Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1892-04-15
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 15 avril 1892 15 avril 1892
Description : 1892/04/15 (N8071). 1892/04/15 (N8071).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7544643s
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
ft'ÊÔH - Vendredi 15 Avril. 1892
CINQ centimes le numéro
27 Germinal an 100 - N* 80 71
RÉDACTIOH
131, BUE MONTUAVM, 131
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉOACTIOI
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir h minuit
EM MAîTCSCEITS NON INSÉRÉS NE SEBONT PAS RENDUS
ADMINISTRATION
131, EUE MONTMARTRE, 131
1
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS -
UN MOIS FB,
TROIS MOIS. 6 —
SIX MOIS. 9FB.
UN Ali. 18-
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS « FB.
TROIS MOIS 6 —
SIX MOIS 11 F*.
UN AN 20
A VIîS
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viter une interruption dans la réception
'du journal.
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LA NOMENCLATURE DES
NOUVELLES PRIIIES GRATUITES
que nous offrons à nos abonnés
M! pel plaisir ils forçat!
C'est un homme dont on ne niera pas
l'expérience qui chante ce refrain imité
de la Dame Blanche. Gustave Muno,
bien qu'il n'ait encore que trente-cinq
ans, a passé par tous les genres de dé-
tention.
A Paris, il a connu le Dépôt, la Con-
ciergerie, la Santé, Sainte-Pélagie, la
Petite-Roquette et la Grande, Mazas.
¡Son sexe seul l'a privé de Saint-La-
zare.
Dans les départements, il a eu pour
logis les prisons des villes suivantes :
Sedan, Rouen, Dijon, Marseille, Reims,
Réthel, Chiavari, Oran, Meaux, Châ-
teau-Thierry, La Rochelle, Epernay,
Citeaux, Ajaccio, Sidi-bel-Abbès, Saint-
Martin-de-Ré.
L'emprisonnement ne lui a pas suffi,
il lui a fallu les travaux forcés. La cour
d'assises de la Seine lui en décerna
huit ans. Il fut expédié à la Guyane.
Ayant ainsi tous les points de com-
paraison, il a pu se faire une idée nette
de ce qui lui allait le mieux, et sa con-
clusion a été de chanter :
h! quel plaisir (ter) d'être forçat!
On a lu, l'autre jour, la lettre par
laquelle il priait le procureur de la
République de « le faire passer en ju-
gement tout de suite ». On comprendra
la hâte qu'il avait d'être jugé, con-
damné et renvoyé à Cayenne, quand
on aura lu ses réponses au président
de la neuvième chambre du tribunal
correctionnel.
De ces réponses il résulte que le ba-
gne est un petit paradis.
Ça commence avant la transporta-
tion. « Pendant les quinze derniers
jours qui la précèdent, le condamné
ne travaille plus, est mieux nourri et
a du vin tous les jours. »
Le voyage est un agrément. « Une
fois embarqué sur le transport de l'E-
tat qui le conduit aux colonies, le re-
légué a la même nourriture que l'équi-
page, le café, le vin, et un paquet de
tabac- de cantine chaque semaine. Il
monte sur le pont tous les jours et
peut admirer l'immensité de l'Océan.»
Mais c'est à Cayenne qu'il est heu-
reux ! « Une fois arrivé à destination,
il a la même nourriture que les troupes
coloniales. Meilleure même. Il peut
aller à la pêche et se baigner tous les
jours. Il travaille avec la population
libre. Il touche l'argent qu'il gagne. Il
peut entrer chez le marchaud de vin
et boire ce que bon lui semble. Il peut
de temps à autre aller passer son temps
avec une des filles joyeuses qui abon-
dent à Cayenne. »
Et puis, quel pays! Gustave Muno,
qui, pendant la traversée, « admirait
l'immensité de l'Océan », ne pouvait
pas être insensible aux beautés de la
nature terrestre. Elles le ravissent : —
« Le relégué voit toute l'année une vé-
gétation d'une richesse et d'une puis-
sance extraordinaires. C'est une na-
ture sauvage, il est vrai, mais magni-
fique en bipèdes et quadrupèdes de
toutes sortes, singes, perroquets, per-
ruches, sangliers, agoutis, tigres et
serpents. » L'Eden, vous voyez.
Cayenne étant ce paradis, on pour-
rait s'étonner que Muno s'en soit évadé
deux fois.
— Pourquoi? lui a demandé le pré-
sident de Boislisle.
— La première fois, a répondu
Muno, c'était en 1889 : je tenais à voir
la grande Exposition.
Il n'a pas dit ce qu'il tenait à voir la
seconde fois. C'était probablement
Anastay, au procès duquel il a assisté
tranquillement.
Ce que l'administration pénitentiaire
retiendra de cette histoire, c'est que sa
colonie est mal gardée et que ce n'est
pas la peine d'y transporter à si grands
frais des gaillards qui en reviennent
quand ils veulent. On donne 150 ou
200 francs à un des navires anglais
qui approvisionnent Cayenne et il vous
emmène. La dernière évasion de Muno
s'est faite en plein jour, à midi. Dans
ces conditions, la relégation n'est
qu'un gaspillage de millions.
Autre côté de la question :
Quand le président a rappelé à Muno
toutes ses condamnations, Muno a fait
cette réponse :
— J'avais dix ans lorsqu'on m'a en-
voyé dans une maison de correction.
Que voulez-vous qu'un enfant y ap-
prenne, sinon le vice? C'est l'école du
bagne.
Il n'y a pas que les colonies péniten-
tiaires qui soient à réformer.
AUGUSTE VACQUERIE,
.49>
COULISSES DES CHAMBRES
lyes Chambres, comme nous l'avions
fait prévoir, ont décidé hier de se séparer
jusqu'au 17 mai. Elles ont choisi cette
date par les considérations que nous
avons indiquées précédemment. Il s'agit,
nous le rappelons, de permettre aux dé-
putés de se rendre dans leurs départe-
ments respectifs pour prendre part d'a-
bord à la session d'avril des conseils gé-
néraux, et ensuite à la période électorale
pour le renouvellement des conseils mu-
nicipaux et la nomination des maires
qui doit le snivre.
En ce qui concerne en particulier les
conseils généraux, dont la session s'ou-
vrira dans une dizaine de jours, il y
avait nécessité absolue à ce que les
Chambres suspendissent leur session.
La moitié, en effet, des membres de la
Chambre et du Sénat font partie des as-
semblées départementales. En outre,
cinq ministres sur dix sont conseillers
généraux.
Le Parlement et le gouvernement sont
donc tenus de se transporter en partie
en province pendant une huitaine de
jours, à partir du 25 avril.
Malgré le départ de la Chambre, la
commission du budget a décidé de siéger
jusqu'à la fin de la semaine, afin d'ache-
ver la discussion générale qu'elle a ou-
verte, il y a quelques jours, et qui est la
préface obligatoire de ses travaux. Jus-
qu'ici cette discussion générale avait
porté sur l'ensemble du budget. Hier
elle a été limitée à la réforme de l'impôt
des boissons et elle se continuera au-
jourd'hui sur le même point.
M. Salis a attaqué le système du mi-
nistre des finances, qui a été défendu par
M. Yves Guyot, l'ancien collègue de JM.
Rouvier dans le précédent ministère.
Le débat se terminera probablement
aujourd'hui. A l'issue la commission sera
appelée à décider si elle entend nommer
un rapporteur général seulement ou
désigner en dehors de ce dernier un
rapporteur spécial pour la réforme des
boissons.
Avant sa séparation la commission du
budget entendra sans doute le ministre
des finances sur le point de savoir si
toutes les dépenses normales que devra
supporter l'exercice 1893 ont été prévues
au projet de budget. La commission
craint que certaines nécessités, dès au-
jourd'hui pressenties, n'aient pas été pré-
vues au budget, notammentl pour la
marine et l'instruction publique. Elle
voudrait, si cette crainte était fondée,
obtenir du gouvernement qu'il fit con-
naître dès maintenant ces dépenses afin
de les comprendre dans l'établissement
du budget et éviter d'y faire face plus
tard par des crédits supplémentaires de-
mandés en cours d'exercice.
LA LOI SUR LA PRESSE
Nous avons dit que les groupes de
gauche du Sénat avaient nommé chacun
deux délégués avec mission de se former
en commission pour rechercher s'il y
avait lieu d'apporter quelques modifica-
tions à la loi du 29 juillet 1881 sur la
presse. Cette décision avait été inspirée
par les récents attentats des anarchistes.
Les groupes de gauche voulaient s'efforcer
d'introduire dans la législation sur la
presse des dispositions nouvelles sur la
provocation à commettre des crimes de
droit commun et faire disparaître cer-
taines immunités que la procédure ac-
tuelle établit pour les inculpés et per-
mettre, par exemple, en certains cas, la
saisie et l'arrestation préventive.
Les délégués de deux des groupes, la
gauche et le centre gauche, se sont ren-
dus hier auprès du président du conseil
pour lui soumettre les premiers résultats
de leurs délibérations.
M. Loubet a déclaré qu'il communi-
querait au conseil des ministres les pro-
positions des groupes, mais dès mainte-
nant il a fait savoir que le gouvernement
laisserait aux sénateurs le soin de saisir
le Sénat de ces propositions par la voie
de l'initiative parlementaire. Le gouver-
nement s'expliquera au cours de la dis-
cussion de ces propositions et fera con-
naître ses vues sur la question.
■ ———————————
LE GACHIS BRESILIEN
La terreur règne au Brésil. Le gouver-
nement de Floriano Peixoto, encore un
général qui aura une bien triste page
dans les annales brésiliennes, a mis de
côté toute pudeur. Les meilleurs citoyens,
les républicains les plus sincères, les
patriotes les plus convaincus sont arrê-
tés et emprisonnés par ses ordres.
C'est ainsi que notre ami José de Pa-
trocinio, le directeur du vaillant journal
la Cidade do Rio, l'héroïque champion
de l'abolition de l'esclavage, l'éloquent
tribun qui a proclamé la République à
Rio-de-Janeiro, alors que, dom Pedro
venant d'être déposé, ses vainqueurs ne
savaient que faire du pouvoir, l'adver-
saire irréconciliable du militarisme, en
un mot, l'homme politique qui a servi le
mieux là-bas la cause républicaine, a
été arrêté, il y a deux jours, avec un de
ses confrères et un général, et embarqué
à destination de Macapa sur les fron-
tières de la Guyane française, sous le
climat le plus meurtrier de l'Amérique
du Sud.
Nos dépêches nous disent que José de
Patrocinio aurait essayé de soulever la
population contre Floriano Peixoto et en
faveur de Deodoro da Fonseca. Une pro-
clamation opportune de l'état de siège a
permis aux soldats de Floriano Peixoto
de lui mettre la main au collet.
Il nous est encore impossible de savoir
si le mouvement dirigé par José de Pa-
trocinio avait pour but de ramener au
pouvoir le vieux maréchal Deodoro. Si,
toutefois, il en est ainsi, il faut que le
gouvernement actuel soit bien détestable
pour que notre ami lui ait encore pré-
féré celui du premier président de la Ré-
publique. Dans certains cas, en politique,
le mal est un progrès sur .le pis.
Nous aimons à croire que les Brési-
liens ne voudront pas supporter plus
longtemps un dictateur qui s'en prend à
ce qu'il y a de meilleur parmi eux.
c. B.
Les Relâches de la semaine sainte
Mon article d'avant-hier sur la ferme-
ture de la Comédie-Française pendant les
trois derniers jours de cette semaine a
causé quelque émotion parmi les inté-
ressés et parmi les habitués des théâtres.
Une lettre que je reçois défend la Co-
médie, que je n'avais, d'ailleurs, pas
attaquée, en me disant qu'elle n'a fait
que de se conformer à une tradition qui
date de Molière. Autrefois même, les
relâches étaient annoncées au public par
une allocution du semainier.
En dehors de toute idée religieuse,
est-il si mauvais, me demande-t-on, « que
les artistes, et même l'administrateur,
puissent aller voir les brins de lilas et
respirer l'air pendant quarante-huit
heures »?
Oui, mais ces jours de repos, bien dus
aux artistes, sont, peu à peu, devenus
pour eux des jours de plus grande fati-
gue. Ils vont jouer à l'étranger, et la
fatigue de la route s'ajoute à la fatigue
des représentations.
Je crois savoir que l'administrateur
général a fait de son mieux pour s'op-
poser à ces voyages qui dénaturent les
relâches. Ne pouvant mettre des gen-
darmes à la frontière, il a mis des gar-
çons à la porte des loges, et les paniers
qui contiennent les costumes ont été
consignés.
Il a pu ainsi empêcher la Comédie
d'aller officiellement à Bruxelles. Mais il
n'avait pas le moyen d'empêcher d'y aller
individuellement les comédiens, qui sont
libres de leurs personnes pendant leurs
congés. — A. v.
Dans l'article dont il s'agit, je disais
que les représentations de Polyeucte et
d'Andromaque seraient précédées cha-
cune d'une conférence de M. Gustave
Larroumet.
L'ex-directeur des beaux-arts m'a-
dresse à ce propos la très juste lettre qui
suit :
Paris, 13 avril 1892.
Mon cher maître,
v Dans votre article d'hier sur les spectacles
que plusieurs artistes de la Comédie-Fran-
çaise vont donner à Bruxelles, vous parais-
sez croire qu'elles emprunteront « un ca-
ractère semi-officiel » aux conférences dont
je dois les faire précéder.
Permettez-moi de vous dire que je ne
saurais donner à ces représentations un
caractère que je n'ai pas : je n'appartiens
plus à l'administration des beaux-arts que
par un titre purement honorifique et, en
dehors de la Sorbonne, je ne représente que
moi-même. Avant de diriger un service pu-
blic, je parlais et j'écrivais sur la littérature
française; en le quittant, j'ai repris mon
premier métier.
Je ne ferai donc à Bruxelles que ce que je
fais ailleurs, sans autre intention que de
parler et d'écrire de mon mieux.Si le voyage
de quelques artistes de la Comédie a ren-
contré des difficultés ou soulevé des objec-
tions, je l'ignorais : je ne m'occupe en rien
des affaires intérieures du théâtre.
Je ne vous soumettrais pas les observa-
tions qui précèdent, si votre mention, toute
bienveillante, d'ailleurs, ne servait de pré-
texte à un genre de commentaires auquel je
suis trop habitué pour m'en inquiéter, mais
auquel je ne saurais permettre d'employer
contre moi un nom comme le vôtre.
Veuillez agréer, mon cher maître, l'ex-
pression de mes sentiments les plus dé-
voués.
GUSTAVE LARROUMET.
dao
L'EXPOSITION DE CHICAGO
La loi ouvrant des crédits pour la parti-
cipation de la France à l'exposition de Chi-
cago a été promulguée hier matin au Jour-
nal officiel.
