Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1892-04-18
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 18 avril 1892 18 avril 1892
Description : 1892/04/18 (N8074). 1892/04/18 (N8074).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75446461
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
W.8074 — Lundi 18 Avril 1892
30 Germinal an 100 — N*8074 f
UïNQ centimes le smméro
RÉDACTIOR
131, BUE MONTMARTRE, 131
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 4 a 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir a minuit
JE3 MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SERONT PAS RENDU
-
ADMINISTRATION
131, RUÊ MONTMARTRE, 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et Ce
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
- PARIS
UN MOIS Z PE.
TROIS 1'11016. 6 -
SIX MOIS 9 PB.
UN AN 18 —
Rédacteur en chef : AUGUSTE FACQUERIE
--- ---- - __-._---- -- -- - _-- -- -
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS 7 BFIl,,* --
TROIS MOIS. 6 -
SIX MOIS T. 13 PB.
UN AN. 20 -
SUCCÈS JUDICIAIRE
Mlle Yvette Guilbert a tous les succès.
Les théâtres se l'arrachent. Dans le
jour, on l'applaudit au Théâtre d'Ap-
plication, où elle est commentée par
un de nos plus spirituels conféren-
ciers, M. Hugues Leroux. Le soir, elle
triomphe au Concert parisien — jus-
qu'à onze heures. Le reste de sa soirée
est pour le théâtre des Nouveautés,
dont la façade s'illumine de son nom
en lettres colossales !
On se l'arrache tellement qu'il en
résulte des procès. C'est pourquoi,
avant-hier, la chanteuse au triple
théâtre (je ne compte pas les salons)
était citée à la première chambre du
tribunal civil de la Seine. Elle y est
venue escortée (épistolairement) par le
directeur de l'Opéra et par l'adminis-
trateur de la Comédie-Française, rien
que cela ! Les lettres de M. Bertrand et
de M. Jules Claretie plaidaient sa cause
de telle façon qu'elle aurait pu se pas-
ser d'un autre avocat. Il va sans dire
qu'elle a gagné son procès. Le direc-
teur du Concert parisien lui demandait
150,000 francs pour avoir chanté aux
Nouveautés en matinée: le tribunal
l'a déclaré « mal fondé dans sa de-
mande ».
Mais ce n'est ni dans les applaudis-
sements dont la comblent trois théâ-
tres et les salons, ni dans l'escorte
pistolaire que lui ont faite l'adminis-
trateur général de la Comédie-Fran-
çaise et de l'Opéra, ni dans le : zut !
répondu par la justice à la demande
de M. Mussleck, qu'est le grand succès
de Mlle Yvette Guilbert.: il est dans la
rapidité avec laquelle son procès a été
iugé.
Je parlais récemment du temps qu'il
faut pour arriver devant les juges.
Voici combien, à la dernière rentrée
des tribunaux, il y avait, rien qu'à
Paris, d'affaires en retard aux cham-
bres civiles :
lre Chambre. 1,200
2° Chambre 900
3e Chambre 1,100
4e Chambre 1,200
56 Chambre 1,100
6e Chambre 4,000
7e Chambre. 3,200
Ce qui fait un total de douze mille
sept cents.
Chaque chambre juge, en moyenne,
mille affaires par an. Oui, mais elle
reçoit, en moyenne, par an quinze
cents affaires nouvelles. D'où il suit
que le total des affaires qui attendent
s'augmente chaque année de cinq
cents affaires par chambre, c'est-à-
dire, pour sept chambres, de trois mille
cinq cents. Si bien que, dans trois ans,
aux douze mille sept cents affaires en
retard actuellement, on en aura ajouté
dix mille cinq cents et que, si l'on con-
tinue de ce train, il arrivera un mo-
ment où, pour obtenir justice, il faudra
être immortel.
A l'heure qu'il est, un avoué à qui.
on apporte une affaire et à qui on de-
mande quand elle sera plaidée, peut
encore répondre :
— Si vous avez de la chance, dans
deux ans; sinon, dans trois.
C'est, en effet, avoir de la chance
que d'être jugé en deux ans, et même
en trois. Le XIXo Siècle cite une affaire
en revendication de chemins ruraux
qui dure depuis octobre 1887 (quatre
ans et demi) ; une demande en paye-
ment de 40,000 francs qui date de fé-
vrier 1887 (cinq ans) ; une demande de
183,000 francs pour solde de travaux
présentée en juillet 1886 (cinq ans
neuf mois); deux affaires, l'une en dé-
saveu de paternité, l'autre en homolo-
gation de liquidation, qui font anti-
chambre depuis 1884 (huit ans).
Le procès de Mlle Yvette Guilbert a
été commencé en mars. Allait-elle at-
tendre huit ans? Allons donc! Pour
être juge on n'en est pas moins homme.
Les juges de Phryné avaient des yeux,
les juges de Mlle Guilbert ont des
oreilles. Ils ont entendu, je n'ose dire
au Concert parisien, mais au moins
dans les salons, la divette en vogue
chanter le Fiacre et les Quafs étudiants.
Ils ont pensé que cela valait bien un
tour de faveur.
Le procès, commencé le 18 mars 1892,
a été jugé le 14 avril 1892. Il a été expé-
dié en moins d'un mois.
Je félicite Mlle Yvette de cette rapi-
dité, et j'en féliciterais les juges s'ils
étaient aussi rapides pour les autres.
0 Ulysse ! tu étais sensible au chant
de la sirène, mais tu te faisais attacher
à ton mât pour ne pas faire de bêtises.
Je demande qu'on attache les juges à
leur siège, et qu'ils n'en soient déta-
chés qu'après avoir jugé toutes les af-
faires en retard.
AUGUSTE VACQUERiri.
COULISSES DES CHAMBRES
LA REFORME DE L'IMPOT DES BOISSONS
Dans la journée d'hier, la commission
du budget, qui avait résolu de se séparer
le soir pour les vacances de Pâques, a
tenu deux séances, une le matin de neuf
heures à midi; l'autre de deux heures à
six heures de l'après-midi, afin d'activer
son travail et de mettre ses rapporteurs
en état de travailler pendant la suspen-
sion de ses délibérations. La séance de
l'après-midi a été la plus intéressante;
c'est celle dans laquelle on a entendu le
ministre des finances au sujet de la ré-
forme de l'impôt des boissons.
Nous avons dit hier que la veille la
commission avait décidé de faire le dé-
grèvement total des boissons hygiéni-
ques, au lieu du dégrèvement partiel
proposé par le gouvernement, et de com-
penser la perte résultant pour le Trésor
par une élévation des droits sur l'alcool
plus grande que celle demandée par le
ministre, et ensuite par un relèvement
des licences des débitants. Par contre,
elle se refusait à modifier la législation
existante sur les bouilleurs de cru dont
elle entendait maintenir le privilège,
sans même le réglementer comme le
demandait le gouvernement.
C'est sur ces divers points que le mi-
nistre des finances a été entendu. Voici
les observations qu'il a présentées :
M. Rouvier, ministre des finances,
déclare qu'en principe le dégrèvement
des boissons hygiéniques pourrait être
opéré à l'aide d'autres ressources qu'une
surtaxe sur l'alcool. Mais le gouverne-
ment croit que cette compensation est la
plus naturelle et la plus acceptable. C'est
a l'alcool qu'il faut demander le moyen
de dégrèver les vins, cidres et bières. Il
n'est pas possible de procéder simple-
ment par voie de dégrèvement.
En ce qui concerne le privilège des
bouilleurs de cru, le ministre dit que le
projet du gouvernement ne le supprime
pas et se borne à le réglementer. Si la
commission entend maintenir le privi-
lège dans les limites légales, c'est une
solution admissible. Mais actuellement,
à côté de l'usage, il y a l'abus; il y a la
fraude. C'est ce qu'a voulu corriger le
gouvernement. La surtaxe sur l'alcool,
sans règlementation du privilège, peut
entraîner un déficit de 40 millions en-
viron.
