Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1888-10-22
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 22 octobre 1888 22 octobre 1888
Description : 1888/10/22 (N6800). 1888/10/22 (N6800).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7543193n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/12/2012
N°6800 - Lundi 22 Octobre 1888
Ièr Brumaire an 97 — îT 6800 .-
centimes. • le numéro
RÉDACTION
18, RUE DB VALOIS, 18
pnBSSIt\ AU SEGfiÉTAHŒ DE LA RÉDACTION
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
W MANUSCRITS NON INSÉRÉS NK SERONT PAS RBNDCS
LE. RAPPEL
ADMINISTRATION
18, RUE DE VALOIS, 18
Adresser lettres et mandats
-IL L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT.
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C*
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
vx MOIS 2 FR.
TROIS MOIS. 5 —
SIX If OIS 9FR.
UN AN 48 —
Rédacteur en chef: AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS
DEPARTEMENTS
UN MOIS 2 FR.
TROIS MOIS. e -
SIX MOIS 11 FH.
UN AN. 20 -
LE RAPPEL vient d'acquérir
le droit de reproduire
LA DERNIÈRE MALADIE
DE FRÉDÉRIC III
PAR |
: le docteur MACKENZIE
Le Discours de M. ClérnBllceau
Dans le discours que M. Clémenceau
jvient de prononcer en Veprenant pos-
session de la présidence de l'extrême
jgaùche, il y a un passage que nos ad-
versaires feraient bien de méditer :
, — « Les haines des monarchistes,
les mécontentements d'indifférents, les
{déceptions mêmes de républicains se
rencontrent dans un commun effort
ipour porter au pouvoir un soldat révolté.
(Tous prétendent se servir de lui, tous le
(servent. » ,
Les bonapartistes et les royalistes ou-
Mient momentanément leurs griefs réci-
proques pour être frères en Boulanger.
ILes royalistes se disent : Qu'il nous dé-
iharrasse de la République, et il n'y aura
jplus d'acceptable que la royauté. Les bo-
înapartistes se disent : La République
ipar terre, il ne restera plus debout que
(l'empire. Tellement qu'hier un bona-
tpartiste, M. Robert Mitchell, exami-
nant ce qui se passerait si l'on venait
Là bout de la .République , omettait tota-
lement, dans les combinaisons qu'il
passait en revue, de faire même allu-
sion aux royalistes.
"":':"" « Et lés royalistes, s'il vous
tolait? » réclame le royaliste Gaulois. Et
Si demande au « politicien vigoureux et
spirituel » si c'est un « oubli » ou bien
;« s'il tient les royalistes pour une quan-
tité négligeable ».
, Avouons que les bonapartistes, s'ils
tiennent leurs alliés pour une quantité
négligeable, sont faciles à justifier. Ce
ifl'esl pas la première fois que les bona-
partistes ont les royalistes pour alliés.
Ils les ont eus pendant trois ans, de
11848 à 1851. Minorité à la Constituante,
leur association était majorité à la Lé-
gislative. Toutes les lois réactionnaires,
la loi qui livrait l'enseignement au
iclergé, la loi qui amputait le suffrage
universel de trois millions d'électeurs,
;'Ct., ont été leur œuvre commune.
Alors comme aujourd'hui, chacun des
eux partis se tenait prêt>à trahir l'au-
tre, chacun se flattait d'être le fripon.
Lequel a été la dupe? le parti royaliste.
On ne s'étonne pas que le parti bona-
partiste, se souvenant de ce -précédent,
se plaise à recommencer le jeu. On com-
prend moins que Raton se remette à
tirer les marrons des cendres.
Mais cette fois Bertrand ne serait pas
moins dupe que Raton. C'est par un
troisième larron que les marrons se-
raient croqués. Celui dont ils croient se
servir ne travaille ni pour le comte de
Paris, ni pour le prince Victor, il tra-
vaille pour lui-même.
Après tout, le jour où ils s'aperce-
vraient qu'en croyant se servir de lui
ils l'ont servi, seraient-ils si dupes que
cela ? Au fond, que veulent ceux qui
demandent un roi ou un empereur?
Un maître. Ils en auraient un, et un
rude. Ils aspirent à être sujets, ils le
seraient. On a vu, au commencement
de 1870, avec quelle facilité les roya-
listes sont devenus impérialistes et ont
mendié des portefeuilles à la main qui
les avait pris au collet le 2 décembrè et
empilés pour Mazas.
, Que les royalistes et les bonapartistes
« s abandonnent lâchement au vieux
penchant de la servitude », c'est leur
affaire. Mais qu'aucun républicain ne
subisse cette « honteuse défaillance ».
M. Clémenceau a énergiquement rap-
pelé ce qu'elle produit.
— « Nos ruines attestent encore la
tragique histoire du pouvoir personnel.
Qui donc peut avoir oublié ce qu'il ad-
vint de la France quand trop de Fran-
çais prirent la liberté en dégoût? Où
aboutit le premier empereur? Où aboutit.
le second? Tous deux à l'invasion. Tous
deux au démembrement. »
Et l'on voudrait recommencer! L'élo-
quent porte-parole de l'extrême gauche
l'a bien dit, « la patrie des Droits de
l'homme est devenue l'étonnement de
l'Europe depuis qu'on peut impunément
lui présenter le joug ». Ce joug, elle ne
le , subira pas ; elle lé rejetterà à la
figure de ceux qui tentent de le lui im-
poser; les royalistes et les bonapartistes
auront beau se coaliser, les républicains,
qui sont la grande majorité du pays, ne
se laisseront pas réinfliger le régime
qui va de* Brumaire à Waterloo et de
Décembre à Sedan.
AUGUSTE VACQUERIE.
-
LE CONSEIL DES MINISTRES
Les ministres se sont réunis, hier ma-
tin, à l'Elysée, sous la présidence de
M. Carnot.
M. Peytral a remis à ses collègues des
épreuves du projet concernant l'impôt sur
le revenu.
Un conseil de cabinet exceptionnel aura
lieu lundi matin, au ministère de l'inté-
rieur, pour permettre aux ministres de
statuer sur cette question.
M. de Freycinet, ministre de la guerre,
a fait signer au président de la Républi-
que une décision, permettant de conférer
la-médaille •militaire aux commandants de
corps qui ont rendu des services émi-
monts; Aux termes de cette décision, là-
médaille militaire a été décernée à M. le
général Février.
Le ministre de la guerre a annoncé
qu'il partirait le soir même pour les Al-
pes-Maritimes, où il compte visiter quel-
qaes positions sur la frontière.
Au sujet d'un empoisonnement qui au-
rait été causé par des raisins traités au
sulfate de cuivre dans le Midi, le ministre
de l'agriculture a tait connaître qu'il ré-
sultait des expériences faites que les rai-
sins traités de cette manière ne pouvaient
causer aucun malaise. Le fait signalévest
donc absolument faux.
■«*>-
COULISSES DES CHAMBRES
4 A DISCUSSION OU D'IDGET A LA CHAMBRE
C'est demain lundi que s'ouvre devant
la Chambre -la discussion du budget de
1889. ;
Avant de passer à l'examen des cha-
pitres, l'usage, on le sait, est d'engager
une discussion, générale sur l'ensemble de
la situation Snanciëre.