Le gouvernement va maintenant prendre
des mesures pour assurer la représentation
de la France.
00
CHAMBRE ET SENAT
LES CRÉDITS DU SOUDAN
ET DU DAHOMEY
Déçus, trompés, volés ceux qui, dans
l'espoir d'assister à une « grande séance»,
avaient fait hier le voyage du Luxem-
bourg. Ils étaient, du reste peu nom-
breux, ces curieux intrépides. Même, il
nous a semblé, vu la quantité des fau-
teuils restés vides, que beaucoup de
sénateurs n'avaient pas jugé absolument
nécessaire de se déranger. Des malins
ceux-là, qui sont rèstés paisiblement
chez eux, ou mieux encore sont allés
sous les arbres frangés de vert tendre de
nos promenades humer l'air gentiment
frisquet; ils avaient bien prévu que nul
incident ne se produirait. Et nul incident
ne se produisit.
Ne serait-il même pas exagéré, exces-
sif de donner le nom de discussion au
court échange d'observations qui a eu
lieu? Personne ne songeait à refuser les
crédits ; personne, à vrai dire, ne deman-
dait d'explications. Mais MM. Tirard et
Barbey, anciens ministres, ont éprouvé
le besoin assez naturel au bout du
compte — à la Chambre, on leur avait
donné l'exemple — de dégager leur res-
ponsabilité; ils l'ont fait sobrement, et
leurs paroles n'ont soulevé aucune con-
tradiction.
Cette responsabilité qui lui incombait
en effet, puisqu'il était président du con-
seil au moment où furent expédiées les
dépêches à propos desquelles on a fait,
lundi dernier, si beau tapage à la Cham-
bre, M. Tirard l'a revendiquée haute-
ment. Il s'est borné à faire remarquer
que le gouvernement qui avait succédé
au sien, loin de désavouer la politique
suivie par lui l'avait reprise pour son
compte, faite sienne, continuée; à telles
enseignes que M. Barbey, ministre de la
marine dans le cabinet Tirard et auteur
des dites dépêches, était resté ministre
de la marine dans le cabinet Freycinet,
et comme tel avait conservé la direction
des opérations dans le golfe de Bénin.
A son tour, M. Barbey, hélas ! dans le
même langage pâteux auquel il nous a
trop accoutumé, a refait rapidement
l'historique des incidents du Dahomey.
Et s'expliquant plus particulièrement sur
la fameuse dépêche du 4 mars 1891, il n'a
pas eu de peine, disons-le en toute
loyauté, à justifier l'ordre donné au com-
mandant Fournier de ne pas opérer le
débarquement des marins du Sané. Sur
les 200 hommes qui composaient l'équi-
page du Sané, a dit M. Barbey, 50 étaient
hors de combat, en proie à la dyssen-
terie, aux fièvres, « et les 150 autres n'é-
taient guère plus valides o. Comme l'avait
indiqué, lundi dernier, à la Chambre, M.
de Douville-Maillefeu, le Sané est venu
plus efficacement en aide au colonel Ter-
rillon au moyen de ses obus qui ont jeté
le désordre dans les rangs des 7,000
Dahoméens qui attaquaient, à Kotonou,
les 230 soldats groupés autour du dra-
peau de la France.
Ces explications ont été écoutées avec
faveur, applaudies, et le Sénat, par son
silence, a montré que pour lui les faits
étaient complètement élucidés. Seul un
monarchiste, un clérical fougueux, M.
Halgan, a demandé la parole. Il s'était,
pendant le petit discours de M. Barbey,
fait rappeler à l'ordre pour une ou deux
interruptions fort inutiles, et, dès ses
premiers mots, il a été visible que le
sens des éclaircissements qui venaient
d'être donnés lui avait, en tout ou en
partie, échappé. Il n'a trouvé rien de
mieux à faire que d'extraire du Journal
officiel un passage du discours fait par
M. Mège à la Chambre. M. Mège avait
raconté que le commandant Fournier
aurait pleuré en disant au colonel Ter-
rillon que les ordres précis qu'il avait
reçus l'empêchaient d'aller à son se-
cours. « J'ai vu ce matin le commandant
Fournier, a interrompu le ministre de la
marine, et je tiens de sa bouche même
l'affirmation que le récit est faux. » Et
M. Le Royera prié M. Halgan de ne pas
apporter à la tribune du Sénat « les ra-
contars de la Chambre ». M. Halgan a
- regagné sa place.
Le crédit de 3 millions demandé pour
le Dahomey a été adopté à l'unanimité
de 222 votants.
Celui de 360.000 fr. pour le Soudan,
sans discussion, à l'unanimité de 249
votants.
Ceci fait, le Sénat s'est ajourné au
17 mai.
La Chambre s'est réunie à cinq heures.
Elle s'est occupée aujourd'hui de règler
l'ordre du jour de sa prochaine séance.
Par 359 voix contre 174, elle a refusé de
maintenir l'ordre du jour actuel. Après
un assez court débat, la Chambre a in-
scrit en tête de son ordre du jour le pro-
jet de loi sur le crédit agricole, le projet
de loi relatif à la Banque de France, le
projet de loi relatif aux caisses d'épargne,
la proposition de loi relative à la respon-
sabilité des patrons en matière d'acci-
dents, la proposition relative aux femmes
en couches, le projet de loi sur l'arbi-
trage, etc.
Voilà bien de la besogne. Une tenta-
tive faite par M. Pourquery de Boisse-
rin pour rouvrir le débat sur les inci-
dents au Dahomey a été vive ; la Cham-
bre a renvoyé, par 314 voix contre 197,
la discussion de l'interpellation qu'il se
proposait de développer, à la prochaine
séance, et fixé celle-ci au 17 mai.
LUCIPN VTeTOR-MEUNIER.
LES GARDIENS DE LA PAIX
Le 26 mars dernier et avant-hier, j'ai
publié deux lettres émanant de groupes
de gardiens de la paix. Mes honorables
correspondants, se plaignant de la situa-
tion qui leur est faite, ont signalé cer-
tains faits et formulé des réclamatioift.
Voici dans quels termes la préfecture de
police, où l'on s'est ému, répond à ces
lettres :
1° Quand un agent se voit infliger une
punition consistant en une retenue de trai-
tement, les sommes retenues sont versées
intégralement à la caisse des retraites.
2° L'indemnité de loyer est de 185 fr. par
an et non de 200 fr. Les inspecteurs tou-
chent la même indemnité pour le même
objet.
3° Aucune somme fixe n'est allouée indi-
viduellement à titre de gratification; un
crédit est inscrit au budget sous la rubri-
que : «Gratifications, indemnités et primes ».
La somme restant disponible en fin d'an-
née est distribuée en gratifications aux
meilleurs agents n'ayant subi aucune puni-
Lion pendant l'année et n'ayant pas parti-
cipé aux augmentations de traitement.
4e A l'occasion de la grève des employés
de chemins de fer, aucune note impliquant
une promesse d'augmentation quelconque
n'a été communiquée aux gardiens de la
paix.
5° Le traitement des agents est divisé en
quatre classes.
L'augmentation de traitement ne suit pas
une marche absolument régulière, car elle
ne peut se produire qu'au fur et à mesure
des retraites, démissions ou révocations qui
laissent du'dispomble.
Toutefois, le crédit est toujours complète-
ment absorbé par les traitements.
A mes correspondants de voir s'ils ont
quelque chose à répondre à cette note.
Dans tous les cas, tout ce qui paraîtra
dans le Rappel au sujet de la situation
des gardiens de la paix sera, suivant
l'habitude du journal, sérieusement do-
cumenté.