Le ministre ne peut accepter l'aboli-
tion intégrale des droits sur les boissons,
en les remplaçant, comme le demandait
M. Jamais, par une surtaxe de l'alcool
et un relèvement des licences. On peut
demander aux licences 15 ou 20 millions,
mais non 75 ou 80 comme le voulait
M. Jamais.
Au sujet de la réforme des octrois, le
ministre reconnaît que les décisions des
communes auront leur répercussion sur
le budget de l'Etat. Le gouvernement a
voulu associer les municipalités à l'ef-
fort que fait l'Etat. Quant aux déficits
qui résulteraient de ces décisions pour
les budgets communaux eux-mêmes, ils
pourront être comblés avec des surtaxes
sur d'autres matières soumises à l'octroi.
Le gouvernement n'est pas, d'ailleurs,
opposé à ce principe qui anime le rap-
port récent de M. Guillemet : on pourra
instituer d'autres taxes de remplacement.
Dès maintenant, le gouvernement ad-
mettrait l'imposition de centimes addi-
tionnels communaux sur d'autres im-
pôts que les impôts directs, par exemple
sur le principal des successions.
Revenant sur la question du dégrève-
ment total ou partiel des boissons, le
ministre dit que l'inspection des finances
tout entière croit à l'impossibilité de per-
cevoir la surtaxe sur l'alcool après avoir
supprimé toute espèce de droits sur les
boissons.
Plusieurs membres font observer que
la veille M. Catusse, directeur général
des contributions indirectes, avait sem-
blé considérer la réforme comme pos-
sible sans la suppression du privilège
des bouilleurs de cru.
M. Rouvier répond que cela est vrai,
pour le privilège des bouilleurs de cru
proprement dit, mais encore une fois, à
côté du privilège, il y a les extensions
abusives et frauduleuses qu'il a reçues
dans la pratique.
A la condition qu'on ne supprime pas
tous les droits sur les boissons et qu'on
laisse le moyen au ministre des finances
de réprimer la fraude, l'entente, dit M.
Rouvier, sera facile entre la commission
et le gouvernement.
M. Poincaré dit que personne ne peut
songer à favoriser la fraude; mais faut-il,
pour la réprimer, établir l'exercice chez
le propriétaire qui ne sort pas des li-
mites de son droit et qui fait simplement
du privilège des bouilleurs un usage lé-
gitime ? Le projet établit, en réalité, une
surveillance qui équivaudrait à l'exer-
cice pendant la période de distillation.
Le ministre répond que ce n'est pas,
à proprement parler, l'exercice, puisque
c'est-un contrôle tout à fait temporaire.
M. Mège dit que le projet du gouver-
nement établit un véritable exercice
chez le récoltant.
M. Rouvier répond que cela n'est vrai
que pour le récoltant qui veut vendre sa
récolte.
M. Leydet demande si, dans le cas où
la commission serait amenée à main-
tenir un droit sur les boissons hygiéni-
ques, il ne serait pas possible d'établir
une taxe unique de 1 fr. au lieu de celle
de 2 fr. proposée par le gouvernement.
Le ministre répond qu'il ne peut s'en-
gager sur ce point.
Après le départ du ministre, la com-
mission a procédé à un débat dans le
but de dégager les idées générales qui
doivent présider, suivant elle, à la ré-
forme des boissons.
M. le président a fait remarquer que
le ministre avait fait, en somme, des ré-
serves sur deux points : dégrèvement
total des boissons hygiéniques, privilège
des bouilleurs de cru. C'est sur ces
deux points que le vote devait porter.
Après un échange d'observations, la
commission exprime par un premier vote,
(11 voix contre 7) qu'il n'y a lieu que de
dégréver partiellement les boissons
hygiéniques. Elle se rallie donc, sur ce
premier point, aux vues du gouverne-
ment.
La commission a décidé ensuite, par
12 voix contre 9, qu'il n'y avait pas lieu
d'introduire une disposition législative
nouvelle au sujet des bouilleurs de cru.
M. Salis a été élu rapporteur de la ré-
forme des boissons par 13 voix sur 21
votants.
M. Burdeau a été ensuite chargé du
rapport général à l'unanimité.
La commission s'est ensuite séparée
jusqu'au 10 mai. Elle reprendra ses tra-
vaux ainsi une semaine avant la Cham-
bre dont la rentrée, on le sait, est fixée au
17 mai.
Ajoutons, comme dernier détail, que le
ministre des finances n'a pas eu) à
s'expliquer sur l'autre question que la
commission voulait lui poser: celle de
savoir si toutes les dépenses prévues
pour 1893 sont réellement inscrites au
projet de budget.
Le conseil des ministres, en effet, avait
été saisi le matin de modifications im-
portantes que M. Cavaignac se pro-
pose d'apporter au projet de budget de
la marine qu'avait dressé M. Barbey,
son prédécesseur.
Ces modifications soulèvent diverses
questions importantes sur lesquelles le
conseil n'a pas achevé de délibérer. De
sorte que le gouvernement ne pourra
s'expliquer à cet égard devant la com-
mission qu'à la rentrée de celle-ci.
—f Ai
AU DAHOMEY
Notes de l'agence Havas :
Il n'est pas exact que les avisos le Héron
et l'Ardent aient reçu l'ordre d'entrer immé-
diatement en armement : ces deux navires
sont armés et font partie de la station lo-
cale du Sénégal et de la Guinée occidentale;
ils sont à la disposition de l'administration
des colonies qui peut les diriger sur les
points où leur présence paraît nécessaire.
En outre, l'énumération des navires de
guerre français qui vont se trouver réunis
sur les côtes du Dahomey est incomplète.
On a omis de mentionner le croiseur le
Sané, qui a appareillé à Buenos-Ayres pour
Kotonou le 7 avril.
Le sous-secrétariat des colonies n'a reçu
ce matin ni hier aucune dépêche relative
au Soudan ou au Dahomey.
Il est donc inexact, comme le disent cer-
tains journaux, qu'il soit arrivé des télé-
grammes alarmants.
a
LA DYNAMITE
Le Rappel est assigné mercredi prochain
devant la 8e chambre correctionnelle pour
avoir, dit la prévention, « publié. l'acte
d'accusation de la procédure criminelle ins-
truite contre Kœningstein dit Ravachol et
autres. délit prévu par l'artiole 38 de la loi
du 29 juillet 1881. »
Henri Koehingstem, frère de Ravachol, ac-
compagné de Me Lagasse, s'est présenté
hier après-midi au parquet du procureur
général pour solliciter l'autorisation d'une
entrevue avec son frère.
M. QueâHSy de Beaurepaire ayant tout
d'abord objecté qu'il était nécessaire que
Ravachol manifestât auparavant par écrit
son désir de voir son frère, Mc Lagasse s'est
porté garant du désir de son client.
Henri Kœningstein a été invité à produire
des pièces établissant sa parenté avec l'in-
culpé. Il a montré son acte de naissance et
diverses lettres écrites antérieurement par
Ravachol.
Le procureur général s'est alors décidé à
accorder l'autorisation demandée, et à trois
heures et demie Kœningstein a été introduit
par Me Lagasse dans la cellule de Ravachol,
où les deux frères se sont longuement en-
tretenus.
DANS LES DÉPARTEMENTS
Lille, 16 avril.
Ce matin, à deux heures et demie, le mé-
canicien chargé de diriger la machine qui
sert à l'éclairage électrique de la gare de
Lille, s'étant absenté pendant quelques mi-
nutes pour..prendre du charbon au dehors,
trouva sous la machine une petite boîte à
laquelle était fixée une mèche allumée.
Il éteignit la mèche et mit la boîte à
l'abri, pour la donner, dans la matinée, au
commissaire spécial de la gare.
