Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-08-08
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 79956 Nombre total de vues : 79956
Description : 08 août 1891 08 août 1891
Description : 1891/08/08 (N7820). 1891/08/08 (N7820).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75443927
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
No 7820 — samedi 8 Août 1891
1
21 Thermidor an 99 — N 7820 -
CINQ centimes le numéro
RÉDACTION
131, RUE MONTMABTBE, 131
j'ADRESSER AU SECRETAIRE DE LA REDACTION
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
-
j:æS MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SERONT PAS RENDUS
ADMINISTRATION
131; RUJIMONTMARTBBJ 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et O
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
UN mois 2 Fa.
TROIS HOI8. 6 -
SIX MOIS 9 PB.
UN Al(. 18-
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS 2 FB.
TROIS MOIS 6 —
SIX MOIS 11 FB.
UN AN. 20 -
, Les bureaux du RAPPEL (rédac-
lion et administration), sont trans-
férés 131, rue Montmartre.
Le RAPPEL est entièrement im-
jprimé en caractères neufs.
AUGUSTE VITU
- Le Rappel aura plus d'une fois Jcca-
Sion de reparler de l'écrivain recette
qui vient de nous quitter ; mais Je lui
dois un souvenir personnel.
Il y a bien des années, deux tout
jeunes gens sonnèrent à la porte d'une
'chambre que j'habitais, dans une rue
¡qui s'appelle aujourd'hui je ne sais
comment et qui s'appelait alors rue
Mes Trois-Pistolets, située entre l'Arse-
nal, où Charles Nodier était bibliothé-
caire, et la place Royale, où Victor
^lugo était — Victor Hugo..
f J'allai ouvrir, étant alors mon seul
domestique.
Les deux tout jeunes gens se nom-
anèrent. L'un s'appelait Théodore de
Banville et l'autre Auguste Vitu.
? Ils venaient m'inviter à une soirée
qu'ils donnaient à un quatrième étage
'de la rue Bréda, dans un petit appar-
tement qu'ils louaient en commun.
S'y entendrais Pierre Dupont chanter
ses chansons, dont le succès venait
d'éclater, les Bœufs, les Louis d'or, etc.
Je m'empressai d'accepter leur invi-
tation, un peu pour Pierre Dupont,
beaucoup pour eux.
Ils me demandèrent à quoi je travail-
lais. Je leur répondis que c'était à une
iplece dont j'avais déjà fait deux actes.
ils me demandèrent de la leur lire. Ce
fut la première lecture de Tragaldabas.
Je me suis rappelé cette première
visite d'Auguste Vitu en lisant tout à
l'heure dans le Figaro que sa dernière,
visite a été pour moi.
,,' — « Jusqu'au dernier moment », dit
kM. 1 Francis Magnard, « par un scru-
pule professionnel qu'on ne saurait
trop louer, il a voulu remplir la fonc-
tion qu'il considérait comme un de-
voir; le mal seul, plus fort que sa vo-
lonté, l'a empêché de rendre compte
de la reprise de Souvent homme varie,
la dernière représentation à laquelle il
ait assisté. »
f Nous avons enterré Théodore de
fBanville le 16 mars; nous enterrons
[Auguste Vitu le 7 août. Ils ont eu
Ae même appartement, ils meurent la
Yniême année.
Personne plus qu'eux n'était de re-
lations sûres. Du premier au dernier
flour, je les ai trouvés les mêmes. Du
icôté de Banville, il n'y avait rien qui
jpût nous séparer, mais Vitu avait un
jidéal de gouvernement qui était le
;contraire du mien. Il oubliait ma haine
-de l'empire lorsqu'il avait à parler
d'une de mes pièces ou d'un de mes
livres.
Un hommage à lui rendre, c'est
que son bonapartisme ne l'empêcha
pas de glorifier, en plein empire, l'au-
teur de Napoléon-le-Petit et des Châ-
timents.
Depuis plusieurs mois, on n espérait
plus. On sentait que c'était la fin, à le
voir, aux premières représentations,
maigri, affaissé, comme n'en pouvant
plus. Lui-même ne se faisait plus d'il-
lusions. L'autre semaine, j'essayais de
le réconforter : — C'est inutile, me ré-
pondait-il en souriant tristement. Je
sais la vérité. Je ne mange plus. Le
reste de ma force s'en va jour à jour.
Je vous dis adieu.
C'était bien, en effet, un adieu qu'il
me disait. Apeine quelques jours après,
« vendredi soir, en sortant de la Co-
médie-Française, il était assis devant
son bureau, dictant le compte-rendu
de la reprise de son ami Vacquerie,
quand soudain sa parole s'embarrassa,
sa pensée devint confuse : l'anémie
cérébrale venait de se déclarer». (Fi-
garo. )
Ce n'est pas seulement l'ami à toute
épreuve que je regrette, c'est égale-
ment l'écrivain de haute valeur, l'éru-
dit, l'historien, le critique surtout.
Quand on pense que ces beaux comptes-
rendus de drames, de comédies et
d'opéras, si nets, si profonds souvent,
toujours d'une forme si solide, il les
écrivait au sortir des représentations,
de représentations qui avaient fini quel-
quefois à une heure du matin ! Aucune
ttace de fatigue, et rien de l'improvisa-
tion — que le mouvement et la vie.
Il était né dans le grand moment
littéraire. De là, ce goût et cette com-
préhension du grand par lesquels il
tranchait sur une époque qui préfère
le moyen, le joli, le « parisianisme »,
ce qu'on pourrait appeler la comédie
de chevalet. Théo hile Gautier, Paul
de Saint-Victor, Auguste Vitu, trois
morts que la haute critique pleurera
longtemps.
AUGUSTE VACQUERIE.
LA LAICISATION DES ECOLES
Le 1er octobre prochain, jour de la ren-
trée des classes dans les écoles primai-
res, verra l'achèvement d'une réforme
considérable : la laïcisation complète des
écoles publiques de garçons.
C'est ce jour-là, en effet, qu'expire le
délai des cinq années fixé par l'art. 18 de
la loi du 30 octobre 1886 pour la substi-
tution du personnel laïque au personnel
congréganiste dans les écoles de gar-
çons. Cette œuvre de laïcisation s'est
effectuée progressivement depuis cinq
années, si bien que le dernier effort res-
tant à faire est très léger. Sur 52,000 in-
stituteurs publics des diverses catégo-
ries, il ne reste plus que 1,213 congréga-
nistes à remplacer le 1er octobre prochain
pour avoir terminé la laïcisation.
Pour les écoles de filles, l'œuvre est
moins avancée. Le législateur n'a pas
fixé de date limitative, à raison de la né-
cessité de former un personnel laïque.
La seule condition posée par la loi du
30 octobre 1886, et qui est rigoureuse-
ment appliquée, c'est qu'aucune nomina-
tion d'institutrice congréganiste ne peut
être faite dans les départements où fonc-
tionne depuis quatre ans une école nor-
male d'institutrices.
En tenant compte de cette condition,
on est arrivé à ce résultat que sur 44,000
institutrices de toutes catégories, il reste
encore 11,000 congréganistes.
On peut donc prévoir que d'ici à peu
d'années la laïcisation sera complète
pour le personnel des écoles de filles,
comme elle l'est désormais pour les
écoles de garçons.
L'ESCADRE FRANÇAISE A CRONSTADi
Les officiers français à Moscou
(Par dépèche)
1 Moscou, 6 août.
Voici de nouveaux détails sur le voyage
des officiers de l'escadre à Moscou. Sur le
passage du train spécial, dans les gares où
il n'y avait pas d'arrêt, la foule était massée
et acclamait le train à son passage. A Lieu-
ban, où le train est arrivé à onze heures du
soir, la foule, tête nue, était si compacte,
que la police a dû intervenir pour frayer
un passage aux officiers, afin qu'ils pussent
pénétrer au buffet, où un souper était servi,
mais ensuite la foule a envahi le buffet, dé-
sireuse de saluer l'amiral Gervais.
