Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-05-03
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 03 mai 1896 03 mai 1896
Description : 1896/05/03 (N9550). 1896/05/03 (N9550).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7543930w
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
CÎNQ 'CE N T:tM:E'S le Numéro.
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PARIS ET DEPARTEMENTS
Le Numéro, CINO G E NT I TVT Pî
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RÉDACTION e 18h rue Montmartre, 131
lDe4à8 heures du soir et de 10 heures du soir à 1 heure du matin
N° 9550. i:r.nan.che 3 Mai 1896
la FLOREAL AN 104
ADMINISTRATION t 131, rue Montmartre, 131
Adresse? lettres et mandatsà i'Admnxstrateur
NOS LEADERS
LA BATAILLE
Jamais Chambre n'abdiqua si hon-
teusement.
Il ne manquait plus au Sénat que la
soumission de la Chambre dont il
usurpait les droits. 11 Ta; et nous
avons eu la stupeur de voir la majo-
rité qui venait de s'aplatir devant le
suffrage restreint, applaudir sa capi-
tulation comme une victoire.
Pour obtenir ce résultat, il a fallu
qu'ayant moins de pudeur que M. Rou-
tier, au temps de son pacte avec le
baron de Mackau, le ministère acceptât
de recevoir la majorité des mains de
)a droite.
Le ministère l'a emporté de trente-
quatre voix.
Il a soixante-dix voix demandées à la
réaction monarchique et cléricale.
Il est superflu d'insister sur la gra-
vité de la situation, créée par ceux qui
pnt livré aux vieillards du Luxembourg
la souveraineté nationale.
On jugera si ceux-là ont encore
droit au titre de républicains.
- Pour les défenseurs de la démocratie,
la journée d nier est le commencement
de la lutte. On attente aux droits du
suffrage universel. Soit ! Le pays se
lèvera pour les défendre.
On a vu l'union formée, au sortir
même de la séance, sans distinction
cte nuances, par les membres des deux
Chambres qui n'ont pas déserté la
cause de la souveraineté nationale et
des réformes républicaines.
Ils serrent leurs rangs comme les
républicains l'ont fait au Seize-Mai.
Quant aux déserteurs qui,en se retour-
nant à huit jours de distance, ont
porté la majorité du côté de M. Mé-
line, de M. de Mun, de M. Turrel, de
M. de Larochefoucauld, de M. Poin-
caré et de M. d'Hulst, ils ont fait leur
choix : le pays les jugera.
C'est de la part de ceux-là que le vote
d'hier est le plus honteux ; parce
qu'en se déjugeant ainsi, ils n'abais-
saient pas seulement la Chambre dont
ils ont fait partie, ils s'abaissaient en-
core eux-mêmes.
L'armée qui s'apprête à combattre
pour les droits du suffrage universel
n'a que faire de soldats aussi portés à
passer à l'ennemi. Ils se vantaient d'ê-
tre des républicains résolus. Ils se
sont jetés dans les bras de la réaction
cléricale. Leurs électeurs les ver-
ront demain, avec les royalistes et les
dévots, contre la majorité des répu-
blicains. Et cela, pour abandonner
les droits du suffrage universel dont
ils avaient le dépôt.
Ils disent ridiculement qu'ils n'ont
pas voulu renverser le cabinet avant
gu'il ait agi ; qu'ils se réservent de le
juger à l'œuvre, comme s'ils pouvaient
ignorer que la question était de savoir,
non si M. Méline serait ministre de
l'agriculture, mais si la Chambre ac-
cepterait le coup de pied du Sénat !
Ces mauvais prétextes, invoqués
pour leur inoubliable défaillance, se-
ront écartés par les huées du public.
Habitués à chercher d'où souffle le
vent, ils ont cru qu'il tournait. Ils ne
savent même pas leur triste métier.
Tant pis pour eux !
Quant au pays, qui dans un réveil
démocratique a devancé les Cham-
bres, il répondra à l'appel qui lui est
adressé de façon à inspirer d'amers
repentirs à ceux qui tentent de con-
fisquer ses droits.
Soit ! Il faut lutter encore pour que
les plus médiocres des hommes n'es-
sayent pas de se mettre au-dessus de
la souveraineté nationale.
Eh bien ! on luttera.
CAMILLE PELLETAN.
@
Nous publierons demain un article
de M. Charles Bos.
LES DEUX SCRUTINS
A sept jours de distance, le 23 avril et le
30 avril, la Chambre a eu deux fois à se pro-
noncer sur l'ordre du jour de M. Henri Ricard
(Côte-d'Or), ainsi conçu :
, — « La Chambre affirme à nouveau la pré-
pondérance des élus du suffrage universel
et sa résolution de poursuivre la politique
des réformes démocratiques. »
Le 23 avril, la priorité a été accordée
à cet ordre du jour par 270 voix contre
236.
Le 30 avril, la priorité lui a été refusée par
279 voix contre 251.
Les députés doivent compte au suffrage
universel de la manière dont ils remplissent
leur mandat, tiennent leurs engagements.
— Le suffrage universel a le droit d'être
renseigné. —La presse a le devoir de ren-
seigner le suffrage universel.
nioi ce "ui résulte de la comparaison des
deux scrutins :
onze des députés qui avaient voté, le 23
avril, pour la priorité de l'ordre du jour
Henri Hicard, ont voté le 30 avril contre
cette priorité.
En d'autres termes :
Le 23 avril, ils proclamaient la prépondé-
rance des élus du suffrage universel et affir-
maient leur résolution de poursuivre la po--
litique des réformes démocratiques.
Le 30 avril — un ministère modéré ..antÙ
Miccedé au cabinet Bourgeois - /aV'd:ient
ftanwî d'opinion, se dégageaient, .'rebiaiet
leurs opinions, infligeaient à leurs convic-
tions un démenti.
Nous publions ici les noms de ces dé-
putés.
Ce sont MM. Bérard (Ernest) (Rhône),
Chaulin-Servinière, Coget, Dupuy-Dutemps,
Goirand, Gourvil, Guillemin, Martinon, Mo-
roux, Sicard, Weil-Mallez.
En dessous de leurs noms il faut placar-
der les noms des onze qui n'osent trahir et,
n'ayant pas le courage do rester fidèles, se
sont réfugiés dans l'abstention.
Ce sont MM. de La Batut, Le Troadec, Li-
nard, de Mahy, Cunéo d'Ornano, Rey (Emile)
(Lot), Sirot-Mallez, Breton, Caussanel, Com-
payré, Dunaime.
Pour être complet, il faut ajouter les noms
des absents par congé. Il sied ici de faire une
réserve. Il est possible que si plusieurs de
ces congés ont été demandés par peur, il en
soit d'autres que légitiment des raisons va-
lables, sérieuses.
Aussi ne donnons-nous la liste des députés
qui, ayant voté le 23 avril la priorité en
faveur de l'ordre du jour Henri. Ricard, se
sont trouvés absents par congé le 30 avril,
qu'à titre de simple document.
Voici cette liste : MM. Bourrillon, Car-
pentier-Risbourg, Clament (Clément), Du-
bois (Emile), Garnier (Charente-Inférieure),
Gellibert des Séguins, Maruéjouls, Odilon-
Barrot, Raiberti, Saumande.
Il me semble inutile d'ajouter, pour le
moment, aucun commentaire : - le pays
jugera.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
nomtMipoi~
Le Manifeste dès Républicains
APPEL AU SUFFRAGE UNIVERSEL
A l'issue de la séance de la Chambre les répu-
blicains radicaux qui ont voté contre le minis-
tère i présidé par M. Méline ont constitué un
comité de dix-huit personnes, composé de qua-
torze députés et de quatre sénateurs.
Ce comité, dont M. Léon Bourgeois a été
nommé président par acclamation, est com-
posé de MM. Léon Bourgeois, Paul Doumer,
René Goblet, Camille Pelletan, Alphonse Hum-
bert, Edouard Lockroy, Mesureur, Castelin, Du-
tardin-Beaumetz, Louis Ricard (Côte-d'Or),
Isambert, Codet, Le Hérissé et Denis, députés,
et MM. Combes, Baduel, Delpech et Bernard,
sénateurs.
M. Nicolas, chef-adjoint du cabinet de M. Dou-
mer, a été chargé des fonctions de secrétaire
du comité.
Le comité a aussitôt rédigé le manifeste sui-
vant :
Au suffrage universel,
Il est devenu nécessaire de s'unir
pour la défense des droits du suffrage
universel. ------
Comme au Seize-Mai, un gouverne-
ment essaie de le subordonner en
s'appuyant sur le suffrage restreint.
Il y a Jix-huit ans, cette tentative
trouva devant elle une Chambre fidèle
à la démocratie et tous les républi-
cains unis pour la défendre.
