Savez-vous si Ravachol avait l'intention
de tuer l'agent qui était de faction à la porte
du commissariat ?
R. Non.
Sur interpellation, Simon raconte COID.;
ment il a participé à l'explosion du bou-
levard Saint-Germain.
— Un jour, dit-il, j'ai rencontré Ravachol,
on a parlé des infamies du procès Decamps
et on a décidé entre nous qu'on irait posef
une bombe chez M. Benoît.
D. Comme cela, tout de suite ?
R. Parfaitement.
D. Vous trouvez cela tout naturel ?
R. Parfaitement.
Simon ajoute que c'est lui qui a été
envoyé en éclaireur chez M. Benoît. Il
a interrogé le concierge, est monté dans
la maison, croyant qu'il y avait une
plaque indicatrice sur l'appartement du*
président. Ne trouvant pas de plaque, il
a désigné à Ravachol au hasard le
deuxième étage.
L'accusé donne ensuite des détails
connus sur le départ pour Paris de Ra-
vachol, de Chaumartin et de la fille Sou-
bère qui, sur le tramway, avait caché lie
machine infernale sous ses jupes.
Il affirme cependant qu'il a quitté Ra-
vachol à moitié route, parce que celui-ci
voulait opérer tout seul chez M. Benoît.
Quant à la complicité qui pèse sur lui
pour avoir aidé, chez Beala, à la prépa-
tion de la nytro-glycérine destinée à M.
Bulot, Simon avoue, mais il croyait qu'il
s'agissait d'expériences et non que Rava-
chol voulait faire sauter des maisons.
Le président. — M. l'avocat général vous
démontrera le contraire.
L'audience est suspendue à deux heu*
res un quart. -
INTERROGATOIRE DE CHAUMARTIN
A trois heures moins vingt, l'audienca.
est reprise et le président interroga
Chaumartin, que les renseignements de
police représentent comme un travail-
leur intelligent, taciturne, mais ayant
une grande influence sur ses cama-
rades.
D. On a saisi çhez vous deux revolvers,
dont un de poche, six projectiles, des
douilles de fusil, un fusil de chasse.
R. C'est exact.
D. Avant d'habiter Saint-Denis, vous avez
demeuré à Saint-Etienne ?
R. Oui.
D. Au mois de juillet dernier, vous avea
reçu une lettre de Saim-ELienue vous an-
nonçant la visite d'un camarade et petr
de temps après Ravachol est arrivé chez
vous?
R. Oui, mais sous le nom de Léon Léger.
Ce n'est que plus tard que j'ai appris par
Ravachol ce nom, mais Léon Léger était
venu me demander asile à cause d'un crime
qu'il avait commis à Chambles.
D. Un mois après, n'êtes-vous pas allé à.
Saint-Etienne.
R. Oui, pour toucher de Beala une somme
de 3,000 francs que j'ai remise à Ravachol.
D. Beala vous a également remis des car-
touches de dynamite.
R. Oui.
D. Avez-vous connaissance du vol de
cartouches à Soisy-sous-Etioles.
R. J'en ai entendu parler et Ravachol lui-
même m'a avoué avoir participé à ce vol et
avoir reçu pour sa part quatrevingts car-
touches de dynamite environ.
D. (à Ravachol). — Vous entendez ! ;
Ravachol. — C'est possible, je ne m'en
souviens pas.
D. (à Chaumartin). Vous receviez beau-
coup de monde chez vous : Gustave Mathieu,
Beala, sa maîtresse, et votre femme était.
liée avec la femme de Decamps.
R. Oui, monsieur le président.
D. Avez-vous eu connaissance de l'atten-
tat du commissariat de police de Clichy?
R. Oui, par Ravachol, qui m'a tout ra-
conté et m'a fait part de son chagrin que le
coup eût manqué.
Feuilleton du RAPPEL
DU 28 AVRIL
J
118
LE DRAME
DES
DEUX JFRÈRES
TROISIÈME PARTIE
LES DERNIÈRES VINGT -QUATRE HEURES
VIII
Epingle tirée da jeu
— Suite —
Nédonchel regarda Fridolin, en fron-
çant les sourcils.
— Gare à toi si tu t'avises de vouloir
me tromper 1
— Je n'ai aucune envie de vous trom-
per, répondit Fridolin. Et je vais vous
le prouver en vous donnant les détails
les plus pris pour retrouver votre
homme.
i
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 1er janvier au g7 avril.
— Bien 1 Et d'abord, comment en-
trerai-je?
— Voici une double clef qui vous ou-
vrira la maison.Mais ce n'est pas tout; car
une fois entré, vous ne trouveriez rien,
si je ne vous en disais pas davantage.
- Parle donc ! et vitel
- Il y a une cachette.
— Où?
- Dans le sous-sol de la maison.
- Et c'est là qu'il s'est réfugié ?.
- Sans aucun doute. Quand vous serez
dans le salon, vous irez près de la che-
minée, à droite. Vous chercherez dans
le mur, à un pied du sol environ, le res-
sort qu'il faut faire mouvoir pour qu'une
porte s'ouvre. Elle s'ouvrira. Vou n'au-
rez qu'à descendre. Vous y serez.
— C'est bien étrange! murmura Né-
donchel. Qui me dit que tu ne me mens
pas ?
— C'est la vérité, la pure vérité, je
vous le jure. Et voulez-vous en savoir
plus encore?
— Dis.
— C'est là, dans ce sous-sol où mon
maître m'attend, c'est là qu'une nuit.
— Eh bien?
— C'est là que Mlle Antoinette, votre
filleule, a été apportée, endormie. C'est
là.