Huit o.ateurs sont inscrits pour cette
discussion générale, qui commencera de-
main. Ce sont : MM. Daynaud (droite),
Jamais (gauche), de Soubeyran (droite),
de Jouvencel (gauche), Javal (gauche),
Jaurès (gauche), d'Aillières (droite) et
Ribot (gauche).
En outre, M. Peytral, ministre des
finances, et M. Jules Roche, rapporteur
général; doivent intervenir dans le débat.
LES PROPOSITIONS OE REVISION
La commission de revision a continué
hier l'audition des auteurs de proposi-
tions. Elle a entendu deux bonapartistes :
MM. Jolibois et Gaudin de Villaine.
M-Jolibois demande un plébiscite pour
consulter le pays sur la forme du gouver-
nement : République, monarchie ou em-
pire. La Constitution nouvelle serait faite
à la suite et suivant les résultats de ce
plébiscite.
M. Gaudin de Villaine limite sa propo-
sition à un point très particulier. Il de-
mande que les ministres de la guerre et
de la marine soient soustraits aux hasards..
de la responsabilité parlementaire, et
qu'ils ne soient désormais responsables
que devant le chef de l'Etat. Il demande,
en outre, que le budget de la guerre soit
voté pour plusieurs années de suite.
La commission entendra demain MM.
Wickersheimer et Camille Peltetan.
:—
NOMINATIONS DANS L'ARMÉE
Sont nommés au grade de général de
division :
Les généraux de brigade : Yosseur, dis-
ponible; Peaucellier, commandant la place
de Lyon, commandant supérieur de la dé-
fense, commandant le département du
Rhône ; Lamy, commandant la 508 bri-
gade d'infanterie et les subdivisions de
région du Puy, de Clermont-Ferrand, de
Riom ët d'Aurillac ; de Novion, comman-
dant l'artillerie du 19e corps d'armée en
Algérie.
Sont nommés au grade de général de
brigade : ,
Les colonels : Desmazières, comman-
dant le 5e régiment; d'artillerie ; Grivet,
commandant le 948 régiment d'infanterie ;
Segrctain, djraçsteur du génie,à Grenoble,
Cahous, cornmandant le icr régiment d'ar-
tillerie-pontonniers ; Bpnnefond, comman-
dant le 12a régiment d'artillerie ; Adorno
de Tscharner. colonel de cavalerie bre-
veté-hors cadre, chef d'état-major du 10e
corps d'armée ; Cary, commandant le 86°
régiment d'infanterie ; Lucas, comman-
dant le 31 régiment de zouaves; Duchesne,
commandant le 110e régiment d'infan-
terie.
Le général Février, qui sera atteint par
la limite d'âge et admis au cadre de ré-
serve à partir du 22 octobre, sera rem-
placé dans le commandement du 6° corps
d'armée par le général de Miribel, mem-
bre du conseil supérieur de la guerre et
inspecteur général de la défense des
côtes.
Ces diverses nominations paraîtront
lundi matin au Journal officiel.
♦ —■—
A LA CHAMBRE
Comme, avant la suite de la discussion
des faillites, était inscrite hier, en tête de
l'ordre du jour, la première délibération
sur un projet de loi concernant le port de
Boulogne, nous avons eu le plaisir d'en-
tendre M. Le Provost de Launay. Je dis :
le plaisir, par politesse, bien entendu. Le
blond député des Cûtes-du-Nord, moins
élégant, nous a-t-il semblé, que d'habi-
tude, n'était pas bien inspiré. Il s'est fait
agréablement « coller sous bande » par
M. Deluns-Montaud, ministre des travaux
publics, et les rieurs n'ont pas été de son
côté. Il était cependant monté sur ses
grands chevaux : disant que les études
préparatoires avaient été mal faites, que
des mécomptes étaient apparus, qu'on
avait dû. restreindre le programme d'abord
adopté et qu'on- n'en avait pas averti la
Chambre. De là à accuser les ministres de
la République de se livrer aux plus cou-
pables virements, il n'y avait qu'un pas.
M. Le Provost de Launay n'a ; as hésité à
le franchir. — Ça me fait toujours rire
un bonapartiste qui parle de virements ;
n'existe-t-il pas un fameux proverbe sur
les cordes et les maisons où il y a eu des
pendus ?. >
y M. Deluns-Montaud a répondu que les
études préparatoires relatives aux travaux
du port de Boulogne avaient été incontes-
tablement très mal faites, mais qu'elles
l'avaient été « sous un autre régime » —
lisez : sous l'empire — et a prouvé, en
lisant un extrait du rapport présenté à la
Chambre en 1884, que le Parlement avait
été parfaitement prévenu des restrictions
qu'il était devenu nécessaire d'apporter au
programme en premier lieu tracé. Et nous
avons une fois de plus admiré la désinvol-
ture avec laquelle certains députés trai-
tent, péremptuiroment, les questions,
sans même s'être donné la peine de feuil-
leter les documents y relatifs. M. Le Pro-
vost de Launay a répliqué que les minis-
tres avaient le plus grand tort de faire des
voyages. Vous ne saisissez pas le rap-
port?. Moi non plus. Ça ne fait rien.
C'est toujours le vieux truc du monsieur
qui, embarrassé par la conversation, s'é-
crie tout à coup : C'est la campagne! On
a doucement souri de cet aveu de défaite
et le projet de loi a été adopté sans autres
débats, après déclaration d'urgence.
M. Calvinhac a ensuite déposé sa pro-
position de loi, dont le Rappel a, hier ma-
tin, donné les dispositions principales,
tendant à frapper d'un impôt les Opéra-
tions de Bourse à terme, et, demandant
l'urgence,alul'exposé des mptifs.Un érnute
de M. LeProvostde Launay,M. deKergariou,
s'est opposé à l'urgence, contre laquelle
M. Peytral, ministre des finances, a fait
valoir la difficulté d'exprimer une ^inion
ainsi, au pied levé, sur une question qui
mérite un examen sérieux. M. Calvinhac
n'a pas insisté pour l'urgence et d'un
commun accord la proposition a été ren-
voyée à la commission du budget.
On s'est remis ensuite à la loi des fail-
lites. Et ici je confesse éprouver une cer-
taine appréhension. Je parlais l'autre jour
d'une pluie d'amendements. Ç'a été, hier,
un déluge. Dix-sept amendements nou-
veaux nous sont tombés en plein sur le
crâne, ploc! On est cependant parvenu à
terminer la loi; mais ç'a été dur et ce
résultat péniblemenL obtenu fait honneur
aux facultés laborieuses de la Chambre.
Constatons que si, pendant cette déli-
bération aride, la gauche et le centre
étaient très suffisamment en nombre, la
droite s'était en général abstenue de venir,
représentée presque uniquement par M.
de la Bâtie, lequel a usé et abusé de la
tribune. Nous ne ferons pas à nos lec-
teurs la mauvaise plaisanterie de leur
raconter par le menu cette discussion qui,
malgré l'intérêt incontestable du sujet,
a été vraiment plus ennuyeuse que de
raison.
Peu de modifications, d'ailleurs, ont été
apportées à la nouvelle rédaction proposée
par la commission. Voici, en gros, quel
est le système définitivement adopté :
Les commerçants malheureux sont di-
visés d'abord en deux catégories : 1° les
liquidés judiciaires; 20 les faillis.
Celui qui, dans les quinze jours de la
cessation de ses paiements, dépose son
bilan peut obtenir le bénéfice de la liqui-
dation judiciaire et du concordat. Ce con-
cordat homologué, il n'encourt d'autre in-
capacité que l'interdiction d'être élu mem-
bre au tribunal de commerce, de la cham-
bre de commerce, du conseil de pru-
d'hommes et des chambres consultatives
des arts et manufactures. Au point de vue
politique, il reste électeur et éligible.
Si l'ouverture de la liquidation judi-
ciaire n'a pas été demandée dans les
quinze jours de la cessation des paie-
ments, la faillite peut être déclarée par
jugement du tribunal de commerce Ici,
deux catégories : faillis excusables, failli
non excusables.
Le failli déclaré excusable, après con-
cordat obtenu, reste en possession de ses
droits électoraux, mais n'est éligible à au-
cune fonction élective.
Celui qui n'a pas été déclaré excusable
reste soumis à toutes les incapacités ci-
viles et politiques édictées par les lois
actuelles contre les faillis.
Bien entendu, la réhabilitation seule
peut rétablir dans la plénitude de ses
droits civils et politiques le commerçant
déclaré en état de liquidation judiciaire ou
de faillite.
Telle est l'économie générale de la loi.
Signalons encore l'article , excellent à
notre avis, qui admet au nombre des
créances privilégiées les salaires acquis
aux ouvriers directement occupés par le
débiteur pendant les trois mois et aux
commis pendant les six mois qui ont pré-
cédé l'ouverture de la liquidation judi-
ciaire ou de la faillite.
Enfin malgré l'opposition du rappor-
teur, la Chambre, par 248 voix contre 159,
a adopté une disposition additionnelle;
présentée par M. Leydet, et ainsi conçue :
« Ces dispositions seront applicables à
tout ancien failli qui aura rempli ses en-
gagements, et le tribunal de commerce
pourra, par jugement, lui rendre les capa-
cités civiles et politiques dont il avait été
privé, et conformément à la présente loi. »
L'ensemble de la loi a été adopté à
mains levées.
Un débat assez confus s'est ensuite en-
gagé à propos de la fixati ln de l'ordre du
jour. M. Mézières, président de la com-
mission de l'armée, a obtenu, sans oppo-
sition, l'inscription immédiatement après
le budget de la loi militaire. Il a fallu un
scrutin, et un pointage — un pointage à
six heures et demie, n'est-ce pas abusif?
— pour décider que la loi sur les travaux
du port du Havre serait ajournée jusqu'a-
près le budget. Puis M. Compayré a ré-
clamé pour le transfert de l'académie de
Douai à Lille; M. de Mahy a réclamé pour
la dépense des ports; enfin, après beau-
coup d'allées et venues, le maintien de
l'ordre du jour a été voté par 433 voix
contre 22. C'était bien la peine !
Le budget commencera donc lundi.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER
—1 ■■■ 1 .—in.
L'INCIDENT DU HAVRE
L'avant-dernière nuit, l'écusson du con-
sulat a lemand au Havre a été décroché et
a été retrouvé souil é dans une des rues
de la ville. Le sous-préfet est allé expri-
mer ses regrets au consul d'Allemagne et
lui déclarer qu'une enquête était ouverte
à ce sujet. M. Goblet, ministre des affairas
étrangères, a fait une communication
analogue à M. de Munster, ambassadeur
d'Allemagne à Paris.
■1^1» ■ m
CHRONIQUE DU JOUR
Un capitaine à poigne ,
Le conseil de guerre siégeant à Greno-
ble a prononcé l'acquittement d'un capi-
taine convaincu rte voies de fait sur un
caporal. Cet acquittement a, paru surpren-
dre. La plupart des comptes rendus judi-
ciaires ont semblé manifester quelque
surprise de cette indulgente conclusion de
la poursuite intentée au capitaine. On au-
rait dû bien plutôt témoigner quelle sa-
tisfaction de la sévérité avec laquelle, dans
l'armée de la République, on prohibe au-
jourd'hui les châtiments corporels, les
brutalités. Ce n'est pas l'acquittement du
capitaine qui me surprend, c'est qu'il se
soit trouvé des chefs pour le déférer au
conseil de guerre à la suite d'un mouve-
me t de violence que certainement beau-
coup de militaires autrefois eussent con-
sidéré non seulement comme excusable,
mais même comme tout ce qu'il y a de
plus légitime. J'en appelle aux souvenirs
de tous ceux qui ont connu l'ancienne ar-
mée et qui ont servi sous des capitaines
accoutumés aux façons souvent par trop
énergiques en usage dans les régiments
de l'empire.
Ce capitaine, en effet, a été traduit de-
vant le conseil de guerre pour avoir frappé
à coups de canne un caporal qu'il ordon-
Feuilleten du RAPPEL
DU 22 OCTOBRE
J82
*
LES
MISÉRABLES
MMITE PARTIE
3M £ A. 3E%. S "CJ S
LIVRE UUITIÈMË
LE MAUVAIS PAUVRE
IV
Une rose dans la misère
- Suite -
> Tandis que Marius attachait sur elle
sun regard étonné et douloureux, la
jjeune fille allait et venait dans la mar.-
jsarde avec une audace de spectre. Elle se
idémenait sans se préoccuper de sa nudité.
Par instants, sa chemise, défaite et déchi-
irée lui tombait presque à la ceinture.
Elle remuait les chaises, elle dérangeait
•les objets de toilette posés sur la com-
mode, elle touchait aux vêtements de
:Marius. elle furetait çe qu'il y avait dans
les coins.
— Tiens, dit-elle, vous avez un miroir !
Et elle fredonnait, comme si elle eût
'été seule, des bribes de vaudeville, des
■ Reproduction interdite.
?JKoit le Ramai du 23 avril au 21 octohre.,
refrains folâtres que, sa voix gutturalé et
rauque faisait lugubres.
Sous cette hardiesse perçait je ne sais
quoi de contraint, d'inquiet et d'humilié.
L'effronterie est une honte.
Rien n'était plus morne que de la voir
s'ébattre et pour ainsi dire voleter dans la
chambre avec des mouvements d'oiseau
que le jour effare, ou qui a l'aile cassée.
On sentait qu'avec d'autres conditions
d'éducation et de destinée, l'allure gaie et
libre de cette jeune fille eût pu être quel-
que chose dé douxetde charmant. Jamais
parmi les animaux la créature née pour
être une colombe ne se change en une or-
fraie. Cela ne se voit que parmi les
hommes.
Marius songeait, et la laissait faire.
Elle s'approcha de la table.
— Ah! dit-elle, des livres!
Une lueur traversa son œil vitreux. Elle
reprit, et son accent exprimait le bonheur
de se vanter de quelque chose, auquel
nulle créature humaine n'est insensible :
— Je sais lire, moi.
Elle saisit vivement le livre ouvert sur
la table, et lut assez couramment :
« Le général Bauduin reçut l'ordre
d'enlever avec les cinq bataillons de sa
brigade le château de Hougomont qui est
au milieu de la pl iine de Waterloo. »
Elle s'interrompit : -
— Ah ! Waterloo ! Je connais ça. C'est
une bataille dans les temps. Mon père y
était. Mon père a servi dans les armées.
Nous sommes joliment bonapartistes chez
nous, allez ! C'est contre les Anglais, Wa-
terloo.
Elle posa le livre, prit une plume, et
s'écria :
— Et je sais écrire aussi !
Elle trempa la plume dans l'encre, et
se tournant vers Marius :
— Voulez-vous voir? Tenez, je vais
écrire un mot pour voir.
Et avant qu'il eût eu le temps de ré,.
pondre, elle écrivit sur une feuille de pa-
pier blanc qui était au milieu de la table :
Les cognes sont là.
Puis, jetant la plume :
— Il n'y a pas de fautes d'orthographe.
Vous pouvez regarder. Nous avons reçu
de l'éducation, ma sœur et moi. Nous n'a-
vons pas toujours été comme nous som-
mes. Nous n'étions pas faites.
Ici elle s'arrêta, fixa sa prunelle éteinte
sur Marius, et éclata de rire en disant avec
une intonation qui contenait toutes les
angoisses étouffées par tous les cynismes :
- Bah r
Et elle se mit à fredonner ces paroles
sur un air gai :
J'ai faim, mon père.
Pas de fricot.
J'ai froid, ma mère.
Pas de tricot.
Grolotte,
Lololte !
San dote,
Jacquot!
A peine eut-elle achevé ce couplet
qn'elle s'écria :
— Allez-vous quelquefois au spectacle,
monsieur Marius ? Moi, j'y vais. J'ai un
petit frère qui est ami avec des artistes et
qui me donne des fois des billets. Par
exemple, je n'aime pas les banquettes de
galeries. On y est gêné, on y est mal. Il y
a quelquefois du gros monde : il y a aussi
du monde qui sent mauvais.
Puis elle considéra Marius, prit un air
étrange et lui dit :
- Savez-vous, monsieur Marius, que
vous êtes très joli garçon ?
Et en même temps il leur vint à tous
les deux la même pensée, qui la fit sou-
rire et qui le fit rougir.
Elle s'approcha de lui, et lui posa une
main sur l'épaule :
-r- Vous ne faites pas attention à moi,
mais je vous connais, monsieur Marius.
Je vous rencontre ici dans l'escalier, et
puis jë vous vois entrer chez un appelé le
père Mabeuf qui demeure du côté d'Aus-
terlitz, des fois, quand je me promène
par là. Cela vous va très bien, vos cheveux
ébouriffés.
Sa voix cherchait à être très douce et ne
parvenait qu'à être très basse. Une partie
des mots se perdait dans le trajet du larynx
aux lèvres comme sur un clavier où il
manque des notes.
Marius s'était reculé doucement.
— Mademoiselle, dit-il avec sa gravité
froide, j'ai là un paquet qui est, je crois,
à vous. Permettez-moi de vous le re-
mettre.
Et il lui tendit l'enveloppe qui renfer-
mait les quatre lettres.
Elle frappa dans ses deux mains et
s'écria :
— Nous avons cherché partout !
Puis elle saisit vivement le paquet et
défit l'enveloppe, tout en disant :
— Dieu de Dieu! avons nous cherché,
ma sœur ot moi ! Et c'est vous qui
l'aviez trouvé ! sur le boulevard, n'est-ce
pas ? ce doit être sur le boulevard ? Voyez-
vous, ça a tombé quand nous avons couru.
C'est nia mioche de sœur qui a fait la bê-
tise. En rentrant, nous ne l'avons plus
trouvé. Comme nous ne voulions pas être
battues, que cela est inutile, que cela est
entièrement inutile, que cela est absolu-
ment inutile, nous avons dit chez nous
que nous avions porté les lettres chez les
personnes et qu'on avait dit: Nix 1 Les
voilà, ces pauvres lettres ! Et à quoi avez-
vous vu qu'elles étaient à moi ! Ah 1
oui, à l'écriture 1 C'est donc vous que nous
avons cogné en passant hier au soir. On
n'y voyait pas, quoi 1 J'ai dit à ma sœur :
Est-ce que c'est un monsieur ? Ma sœur
m'a dit : Je crois que c'est un monsieur 1
Cependant elle avait déplié la supplique
adressée « au monsieur bienfaisant de
T. glise Saint-Jacques-du-Haut-Pas ».
— Tiens! dit-elle, c'est celle pour ce
vieux qui va à la messe. Au fait, c'est
l'heure. Je vas lui porter. Il nous donnera
peut-être de quoi déjeuner.
Puis elle se mit à rire, et ajouta :
— Savez-vous ce que cela fera si nous
déjeunons aujourd'hui? Cela fera que
nous aurons eu notre déjeuner d'avant-
hier, notre diner d'avant-hier, notre dé-
jeuner d'hier, notre diner d'hier, tout ça
en une fois, ce matin. Tiens! parbleu ! si
vous n'êtes pas contents, crevez, chiens !
Ceci fit souvenir Marius de ce que la
malheureuse venait chercher chez lui.
Il fouilla dans son gilet, il n'y trouver
rien.
La jeune fille continuait, et semblait
parler comme si elle n'avait plus cons-
cience que Marius fût là.
— Des fois je m'en vais le soir. Des fois
je ne rentre pas. Avant d'être ici, l'autre
hiver, nous demeurions sous les arches
des ponts. On se serrait pour ne pas ge-
ler. Ma petite sœur pleurait. L'eau, comme
c'est triste 1 Quand je pensais à me noyer,
je disais : Non; c'est trop froid. Je vais
toute seule quand je veux, je dors des fois
dans les fossés. Savez-vous, la nuit, quand
je marche sur le boulevard, je vois les ar-
bres comme des fourches, je vois des
maisons toutes noires comme les 'ours
de Notre-Dame, je me figure que les
murs blancs sont la rivière, je me dis :
Tiens, il y a de l'eau là ! Les étoiles sont
comme des lampions d'illuminations, on
dirait qu'elles fument et que le vent les
éteint, je suis ahurie, comme si j'avais des
chevaux qui me soufflent dans l'oreille ;
quoique ce soit la nuit, j'entends des or-
gues de Barbarie et les mécaniques des
filatures, est-ce que je sais, moi? Je crois
qu'on me jette des pierres, je me sauve
sans savoir, tout tourne, tout tourne. QuandL
on n'a pas mangé, c'est très drôle.
Et elle le regarda d'un air égaré.
A force de creuser et d'approfondir ses
poches, Marius avait fini par réunir cinq
francs seize sous. C'était en ce moment
tout ce qu'il possédait au monde.
— Voilà toujours mon diner d'aujour-
d'hui, pensa-t-il, demain nous verrons.
Il prit les seize sous et donna les cinq
francs à la jeune fille.
Elle saisit la pièce.
— Bon ! dit-elle, il y a du soleil !
Et comme si le soleil eûteu la propriété
de faire fondre dans son cerveau des ava-
lanches d'argot, elle poursuivit :
— Cinque francs ! du luisant ! un mo.
narque ! dans cette piolle ! C'est chenâtref
vous êtes un bon mion ! Je vous fonce
mun palpitant. Bravo les fanandels ! deux
jours de pivois ! et de la viande-mnche! et
du fric 'tmar! on pitancera chenument! et
de la bonne mouise!
Elle ramena sa chemise sur ses épau-
les, fit un profond salut à Marius, puis
un signe familier de la main, et se dirigea
vers la porte en disant :
— Bonjour, monsieur. C'est égal. Je vas •
trouver mon vieux.
En passant, elle aperçut sur la com-
mode une croûte de pain desséchée qui y
moisissait dans la poussière, elle se jeta
dessus et y mordit en grommelant :
— C'est bon ! c'est dur ! ça me casse les
dents! -
Puis elle sortit.
(VICTOR HUGO;
(A .ui.
Ièr Brumaire an 97 — îT 6800 .-
centimes. • le numéro
RÉDACTION
18, RUE DB VALOIS, 18
pnBSSIt\ AU SEGfiÉTAHŒ DE LA RÉDACTION
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
W MANUSCRITS NON INSÉRÉS NK SERONT PAS RBNDCS
LE. RAPPEL
ADMINISTRATION
18, RUE DE VALOIS, 18
Adresser lettres et mandats
-IL L'ADMINISTRATEUR-GÉRANT.
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C*
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
vx MOIS 2 FR.
TROIS MOIS. 5 —
SIX If OIS 9FR.
UN AN 48 —
Rédacteur en chef: AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS
DEPARTEMENTS
UN MOIS 2 FR.
TROIS MOIS. e -
SIX MOIS 11 FH.
UN AN. 20 -
LE RAPPEL vient d'acquérir
le droit de reproduire
LA DERNIÈRE MALADIE
DE FRÉDÉRIC III
PAR |
: le docteur MACKENZIE
Le Discours de M. ClérnBllceau
Dans le discours que M. Clémenceau
jvient de prononcer en Veprenant pos-
session de la présidence de l'extrême
jgaùche, il y a un passage que nos ad-
versaires feraient bien de méditer :
, — « Les haines des monarchistes,
les mécontentements d'indifférents, les
{déceptions mêmes de républicains se
rencontrent dans un commun effort
ipour porter au pouvoir un soldat révolté.
(Tous prétendent se servir de lui, tous le
(servent. » ,
Les bonapartistes et les royalistes ou-
Mient momentanément leurs griefs réci-
proques pour être frères en Boulanger.
ILes royalistes se disent : Qu'il nous dé-
iharrasse de la République, et il n'y aura
jplus d'acceptable que la royauté. Les bo-
înapartistes se disent : La République
ipar terre, il ne restera plus debout que
(l'empire. Tellement qu'hier un bona-
tpartiste, M. Robert Mitchell, exami-
nant ce qui se passerait si l'on venait
Là bout de la .République , omettait tota-
lement, dans les combinaisons qu'il
passait en revue, de faire même allu-
sion aux royalistes.
"":':"" « Et lés royalistes, s'il vous
tolait? » réclame le royaliste Gaulois. Et
Si demande au « politicien vigoureux et
spirituel » si c'est un « oubli » ou bien
;« s'il tient les royalistes pour une quan-
tité négligeable ».
, Avouons que les bonapartistes, s'ils
tiennent leurs alliés pour une quantité
négligeable, sont faciles à justifier. Ce
ifl'esl pas la première fois que les bona-
partistes ont les royalistes pour alliés.
Ils les ont eus pendant trois ans, de
11848 à 1851. Minorité à la Constituante,
leur association était majorité à la Lé-
gislative. Toutes les lois réactionnaires,
la loi qui livrait l'enseignement au
iclergé, la loi qui amputait le suffrage
universel de trois millions d'électeurs,
;'Ct., ont été leur œuvre commune.
Alors comme aujourd'hui, chacun des
eux partis se tenait prêt>à trahir l'au-
tre, chacun se flattait d'être le fripon.
Lequel a été la dupe? le parti royaliste.
On ne s'étonne pas que le parti bona-
partiste, se souvenant de ce -précédent,
se plaise à recommencer le jeu. On com-
prend moins que Raton se remette à
tirer les marrons des cendres.
Mais cette fois Bertrand ne serait pas
moins dupe que Raton. C'est par un
troisième larron que les marrons se-
raient croqués. Celui dont ils croient se
servir ne travaille ni pour le comte de
Paris, ni pour le prince Victor, il tra-
vaille pour lui-même.
Après tout, le jour où ils s'aperce-
vraient qu'en croyant se servir de lui
ils l'ont servi, seraient-ils si dupes que
cela ? Au fond, que veulent ceux qui
demandent un roi ou un empereur?
Un maître. Ils en auraient un, et un
rude. Ils aspirent à être sujets, ils le
seraient. On a vu, au commencement
de 1870, avec quelle facilité les roya-
listes sont devenus impérialistes et ont
mendié des portefeuilles à la main qui
les avait pris au collet le 2 décembrè et
empilés pour Mazas.
, Que les royalistes et les bonapartistes
« s abandonnent lâchement au vieux
penchant de la servitude », c'est leur
affaire. Mais qu'aucun républicain ne
subisse cette « honteuse défaillance ».
M. Clémenceau a énergiquement rap-
pelé ce qu'elle produit.
— « Nos ruines attestent encore la
tragique histoire du pouvoir personnel.
Qui donc peut avoir oublié ce qu'il ad-
vint de la France quand trop de Fran-
çais prirent la liberté en dégoût? Où
aboutit le premier empereur? Où aboutit.
le second? Tous deux à l'invasion. Tous
deux au démembrement. »
Et l'on voudrait recommencer! L'élo-
quent porte-parole de l'extrême gauche
l'a bien dit, « la patrie des Droits de
l'homme est devenue l'étonnement de
l'Europe depuis qu'on peut impunément
lui présenter le joug ». Ce joug, elle ne
le , subira pas ; elle lé rejetterà à la
figure de ceux qui tentent de le lui im-
poser; les royalistes et les bonapartistes
auront beau se coaliser, les républicains,
qui sont la grande majorité du pays, ne
se laisseront pas réinfliger le régime
qui va de* Brumaire à Waterloo et de
Décembre à Sedan.
AUGUSTE VACQUERIE.
-
LE CONSEIL DES MINISTRES
Les ministres se sont réunis, hier ma-
tin, à l'Elysée, sous la présidence de
M. Carnot.
M. Peytral a remis à ses collègues des
épreuves du projet concernant l'impôt sur
le revenu.
Un conseil de cabinet exceptionnel aura
lieu lundi matin, au ministère de l'inté-
rieur, pour permettre aux ministres de
statuer sur cette question.
M. de Freycinet, ministre de la guerre,
a fait signer au président de la Républi-
que une décision, permettant de conférer
la-médaille •militaire aux commandants de
corps qui ont rendu des services émi-
monts; Aux termes de cette décision, là-
médaille militaire a été décernée à M. le
général Février.
Le ministre de la guerre a annoncé
qu'il partirait le soir même pour les Al-
pes-Maritimes, où il compte visiter quel-
qaes positions sur la frontière.
Au sujet d'un empoisonnement qui au-
rait été causé par des raisins traités au
sulfate de cuivre dans le Midi, le ministre
de l'agriculture a tait connaître qu'il ré-
sultait des expériences faites que les rai-
sins traités de cette manière ne pouvaient
causer aucun malaise. Le fait signalévest
donc absolument faux.
■«*>-
COULISSES DES CHAMBRES
4 A DISCUSSION OU D'IDGET A LA CHAMBRE
C'est demain lundi que s'ouvre devant
la Chambre -la discussion du budget de
1889. ;
Avant de passer à l'examen des cha-
pitres, l'usage, on le sait, est d'engager
une discussion, générale sur l'ensemble de
la situation Snanciëre.
Huit o.ateurs sont inscrits pour cette
discussion générale, qui commencera de-
main. Ce sont : MM. Daynaud (droite),
Jamais (gauche), de Soubeyran (droite),
de Jouvencel (gauche), Javal (gauche),
Jaurès (gauche), d'Aillières (droite) et
Ribot (gauche).
En outre, M. Peytral, ministre des
finances, et M. Jules Roche, rapporteur
général; doivent intervenir dans le débat.
LES PROPOSITIONS OE REVISION
La commission de revision a continué
hier l'audition des auteurs de proposi-
tions. Elle a entendu deux bonapartistes :
MM. Jolibois et Gaudin de Villaine.
M-Jolibois demande un plébiscite pour
consulter le pays sur la forme du gouver-
nement : République, monarchie ou em-
pire. La Constitution nouvelle serait faite
à la suite et suivant les résultats de ce
plébiscite.
M. Gaudin de Villaine limite sa propo-
sition à un point très particulier. Il de-
mande que les ministres de la guerre et
de la marine soient soustraits aux hasards..
de la responsabilité parlementaire, et
qu'ils ne soient désormais responsables
que devant le chef de l'Etat. Il demande,
en outre, que le budget de la guerre soit
voté pour plusieurs années de suite.
La commission entendra demain MM.
Wickersheimer et Camille Peltetan.
:—
NOMINATIONS DANS L'ARMÉE
Sont nommés au grade de général de
division :
Les généraux de brigade : Yosseur, dis-
ponible; Peaucellier, commandant la place
de Lyon, commandant supérieur de la dé-
fense, commandant le département du
Rhône ; Lamy, commandant la 508 bri-
gade d'infanterie et les subdivisions de
région du Puy, de Clermont-Ferrand, de
Riom ët d'Aurillac ; de Novion, comman-
dant l'artillerie du 19e corps d'armée en
Algérie.
Sont nommés au grade de général de
brigade : ,
Les colonels : Desmazières, comman-
dant le 5e régiment; d'artillerie ; Grivet,
commandant le 948 régiment d'infanterie ;
Segrctain, djraçsteur du génie,à Grenoble,
Cahous, cornmandant le icr régiment d'ar-
tillerie-pontonniers ; Bpnnefond, comman-
dant le 12a régiment d'artillerie ; Adorno
de Tscharner. colonel de cavalerie bre-
veté-hors cadre, chef d'état-major du 10e
corps d'armée ; Cary, commandant le 86°
régiment d'infanterie ; Lucas, comman-
dant le 31 régiment de zouaves; Duchesne,
commandant le 110e régiment d'infan-
terie.
Le général Février, qui sera atteint par
la limite d'âge et admis au cadre de ré-
serve à partir du 22 octobre, sera rem-
placé dans le commandement du 6° corps
d'armée par le général de Miribel, mem-
bre du conseil supérieur de la guerre et
inspecteur général de la défense des
côtes.
Ces diverses nominations paraîtront
lundi matin au Journal officiel.
♦ —■—
A LA CHAMBRE
Comme, avant la suite de la discussion
des faillites, était inscrite hier, en tête de
l'ordre du jour, la première délibération
sur un projet de loi concernant le port de
Boulogne, nous avons eu le plaisir d'en-
tendre M. Le Provost de Launay. Je dis :
le plaisir, par politesse, bien entendu. Le
blond député des Cûtes-du-Nord, moins
élégant, nous a-t-il semblé, que d'habi-
tude, n'était pas bien inspiré. Il s'est fait
agréablement « coller sous bande » par
M. Deluns-Montaud, ministre des travaux
publics, et les rieurs n'ont pas été de son
côté. Il était cependant monté sur ses
grands chevaux : disant que les études
préparatoires avaient été mal faites, que
des mécomptes étaient apparus, qu'on
avait dû. restreindre le programme d'abord
adopté et qu'on- n'en avait pas averti la
Chambre. De là à accuser les ministres de
la République de se livrer aux plus cou-
pables virements, il n'y avait qu'un pas.
M. Le Provost de Launay n'a ; as hésité à
le franchir. — Ça me fait toujours rire
un bonapartiste qui parle de virements ;
n'existe-t-il pas un fameux proverbe sur
les cordes et les maisons où il y a eu des
pendus ?. >
y M. Deluns-Montaud a répondu que les
études préparatoires relatives aux travaux
du port de Boulogne avaient été incontes-
tablement très mal faites, mais qu'elles
l'avaient été « sous un autre régime » —
lisez : sous l'empire — et a prouvé, en
lisant un extrait du rapport présenté à la
Chambre en 1884, que le Parlement avait
été parfaitement prévenu des restrictions
qu'il était devenu nécessaire d'apporter au
programme en premier lieu tracé. Et nous
avons une fois de plus admiré la désinvol-
ture avec laquelle certains députés trai-
tent, péremptuiroment, les questions,
sans même s'être donné la peine de feuil-
leter les documents y relatifs. M. Le Pro-
vost de Launay a répliqué que les minis-
tres avaient le plus grand tort de faire des
voyages. Vous ne saisissez pas le rap-
port?. Moi non plus. Ça ne fait rien.
C'est toujours le vieux truc du monsieur
qui, embarrassé par la conversation, s'é-
crie tout à coup : C'est la campagne! On
a doucement souri de cet aveu de défaite
et le projet de loi a été adopté sans autres
débats, après déclaration d'urgence.
M. Calvinhac a ensuite déposé sa pro-
position de loi, dont le Rappel a, hier ma-
tin, donné les dispositions principales,
tendant à frapper d'un impôt les Opéra-
tions de Bourse à terme, et, demandant
l'urgence,alul'exposé des mptifs.Un érnute
de M. LeProvostde Launay,M. deKergariou,
s'est opposé à l'urgence, contre laquelle
M. Peytral, ministre des finances, a fait
valoir la difficulté d'exprimer une ^inion
ainsi, au pied levé, sur une question qui
mérite un examen sérieux. M. Calvinhac
n'a pas insisté pour l'urgence et d'un
commun accord la proposition a été ren-
voyée à la commission du budget.
On s'est remis ensuite à la loi des fail-
lites. Et ici je confesse éprouver une cer-
taine appréhension. Je parlais l'autre jour
d'une pluie d'amendements. Ç'a été, hier,
un déluge. Dix-sept amendements nou-
veaux nous sont tombés en plein sur le
crâne, ploc! On est cependant parvenu à
terminer la loi; mais ç'a été dur et ce
résultat péniblemenL obtenu fait honneur
aux facultés laborieuses de la Chambre.
Constatons que si, pendant cette déli-
bération aride, la gauche et le centre
étaient très suffisamment en nombre, la
droite s'était en général abstenue de venir,
représentée presque uniquement par M.
de la Bâtie, lequel a usé et abusé de la
tribune. Nous ne ferons pas à nos lec-
teurs la mauvaise plaisanterie de leur
raconter par le menu cette discussion qui,
malgré l'intérêt incontestable du sujet,
a été vraiment plus ennuyeuse que de
raison.
Peu de modifications, d'ailleurs, ont été
apportées à la nouvelle rédaction proposée
par la commission. Voici, en gros, quel
est le système définitivement adopté :
Les commerçants malheureux sont di-
visés d'abord en deux catégories : 1° les
liquidés judiciaires; 20 les faillis.
Celui qui, dans les quinze jours de la
cessation de ses paiements, dépose son
bilan peut obtenir le bénéfice de la liqui-
dation judiciaire et du concordat. Ce con-
cordat homologué, il n'encourt d'autre in-
capacité que l'interdiction d'être élu mem-
bre au tribunal de commerce, de la cham-
bre de commerce, du conseil de pru-
d'hommes et des chambres consultatives
des arts et manufactures. Au point de vue
politique, il reste électeur et éligible.
Si l'ouverture de la liquidation judi-
ciaire n'a pas été demandée dans les
quinze jours de la cessation des paie-
ments, la faillite peut être déclarée par
jugement du tribunal de commerce Ici,
deux catégories : faillis excusables, failli
non excusables.
Le failli déclaré excusable, après con-
cordat obtenu, reste en possession de ses
droits électoraux, mais n'est éligible à au-
cune fonction élective.
Celui qui n'a pas été déclaré excusable
reste soumis à toutes les incapacités ci-
viles et politiques édictées par les lois
actuelles contre les faillis.
Bien entendu, la réhabilitation seule
peut rétablir dans la plénitude de ses
droits civils et politiques le commerçant
déclaré en état de liquidation judiciaire ou
de faillite.
Telle est l'économie générale de la loi.
Signalons encore l'article , excellent à
notre avis, qui admet au nombre des
créances privilégiées les salaires acquis
aux ouvriers directement occupés par le
débiteur pendant les trois mois et aux
commis pendant les six mois qui ont pré-
cédé l'ouverture de la liquidation judi-
ciaire ou de la faillite.
Enfin malgré l'opposition du rappor-
teur, la Chambre, par 248 voix contre 159,
a adopté une disposition additionnelle;
présentée par M. Leydet, et ainsi conçue :
« Ces dispositions seront applicables à
tout ancien failli qui aura rempli ses en-
gagements, et le tribunal de commerce
pourra, par jugement, lui rendre les capa-
cités civiles et politiques dont il avait été
privé, et conformément à la présente loi. »
L'ensemble de la loi a été adopté à
mains levées.
Un débat assez confus s'est ensuite en-
gagé à propos de la fixati ln de l'ordre du
jour. M. Mézières, président de la com-
mission de l'armée, a obtenu, sans oppo-
sition, l'inscription immédiatement après
le budget de la loi militaire. Il a fallu un
scrutin, et un pointage — un pointage à
six heures et demie, n'est-ce pas abusif?
— pour décider que la loi sur les travaux
du port du Havre serait ajournée jusqu'a-
près le budget. Puis M. Compayré a ré-
clamé pour le transfert de l'académie de
Douai à Lille; M. de Mahy a réclamé pour
la dépense des ports; enfin, après beau-
coup d'allées et venues, le maintien de
l'ordre du jour a été voté par 433 voix
contre 22. C'était bien la peine !
Le budget commencera donc lundi.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER
—1 ■■■ 1 .—in.
L'INCIDENT DU HAVRE
L'avant-dernière nuit, l'écusson du con-
sulat a lemand au Havre a été décroché et
a été retrouvé souil é dans une des rues
de la ville. Le sous-préfet est allé expri-
mer ses regrets au consul d'Allemagne et
lui déclarer qu'une enquête était ouverte
à ce sujet. M. Goblet, ministre des affairas
étrangères, a fait une communication
analogue à M. de Munster, ambassadeur
d'Allemagne à Paris.
■1^1» ■ m
CHRONIQUE DU JOUR
Un capitaine à poigne ,
Le conseil de guerre siégeant à Greno-
ble a prononcé l'acquittement d'un capi-
taine convaincu rte voies de fait sur un
caporal. Cet acquittement a, paru surpren-
dre. La plupart des comptes rendus judi-
ciaires ont semblé manifester quelque
surprise de cette indulgente conclusion de
la poursuite intentée au capitaine. On au-
rait dû bien plutôt témoigner quelle sa-
tisfaction de la sévérité avec laquelle, dans
l'armée de la République, on prohibe au-
jourd'hui les châtiments corporels, les
brutalités. Ce n'est pas l'acquittement du
capitaine qui me surprend, c'est qu'il se
soit trouvé des chefs pour le déférer au
conseil de guerre à la suite d'un mouve-
me t de violence que certainement beau-
coup de militaires autrefois eussent con-
sidéré non seulement comme excusable,
mais même comme tout ce qu'il y a de
plus légitime. J'en appelle aux souvenirs
de tous ceux qui ont connu l'ancienne ar-
mée et qui ont servi sous des capitaines
accoutumés aux façons souvent par trop
énergiques en usage dans les régiments
de l'empire.
Ce capitaine, en effet, a été traduit de-
vant le conseil de guerre pour avoir frappé
à coups de canne un caporal qu'il ordon-
Feuilleten du RAPPEL
DU 22 OCTOBRE
J82
*
LES
MISÉRABLES
MMITE PARTIE
3M £ A. 3E%. S "CJ S
LIVRE UUITIÈMË
LE MAUVAIS PAUVRE
IV
Une rose dans la misère
- Suite -
> Tandis que Marius attachait sur elle
sun regard étonné et douloureux, la
jjeune fille allait et venait dans la mar.-
jsarde avec une audace de spectre. Elle se
idémenait sans se préoccuper de sa nudité.
Par instants, sa chemise, défaite et déchi-
irée lui tombait presque à la ceinture.
Elle remuait les chaises, elle dérangeait
•les objets de toilette posés sur la com-
mode, elle touchait aux vêtements de
:Marius. elle furetait çe qu'il y avait dans
les coins.
— Tiens, dit-elle, vous avez un miroir !
Et elle fredonnait, comme si elle eût
'été seule, des bribes de vaudeville, des
■ Reproduction interdite.
?JKoit le Ramai du 23 avril au 21 octohre.,
refrains folâtres que, sa voix gutturalé et
rauque faisait lugubres.
Sous cette hardiesse perçait je ne sais
quoi de contraint, d'inquiet et d'humilié.
L'effronterie est une honte.
Rien n'était plus morne que de la voir
s'ébattre et pour ainsi dire voleter dans la
chambre avec des mouvements d'oiseau
que le jour effare, ou qui a l'aile cassée.
On sentait qu'avec d'autres conditions
d'éducation et de destinée, l'allure gaie et
libre de cette jeune fille eût pu être quel-
que chose dé douxetde charmant. Jamais
parmi les animaux la créature née pour
être une colombe ne se change en une or-
fraie. Cela ne se voit que parmi les
hommes.
Marius songeait, et la laissait faire.
Elle s'approcha de la table.
— Ah! dit-elle, des livres!
Une lueur traversa son œil vitreux. Elle
reprit, et son accent exprimait le bonheur
de se vanter de quelque chose, auquel
nulle créature humaine n'est insensible :
— Je sais lire, moi.
Elle saisit vivement le livre ouvert sur
la table, et lut assez couramment :
« Le général Bauduin reçut l'ordre
d'enlever avec les cinq bataillons de sa
brigade le château de Hougomont qui est
au milieu de la pl iine de Waterloo. »
Elle s'interrompit : -
— Ah ! Waterloo ! Je connais ça. C'est
une bataille dans les temps. Mon père y
était. Mon père a servi dans les armées.
Nous sommes joliment bonapartistes chez
nous, allez ! C'est contre les Anglais, Wa-
terloo.
Elle posa le livre, prit une plume, et
s'écria :
— Et je sais écrire aussi !
Elle trempa la plume dans l'encre, et
se tournant vers Marius :
— Voulez-vous voir? Tenez, je vais
écrire un mot pour voir.
Et avant qu'il eût eu le temps de ré,.
pondre, elle écrivit sur une feuille de pa-
pier blanc qui était au milieu de la table :
Les cognes sont là.
Puis, jetant la plume :
— Il n'y a pas de fautes d'orthographe.
Vous pouvez regarder. Nous avons reçu
de l'éducation, ma sœur et moi. Nous n'a-
vons pas toujours été comme nous som-
mes. Nous n'étions pas faites.
Ici elle s'arrêta, fixa sa prunelle éteinte
sur Marius, et éclata de rire en disant avec
une intonation qui contenait toutes les
angoisses étouffées par tous les cynismes :
- Bah r
Et elle se mit à fredonner ces paroles
sur un air gai :
J'ai faim, mon père.
Pas de fricot.
J'ai froid, ma mère.
Pas de tricot.
Grolotte,
Lololte !
San dote,
Jacquot!
A peine eut-elle achevé ce couplet
qn'elle s'écria :
— Allez-vous quelquefois au spectacle,
monsieur Marius ? Moi, j'y vais. J'ai un
petit frère qui est ami avec des artistes et
qui me donne des fois des billets. Par
exemple, je n'aime pas les banquettes de
galeries. On y est gêné, on y est mal. Il y
a quelquefois du gros monde : il y a aussi
du monde qui sent mauvais.
Puis elle considéra Marius, prit un air
étrange et lui dit :
- Savez-vous, monsieur Marius, que
vous êtes très joli garçon ?
Et en même temps il leur vint à tous
les deux la même pensée, qui la fit sou-
rire et qui le fit rougir.
Elle s'approcha de lui, et lui posa une
main sur l'épaule :
-r- Vous ne faites pas attention à moi,
mais je vous connais, monsieur Marius.
Je vous rencontre ici dans l'escalier, et
puis jë vous vois entrer chez un appelé le
père Mabeuf qui demeure du côté d'Aus-
terlitz, des fois, quand je me promène
par là. Cela vous va très bien, vos cheveux
ébouriffés.
Sa voix cherchait à être très douce et ne
parvenait qu'à être très basse. Une partie
des mots se perdait dans le trajet du larynx
aux lèvres comme sur un clavier où il
manque des notes.
Marius s'était reculé doucement.
— Mademoiselle, dit-il avec sa gravité
froide, j'ai là un paquet qui est, je crois,
à vous. Permettez-moi de vous le re-
mettre.
Et il lui tendit l'enveloppe qui renfer-
mait les quatre lettres.
Elle frappa dans ses deux mains et
s'écria :
— Nous avons cherché partout !
Puis elle saisit vivement le paquet et
défit l'enveloppe, tout en disant :
— Dieu de Dieu! avons nous cherché,
ma sœur ot moi ! Et c'est vous qui
l'aviez trouvé ! sur le boulevard, n'est-ce
pas ? ce doit être sur le boulevard ? Voyez-
vous, ça a tombé quand nous avons couru.
C'est nia mioche de sœur qui a fait la bê-
tise. En rentrant, nous ne l'avons plus
trouvé. Comme nous ne voulions pas être
battues, que cela est inutile, que cela est
entièrement inutile, que cela est absolu-
ment inutile, nous avons dit chez nous
que nous avions porté les lettres chez les
personnes et qu'on avait dit: Nix 1 Les
voilà, ces pauvres lettres ! Et à quoi avez-
vous vu qu'elles étaient à moi ! Ah 1
oui, à l'écriture 1 C'est donc vous que nous
avons cogné en passant hier au soir. On
n'y voyait pas, quoi 1 J'ai dit à ma sœur :
Est-ce que c'est un monsieur ? Ma sœur
m'a dit : Je crois que c'est un monsieur 1
Cependant elle avait déplié la supplique
adressée « au monsieur bienfaisant de
T. glise Saint-Jacques-du-Haut-Pas ».
— Tiens! dit-elle, c'est celle pour ce
vieux qui va à la messe. Au fait, c'est
l'heure. Je vas lui porter. Il nous donnera
peut-être de quoi déjeuner.
Puis elle se mit à rire, et ajouta :
— Savez-vous ce que cela fera si nous
déjeunons aujourd'hui? Cela fera que
nous aurons eu notre déjeuner d'avant-
hier, notre diner d'avant-hier, notre dé-
jeuner d'hier, notre diner d'hier, tout ça
en une fois, ce matin. Tiens! parbleu ! si
vous n'êtes pas contents, crevez, chiens !
Ceci fit souvenir Marius de ce que la
malheureuse venait chercher chez lui.
Il fouilla dans son gilet, il n'y trouver
rien.
La jeune fille continuait, et semblait
parler comme si elle n'avait plus cons-
cience que Marius fût là.
— Des fois je m'en vais le soir. Des fois
je ne rentre pas. Avant d'être ici, l'autre
hiver, nous demeurions sous les arches
des ponts. On se serrait pour ne pas ge-
ler. Ma petite sœur pleurait. L'eau, comme
c'est triste 1 Quand je pensais à me noyer,
je disais : Non; c'est trop froid. Je vais
toute seule quand je veux, je dors des fois
dans les fossés. Savez-vous, la nuit, quand
je marche sur le boulevard, je vois les ar-
bres comme des fourches, je vois des
maisons toutes noires comme les 'ours
de Notre-Dame, je me figure que les
murs blancs sont la rivière, je me dis :
Tiens, il y a de l'eau là ! Les étoiles sont
comme des lampions d'illuminations, on
dirait qu'elles fument et que le vent les
éteint, je suis ahurie, comme si j'avais des
chevaux qui me soufflent dans l'oreille ;
quoique ce soit la nuit, j'entends des or-
gues de Barbarie et les mécaniques des
filatures, est-ce que je sais, moi? Je crois
qu'on me jette des pierres, je me sauve
sans savoir, tout tourne, tout tourne. QuandL
on n'a pas mangé, c'est très drôle.
Et elle le regarda d'un air égaré.
A force de creuser et d'approfondir ses
poches, Marius avait fini par réunir cinq
francs seize sous. C'était en ce moment
tout ce qu'il possédait au monde.
— Voilà toujours mon diner d'aujour-
d'hui, pensa-t-il, demain nous verrons.
Il prit les seize sous et donna les cinq
francs à la jeune fille.
Elle saisit la pièce.
— Bon ! dit-elle, il y a du soleil !
Et comme si le soleil eûteu la propriété
de faire fondre dans son cerveau des ava-
lanches d'argot, elle poursuivit :
— Cinque francs ! du luisant ! un mo.
narque ! dans cette piolle ! C'est chenâtref
vous êtes un bon mion ! Je vous fonce
mun palpitant. Bravo les fanandels ! deux
jours de pivois ! et de la viande-mnche! et
du fric 'tmar! on pitancera chenument! et
de la bonne mouise!
Elle ramena sa chemise sur ses épau-
les, fit un profond salut à Marius, puis
un signe familier de la main, et se dirigea
vers la porte en disant :
— Bonjour, monsieur. C'est égal. Je vas •
trouver mon vieux.
En passant, elle aperçut sur la com-
mode une croûte de pain desséchée qui y
moisissait dans la poussière, elle se jeta
dessus et y mordit en grommelant :
— C'est bon ! c'est dur ! ça me casse les
dents! -
Puis elle sortit.
(VICTOR HUGO;
(A .ui.
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