A l'arrivée à Moscou, avant l'entrée en
gare, on a jeté dans les wagons des cartes
sur lesquelles étaient imprimées ces lignes:
« Aux portes de notre ancienne capitale,
nous vous saluons comme de bons et sin-
cères amis. Soyez les bienvenus. Vive la
France ! Vive l'alliance cordiale des deux
grandes nations ! »
Hier soir, à six heures, un grand dîner a
eu lieu à l'Exposition française, dans deux
grandes salles, l'une pour les officiers, l'au-
tre pour les sous-officiers, séparées par un
simple rideau.
Les deux salles étaient élégamment ornées
de faisceaux de drapeaux français et d'écus-
sons aux couleurs de la République, accolés
à des écussons de Saint-Georges.
A la table d'honneur avaient pris place
l'amiral Gervais, le gouverneur de Moscou,
M. Kergadaru, consul de France, le maire de
Moscou.
M. Alexief, maire de Moscou, porte la
santé de leurs majestés impériales; la mu-
sique joue l'hymne russe ; puis le maire re-
prend la parole et porte un toast au prési-
dent Carnot; pendant qu'on exécute la Mar-
seillaise, tous les assistants restent debout.
M. Alexief porte encore la santé du grand-
duc Serge et de l'amiral Gervais.
L'amiral exprime sa satisfaction d'être
venu à Moscou; il est vraiment ému de
l'accueil hospitalier qui lui est fait.
« Tous les marins français — dit l'amiral
Gervais — désiraient voir le cœur de la
Russie, la cité sainte, le sanctuaire de sa
puissance. » Il déclare être l'écho du peuple
français en buvant au grand peuple russe et
au czar - bien-aimé.
iLn prononçant ces dernières paroles, l'a-
miral Gervais brise son verre.
M. Alexief, maire de Moscou, porte un
toast à la prospérité de la France; puis il
porte la santé du prince Galitzine, gouver-
neur de Moscou, et de M. Kergaradu, consul
général de France.
L'orateur se lève et se rend à la table où
dînent les sous-officiers français et .russes;
il porte un toast à la marine française qui
est accueilli avec enthousiasme.
A ce moment, une jeune fille, revêtue du
costume national richement orné, apporte
à l'amiral Gervais, auquel elle adresse un
compliment très gracieusement dit, un su-
perbe bouquet de fleurs. Mme Voielland,
femme de l'attaché naval à l'ambassade de
France, remet également des fleurs au com-
mandant de l'escadre ; l'amiral Gervais em-
brasse Mme Voielland aux acclamations des
convives. L'enthousiasme est à son comble;
des dames, en toilettes luxueuses, sont ve-
nues assister au banquet du haut des gale-
ries qui entourent le hall; deux d'entre elles
qui passent au fond de la salle du banquet
sont longuement applaudies.
Le général Tchernaiew, le vainqueur de
de Tachkew, prend la parole. D'une voix vi-
brante il prononce un discours enflammé :
« Les Russes et les Français se sont bat-
tus une première fois en 1733, depuis ils se
sont retrouvés sur des champs de bataille;
toujours ils se sont estimés et ont combattu
loyalement. Aujourd'hui, la Russie serait
profondément émue si pour la France son-
nait une heure critique..
» Lorsque chez vous on criera : « Aux
armes, citoyens! nous aussi, nous forme-
rons nos bataillons de la Vistule au Kamt-
chatka. »
» Je bois au peuple chevaleresque, à sa
flotte, à son armée, aux vaillants Français !
Vive Paris! la capitale du monde civilisée. »
Ce toast est vigoureusement applaudi par
les invités français.
L'amiral Gervais remercie le général
Tchernaiew de ses éloquentes paroles, si
touchantes et si sympathiques. « La France,
pacifique et forte, assurée de l'amitié d'un
souverain magnanime et d'un grand peuple,
envisage l'avenir avec tranquillité ».
L'amiral, qui s'impose à tous par son at-
titude fière et en même temps par sa bonne
grâce, produit une très grande impression;
de même cru'il a conauis tout le monde offi- j
ciel, il a conquis le peuple; ici, à ce banquet,
ses paroles ont été acoueillies avec un en-
thousiasme que l'on ne saurait décrire.
Les officiers russes se lèvent et vont cho-
quer leurs verres à la table des officiers et
des marins français.
Le grand rideau qui sépare les deux salles
s'est ouvert, Français et Russes fraternisent
comme d'anciens camarades.
Cette fête dépasse en manifestation de
cordialité toutes celles qui ont été données
en Russie en l'honneur de l'escadre fran-
çaise.
A neuf heures, on sert le punch.
Moscou, 6 août.
En quittant hier soir l'exposition française
pour rentrer à Moscou, l'amiral Gervais et
ses officiers ont été les héros d'une manifes-
tation inoubliable. L'amiral a été porté en
triomphe; les dames russes s'empressaient
autour des officiers de l'escadre, leur de-
mandant des souvenirs de leur trop courte
visite; les moujiks embrassaient les uni-
formes. L'émotion était à son comble. L'ami-
ral a ensuite visité le camp militaire où les
troupes du corps d'armée l'attendaient sous
les armes. En l'honneur des hôtes français,
une magnifique retraite aux flambeaux a été
organisée par le général commandant qui a
prononcé une allocution toute vibrante
d'enthousiasme et de patriotisme.
Ce matin, à onze heures, les officiers de
l'escadre ont visité la Montagne-aux-Moi-
neaux, d'où l'on découvre tout le panorama
de Moscou. Dans la journée, des courses
spéciales ont été données en leur honneur,
et ce soir ils dînent chez le consul de
France. Ils repartiront à dix heures pour
Saint-Pétersbourg.
FRANCE ET RUSSIE
Le czar a répondu hier soir au télé-
gramme qui lui a été adressé par le con-
seil municipal de Cherbourg, à l'occa-
sion de la fête de l'impératrice de Russie.
Voici le texte de la réponse du czar,
qui a été affichée dans Cherbourg :
Télégramme d'Etat pour Cherbourg
Wilmanstrand, 5 août, 7 h. soir.
Je vous remercie sincèrement des senti-
ments exprimés en votre nom ainsi que de
la part des adjoints et des conseillers muni-
cipaux de la ville de Cherbourg..L'impéra-
trice y est également très sensible. C'est
avec un vrai plaisir que nous avons reçu
les braves marins français et nous appré-
cions hautement l'accueil cordial et chaleu-
reux qui a été fait aux officiers et à l'équi-
page du croiseur Amiral-Kornilow.
- - ALEXANDRE.
On télégraphie de Marseille :
Hier soir, à l'issue d'un concert extraor-
dinaire, qui avait lieu sur les- allées de
Meilhan, l'orchestre ayant terminé par le
Chant de Skobelef, la foule a acclamé et re-
demandé l'hymne russe, qui a été salué par
de longs applaudissements. L'orchestre a
ensuite exécuté la Marseillaise qui lui était
demandée et dont les dernières mesures
ont été accueillies par des cris répétés de :
« Vive la Russie ! » dans l'enceinte des con-
certs et à l'extérieur des barrières.
-——————————— '* ————————————
UN GROS SCANDALE
Les frasques
d'un ancien officier de paix
Vol de 10,000 francs
Le 15 mars 1890, à la suite de nombreuses
plaintes parvenues à la préfecture de po-
lice, M. Lozé signait la révocation de M.
Thiébault, officier de paix du 15e arrondis-
sement.
Ce dernier partit aussitôt en province et,
après avoir passé trois mois dans sa famille,
revint à Pans, où il fut accueilli par un de
ses amis, M. Darche, directeur d'une impor-
tante maison de fers et métaux, 27, rue des
Ecluses-Saint-Martin, qui lui offrit une place
de 300 francs par mois dans ses- bureaux.
