Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1892-01-05
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 05 janvier 1892 05 janvier 1892
Description : 1892/01/05 (N7970). 1892/01/05 (N7970).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75445421
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
Ne 7970 — Mardi 5 Janvier i892 j
CINQ centimes le numéro
16 INivose an lUO - 7970
RÉDACTION
131, BUE MONTMARTRE, 131
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 4 a 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
IE8 MANUSCRITS NOS INSÉRÉS NE SERONT FAS RENDUS
ADMINISTRATION
131, BUi: MONTMARTRE, 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C*
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
CN MOIB Z Fa.
r '[RUIS VOIS. () -
SIX MOIS. 9 FB.
UN AN. 1 8 -
Rédacteur en chef : AUGUSTE ÎACODERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN HOIS 2 PB.
TBOIS HOIS. 6 —
- - --
SIX mois 11 M.
UN AN. 20-
MIMES mm !
Si le comte de Paris a espéré que sa
lettre allait lui gagner le clergé, il a
dû s'apercevoir vite que ses avances
et ses platitudes étaient en pure perte.
C'est de très haut que VUnivers lui ré-
pond.
Le journal des sacristies veut bien
reconnaitre que le comte de Paris a
été aussi plat qu'il est possible, qu'il a
même totalement lâché l'orléanisme :
— « L'ancien parti orléaniste, tête et
bras aujourd'hui du parti royaliste
et si passionné autrefois contre Rome,
reçoit là une leçon qui, pour être invo-
lontairement donnée, a tout de même
son prix. » Le comte de Paris, « en-
traîné par son sujet », s'est fait l'hum-
ible serviteur « non seulement de la
;religion, mais de l'Eglise ». — « Nous
Tie sommes plus une clientèle inféodée
aux monarchistes, des auxiliaires qui
doivent suivre ; nous sommes nous-
mêmes, et l'on nous presse de ne pas
nous écarter. » Les auxiliaires sont de-
venus les chefs, ce sont eux qu'on suit,
et c'est la monarchie qui est inféodée
à l'épiscopat.
Mais alors l'Eglise doit être contente ?
elle doit voir dans la monarchie le
régime de ses rêves? elle doit bénir et
sanctifier le comte de Paris ? — Je t'en
fiche !
L'Eglise ne se livre pas avec cette
'facilité. L'.Eglise (, est au-dessus des par-
tis politiques et n'entend se lier
avec aucun d'eux ». D'ailleurs, « elle
voit très bien que sous le chré-
tien perce le prétendant et que le
comte de Paris promet plus que
son parti ne voudrait et ne pour-
rait même tenir. » Elle se souvient
qu' « elle a eu à se plaindre de Louis-
Philippe, non moins que de Napo-
léon Ier et de Napoléon III », et ce sou-
venir la rend froide pour toutes les
formes de la monarchie. Elle ne tient
pas à un gouvernement plus qu'à un
autre. Que la République lui donne
plus que la monarchie, et ce soir elle
sera républicaine ; elle est raisonnable;
est une simple question de suren-
chère.
Ah ! si le comte de Paris pouvait
être un Charles X ! 6i 1892 pouvait
retourner à 1825 ! Alors la situation
du clergé était telle qu'il en abusait et
que deux catholiques éprouvés échan-
geaient ces lettres que je relis dans le
Voltaire :
M. de Montlosier à Chateaubriand :
; - « La France vous doit beaucoup,
il faut qu'elle vous doive davantage.
Elle a recouvré de vous l'amour de la
religion de ses pères ; il faut lui con-
server ce bienfait, et pour cela il faut
la préserver de l'erreur de ses prêtres,
préserver ces prêtres eux-mêmes de la
pente funeste où ils sont placés. C'est
de la prépondérance ecclésiastique, se
disant religieuse, qu'il nous reste à
préserver le roi et l'Etat. »
Chateaubriand à M. de Montlosier :
— « Je hais comme vous les asso-
ciations d'hypocrites qui ne cherchent
à l'autel que le pouvoir. »
Mais, YUnivcrs le dit justement, le
comte de Paris a beau promettre au
clergé de lui rendre cette domination
qui révoltait jusqu'à l'auteur du Génie
du christianisme, le clergé sait bien
que cela ne dépend pas du comte de
Paris ni de personne. C'est pourquoi
les promesses du « prétendant, qui
perce sous le chrétien » touchent mé-
diocrement ceux qu'il appelle à son
aide. C'est pourquoi, lorsqu'il làche
« l'ancien parti orléaniste », lorsqu'il
se présente comme le roi des curés,
lorsqu'il s'engage à ne tenir aucun
compte de la volonté du pays et à suppri-
mer, en cas d'élections anti-cléricales,
le suffrage universel, et même le suf-
frage restreint, il n'obtient, même
dans les sacristies, qu'un succès de
vive hilarité.
« La lettre de M. le comte de Paris
laissera donc les choses en l'état »,
conclut l'Univers. Conclusion sévère,
mais juste. Traduction polie du mot
de Gros-René :
Et ta lettre, tu sais ce que j'en saurai faire !
AUGUSTE VACQUERIE.
SCANDALE ET SCHISME-
Quand le Gaulois a publié la note où
M. Paul de Cassagnac était blâmé et
qu'on a généralement attribuée au nonce
du pape, M. Paul de Cassagnac a répondu
que la note n'était pas du nonce, qui
n'aurait pas pris pour confident et pour
porte-parole le rédacteur du Gaulois,
un israélite.
Quand le Moniteur de Rome, qui passe
pour être au mieux avec le Vatican, a
répété, en d'autres termes, la note du
Gaulois, M. de Cassagnac a répondu que
le Moniteur de Rome était « un journal
qu'il avait étrillé », une « basse officine
d'intrigues et de mensonges », l'organe
« d'un Prussien et d'un Suisse », une
« feuille dont le ton grossier rappelait la
rédaction des plus sales journaux de Ber-
lin », et qu' « y chercher la parole du
Saint-Père était une absurdité digne des
journaux républicains ».
Mais voici le journal officiel du Vati-
can, l'Osservatore romano, qui redit, et
dans des termes plus vifs, ce qu'avaient
dit le Gaulois et le Moniteur de Rome.
U Osservatore refuse de « considérer
comme un vrai zèle celui qui pousse un
homme se disant défenseur de la foi à
faire une amère censure de la conduite
du Saint-Siège et de ses représentants,
en ce qui regarde les intérêts religieux ;
à jeter des injures et du discrédit sur les
prélats respectables qui ne font pas tout
ce que voudrait le journaliste, et à pous-
ser les fidèles à la révolte contre la légi-
time autorité ecclésiastique. »
Le rédacteur de XAutorité avait dit que
les « vrais catholiques » étaient ceux qui
pensent et qui agissent comme lui.
-«Les vrais catholiques, lui répond le
journal du pape, savent qu'ils doivent
obéissance et soumission complète au
souverain pontife et à ses représentants,
surtout en ce qui sert à déterminer les
rapports entre l'Eglise et l'Etat, qui en
France, sont réglés par le Concordat. Au-
cun vrai catholique ne doit douter que
cette matière ne soit uniquement réser-
vée au pontife, qui en a fixé les bases et
y a apposé son auguste signature avec
celle du chef d'Etat. »
L'Osservatore « veut espérer que M. de j
Cassagnac réfléchira avant de continuer
à semer le scandale et le schisme et à
rendre service aux ennemis de la reli-
gion ».
Schisme et scandale, c'est raide.
Si nous en croyons le Temps, l'impor-
tance de cette note s'augmenterait de ce
qu'avant d'être publiée elle aurait été
communiquée par le Vatican à l'ambas-
sade de France.
Nous avons ouvert ce matin Y Autorité
avec la curiosité de voir ce que M. de
Cassagnac allait répondre et quelle qua-
lification, ayant qualifié le directeur du
Gaulois d'israélite et le rédacteur, du
Moniteur de Rome de Prussien, il allait
décerner au pape.
Il ne lui décerne rien. Il ne répond pas.
L'Autorité ne publie pas la note. Elle n'y
fait pas même allusion.