La boîte, envoyée à la raffinerie des pou-
dres et salpêtres, a été oûverte avec précau-
tion. Elle contenait de-la poudre, des plombs
et quatrevingts cartouches Flobert, imbibées
de térébenthine. -
L'explosion eût certainement brisé la
machine et plongé la gare dans l'obscurité.
Uné enquête est ouverte. -.'
a A L'ÉTRANGER
Livourne, 16 avril.
La nuit dernière, la police a fait des per-
quisitions dans les quartiers populaires où
habitent un grand nombre d'anarchistes.
On a visite une quarantaine de maisons.
Quelques armes ont été saisies et séques-
trées.
Alicante, 16 avril.
Un capitaine belge, qui avait été expulsé
de son pays, a été arrêté pour démonstra-
tions anarchistes. - --
L'approche du 1er mai cause une grande
préoccupation dans la contrée. - * .*
Barcelone, 16 avril.
La police a arrêté, dans le cloître de la
cathédrale, un individu soupçonné de com-
plicité dans les dernières explosions anar-
chistes.
Des journaux révolutionnaires et un re-
volver chargé ont été trouvés sur lui.
Par suite de la pluie, les fêtes religieuses
qui ont été célébrées hier à Séville n ont eu
aucun éclat. •
Les processions n'ont pas eu lieu. ; ■
RÉFORME URGENTE
L'Assistance publique parisienne est l'ob-
jet de critiques nombreuses, le plus souvent
fondées, mais dont une partie s'adresse à
tort au conseil municipal.
L'assemblée municipale, en effet, n'est
pas libre de gérer, à la convenance des be-
soins, les ressources considérables de cette
partie du budget communal. Et non seule-
ment le conseil est enfermé dans des limites
étroites qu'il ne peut franchir, même quand
lui est démontrée l'urgence de mesures non
prévues par les règlements en vigueur,
mais l'administration, elle aussi, se voit
souvent dans l'impossibilité de prendre les
décisions commandées par des circons-
tances impérieuses.
On l'a vu cette année, où l'équilibre bud-
gétaire ayant été assuré à la suite d'une
entente entre le conseil et l'administration
d'abord divisés, l'équilibre proposé a été
rejeté ensuite par le ministre de l'intérieur,
sous prétexte que le moyen financier auquel
on avait recours contrevenait à je ne sais
plus quelle circulaire émanée du général
Espinasse, d'impériale et sinistre memoire.
La dépendance absolue de la ville de Pa-
ris, placée, en matière d'assistance comme
en matière de police, de voirie, etc, sous la
tutelle du gouvernement, telle est la cause
première des abus qu'on relève dans le
fonctionnement des services de l'assistance.
Le conseil ou l'administration propose —
le gouvernement dispose. Presque toujours,
il dispose très mal, parce que ses bureaux,
étrangers aux besoins de la population pa-
risienne, décident, dans une foule de ques-
tions, à tort et à travers, simplement pour
affirmer leur droit de souveraineté.
C'est ainsi que l'organisation des bureaux
de bienfaisance et la distribution des se-
cours à domicile sont régies par un règle-
ment ministériel en date de 1886, que le
conseil d'Etat a élaboré, sans daigner tenir
compte des réclamations nombreuses for-
mulees à cet égard par le conseil municipal.
Le travail du conseil d'Etat et des bureaux
du ministère de l'intérieur a eu tout de
suite ce beau résultat : d'établir entre les
divers arrondissements de Paris une inéga-
lité de répartition choquante.
Tous les ans, le conseil municipal est
appelé à réparer, dans la mesure du possi-
ble, les conséquences de cette inégalité. Je
dis dans la mesure du possible, parce que,
quelle que soit l'aggravation des charges
imposées aux finances de la ville, la dispro-
portion des recettes intérieures des bureaux
de bienfaisance est telle que les subven-
tions complémentaires ne peuvent les répa-
rer qu'en partie.
Cette année, comme les précédentes, MJ
Bompard a été chargé par la 3e commission
du rapport de cette intéressante question,
et ses conclusions seront discutées au début
de la session de mai. Les chiffres que le
conseiller du 17e cite dans son rapport sont
éloquents. Les recettes intérieures des bu-
reaux de bienfaisance s'élèvent à 1 million
en chiffres ronds, soit 24 fr. 79 par in-
digent. Mais tandis que le ge arrondisse-
ment dispose de 90 fr. 52 par unité indi-
gente, le 18e ne dispose que de 7 fr. 78. Dans
le 8e, la même moyenne ressort à 104 fr. 19,
et dans le 20e à 6 fr. 93.
M. Bompard déplore, naturellement, un
état de choses si criant, et il réclame de
l'administration de l'Assistance publique,
pour 1893,-un système de répartition qui
fasse cesser, autant que possible, une iné-
galité aussi scandaleuse. -
Mais l'administration est enserrée dans
les prescriptions du règlement ministériel
de 1886,: dont le conseil a demandé, à main-
tes reprises, la revision. Tant que les prin-
cipes de répartition fixés par le règlement
ne seront pas modifiés, on ne pourra voter
que des palliatifs impuissants à remédier
au vice fondamental du système. ---
D'ailleurs, l'inégalité de répartition des
secours n'est pas le seul inconvénient réè -
sultant de l'organisation des secours à do- •
micile instituée par cèrhalencontreux
décret. Les attributions des administrateurs
des bureaux de; bienfaisance, le mode de
.distribution de secours, tout, jusque dans
les moindres détails, porte la trace de
l'ignorance parfaite des auteurs de ce règle-
ment, étrangers à la population parisienne
qu'ils régentent du fond de leurs bureaux.
C'est donc la refonte complète de l'assis-
tance à domicile qu'il importe d'obtenir
par le rapport pur et simple du décret de
1886. Tant que l'organisation'.qu'il' a créée
subsistera, il n'y aura pas 'd'amélioration
appréciable à espérer. ->; ,.,: v.
Là dessus, tout le monde est d'accord—
à l'administration. et eUijypoleil — depuis
longtemps. Si ies fonctionnaires de l'inté-'
rieur qui s'immiscent'â"tout propos dans
les affaires municipales, même et surtout
quand ils n'en connaissent pas un traître
mot, le voulaient, ils pourraient octroyés
à la ville de Paris une réforme urgente qif
ne dépend plus que de leur bon vouloir.
GUSTAVE ROUANET.
LES GARDIENS DE LA PAIX
Mon article d'hier sur les reproches
que fait à la police la population pari-
sienne m'a valu la lettre suivante :
Monsieur le rédacteur,
Je suis gardien de la paix et j'ai lu votre
article de ce matin. -
C'est vrai qu'on ne nous aime pas et que;
quand il y a une manifestation, nous la dis-
persons quelquefois en chargeant.
Mais, ce n'est pas de notre faute. On nous
ordonne de charger et nous sommes forcés
de le faire, par la discipline.
Pour ce qui concerne notre service, il
en a qui le font bien et d'autres mal. Mais',*
vous le savez, nous sommes si mal payés.
Agréez, etc.
Cette lettre, malgré sa brièveté, en dit
long. On comprend, en effet, que les
gardiens de la paix ne se permettraient
pas des actes de brutalité, si on ne leur
commandait d'employer la force. D'ail-
leurs, l'exemple leur est donné.
Il est bien évident aussi — j'en reviens
toujours là — que si les gardiens de la.
paix avaient un traitement plus élevé, le
service, d'une façon générale, serait
mieux fait, tous vivraient mieux et de
leur fonction seulement; de cette façon, ;
ils ne seraient pas obligés de travailler
ailleurs et ne feraient aucune concur-
rence aux ouvriers.
Il faut donc augmenter leur solde.
Cela regarde surtout l'Etat.