M. Thiébault accepta et fit entre temps
des démarches pour obtenir une place du
gouvernement.
Il y réussit presque, car dernièrement, au
ministère des affaires étrangères, on songea
à lui procurer un poste au Tonkin.
Avant-hier, dans l'après-midi, son ami et
patron lui remit une somme de 10,000 francs
pour aller effectuer un versement à la
Banque.
Thiébault partit, mais ne revint plus.
M. Darche, justement inquiet, crut tout
d'abord que son protégé avait été victime
d'un voleur, mais la lettre suivante, aussi
concise que cynique, leva tous ses doutes :
« Mon cher ami,
» Tu es dans une belle position, de plus,
tu as fait un riche mariage, donc ces
10,000 fr, ne constituent pas pour toi une
grande perte.
» Pour moi, ils me serviront à édifier une
nouvelle fortune.
» Il est donc inutile que tu portes plainte,
car mon vœu le plus cher est de te rem-
bourser dès que cela me sera possible.
» A toi,
» THIÉBAULT. »
M. Darche confia cette lettre à M. Goron,
qui, après en avoir référé au préfet de po-
lice, se mit à la recherche du disparu.
D'après certains renseignements re-
cueillis par les agents de la sûreté, on sup-
pose que Thiébault a dû aller en Rou-
manie retrouver une jeune Valaque qu'il
avait connue à l'Exposition de 1889.
Thiébault, d'origine strasbourgeoise, avait
pendant la guerre franco-allemande, fait
vaillamment son devoir en qualité de ma-
réchal des logis chef au 8e dragons.
Né le 20 septembre 1850, il était entré en
janvier 1879 à la préfecture de police. Après
avoir été successivement secrétaire du com-
missaire de police aux quartiers de l'Hôpital-
Saint-Louis et des Arts-et-Métiers, il avait
été nommé officier de paix au 18e arrondis-
ment le 25 janvier 1885. En 1889, il permu-
tait avec son collègue Brunet du 15e arron-
dissement.
CHRONIQUE DU JOUR
TABLEAU DE SAINTETÉ
Les huissiers sont capables de tout,
même de commettre des outrages à la
pudeur en exécutant la loi.
C'est le Rappel qui, le premier, a ra-
conté cette histoire intéressante : un pau-
vre diable d'artiste était poursuivi à bou-
lets rouges par un tailleur de banlieue.
L'artiste était peintre à Puteaux et son
tail leur rural lui avait fourni un complet
pour les dimanches ; ça se montait a la
somme de trente-six francs. Ces artistes
sont si mange-tout! Le prodigue éprouva
bientôt les sévérités de la justice. Traîné
devant les juridictions les plus compé-
tentes, il fut l'objet de jugements nom-
breux. Il passa par les étamines de la
procédure et connut le calvaire du débi-
teur. Au dernier moment, lorsqu'il s'a-
gissait de gravir le Golgotha de la saisie,
un homme en noir, banderolé de trico-
lore, intervint, qui empêcha le sacrifice
d'être consommé. Ce personnage, qui
interdisait de vendre en rond, et disper-
sait le cercle de badauds accourus pour
enchérir, n'était autre que M. le com-
missaire de police de la circonscription
de Nanterre.
Il s'avança vivement vers la table où
l'huissier-priseur se disposait à instru-
menter et s'empara de l'objet mis en
vente. L'huissier du coup se trouvait
saisi. Juste retour, cher maître, des
choses d'ici-bas. On demanda des expli-
cations. Le commissaire consentit à ex-
pliquer que l'on avait mis en vente, après
recolement, procès-verbal d'affiches et
itératif commandement, toutes les herbes
de la Saint-Jean judiciaire, un tableau
formant l'unique actif du malheureux
peintre saisi pour trente-six francs, et
que ce tableau était immoral au dernier
chef. Il représentait des moines du Mont-
Valérien contant fleurette à des reli-
gieuses de Longchamps. C'était de la
couleur locale banlieusarde. Les moines
du Mont-Valérien jouent un grand rôle
dans les légendes de cette région subur-
baine pleine des souvenirs de sainte Ge-
neviève. On chante encore au desser,t
chez les maraîchers aisés du vieux che-
min de Paris, la ronde fameuse du frère
Bastien.
Un jour frère Bastien
Portait sous sa mandrille
Une fort belle fille
Au Mont-Valérien.
Frère Bastien, un habile homme, vou-
lut en fraude introduire au couvent sa
conquête, et feignit, la portant en travers
sous sa robe,.d'amener une croix. Mais
cette supercherie fut vite éventée :
Le curé de Suresnes,
Grand théologien,
Voulut emprunter pour quinzaine
La croix à Bastien.
Mais le moine malin refuse avec grand
sens et répond au curé qu'on peut em.
prunter des croix faites :
De bois ou de lattes,
Il n'importe pas;
Mais les croix de cette manière
Ne se prêtent pas !
Et Bastien garde la croix, devant la-
quelle, à loisir, entre les offices, il venait
se pâmer dévotement.
Les moines du Mont-Valérien et les
religieuses de Longchamps, malgré leur
authenticité historique, ne trouvèrent
pas plus grâce devant le commissaire
que devant l'huissier. L'officier ministé-
riel les avait saisis, l'officier de police
les ressaisit. Voilà des moines et des
nonnes qui ne pouvaient échapper à la
vindicte des lois.
Mais que devient là-dedans le tailleur
impayé qui poursuivaitàboulets rouges ?
L'huissier est menacé d'un procès cor-
rectionnel pour avoir exposé et mis en
vente un dessin obscène. La loi est très
sévère pour ce genre d'exhibition. Le dit
huissier renverra certainement la reo-
ponsabilité sur le client dont il avait
mandat. Finalement c'est le tailleur in-
traitable qui pourrait bien payer un peu
plus cher que trente-six francs le plaisir
qu'il a eu de faire exposer sur la place
publique ces moines égrillards du Mont-
Valérien accouplés aux nonnes polis-
sonnes de Longchamps. Ça lui apprendra
à s'en prendre aux gens d'église ! Que
n'a-t-il laissé moines et nonnains dans
l'atelier de l'artiste ? Il a voulu user de
l'huissier et il périt par l'huissier, comme
il est dit dans l'Evangile. Cette péripé-
tie judiciaire inattendue servira-t-elle
d'exemple aux tailleurs et aux huissiers ?
Créanciers farouches, hommes de loi
impitoyables, quand il vous arrivera de
saisir pour trente-six francs un pauvre
diable, assurez-vous d'abord qu'il n'a pas
chez lui de tableaux de sainteté.
GRIF.
LES ON-DIT
Mme veuve Calmann-Lévy vient d'in-
former M. Camille Doucet, secrétaire
perpétuel de l'Académie française qu'elle
se propose de fonder, en souvenir de son
mari, un prix triennal de trois mille
francs qui sera décerné soit à une œuvre
littéraire récemment publiée soit à l'en-
semble des œuvres d'un homme de
lettres.
L'Académie a fait connaître à Mme
veuve Calmann-Lévy qu'elle acceptera
avec plaisir cette nouvelle fondation
quand les formalités d'usage auront été
régulièrement accomplies.
On annonce la mort d'un peintre, M.
Alphonse Ouri, qui avait eu la gloire
d'être distingué par Eugène Delacroix.
L'auteur du Massacre de Scio, en effet,
avait pris Alphonse Ouri à ses débuts, et
lui avait confié l'ornementation du salon
de l'Hôtel de Ville dont lui-même avait
peint le plafond.
M. Ouri, élève de Bur père et de Gosse,
était décoré depuis 1868. Il était âgé de
soixante-trois ans.
t Feuilleton du RAPPEL
6 DU 8 AOUT
> ———————————————_——————
41
; LE
I0IILIN AUX CORBEAUX
PREMIÈRE PARTIE
LA BRUTE
*
XXXVI
Le complot
— Suite —
■ Mme de Lansac ne buogeait pas.