Elle en parlera sans doute un de ces
jours. Mais le coup est rude, et nous
comprenons qu'il faille un peu de temps
pour s'en remettre.
MORT D'ÉMILE DE LAVELEYE
Emile de Laveleye, le professeur d'é-
conomie politique si connu de l'univer-
sité de Liège, est mort hier. Avec lui
disparaît l'un des économistes les plus
brillants de ce siècle. C'est aussi une
noble figure, un caractère élevé et géné-
reux de moins.
Economiste ! L'était-il jusqu'au bout,
Emile de Laveleye? Il l'a toujours affir-
mé et n'a jamais voulu accepter d'autre
qualificatif. Il était cependant plus que
cela — ses nombreux ouvrages l'attes-
tent - car il s'était proclamé internatio-
naliste. Par cette déclaration, maintes
fois répétée, il s'était donc classé lui-
même à distance égale de l'économie
politique et du socialisme. Je dirai même
que, souvent, il a franchi cette limite en
émettant des idées de collectivisme
agraire, ce qui est la négation même
des doctrines des économistes.
En lui, le socialisme fait donc une
perte douloureuse, au moins-autant que
l'économie politique..
Ce penseur de grande envergure était
également un styliste admirable. Il écri-
vait dans cette langue si belle, si précise
et si claire des économistes et des philo-
sophes du XVIIIe siècle. Sous sa plume,
le français avait-une allure souple et non
cette forme pédante, parfois boursouflée
et souvent ennuyeuse des économistes
de nos jours.
Quelques-uns des ouvrages d'Emile de
Laveleye ont eu dans le monde entier un
écho retentissant. Ses Origines de la pro-
priété et son Socialisme contemporain,
dans lesquels le professeur belge, allant
hardiment de l'avant, constate l'évolu-
tion de la propriété et plaide avec émo-
tion la cause du prolétariat, ont valu aux
doctrines socialistes de nombreux adhé-
rents.
La mort d'Emile de Laveleye provo-
quera dans tous les milieux scientifiques
une vive émotion. Mais c'est surtout en
Belgique qu'elle suscitera d'unanimes
regrets. Chez nos voisins, personne n'i-
gnorait son nom, et tout le monde avait
appris à respecter et à admirer ce savant
éminent qui consacra sa vie à l'étude des
questions sociales et évita avec soin de
se mêler à la lutte ardente des partis.
Emile de Laveleye avait cependant re-
noncé à cette réserve depuis que la ques-
tion de la-révision a commencé à pas-
sionner la Belgique; Il y a quelque temps,
il plaidait-le devoir du roi d'appeler le
peuple à manifester son avis à ce sujet
par la voie du referendum.
Emile de Laveleye est mort à Doyon,
près de Namur, chez un de ses amis, M.
Bocquet, auprès duquel il s'était rendu
avant-hier. Il souffrait, depuis plusieurs
jours, d'une pneumonie, qui s'est subite-
ment aggravée, après un travail de quel-
ques heures.
Né à Bruges, le 5 avril 1822, E. de La-
veleye fit ses études dans cette ville, les
compléta à Paris, au collège Stanislas,
étudia le droit à Gand, puis, à partir de
1848, se lança dans l'économie politique.
En 1864, Laveleye fut nommé profes-
seur d'économie politique à l'Université
de Liège, où sa parole élégante et sa
science profonde le mirent tout de suite
hors de pair. En 1867, il représenta la
Belgique au jury international de l'Expo-
sition universelle, dans la section de
peinture, et y remplit les fonctions de
secrétaire.
Emile de Laveleye a voyagé dans toute
l'Europe dont il connaissait mieux que
personne l'état politique et social. Il était,
du reste, membre correspondant d'une
foule d'académies.
Un trait commun au défunt et à M.
Gladstone : accablé sous le poids d'une
énorme correspondance quotidienne, M.
E. de Laveleye répondait à tous ses cor-
respondants par des notes rapides, pres-
que télégraphiques, jetées hâtivement
sur une carte postale.
Outre les ouvrages que j'ai cités, je
dois encore signaler parmi les nom-
breuses publications de Laveleye : His-
toire des rois francs, VArmée et l'Ensei-
gnelnent, l'Enseignement obligatoire,
Question de l'or, Etudes d'économie ru-
rale, le Marché monétaire depuis cin-
quante ans, l'Autriche depuis Sadowa,
XInstruction du peuple, De la propriété,
Précis d'économie politique, etc.
C. B.
L'AGENDA Du RAPPEL
C'est la semaine du jour de l'an. Cha-
que lecteur du RAPPEL voudra joindre
à son cadeau de jour de l'an le don d'un
Agenda du RAPPEL. Tous les dépôts
d Agendas ont été renouvelés chez les
marchands de Paris et de la banlieue.
Nous engageons donc nos lecteurs à en
profiter le plus vite possible. Prix de
l'Agenda, Paris et banlieue 0 fr. 50, par
la poste 0 fr. 70.
LES COCHERS DE FIACRE
Tous les ans, aux jours où les Parisiens
affairés par une circonstance quelconque,
fête du 1er janvier ou course du Grand-Prix,
ont la coutume de requérir un plus grand
nombre de fiacres qu'à l'ordinaire, une
grève partielle de cochers se produit, qui
appelle l'attention du public sur les condi-
tions de salaire de cette catégorie de tra-
vailleurs. -
La cause du conflit est toujours la même :
les cochers se plaignent que !es compagnies
leur réclament une moyenne trop élevee.
Le public n'est pas trop sympathique aux
cochers de fiacre, avec lesquels il a trop
souvent maille à partir.
La situation des cochers mérite cepen-
dant un vif intérêt, car c'est une des plus
rudes et des plus malsaines, ainsi que l'a
démontré M. Bertillon, il y a huit jours, à
l'Académie de médecine, puisque c'est la
profession où la mortalité est la plus grande.
Le malheur pour les cochers, c'est qu'ils
sont les intermédiaires forcés d'une exploi-
tation odieuse dont le public les rend res-
ponsables.
Astreints, en effet, à travailler à un tarif
qu'ils n'ont pas le droit de débattre, ils sont
placés, par la compagnie ou les loueurs qui
les emploient, dans l'alternative suivante :
ou s'exposer à faire une recette insuffisante,
ou extorquer aux voyageurs un prix supé-
rieur à celui fixé par les règlements.
Le malin, avant de partir, le cocher doit
verser à la compagnie une somme qui varie
entre 18 et 22 francs, représentant un tra-
vail sans interruption de dix à onze heures;
soit, en déduisant le temps des repas, celui
passé à la station ou à la recherche de voya-
geurs, une journée de quatorze à quinze
heures, dont le produit tout entier est dû à
leurs patrons. Les pourboires à cinq sous de
l'heure étant insuffisants pour leur assurer
un salaire convenable, ils doivent donc pro-
longer encore leur journée qui est le plus
souvent de seize à dix-huit heures.
Est-il étonnant, dans de semblables con-
ditions, qu'ils ne soient pas toujours d'une
urbanité exquise et qu'ils s'efforcent même
parfois d'en conter à leurs cliénts?
Ce sont les compagnies qui doivent être
rendues responsables des abus dont le pu-
blic se plaint. C'est elles qui poussent à la
violation du règlement.
La vérité, c'est que le cocher, soumis a
des règles de police municipale strictes,
n'est pas protégé par elles, et qu'il y a là
une lacune à combler. Le service des co-
chers de fiacre est un service municipal. En
leur interdisant de débattre avec le voya-
geur le prix de leur travail, la municipalité
a le devoir de leur assurer un salaire équi-
table, que les compagnies ne peuvent pas
plus refuser de leur donner qu'elles ne peu-
vent se refuser à respecter les tarifs établis.
Cette solution est la seule rationnelle. En
attendant qu'elle soit appliquée, tout hom-
me impartial ne peut que déplorer la situa-
tion des cochers et souhaiter que les com-
pagnies se montrent plus justes, en n'exi-
geant pas d'eux des moyennes trop élevées.