Voici, du reste, un extrait d'un article
que le journal la Ville, un nouveau con-
frère qui traite à fond les questions mu-
nicipales, consacre aux gardiens de la
paix :
Un de nos confrères, le Rappel, qui ne se
lasse jamais de soutenir la cause des petits
et des humbles, met. justement en relief la
situation précaire qui est faite aux gardiens
de la paix et aux inspecteurs de la sûreté,
dont le traitement de début n'est que de
1,400 fr. par an, avec une indemnité de
logement de 185 fr.
lo Un père de famille ne peut pas vivre à
Feuilleton du RAPPEL
DU i8 AVRIL
108
LE DRAME
DES
DEUX FRÈRES
TROISIÈME PARTIE
LES DERNIÈRES Ïïlî-BMTRE HEURES
v
Celui qui se sauve
— Suite —
Guy se dirigeait, non pas vers la
grande grille, car pour cela il lui aurait
fallu traverser la cour devant le château
et les chances d'être vu par Nédonchel
eussent été grandes, mais vers une pe-
tite porte basse dissimulée dans le mur
du parc et qui s'ouvrait rarement.
Impossible à ouvrir du dehors, elle
n'était fermée en dedans que par une
barre de fer à pivot dont les deux extré-
mités s'incrustaient fortement dans la
muraille. Guy la fit basculer, non sans
peine, car elle était rouillée, et, un ins-
Reproduction interdite.
'Voir le Rapvel du ler ^arvier au 17 avril.
tant après, il était hors du parc, sur la
route.
D'un bond il fut en selle et déjà il lan-
çait son cheval, lorsqu'il s'entendit
héler.
Il s'arrêta si court, que les jambes du
cheval plièrent.
Mais il n'eut pas le temps d'avoir peur,
au contraire. La voix qui l'appelait une
seconde fois était celle de Fridolin.
— Hé! où diable allez-vous comme ça?
demanda le domestique qui semblait
sortir du fossé de la route.
Guy n'était pas dans une disposition
d'esprit à s'étonner de la présence en cet
endroit de son domestique et à lui faire
des questions. Il cria :
— Arrive !
En trois enjambées, Fridolin fut au-
près de Guy.
- Ohl oh! fit-il en remarquant le dé-
sordre, la pâleur et l'agitation de son
maître, que se passe-t-il donc ?
— Ecoute, dit le jeune homme à voix
basse en se penchant vers lui. Je me
sauve. Il n'y a pas une minute à perdre.
Tout est découvert, Antoinette a parlé.
— Diable!
— Tu n'as rien à craindre, toi. Seul, je
suis en danger. Tout le monde ignore
que tu as été mêlé à cette affaire. Et ce
n'est pas moi qui te trahirai. Mais il faut
que tu fasses ce "ue 'e vais te dire,
— Parlez.
— Je n'ai pas eu le temps de monter
chez moi. Tu vas y aller. Voici la clef de
mon secrétaire. Tu prendras le porte-
feuille qui s'y trouve. 11 renferme qua-
rante mille francs.
— Vous avez quarante mille francs !
dit Fridolin en ouvrant de grands yeux.
— Oui ; mon père me les avait remis
pour payer mes dettes.
— Et vous avez oublié de le faire. A la
bonne heure 1
— Chut 1 Le temps presse. Tu pren-
dras ce portefeuille et tu viendras me
l'apporter le plus vite possible. Je t'at-
tends.
— Très bien. Mais où faudra-t-il
vous l'apporter ?
Guy parut réfléchir un instant; sa fi-
gure se contracta; il murmura comme
se parlant à lui-même :
— Il n'y a qu'un endroit où je serai
bien en sûreté, où personne ne devinera
ma présence,..
Et à l'oreille de Fridolin, très bas, très
vite, il dit :
— Rue de l'Yvette.
Le domestique réprima un geste; il
avait pâli. Néanmoins il répondit sim-
plement :
— Compris, ce sera fait.
Alors Guy, en qui la hâte de s'éloigner
au plus vite du château étouffait tout
autre sentiment, rendit la main et frappa
de deux vigoureux coups de talon son
cheval, qui partit au galop.-
— Ah! ah! se dit Fridolin rêveur en
le regardant disparaître au tournant du
chemin; il a quarante mille francs dans
son tiroir, et il n'en disait rien, le sour-
nois!
VI
, La comédie du désespoix
Comment et pourquoi Fridolin se trou-
vait-il à la place où il avait rencontré son
maître ?
Il y avait donné rendez-vous à Norbert.
Lorsque tous deux, le matin, ils
avaient quitté Angèle, Fridolin n'avait
pu s'empêcher de lui exprimer son ad-
miration pour l'énergie de la jeune
femme.
— Ecoutez, monsieur de Padirac, dit-
il, ce n'est pas pour vous offenser ; mais,
de vous deux, c'est elle qui parlait en
homme.
Norbert, d'un air sombre, répliqua :
— Oh 1 moi aussi, le cas échéant, je
sais non seulement parler, mais agir en
homme. Mais il faut pour cela qu'une
passion personnelle m'anime. Il y en a
une en ce moment dont j'ai l'esprit tout
rempli et qui, pour moi, efface tout le
reste. Tandis qu'Àngèle m'accusait de
poltronnerie et de faiblesse, je suivais
dans ma pensée mon dessein à moi.
— Quel dessein? demanda le domes-
tique.
— Un dessein dans l'exécution duquel
vous allez m'aider, Fridolin.
— De quoi s'agit-il?
— 11 faut absolument que je parle à
Yvonne.
— Diable! Et quand ça?
— Aujourd'hui, ce matin même. Et,
po*r ce faire, il faut Fridolin, que vous
me fassiez rentrer dans ce château dont
j'ai été chassé.
— Oh! en effet, c'est assez hardi, ça!
dit Fridolin.
— Vous voyez qu'au besoin je ne
recule pas devant un risque et un dan-
ger, si graves qu'ils soient. Vous avez
remis ma lettre à Yvonne. Elle est aver-
tie. Je veux la voir et je la verrai.
— Hum ! dit Fridolin, Mlle Yvonne a
dû être mise sur ses gardes par l'indi-
gnation de son père. Croyez-vous que
vous aurez maintenant prise sur elle?
— Oui, par la terreur. C'est une enfant
faible et craintive. Je lui ai écrit qu'à
tout prix je voulais, dans mon déses-
poir, me rapprocher d'elle une dernière
fois, afin de mourir sous ses yeux et
d'exhaler mon dernier souffle en la re-
gardant.
— Diantre! le moyen est terrifiant, en
effet!
— Mais, pour en user, il faut que je
pénètre dans le château.
— Eh bien, vous connaissez, derrière
le château, la petite poterne qui se trouve
dans le mur du parc ?
- Oui.
— L'endroit est désert. Soyez-y, tenez,
à onze heures. Vous pourrez, s'il passe
quelqu'un, ce qui n'est pas probable,
vous cacher dans les broussailles ou dans
le fossé du chemin. Attendez-moi là, je
trouverai moyen de vous faire entrer.
Les deux hommes se séparèrent ; Fri-
dolin rentra au château, et Norbert re-
monta déjeuner ayec Angèle.
Mais il n'eut garde de se mettre en
retard, et il était arrivé avant l'heure au
rendez-vous de Fridolin.
Au bout de dix minutes d'attente, un
léger sifflement le fit tressaillir. Un ins-
tant après, Fridolin était auprès de lui.
- Je suis exact, comme vous voyez,
dit le domestique ; mais je ne pourrai
vous faire repasser par la porte. Je suis
allé l'examiner, la sonder au dedans.
Elle est hors d'usage, toute rouillée et
pas commode à forcer. Quand même je
l'ouvrirais, je ne pourrais plus la refer-
mer.
- Mais que faire alors ? dit Norbert.
-Il n'y a qu'un moyen : il faut esca-
lader ce mur.
— Diable 1
— Oh! il n'est pas très haut. Je vous
ferai la courte échelle.