Voici une des nombreuses correspon-
dances que j'ai reçues hier :
Monsieur le rédacteur,
Lecteur assidu de votre journal, j'ai vu
avec plaisir que vous vouliez bien prendre
en mains et soutenir la cause des gardiens
de la paix. Tout ce qui est dit dans les deux
lettres que vous avez reproduites est exact.
L'on pourrait ajouter qu'à l'encontre d'ad-
ministrations où les soins sont donnés aut
malades, il n'y a à la préfecture de police
que des médecins qui ont pour tout servie?
de vérifier si l'agent qui se fait porter msr
lade l'est réellement; ils ne donnent aucun
soin et paraissent n'avoir d'autre souci que
de faire reprendre le plus vite possible 1
service aux malades.
Ceci dit, j'appelle, monsieur le rédacteur
votre attention sur les inspecteurs du ser-
vice de la sûreté, dont la situation est la
même que celle des gardiens de la paix, et
qui, de plus, souvent sont obligés de faire
des dépenses supplémentaires qui ne leur
sont pas remboursées, car l'inspecteur de
la sûreté n'a aucun service fixe; il est
l'homme de tous les moments et ne sait
Feuilleton du RAPPEL
DU 15 AVRIL
105
LE DRAME
DES
DEUX FRÈRES
TROISIÈME PARTIE
LES DERRIÈRES VTOGT-ÛDATRE HEURES
- V
Celui qui se sauve
- Suite -
Antoinette poussa un cri sourd, et, sous
la menace de Nédonchel terrible, les yeux
étincelants, les poings levés, elle resta
un instant gisante, assise sur les marches
de l'escalier, si belle ainsi d'une pâleur
de cadavre, les yeux à demi-clos, que le
plus féroce des hommes eût senti son
cœur s'émouvoir et tressaillir de pitié.
r.
Reproduction interdite. I
Voir le llavpel du Ie* janvier au 14 avril. j
Le vieux soldat attendait, haletant.
A la fin elle dit, presque sans remuer,
d'une voix lente et fatiguée :
— Puisqu'il le faut. puisque vous le
voulez, soit, je parlerai. Mais, lorsque
ce nom maudit sera sorti de mes lèvres,
vous verrez bien que j'avais raison de
dire qu'un duel entre vous et lui est im-
possible. que vos mains ne peuvent pas
verser son sang.
— Qui est-ce donc? demanda-t-il tout
frémissant d'une sourde terreur. Est-ce
que je le connais?
— Oui.
— Où l'as-tu revu?
— Ici.
— Ici? C'est un des habitués du châ-
teau?
Antoinette remua affirmativement la
tête.
Tout à coup Nédonchel poussa un
grand cri :
— Eh! pardieu! j'y suis! Ce sera ce
misérable Norbert de Padirac?
Elle secoua la tête..
— Non? reprit-il sourdement. Mais qui
donc alors? Ça ne peut pas être M. de la ,
Haye? J'ai beau chercher, je ne vois
personne. Il n'y a plus, au château, que
le général et son fils.
Mais il s'interrompit ; son visage tout
à coup se couvrit d'une teinte verdâtre;
ses yeux démesurément s'agrandirent ;
il bégaya, reculant :
— Est-ce que?. est-ce que?.
— Vous avez deviné, cette fois, dit-
elle.
— Ah ! mon Dieu 1 cria-t-il.
Alors à genoux, tendant les mains vers
lui, elle dit d'une voix déchirante :
— Et maintenant, croyez-vous tou-
jours que je puisse épouser son frère-?
— Son frère?. Ah! le malheur est sur
nous!
Le vieux soldat, écrasé, se laissa tom-
ber sur une chaise.
— Le fils de mon général ! bégaya-t-il.
Lui, coupable d'une telle infamie! Tu
l'as reconnu? tu es bien sûre?.
— Vous rappelez-vous, dit-elle, le soir
où il est venu pour la première fois ici.
En l'apercevant, je suis tombée; et lui,
il a chancelé.
— Je me souviens, je me souviens, fit
Nédonchel.
Vous voyez, dit-elle, que j'avais rai
son, qu'il ne me reste pius qu'une chose
à faire : partir, quitter cette maison pour
n'y jamais reparaître? Si vous saviez
combien j'ai souffert ici ! Oh ! j'étais à
bout de forces. Quelle torture de subir la
présence de ce misérable !
— Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? de-
manda Nédonchel. Pourquoi n'as-tu pas
pensé tout de suite à partir?
Elle baissa la tête.
- Pardonnez-moil dit-elle.
— Parce que tu aimais Marc? dit-il
sourdement.
Elle pleurait, la tête sur l'épaule de
son vieil ami.
— Mais ne l'aimes-tu pas davantage
encore aujourd'hui? s'écria-t-il. Partir,
Antoinette?Et que deviendras-tu? pauvre
enfant ? Je te verrai traîner sous mes
yeux une lamentable agonie, tu mourras
dans mes bras, murmurant le nom de
Marc! la mort est déjà dans tes yeux!.
Non, non! par le jour qui nous éclaire,
ça ne sera pas!.
Il se releva. Sa physionomie avait re-
pris toute son énergie. Sa tête se re-
dressa et de nouveau ses yeux brillèrent.
— Mon parrain, s'écria Antoinette,
que voulez-vous faire ?
— Ce que je veux? Pardieu ! je veux
faire justice! Il me semble que tu as
assez pleuré, que tu as assez souffert !
Le moment est venu de relever le front.
Debout, Antoinette ! plus de souffrance,
plus de honte! J'ai juré vengeance, tu
seras vengée.
— Grand Dieu ! mais c'est le fils du
général!..
— Oui, l'indigne fils de cet homme
brave et généreux, que j'aime et que je
respecte.
-Il en mourra!.
- A moins qu'il ne soit mort de honte
en apprenant l'infamie de son fils. Que
crois-tu qu'il préfère? Savoir que son
fils est mort, ou bien qu'il est arrêté,
traduit en cour d'assises. Car, ce qu'il a
fait, sais-tu bien, cela vaut le bagne.
Allons donc ! je le connais, mon général !
S'il résiste à ce coup que lui portera la
révélation du crime, quand je viendrai à
lui et que je lui dirai que cet indigne fils
a été tué dans un combat loyal, je le
connais, te dis-je. Il me tendra la main.
Nédonchel fit un mouvement vers la
oorte; Antoinette courut à lui :
— Où allez-vous?
— Le chercher, pardieu 1
— Arrêtez! Non, non, c'est impossiblei
Songez doncl le général.Marc.ils nous
repousseraient?
—Marc?.Ah ! il me remerciera plutôt
d'avoir supprimé l'obstacle qui vous sé-
pare, de t'avoir faite libre. Laisse-moi
passer ! Ne comprends-tu pas qu'il faut
que ce soit moi qui le tue! Veux-tu que
Marc apprenne le nom de ;ce misérable?
Et vois-tu les deux frères l'un en face de
l'autre, l'épée à la main.
Antoinette poussa un cri et se rejeta
en arrière, appuyant ses mains sur ses
yeux.
Le vieux soldat, tout frémissant, se
retourna sur le seuil et dit d'une voix
solennelle :
— Antoinette, le sort veut que je sois
le justicier. A Dieu val Et si ton âme est
pitoyable, récite les prières des agoni-
sants !
Elle ne tenta pas un nouveau geste
pour le retenir. Il s'était élancé dehors,
MONTFERMSUU
(A suivre J
CINQ centimes le numéro
27 Germinal an 100 - N* 80 71
RÉDACTIOH
131, BUE MONTUAVM, 131
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉOACTIOI
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir h minuit
EM MAîTCSCEITS NON INSÉRÉS NE SEBONT PAS RENDUS
ADMINISTRATION
131, EUE MONTMARTRE, 131
1
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS -
UN MOIS FB,
TROIS MOIS. 6 —
SIX MOIS. 9FB.
UN Ali. 18-
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS « FB.
TROIS MOIS 6 —
SIX MOIS 11 F*.
UN AN 20
A VIîS
Nous prions ceux de nos lecteurs dont
Vabonnement expire le 15 avril de le
renouveler le plus vite possible afin d'é-
viter une interruption dans la réception
'du journal.
Joindre une des dernzères bandes à
,chaque renouvellement.
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LA NOMENCLATURE DES
NOUVELLES PRIIIES GRATUITES
que nous offrons à nos abonnés
M! pel plaisir ils forçat!
C'est un homme dont on ne niera pas
l'expérience qui chante ce refrain imité
de la Dame Blanche. Gustave Muno,
bien qu'il n'ait encore que trente-cinq
ans, a passé par tous les genres de dé-
tention.
A Paris, il a connu le Dépôt, la Con-
ciergerie, la Santé, Sainte-Pélagie, la
Petite-Roquette et la Grande, Mazas.
¡Son sexe seul l'a privé de Saint-La-
zare.
Dans les départements, il a eu pour
logis les prisons des villes suivantes :
Sedan, Rouen, Dijon, Marseille, Reims,
Réthel, Chiavari, Oran, Meaux, Châ-
teau-Thierry, La Rochelle, Epernay,
Citeaux, Ajaccio, Sidi-bel-Abbès, Saint-
Martin-de-Ré.
L'emprisonnement ne lui a pas suffi,
il lui a fallu les travaux forcés. La cour
d'assises de la Seine lui en décerna
huit ans. Il fut expédié à la Guyane.
Ayant ainsi tous les points de com-
paraison, il a pu se faire une idée nette
de ce qui lui allait le mieux, et sa con-
clusion a été de chanter :
h! quel plaisir (ter) d'être forçat!
On a lu, l'autre jour, la lettre par
laquelle il priait le procureur de la
République de « le faire passer en ju-
gement tout de suite ». On comprendra
la hâte qu'il avait d'être jugé, con-
damné et renvoyé à Cayenne, quand
on aura lu ses réponses au président
de la neuvième chambre du tribunal
correctionnel.
De ces réponses il résulte que le ba-
gne est un petit paradis.
Ça commence avant la transporta-
tion. « Pendant les quinze derniers
jours qui la précèdent, le condamné
ne travaille plus, est mieux nourri et
a du vin tous les jours. »
Le voyage est un agrément. « Une
fois embarqué sur le transport de l'E-
tat qui le conduit aux colonies, le re-
légué a la même nourriture que l'équi-
page, le café, le vin, et un paquet de
tabac- de cantine chaque semaine. Il
monte sur le pont tous les jours et
peut admirer l'immensité de l'Océan.»
Mais c'est à Cayenne qu'il est heu-
reux ! « Une fois arrivé à destination,
il a la même nourriture que les troupes
coloniales. Meilleure même. Il peut
aller à la pêche et se baigner tous les
jours. Il travaille avec la population
libre. Il touche l'argent qu'il gagne. Il
peut entrer chez le marchaud de vin
et boire ce que bon lui semble. Il peut
de temps à autre aller passer son temps
avec une des filles joyeuses qui abon-
dent à Cayenne. »
Et puis, quel pays! Gustave Muno,
qui, pendant la traversée, « admirait
l'immensité de l'Océan », ne pouvait
pas être insensible aux beautés de la
nature terrestre. Elles le ravissent : —
« Le relégué voit toute l'année une vé-
gétation d'une richesse et d'une puis-
sance extraordinaires. C'est une na-
ture sauvage, il est vrai, mais magni-
fique en bipèdes et quadrupèdes de
toutes sortes, singes, perroquets, per-
ruches, sangliers, agoutis, tigres et
serpents. » L'Eden, vous voyez.
Cayenne étant ce paradis, on pour-
rait s'étonner que Muno s'en soit évadé
deux fois.
— Pourquoi? lui a demandé le pré-
sident de Boislisle.
— La première fois, a répondu
Muno, c'était en 1889 : je tenais à voir
la grande Exposition.
Il n'a pas dit ce qu'il tenait à voir la
seconde fois. C'était probablement
Anastay, au procès duquel il a assisté
tranquillement.
Ce que l'administration pénitentiaire
retiendra de cette histoire, c'est que sa
colonie est mal gardée et que ce n'est
pas la peine d'y transporter à si grands
frais des gaillards qui en reviennent
quand ils veulent. On donne 150 ou
200 francs à un des navires anglais
qui approvisionnent Cayenne et il vous
emmène. La dernière évasion de Muno
s'est faite en plein jour, à midi. Dans
ces conditions, la relégation n'est
qu'un gaspillage de millions.
Autre côté de la question :
Quand le président a rappelé à Muno
toutes ses condamnations, Muno a fait
cette réponse :
— J'avais dix ans lorsqu'on m'a en-
voyé dans une maison de correction.
Que voulez-vous qu'un enfant y ap-
prenne, sinon le vice? C'est l'école du
bagne.
Il n'y a pas que les colonies péniten-
tiaires qui soient à réformer.
AUGUSTE VACQUERIE,
.49>
COULISSES DES CHAMBRES
lyes Chambres, comme nous l'avions
fait prévoir, ont décidé hier de se séparer
jusqu'au 17 mai. Elles ont choisi cette
date par les considérations que nous
avons indiquées précédemment. Il s'agit,
nous le rappelons, de permettre aux dé-
putés de se rendre dans leurs départe-
ments respectifs pour prendre part d'a-
bord à la session d'avril des conseils gé-
néraux, et ensuite à la période électorale
pour le renouvellement des conseils mu-
nicipaux et la nomination des maires
qui doit le snivre.
En ce qui concerne en particulier les
conseils généraux, dont la session s'ou-
vrira dans une dizaine de jours, il y
avait nécessité absolue à ce que les
Chambres suspendissent leur session.
La moitié, en effet, des membres de la
Chambre et du Sénat font partie des as-
semblées départementales. En outre,
cinq ministres sur dix sont conseillers
généraux.
Le Parlement et le gouvernement sont
donc tenus de se transporter en partie
en province pendant une huitaine de
jours, à partir du 25 avril.
Malgré le départ de la Chambre, la
commission du budget a décidé de siéger
jusqu'à la fin de la semaine, afin d'ache-
ver la discussion générale qu'elle a ou-
verte, il y a quelques jours, et qui est la
préface obligatoire de ses travaux. Jus-
qu'ici cette discussion générale avait
porté sur l'ensemble du budget. Hier
elle a été limitée à la réforme de l'impôt
des boissons et elle se continuera au-
jourd'hui sur le même point.
M. Salis a attaqué le système du mi-
nistre des finances, qui a été défendu par
M. Yves Guyot, l'ancien collègue de JM.
Rouvier dans le précédent ministère.
Le débat se terminera probablement
aujourd'hui. A l'issue la commission sera
appelée à décider si elle entend nommer
un rapporteur général seulement ou
désigner en dehors de ce dernier un
rapporteur spécial pour la réforme des
boissons.
Avant sa séparation la commission du
budget entendra sans doute le ministre
des finances sur le point de savoir si
toutes les dépenses normales que devra
supporter l'exercice 1893 ont été prévues
au projet de budget. La commission
craint que certaines nécessités, dès au-
jourd'hui pressenties, n'aient pas été pré-
vues au budget, notammentl pour la
marine et l'instruction publique. Elle
voudrait, si cette crainte était fondée,
obtenir du gouvernement qu'il fit con-
naître dès maintenant ces dépenses afin
de les comprendre dans l'établissement
du budget et éviter d'y faire face plus
tard par des crédits supplémentaires de-
mandés en cours d'exercice.
LA LOI SUR LA PRESSE
Nous avons dit que les groupes de
gauche du Sénat avaient nommé chacun
deux délégués avec mission de se former
en commission pour rechercher s'il y
avait lieu d'apporter quelques modifica-
tions à la loi du 29 juillet 1881 sur la
presse. Cette décision avait été inspirée
par les récents attentats des anarchistes.
Les groupes de gauche voulaient s'efforcer
d'introduire dans la législation sur la
presse des dispositions nouvelles sur la
provocation à commettre des crimes de
droit commun et faire disparaître cer-
taines immunités que la procédure ac-
tuelle établit pour les inculpés et per-
mettre, par exemple, en certains cas, la
saisie et l'arrestation préventive.
Les délégués de deux des groupes, la
gauche et le centre gauche, se sont ren-
dus hier auprès du président du conseil
pour lui soumettre les premiers résultats
de leurs délibérations.
M. Loubet a déclaré qu'il communi-
querait au conseil des ministres les pro-
positions des groupes, mais dès mainte-
nant il a fait savoir que le gouvernement
laisserait aux sénateurs le soin de saisir
le Sénat de ces propositions par la voie
de l'initiative parlementaire. Le gouver-
nement s'expliquera au cours de la dis-
cussion de ces propositions et fera con-
naître ses vues sur la question.
■ ———————————
LE GACHIS BRESILIEN
La terreur règne au Brésil. Le gouver-
nement de Floriano Peixoto, encore un
général qui aura une bien triste page
dans les annales brésiliennes, a mis de
côté toute pudeur. Les meilleurs citoyens,
les républicains les plus sincères, les
patriotes les plus convaincus sont arrê-
tés et emprisonnés par ses ordres.
C'est ainsi que notre ami José de Pa-
trocinio, le directeur du vaillant journal
la Cidade do Rio, l'héroïque champion
de l'abolition de l'esclavage, l'éloquent
tribun qui a proclamé la République à
Rio-de-Janeiro, alors que, dom Pedro
venant d'être déposé, ses vainqueurs ne
savaient que faire du pouvoir, l'adver-
saire irréconciliable du militarisme, en
un mot, l'homme politique qui a servi le
mieux là-bas la cause républicaine, a
été arrêté, il y a deux jours, avec un de
ses confrères et un général, et embarqué
à destination de Macapa sur les fron-
tières de la Guyane française, sous le
climat le plus meurtrier de l'Amérique
du Sud.
Nos dépêches nous disent que José de
Patrocinio aurait essayé de soulever la
population contre Floriano Peixoto et en
faveur de Deodoro da Fonseca. Une pro-
clamation opportune de l'état de siège a
permis aux soldats de Floriano Peixoto
de lui mettre la main au collet.
Il nous est encore impossible de savoir
si le mouvement dirigé par José de Pa-
trocinio avait pour but de ramener au
pouvoir le vieux maréchal Deodoro. Si,
toutefois, il en est ainsi, il faut que le
gouvernement actuel soit bien détestable
pour que notre ami lui ait encore pré-
féré celui du premier président de la Ré-
publique. Dans certains cas, en politique,
le mal est un progrès sur .le pis.
Nous aimons à croire que les Brési-
liens ne voudront pas supporter plus
longtemps un dictateur qui s'en prend à
ce qu'il y a de meilleur parmi eux.
c. B.
Les Relâches de la semaine sainte
Mon article d'avant-hier sur la ferme-
ture de la Comédie-Française pendant les
trois derniers jours de cette semaine a
causé quelque émotion parmi les inté-
ressés et parmi les habitués des théâtres.
Une lettre que je reçois défend la Co-
médie, que je n'avais, d'ailleurs, pas
attaquée, en me disant qu'elle n'a fait
que de se conformer à une tradition qui
date de Molière. Autrefois même, les
relâches étaient annoncées au public par
une allocution du semainier.
En dehors de toute idée religieuse,
est-il si mauvais, me demande-t-on, « que
les artistes, et même l'administrateur,
puissent aller voir les brins de lilas et
respirer l'air pendant quarante-huit
heures »?
Oui, mais ces jours de repos, bien dus
aux artistes, sont, peu à peu, devenus
pour eux des jours de plus grande fati-
gue. Ils vont jouer à l'étranger, et la
fatigue de la route s'ajoute à la fatigue
des représentations.
Je crois savoir que l'administrateur
général a fait de son mieux pour s'op-
poser à ces voyages qui dénaturent les
relâches. Ne pouvant mettre des gen-
darmes à la frontière, il a mis des gar-
çons à la porte des loges, et les paniers
qui contiennent les costumes ont été
consignés.
Il a pu ainsi empêcher la Comédie
d'aller officiellement à Bruxelles. Mais il
n'avait pas le moyen d'empêcher d'y aller
individuellement les comédiens, qui sont
libres de leurs personnes pendant leurs
congés. — A. v.
Dans l'article dont il s'agit, je disais
que les représentations de Polyeucte et
d'Andromaque seraient précédées cha-
cune d'une conférence de M. Gustave
Larroumet.
L'ex-directeur des beaux-arts m'a-
dresse à ce propos la très juste lettre qui
suit :
Paris, 13 avril 1892.
Mon cher maître,
v Dans votre article d'hier sur les spectacles
que plusieurs artistes de la Comédie-Fran-
çaise vont donner à Bruxelles, vous parais-
sez croire qu'elles emprunteront « un ca-
ractère semi-officiel » aux conférences dont
je dois les faire précéder.
Permettez-moi de vous dire que je ne
saurais donner à ces représentations un
caractère que je n'ai pas : je n'appartiens
plus à l'administration des beaux-arts que
par un titre purement honorifique et, en
dehors de la Sorbonne, je ne représente que
moi-même. Avant de diriger un service pu-
blic, je parlais et j'écrivais sur la littérature
française; en le quittant, j'ai repris mon
premier métier.
Je ne ferai donc à Bruxelles que ce que je
fais ailleurs, sans autre intention que de
parler et d'écrire de mon mieux.Si le voyage
de quelques artistes de la Comédie a ren-
contré des difficultés ou soulevé des objec-
tions, je l'ignorais : je ne m'occupe en rien
des affaires intérieures du théâtre.
Je ne vous soumettrais pas les observa-
tions qui précèdent, si votre mention, toute
bienveillante, d'ailleurs, ne servait de pré-
texte à un genre de commentaires auquel je
suis trop habitué pour m'en inquiéter, mais
auquel je ne saurais permettre d'employer
contre moi un nom comme le vôtre.
Veuillez agréer, mon cher maître, l'ex-
pression de mes sentiments les plus dé-
voués.
GUSTAVE LARROUMET.
dao
L'EXPOSITION DE CHICAGO
La loi ouvrant des crédits pour la parti-
cipation de la France à l'exposition de Chi-
cago a été promulguée hier matin au Jour-
nal officiel.