Tout le monde y gagnera : les cochers
d'abord, le public ensuite, et les compa-
gnies elles-mêmes.
GUSTAVE ROUANET.
P.-S. — On trouvera plus loin le compte-
rendu des démarches effectuées hier par les
cochers grévistes.
AUX FORGES
ET ATELIERS DE SAINT-DENIS
Le système de travail employé par la
Société générale des Forges et ateliers de
Saint-Denis n'est autre que le marchan-
dage. C'est le système qui, au point de vue
social, présente le plus d'inconvénients. Il
se prête admirablement à l'exploitation des
ouvriers.
Voici ce que m'a dit à ce sujet le chef du
contrôle de la compagnie (j'expose sans dis-
cuter).
— « Tous nos hommes sont répartis en
équipes, dans les ateliers. A leur tête se
trouve un chef d'équipe qui est un employé
de la société; vient immédiatement après
le contre-maître, aux gages également de la
société. Enfin, au-dessous, c'est le marchan-
deur qui règle (?) avec le directeur les con-
ditions du travail. Le marchandeur traite
au nom de tous ses hommes. Nous ne con-
naissons que lui.
» Les choses se passent de la façon sui-
vante : le directeur fixe tel prix pour tel
travail, après entente avec le chef d'équipe
et le contremaître. De son côté le marchan-
deur déclare s'il accepte ou non. Dans le
premier cas, c'est qu'il croit que le tarif est
rémunérateur ; dans le second, on discute à
nouveau le prix.
» Tous nos ouvriers travaillent en ce mo-
ment douze heures, en été très souvent
treize heures. Ils ont une heure pour dé-
jeuner dans la saison actuelle, une heure et
demie aux longs jours.
» Ils sont payés à l'heure, c'est-à-dire que
la compagnie leur assure tant par heure
sans compter la part à laquelle ils ont droit,
le cas échéant, sur les bénéfices que laisse
le travail entrepris par l'équipe.
-- ***
» Les marchandeurs, bien entendu, ont
droit à une taxe supérieure à celle des ou-
vriers.
» Les menuisiers ont de 55 à 70 centimes
par heure, les scieurs de 60 à 65 c.; notre
scieur à la toupie — travail des plus dan-
gereux — 80 c., les charrons 55 c., les chau-
dronniers de 60 à 70 c., les forgerons 60, 70
et 75 c., les zingueurs de 50 à 70 c., les pla-
neurs de tôle 80 c., les tôliers 40, 45, 50 et
60 c., les peintres en voiture 55 c., les pein-
tres de ferrures de wagons, les tapissiers
70 c.; les ajusteurs de portières 55 et 60 c.,
les monteurs 55 c.
» Les charpentiers en bois ou en fer qui
travaillent aux bateaux ont 60 et 65 c., les
monteurs 50 et 55 c., les riveurs 55 c., les
teneurs de tas 40 et 45 c., les chauffeurs de
clous 25 et 30 c.
»Les apprentis. et jeunes gens reçoivent,
suivant leur habileté, 20, 25, 30 et 40 c.
« Je puis, a ajouté le chef du contrôle,
affirmer que ces conditions de travail plai-
sent à notre personnel qui n'a jamais élevé
de protestation à leur sujet ».
A
Voilà le langage de la société, celui des
ouvriers est bien différent.
Avant de l'indiquer, je voudrais dire quel-
ques mots sur le marchandage en usage
aux Forges et Ateliers.
On connaît les inconvénients propres à ce
genre de travail. Pour avoir un bénéfice,
l'ouvrier s'exténue réellement et il est rare
qu'il puisse se faire la journée sur laquelle
il compte. Ceci est relatif exclusivement au
marchandeur, à l'ouvrier qui, à SainL.
Denis, prend l'ouvrage à son compte, car,
seul le marchandeur a droit, contrairement
aux assertions du chef du contrôle, aux
bonis, son équipe devant se contentcr de la
taxe par heure.
Mais, si l'on regardait comme vraies les
déclarations de la compagnie, le marchan-
deur serait un véritable autocrate qui ferait
une répartition injuste, ne donnant rien ou
peu de chose aux ouvriers qu'il détesterait,
avantageant au contraire ses amis, après
avoir prélevé la part du lion.
Les conditions du travail au lieu d'être
excellentes, seraient donc tout simplement
immorales.
.-.
Je passe maintenant aux explications
qui m'ont été fournies par les ouvriers.
Ils ne reçoivent jamais de bonis. Sur ce
point ils sont unanimes. C'est le marchan-
deur qui les empoche, quand il y en a.
Dans ces conditions, pourquoi la paie
n'a-l-elle pas été faite le 31, puisqu'il ne
s'agissait que d'heures à additionner et i
solder?
D'après les ouvriers que j'ai vus, les mar-
chandeurs seraient pour la plupart mar-
chands de vins, logeurs, etc., choisiraient,
par conséquent, de préférence, des ouvriers
non mariés qu'ils peuvent contraindre de
prendre une chambre chez eux et d'y dé-
penser le plus clair de leur argent. De plus,
ils feraient travailler leurs, hommes le
nombre d'heures qu'il leur plaît, cinq ou
six, dix ou douze et quelquefois pas une
heure dans la journée.
Bref, tous les ouvriers sont de plus en
plus irrités et contre la compagnie, qui les
paie mal, et contre les marchandeurs, qui
les tyrannisent.
De cela, il ressort évidemment que les ou-
vriers des Forges et Ateliers de Saint-Denis
sont très malheureux. Il en est de même,
d'ailleurs, de tous les travailleurs de cette
partie de la banlieue de Paris.
***
Je m'arrête là pour aujourd'hui. Demain
je terminerai cette série d'articles en reve-
nant sur la fameuse suppression des jetons
de vivres, au sujet de laquelle je me suis
procuré de nouveaux renseignements, et
sur la caisse de secours. On verra ce qui se
cache sous cette institution d'apparence
philanthropique.
CHARLES BOS.
———————— A —————————
LES ON-DIT
Les nouvelles décorations :
A l'occasion de l'exposition de Mos-
cou et sur la proposition du ministre du
commerce et de l'industrie, sont pro-
mus au grade d'officier :
MM. Aizelin, sculpteur; Ménier, in-
dustriel ; Georges Masson, éditeur.
Sont nommés chevaliers :
MM. Adam," Berteaux, Dupré, Gui-
gnard, Motte, Petitjean, Toudouze, pein-
tres ; Levillain, Paris, sculpteurs ; Lévy,
Valadon, graveurs; Braun, photographe;
Thiébaud, fondeur.
Du môme ministère, M. Muzet, prési-
dent du syndicat général de l'Union des
chambres syndicales, est nommé offi-
.cier.
***
Une légère amélioration s'est produite
dans l'état de M. d'Ennery. Le malade a
passé une assez bonne nuit ; toutefois la
fièvre persiste.
Dans la soirée, on ne relevait aucun
changement dans l'état du malade.
-***
M. Etienne Arago était hier un peu
mieux. Toutefois, vu le grand âge du
malade, son entourage se montre tou-
jours très inquiet.
***
Le bruit avait couru hier que M. Re-
nan était atteint de l'influenza et que son
Feuilleton du RAPPEL
DU 5 JANVIER
4 LE DRAME
'::'c DES 1
DEUX FRÈRES
-
- PROLOGUE
LE BOUDOIR SOUTERRAIN
II
L'attentat. — (Suite)
Antoinette tout à coup s'essuya les
veux et dit d'une voix douce et triste :
- — Monsieur, ayez pitié de moi! Je
vous assure que vous vous êtes mépris.
Je ne suis pas la femme que vous croyez.
Mon Dieu ! mon père, mon pauvre père,
qui m'attend, qui s'inquiète de ne pas me
voir revenir!. Il est vieux, monsieur,
malade; il n'a personne auprès de lui.
Oh! s'il savait. où je suis, ce qui m'ar-
rive, il mourrait du coup. — Monsieur,
monsieur! je suis une honnête fille, je
vous le jure. Je cherche à gagner ma
vie par mon travail, simplement. Oh!
vous allez me laisser partir, n'est-ce pas?