; - Allons, ma petite mère, ajouta Riva-
Ion, vous n'allez pas rechigner, mainte-
¡nant. Ça ne serait pas malin!. ne flan-
çhons pas 1
- — Non ! non ! c'est trop horrible !
murmura Césarine d'une voix étranglée.
- Tenez, ajouta encore ramant de
Hosa-Bébé, écrivez seulement ceci :
: « Au premier juillet prochain, je
tpaierai à M. Auguste Ribert ou à son
;ordre, la somme de dix mille francs, va-
tleur en compte.»
- Voyons, reprit Rivalon après une
pose, c'est pas compromettant un billet
jfédigé ainsi ? C'est tout simplement un
; effet de commerce. Vous pouvez mettre
,votre signature au bas de ça, y a rien à
craindre pour vous. Je vois à votre air
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 29 juin au 710Gb'
que vous allez vous décider, mais dé-
pêchons r Ecrivez dix petits billets, en
ayant le soin d'échelonner les échéances
de mois en mois et demain. demain,
vous entendez? Ribert vous prouvera
qu'il sait gagner son argent !
Dorneuil, dont la terréur s'était cal-
mée et qui avait ressaisi tout son sang-
froid, se pencha bientôt à l'oreille de
sa cousine.
- Signez, lui dit-il. en somme, il a
raison, vous ne risquez rien.
— En êtes-vous sûr? interrogea-t-clle
avec anxiété.
- Parbleu !
- Un bon mouvement, fit Rosa.
Césarine de Lansac vint s'asseoir à
son bureau et prit une plume.
Rivalon lui tendant les billets à rem-
plir, l'encouragea encore de ce mot :
— Des millions!. Il s'agit de gagner
des millions !.
La mère de Colette écrivit.
Chaque billet rempli et signé, elle le
tendait à Rivalon qui, après l'avoir lu,
le repassait à Ribert.
Quand celui-ci eut dans ses mains cette
liasse de papier qui valait cent mille
francs, il la regarda longtemps, fasciné,
se murmurant à lui-même :
— En vlà des chopines à boire !
Rivalon faisait encore signer à Mme
de Lansac la reconnnaissance de la dette
de cinquante mille francs due à sa sœur
par, le comte, et l'acquiescement, sans
discussion, au droit d'héritage par moitié
de Blanche, sa nièce, sur la fortune li-
quide de son père.
Soa acte en poche, il s'approcha alors
de Dorneuil.
— Vous m'avez promis mille francs,
lui dit-il à voix basse.
Maxime prit un billet de banque dans
son portefeuille et le glissa dans la main
du drôle.
— Ça y est ! dit Rosa qui avait vu le
mouvement. Maintenant, bonsoir la com-
pagnie; on va se coucher pour être de-
main matin de bonne heure à la besogne.
Mme de Lansac et Dorneuil accompa-
gnèrent jusqu'au bout de l'antichambre
les trois brigands.
Ils voulaient empêcher la bonne de
leur parler et même de les regarder de
trop près, regrettant que Ribert eût déjà
stationné dans le vestibule.
Comme ils venaient de franchir la
porte du cabinet de travail, Colette sou-
leva la tapisserie.
Elle avança d'un pas, les bras tendus,
la bouche ouverte, les yeux hagards.
Puis aussitôt, sans avoir la force de jeter
un cri, elle tomba de toute sa hauteur
sur le sol, en battant l'air de ses deux
mains.
Après avoir reconduit leurs complices,
Césarine et Maxime étaient allés rejoin-
dre les provinciaux qui les attendaient
dans le grand salon, ne se doutant guère i
de ce qui s'était passé tout près d'eux.,
On leur donna quelques explications
banales dont ils parurent se contenter ;
puis Dupec et Baudru se retirèrent.
Zoé gagna la chambre qui avait été
mise à sa disposition par Mme de Lansac.
Maxime avait encore quelques mots à
dire à sa cousine.
Tous deux retournèrent dans le cabi-
net de travail où quelques minutes aupa-
ravant ils avaient comploté la mort de
Séverin.
A la vue de Colette étendue sur le sol,
Césarine et Maxime poussèrent un cri de
frayeur.
— Evanouie !.. ma fille !.. Elle est éva-
nouie ! fit Mme de Lansac en s'age-
nouillant et en se penchant sur le corps
immobile de l'enfant.
— Pourquoi donc? dit Dorneuil dont
le front s'était plissé sous une pensée in-
quiète. — Comment est-elle là?
Césarine se releva d'un bond. Un doute
horrible venait aussi d'envahir son
esprit.
- Mon Dieu! fit-elle avec égarement,
si elle avait écouté derrière cette porte.
Si elle m'avait vu signer ces billets ?.
— C'est possible, répondit Maxime. Il
faudra la surveiller. Surtout qu'elle ne
sortepas.Ouvrez-moi la porte de sa cham-
bre, ajouta-t-il.
Mme de Lansac obéit. Alors, Dorneuil,
avec une vigueur dont il ne paraissait
point capable, souleva Colette dans ses
bras et l'emDort^ dans son appartement.
Quelques instants après, il se retirait
pour rentrer chez lui, la tête bourrelée
par le souvenir des évènements de la
soirée.
XXXVII
Angoisses
Il était près de deux heures du matin,
lorsque Colette rouvrit les yeux, sem-
blant s'éveiller d'un long sommeil, sortir
en quelque sorte d'un rêve, et la prostra-
tion dans laquelle depuis plusieurs heu-
res elle était plongée se dissipa.
Mme de Lansac, assise au chevet du
lit de sa fille, constata, non sans appré-
hension, le changement brusque de sa
physionomie, inexpressive et comme
figée quelques minutes auparavant, main-
tenant vivante.
La jeune fille n'aperçut pas tout d'a-
bord sa mère, elle promena lentement
son regard autour de la chambre.
Anxieuse, Césarine suivait des yeux
ses moindres mouvements.
— Je suis là, mon enfant, fit-elle tout
à coup.
En entendant cette voix, Colette tres-
saillit. Une flamme s'alluma au fond de
ses prunelles. Elle regarda Mme de
Lansac avec un mouvement d'effroi dont
cependant elle sut maîtriser la violence.
Césarine attendait la fin complète de
l'évanouissement de sa fille afin de pou-
voir l'interroger.
Qu'avait-elle vu? qu'avait-elle entendu?
Voilà ce qu'elle désirait savoir.
— Tu te souviens, ma chérie? fit-elle
bientôt d'une voix hypocrite qu'elle ren-.. -
dait pleine de tendresse.
Et elle prit une des mains glacées de
sa fille.
— Me souvenir de quoi?. murmura
Colette, feignant d'avoir tout à fait perdu
la mémoire.
— Mais, de la cause de ton malaise,
mon enfant, de ton évanouissements.
Nous t'avons trouvée, ton cousin Dor-
neuil et moi, dans mon cabinet de tra-
vail, étendue sur le sol, sans mouve-
vernent. C'est Maxime qui t'a relevée
et qui t'a transportée dans ta chambre.
— Oui. oui. je me souviens mainte-
nant. répondit la jeune fille, cherchant
un mensonge qui lui permît de ne point
accabler sa mère et de garder le secret
qu'elle avait surpris. Ce n'est rien. non,
ce n'est rien.
- Rien?.
- Je vous assure. le chagrin.
— Mais le chagrin de quoi?. Tout
chagrin a une cause.
Colette fit un effort pour répondre.
Elle balbutia d'une voix faible :
— Celui de voir que tu refusais de
consentir à mon mariage avec M. Morel.
— Pas d'autre émotion que celle-là?.
pas d'autre motif-à ce malaise subit?
— Pas d'autre t.. Mais j'ai bien souffert
et je souffre bien encore.
JULES DORNAY.