Le gouvernement va maintenant prendre
des mesures pour assurer la représentation
de la France.
00
CHAMBRE ET SENAT
LES CRÉDITS DU SOUDAN
ET DU DAHOMEY
Déçus, trompés, volés ceux qui, dans
l'espoir d'assister à une « grande séance»,
avaient fait hier le voyage du Luxem-
bourg. Ils étaient, du reste peu nom-
breux, ces curieux intrépides. Même, il
nous a semblé, vu la quantité des fau-
teuils restés vides, que beaucoup de
sénateurs n'avaient pas jugé absolument
nécessaire de se déranger. Des malins
ceux-là, qui sont rèstés paisiblement
chez eux, ou mieux encore sont allés
sous les arbres frangés de vert tendre de
nos promenades humer l'air gentiment
frisquet; ils avaient bien prévu que nul
incident ne se produirait. Et nul incident
ne se produisit.
Ne serait-il même pas exagéré, exces-
sif de donner le nom de discussion au
court échange d'observations qui a eu
lieu? Personne ne songeait à refuser les
crédits ; personne, à vrai dire, ne deman-
dait d'explications. Mais MM. Tirard et
Barbey, anciens ministres, ont éprouvé
le besoin assez naturel au bout du
compte — à la Chambre, on leur avait
donné l'exemple — de dégager leur res-
ponsabilité; ils l'ont fait sobrement, et
leurs paroles n'ont soulevé aucune con-
tradiction.
Cette responsabilité qui lui incombait
en effet, puisqu'il était président du con-
seil au moment où furent expédiées les
dépêches à propos desquelles on a fait,
lundi dernier, si beau tapage à la Cham-
bre, M. Tirard l'a revendiquée haute-
ment. Il s'est borné à faire remarquer
que le gouvernement qui avait succédé
au sien, loin de désavouer la politique
suivie par lui l'avait reprise pour son
compte, faite sienne, continuée; à telles
enseignes que M. Barbey, ministre de la
marine dans le cabinet Tirard et auteur
des dites dépêches, était resté ministre
de la marine dans le cabinet Freycinet,
et comme tel avait conservé la direction
des opérations dans le golfe de Bénin.
A son tour, M. Barbey, hélas ! dans le
même langage pâteux auquel il nous a
trop accoutumé, a refait rapidement
l'historique des incidents du Dahomey.
Et s'expliquant plus particulièrement sur
la fameuse dépêche du 4 mars 1891, il n'a
pas eu de peine, disons-le en toute
loyauté, à justifier l'ordre donné au com-
mandant Fournier de ne pas opérer le
débarquement des marins du Sané. Sur
les 200 hommes qui composaient l'équi-
page du Sané, a dit M. Barbey, 50 étaient
hors de combat, en proie à la dyssen-
terie, aux fièvres, « et les 150 autres n'é-
taient guère plus valides o. Comme l'avait
indiqué, lundi dernier, à la Chambre, M.
de Douville-Maillefeu, le Sané est venu
plus efficacement en aide au colonel Ter-
rillon au moyen de ses obus qui ont jeté
le désordre dans les rangs des 7,000
Dahoméens qui attaquaient, à Kotonou,
les 230 soldats groupés autour du dra-
peau de la France.
Ces explications ont été écoutées avec
faveur, applaudies, et le Sénat, par son
silence, a montré que pour lui les faits
étaient complètement élucidés. Seul un
monarchiste, un clérical fougueux, M.
Halgan, a demandé la parole. Il s'était,
pendant le petit discours de M. Barbey,
fait rappeler à l'ordre pour une ou deux
interruptions fort inutiles, et, dès ses
premiers mots, il a été visible que le
sens des éclaircissements qui venaient
d'être donnés lui avait, en tout ou en
partie, échappé. Il n'a trouvé rien de
mieux à faire que d'extraire du Journal
officiel un passage du discours fait par
M. Mège à la Chambre. M. Mège avait
raconté que le commandant Fournier
aurait pleuré en disant au colonel Ter-
rillon que les ordres précis qu'il avait
reçus l'empêchaient d'aller à son se-
cours. « J'ai vu ce matin le commandant
Fournier, a interrompu le ministre de la
marine, et je tiens de sa bouche même
l'affirmation que le récit est faux. » Et
M. Le Royera prié M. Halgan de ne pas
apporter à la tribune du Sénat « les ra-
contars de la Chambre ». M. Halgan a
- regagné sa place.
Le crédit de 3 millions demandé pour
le Dahomey a été adopté à l'unanimité
de 222 votants.
Celui de 360.000 fr. pour le Soudan,
sans discussion, à l'unanimité de 249
votants.
Ceci fait, le Sénat s'est ajourné au
17 mai.
La Chambre s'est réunie à cinq heures.
Elle s'est occupée aujourd'hui de règler
l'ordre du jour de sa prochaine séance.
Par 359 voix contre 174, elle a refusé de
maintenir l'ordre du jour actuel. Après
un assez court débat, la Chambre a in-
scrit en tête de son ordre du jour le pro-
jet de loi sur le crédit agricole, le projet
de loi relatif à la Banque de France, le
projet de loi relatif aux caisses d'épargne,
la proposition de loi relative à la respon-
sabilité des patrons en matière d'acci-
dents, la proposition relative aux femmes
en couches, le projet de loi sur l'arbi-
trage, etc.
Voilà bien de la besogne. Une tenta-
tive faite par M. Pourquery de Boisse-
rin pour rouvrir le débat sur les inci-
dents au Dahomey a été vive ; la Cham-
bre a renvoyé, par 314 voix contre 197,
la discussion de l'interpellation qu'il se
proposait de développer, à la prochaine
séance, et fixé celle-ci au 17 mai.
LUCIPN VTeTOR-MEUNIER.
LES GARDIENS DE LA PAIX
Le 26 mars dernier et avant-hier, j'ai
publié deux lettres émanant de groupes
de gardiens de la paix. Mes honorables
correspondants, se plaignant de la situa-
tion qui leur est faite, ont signalé cer-
tains faits et formulé des réclamatioift.
Voici dans quels termes la préfecture de
police, où l'on s'est ému, répond à ces
lettres :
1° Quand un agent se voit infliger une
punition consistant en une retenue de trai-
tement, les sommes retenues sont versées
intégralement à la caisse des retraites.
2° L'indemnité de loyer est de 185 fr. par
an et non de 200 fr. Les inspecteurs tou-
chent la même indemnité pour le même
objet.
3° Aucune somme fixe n'est allouée indi-
viduellement à titre de gratification; un
crédit est inscrit au budget sous la rubri-
que : «Gratifications, indemnités et primes ».
La somme restant disponible en fin d'an-
née est distribuée en gratifications aux
meilleurs agents n'ayant subi aucune puni-
Lion pendant l'année et n'ayant pas parti-
cipé aux augmentations de traitement.
4e A l'occasion de la grève des employés
de chemins de fer, aucune note impliquant
une promesse d'augmentation quelconque
n'a été communiquée aux gardiens de la
paix.
5° Le traitement des agents est divisé en
quatre classes.
L'augmentation de traitement ne suit pas
une marche absolument régulière, car elle
ne peut se produire qu'au fur et à mesure
des retraites, démissions ou révocations qui
laissent du'dispomble.
Toutefois, le crédit est toujours complète-
ment absorbé par les traitements.
A mes correspondants de voir s'ils ont
quelque chose à répondre à cette note.
Dans tous les cas, tout ce qui paraîtra
dans le Rappel au sujet de la situation
des gardiens de la paix sera, suivant
l'habitude du journal, sérieusement do-
cumenté.
Voici une des nombreuses correspon-
dances que j'ai reçues hier :
Monsieur le rédacteur,
Lecteur assidu de votre journal, j'ai vu
avec plaisir que vous vouliez bien prendre
en mains et soutenir la cause des gardiens
de la paix. Tout ce qui est dit dans les deux
lettres que vous avez reproduites est exact.
L'on pourrait ajouter qu'à l'encontre d'ad-
ministrations où les soins sont donnés aut
malades, il n'y a à la préfecture de police
que des médecins qui ont pour tout servie?
de vérifier si l'agent qui se fait porter msr
lade l'est réellement; ils ne donnent aucun
soin et paraissent n'avoir d'autre souci que
de faire reprendre le plus vite possible 1
service aux malades.
Ceci dit, j'appelle, monsieur le rédacteur
votre attention sur les inspecteurs du ser-
vice de la sûreté, dont la situation est la
même que celle des gardiens de la paix, et
qui, de plus, souvent sont obligés de faire
des dépenses supplémentaires qui ne leur
sont pas remboursées, car l'inspecteur de
la sûreté n'a aucun service fixe; il est
l'homme de tous les moments et ne sait
Feuilleton du RAPPEL
DU 15 AVRIL
105
LE DRAME
DES
DEUX FRÈRES
TROISIÈME PARTIE
LES DERRIÈRES VTOGT-ÛDATRE HEURES
- V
Celui qui se sauve
- Suite -
Antoinette poussa un cri sourd, et, sous
la menace de Nédonchel terrible, les yeux
étincelants, les poings levés, elle resta
un instant gisante, assise sur les marches
de l'escalier, si belle ainsi d'une pâleur
de cadavre, les yeux à demi-clos, que le
plus féroce des hommes eût senti son
cœur s'émouvoir et tressaillir de pitié.
r.
Reproduction interdite. I
Voir le llavpel du Ie* janvier au 14 avril. j
Le vieux soldat attendait, haletant.
A la fin elle dit, presque sans remuer,
d'une voix lente et fatiguée :
— Puisqu'il le faut. puisque vous le
voulez, soit, je parlerai. Mais, lorsque
ce nom maudit sera sorti de mes lèvres,
vous verrez bien que j'avais raison de
dire qu'un duel entre vous et lui est im-
possible. que vos mains ne peuvent pas
verser son sang.
— Qui est-ce donc? demanda-t-il tout
frémissant d'une sourde terreur. Est-ce
que je le connais?
— Oui.
— Où l'as-tu revu?
— Ici.
— Ici? C'est un des habitués du châ-
teau?
Antoinette remua affirmativement la
tête.
Tout à coup Nédonchel poussa un
grand cri :
— Eh! pardieu! j'y suis! Ce sera ce
misérable Norbert de Padirac?
Elle secoua la tête..
— Non? reprit-il sourdement. Mais qui
donc alors? Ça ne peut pas être M. de la ,
Haye? J'ai beau chercher, je ne vois
personne. Il n'y a plus, au château, que
le général et son fils.
Mais il s'interrompit ; son visage tout
à coup se couvrit d'une teinte verdâtre;
ses yeux démesurément s'agrandirent ;
il bégaya, reculant :
— Est-ce que?. est-ce que?.
— Vous avez deviné, cette fois, dit-
elle.
— Ah ! mon Dieu 1 cria-t-il.
Alors à genoux, tendant les mains vers
lui, elle dit d'une voix déchirante :
— Et maintenant, croyez-vous tou-
jours que je puisse épouser son frère-?
— Son frère?. Ah! le malheur est sur
nous!
Le vieux soldat, écrasé, se laissa tom-
ber sur une chaise.
— Le fils de mon général ! bégaya-t-il.
Lui, coupable d'une telle infamie! Tu
l'as reconnu? tu es bien sûre?.
— Vous rappelez-vous, dit-elle, le soir
où il est venu pour la première fois ici.
En l'apercevant, je suis tombée; et lui,
il a chancelé.
— Je me souviens, je me souviens, fit
Nédonchel.
Vous voyez, dit-elle, que j'avais rai
son, qu'il ne me reste pius qu'une chose
à faire : partir, quitter cette maison pour
n'y jamais reparaître? Si vous saviez
combien j'ai souffert ici ! Oh ! j'étais à
bout de forces. Quelle torture de subir la
présence de ce misérable !
— Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? de-
manda Nédonchel. Pourquoi n'as-tu pas
pensé tout de suite à partir?
Elle baissa la tête.
- Pardonnez-moil dit-elle.
— Parce que tu aimais Marc? dit-il
sourdement.
Elle pleurait, la tête sur l'épaule de
son vieil ami.
— Mais ne l'aimes-tu pas davantage
encore aujourd'hui? s'écria-t-il. Partir,
Antoinette?Et que deviendras-tu? pauvre
enfant ? Je te verrai traîner sous mes
yeux une lamentable agonie, tu mourras
dans mes bras, murmurant le nom de
Marc! la mort est déjà dans tes yeux!.
Non, non! par le jour qui nous éclaire,
ça ne sera pas!.
Il se releva. Sa physionomie avait re-
pris toute son énergie. Sa tête se re-
dressa et de nouveau ses yeux brillèrent.
— Mon parrain, s'écria Antoinette,
que voulez-vous faire ?
— Ce que je veux? Pardieu ! je veux
faire justice! Il me semble que tu as
assez pleuré, que tu as assez souffert !
Le moment est venu de relever le front.
Debout, Antoinette ! plus de souffrance,
plus de honte! J'ai juré vengeance, tu
seras vengée.
— Grand Dieu ! mais c'est le fils du
général!..
— Oui, l'indigne fils de cet homme
brave et généreux, que j'aime et que je
respecte.
-Il en mourra!.
- A moins qu'il ne soit mort de honte
en apprenant l'infamie de son fils. Que
crois-tu qu'il préfère? Savoir que son
fils est mort, ou bien qu'il est arrêté,
traduit en cour d'assises. Car, ce qu'il a
fait, sais-tu bien, cela vaut le bagne.
Allons donc ! je le connais, mon général !
S'il résiste à ce coup que lui portera la
révélation du crime, quand je viendrai à
lui et que je lui dirai que cet indigne fils
a été tué dans un combat loyal, je le
connais, te dis-je. Il me tendra la main.
Nédonchel fit un mouvement vers la
oorte; Antoinette courut à lui :
— Où allez-vous?
— Le chercher, pardieu 1
— Arrêtez! Non, non, c'est impossiblei
Songez doncl le général.Marc.ils nous
repousseraient?
—Marc?.Ah ! il me remerciera plutôt
d'avoir supprimé l'obstacle qui vous sé-
pare, de t'avoir faite libre. Laisse-moi
passer ! Ne comprends-tu pas qu'il faut
que ce soit moi qui le tue! Veux-tu que
Marc apprenne le nom de ;ce misérable?
Et vois-tu les deux frères l'un en face de
l'autre, l'épée à la main.
Antoinette poussa un cri et se rejeta
en arrière, appuyant ses mains sur ses
yeux.
Le vieux soldat, tout frémissant, se
retourna sur le seuil et dit d'une voix
solennelle :
— Antoinette, le sort veut que je sois
le justicier. A Dieu val Et si ton âme est
pitoyable, récite les prières des agoni-
sants !
Elle ne tenta pas un nouveau geste
pour le retenir. Il s'était élancé dehors,
MONTFERMSUU
(A suivre J
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