Tenez, je vous pardonnerai. quoique
ce que vous avez fait soit déjà bien mal.
N'importe, j'oublierai tout. Dès que j'au-
rai franchi le seuil de cette maison, je ne
Reproduction interdite.
.,. oir le Rappel du 1er au tjanvier,
me souviendrai plus de rien. Mais vous
allez être bon, vous allez me laisser
partir. Je vous en prie, je vous en sup-
plie. tenez, à genoux..,
Agenouillée, elle tendait vers le jeune
homme ses mains jointes, et dans ses
yeux humides se lisait tout ce que la
douleur peut ajouter de force à la prière.
— Si vous saviez comme vous êtes
belle ainsi! fit-il.
Son regard la fit frémir. Elle s'écria :
— Oh! j'ai peur!. Grâce! grâce!
Alors, d'un mouvement brusque, il la
saisit, l'attira contre lui. Elle eut un cri
terrible, se dégagea.
Il haussa les épaules.
— Bah! dit-il, prie-moi, injurie-moi!
Dans une si jolie bouche tous les mots
sont des caresses! Ah çà I tu ne com-
prends donc pas que je t'aime, que je
suis fou d'amour, et que je te veux!
Sortir d'ici? tu veux rire. Tu ne sortiras
pas avant d'être à moi.
— Au secours! cria-t-elle éperdue.
— Je t'ai déjà dit qu'appeler était inu-
tile.
- Misérable!. A moi!.
Elle raidissait ses bras et le repoussait ;
mais, la face congestionnée, les yeux
hors de la tête, un peu de bave aux com-
missures des lèvres, il revenait sans
cesse à la charge; et les forces de la
jeune fille s'épuisaient dans cette lutte
inégale.
— Tu seras à moi 1 disait-il d'une voix
sourde, tu seras à moi ! de gré ou de force.
Elle bégayait :
v - C'est un crime !. un crime r
— Allons donc !
Elle sentit sur son visage la chaleur
de son haleine; déjà il l'avait mordue
d'un baiser ; et comme, reculant devant
lui, elle se trouvait près de la table, elle
jeta soudain une exclamation de joie.
Elle venait de saisir un couteau.
— Je suis sauvée ! cria-t-elle.
Et, le. bras levé, elle allait se frapper.
Mais, prompt comme l'éclair, le jeune
homme s'était rué sur elle. Il lui saisit
le poignet et le tordit. Elle poussa une
plainte sourde.
Ses forces étaient à bout, le couteau
lui échappa des mains.
— Lâche!. lâche!. bégaya-t-elle.
Tout tournait autour d'elle; il lui sem-
bla que le ciel s'écroulait sur sa tête.
Elle perdit connaissance.
III
Coeurs brisés
Dans le petit logement qu'il habitait, au
troisième étage d'une des maisons les
plus vieilles de la rue Beethoven, en face
du mur de soutènement du boulevard
Delessert, M.Montferrat, l'ancien profes-
seur de mathématiques, l'inventeur déçu,
attendait sa fille.
Enveloppé d'un vieux pardessus de-
venu, à l'ancienneté, robe de chambre,
assis dans un fauteuil Voltaire hors d'u-
sage, il rêvassait doucement, dans une
sorte de somnolence.
A la suite de ses derniers échecs et des
revers de fortune qui en avaient été la
conséquence, ses facultés intellectuelles
s'étaient peu à peu affaibliès. Il avait
pris, ayant renoncé à la lutte, l'attitude
humble et résignée des vaincus. Même
les bonnes gens du quartier, voyant sa
tête branlante et ses yeux éteints, di-
saient : Il est en enfance.
Il vivait dans le passé, perdu dans des
souvenirs pleins d'amertume et de re-
grets.
Mais quand les ombres de la nuit eu-
rent tout à fait envahi la triste chambre
sans feu, dont l'aspect disait l'absolu dé-
nument de ceux qui l'habitaient, un fris-
son d'inquiétude commença à passer sur
le cœur du vieillard.
Que faisait donc Antoinette? Pourquoi
rester si tard dehors ? Voilà bien long-
temps qu'elle était partie!
— Mon Dieu! pourvu qu'il ne lui soit
rien arrivé!..
Le vieillard se leva, ouvrit la fenêtre.
La rue était déserte et silencieuse. Il
chercha, tâcha de se rappeler où Antoi-
nette lui avait dit qu'elle allait. N'avait-
elle pas parlé d'une lettre qu'elle avait
reçue? d'une dame qui s'intéressait à elle
et qui lui trouverait des leçons?
Huit heures sonnèrent.
Le père essayait de se raisonner, de se
dire qu'un retard est, après tout, chose
bien naturelle; qu'Antoinette pouvait
avoir été retenue. Il en arriva bientôt à
un degré d'agitation tel que, machinale-
ment, il sortit de chez lui pour aller voir
si sa fille ne revenait pas.
Il savait que, le plus souvent, elle pre-
nait le bateau-mouche, par économie. Il
marcha jusqu'au ponton qui se trouve
au bas de la rue Beethoven. •
Précisément un bateau arrivait. Le
vieillard, accoudé sur le parapet du quai,
regarda toutes les personnes qui débar-
quaient. Elles passèrent auprès de lui,
rapides. -
Antoinette n'y était pas.
L'homme du ponton s'était mis à dé-
crocher les lanternes qui indiquent l'em-
placement. M. Montferrat lui adressa la
parole, d'une voix que l'inquiétude fai-
sait plus tremblante etplus cassée encore
qu'à l'ordinaire.
— Est-ce que c'est le dernier bateau ?
— Et c'est pas trop tôt, malheur ! ré-
pondit le pontonier.
Il souffla la dernière lanterne. L'ombre
enveloppa le vieillard qui grelotta, mi-
sérable, devant le fleuve qui coulait,
noir et rapide, à ses pieds. Le vent froid
soulevait les longues mèches grises de
ses cheveux.
Tristement, à pas lourds, il remonta
la rue. Puis la pensée que peut-être An-
toinette avait pris le tramway et qu'elle
était arrivée, lui fit presser l'allure. Il
éprouva un chocdouloureux on retrou-
vant le logement vide et froid.
— Mais, où peut-elle être? balbutia-t-il
tout haut.
Il était glacé. Il referma la fenêtre, se
rassit, croisa sur sa maigre poitrine le
vieux pardessus. Il n'avait pas dîné,
mais n'y songeait pas.
Il attendait. Et mille pensées sinistres
assiégeaient son esprit; il se- représen-
tait Antoinette écrasée par une voiture,
ou tombée à l'éau. Il se faisait des repro-
ches, se disant qu'il ne -devrait nas être
là, qu'il lui faudrait courir au commissa-
riat de police, à là préfecture. Mais il
était si vieux, si faible. Et seul, tout
seul.
Le sentiment de son impuissance
l'écrasa. Des larmes coulaient silencieu-
sement le long de ses joues creuses.
Il restait l'oreille tendue, tressaillait au
moindre bruit, se dépêchait d'aller ou-
vrir la porte chaque fois qu'il lui sem-
blait entendre crier les marches de l'es-
calier vermoulu. Et, brisé, il revenait
s'asseoir défaillant.
Quelle heure était-il? Il ne savait plus.
Un profond gémissement s'exhala de sa
poitrine oppressée.
— Oh! je souffre trop!.
Mais presque au même instant, il eut
un grand frémissement, on marchait
dans le corridor; il alla bien vite ouvrir
et, tout joyeux, dit :
— Entre ! Ah ! si tu savais comme j'é-
tais inquiet.
Mais il s'arrêta ; ce n'était pas Antoi-
nette qtii était sur le seuil, c'était un
homme d'une soixantaine d'années, à
tournure militaire, la moustache grise
en brosse, le ruban jaune à liseré vert à
la boutonnière.
— Ah ! c'est vous, Nédonchel, mur-
mura M. Montferrat écrasé par cetta
déception nouvelle.
- Sans doute, c'est moi ! répondit le
nouveau venu. Qu'est-ce que vous avez?
Vous êtes inquiet?pourquoi ça?
MONTFERMElL,
lA suivrçj,
CINQ centimes le numéro
16 INivose an lUO - 7970
RÉDACTION
131, BUE MONTMARTRE, 131
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 4 a 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
IE8 MANUSCRITS NOS INSÉRÉS NE SERONT FAS RENDUS
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131, BUi: MONTMARTRE, 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C*
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
CN MOIB Z Fa.
r '[RUIS VOIS. () -
SIX MOIS. 9 FB.
UN AN. 1 8 -
Rédacteur en chef : AUGUSTE ÎACODERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN HOIS 2 PB.
TBOIS HOIS. 6 —
- - --
SIX mois 11 M.
UN AN. 20-
MIMES mm !
Si le comte de Paris a espéré que sa
lettre allait lui gagner le clergé, il a
dû s'apercevoir vite que ses avances
et ses platitudes étaient en pure perte.
C'est de très haut que VUnivers lui ré-
pond.
Le journal des sacristies veut bien
reconnaitre que le comte de Paris a
été aussi plat qu'il est possible, qu'il a
même totalement lâché l'orléanisme :
— « L'ancien parti orléaniste, tête et
bras aujourd'hui du parti royaliste
et si passionné autrefois contre Rome,
reçoit là une leçon qui, pour être invo-
lontairement donnée, a tout de même
son prix. » Le comte de Paris, « en-
traîné par son sujet », s'est fait l'hum-
ible serviteur « non seulement de la
;religion, mais de l'Eglise ». — « Nous
Tie sommes plus une clientèle inféodée
aux monarchistes, des auxiliaires qui
doivent suivre ; nous sommes nous-
mêmes, et l'on nous presse de ne pas
nous écarter. » Les auxiliaires sont de-
venus les chefs, ce sont eux qu'on suit,
et c'est la monarchie qui est inféodée
à l'épiscopat.
Mais alors l'Eglise doit être contente ?
elle doit voir dans la monarchie le
régime de ses rêves? elle doit bénir et
sanctifier le comte de Paris ? — Je t'en
fiche !
L'Eglise ne se livre pas avec cette
'facilité. L'.Eglise (, est au-dessus des par-
tis politiques et n'entend se lier
avec aucun d'eux ». D'ailleurs, « elle
voit très bien que sous le chré-
tien perce le prétendant et que le
comte de Paris promet plus que
son parti ne voudrait et ne pour-
rait même tenir. » Elle se souvient
qu' « elle a eu à se plaindre de Louis-
Philippe, non moins que de Napo-
léon Ier et de Napoléon III », et ce sou-
venir la rend froide pour toutes les
formes de la monarchie. Elle ne tient
pas à un gouvernement plus qu'à un
autre. Que la République lui donne
plus que la monarchie, et ce soir elle
sera républicaine ; elle est raisonnable;
est une simple question de suren-
chère.
Ah ! si le comte de Paris pouvait
être un Charles X ! 6i 1892 pouvait
retourner à 1825 ! Alors la situation
du clergé était telle qu'il en abusait et
que deux catholiques éprouvés échan-
geaient ces lettres que je relis dans le
Voltaire :
M. de Montlosier à Chateaubriand :
; - « La France vous doit beaucoup,
il faut qu'elle vous doive davantage.
Elle a recouvré de vous l'amour de la
religion de ses pères ; il faut lui con-
server ce bienfait, et pour cela il faut
la préserver de l'erreur de ses prêtres,
préserver ces prêtres eux-mêmes de la
pente funeste où ils sont placés. C'est
de la prépondérance ecclésiastique, se
disant religieuse, qu'il nous reste à
préserver le roi et l'Etat. »
Chateaubriand à M. de Montlosier :
— « Je hais comme vous les asso-
ciations d'hypocrites qui ne cherchent
à l'autel que le pouvoir. »
Mais, YUnivcrs le dit justement, le
comte de Paris a beau promettre au
clergé de lui rendre cette domination
qui révoltait jusqu'à l'auteur du Génie
du christianisme, le clergé sait bien
que cela ne dépend pas du comte de
Paris ni de personne. C'est pourquoi
les promesses du « prétendant, qui
perce sous le chrétien » touchent mé-
diocrement ceux qu'il appelle à son
aide. C'est pourquoi, lorsqu'il làche
« l'ancien parti orléaniste », lorsqu'il
se présente comme le roi des curés,
lorsqu'il s'engage à ne tenir aucun
compte de la volonté du pays et à suppri-
mer, en cas d'élections anti-cléricales,
le suffrage universel, et même le suf-
frage restreint, il n'obtient, même
dans les sacristies, qu'un succès de
vive hilarité.
« La lettre de M. le comte de Paris
laissera donc les choses en l'état »,
conclut l'Univers. Conclusion sévère,
mais juste. Traduction polie du mot
de Gros-René :
Et ta lettre, tu sais ce que j'en saurai faire !
AUGUSTE VACQUERIE.
SCANDALE ET SCHISME-
Quand le Gaulois a publié la note où
M. Paul de Cassagnac était blâmé et
qu'on a généralement attribuée au nonce
du pape, M. Paul de Cassagnac a répondu
que la note n'était pas du nonce, qui
n'aurait pas pris pour confident et pour
porte-parole le rédacteur du Gaulois,
un israélite.
Quand le Moniteur de Rome, qui passe
pour être au mieux avec le Vatican, a
répété, en d'autres termes, la note du
Gaulois, M. de Cassagnac a répondu que
le Moniteur de Rome était « un journal
qu'il avait étrillé », une « basse officine
d'intrigues et de mensonges », l'organe
« d'un Prussien et d'un Suisse », une
« feuille dont le ton grossier rappelait la
rédaction des plus sales journaux de Ber-
lin », et qu' « y chercher la parole du
Saint-Père était une absurdité digne des
journaux républicains ».
Mais voici le journal officiel du Vati-
can, l'Osservatore romano, qui redit, et
dans des termes plus vifs, ce qu'avaient
dit le Gaulois et le Moniteur de Rome.
U Osservatore refuse de « considérer
comme un vrai zèle celui qui pousse un
homme se disant défenseur de la foi à
faire une amère censure de la conduite
du Saint-Siège et de ses représentants,
en ce qui regarde les intérêts religieux ;
à jeter des injures et du discrédit sur les
prélats respectables qui ne font pas tout
ce que voudrait le journaliste, et à pous-
ser les fidèles à la révolte contre la légi-
time autorité ecclésiastique. »
Le rédacteur de XAutorité avait dit que
les « vrais catholiques » étaient ceux qui
pensent et qui agissent comme lui.
-«Les vrais catholiques, lui répond le
journal du pape, savent qu'ils doivent
obéissance et soumission complète au
souverain pontife et à ses représentants,
surtout en ce qui sert à déterminer les
rapports entre l'Eglise et l'Etat, qui en
France, sont réglés par le Concordat. Au-
cun vrai catholique ne doit douter que
cette matière ne soit uniquement réser-
vée au pontife, qui en a fixé les bases et
y a apposé son auguste signature avec
celle du chef d'Etat. »
L'Osservatore « veut espérer que M. de j
Cassagnac réfléchira avant de continuer
à semer le scandale et le schisme et à
rendre service aux ennemis de la reli-
gion ».
Schisme et scandale, c'est raide.
Si nous en croyons le Temps, l'impor-
tance de cette note s'augmenterait de ce
qu'avant d'être publiée elle aurait été
communiquée par le Vatican à l'ambas-
sade de France.
Nous avons ouvert ce matin Y Autorité
avec la curiosité de voir ce que M. de
Cassagnac allait répondre et quelle qua-
lification, ayant qualifié le directeur du
Gaulois d'israélite et le rédacteur, du
Moniteur de Rome de Prussien, il allait
décerner au pape.
Il ne lui décerne rien. Il ne répond pas.
L'Autorité ne publie pas la note. Elle n'y
fait pas même allusion.
Elle en parlera sans doute un de ces
jours. Mais le coup est rude, et nous
comprenons qu'il faille un peu de temps
pour s'en remettre.
MORT D'ÉMILE DE LAVELEYE
Emile de Laveleye, le professeur d'é-
conomie politique si connu de l'univer-
sité de Liège, est mort hier. Avec lui
disparaît l'un des économistes les plus
brillants de ce siècle. C'est aussi une
noble figure, un caractère élevé et géné-
reux de moins.
Economiste ! L'était-il jusqu'au bout,
Emile de Laveleye? Il l'a toujours affir-
mé et n'a jamais voulu accepter d'autre
qualificatif. Il était cependant plus que
cela — ses nombreux ouvrages l'attes-
tent - car il s'était proclamé internatio-
naliste. Par cette déclaration, maintes
fois répétée, il s'était donc classé lui-
même à distance égale de l'économie
politique et du socialisme. Je dirai même
que, souvent, il a franchi cette limite en
émettant des idées de collectivisme
agraire, ce qui est la négation même
des doctrines des économistes.
En lui, le socialisme fait donc une
perte douloureuse, au moins-autant que
l'économie politique..
Ce penseur de grande envergure était
également un styliste admirable. Il écri-
vait dans cette langue si belle, si précise
et si claire des économistes et des philo-
sophes du XVIIIe siècle. Sous sa plume,
le français avait-une allure souple et non
cette forme pédante, parfois boursouflée
et souvent ennuyeuse des économistes
de nos jours.
Quelques-uns des ouvrages d'Emile de
Laveleye ont eu dans le monde entier un
écho retentissant. Ses Origines de la pro-
priété et son Socialisme contemporain,
dans lesquels le professeur belge, allant
hardiment de l'avant, constate l'évolu-
tion de la propriété et plaide avec émo-
tion la cause du prolétariat, ont valu aux
doctrines socialistes de nombreux adhé-
rents.
La mort d'Emile de Laveleye provo-
quera dans tous les milieux scientifiques
une vive émotion. Mais c'est surtout en
Belgique qu'elle suscitera d'unanimes
regrets. Chez nos voisins, personne n'i-
gnorait son nom, et tout le monde avait
appris à respecter et à admirer ce savant
éminent qui consacra sa vie à l'étude des
questions sociales et évita avec soin de
se mêler à la lutte ardente des partis.
Emile de Laveleye avait cependant re-
noncé à cette réserve depuis que la ques-
tion de la-révision a commencé à pas-
sionner la Belgique; Il y a quelque temps,
il plaidait-le devoir du roi d'appeler le
peuple à manifester son avis à ce sujet
par la voie du referendum.
Emile de Laveleye est mort à Doyon,
près de Namur, chez un de ses amis, M.
Bocquet, auprès duquel il s'était rendu
avant-hier. Il souffrait, depuis plusieurs
jours, d'une pneumonie, qui s'est subite-
ment aggravée, après un travail de quel-
ques heures.
Né à Bruges, le 5 avril 1822, E. de La-
veleye fit ses études dans cette ville, les
compléta à Paris, au collège Stanislas,
étudia le droit à Gand, puis, à partir de
1848, se lança dans l'économie politique.
En 1864, Laveleye fut nommé profes-
seur d'économie politique à l'Université
de Liège, où sa parole élégante et sa
science profonde le mirent tout de suite
hors de pair. En 1867, il représenta la
Belgique au jury international de l'Expo-
sition universelle, dans la section de
peinture, et y remplit les fonctions de
secrétaire.
Emile de Laveleye a voyagé dans toute
l'Europe dont il connaissait mieux que
personne l'état politique et social. Il était,
du reste, membre correspondant d'une
foule d'académies.
Un trait commun au défunt et à M.
Gladstone : accablé sous le poids d'une
énorme correspondance quotidienne, M.
E. de Laveleye répondait à tous ses cor-
respondants par des notes rapides, pres-
que télégraphiques, jetées hâtivement
sur une carte postale.
Outre les ouvrages que j'ai cités, je
dois encore signaler parmi les nom-
breuses publications de Laveleye : His-
toire des rois francs, VArmée et l'Ensei-
gnelnent, l'Enseignement obligatoire,
Question de l'or, Etudes d'économie ru-
rale, le Marché monétaire depuis cin-
quante ans, l'Autriche depuis Sadowa,
XInstruction du peuple, De la propriété,
Précis d'économie politique, etc.
C. B.
L'AGENDA Du RAPPEL
C'est la semaine du jour de l'an. Cha-
que lecteur du RAPPEL voudra joindre
à son cadeau de jour de l'an le don d'un
Agenda du RAPPEL. Tous les dépôts
d Agendas ont été renouvelés chez les
marchands de Paris et de la banlieue.
Nous engageons donc nos lecteurs à en
profiter le plus vite possible. Prix de
l'Agenda, Paris et banlieue 0 fr. 50, par
la poste 0 fr. 70.
LES COCHERS DE FIACRE
Tous les ans, aux jours où les Parisiens
affairés par une circonstance quelconque,
fête du 1er janvier ou course du Grand-Prix,
ont la coutume de requérir un plus grand
nombre de fiacres qu'à l'ordinaire, une
grève partielle de cochers se produit, qui
appelle l'attention du public sur les condi-
tions de salaire de cette catégorie de tra-
vailleurs. -
La cause du conflit est toujours la même :
les cochers se plaignent que !es compagnies
leur réclament une moyenne trop élevee.
Le public n'est pas trop sympathique aux
cochers de fiacre, avec lesquels il a trop
souvent maille à partir.
La situation des cochers mérite cepen-
dant un vif intérêt, car c'est une des plus
rudes et des plus malsaines, ainsi que l'a
démontré M. Bertillon, il y a huit jours, à
l'Académie de médecine, puisque c'est la
profession où la mortalité est la plus grande.
Le malheur pour les cochers, c'est qu'ils
sont les intermédiaires forcés d'une exploi-
tation odieuse dont le public les rend res-
ponsables.
Astreints, en effet, à travailler à un tarif
qu'ils n'ont pas le droit de débattre, ils sont
placés, par la compagnie ou les loueurs qui
les emploient, dans l'alternative suivante :
ou s'exposer à faire une recette insuffisante,
ou extorquer aux voyageurs un prix supé-
rieur à celui fixé par les règlements.
Le malin, avant de partir, le cocher doit
verser à la compagnie une somme qui varie
entre 18 et 22 francs, représentant un tra-
vail sans interruption de dix à onze heures;
soit, en déduisant le temps des repas, celui
passé à la station ou à la recherche de voya-
geurs, une journée de quatorze à quinze
heures, dont le produit tout entier est dû à
leurs patrons. Les pourboires à cinq sous de
l'heure étant insuffisants pour leur assurer
un salaire convenable, ils doivent donc pro-
longer encore leur journée qui est le plus
souvent de seize à dix-huit heures.
Est-il étonnant, dans de semblables con-
ditions, qu'ils ne soient pas toujours d'une
urbanité exquise et qu'ils s'efforcent même
parfois d'en conter à leurs cliénts?
Ce sont les compagnies qui doivent être
rendues responsables des abus dont le pu-
blic se plaint. C'est elles qui poussent à la
violation du règlement.
La vérité, c'est que le cocher, soumis a
des règles de police municipale strictes,
n'est pas protégé par elles, et qu'il y a là
une lacune à combler. Le service des co-
chers de fiacre est un service municipal. En
leur interdisant de débattre avec le voya-
geur le prix de leur travail, la municipalité
a le devoir de leur assurer un salaire équi-
table, que les compagnies ne peuvent pas
plus refuser de leur donner qu'elles ne peu-
vent se refuser à respecter les tarifs établis.
Cette solution est la seule rationnelle. En
attendant qu'elle soit appliquée, tout hom-
me impartial ne peut que déplorer la situa-
tion des cochers et souhaiter que les com-
pagnies se montrent plus justes, en n'exi-
geant pas d'eux des moyennes trop élevées.
Tout le monde y gagnera : les cochers
d'abord, le public ensuite, et les compa-
gnies elles-mêmes.
GUSTAVE ROUANET.
P.-S. — On trouvera plus loin le compte-
rendu des démarches effectuées hier par les
cochers grévistes.
AUX FORGES
ET ATELIERS DE SAINT-DENIS
Le système de travail employé par la
Société générale des Forges et ateliers de
Saint-Denis n'est autre que le marchan-
dage. C'est le système qui, au point de vue
social, présente le plus d'inconvénients. Il
se prête admirablement à l'exploitation des
ouvriers.
Voici ce que m'a dit à ce sujet le chef du
contrôle de la compagnie (j'expose sans dis-
cuter).
— « Tous nos hommes sont répartis en
équipes, dans les ateliers. A leur tête se
trouve un chef d'équipe qui est un employé
de la société; vient immédiatement après
le contre-maître, aux gages également de la
société. Enfin, au-dessous, c'est le marchan-
deur qui règle (?) avec le directeur les con-
ditions du travail. Le marchandeur traite
au nom de tous ses hommes. Nous ne con-
naissons que lui.
» Les choses se passent de la façon sui-
vante : le directeur fixe tel prix pour tel
travail, après entente avec le chef d'équipe
et le contremaître. De son côté le marchan-
deur déclare s'il accepte ou non. Dans le
premier cas, c'est qu'il croit que le tarif est
rémunérateur ; dans le second, on discute à
nouveau le prix.
» Tous nos ouvriers travaillent en ce mo-
ment douze heures, en été très souvent
treize heures. Ils ont une heure pour dé-
jeuner dans la saison actuelle, une heure et
demie aux longs jours.
» Ils sont payés à l'heure, c'est-à-dire que
la compagnie leur assure tant par heure
sans compter la part à laquelle ils ont droit,
le cas échéant, sur les bénéfices que laisse
le travail entrepris par l'équipe.
-- ***
» Les marchandeurs, bien entendu, ont
droit à une taxe supérieure à celle des ou-
vriers.
» Les menuisiers ont de 55 à 70 centimes
par heure, les scieurs de 60 à 65 c.; notre
scieur à la toupie — travail des plus dan-
gereux — 80 c., les charrons 55 c., les chau-
dronniers de 60 à 70 c., les forgerons 60, 70
et 75 c., les zingueurs de 50 à 70 c., les pla-
neurs de tôle 80 c., les tôliers 40, 45, 50 et
60 c., les peintres en voiture 55 c., les pein-
tres de ferrures de wagons, les tapissiers
70 c.; les ajusteurs de portières 55 et 60 c.,
les monteurs 55 c.
» Les charpentiers en bois ou en fer qui
travaillent aux bateaux ont 60 et 65 c., les
monteurs 50 et 55 c., les riveurs 55 c., les
teneurs de tas 40 et 45 c., les chauffeurs de
clous 25 et 30 c.
»Les apprentis. et jeunes gens reçoivent,
suivant leur habileté, 20, 25, 30 et 40 c.
« Je puis, a ajouté le chef du contrôle,
affirmer que ces conditions de travail plai-
sent à notre personnel qui n'a jamais élevé
de protestation à leur sujet ».
A
Voilà le langage de la société, celui des
ouvriers est bien différent.
Avant de l'indiquer, je voudrais dire quel-
ques mots sur le marchandage en usage
aux Forges et Ateliers.
On connaît les inconvénients propres à ce
genre de travail. Pour avoir un bénéfice,
l'ouvrier s'exténue réellement et il est rare
qu'il puisse se faire la journée sur laquelle
il compte. Ceci est relatif exclusivement au
marchandeur, à l'ouvrier qui, à SainL.
Denis, prend l'ouvrage à son compte, car,
seul le marchandeur a droit, contrairement
aux assertions du chef du contrôle, aux
bonis, son équipe devant se contentcr de la
taxe par heure.
Mais, si l'on regardait comme vraies les
déclarations de la compagnie, le marchan-
deur serait un véritable autocrate qui ferait
une répartition injuste, ne donnant rien ou
peu de chose aux ouvriers qu'il détesterait,
avantageant au contraire ses amis, après
avoir prélevé la part du lion.
Les conditions du travail au lieu d'être
excellentes, seraient donc tout simplement
immorales.
.-.
Je passe maintenant aux explications
qui m'ont été fournies par les ouvriers.
Ils ne reçoivent jamais de bonis. Sur ce
point ils sont unanimes. C'est le marchan-
deur qui les empoche, quand il y en a.
Dans ces conditions, pourquoi la paie
n'a-l-elle pas été faite le 31, puisqu'il ne
s'agissait que d'heures à additionner et i
solder?
D'après les ouvriers que j'ai vus, les mar-
chandeurs seraient pour la plupart mar-
chands de vins, logeurs, etc., choisiraient,
par conséquent, de préférence, des ouvriers
non mariés qu'ils peuvent contraindre de
prendre une chambre chez eux et d'y dé-
penser le plus clair de leur argent. De plus,
ils feraient travailler leurs, hommes le
nombre d'heures qu'il leur plaît, cinq ou
six, dix ou douze et quelquefois pas une
heure dans la journée.
Bref, tous les ouvriers sont de plus en
plus irrités et contre la compagnie, qui les
paie mal, et contre les marchandeurs, qui
les tyrannisent.
De cela, il ressort évidemment que les ou-
vriers des Forges et Ateliers de Saint-Denis
sont très malheureux. Il en est de même,
d'ailleurs, de tous les travailleurs de cette
partie de la banlieue de Paris.
***
Je m'arrête là pour aujourd'hui. Demain
je terminerai cette série d'articles en reve-
nant sur la fameuse suppression des jetons
de vivres, au sujet de laquelle je me suis
procuré de nouveaux renseignements, et
sur la caisse de secours. On verra ce qui se
cache sous cette institution d'apparence
philanthropique.
CHARLES BOS.
———————— A —————————
LES ON-DIT
Les nouvelles décorations :
A l'occasion de l'exposition de Mos-
cou et sur la proposition du ministre du
commerce et de l'industrie, sont pro-
mus au grade d'officier :
MM. Aizelin, sculpteur; Ménier, in-
dustriel ; Georges Masson, éditeur.
Sont nommés chevaliers :
MM. Adam," Berteaux, Dupré, Gui-
gnard, Motte, Petitjean, Toudouze, pein-
tres ; Levillain, Paris, sculpteurs ; Lévy,
Valadon, graveurs; Braun, photographe;
Thiébaud, fondeur.
Du môme ministère, M. Muzet, prési-
dent du syndicat général de l'Union des
chambres syndicales, est nommé offi-
.cier.
***
Une légère amélioration s'est produite
dans l'état de M. d'Ennery. Le malade a
passé une assez bonne nuit ; toutefois la
fièvre persiste.
Dans la soirée, on ne relevait aucun
changement dans l'état du malade.
-***
M. Etienne Arago était hier un peu
mieux. Toutefois, vu le grand âge du
malade, son entourage se montre tou-
jours très inquiet.
***
Le bruit avait couru hier que M. Re-
nan était atteint de l'influenza et que son
Feuilleton du RAPPEL
DU 5 JANVIER
4 LE DRAME
'::'c DES 1
DEUX FRÈRES
-
- PROLOGUE
LE BOUDOIR SOUTERRAIN
II
L'attentat. — (Suite)
Antoinette tout à coup s'essuya les
veux et dit d'une voix douce et triste :
- — Monsieur, ayez pitié de moi! Je
vous assure que vous vous êtes mépris.
Je ne suis pas la femme que vous croyez.
Mon Dieu ! mon père, mon pauvre père,
qui m'attend, qui s'inquiète de ne pas me
voir revenir!. Il est vieux, monsieur,
malade; il n'a personne auprès de lui.
Oh! s'il savait. où je suis, ce qui m'ar-
rive, il mourrait du coup. — Monsieur,
monsieur! je suis une honnête fille, je
vous le jure. Je cherche à gagner ma
vie par mon travail, simplement. Oh!
vous allez me laisser partir, n'est-ce pas?
Tenez, je vous pardonnerai. quoique
ce que vous avez fait soit déjà bien mal.
N'importe, j'oublierai tout. Dès que j'au-
rai franchi le seuil de cette maison, je ne
Reproduction interdite.
.,. oir le Rappel du 1er au tjanvier,
me souviendrai plus de rien. Mais vous
allez être bon, vous allez me laisser
partir. Je vous en prie, je vous en sup-
plie. tenez, à genoux..,
Agenouillée, elle tendait vers le jeune
homme ses mains jointes, et dans ses
yeux humides se lisait tout ce que la
douleur peut ajouter de force à la prière.
— Si vous saviez comme vous êtes
belle ainsi! fit-il.
Son regard la fit frémir. Elle s'écria :
— Oh! j'ai peur!. Grâce! grâce!
Alors, d'un mouvement brusque, il la
saisit, l'attira contre lui. Elle eut un cri
terrible, se dégagea.
Il haussa les épaules.
— Bah! dit-il, prie-moi, injurie-moi!
Dans une si jolie bouche tous les mots
sont des caresses! Ah çà I tu ne com-
prends donc pas que je t'aime, que je
suis fou d'amour, et que je te veux!
Sortir d'ici? tu veux rire. Tu ne sortiras
pas avant d'être à moi.
— Au secours! cria-t-elle éperdue.
— Je t'ai déjà dit qu'appeler était inu-
tile.
- Misérable!. A moi!.
Elle raidissait ses bras et le repoussait ;
mais, la face congestionnée, les yeux
hors de la tête, un peu de bave aux com-
missures des lèvres, il revenait sans
cesse à la charge; et les forces de la
jeune fille s'épuisaient dans cette lutte
inégale.
— Tu seras à moi 1 disait-il d'une voix
sourde, tu seras à moi ! de gré ou de force.
Elle bégayait :
v - C'est un crime !. un crime r
— Allons donc !
Elle sentit sur son visage la chaleur
de son haleine; déjà il l'avait mordue
d'un baiser ; et comme, reculant devant
lui, elle se trouvait près de la table, elle
jeta soudain une exclamation de joie.
Elle venait de saisir un couteau.
— Je suis sauvée ! cria-t-elle.
Et, le. bras levé, elle allait se frapper.
Mais, prompt comme l'éclair, le jeune
homme s'était rué sur elle. Il lui saisit
le poignet et le tordit. Elle poussa une
plainte sourde.
Ses forces étaient à bout, le couteau
lui échappa des mains.
— Lâche!. lâche!. bégaya-t-elle.
Tout tournait autour d'elle; il lui sem-
bla que le ciel s'écroulait sur sa tête.
Elle perdit connaissance.
III
Coeurs brisés
Dans le petit logement qu'il habitait, au
troisième étage d'une des maisons les
plus vieilles de la rue Beethoven, en face
du mur de soutènement du boulevard
Delessert, M.Montferrat, l'ancien profes-
seur de mathématiques, l'inventeur déçu,
attendait sa fille.
Enveloppé d'un vieux pardessus de-
venu, à l'ancienneté, robe de chambre,
assis dans un fauteuil Voltaire hors d'u-
sage, il rêvassait doucement, dans une
sorte de somnolence.
A la suite de ses derniers échecs et des
revers de fortune qui en avaient été la
conséquence, ses facultés intellectuelles
s'étaient peu à peu affaibliès. Il avait
pris, ayant renoncé à la lutte, l'attitude
humble et résignée des vaincus. Même
les bonnes gens du quartier, voyant sa
tête branlante et ses yeux éteints, di-
saient : Il est en enfance.
Il vivait dans le passé, perdu dans des
souvenirs pleins d'amertume et de re-
grets.
Mais quand les ombres de la nuit eu-
rent tout à fait envahi la triste chambre
sans feu, dont l'aspect disait l'absolu dé-
nument de ceux qui l'habitaient, un fris-
son d'inquiétude commença à passer sur
le cœur du vieillard.
Que faisait donc Antoinette? Pourquoi
rester si tard dehors ? Voilà bien long-
temps qu'elle était partie!
— Mon Dieu! pourvu qu'il ne lui soit
rien arrivé!..
Le vieillard se leva, ouvrit la fenêtre.
La rue était déserte et silencieuse. Il
chercha, tâcha de se rappeler où Antoi-
nette lui avait dit qu'elle allait. N'avait-
elle pas parlé d'une lettre qu'elle avait
reçue? d'une dame qui s'intéressait à elle
et qui lui trouverait des leçons?
Huit heures sonnèrent.
Le père essayait de se raisonner, de se
dire qu'un retard est, après tout, chose
bien naturelle; qu'Antoinette pouvait
avoir été retenue. Il en arriva bientôt à
un degré d'agitation tel que, machinale-
ment, il sortit de chez lui pour aller voir
si sa fille ne revenait pas.
Il savait que, le plus souvent, elle pre-
nait le bateau-mouche, par économie. Il
marcha jusqu'au ponton qui se trouve
au bas de la rue Beethoven. •
Précisément un bateau arrivait. Le
vieillard, accoudé sur le parapet du quai,
regarda toutes les personnes qui débar-
quaient. Elles passèrent auprès de lui,
rapides. -
Antoinette n'y était pas.
L'homme du ponton s'était mis à dé-
crocher les lanternes qui indiquent l'em-
placement. M. Montferrat lui adressa la
parole, d'une voix que l'inquiétude fai-
sait plus tremblante etplus cassée encore
qu'à l'ordinaire.
— Est-ce que c'est le dernier bateau ?
— Et c'est pas trop tôt, malheur ! ré-
pondit le pontonier.
Il souffla la dernière lanterne. L'ombre
enveloppa le vieillard qui grelotta, mi-
sérable, devant le fleuve qui coulait,
noir et rapide, à ses pieds. Le vent froid
soulevait les longues mèches grises de
ses cheveux.
Tristement, à pas lourds, il remonta
la rue. Puis la pensée que peut-être An-
toinette avait pris le tramway et qu'elle
était arrivée, lui fit presser l'allure. Il
éprouva un chocdouloureux on retrou-
vant le logement vide et froid.
— Mais, où peut-elle être? balbutia-t-il
tout haut.
Il était glacé. Il referma la fenêtre, se
rassit, croisa sur sa maigre poitrine le
vieux pardessus. Il n'avait pas dîné,
mais n'y songeait pas.
Il attendait. Et mille pensées sinistres
assiégeaient son esprit; il se- représen-
tait Antoinette écrasée par une voiture,
ou tombée à l'éau. Il se faisait des repro-
ches, se disant qu'il ne -devrait nas être
là, qu'il lui faudrait courir au commissa-
riat de police, à là préfecture. Mais il
était si vieux, si faible. Et seul, tout
seul.
Le sentiment de son impuissance
l'écrasa. Des larmes coulaient silencieu-
sement le long de ses joues creuses.
Il restait l'oreille tendue, tressaillait au
moindre bruit, se dépêchait d'aller ou-
vrir la porte chaque fois qu'il lui sem-
blait entendre crier les marches de l'es-
calier vermoulu. Et, brisé, il revenait
s'asseoir défaillant.
Quelle heure était-il? Il ne savait plus.
Un profond gémissement s'exhala de sa
poitrine oppressée.
— Oh! je souffre trop!.
Mais presque au même instant, il eut
un grand frémissement, on marchait
dans le corridor; il alla bien vite ouvrir
et, tout joyeux, dit :
— Entre ! Ah ! si tu savais comme j'é-
tais inquiet.
Mais il s'arrêta ; ce n'était pas Antoi-
nette qtii était sur le seuil, c'était un
homme d'une soixantaine d'années, à
tournure militaire, la moustache grise
en brosse, le ruban jaune à liseré vert à
la boutonnière.
— Ah ! c'est vous, Nédonchel, mur-
mura M. Montferrat écrasé par cetta
déception nouvelle.
- Sans doute, c'est moi ! répondit le
nouveau venu. Qu'est-ce que vous avez?
Vous êtes inquiet?pourquoi ça?
MONTFERMElL,
lA suivrçj,
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