Aujourd'hui, une minorité républi-
caine, alliée aux débris des réactions
monarchiques et cléricales, livre le
dépôt qu'elle a reçu : les prérogatives
de la Chambre et les droits de la
nation.
En vain on veut cacher la vérité
sous un hommage dérisoire rendu
aux idées de réformes et au suffrage
universel.
On ne trompera pas la France. Elle
a vu au grand jour le Sénat comman-
der et la Chambre se soumettre.
Aujourd'hui, où la lutte avouée
contre la forme républicaine est de-
venue impossible, la force des choses
a refait le classement entre les deux
partis éternels : le parti de la résistance
et le parti du progrès.
Il faut être avec la démocratie ou
contre elle.
Ce qu'on frappe, c'est cette souve-
raineté nationale sans laquelle il n'y a
pas de République.
Ce sont ces lois de réformes toujours
écartées par le Sénat et nécessaires,
non seulement à l'idéal de justice que
nous a légué la Révolution française,
mais encore aux intérêts légitimes de
l'immense majorité des citoyens con-
damnés à être saorifiés si le pouvoir
passe au suffrage restreint.
C'est notamment cette répartition
nouvelle des charges publiques que le
parti, qui vient de ressaisir le pouvoir,
n'a jamais réalisée, malgré des enga-
gements dix fois répétés et que le gou-
vernement renversé a le premier essayé
d'accomplir.
C'est ce dégrèvement des travail-
leurs des villes et des campagnes qu'on
n'a pas le droit de promettre, quand
on se refuse à savoir où est la richesse
pour lui faire payer sa juste part
d'impôts.
On nous ramène au temps où il fal-
lait défendre le principe primordial
que nous croyions définitivement con-
quis par cent ans de luttes glorieuses.
Comme au Seize-Mai,les membres des
deux Chambres restés fidèles à la cause
du peuple, quelles que fussent leurs
nuances d'opinion, ont compris la né-
cessité de se, serrer étroitement contre
les réactions coalisées.
Ils Vorganisent pour la défense du
~~tt républicain et sont prêts à ac-
C'oplir leur devoir jusqu'au bout.
Ils n'abandonneront pas le suffrage
universel.
Le suffrage universel ne. s'abandon-
ner,a pas.
r, <» - » -
LA CONCILIATION RÉACTIONNAIRE
On nous disait que le ministère Méline,
quoique composé de conservateurs républi-
cains, serait un ministère de conciliation.
La bonne histoire et comme on voit bien
que M. Barthou est ministre de l'intérieur.
Un rédacteur du Soir, M. Joléaud-Barral,
répartiteur suppléant de la ville de Paris,
vient d'être révoqué brusquement sur
l'ordre du ministre de l'intérieur, parce qu'il
a eu l'audace de poser sa candidature aux
élections municipales et quoique employé de
la Ville.
Quatre de ses collègues, qui se trouvaient
dans le même cas, ont éprouvé le même
sort.
Un rédacteur du Soir, qui est favorable au
ministère Méline, révoqué!
A quoi devons-nous nous attendre, nous
rédacteurs de journaux démocrates?
LE SHAH DE PERSE ASSASSINÉ
UN CRIME POLITIQUE
Attentat mystérieux - Tué par un fanatique
Arrestation de l'assassin
Le règne de Nasser-ed-Din
La Perse a ses Caserios, et le roi des rois,
malgré son escorte brillante, n'est pas mieux
protégé contre les assassins que le plus mo-
deste président dit la plus démocratique des 1
républiques.
Le shah de Perse Nasser-ed-Din que les
Parisiens eurent trois fois l'occasion d'aner-
cevoir à dix-huit ans de distance, vient, en
effet de succomber sous les balles d'un fa-
natique, sans qu'on sache encore exactement
quelles sont les raisons qui ont poussé le
meurtrier à commettre son crime.
Dans quelles circonstances s'est produit
ce tragique évènement qui vient, une fois
de plus, d'ensanglanter l'Orient et d'auge
menter la liste déjà si longue des assassi-
nats politiques dont la Bulgarie, la France,
la Russie et les Etats-Unis ont été tour à
tour le théâtre ?
On ne le sait pas encore d'une façon très
précise; les seules dépêches que nous ayons
reçues jusqu'ici ne faisant que mentionner
le fait sans entrer dans aucun détail com-
plémentaire. Mais l'essentiel est que la mort
de Nasser-ed-Din n'entraine ni troubles ni
conplications, et il parait qu'à cet égard on
peut être complètement rassuré.
LE RECIT DU CRIME
Ne cherchons donc pas à échafauder d'i-
nutiles suppositions et bornons-nous à enre-
gistrer simplement le récit de l'assassinat,
tel que nous l'a apporté le télégramme sui-
vant, date cte Téhéran, 1er mai :
« Le shah de Perse a été assassiné cet
après-midi par un fanatique qui lui a tiré un
coup de pistolet au cœur au moment où il
entrait dans la cour intérieure du sanctuaire
de « Shah-Abdul-Azim », situé à six milles
au sud de la ville.
» Nasser-ed-Din a été reconduit immédiate-
ment après l'attentat, en voiture, au palais.
» Là, il a reçu les soins du docteur fran-
çais Tholozan, son médecin principal.
» Mais tous les soins furent inutiles et à
quatre heures, le shah de Perse succombait
sans avoir pu reprendre connaissance.
» Le médecin de la légatien allemande ap-
pelé en hâte par le docteur Tholozan, n'est
arrivé que pour constater le décès.
» L'assassin de Nasser-ed-Din a été arrêté.
On croit qu'il a des complices. -
» Le prince héritier partira incessamment
de Tabriz pour Téhéran.
» La tranquillité est parfaite. »
Voilà comment a été tué Nasser-ed-Din
ou plutôt voilà tout ce que nous savons du
crime auquel il vient de succomber.
A LA LÉGATION DE PERSE
A la légation de Perse, la dépêche qu'on a
reçue au sujet de l'assassinat n'est, en efînt
guère plus détaillée que celle - que nous
avons publiée plus haut.
Toutefois, voici d'après les renseignements
que le ministre, M. le général Nazar-Agha,
a bien voulu nous fournir, quelques détails
qu'il est bon de noter :
Le shah de Perse s'était rendu aujour-
d hui en pélerinage au tombeau d'iman, à
huit kilomètres environ de Téhéran (Iman
signifie descendant du prophète), ainsi qu il
le faisait chaque semaine.
Il était accompagné de toute sa suite.
Un individu appartenant à une secte
politico-religieuse, détachée de l'islamisme,
un « babi », se faufila parmi les person-
nages de la cour impériale et, avant que per-
sonne ait pu s'opposer à son acte, il ajustait
le souverain et lui tirait un coup de revol-
ver qui l'atteignait en plein cœur. Le shah
s'affaissa immédiatement en poussant un
cri et pour ne plus se relever.
Le prince héritier se nomme Mozaffer
Ed Dine Valiahde, est âgé de quarante-cinq
ans et, bien qu'il n'ait jamais quitté la Perse,
il parle très couramment le français.
Le shah de Perse sera enterré probable-
ment au lieu même où s'est produit l'atten-
tat, à moins cependant que ce soit à Kouni,
où se trouve le tombeau des souverains de
Perse.
LA CARRIÈRE DE NASSER-ED-DIN
En attendant que d'autres détails nous
parviennent, examinons toujours quelle a
été la carrière de ce prince oriental qui avait
été l'hôte du président Carnot en 1889 et
qui a eu, comme lui, une fin tragique.
Nasser-ed-Din. ou Dlns exactement. NaSF.-
Dirt-Chah était né le 18 juillet 1831 et avait
succédé à son père, Méhérned-Chah, le 18,
octobre 1848. 1
Ayant échappé l'année 'même de son avè-
nement au trône à un Complot dirigé contre
lui par des fanatique?»qui le savaient homme
de progrès autant, qu'un roi d'Orient peut
être homme de progrès, il ne se laissa pas in-
timider et réso^ûment, avec une ardeur toute
juvénile, il slforça d'introduire dans l'ad-
ministrati/on de ses Etats un peu plus de jus-
tice et d>équAté.
En r.aêtr.'e temps, suivant l'exemple de son
pèrç, qu.\ avait été le premier des souverains
de Perse à nouer des relations suivies avec
l'Erùrope, il signa des traités de commerce
tt d'amitié avec nous comme avec les An-
glais et les Russes.
Mais peu après, il laissa occuper Hérat
par les Husses pour leur permettre d'arrêter
les envahissements des Afghans et se trou-
va de ce fait attaqué aussitôt par les trou-
pes britanniques.
Victorieuses, celles-ci marchaient sur
Téhéran, lorsqu'intervint heureusement le
traité de Paris, du 4 mars 1857, qui mit fin à
la guerre. ;
Nasser-ed-Din comprit qu'il n'était pas de
force à se mesurer avec une Diiissanoe eu-
ropéenne et, ayant fait réorganiser son
armée par un ofncier français, le comman-
dant Duhausset, il se borna à affermir son
autorité en réduisant quelques princes voi-
siné, comme le khan de Khiva et l'iman de
Mascata, et en réprimant énergiquem"nt un
mouvement insurrectionnel provoqué par la
secte religieuse des Babys.
Plus tard, en 1873, désireux de connaître
par lui-même la civilisation de l'Occident, il
ht un long voyage de 8-pt mois à travers
la Russie, la Prusse, la Belgique, la France,
l'Angleterre, l'Italie et l'Autriche, à la suite
duquel il adopta notre système monétaire,
adhéra à l'union postale, embellit sa capi-
tale, y installa une usine à gaz, des lycées,
que sais-je encore ?
Séduit par le charme de Paris, il revint
encore ici en 1878 et en 1889, et chaque fois
il mit à profit ses visites dans nos musées
on dans nos administrations publiques pour
améliorer, à son retour, le fonctionne ment
des divers rouages politiques de la Perse.
Intelligent, dessinateur habile et grand
amateur de musique, Nasser-ed-Din, quoique
oriental, a toujours mené une vie très
simple et très acrive.
Chaque matin, il examinait avec attention
les dossiers des multiples affaires de son
royaume, donnait audience à ses sujets et
rendait publiquement la justice. L'après-
midi, ses devoirs religieux accomplis, il
employait ses loisirs à écrire des petites
maximes philosophiques ou à étudier les
littératures étrangères.
Très sobre, le shah de Perse aimait beau-
coup ses enfants et passait la plus grande
partie de son temps entre ses dix-neuf épou-
ses et ses deux cents dames de compagnie.
Il laisse treize filles et trois fils. L'aîné de
ceux-ci est gouverneur d'Ispahan et ne sera
pas appelé au trône, car sa mère était es-
clave. Le second, qui est gouverneur de
Tauris, est celui qui sera appelé à lui succé-
der. Quant au troisième, il est gouverneur
de Téhéran.
Faut-il ajouter que Nasser-ed-Din s'étant
abstenu de contracter aucune dette anté-
rieure, avait accumulé une fortune considé-
rable estimée à plus de 100 millions et que
l'or et les pierreries de son trône — le trône
des paons — dépouille opime prise par
Nadir-Chah dans une guerre heureuse contre
le grand mogol de Delhi en 1740, représente
plus de 1(50 millions ?
LES ON-DIT
AU JOUR LE JOUR
Il nous paraît utile de revenir sur le
très remarquable discours qu'a pro-
noncé hier M. Bourgeois à la tribune
de la Chambre et qui lui a valu, de la
part de tous les fidèles du parti pro-
gressiste, une ovation méritée. Per-
sonne mieux que lui n'a précisé, avec
une plus éclatante logique, les consé-
quences du conflit qui s'est élevé entre
le Sénat et la Chambre. Le Sénat, a-t-il
dit en substance, a, si on lui reconnaît
le droit de renverser les ministères, cet
avantage sur la Chambre de pouvoir
voter la dissolution ; en cas de conflit,
entre les deux Assemblées, ce serait
alors au Sénat qu'appartiendrait le der-
nier mot ; la Constitution reconnaît
donc un pouvoir supérieur au suffrage
universel, et ce pouvoir supérieur est
actuellement entre les mains du suf-
frage restreint.
Cette doctrine, contre laquelle s'éle-
vait M. Bourgeois dans un des plus
beaux discours qu'il ait jamais pro-
noncés, a été néanmoins ratifiée par la
Chambre ; tant pis pour cette dernière.
La question de revision est dès à pré-
sent posée ; elle est inscrite en tête du
programme progressiste ; elle établira
dans l'avenir le signe de démarcation
le plus net entre les deux grands partis
qui se partageront le pouvoir.
Il est évident qu'il faudra, un jour,
en discuter les points précis sur les-
quels se compteront les intransigeants
et les modérés du parti du progrès.
L'important, aujourd'hui, est que la
question est à l'ordre du jour et n'at-
tendra pas longtemps sa solution; le
Sénat, qui a pu sembler avant-hier ga-
gner la partie, l'a en réalité irrémédia-
blement perdue. C'est à peine une ques-
tion de mois.
CHEZ NOUS
- La conférence internationale pour
la protection des œuvres littéraires et artis-
tiques a tenu hier sa troisième r^\ dernière
séance plénière au ministère,, des affaires
étrangères.
Il a été décidé que la prochaine confé-
rence se tiendrait à Beiin dans un délai de
six à dix années. r'
La coller', àbn d'azalées cultivée par
la Ville de p.. Als à l'établissement horti-
cole de la Muette, avenue Henri-Martin,
115, est Actuellement en pleine floraison.
Le public est admis à la visiter sans au-
tOrJAtlOD spéciale, de une heure à six
beurres du soir, jusqu'au 24 mai.
- Du 15 mai au 15 juin il sera, en
"vertu de la loi militaire, procédé, dans le
département de la Seine, au classement de
toutes les voitures attelées et de tous les
chevaux et juments de six ans et au-dessus,
des mules et mulets de quatre ans et au-
dessus.
- Deux nouvelles lignes d'omnibus
viennent d'être mises en circulation :
il, place Clichy-carrefour des Feuillantines;
20 Notre-Dame-de-Lorette-boulevard Saint-
Marcel.
—— M. Robert Charlie, secrétaire de
la rédaction de la République Jrançaise, est
nommé rédacteur en chef de ce journal,
dont M. Méline quitte officiellement la di-
rection politique.
- La reine Victoria a quitté Cher-
bourg, hier, sur le Victoria and Albert, es-
cortée par son escadnlle, composée des
croiseurs Blake et Charybdis.
La reine a exprimé ses remerciements au
préfet maritime.
La fête annuelle des jeux floraux
s'est ouverte hier à Toulouse. -
M. François Coppée « mainteneur »
de l'Académie, a prononcé l'éloge de Clé-
mence Isaure. ,
Le soir, l'Académie a offert un grand
banquet à M. Coppée.
- A un concert organisé jeudi soir, à
la Bonbonnière, par la marquise de Quey-
lard, notre confrère Marc Legrand a fait,
avec un grand succès, une conférence sur
l'inspiration provençale à propos de la
Baguanarella et sur les sources danoises
de la ballade de Gœthe, le Roi de Aulnes.
- Parapluie contre canif :
Le canif était dans le contrat, le para-
pluie s'est exercé contre un pastel.
Mme Lucenay-Vidal fut unie jadis en
justes noces avec un artiste peintre, M.
Vidal; mais une incompatibilité existait
sans doute entre le nincean et la nlumc
- ..------- -. -- r----
(Mme Lucenay est dame de lettres) car les
deux époux ne tardèrent pas à se séparer.
Cependant, il faut croire que sous la cen-
dre de la mésintelligence le feu de la
jalousie couvait encore dans ce ménage
désuni, puisque madame a jugé bon d'ex-
terminer à coups de parapluie le portrait
d'une personne qu'elle déclare la maîtresse
de monsieur, portrait exposé au Salon du
Champ de Mars. Pif i paf 1 pan 1 pan 1
attrape 1 et le verre qui couvrait les traits
de la rivale a volé en éclats.
- * C'est la troisième fois qu'il expose
la figure de cette créature ! » criait l'exas-
pérée aux gardiens surpris.
Oh 1 madame 1 est-ce donc là de l'indif-
» -
rereîice r
Pourtant ce n'est pas du pardon, car la
r vengeresse de son ho-nneur a décoché au
volage devant un de nos confrères, cette
flèche du Parthe :
* Mon mari aurait tort de m'en vouloir.
On n'a jamais tant parlé de lui que depuis
hier 1 »
A L'ETRANGER
On mande de Bruxelles que le roi
des Belges, qui a pris un léger refroidisse-
ment lors de son séjour à Nice, souffre de
la gorge.
Il reçoit son médecin tous les jours.
- L'exposition nationale de Genève
a été inaugurée hier matin. La ville était
splendidement pavoisée. Le soir, à un ban-
quet qui réunissait les invités et auquel as-
sistaient les chefs des missions diplomati-
ques, M. Barrère, ambassadeur de France, a
prononcé un discours très applaudi.
— L'exposition industrielle de Berlin
a été ouverte hier.
L'empereur et l'impératrice assistaient à
la cérémonie d'inauguration, ainsi que le
prince de Bulgarie, qui vient d'arriver de
Paris.
- M. Frédéric-Henri Geffcken, con-
seiller privé, est mort, hier, à Munich,
asphyxié par la fumée d'un incendie que
l'explosion d'une lampe avait allume dans
sa chambre.