(A suivre.)
toi
1
21 Thermidor an 99 — N 7820 -
CINQ centimes le numéro
RÉDACTION
131, RUE MONTMABTBE, 131
j'ADRESSER AU SECRETAIRE DE LA REDACTION
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
-
j:æS MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SERONT PAS RENDUS
ADMINISTRATION
131; RUJIMONTMARTBBJ 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et O
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
UN mois 2 Fa.
TROIS HOI8. 6 -
SIX MOIS 9 PB.
UN Al(. 18-
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS 2 FB.
TROIS MOIS 6 —
SIX MOIS 11 FB.
UN AN. 20 -
, Les bureaux du RAPPEL (rédac-
lion et administration), sont trans-
férés 131, rue Montmartre.
Le RAPPEL est entièrement im-
jprimé en caractères neufs.
AUGUSTE VITU
- Le Rappel aura plus d'une fois Jcca-
Sion de reparler de l'écrivain recette
qui vient de nous quitter ; mais Je lui
dois un souvenir personnel.
Il y a bien des années, deux tout
jeunes gens sonnèrent à la porte d'une
'chambre que j'habitais, dans une rue
¡qui s'appelle aujourd'hui je ne sais
comment et qui s'appelait alors rue
Mes Trois-Pistolets, située entre l'Arse-
nal, où Charles Nodier était bibliothé-
caire, et la place Royale, où Victor
^lugo était — Victor Hugo..
f J'allai ouvrir, étant alors mon seul
domestique.
Les deux tout jeunes gens se nom-
anèrent. L'un s'appelait Théodore de
Banville et l'autre Auguste Vitu.
? Ils venaient m'inviter à une soirée
qu'ils donnaient à un quatrième étage
'de la rue Bréda, dans un petit appar-
tement qu'ils louaient en commun.
S'y entendrais Pierre Dupont chanter
ses chansons, dont le succès venait
d'éclater, les Bœufs, les Louis d'or, etc.
Je m'empressai d'accepter leur invi-
tation, un peu pour Pierre Dupont,
beaucoup pour eux.
Ils me demandèrent à quoi je travail-
lais. Je leur répondis que c'était à une
iplece dont j'avais déjà fait deux actes.
ils me demandèrent de la leur lire. Ce
fut la première lecture de Tragaldabas.
Je me suis rappelé cette première
visite d'Auguste Vitu en lisant tout à
l'heure dans le Figaro que sa dernière,
visite a été pour moi.
,,' — « Jusqu'au dernier moment », dit
kM. 1 Francis Magnard, « par un scru-
pule professionnel qu'on ne saurait
trop louer, il a voulu remplir la fonc-
tion qu'il considérait comme un de-
voir; le mal seul, plus fort que sa vo-
lonté, l'a empêché de rendre compte
de la reprise de Souvent homme varie,
la dernière représentation à laquelle il
ait assisté. »
f Nous avons enterré Théodore de
fBanville le 16 mars; nous enterrons
[Auguste Vitu le 7 août. Ils ont eu
Ae même appartement, ils meurent la
Yniême année.
Personne plus qu'eux n'était de re-
lations sûres. Du premier au dernier
flour, je les ai trouvés les mêmes. Du
icôté de Banville, il n'y avait rien qui
jpût nous séparer, mais Vitu avait un
jidéal de gouvernement qui était le
;contraire du mien. Il oubliait ma haine
-de l'empire lorsqu'il avait à parler
d'une de mes pièces ou d'un de mes
livres.
Un hommage à lui rendre, c'est
que son bonapartisme ne l'empêcha
pas de glorifier, en plein empire, l'au-
teur de Napoléon-le-Petit et des Châ-
timents.
Depuis plusieurs mois, on n espérait
plus. On sentait que c'était la fin, à le
voir, aux premières représentations,
maigri, affaissé, comme n'en pouvant
plus. Lui-même ne se faisait plus d'il-
lusions. L'autre semaine, j'essayais de
le réconforter : — C'est inutile, me ré-
pondait-il en souriant tristement. Je
sais la vérité. Je ne mange plus. Le
reste de ma force s'en va jour à jour.
Je vous dis adieu.
C'était bien, en effet, un adieu qu'il
me disait. Apeine quelques jours après,
« vendredi soir, en sortant de la Co-
médie-Française, il était assis devant
son bureau, dictant le compte-rendu
de la reprise de son ami Vacquerie,
quand soudain sa parole s'embarrassa,
sa pensée devint confuse : l'anémie
cérébrale venait de se déclarer». (Fi-
garo. )
Ce n'est pas seulement l'ami à toute
épreuve que je regrette, c'est égale-
ment l'écrivain de haute valeur, l'éru-
dit, l'historien, le critique surtout.
Quand on pense que ces beaux comptes-
rendus de drames, de comédies et
d'opéras, si nets, si profonds souvent,
toujours d'une forme si solide, il les
écrivait au sortir des représentations,
de représentations qui avaient fini quel-
quefois à une heure du matin ! Aucune
ttace de fatigue, et rien de l'improvisa-
tion — que le mouvement et la vie.
Il était né dans le grand moment
littéraire. De là, ce goût et cette com-
préhension du grand par lesquels il
tranchait sur une époque qui préfère
le moyen, le joli, le « parisianisme »,
ce qu'on pourrait appeler la comédie
de chevalet. Théo hile Gautier, Paul
de Saint-Victor, Auguste Vitu, trois
morts que la haute critique pleurera
longtemps.
AUGUSTE VACQUERIE.
LA LAICISATION DES ECOLES
Le 1er octobre prochain, jour de la ren-
trée des classes dans les écoles primai-
res, verra l'achèvement d'une réforme
considérable : la laïcisation complète des
écoles publiques de garçons.
C'est ce jour-là, en effet, qu'expire le
délai des cinq années fixé par l'art. 18 de
la loi du 30 octobre 1886 pour la substi-
tution du personnel laïque au personnel
congréganiste dans les écoles de gar-
çons. Cette œuvre de laïcisation s'est
effectuée progressivement depuis cinq
années, si bien que le dernier effort res-
tant à faire est très léger. Sur 52,000 in-
stituteurs publics des diverses catégo-
ries, il ne reste plus que 1,213 congréga-
nistes à remplacer le 1er octobre prochain
pour avoir terminé la laïcisation.
Pour les écoles de filles, l'œuvre est
moins avancée. Le législateur n'a pas
fixé de date limitative, à raison de la né-
cessité de former un personnel laïque.
La seule condition posée par la loi du
30 octobre 1886, et qui est rigoureuse-
ment appliquée, c'est qu'aucune nomina-
tion d'institutrice congréganiste ne peut
être faite dans les départements où fonc-
tionne depuis quatre ans une école nor-
male d'institutrices.
En tenant compte de cette condition,
on est arrivé à ce résultat que sur 44,000
institutrices de toutes catégories, il reste
encore 11,000 congréganistes.
On peut donc prévoir que d'ici à peu
d'années la laïcisation sera complète
pour le personnel des écoles de filles,
comme elle l'est désormais pour les
écoles de garçons.
L'ESCADRE FRANÇAISE A CRONSTADi
Les officiers français à Moscou
(Par dépèche)
1 Moscou, 6 août.
Voici de nouveaux détails sur le voyage
des officiers de l'escadre à Moscou. Sur le
passage du train spécial, dans les gares où
il n'y avait pas d'arrêt, la foule était massée
et acclamait le train à son passage. A Lieu-
ban, où le train est arrivé à onze heures du
soir, la foule, tête nue, était si compacte,
que la police a dû intervenir pour frayer
un passage aux officiers, afin qu'ils pussent
pénétrer au buffet, où un souper était servi,
mais ensuite la foule a envahi le buffet, dé-
sireuse de saluer l'amiral Gervais.