- Allons 1 soit! fit Norbert.
MONTFERMEIL.
(A suivrej
30 Germinal an 100 — N*8074 f
UïNQ centimes le smméro
RÉDACTIOR
131, BUE MONTMARTRE, 131
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 4 a 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir a minuit
JE3 MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SERONT PAS RENDU
-
ADMINISTRATION
131, RUÊ MONTMARTRE, 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et Ce
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
- PARIS
UN MOIS Z PE.
TROIS 1'11016. 6 -
SIX MOIS 9 PB.
UN AN 18 —
Rédacteur en chef : AUGUSTE FACQUERIE
--- ---- - __-._---- -- -- - _-- -- -
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS 7 BFIl,,* --
TROIS MOIS. 6 -
SIX MOIS T. 13 PB.
UN AN. 20 -
SUCCÈS JUDICIAIRE
Mlle Yvette Guilbert a tous les succès.
Les théâtres se l'arrachent. Dans le
jour, on l'applaudit au Théâtre d'Ap-
plication, où elle est commentée par
un de nos plus spirituels conféren-
ciers, M. Hugues Leroux. Le soir, elle
triomphe au Concert parisien — jus-
qu'à onze heures. Le reste de sa soirée
est pour le théâtre des Nouveautés,
dont la façade s'illumine de son nom
en lettres colossales !
On se l'arrache tellement qu'il en
résulte des procès. C'est pourquoi,
avant-hier, la chanteuse au triple
théâtre (je ne compte pas les salons)
était citée à la première chambre du
tribunal civil de la Seine. Elle y est
venue escortée (épistolairement) par le
directeur de l'Opéra et par l'adminis-
trateur de la Comédie-Française, rien
que cela ! Les lettres de M. Bertrand et
de M. Jules Claretie plaidaient sa cause
de telle façon qu'elle aurait pu se pas-
ser d'un autre avocat. Il va sans dire
qu'elle a gagné son procès. Le direc-
teur du Concert parisien lui demandait
150,000 francs pour avoir chanté aux
Nouveautés en matinée: le tribunal
l'a déclaré « mal fondé dans sa de-
mande ».
Mais ce n'est ni dans les applaudis-
sements dont la comblent trois théâ-
tres et les salons, ni dans l'escorte
pistolaire que lui ont faite l'adminis-
trateur général de la Comédie-Fran-
çaise et de l'Opéra, ni dans le : zut !
répondu par la justice à la demande
de M. Mussleck, qu'est le grand succès
de Mlle Yvette Guilbert.: il est dans la
rapidité avec laquelle son procès a été
iugé.
Je parlais récemment du temps qu'il
faut pour arriver devant les juges.
Voici combien, à la dernière rentrée
des tribunaux, il y avait, rien qu'à
Paris, d'affaires en retard aux cham-
bres civiles :
lre Chambre. 1,200
2° Chambre 900
3e Chambre 1,100
4e Chambre 1,200
56 Chambre 1,100
6e Chambre 4,000
7e Chambre. 3,200
Ce qui fait un total de douze mille
sept cents.
Chaque chambre juge, en moyenne,
mille affaires par an. Oui, mais elle
reçoit, en moyenne, par an quinze
cents affaires nouvelles. D'où il suit
que le total des affaires qui attendent
s'augmente chaque année de cinq
cents affaires par chambre, c'est-à-
dire, pour sept chambres, de trois mille
cinq cents. Si bien que, dans trois ans,
aux douze mille sept cents affaires en
retard actuellement, on en aura ajouté
dix mille cinq cents et que, si l'on con-
tinue de ce train, il arrivera un mo-
ment où, pour obtenir justice, il faudra
être immortel.
A l'heure qu'il est, un avoué à qui.
on apporte une affaire et à qui on de-
mande quand elle sera plaidée, peut
encore répondre :
— Si vous avez de la chance, dans
deux ans; sinon, dans trois.
C'est, en effet, avoir de la chance
que d'être jugé en deux ans, et même
en trois. Le XIXo Siècle cite une affaire
en revendication de chemins ruraux
qui dure depuis octobre 1887 (quatre
ans et demi) ; une demande en paye-
ment de 40,000 francs qui date de fé-
vrier 1887 (cinq ans) ; une demande de
183,000 francs pour solde de travaux
présentée en juillet 1886 (cinq ans
neuf mois); deux affaires, l'une en dé-
saveu de paternité, l'autre en homolo-
gation de liquidation, qui font anti-
chambre depuis 1884 (huit ans).
Le procès de Mlle Yvette Guilbert a
été commencé en mars. Allait-elle at-
tendre huit ans? Allons donc! Pour
être juge on n'en est pas moins homme.
Les juges de Phryné avaient des yeux,
les juges de Mlle Guilbert ont des
oreilles. Ils ont entendu, je n'ose dire
au Concert parisien, mais au moins
dans les salons, la divette en vogue
chanter le Fiacre et les Quafs étudiants.
Ils ont pensé que cela valait bien un
tour de faveur.
Le procès, commencé le 18 mars 1892,
a été jugé le 14 avril 1892. Il a été expé-
dié en moins d'un mois.
Je félicite Mlle Yvette de cette rapi-
dité, et j'en féliciterais les juges s'ils
étaient aussi rapides pour les autres.
0 Ulysse ! tu étais sensible au chant
de la sirène, mais tu te faisais attacher
à ton mât pour ne pas faire de bêtises.
Je demande qu'on attache les juges à
leur siège, et qu'ils n'en soient déta-
chés qu'après avoir jugé toutes les af-
faires en retard.
AUGUSTE VACQUERiri.
COULISSES DES CHAMBRES
LA REFORME DE L'IMPOT DES BOISSONS
Dans la journée d'hier, la commission
du budget, qui avait résolu de se séparer
le soir pour les vacances de Pâques, a
tenu deux séances, une le matin de neuf
heures à midi; l'autre de deux heures à
six heures de l'après-midi, afin d'activer
son travail et de mettre ses rapporteurs
en état de travailler pendant la suspen-
sion de ses délibérations. La séance de
l'après-midi a été la plus intéressante;
c'est celle dans laquelle on a entendu le
ministre des finances au sujet de la ré-
forme de l'impôt des boissons.
Nous avons dit hier que la veille la
commission avait décidé de faire le dé-
grèvement total des boissons hygiéni-
ques, au lieu du dégrèvement partiel
proposé par le gouvernement, et de com-
penser la perte résultant pour le Trésor
par une élévation des droits sur l'alcool
plus grande que celle demandée par le
ministre, et ensuite par un relèvement
des licences des débitants. Par contre,
elle se refusait à modifier la législation
existante sur les bouilleurs de cru dont
elle entendait maintenir le privilège,
sans même le réglementer comme le
demandait le gouvernement.
C'est sur ces divers points que le mi-
nistre des finances a été entendu. Voici
les observations qu'il a présentées :
M. Rouvier, ministre des finances,
déclare qu'en principe le dégrèvement
des boissons hygiéniques pourrait être
opéré à l'aide d'autres ressources qu'une
surtaxe sur l'alcool. Mais le gouverne-
ment croit que cette compensation est la
plus naturelle et la plus acceptable. C'est
a l'alcool qu'il faut demander le moyen
de dégrèver les vins, cidres et bières. Il
n'est pas possible de procéder simple-
ment par voie de dégrèvement.
En ce qui concerne le privilège des
bouilleurs de cru, le ministre dit que le
projet du gouvernement ne le supprime
pas et se borne à le réglementer. Si la
commission entend maintenir le privi-
lège dans les limites légales, c'est une
solution admissible. Mais actuellement,
à côté de l'usage, il y a l'abus; il y a la
fraude. C'est ce qu'a voulu corriger le
gouvernement. La surtaxe sur l'alcool,
sans règlementation du privilège, peut
entraîner un déficit de 40 millions en-
viron.