M. Geffcken était bien connu comme
éditeur du Journal de Frédéric III et
comme partie au procès de haute trahison
qui lui avait été intenté à la suite de cette
publication.
- Les têtes du couronnement du
tsar:
Li-Hung-Chang, ambassadeur de Chine,
qui se rend à Saint-Pétersbourg pour as-
sister aux solennités, est arrivé à la gare de
Varsovie où se trouvait une garde d'hon-
neur avec musique et drapeau. Les hauts
dignitaires, le ministre des voies et com-
munications, une députation de marchands
de thés russes étaient présents.
L'ambassade chinoise était au complet
et en costume de gala.
Lorsque Li-Hung-Chang est descendu du
train, la garde a présenté les armes et la
musique a joué l'hymne chinois.
Li-Hung-Chang s'est rendu dans les ap-
partements impériaux de la gare. Dans
la première salle, était dressée une tabLr
couverte de soie jaune sur laquelle étaient
déposées les écritures, saintes des Chi-
nois.
L'ambassade s'est prosternée à genoux,
puis Li-Hung-Chang a appuyé ses mains
sur les écritures saintes et a formé des
souhaits. -pour la prospérité d'un long
rècne du tsar Nicolas et de l'empereur de
Chine.
Li-Hung-Chang et les membres de
l'ambassade se sont rendus ensuite dans
des voitures de la cour à leur hôtel, puis
l'ambassadeur extraordinatre de la Chine
a échangé des visites avec le général
Ruhter, ministre des voies et communi-
cations.
Li-Hung-Chang, — on ne saurait pren-
dre trop de précautions en voyage 1 — a
celle de se faire suivre partout par son cer-
cueil. Ce cercueil est en bois de chêne
massif, tout cerclé et orné de magnifiques
dessins; les charnières, ainsi que les poi-
gnées, sont en cuivre doré, d'un travail re-
marquable. Sur l'un des côtés, on lit l'ins-
cription suivante : « Son Excellence Li-
Hung-Chang, ior ministre de l'empire de
Chine. — Moscou. »
Le Passant.
UN CHANTAGE CONTRE 1. JEAN COQUELIN
Mercredi prochain, six mai, comparaîtra
devant la huitième chambre de police cor-
rectionnelle, sous l'inculpation de tentative
d'extorsion de fonds, un sieur Alfred-Léon
Guillard, ex-habilleur de M. Jean Coquelin,
le fils de l'ex-sociétuire de la Comédie-Fran-
çaise.
Ces temps derniers, Léon Guillard tenta
d'extorquer à M. Jean Coquolin une somme
d'argent en le menaçant d'écrire au grand
artiste du théâtre de la Porte-Saint-Mariin
une lettre dans laquelle il devait révéler à
celui-ci, à l'encontre de son fils, des faits
aussi monstrueux qu'invraisemblables.
Pour toute réponse, M. Jean Coquelin fit
arrêter le maitre-chanteur qui, à l'instruc-
tion, a déclaré qu'il demandait « pardon à
genoux » à M. Jean Coquelin de l'infamie
dont il Vêtait rendu coupable à son égard.
M. Jean Coquelin sera entendu comme t&
moin aux débats.
6>
LE TERRASSIER
Le bois de Boulogne est fréquenté par
toute sorte de gens ; il en est même de fort
bigarres.
Com me j'y passais Vautre matin et quo
le soleil, déjà haut dans le ciel, avait séché
jusqu'à la dernière goutte la rosée de la
nuit, je m'écartais un peu du chemin que
je suivais pour aller m asseoir à l'abri ci un
joli bosquet, tout pimpant de verdure et dé
fleurs nouvelles.
C'était aux abords de Bagatelle. Uu
vaste pelouse, bien Jourrée d'herbe druet
jonchée de pâquerettes et tout - étoilée tl' 411-
réoles de pissenlits, s'étendait jusqu'à l'ho- -
rt'{on que fermait, du côté de la Seine, un
Jrcle rideau de peupliers. Leur feuillage
était encore si léger qu'on distinguait au
travers deux ou trois nÙJs de pie avec autant
de bouquets de gui suspendus dans les hau-
tes branches. Un arbre de Judée en fleur
mettait à droite sa note rose. Des oisilloni
affairés, une brindille au bec, jetaient en
fuyant leur ombre rapide sur la prairie en-
soleillée.
Tout yeux et tout oreilles à ce spectacli
qui, pour n'être pas nouveau, me plaisait
infiniment mieux
Que de voir à Longchamps des cavaliers courir,
Ou que id'être à l'état de cavalier moi-même,
j'en fus distrait subitement par plusieurs
éclats de voix qui me firent dresser la tète.
Un être singulier était là, dans le che-
min, se dirigeant de mon côté.
Il parlait haut en marchant, l'œil fixé à
terre, se retournait, s'arrêtait avec des ges-
tes a effroi et, comme il était seuly ses jp**
roles s'adressaient évidemment à quelqui
personnage invisible.
J'entendais :
— Comment 1 c'est encore toi qui me tires
les pieds? Mauvaise bête! Lâche-moi; laisu-
mot m'en aller à mon travail!
Quand il ne fut plus qu'à quelques tlÛ
Ires de l'endroit où j'états assis, je vis que
c'était un tout petit homme, rousseau, bossu,
trapu, les jambes en arc-de-cercle et qu'il
avait une pelle à la main.
— Qu'y a-t-il? lui dis-je, en me levant,
et à qui en a'De{-vous}
Il releva la tête et me répondit, le visage
effaré :
-- - C'est ma femme, Id, sous la terre, qui
me suit partout. Elle n'arrête pas de me
tirer les pieds. Tout à l'heure encore elle a
manqué de faire tomber. Elle voudrait sor-
tir, que je lui fasse un trou. Vous m'ne
tende^, je sui* terrassier.
Et il brandissait sa pelle. r,
J'avais affaire à un fou.
Je regardai le malheureux s'éloigner,
toujours monologuant et gesticulant, tou*
jours suivi par l'affreux spectre $outerrajn
Sa silhouette décroissante assombrit queU
que temps le paysage.
CHARLES FRÉMINB.
.00 e
CHRONIQUE
Par ANDRÉ BALZ
Renan en 1848
On vient de publier Alans une revue.
quelques lettres do Renan écrites eir
pleine fournaise, au/bruit des fusillades
terribles des journées de juin et sous le
coup de la répression non moins terri-
ble qui les suivit. A cette date, Renan
préparait paisiblement son agrégation
de pllilOSOpD..æ et c'est à sa sœur Hen-
riette, institutrice en Pologne, qu'il
adressait ses impressions de témoin et
de juge..
Curieuses et dramatiques au plus
hau*, point, ces impressions ont le pre-
mier mérite de nous révéler un Renan.
intime, absolument et volontairement -
Aerme au reste des hommes. « Tu es,
écrit-il à sa sœur, avec mon fidèle et
pénétrant Bertueiot, la seule personne
à qui je dise ma pensée. Avec les autres,
je suis exactement de leur opinion et
de leurs nuances. »
A première vue et surtout par son
horreur de l'action, le Renan de uH8 ne
semble pas différer beaucoup de celui
que nous avons connu. Jamais le vin
fumeux de la jeunesse ne trouble ré-
quilibre de son cerveau et, s'il descend
dans la rue, c'est avec un crayon et un
carnet et non pour se mêler aux luttes,
des partis. D avance il s'est mis en
1 garde contre tous les entraînements
de ce genre. Sa ligne de conduite est
très nettement circonscrite en deux li-
gnes : « No prendre le fusil pour aucun
parti lors même que je croirais voir
dans l'un d'eux. les droits les plus sa-
crés, les intérêts les plus précieux de
I humanité ».
Du reste, Renan n'est pas « socia-
liste » bien qu'il croie au triomphe fu-
tur de certaines idées sociales. Mais
en 1848, elles ne lui semblent pas mûres.
iïn vain auraient elles triomphé à Pa,
ris, la France n'eût pas donné son cone
sentement à la révolution de Paris.
Tous comptes faits, il se réjouit ou plu-
tôt s'accommode de la victoire delu,
« conservateurs » en songeant que la
victoire de 1 insurrection eût été plua
redoutable encore.
Et pourtant il serait difficile de trou-
ver dans les journaux socialistes les
plus avancés de l'époque plus violentes
attaques contre la bourgeoisie et le
« parti de l'ordre ».