A l'arrivée à Moscou, avant l'entrée en
gare, on a jeté dans les wagons des cartes
sur lesquelles étaient imprimées ces lignes:
« Aux portes de notre ancienne capitale,
nous vous saluons comme de bons et sin-
cères amis. Soyez les bienvenus. Vive la
France ! Vive l'alliance cordiale des deux
grandes nations ! »
Hier soir, à six heures, un grand dîner a
eu lieu à l'Exposition française, dans deux
grandes salles, l'une pour les officiers, l'au-
tre pour les sous-officiers, séparées par un
simple rideau.
Les deux salles étaient élégamment ornées
de faisceaux de drapeaux français et d'écus-
sons aux couleurs de la République, accolés
à des écussons de Saint-Georges.
A la table d'honneur avaient pris place
l'amiral Gervais, le gouverneur de Moscou,
M. Kergadaru, consul de France, le maire de
Moscou.
M. Alexief, maire de Moscou, porte la
santé de leurs majestés impériales; la mu-
sique joue l'hymne russe ; puis le maire re-
prend la parole et porte un toast au prési-
dent Carnot; pendant qu'on exécute la Mar-
seillaise, tous les assistants restent debout.
M. Alexief porte encore la santé du grand-
duc Serge et de l'amiral Gervais.
L'amiral exprime sa satisfaction d'être
venu à Moscou; il est vraiment ému de
l'accueil hospitalier qui lui est fait.
« Tous les marins français — dit l'amiral
Gervais — désiraient voir le cœur de la
Russie, la cité sainte, le sanctuaire de sa
puissance. » Il déclare être l'écho du peuple
français en buvant au grand peuple russe et
au czar - bien-aimé.
iLn prononçant ces dernières paroles, l'a-
miral Gervais brise son verre.
M. Alexief, maire de Moscou, porte un
toast à la prospérité de la France; puis il
porte la santé du prince Galitzine, gouver-
neur de Moscou, et de M. Kergaradu, consul
général de France.
L'orateur se lève et se rend à la table où
dînent les sous-officiers français et .russes;
il porte un toast à la marine française qui
est accueilli avec enthousiasme.
A ce moment, une jeune fille, revêtue du
costume national richement orné, apporte
à l'amiral Gervais, auquel elle adresse un
compliment très gracieusement dit, un su-
perbe bouquet de fleurs. Mme Voielland,
femme de l'attaché naval à l'ambassade de
France, remet également des fleurs au com-
mandant de l'escadre ; l'amiral Gervais em-
brasse Mme Voielland aux acclamations des
convives. L'enthousiasme est à son comble;
des dames, en toilettes luxueuses, sont ve-
nues assister au banquet du haut des gale-
ries qui entourent le hall; deux d'entre elles
qui passent au fond de la salle du banquet
sont longuement applaudies.
Le général Tchernaiew, le vainqueur de
de Tachkew, prend la parole. D'une voix vi-
brante il prononce un discours enflammé :
« Les Russes et les Français se sont bat-
tus une première fois en 1733, depuis ils se
sont retrouvés sur des champs de bataille;
toujours ils se sont estimés et ont combattu
loyalement. Aujourd'hui, la Russie serait
profondément émue si pour la France son-
nait une heure critique..
» Lorsque chez vous on criera : « Aux
armes, citoyens! nous aussi, nous forme-
rons nos bataillons de la Vistule au Kamt-
chatka. »
» Je bois au peuple chevaleresque, à sa
flotte, à son armée, aux vaillants Français !
Vive Paris! la capitale du monde civilisée. »
Ce toast est vigoureusement applaudi par
les invités français.
L'amiral Gervais remercie le général
Tchernaiew de ses éloquentes paroles, si
touchantes et si sympathiques. « La France,
pacifique et forte, assurée de l'amitié d'un
souverain magnanime et d'un grand peuple,
envisage l'avenir avec tranquillité ».
L'amiral, qui s'impose à tous par son at-
titude fière et en même temps par sa bonne
grâce, produit une très grande impression;
de même cru'il a conauis tout le monde offi- j
ciel, il a conquis le peuple; ici, à ce banquet,
ses paroles ont été acoueillies avec un en-
thousiasme que l'on ne saurait décrire.
Les officiers russes se lèvent et vont cho-
quer leurs verres à la table des officiers et
des marins français.
Le grand rideau qui sépare les deux salles
s'est ouvert, Français et Russes fraternisent
comme d'anciens camarades.
Cette fête dépasse en manifestation de
cordialité toutes celles qui ont été données
en Russie en l'honneur de l'escadre fran-
çaise.
A neuf heures, on sert le punch.
Moscou, 6 août.
En quittant hier soir l'exposition française
pour rentrer à Moscou, l'amiral Gervais et
ses officiers ont été les héros d'une manifes-
tation inoubliable. L'amiral a été porté en
triomphe; les dames russes s'empressaient
autour des officiers de l'escadre, leur de-
mandant des souvenirs de leur trop courte
visite; les moujiks embrassaient les uni-
formes. L'émotion était à son comble. L'ami-
ral a ensuite visité le camp militaire où les
troupes du corps d'armée l'attendaient sous
les armes. En l'honneur des hôtes français,
une magnifique retraite aux flambeaux a été
organisée par le général commandant qui a
prononcé une allocution toute vibrante
d'enthousiasme et de patriotisme.
Ce matin, à onze heures, les officiers de
l'escadre ont visité la Montagne-aux-Moi-
neaux, d'où l'on découvre tout le panorama
de Moscou. Dans la journée, des courses
spéciales ont été données en leur honneur,
et ce soir ils dînent chez le consul de
France. Ils repartiront à dix heures pour
Saint-Pétersbourg.
FRANCE ET RUSSIE
Le czar a répondu hier soir au télé-
gramme qui lui a été adressé par le con-
seil municipal de Cherbourg, à l'occa-
sion de la fête de l'impératrice de Russie.
Voici le texte de la réponse du czar,
qui a été affichée dans Cherbourg :
Télégramme d'Etat pour Cherbourg
Wilmanstrand, 5 août, 7 h. soir.
Je vous remercie sincèrement des senti-
ments exprimés en votre nom ainsi que de
la part des adjoints et des conseillers muni-
cipaux de la ville de Cherbourg..L'impéra-
trice y est également très sensible. C'est
avec un vrai plaisir que nous avons reçu
les braves marins français et nous appré-
cions hautement l'accueil cordial et chaleu-
reux qui a été fait aux officiers et à l'équi-
page du croiseur Amiral-Kornilow.
- - ALEXANDRE.
On télégraphie de Marseille :
Hier soir, à l'issue d'un concert extraor-
dinaire, qui avait lieu sur les- allées de
Meilhan, l'orchestre ayant terminé par le
Chant de Skobelef, la foule a acclamé et re-
demandé l'hymne russe, qui a été salué par
de longs applaudissements. L'orchestre a
ensuite exécuté la Marseillaise qui lui était
demandée et dont les dernières mesures
ont été accueillies par des cris répétés de :
« Vive la Russie ! » dans l'enceinte des con-
certs et à l'extérieur des barrières.
-——————————— '* ————————————
UN GROS SCANDALE
Les frasques
d'un ancien officier de paix
Vol de 10,000 francs
Le 15 mars 1890, à la suite de nombreuses
plaintes parvenues à la préfecture de po-
lice, M. Lozé signait la révocation de M.
Thiébault, officier de paix du 15e arrondis-
sement.
Ce dernier partit aussitôt en province et,
après avoir passé trois mois dans sa famille,
revint à Pans, où il fut accueilli par un de
ses amis, M. Darche, directeur d'une impor-
tante maison de fers et métaux, 27, rue des
Ecluses-Saint-Martin, qui lui offrit une place
de 300 francs par mois dans ses- bureaux.
M. Thiébault accepta et fit entre temps
des démarches pour obtenir une place du
gouvernement.
Il y réussit presque, car dernièrement, au
ministère des affaires étrangères, on songea
à lui procurer un poste au Tonkin.
Avant-hier, dans l'après-midi, son ami et
patron lui remit une somme de 10,000 francs
pour aller effectuer un versement à la
Banque.