Le ministre ne peut accepter l'aboli-
tion intégrale des droits sur les boissons,
en les remplaçant, comme le demandait
M. Jamais, par une surtaxe de l'alcool
et un relèvement des licences. On peut
demander aux licences 15 ou 20 millions,
mais non 75 ou 80 comme le voulait
M. Jamais.
Au sujet de la réforme des octrois, le
ministre reconnaît que les décisions des
communes auront leur répercussion sur
le budget de l'Etat. Le gouvernement a
voulu associer les municipalités à l'ef-
fort que fait l'Etat. Quant aux déficits
qui résulteraient de ces décisions pour
les budgets communaux eux-mêmes, ils
pourront être comblés avec des surtaxes
sur d'autres matières soumises à l'octroi.
Le gouvernement n'est pas, d'ailleurs,
opposé à ce principe qui anime le rap-
port récent de M. Guillemet : on pourra
instituer d'autres taxes de remplacement.
Dès maintenant, le gouvernement ad-
mettrait l'imposition de centimes addi-
tionnels communaux sur d'autres im-
pôts que les impôts directs, par exemple
sur le principal des successions.
Revenant sur la question du dégrève-
ment total ou partiel des boissons, le
ministre dit que l'inspection des finances
tout entière croit à l'impossibilité de per-
cevoir la surtaxe sur l'alcool après avoir
supprimé toute espèce de droits sur les
boissons.
Plusieurs membres font observer que
la veille M. Catusse, directeur général
des contributions indirectes, avait sem-
blé considérer la réforme comme pos-
sible sans la suppression du privilège
des bouilleurs de cru.
M. Rouvier répond que cela est vrai,
pour le privilège des bouilleurs de cru
proprement dit, mais encore une fois, à
côté du privilège, il y a les extensions
abusives et frauduleuses qu'il a reçues
dans la pratique.
A la condition qu'on ne supprime pas
tous les droits sur les boissons et qu'on
laisse le moyen au ministre des finances
de réprimer la fraude, l'entente, dit M.
Rouvier, sera facile entre la commission
et le gouvernement.
M. Poincaré dit que personne ne peut
songer à favoriser la fraude; mais faut-il,
pour la réprimer, établir l'exercice chez
le propriétaire qui ne sort pas des li-
mites de son droit et qui fait simplement
du privilège des bouilleurs un usage lé-
gitime ? Le projet établit, en réalité, une
surveillance qui équivaudrait à l'exer-
cice pendant la période de distillation.
Le ministre répond que ce n'est pas,
à proprement parler, l'exercice, puisque
c'est-un contrôle tout à fait temporaire.
M. Mège dit que le projet du gouver-
nement établit un véritable exercice
chez le récoltant.
M. Rouvier répond que cela n'est vrai
que pour le récoltant qui veut vendre sa
récolte.
M. Leydet demande si, dans le cas où
la commission serait amenée à main-
tenir un droit sur les boissons hygiéni-
ques, il ne serait pas possible d'établir
une taxe unique de 1 fr. au lieu de celle
de 2 fr. proposée par le gouvernement.
Le ministre répond qu'il ne peut s'en-
gager sur ce point.
Après le départ du ministre, la com-
mission a procédé à un débat dans le
but de dégager les idées générales qui
doivent présider, suivant elle, à la ré-
forme des boissons.
M. le président a fait remarquer que
le ministre avait fait, en somme, des ré-
serves sur deux points : dégrèvement
total des boissons hygiéniques, privilège
des bouilleurs de cru. C'est sur ces
deux points que le vote devait porter.
Après un échange d'observations, la
commission exprime par un premier vote,
(11 voix contre 7) qu'il n'y a lieu que de
dégréver partiellement les boissons
hygiéniques. Elle se rallie donc, sur ce
premier point, aux vues du gouverne-
ment.
La commission a décidé ensuite, par
12 voix contre 9, qu'il n'y avait pas lieu
d'introduire une disposition législative
nouvelle au sujet des bouilleurs de cru.
M. Salis a été élu rapporteur de la ré-
forme des boissons par 13 voix sur 21
votants.
M. Burdeau a été ensuite chargé du
rapport général à l'unanimité.
La commission s'est ensuite séparée
jusqu'au 10 mai. Elle reprendra ses tra-
vaux ainsi une semaine avant la Cham-
bre dont la rentrée, on le sait, est fixée au
17 mai.
Ajoutons, comme dernier détail, que le
ministre des finances n'a pas eu) à
s'expliquer sur l'autre question que la
commission voulait lui poser: celle de
savoir si toutes les dépenses prévues
pour 1893 sont réellement inscrites au
projet de budget.
Le conseil des ministres, en effet, avait
été saisi le matin de modifications im-
portantes que M. Cavaignac se pro-
pose d'apporter au projet de budget de
la marine qu'avait dressé M. Barbey,
son prédécesseur.
Ces modifications soulèvent diverses
questions importantes sur lesquelles le
conseil n'a pas achevé de délibérer. De
sorte que le gouvernement ne pourra
s'expliquer à cet égard devant la com-
mission qu'à la rentrée de celle-ci.
—f Ai
AU DAHOMEY
Notes de l'agence Havas :
Il n'est pas exact que les avisos le Héron
et l'Ardent aient reçu l'ordre d'entrer immé-
diatement en armement : ces deux navires
sont armés et font partie de la station lo-
cale du Sénégal et de la Guinée occidentale;
ils sont à la disposition de l'administration
des colonies qui peut les diriger sur les
points où leur présence paraît nécessaire.
En outre, l'énumération des navires de
guerre français qui vont se trouver réunis
sur les côtes du Dahomey est incomplète.
On a omis de mentionner le croiseur le
Sané, qui a appareillé à Buenos-Ayres pour
Kotonou le 7 avril.
Le sous-secrétariat des colonies n'a reçu
ce matin ni hier aucune dépêche relative
au Soudan ou au Dahomey.
Il est donc inexact, comme le disent cer-
tains journaux, qu'il soit arrivé des télé-
grammes alarmants.
a
LA DYNAMITE
Le Rappel est assigné mercredi prochain
devant la 8e chambre correctionnelle pour
avoir, dit la prévention, « publié. l'acte
d'accusation de la procédure criminelle ins-
truite contre Kœningstein dit Ravachol et
autres. délit prévu par l'artiole 38 de la loi
du 29 juillet 1881. »
Henri Koehingstem, frère de Ravachol, ac-
compagné de Me Lagasse, s'est présenté
hier après-midi au parquet du procureur
général pour solliciter l'autorisation d'une
entrevue avec son frère.
M. QueâHSy de Beaurepaire ayant tout
d'abord objecté qu'il était nécessaire que
Ravachol manifestât auparavant par écrit
son désir de voir son frère, Mc Lagasse s'est
porté garant du désir de son client.
Henri Kœningstein a été invité à produire
des pièces établissant sa parenté avec l'in-
culpé. Il a montré son acte de naissance et
diverses lettres écrites antérieurement par
Ravachol.
Le procureur général s'est alors décidé à
accorder l'autorisation demandée, et à trois
heures et demie Kœningstein a été introduit
par Me Lagasse dans la cellule de Ravachol,
où les deux frères se sont longuement en-
tretenus.
DANS LES DÉPARTEMENTS
Lille, 16 avril.
Ce matin, à deux heures et demie, le mé-
canicien chargé de diriger la machine qui
sert à l'éclairage électrique de la gare de
Lille, s'étant absenté pendant quelques mi-
nutes pour..prendre du charbon au dehors,
trouva sous la machine une petite boîte à
laquelle était fixée une mèche allumée.
Il éteignit la mèche et mit la boîte à
l'abri, pour la donner, dans la matinée, au
commissaire spécial de la gare.
La boîte, envoyée à la raffinerie des pou-
dres et salpêtres, a été oûverte avec précau-
tion. Elle contenait de-la poudre, des plombs
et quatrevingts cartouches Flobert, imbibées
de térébenthine. -
L'explosion eût certainement brisé la
machine et plongé la gare dans l'obscurité.
Uné enquête est ouverte. -.'
a A L'ÉTRANGER
Livourne, 16 avril.
La nuit dernière, la police a fait des per-
quisitions dans les quartiers populaires où
habitent un grand nombre d'anarchistes.
On a visite une quarantaine de maisons.
Quelques armes ont été saisies et séques-
trées.
Alicante, 16 avril.
Un capitaine belge, qui avait été expulsé
de son pays, a été arrêté pour démonstra-
tions anarchistes. - --
L'approche du 1er mai cause une grande
préoccupation dans la contrée. - * .*
Barcelone, 16 avril.
La police a arrêté, dans le cloître de la
cathédrale, un individu soupçonné de com-
plicité dans les dernières explosions anar-
chistes.
Des journaux révolutionnaires et un re-
volver chargé ont été trouvés sur lui.
Par suite de la pluie, les fêtes religieuses
qui ont été célébrées hier à Séville n ont eu
aucun éclat. •
Les processions n'ont pas eu lieu. ; ■
RÉFORME URGENTE
L'Assistance publique parisienne est l'ob-
jet de critiques nombreuses, le plus souvent
fondées, mais dont une partie s'adresse à
tort au conseil municipal.
L'assemblée municipale, en effet, n'est
pas libre de gérer, à la convenance des be-
soins, les ressources considérables de cette
partie du budget communal. Et non seule-
ment le conseil est enfermé dans des limites
étroites qu'il ne peut franchir, même quand
lui est démontrée l'urgence de mesures non
prévues par les règlements en vigueur,
mais l'administration, elle aussi, se voit
souvent dans l'impossibilité de prendre les
décisions commandées par des circons-
tances impérieuses.
On l'a vu cette année, où l'équilibre bud-
gétaire ayant été assuré à la suite d'une
entente entre le conseil et l'administration
d'abord divisés, l'équilibre proposé a été
rejeté ensuite par le ministre de l'intérieur,
sous prétexte que le moyen financier auquel
on avait recours contrevenait à je ne sais
plus quelle circulaire émanée du général
Espinasse, d'impériale et sinistre memoire.
La dépendance absolue de la ville de Pa-
ris, placée, en matière d'assistance comme
en matière de police, de voirie, etc, sous la
tutelle du gouvernement, telle est la cause
première des abus qu'on relève dans le
fonctionnement des services de l'assistance.
Le conseil ou l'administration propose —
le gouvernement dispose. Presque toujours,
il dispose très mal, parce que ses bureaux,
étrangers aux besoins de la population pa-
risienne, décident, dans une foule de ques-
tions, à tort et à travers, simplement pour
affirmer leur droit de souveraineté.
C'est ainsi que l'organisation des bureaux
de bienfaisance et la distribution des se-
cours à domicile sont régies par un règle-
ment ministériel en date de 1886, que le
conseil d'Etat a élaboré, sans daigner tenir
compte des réclamations nombreuses for-
mulees à cet égard par le conseil municipal.
Le travail du conseil d'Etat et des bureaux
du ministère de l'intérieur a eu tout de
suite ce beau résultat : d'établir entre les
divers arrondissements de Paris une inéga-
lité de répartition choquante.
Tous les ans, le conseil municipal est
appelé à réparer, dans la mesure du possi-
ble, les conséquences de cette inégalité. Je
dis dans la mesure du possible, parce que,
quelle que soit l'aggravation des charges
imposées aux finances de la ville, la dispro-
portion des recettes intérieures des bureaux
de bienfaisance est telle que les subven-
tions complémentaires ne peuvent les répa-
rer qu'en partie.
Cette année, comme les précédentes, MJ
Bompard a été chargé par la 3e commission
du rapport de cette intéressante question,
et ses conclusions seront discutées au début
de la session de mai. Les chiffres que le
conseiller du 17e cite dans son rapport sont
éloquents. Les recettes intérieures des bu-
reaux de bienfaisance s'élèvent à 1 million
en chiffres ronds, soit 24 fr. 79 par in-
digent. Mais tandis que le ge arrondisse-
ment dispose de 90 fr. 52 par unité indi-
gente, le 18e ne dispose que de 7 fr. 78. Dans
le 8e, la même moyenne ressort à 104 fr. 19,
et dans le 20e à 6 fr. 93.
M. Bompard déplore, naturellement, un
état de choses si criant, et il réclame de
l'administration de l'Assistance publique,
pour 1893,-un système de répartition qui
fasse cesser, autant que possible, une iné-
galité aussi scandaleuse. -
Mais l'administration est enserrée dans
les prescriptions du règlement ministériel
de 1886,: dont le conseil a demandé, à main-
tes reprises, la revision. Tant que les prin-
cipes de répartition fixés par le règlement
ne seront pas modifiés, on ne pourra voter
que des palliatifs impuissants à remédier
au vice fondamental du système. ---
D'ailleurs, l'inégalité de répartition des
secours n'est pas le seul inconvénient réè -
sultant de l'organisation des secours à do- •
micile instituée par cèrhalencontreux
décret. Les attributions des administrateurs
des bureaux de; bienfaisance, le mode de
.distribution de secours, tout, jusque dans
les moindres détails, porte la trace de
l'ignorance parfaite des auteurs de ce règle-
ment, étrangers à la population parisienne
qu'ils régentent du fond de leurs bureaux.
C'est donc la refonte complète de l'assis-
tance à domicile qu'il importe d'obtenir
par le rapport pur et simple du décret de
1886. Tant que l'organisation'.qu'il' a créée
subsistera, il n'y aura pas 'd'amélioration
appréciable à espérer. ->; ,.,: v.
Là dessus, tout le monde est d'accord—
à l'administration. et eUijypoleil — depuis
longtemps. Si ies fonctionnaires de l'inté-'
rieur qui s'immiscent'â"tout propos dans
les affaires municipales, même et surtout
quand ils n'en connaissent pas un traître
mot, le voulaient, ils pourraient octroyés
à la ville de Paris une réforme urgente qif
ne dépend plus que de leur bon vouloir.
GUSTAVE ROUANET.
LES GARDIENS DE LA PAIX
Mon article d'hier sur les reproches
que fait à la police la population pari-
sienne m'a valu la lettre suivante :
Monsieur le rédacteur,
Je suis gardien de la paix et j'ai lu votre
article de ce matin. -
C'est vrai qu'on ne nous aime pas et que;
quand il y a une manifestation, nous la dis-
persons quelquefois en chargeant.
Mais, ce n'est pas de notre faute. On nous
ordonne de charger et nous sommes forcés
de le faire, par la discipline.
Pour ce qui concerne notre service, il
en a qui le font bien et d'autres mal. Mais',*
vous le savez, nous sommes si mal payés.
Agréez, etc.
Cette lettre, malgré sa brièveté, en dit
long. On comprend, en effet, que les
gardiens de la paix ne se permettraient
pas des actes de brutalité, si on ne leur
commandait d'employer la force. D'ail-
leurs, l'exemple leur est donné.
Il est bien évident aussi — j'en reviens
toujours là — que si les gardiens de la.
paix avaient un traitement plus élevé, le
service, d'une façon générale, serait
mieux fait, tous vivraient mieux et de
leur fonction seulement; de cette façon, ;
ils ne seraient pas obligés de travailler
ailleurs et ne feraient aucune concur-
rence aux ouvriers.
Il faut donc augmenter leur solde.
Cela regarde surtout l'Etat.
Voici, du reste, un extrait d'un article
que le journal la Ville, un nouveau con-
frère qui traite à fond les questions mu-
nicipales, consacre aux gardiens de la
paix :
Un de nos confrères, le Rappel, qui ne se
lasse jamais de soutenir la cause des petits
et des humbles, met. justement en relief la
situation précaire qui est faite aux gardiens
de la paix et aux inspecteurs de la sûreté,
dont le traitement de début n'est que de
1,400 fr. par an, avec une indemnité de
logement de 185 fr.
lo Un père de famille ne peut pas vivre à
Feuilleton du RAPPEL
DU i8 AVRIL
108
LE DRAME
DES
DEUX FRÈRES
TROISIÈME PARTIE
LES DERNIÈRES Ïïlî-BMTRE HEURES
v
Celui qui se sauve
— Suite —
Guy se dirigeait, non pas vers la
grande grille, car pour cela il lui aurait
fallu traverser la cour devant le château
et les chances d'être vu par Nédonchel
eussent été grandes, mais vers une pe-
tite porte basse dissimulée dans le mur
du parc et qui s'ouvrait rarement.
Impossible à ouvrir du dehors, elle
n'était fermée en dedans que par une
barre de fer à pivot dont les deux extré-
mités s'incrustaient fortement dans la
muraille. Guy la fit basculer, non sans
peine, car elle était rouillée, et, un ins-
Reproduction interdite.
'Voir le Rapvel du ler ^arvier au 17 avril.
tant après, il était hors du parc, sur la
route.
D'un bond il fut en selle et déjà il lan-
çait son cheval, lorsqu'il s'entendit
héler.
Il s'arrêta si court, que les jambes du
cheval plièrent.
Mais il n'eut pas le temps d'avoir peur,
au contraire. La voix qui l'appelait une
seconde fois était celle de Fridolin.
— Hé! où diable allez-vous comme ça?
demanda le domestique qui semblait
sortir du fossé de la route.
Guy n'était pas dans une disposition
d'esprit à s'étonner de la présence en cet
endroit de son domestique et à lui faire
des questions. Il cria :
— Arrive !
En trois enjambées, Fridolin fut au-
près de Guy.
- Ohl oh! fit-il en remarquant le dé-
sordre, la pâleur et l'agitation de son
maître, que se passe-t-il donc ?
— Ecoute, dit le jeune homme à voix
basse en se penchant vers lui. Je me
sauve. Il n'y a pas une minute à perdre.
Tout est découvert, Antoinette a parlé.
— Diable!
— Tu n'as rien à craindre, toi. Seul, je
suis en danger. Tout le monde ignore
que tu as été mêlé à cette affaire. Et ce
n'est pas moi qui te trahirai. Mais il faut
que tu fasses ce "ue 'e vais te dire,
— Parlez.
— Je n'ai pas eu le temps de monter
chez moi. Tu vas y aller. Voici la clef de
mon secrétaire. Tu prendras le porte-
feuille qui s'y trouve. 11 renferme qua-
rante mille francs.
— Vous avez quarante mille francs !
dit Fridolin en ouvrant de grands yeux.
— Oui ; mon père me les avait remis
pour payer mes dettes.
— Et vous avez oublié de le faire. A la
bonne heure 1
— Chut 1 Le temps presse. Tu pren-
dras ce portefeuille et tu viendras me
l'apporter le plus vite possible. Je t'at-
tends.
— Très bien. Mais où faudra-t-il
vous l'apporter ?
Guy parut réfléchir un instant; sa fi-
gure se contracta; il murmura comme
se parlant à lui-même :
— Il n'y a qu'un endroit où je serai
bien en sûreté, où personne ne devinera
ma présence,..
Et à l'oreille de Fridolin, très bas, très
vite, il dit :
— Rue de l'Yvette.
Le domestique réprima un geste; il
avait pâli. Néanmoins il répondit sim-
plement :
— Compris, ce sera fait.
Alors Guy, en qui la hâte de s'éloigner
au plus vite du château étouffait tout
autre sentiment, rendit la main et frappa
de deux vigoureux coups de talon son
cheval, qui partit au galop.-
— Ah! ah! se dit Fridolin rêveur en
le regardant disparaître au tournant du
chemin; il a quarante mille francs dans
son tiroir, et il n'en disait rien, le sour-
nois!
VI
, La comédie du désespoix
Comment et pourquoi Fridolin se trou-
vait-il à la place où il avait rencontré son
maître ?
Il y avait donné rendez-vous à Norbert.
Lorsque tous deux, le matin, ils
avaient quitté Angèle, Fridolin n'avait
pu s'empêcher de lui exprimer son ad-
miration pour l'énergie de la jeune
femme.
— Ecoutez, monsieur de Padirac, dit-
il, ce n'est pas pour vous offenser ; mais,
de vous deux, c'est elle qui parlait en
homme.
Norbert, d'un air sombre, répliqua :
— Oh 1 moi aussi, le cas échéant, je
sais non seulement parler, mais agir en
homme. Mais il faut pour cela qu'une
passion personnelle m'anime. Il y en a
une en ce moment dont j'ai l'esprit tout
rempli et qui, pour moi, efface tout le
reste. Tandis qu'Àngèle m'accusait de
poltronnerie et de faiblesse, je suivais
dans ma pensée mon dessein à moi.
— Quel dessein? demanda le domes-
tique.
— Un dessein dans l'exécution duquel
vous allez m'aider, Fridolin.
— De quoi s'agit-il?
— 11 faut absolument que je parle à
Yvonne.
— Diable! Et quand ça?
— Aujourd'hui, ce matin même. Et,
po*r ce faire, il faut Fridolin, que vous
me fassiez rentrer dans ce château dont
j'ai été chassé.
— Oh! en effet, c'est assez hardi, ça!
dit Fridolin.
— Vous voyez qu'au besoin je ne
recule pas devant un risque et un dan-
ger, si graves qu'ils soient. Vous avez
remis ma lettre à Yvonne. Elle est aver-
tie. Je veux la voir et je la verrai.
— Hum ! dit Fridolin, Mlle Yvonne a
dû être mise sur ses gardes par l'indi-
gnation de son père. Croyez-vous que
vous aurez maintenant prise sur elle?
— Oui, par la terreur. C'est une enfant
faible et craintive. Je lui ai écrit qu'à
tout prix je voulais, dans mon déses-
poir, me rapprocher d'elle une dernière
fois, afin de mourir sous ses yeux et
d'exhaler mon dernier souffle en la re-
gardant.
— Diantre! le moyen est terrifiant, en
effet!
— Mais, pour en user, il faut que je
pénètre dans le château.
— Eh bien, vous connaissez, derrière
le château, la petite poterne qui se trouve
dans le mur du parc ?
- Oui.
— L'endroit est désert. Soyez-y, tenez,
à onze heures. Vous pourrez, s'il passe
quelqu'un, ce qui n'est pas probable,
vous cacher dans les broussailles ou dans
le fossé du chemin. Attendez-moi là, je
trouverai moyen de vous faire entrer.
Les deux hommes se séparèrent ; Fri-
dolin rentra au château, et Norbert re-
monta déjeuner ayec Angèle.
Mais il n'eut garde de se mettre en
retard, et il était arrivé avant l'heure au
rendez-vous de Fridolin.
Au bout de dix minutes d'attente, un
léger sifflement le fit tressaillir. Un ins-
tant après, Fridolin était auprès de lui.
- Je suis exact, comme vous voyez,
dit le domestique ; mais je ne pourrai
vous faire repasser par la porte. Je suis
allé l'examiner, la sonder au dedans.
Elle est hors d'usage, toute rouillée et
pas commode à forcer. Quand même je
l'ouvrirais, je ne pourrais plus la refer-
mer.
- Mais que faire alors ? dit Norbert.
-Il n'y a qu'un moyen : il faut esca-
lader ce mur.
— Diable 1
— Oh! il n'est pas très haut. Je vous
ferai la courte échelle.
- Allons 1 soit! fit Norbert.
MONTFERMEIL.
(A suivrej
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