Il y a, écrit-il, une immense diffé-
rence entre l'état actuel et cetui de
178). Le progrès avait alors à com-
battre une caste particulière parfaite-
ment une et délimitée, se fondant sur
la naissance et, par là, étonnamment
vivace (elle vit encore). Telle n'est
pas la bourgeoisie, c'est un esprit et
non une caste. elle n'a pas d'enthou-
siasme, elle n'aime pas l'hUmanitj,
elle aime mieux avoir sous eIIe:
/T •'
: >*
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Le Numéro, CINO G E NT I TVT Pî
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et AUX BUREAUX DU JOURNAL
RÉDACTION e 18h rue Montmartre, 131
lDe4à8 heures du soir et de 10 heures du soir à 1 heure du matin
N° 9550. i:r.nan.che 3 Mai 1896
la FLOREAL AN 104
ADMINISTRATION t 131, rue Montmartre, 131
Adresse? lettres et mandatsà i'Admnxstrateur
NOS LEADERS
LA BATAILLE
Jamais Chambre n'abdiqua si hon-
teusement.
Il ne manquait plus au Sénat que la
soumission de la Chambre dont il
usurpait les droits. 11 Ta; et nous
avons eu la stupeur de voir la majo-
rité qui venait de s'aplatir devant le
suffrage restreint, applaudir sa capi-
tulation comme une victoire.
Pour obtenir ce résultat, il a fallu
qu'ayant moins de pudeur que M. Rou-
tier, au temps de son pacte avec le
baron de Mackau, le ministère acceptât
de recevoir la majorité des mains de
)a droite.
Le ministère l'a emporté de trente-
quatre voix.
Il a soixante-dix voix demandées à la
réaction monarchique et cléricale.
Il est superflu d'insister sur la gra-
vité de la situation, créée par ceux qui
pnt livré aux vieillards du Luxembourg
la souveraineté nationale.
On jugera si ceux-là ont encore
droit au titre de républicains.
- Pour les défenseurs de la démocratie,
la journée d nier est le commencement
de la lutte. On attente aux droits du
suffrage universel. Soit ! Le pays se
lèvera pour les défendre.
On a vu l'union formée, au sortir
même de la séance, sans distinction
cte nuances, par les membres des deux
Chambres qui n'ont pas déserté la
cause de la souveraineté nationale et
des réformes républicaines.
Ils serrent leurs rangs comme les
républicains l'ont fait au Seize-Mai.
Quant aux déserteurs qui,en se retour-
nant à huit jours de distance, ont
porté la majorité du côté de M. Mé-
line, de M. de Mun, de M. Turrel, de
M. de Larochefoucauld, de M. Poin-
caré et de M. d'Hulst, ils ont fait leur
choix : le pays les jugera.
C'est de la part de ceux-là que le vote
d'hier est le plus honteux ; parce
qu'en se déjugeant ainsi, ils n'abais-
saient pas seulement la Chambre dont
ils ont fait partie, ils s'abaissaient en-
core eux-mêmes.
L'armée qui s'apprête à combattre
pour les droits du suffrage universel
n'a que faire de soldats aussi portés à
passer à l'ennemi. Ils se vantaient d'ê-
tre des républicains résolus. Ils se
sont jetés dans les bras de la réaction
cléricale. Leurs électeurs les ver-
ront demain, avec les royalistes et les
dévots, contre la majorité des répu-
blicains. Et cela, pour abandonner
les droits du suffrage universel dont
ils avaient le dépôt.
Ils disent ridiculement qu'ils n'ont
pas voulu renverser le cabinet avant
gu'il ait agi ; qu'ils se réservent de le
juger à l'œuvre, comme s'ils pouvaient
ignorer que la question était de savoir,
non si M. Méline serait ministre de
l'agriculture, mais si la Chambre ac-
cepterait le coup de pied du Sénat !
Ces mauvais prétextes, invoqués
pour leur inoubliable défaillance, se-
ront écartés par les huées du public.
Habitués à chercher d'où souffle le
vent, ils ont cru qu'il tournait. Ils ne
savent même pas leur triste métier.
Tant pis pour eux !
Quant au pays, qui dans un réveil
démocratique a devancé les Cham-
bres, il répondra à l'appel qui lui est
adressé de façon à inspirer d'amers
repentirs à ceux qui tentent de con-
fisquer ses droits.
Soit ! Il faut lutter encore pour que
les plus médiocres des hommes n'es-
sayent pas de se mettre au-dessus de
la souveraineté nationale.
Eh bien ! on luttera.
CAMILLE PELLETAN.
@
Nous publierons demain un article
de M. Charles Bos.
LES DEUX SCRUTINS
A sept jours de distance, le 23 avril et le
30 avril, la Chambre a eu deux fois à se pro-
noncer sur l'ordre du jour de M. Henri Ricard
(Côte-d'Or), ainsi conçu :
, — « La Chambre affirme à nouveau la pré-
pondérance des élus du suffrage universel
et sa résolution de poursuivre la politique
des réformes démocratiques. »
Le 23 avril, la priorité a été accordée
à cet ordre du jour par 270 voix contre
236.
Le 30 avril, la priorité lui a été refusée par
279 voix contre 251.
Les députés doivent compte au suffrage
universel de la manière dont ils remplissent
leur mandat, tiennent leurs engagements.
— Le suffrage universel a le droit d'être
renseigné. —La presse a le devoir de ren-
seigner le suffrage universel.
nioi ce "ui résulte de la comparaison des
deux scrutins :
onze des députés qui avaient voté, le 23
avril, pour la priorité de l'ordre du jour
Henri Hicard, ont voté le 30 avril contre
cette priorité.
En d'autres termes :
Le 23 avril, ils proclamaient la prépondé-
rance des élus du suffrage universel et affir-
maient leur résolution de poursuivre la po--
litique des réformes démocratiques.
Le 30 avril — un ministère modéré ..antÙ
Miccedé au cabinet Bourgeois - /aV'd:ient
ftanwî d'opinion, se dégageaient, .'rebiaiet
leurs opinions, infligeaient à leurs convic-
tions un démenti.
Nous publions ici les noms de ces dé-
putés.
Ce sont MM. Bérard (Ernest) (Rhône),
Chaulin-Servinière, Coget, Dupuy-Dutemps,
Goirand, Gourvil, Guillemin, Martinon, Mo-
roux, Sicard, Weil-Mallez.
En dessous de leurs noms il faut placar-
der les noms des onze qui n'osent trahir et,
n'ayant pas le courage do rester fidèles, se
sont réfugiés dans l'abstention.
Ce sont MM. de La Batut, Le Troadec, Li-
nard, de Mahy, Cunéo d'Ornano, Rey (Emile)
(Lot), Sirot-Mallez, Breton, Caussanel, Com-
payré, Dunaime.
Pour être complet, il faut ajouter les noms
des absents par congé. Il sied ici de faire une
réserve. Il est possible que si plusieurs de
ces congés ont été demandés par peur, il en
soit d'autres que légitiment des raisons va-
lables, sérieuses.
Aussi ne donnons-nous la liste des députés
qui, ayant voté le 23 avril la priorité en
faveur de l'ordre du jour Henri. Ricard, se
sont trouvés absents par congé le 30 avril,
qu'à titre de simple document.
Voici cette liste : MM. Bourrillon, Car-
pentier-Risbourg, Clament (Clément), Du-
bois (Emile), Garnier (Charente-Inférieure),
Gellibert des Séguins, Maruéjouls, Odilon-
Barrot, Raiberti, Saumande.
Il me semble inutile d'ajouter, pour le
moment, aucun commentaire : - le pays
jugera.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
nomtMipoi~
Le Manifeste dès Républicains
APPEL AU SUFFRAGE UNIVERSEL
A l'issue de la séance de la Chambre les répu-
blicains radicaux qui ont voté contre le minis-
tère i présidé par M. Méline ont constitué un
comité de dix-huit personnes, composé de qua-
torze députés et de quatre sénateurs.
Ce comité, dont M. Léon Bourgeois a été
nommé président par acclamation, est com-
posé de MM. Léon Bourgeois, Paul Doumer,
René Goblet, Camille Pelletan, Alphonse Hum-
bert, Edouard Lockroy, Mesureur, Castelin, Du-
tardin-Beaumetz, Louis Ricard (Côte-d'Or),
Isambert, Codet, Le Hérissé et Denis, députés,
et MM. Combes, Baduel, Delpech et Bernard,
sénateurs.
M. Nicolas, chef-adjoint du cabinet de M. Dou-
mer, a été chargé des fonctions de secrétaire
du comité.
Le comité a aussitôt rédigé le manifeste sui-
vant :
Au suffrage universel,
Il est devenu nécessaire de s'unir
pour la défense des droits du suffrage
universel. ------
Comme au Seize-Mai, un gouverne-
ment essaie de le subordonner en
s'appuyant sur le suffrage restreint.
Il y a Jix-huit ans, cette tentative
trouva devant elle une Chambre fidèle
à la démocratie et tous les républi-
cains unis pour la défendre.
Aujourd'hui, une minorité républi-
caine, alliée aux débris des réactions
monarchiques et cléricales, livre le
dépôt qu'elle a reçu : les prérogatives
de la Chambre et les droits de la
nation.