Thiébault partit, mais ne revint plus.
M. Darche, justement inquiet, crut tout
d'abord que son protégé avait été victime
d'un voleur, mais la lettre suivante, aussi
concise que cynique, leva tous ses doutes :
« Mon cher ami,
» Tu es dans une belle position, de plus,
tu as fait un riche mariage, donc ces
10,000 fr, ne constituent pas pour toi une
grande perte.
» Pour moi, ils me serviront à édifier une
nouvelle fortune.
» Il est donc inutile que tu portes plainte,
car mon vœu le plus cher est de te rem-
bourser dès que cela me sera possible.
» A toi,
» THIÉBAULT. »
M. Darche confia cette lettre à M. Goron,
qui, après en avoir référé au préfet de po-
lice, se mit à la recherche du disparu.
D'après certains renseignements re-
cueillis par les agents de la sûreté, on sup-
pose que Thiébault a dû aller en Rou-
manie retrouver une jeune Valaque qu'il
avait connue à l'Exposition de 1889.
Thiébault, d'origine strasbourgeoise, avait
pendant la guerre franco-allemande, fait
vaillamment son devoir en qualité de ma-
réchal des logis chef au 8e dragons.
Né le 20 septembre 1850, il était entré en
janvier 1879 à la préfecture de police. Après
avoir été successivement secrétaire du com-
missaire de police aux quartiers de l'Hôpital-
Saint-Louis et des Arts-et-Métiers, il avait
été nommé officier de paix au 18e arrondis-
ment le 25 janvier 1885. En 1889, il permu-
tait avec son collègue Brunet du 15e arron-
dissement.
CHRONIQUE DU JOUR
TABLEAU DE SAINTETÉ
Les huissiers sont capables de tout,
même de commettre des outrages à la
pudeur en exécutant la loi.
C'est le Rappel qui, le premier, a ra-
conté cette histoire intéressante : un pau-
vre diable d'artiste était poursuivi à bou-
lets rouges par un tailleur de banlieue.
L'artiste était peintre à Puteaux et son
tail leur rural lui avait fourni un complet
pour les dimanches ; ça se montait a la
somme de trente-six francs. Ces artistes
sont si mange-tout! Le prodigue éprouva
bientôt les sévérités de la justice. Traîné
devant les juridictions les plus compé-
tentes, il fut l'objet de jugements nom-
breux. Il passa par les étamines de la
procédure et connut le calvaire du débi-
teur. Au dernier moment, lorsqu'il s'a-
gissait de gravir le Golgotha de la saisie,
un homme en noir, banderolé de trico-
lore, intervint, qui empêcha le sacrifice
d'être consommé. Ce personnage, qui
interdisait de vendre en rond, et disper-
sait le cercle de badauds accourus pour
enchérir, n'était autre que M. le com-
missaire de police de la circonscription
de Nanterre.
Il s'avança vivement vers la table où
l'huissier-priseur se disposait à instru-
menter et s'empara de l'objet mis en
vente. L'huissier du coup se trouvait
saisi. Juste retour, cher maître, des
choses d'ici-bas. On demanda des expli-
cations. Le commissaire consentit à ex-
pliquer que l'on avait mis en vente, après
recolement, procès-verbal d'affiches et
itératif commandement, toutes les herbes
de la Saint-Jean judiciaire, un tableau
formant l'unique actif du malheureux
peintre saisi pour trente-six francs, et
que ce tableau était immoral au dernier
chef. Il représentait des moines du Mont-
Valérien contant fleurette à des reli-
gieuses de Longchamps. C'était de la
couleur locale banlieusarde. Les moines
du Mont-Valérien jouent un grand rôle
dans les légendes de cette région subur-
baine pleine des souvenirs de sainte Ge-
neviève. On chante encore au desser,t
chez les maraîchers aisés du vieux che-
min de Paris, la ronde fameuse du frère
Bastien.
Un jour frère Bastien
Portait sous sa mandrille
Une fort belle fille
Au Mont-Valérien.
Frère Bastien, un habile homme, vou-
lut en fraude introduire au couvent sa
conquête, et feignit, la portant en travers
sous sa robe,.d'amener une croix. Mais
cette supercherie fut vite éventée :
Le curé de Suresnes,
Grand théologien,
Voulut emprunter pour quinzaine
La croix à Bastien.
Mais le moine malin refuse avec grand
sens et répond au curé qu'on peut em.
prunter des croix faites :
De bois ou de lattes,
Il n'importe pas;
Mais les croix de cette manière
Ne se prêtent pas !
Et Bastien garde la croix, devant la-
quelle, à loisir, entre les offices, il venait
se pâmer dévotement.
Les moines du Mont-Valérien et les
religieuses de Longchamps, malgré leur
authenticité historique, ne trouvèrent
pas plus grâce devant le commissaire
que devant l'huissier. L'officier ministé-
riel les avait saisis, l'officier de police
les ressaisit. Voilà des moines et des
nonnes qui ne pouvaient échapper à la
vindicte des lois.
Mais que devient là-dedans le tailleur
impayé qui poursuivaitàboulets rouges ?
L'huissier est menacé d'un procès cor-
rectionnel pour avoir exposé et mis en
vente un dessin obscène. La loi est très
sévère pour ce genre d'exhibition. Le dit
huissier renverra certainement la reo-
ponsabilité sur le client dont il avait
mandat. Finalement c'est le tailleur in-
traitable qui pourrait bien payer un peu
plus cher que trente-six francs le plaisir
qu'il a eu de faire exposer sur la place
publique ces moines égrillards du Mont-
Valérien accouplés aux nonnes polis-
sonnes de Longchamps. Ça lui apprendra
à s'en prendre aux gens d'église ! Que
n'a-t-il laissé moines et nonnains dans
l'atelier de l'artiste ? Il a voulu user de
l'huissier et il périt par l'huissier, comme
il est dit dans l'Evangile. Cette péripé-
tie judiciaire inattendue servira-t-elle
d'exemple aux tailleurs et aux huissiers ?
Créanciers farouches, hommes de loi
impitoyables, quand il vous arrivera de
saisir pour trente-six francs un pauvre
diable, assurez-vous d'abord qu'il n'a pas
chez lui de tableaux de sainteté.
GRIF.
LES ON-DIT
Mme veuve Calmann-Lévy vient d'in-
former M. Camille Doucet, secrétaire
perpétuel de l'Académie française qu'elle
se propose de fonder, en souvenir de son
mari, un prix triennal de trois mille
francs qui sera décerné soit à une œuvre
littéraire récemment publiée soit à l'en-
semble des œuvres d'un homme de
lettres.
L'Académie a fait connaître à Mme
veuve Calmann-Lévy qu'elle acceptera
avec plaisir cette nouvelle fondation
quand les formalités d'usage auront été
régulièrement accomplies.
On annonce la mort d'un peintre, M.
Alphonse Ouri, qui avait eu la gloire
d'être distingué par Eugène Delacroix.
L'auteur du Massacre de Scio, en effet,
avait pris Alphonse Ouri à ses débuts, et
lui avait confié l'ornementation du salon
de l'Hôtel de Ville dont lui-même avait
peint le plafond.
M. Ouri, élève de Bur père et de Gosse,
était décoré depuis 1868. Il était âgé de
soixante-trois ans.
t Feuilleton du RAPPEL
6 DU 8 AOUT
> ———————————————_——————
41
; LE
I0IILIN AUX CORBEAUX
PREMIÈRE PARTIE
LA BRUTE
*
XXXVI
Le complot
— Suite —
■ Mme de Lansac ne buogeait pas.
; - Allons, ma petite mère, ajouta Riva-
Ion, vous n'allez pas rechigner, mainte-
¡nant. Ça ne serait pas malin!. ne flan-
çhons pas 1
- — Non ! non ! c'est trop horrible !
murmura Césarine d'une voix étranglée.