— Tais-toi 1 tais-toi I cria Nédonchel
d'une voix rauque.
— Maintenant vous savez tout, dit
1. Fridolin, -
— Prends-y garde, fit Nédonchel, si tu
m'as trompé, si tu as menti, c'est ton
arrêt de mort que tu as signé.
— Je ne vous ai pas trompé, je n'avais
aucune raison pour vous tromper. Au
contraire. Mais à présent deliez-moi les
mains. J'ai votre parole d'honnête
homme, de soldat.
— Tout à l'heure.
Nédonchel se rappelait la carafe dans
laquelle Fridolin avait versé le contenu
du petit flacon que lui avait remis An-
gèle.
Il saisit la carafe et la jeta avec force
sur le foyer de marbre de la cheminée,
où elle se brisa.
— Au nom du ciel, répéta Fridolin,
délivrez-moi.
— Soit, puisque je te l'ai promis, ca-
naille, dit le vieux soldat ; disparais ! Si
tu avais fait de moi ta dupe, je saurais
bien te rattraper. Si tu as dit vrai, je dé-
sire ne jamais te revoir.
- Moi non plus ! murmura Fridolin.
Nédonchel défit le nœud de la serviette
et, sans regarder en arrière, s'occupant
peu de ce que devenait le laquais, il se
précipita dehors.
Il était trois heures de l'après-midi.
IX
La revue
Le soldat auquel Marc avait remis sa
lettre pour le lieutenant de Saint-Aman d
ne perdit pas de temps pour arriver sur
le terrain où se passait la revue.
C'était plus qu'une revue ordinaire,
une préparation à l'inspection générale
qui était prochaine.
Le régiment, divisé en deux escadrons,
manœuvrait sous les yeux du général de
Grand-la-Plaine, auprès duquel se te-
naient le colonel et les officiers supé-
rieurs.
Assez vite le bruit s'était répandu dans
la ville de l'événement sanglant qui s'é-
tait accompli pendant la nuit au château.
Il était venu aux oreilles des officiers du
régiment. Ce fut vite le sujet de toutes
les conversations.
On ne savait pas au juste si la version
que le docteur Fromenteau s'était chargé
de colporter était bien la vraie. Beau-
coup se demandaient si, au lieu d'un ac-
cident arrivé en maniant un revolver, il
n'y avait pas eu plutôt tentative de sui-
cide.
Ce qui était sûr, c'est que le fils aîné
du général avait été trouvé dans sa
chambre le front laboure par une balle.
Aussi le colonel s'était-il attendu à re-
cevoir pour la revue annoncée un
contre-ordre. Mais le contre-ordre n'ar-
rivant pas, il se décida à conduire son
régiment sur le champ de manœuvres.
A l'heure fixée, avec une exactitude
toute militaire, le général arriva.
En grande tenue, sanglé dans son
.d cl m an, la croix de commandeur au cou
et, sur la poitrine, les décorations et mé-
dailles qu'il avait récoltées pendant sa
longue et brillante carrière. Il arriva au
trot, tout seul.
Le colonel alla au devant de lui, le sa-
lua du sabre, et, après les politesses d'u-
sage, eut le bon goût de faire une allu-
sion à l'accident dont toute la ville et
tout le régiment parlaient.
— Me permettrez-vous, mon général,
de vous demander des nouvelles de M.
Marc de Grand-la-Plaine.
— Ah! vous savez?. fit le général.
— Nous avons appris qu'un épouvan-
table accident.
— .Qui n'aura pas de suites fâ-
cheuses, par bonheur. La blessure est
légère. Marc en sera quitte pour quel-
ques jours de repos.
Le colonel s'inclina.
— Nous sommes prêts, mon général.
— Bien ! Veuillez donner vos ordres,
dit le général en venant saluer le groupe
des officiers supérieurs devant lesquels
il vint se placer..
En l'examinant, les officiers chucho-
taient. Il était pâle ; ses yeux rougis ra-
contaient la nuit qu'il venait de passer ;
mais il se tenait droit en selle et parais-
sait jouir de son entière liberté d'esprit.
— C'est un crâne bougre! murmura
un chef d'escadron à l'officier qui se
trouvait près de lui.
Les évolutions commencèrent.
C'était merveille de voir les petits
chasseurs sur leurs chevaux fringants
arpenter en tous sens le vaste terrain des'
manœuvres.
Les pelotons s'entrecroisaient; il y
avait par moments des galopades effré-
nées, puis des alignements laborieux.
Les chevaux excités, grattaient le sol du
pied, tiraient sur les mors ; s'ébrouaient
à grand bruit, agitaient leurs crinières ;
les hommes d'un geste furtif s'essuyaient
le front.
Quand l'ordonnance de Marc arriva
sur le terrain de manœuvres, la pous-
sière soulevée par les pieds des chevaux
était épaisse ; une charge était exécutéfl
que le général suivait d'un regard appro
bateur.
— Bon ! se dit le soldat. Il faut atten.
dre.
Il s'adossa à un arbre et regarda ses
camarades évoluer.
— Mâtin ! fit-il à part. Comme ils piv,
tent!
Bientôt, sur l'ordre du général, les.
trompettes sonnaient la pause. Un quart
d'heure de repos était accordé aux hom-
mes et aux chevaux avant le défilé. Les
chasseurs mirent pied à terre. Alors;
s'approchèrent les ambulants, débitants
de rafraîchissements à prix doux, mar-,
chands de coco, de café à deux sous l
tasse et de petits pains.
MONTFERMEIL.
(A suivre.)
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