En vain on veut cacher la vérité
sous un hommage dérisoire rendu
aux idées de réformes et au suffrage
universel.
On ne trompera pas la France. Elle
a vu au grand jour le Sénat comman-
der et la Chambre se soumettre.
Aujourd'hui, où la lutte avouée
contre la forme républicaine est de-
venue impossible, la force des choses
a refait le classement entre les deux
partis éternels : le parti de la résistance
et le parti du progrès.
Il faut être avec la démocratie ou
contre elle.
Ce qu'on frappe, c'est cette souve-
raineté nationale sans laquelle il n'y a
pas de République.
Ce sont ces lois de réformes toujours
écartées par le Sénat et nécessaires,
non seulement à l'idéal de justice que
nous a légué la Révolution française,
mais encore aux intérêts légitimes de
l'immense majorité des citoyens con-
damnés à être saorifiés si le pouvoir
passe au suffrage restreint.
C'est notamment cette répartition
nouvelle des charges publiques que le
parti, qui vient de ressaisir le pouvoir,
n'a jamais réalisée, malgré des enga-
gements dix fois répétés et que le gou-
vernement renversé a le premier essayé
d'accomplir.
C'est ce dégrèvement des travail-
leurs des villes et des campagnes qu'on
n'a pas le droit de promettre, quand
on se refuse à savoir où est la richesse
pour lui faire payer sa juste part
d'impôts.
On nous ramène au temps où il fal-
lait défendre le principe primordial
que nous croyions définitivement con-
quis par cent ans de luttes glorieuses.
Comme au Seize-Mai,les membres des
deux Chambres restés fidèles à la cause
du peuple, quelles que fussent leurs
nuances d'opinion, ont compris la né-
cessité de se, serrer étroitement contre
les réactions coalisées.
Ils Vorganisent pour la défense du
~~tt républicain et sont prêts à ac-
C'oplir leur devoir jusqu'au bout.
Ils n'abandonneront pas le suffrage
universel.
Le suffrage universel ne. s'abandon-
ner,a pas.
r, <» - » -
LA CONCILIATION RÉACTIONNAIRE
On nous disait que le ministère Méline,
quoique composé de conservateurs républi-
cains, serait un ministère de conciliation.
La bonne histoire et comme on voit bien
que M. Barthou est ministre de l'intérieur.
Un rédacteur du Soir, M. Joléaud-Barral,
répartiteur suppléant de la ville de Paris,
vient d'être révoqué brusquement sur
l'ordre du ministre de l'intérieur, parce qu'il
a eu l'audace de poser sa candidature aux
élections municipales et quoique employé de
la Ville.
Quatre de ses collègues, qui se trouvaient
dans le même cas, ont éprouvé le même
sort.
Un rédacteur du Soir, qui est favorable au
ministère Méline, révoqué!
A quoi devons-nous nous attendre, nous
rédacteurs de journaux démocrates?
LE SHAH DE PERSE ASSASSINÉ
UN CRIME POLITIQUE
Attentat mystérieux - Tué par un fanatique
Arrestation de l'assassin
Le règne de Nasser-ed-Din
La Perse a ses Caserios, et le roi des rois,
malgré son escorte brillante, n'est pas mieux
protégé contre les assassins que le plus mo-
deste président dit la plus démocratique des 1
républiques.
Le shah de Perse Nasser-ed-Din que les
Parisiens eurent trois fois l'occasion d'aner-
cevoir à dix-huit ans de distance, vient, en
effet de succomber sous les balles d'un fa-
natique, sans qu'on sache encore exactement
quelles sont les raisons qui ont poussé le
meurtrier à commettre son crime.
Dans quelles circonstances s'est produit
ce tragique évènement qui vient, une fois
de plus, d'ensanglanter l'Orient et d'auge
menter la liste déjà si longue des assassi-
nats politiques dont la Bulgarie, la France,
la Russie et les Etats-Unis ont été tour à
tour le théâtre ?
On ne le sait pas encore d'une façon très
précise; les seules dépêches que nous ayons
reçues jusqu'ici ne faisant que mentionner
le fait sans entrer dans aucun détail com-
plémentaire. Mais l'essentiel est que la mort
de Nasser-ed-Din n'entraine ni troubles ni
conplications, et il parait qu'à cet égard on
peut être complètement rassuré.
LE RECIT DU CRIME
Ne cherchons donc pas à échafauder d'i-
nutiles suppositions et bornons-nous à enre-
gistrer simplement le récit de l'assassinat,
tel que nous l'a apporté le télégramme sui-
vant, date cte Téhéran, 1er mai :
« Le shah de Perse a été assassiné cet
après-midi par un fanatique qui lui a tiré un
coup de pistolet au cœur au moment où il
entrait dans la cour intérieure du sanctuaire
de « Shah-Abdul-Azim », situé à six milles
au sud de la ville.
» Nasser-ed-Din a été reconduit immédiate-
ment après l'attentat, en voiture, au palais.
» Là, il a reçu les soins du docteur fran-
çais Tholozan, son médecin principal.
» Mais tous les soins furent inutiles et à
quatre heures, le shah de Perse succombait
sans avoir pu reprendre connaissance.
» Le médecin de la légatien allemande ap-
pelé en hâte par le docteur Tholozan, n'est
arrivé que pour constater le décès.
» L'assassin de Nasser-ed-Din a été arrêté.
On croit qu'il a des complices. -
» Le prince héritier partira incessamment
de Tabriz pour Téhéran.
» La tranquillité est parfaite. »
Voilà comment a été tué Nasser-ed-Din
ou plutôt voilà tout ce que nous savons du
crime auquel il vient de succomber.
A LA LÉGATION DE PERSE
A la légation de Perse, la dépêche qu'on a
reçue au sujet de l'assassinat n'est, en efînt
guère plus détaillée que celle - que nous
avons publiée plus haut.
Toutefois, voici d'après les renseignements
que le ministre, M. le général Nazar-Agha,
a bien voulu nous fournir, quelques détails
qu'il est bon de noter :
Le shah de Perse s'était rendu aujour-
d hui en pélerinage au tombeau d'iman, à
huit kilomètres environ de Téhéran (Iman
signifie descendant du prophète), ainsi qu il
le faisait chaque semaine.
Il était accompagné de toute sa suite.
Un individu appartenant à une secte
politico-religieuse, détachée de l'islamisme,
un « babi », se faufila parmi les person-
nages de la cour impériale et, avant que per-
sonne ait pu s'opposer à son acte, il ajustait
le souverain et lui tirait un coup de revol-
ver qui l'atteignait en plein cœur. Le shah
s'affaissa immédiatement en poussant un
cri et pour ne plus se relever.
Le prince héritier se nomme Mozaffer
Ed Dine Valiahde, est âgé de quarante-cinq
ans et, bien qu'il n'ait jamais quitté la Perse,
il parle très couramment le français.
Le shah de Perse sera enterré probable-
ment au lieu même où s'est produit l'atten-
tat, à moins cependant que ce soit à Kouni,
où se trouve le tombeau des souverains de
Perse.
LA CARRIÈRE DE NASSER-ED-DIN
En attendant que d'autres détails nous
parviennent, examinons toujours quelle a
été la carrière de ce prince oriental qui avait
été l'hôte du président Carnot en 1889 et
qui a eu, comme lui, une fin tragique.
Nasser-ed-Din. ou Dlns exactement. NaSF.-
Dirt-Chah était né le 18 juillet 1831 et avait
succédé à son père, Méhérned-Chah, le 18,
octobre 1848. 1
Ayant échappé l'année 'même de son avè-
nement au trône à un Complot dirigé contre
lui par des fanatique?»qui le savaient homme
de progrès autant, qu'un roi d'Orient peut
être homme de progrès, il ne se laissa pas in-
timider et réso^ûment, avec une ardeur toute
juvénile, il slforça d'introduire dans l'ad-
ministrati/on de ses Etats un peu plus de jus-
tice et d>équAté.
En r.aêtr.'e temps, suivant l'exemple de son
pèrç, qu.\ avait été le premier des souverains
de Perse à nouer des relations suivies avec
l'Erùrope, il signa des traités de commerce
tt d'amitié avec nous comme avec les An-
glais et les Russes.
Mais peu après, il laissa occuper Hérat
par les Husses pour leur permettre d'arrêter
les envahissements des Afghans et se trou-
va de ce fait attaqué aussitôt par les trou-
pes britanniques.
Victorieuses, celles-ci marchaient sur
Téhéran, lorsqu'intervint heureusement le
traité de Paris, du 4 mars 1857, qui mit fin à
la guerre. ;
Nasser-ed-Din comprit qu'il n'était pas de
force à se mesurer avec une Diiissanoe eu-
ropéenne et, ayant fait réorganiser son
armée par un ofncier français, le comman-
dant Duhausset, il se borna à affermir son
autorité en réduisant quelques princes voi-
siné, comme le khan de Khiva et l'iman de
Mascata, et en réprimant énergiquem"nt un
mouvement insurrectionnel provoqué par la
secte religieuse des Babys.
Plus tard, en 1873, désireux de connaître
par lui-même la civilisation de l'Occident, il
ht un long voyage de 8-pt mois à travers
la Russie, la Prusse, la Belgique, la France,
l'Angleterre, l'Italie et l'Autriche, à la suite
duquel il adopta notre système monétaire,
adhéra à l'union postale, embellit sa capi-
tale, y installa une usine à gaz, des lycées,
que sais-je encore ?
Séduit par le charme de Paris, il revint
encore ici en 1878 et en 1889, et chaque fois
il mit à profit ses visites dans nos musées
on dans nos administrations publiques pour
améliorer, à son retour, le fonctionne ment
des divers rouages politiques de la Perse.
Intelligent, dessinateur habile et grand
amateur de musique, Nasser-ed-Din, quoique
oriental, a toujours mené une vie très
simple et très acrive.
Chaque matin, il examinait avec attention
les dossiers des multiples affaires de son
royaume, donnait audience à ses sujets et
rendait publiquement la justice. L'après-
midi, ses devoirs religieux accomplis, il
employait ses loisirs à écrire des petites
maximes philosophiques ou à étudier les
littératures étrangères.
Très sobre, le shah de Perse aimait beau-
coup ses enfants et passait la plus grande
partie de son temps entre ses dix-neuf épou-
ses et ses deux cents dames de compagnie.
Il laisse treize filles et trois fils. L'aîné de
ceux-ci est gouverneur d'Ispahan et ne sera
pas appelé au trône, car sa mère était es-
clave. Le second, qui est gouverneur de
Tauris, est celui qui sera appelé à lui succé-
der. Quant au troisième, il est gouverneur
de Téhéran.
Faut-il ajouter que Nasser-ed-Din s'étant
abstenu de contracter aucune dette anté-
rieure, avait accumulé une fortune considé-
rable estimée à plus de 100 millions et que
l'or et les pierreries de son trône — le trône
des paons — dépouille opime prise par
Nadir-Chah dans une guerre heureuse contre
le grand mogol de Delhi en 1740, représente
plus de 1(50 millions ?
LES ON-DIT
AU JOUR LE JOUR
Il nous paraît utile de revenir sur le
très remarquable discours qu'a pro-
noncé hier M. Bourgeois à la tribune
de la Chambre et qui lui a valu, de la
part de tous les fidèles du parti pro-
gressiste, une ovation méritée. Per-
sonne mieux que lui n'a précisé, avec
une plus éclatante logique, les consé-
quences du conflit qui s'est élevé entre
le Sénat et la Chambre. Le Sénat, a-t-il
dit en substance, a, si on lui reconnaît
le droit de renverser les ministères, cet
avantage sur la Chambre de pouvoir
voter la dissolution ; en cas de conflit,
entre les deux Assemblées, ce serait
alors au Sénat qu'appartiendrait le der-
nier mot ; la Constitution reconnaît
donc un pouvoir supérieur au suffrage
universel, et ce pouvoir supérieur est
actuellement entre les mains du suf-
frage restreint.
Cette doctrine, contre laquelle s'éle-
vait M. Bourgeois dans un des plus
beaux discours qu'il ait jamais pro-
noncés, a été néanmoins ratifiée par la
Chambre ; tant pis pour cette dernière.
La question de revision est dès à pré-
sent posée ; elle est inscrite en tête du
programme progressiste ; elle établira
dans l'avenir le signe de démarcation
le plus net entre les deux grands partis
qui se partageront le pouvoir.
Il est évident qu'il faudra, un jour,
en discuter les points précis sur les-
quels se compteront les intransigeants
et les modérés du parti du progrès.
L'important, aujourd'hui, est que la
question est à l'ordre du jour et n'at-
tendra pas longtemps sa solution; le
Sénat, qui a pu sembler avant-hier ga-
gner la partie, l'a en réalité irrémédia-
blement perdue. C'est à peine une ques-
tion de mois.
CHEZ NOUS
- La conférence internationale pour
la protection des œuvres littéraires et artis-
tiques a tenu hier sa troisième r^\ dernière
séance plénière au ministère,, des affaires
étrangères.
Il a été décidé que la prochaine confé-
rence se tiendrait à Beiin dans un délai de
six à dix années. r'
La coller', àbn d'azalées cultivée par
la Ville de p.. Als à l'établissement horti-
cole de la Muette, avenue Henri-Martin,
115, est Actuellement en pleine floraison.
Le public est admis à la visiter sans au-
tOrJAtlOD spéciale, de une heure à six
beurres du soir, jusqu'au 24 mai.
- Du 15 mai au 15 juin il sera, en
"vertu de la loi militaire, procédé, dans le
département de la Seine, au classement de
toutes les voitures attelées et de tous les
chevaux et juments de six ans et au-dessus,
des mules et mulets de quatre ans et au-
dessus.
- Deux nouvelles lignes d'omnibus
viennent d'être mises en circulation :
il, place Clichy-carrefour des Feuillantines;
20 Notre-Dame-de-Lorette-boulevard Saint-
Marcel.
—— M. Robert Charlie, secrétaire de
la rédaction de la République Jrançaise, est
nommé rédacteur en chef de ce journal,
dont M. Méline quitte officiellement la di-
rection politique.
- La reine Victoria a quitté Cher-
bourg, hier, sur le Victoria and Albert, es-
cortée par son escadnlle, composée des
croiseurs Blake et Charybdis.
La reine a exprimé ses remerciements au
préfet maritime.
La fête annuelle des jeux floraux
s'est ouverte hier à Toulouse. -
M. François Coppée « mainteneur »
de l'Académie, a prononcé l'éloge de Clé-
mence Isaure. ,
Le soir, l'Académie a offert un grand
banquet à M. Coppée.
- A un concert organisé jeudi soir, à
la Bonbonnière, par la marquise de Quey-
lard, notre confrère Marc Legrand a fait,
avec un grand succès, une conférence sur
l'inspiration provençale à propos de la
Baguanarella et sur les sources danoises
de la ballade de Gœthe, le Roi de Aulnes.
- Parapluie contre canif :
Le canif était dans le contrat, le para-
pluie s'est exercé contre un pastel.
Mme Lucenay-Vidal fut unie jadis en
justes noces avec un artiste peintre, M.
Vidal; mais une incompatibilité existait
sans doute entre le nincean et la nlumc
- ..------- -. -- r----
(Mme Lucenay est dame de lettres) car les
deux époux ne tardèrent pas à se séparer.
Cependant, il faut croire que sous la cen-
dre de la mésintelligence le feu de la
jalousie couvait encore dans ce ménage
désuni, puisque madame a jugé bon d'ex-
terminer à coups de parapluie le portrait
d'une personne qu'elle déclare la maîtresse
de monsieur, portrait exposé au Salon du
Champ de Mars. Pif i paf 1 pan 1 pan 1
attrape 1 et le verre qui couvrait les traits
de la rivale a volé en éclats.
- * C'est la troisième fois qu'il expose
la figure de cette créature ! » criait l'exas-
pérée aux gardiens surpris.
Oh 1 madame 1 est-ce donc là de l'indif-
» -
rereîice r
Pourtant ce n'est pas du pardon, car la
r vengeresse de son ho-nneur a décoché au
volage devant un de nos confrères, cette
flèche du Parthe :
* Mon mari aurait tort de m'en vouloir.
On n'a jamais tant parlé de lui que depuis
hier 1 »
A L'ETRANGER
On mande de Bruxelles que le roi
des Belges, qui a pris un léger refroidisse-
ment lors de son séjour à Nice, souffre de
la gorge.
Il reçoit son médecin tous les jours.
- L'exposition nationale de Genève
a été inaugurée hier matin. La ville était
splendidement pavoisée. Le soir, à un ban-
quet qui réunissait les invités et auquel as-
sistaient les chefs des missions diplomati-
ques, M. Barrère, ambassadeur de France, a
prononcé un discours très applaudi.
— L'exposition industrielle de Berlin
a été ouverte hier.
L'empereur et l'impératrice assistaient à
la cérémonie d'inauguration, ainsi que le
prince de Bulgarie, qui vient d'arriver de
Paris.
- M. Frédéric-Henri Geffcken, con-
seiller privé, est mort, hier, à Munich,
asphyxié par la fumée d'un incendie que
l'explosion d'une lampe avait allume dans
sa chambre.
M. Geffcken était bien connu comme
éditeur du Journal de Frédéric III et
comme partie au procès de haute trahison
qui lui avait été intenté à la suite de cette
publication.
- Les têtes du couronnement du
tsar:
Li-Hung-Chang, ambassadeur de Chine,
qui se rend à Saint-Pétersbourg pour as-
sister aux solennités, est arrivé à la gare de
Varsovie où se trouvait une garde d'hon-
neur avec musique et drapeau. Les hauts
dignitaires, le ministre des voies et com-
munications, une députation de marchands
de thés russes étaient présents.
L'ambassade chinoise était au complet
et en costume de gala.
Lorsque Li-Hung-Chang est descendu du
train, la garde a présenté les armes et la
musique a joué l'hymne chinois.
Li-Hung-Chang s'est rendu dans les ap-
partements impériaux de la gare. Dans
la première salle, était dressée une tabLr
couverte de soie jaune sur laquelle étaient
déposées les écritures, saintes des Chi-
nois.
L'ambassade s'est prosternée à genoux,
puis Li-Hung-Chang a appuyé ses mains
sur les écritures saintes et a formé des
souhaits. -pour la prospérité d'un long
rècne du tsar Nicolas et de l'empereur de
Chine.
Li-Hung-Chang et les membres de
l'ambassade se sont rendus ensuite dans
des voitures de la cour à leur hôtel, puis
l'ambassadeur extraordinatre de la Chine
a échangé des visites avec le général
Ruhter, ministre des voies et communi-
cations.
Li-Hung-Chang, — on ne saurait pren-
dre trop de précautions en voyage 1 — a
celle de se faire suivre partout par son cer-
cueil. Ce cercueil est en bois de chêne
massif, tout cerclé et orné de magnifiques
dessins; les charnières, ainsi que les poi-
gnées, sont en cuivre doré, d'un travail re-
marquable. Sur l'un des côtés, on lit l'ins-
cription suivante : « Son Excellence Li-
Hung-Chang, ior ministre de l'empire de
Chine. — Moscou. »
Le Passant.
UN CHANTAGE CONTRE 1. JEAN COQUELIN
Mercredi prochain, six mai, comparaîtra
devant la huitième chambre de police cor-
rectionnelle, sous l'inculpation de tentative
d'extorsion de fonds, un sieur Alfred-Léon
Guillard, ex-habilleur de M. Jean Coquelin,
le fils de l'ex-sociétuire de la Comédie-Fran-
çaise.
Ces temps derniers, Léon Guillard tenta
d'extorquer à M. Jean Coquolin une somme
d'argent en le menaçant d'écrire au grand
artiste du théâtre de la Porte-Saint-Mariin
une lettre dans laquelle il devait révéler à
celui-ci, à l'encontre de son fils, des faits
aussi monstrueux qu'invraisemblables.
Pour toute réponse, M. Jean Coquelin fit
arrêter le maitre-chanteur qui, à l'instruc-
tion, a déclaré qu'il demandait « pardon à
genoux » à M. Jean Coquelin de l'infamie
dont il Vêtait rendu coupable à son égard.
M. Jean Coquelin sera entendu comme t&
moin aux débats.
6>
LE TERRASSIER
Le bois de Boulogne est fréquenté par
toute sorte de gens ; il en est même de fort
bigarres.
Com me j'y passais Vautre matin et quo
le soleil, déjà haut dans le ciel, avait séché
jusqu'à la dernière goutte la rosée de la
nuit, je m'écartais un peu du chemin que
je suivais pour aller m asseoir à l'abri ci un
joli bosquet, tout pimpant de verdure et dé
fleurs nouvelles.
C'était aux abords de Bagatelle. Uu
vaste pelouse, bien Jourrée d'herbe druet
jonchée de pâquerettes et tout - étoilée tl' 411-
réoles de pissenlits, s'étendait jusqu'à l'ho- -
rt'{on que fermait, du côté de la Seine, un
Jrcle rideau de peupliers. Leur feuillage
était encore si léger qu'on distinguait au
travers deux ou trois nÙJs de pie avec autant
de bouquets de gui suspendus dans les hau-
tes branches. Un arbre de Judée en fleur
mettait à droite sa note rose. Des oisilloni
affairés, une brindille au bec, jetaient en
fuyant leur ombre rapide sur la prairie en-
soleillée.
Tout yeux et tout oreilles à ce spectacli
qui, pour n'être pas nouveau, me plaisait
infiniment mieux
Que de voir à Longchamps des cavaliers courir,
Ou que id'être à l'état de cavalier moi-même,
j'en fus distrait subitement par plusieurs
éclats de voix qui me firent dresser la tète.
Un être singulier était là, dans le che-
min, se dirigeant de mon côté.
Il parlait haut en marchant, l'œil fixé à
terre, se retournait, s'arrêtait avec des ges-
tes a effroi et, comme il était seuly ses jp**
roles s'adressaient évidemment à quelqui
personnage invisible.
J'entendais :
— Comment 1 c'est encore toi qui me tires
les pieds? Mauvaise bête! Lâche-moi; laisu-
mot m'en aller à mon travail!
Quand il ne fut plus qu'à quelques tlÛ
Ires de l'endroit où j'états assis, je vis que
c'était un tout petit homme, rousseau, bossu,
trapu, les jambes en arc-de-cercle et qu'il
avait une pelle à la main.
— Qu'y a-t-il? lui dis-je, en me levant,
et à qui en a'De{-vous}
Il releva la tête et me répondit, le visage
effaré :
-- - C'est ma femme, Id, sous la terre, qui
me suit partout. Elle n'arrête pas de me
tirer les pieds. Tout à l'heure encore elle a
manqué de faire tomber. Elle voudrait sor-
tir, que je lui fasse un trou. Vous m'ne
tende^, je sui* terrassier.
Et il brandissait sa pelle. r,
J'avais affaire à un fou.
Je regardai le malheureux s'éloigner,
toujours monologuant et gesticulant, tou*
jours suivi par l'affreux spectre $outerrajn
Sa silhouette décroissante assombrit queU
que temps le paysage.
CHARLES FRÉMINB.
.00 e
CHRONIQUE
Par ANDRÉ BALZ
Renan en 1848
On vient de publier Alans une revue.
quelques lettres do Renan écrites eir
pleine fournaise, au/bruit des fusillades
terribles des journées de juin et sous le
coup de la répression non moins terri-
ble qui les suivit. A cette date, Renan
préparait paisiblement son agrégation
de pllilOSOpD..æ et c'est à sa sœur Hen-
riette, institutrice en Pologne, qu'il
adressait ses impressions de témoin et
de juge..
Curieuses et dramatiques au plus
hau*, point, ces impressions ont le pre-
mier mérite de nous révéler un Renan.
intime, absolument et volontairement -
Aerme au reste des hommes. « Tu es,
écrit-il à sa sœur, avec mon fidèle et
pénétrant Bertueiot, la seule personne
à qui je dise ma pensée. Avec les autres,
je suis exactement de leur opinion et
de leurs nuances. »
A première vue et surtout par son
horreur de l'action, le Renan de uH8 ne
semble pas différer beaucoup de celui
que nous avons connu. Jamais le vin
fumeux de la jeunesse ne trouble ré-
quilibre de son cerveau et, s'il descend
dans la rue, c'est avec un crayon et un
carnet et non pour se mêler aux luttes,
des partis. D avance il s'est mis en
1 garde contre tous les entraînements
de ce genre. Sa ligne de conduite est
très nettement circonscrite en deux li-
gnes : « No prendre le fusil pour aucun
parti lors même que je croirais voir
dans l'un d'eux. les droits les plus sa-
crés, les intérêts les plus précieux de
I humanité ».
Du reste, Renan n'est pas « socia-
liste » bien qu'il croie au triomphe fu-
tur de certaines idées sociales. Mais
en 1848, elles ne lui semblent pas mûres.
iïn vain auraient elles triomphé à Pa,
ris, la France n'eût pas donné son cone
sentement à la révolution de Paris.
Tous comptes faits, il se réjouit ou plu-
tôt s'accommode de la victoire delu,
« conservateurs » en songeant que la
victoire de 1 insurrection eût été plua
redoutable encore.
Et pourtant il serait difficile de trou-
ver dans les journaux socialistes les
plus avancés de l'époque plus violentes
attaques contre la bourgeoisie et le
« parti de l'ordre ».
Il y a, écrit-il, une immense diffé-
rence entre l'état actuel et cetui de
178). Le progrès avait alors à com-
battre une caste particulière parfaite-
ment une et délimitée, se fondant sur
la naissance et, par là, étonnamment
vivace (elle vit encore). Telle n'est
pas la bourgeoisie, c'est un esprit et
non une caste. elle n'a pas d'enthou-
siasme, elle n'aime pas l'hUmanitj,
elle aime mieux avoir sous eIIe:
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