- Tenez, ajouta encore ramant de
Hosa-Bébé, écrivez seulement ceci :
: « Au premier juillet prochain, je
tpaierai à M. Auguste Ribert ou à son
;ordre, la somme de dix mille francs, va-
tleur en compte.»
- Voyons, reprit Rivalon après une
pose, c'est pas compromettant un billet
jfédigé ainsi ? C'est tout simplement un
; effet de commerce. Vous pouvez mettre
,votre signature au bas de ça, y a rien à
craindre pour vous. Je vois à votre air
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 29 juin au 710Gb'
que vous allez vous décider, mais dé-
pêchons r Ecrivez dix petits billets, en
ayant le soin d'échelonner les échéances
de mois en mois et demain. demain,
vous entendez? Ribert vous prouvera
qu'il sait gagner son argent !
Dorneuil, dont la terréur s'était cal-
mée et qui avait ressaisi tout son sang-
froid, se pencha bientôt à l'oreille de
sa cousine.
- Signez, lui dit-il. en somme, il a
raison, vous ne risquez rien.
— En êtes-vous sûr? interrogea-t-clle
avec anxiété.
- Parbleu !
- Un bon mouvement, fit Rosa.
Césarine de Lansac vint s'asseoir à
son bureau et prit une plume.
Rivalon lui tendant les billets à rem-
plir, l'encouragea encore de ce mot :
— Des millions!. Il s'agit de gagner
des millions !.
La mère de Colette écrivit.
Chaque billet rempli et signé, elle le
tendait à Rivalon qui, après l'avoir lu,
le repassait à Ribert.
Quand celui-ci eut dans ses mains cette
liasse de papier qui valait cent mille
francs, il la regarda longtemps, fasciné,
se murmurant à lui-même :
— En vlà des chopines à boire !
Rivalon faisait encore signer à Mme
de Lansac la reconnnaissance de la dette
de cinquante mille francs due à sa sœur
par, le comte, et l'acquiescement, sans
discussion, au droit d'héritage par moitié
de Blanche, sa nièce, sur la fortune li-
quide de son père.
Soa acte en poche, il s'approcha alors
de Dorneuil.
— Vous m'avez promis mille francs,
lui dit-il à voix basse.
Maxime prit un billet de banque dans
son portefeuille et le glissa dans la main
du drôle.
— Ça y est ! dit Rosa qui avait vu le
mouvement. Maintenant, bonsoir la com-
pagnie; on va se coucher pour être de-
main matin de bonne heure à la besogne.
Mme de Lansac et Dorneuil accompa-
gnèrent jusqu'au bout de l'antichambre
les trois brigands.
Ils voulaient empêcher la bonne de
leur parler et même de les regarder de
trop près, regrettant que Ribert eût déjà
stationné dans le vestibule.
Comme ils venaient de franchir la
porte du cabinet de travail, Colette sou-
leva la tapisserie.
Elle avança d'un pas, les bras tendus,
la bouche ouverte, les yeux hagards.
Puis aussitôt, sans avoir la force de jeter
un cri, elle tomba de toute sa hauteur
sur le sol, en battant l'air de ses deux
mains.
Après avoir reconduit leurs complices,
Césarine et Maxime étaient allés rejoin-
dre les provinciaux qui les attendaient
dans le grand salon, ne se doutant guère i
de ce qui s'était passé tout près d'eux.,
On leur donna quelques explications
banales dont ils parurent se contenter ;
puis Dupec et Baudru se retirèrent.
Zoé gagna la chambre qui avait été
mise à sa disposition par Mme de Lansac.
Maxime avait encore quelques mots à
dire à sa cousine.
Tous deux retournèrent dans le cabi-
net de travail où quelques minutes aupa-
ravant ils avaient comploté la mort de
Séverin.
A la vue de Colette étendue sur le sol,
Césarine et Maxime poussèrent un cri de
frayeur.
— Evanouie !.. ma fille !.. Elle est éva-
nouie ! fit Mme de Lansac en s'age-
nouillant et en se penchant sur le corps
immobile de l'enfant.
— Pourquoi donc? dit Dorneuil dont
le front s'était plissé sous une pensée in-
quiète. — Comment est-elle là?
Césarine se releva d'un bond. Un doute
horrible venait aussi d'envahir son
esprit.
- Mon Dieu! fit-elle avec égarement,
si elle avait écouté derrière cette porte.
Si elle m'avait vu signer ces billets ?.
— C'est possible, répondit Maxime. Il
faudra la surveiller. Surtout qu'elle ne
sortepas.Ouvrez-moi la porte de sa cham-
bre, ajouta-t-il.
Mme de Lansac obéit. Alors, Dorneuil,
avec une vigueur dont il ne paraissait
point capable, souleva Colette dans ses
bras et l'emDort^ dans son appartement.
Quelques instants après, il se retirait
pour rentrer chez lui, la tête bourrelée
par le souvenir des évènements de la
soirée.
XXXVII
Angoisses
Il était près de deux heures du matin,
lorsque Colette rouvrit les yeux, sem-
blant s'éveiller d'un long sommeil, sortir
en quelque sorte d'un rêve, et la prostra-
tion dans laquelle depuis plusieurs heu-
res elle était plongée se dissipa.
Mme de Lansac, assise au chevet du
lit de sa fille, constata, non sans appré-
hension, le changement brusque de sa
physionomie, inexpressive et comme
figée quelques minutes auparavant, main-
tenant vivante.
La jeune fille n'aperçut pas tout d'a-
bord sa mère, elle promena lentement
son regard autour de la chambre.
Anxieuse, Césarine suivait des yeux
ses moindres mouvements.
— Je suis là, mon enfant, fit-elle tout
à coup.
En entendant cette voix, Colette tres-
saillit. Une flamme s'alluma au fond de
ses prunelles. Elle regarda Mme de
Lansac avec un mouvement d'effroi dont
cependant elle sut maîtriser la violence.
Césarine attendait la fin complète de
l'évanouissement de sa fille afin de pou-
voir l'interroger.
Qu'avait-elle vu? qu'avait-elle entendu?
Voilà ce qu'elle désirait savoir.
— Tu te souviens, ma chérie? fit-elle
bientôt d'une voix hypocrite qu'elle ren-.. -
dait pleine de tendresse.
Et elle prit une des mains glacées de
sa fille.
— Me souvenir de quoi?. murmura
Colette, feignant d'avoir tout à fait perdu
la mémoire.
— Mais, de la cause de ton malaise,
mon enfant, de ton évanouissements.
Nous t'avons trouvée, ton cousin Dor-
neuil et moi, dans mon cabinet de tra-
vail, étendue sur le sol, sans mouve-
vernent. C'est Maxime qui t'a relevée
et qui t'a transportée dans ta chambre.
— Oui. oui. je me souviens mainte-
nant. répondit la jeune fille, cherchant
un mensonge qui lui permît de ne point
accabler sa mère et de garder le secret
qu'elle avait surpris. Ce n'est rien. non,
ce n'est rien.
- Rien?.
- Je vous assure. le chagrin.
— Mais le chagrin de quoi?. Tout
chagrin a une cause.
Colette fit un effort pour répondre.
Elle balbutia d'une voix faible :
— Celui de voir que tu refusais de
consentir à mon mariage avec M. Morel.
— Pas d'autre émotion que celle-là?.
pas d'autre motif-à ce malaise subit?
— Pas d'autre t.. Mais j'ai bien souffert
et je souffre bien encore.
JULES DORNAY.
(A suivre.)
toi
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.1%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.1%.
- Collections numériques similaires Fonds régional : Pays de la Loire Fonds régional : Pays de la Loire /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "PaysLoir1"
- Auteurs similaires Fonds régional : Pays de la Loire Fonds régional : Pays de la Loire /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "PaysLoir1"
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k75443927/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k75443927/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k75443927/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k75443927/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k75443927
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k75443927
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k75443927/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest