Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1884-05-14
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 14 mai 1884 14 mai 1884
Description : 1884/05/14 (N5178). 1884/05/14 (N5178).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7543032m
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/12/2012
.8 6178 tforcredl 14 Mai 1884 le numéro : lOc» DéparfenMMtffl s 15 e. - 26 Floréal d&92*^ H. 5t78
ADMINISTRATION 1
38, HUE DE VALOIS, 43
ABONNEMENTS
ÏARIS
Stois mois .10 »
Six mois. 20 »
DÉPARTEMENTS1
Trois mois. 13 50
SixmoisZI a
;
Acbesser lettres et mamaais -
A M. ERNEST LEFÈVRE » 1
ADMINISTRATEUR GÉRANT m
,
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction.
De kà 6 heures du soit*
18) Rm DE VALOIS, 1$
les manuscrits zou insères ne seront]»as ren<&|g
ANNONCES
3DI, Ch. IAGRANGE, CERF et Ce
6, jpkce de la Bourse, 6
i.
LE BALLOTTAGE
Le lendemain du premier tour de
scrutin, les journaux de la réaction s'é-
criaient :
- « Le parti monarchique conserve
toutes ses positions ! »
Nous leur faisions remarquer que
conserver ses positions quand, pendant
des mois, on a crié soir et matin qu'on
allait donner l'assaut définitif, culbuter
rennemi, prendre la place, c'était la
prendre modestement.
— Soit, nous disaient-ils ; mais ce
n'est qu'un commencement. Attendez à
dimanche prochain ! C'est au scrutin de
ballottage que nous allons donner !
C'est là que nous allons être victorieux
pour de bon et réaliser la menace que
nous vous faisons soir et matin depuis
des mois. Le 11 mai sera un grand jour
et qui éclatera dans l'histoire. Paris
fera amende honorable et demandera
pardon à la monarchie de l'avoir mé-
connue. Paris dira à Philippe VII ce
qui a été dit à Jésus : - Seigneur, je
ne suis pas digne que vous entriez dans
ma maisoH, mais entrez-y tout de
même !
Et l'assaut a été donné. Et, ne s'en
fiant pas à leurs seules forces, les roya-
listes se sont alliés avec les bonapar-
tistes, ils leur ont dit : Passez-nous
l'Aclocque, nous vous passons le Bar-
tholoni. Ils sont devenus les frères
d'armes des héros de Sedan. Les or-
léanistes se sont jetés tendrement dans
les bras de ceux dont le premier ex-
ploit a été de couper la bourse aux
princes d'Orléans.
Résultat :
Sur 32 élections, 29 pour les répu-
blicains, 3 pour les réactionnaires.
A la place des réactionnaires, vous
regarderiez cela comme une défaite,
comme un aplatissement, comme un
écrasement. C'est que vous penseriez
en républicains, en gens habitués à
vaincre ; pour vous en effet, trois élus
sur trente-deux, trois qu'il faudrait
partager avec des associés, c'est-à-dire
un élu et demi, ce serait un triomphe
d'une entière maigreur. Mais il faut
songer que ni les royalistes, ni les bo-
napartistes n'ont été gâtés par les scru-
tins depuis les élections de 1871 faites
quand la France gisait sous le sabre de
la Prusse et, saignée aux quatre mem-
bres, n'avait plus conscience de ce
qu'elle répondait. Et, dame ! un élu et
demi, pour les bonapartistes comme
pour les royalistes, c'est gentil-
Oui, les trois élus que les royalistes
et les bonapartistes ont à se partager
seraient pour les républicains un pau-
vre régal.
Le premier, M. Bartholoni, est un
, revenant ; il représente le quartier Saint-
Thomas-d'Aquin, qu'il représentait déjà;
ici, la réaction ne gagne rien.
Le deuxième, M. Georges Berry,
remplace M. Edouard Hervé, royaliste
comme lui ; ici la réaction me fait va-
guement l'effet, non-seulement de ne
pas gagner, mais de perdre. Le succès
du royaliste est accueilli avec réserve
par les royalistes même. « M. Georges
Berry ne compte point parmi nos amis
politiques M, dit le bloniteur, qui ne voit
qu' « un fait digne d'attention » dans
l'aventure de « ce royaliste ennemi des
nuances et des compromis, même les
plus nécessaires, tombant comme la fou-
dre dans un des quartiers les plus riches
et les plus commerçants de Paris ». Et
le journal orléaniste n'épargne pas à M.
Georges Berry qu'il n'a dû son élection
qu'à la belle conduite de M. Picot, qui,
« bien qu'attaché à la République, a
refusé, malgré toutes les sollicitations
dont il a été l'objet, d'écrire une ligne,
de prononcer un mot, pendant la pé-
riode du ballottage, contre le candidat
monarchiste «.Nouvelle manière d'être
républicain.
Le troisième réactionnaire élu, M.
Lerolle. — Oh! celui-ci est un vain-
queur sérieux, un tombeur de la Répu-
blique; lui, aucun Picot ne l'a servi;
lui, c'est un républicain qu'il remplace;
il est vrai qu'on a exploité contre M.
Hovelacque un mot sur l'armée et que
l'élection était dans le quartier de l'E-
c oie-Militaire, de sorte que le vote a été
plus militaire que politique; n'importe,
c'est un siège que la monarchie prend
à la République. — Oui, mais, au mo-
ment où la monarchie prenait à la Ré-
publique le siège de M. Hovelaque, la
République prenait à la monarchie le
siège de M. Aclocque.
Telles sont les trois élections que le
parti royaliste est en train de partager
fraternellement avec le parti du Deux-
Décembre.
« Tout compte fait », dit M. Edouard
Hervé dans le Soleil, « le nouveau con-
seil ressemblera beaucoup à l'a ncien ».
Tout ce qu'aura arraché la coalition
des royalistes et des bonapartistes, ce
sera d'avoir un conseiller de plus. Elle
en avait neuf, elle en aura dix. Un con-
seiller gagné en trois ans, la République
française calcule qu'à ce compte il ne
faudrait plus à la réaction, pour
avoir un à peu près de majorité à
l'Hôtel de Ville, que quatrevingt-dix
ans. Il lui en faudrait même cent
quatrevingts, le conseiller que gagne-
rait la réaction tous les trois ans devant
se partager entre l'empire et la royauté,
qui ne pourraient exister simultané-
ment. Le comte de Paris monterait
sur le trône en l'an 2064.
AUGUSTE VACQUERIE.
« i.I«
LA PAIX AVEC LA CHINE
Le ministre des affaires étrangères a
reçu la nouvelle que le gouvernement chi-
nois avait ratifié un traité négocié par M.
Fournier, capitaine de vaisseau, représen-
tant la France et qui avait à cet effet des
pouvoirs spéciaux, et Li-Hong-Chang, re-
présentant la Chine.
Ce traité porte que la Chine reconnaît
le protectorat de la France sur Je Tonkin
et l'Annam, tels que ces territoires sont
actuellement délimités, c'est-à-dire en y
comprenant Cao-Bang et Lang-Son.
Les trois provinces du Yunnam, du
Kuang-Si et du Kuang-Tung seront ouver-
tes au commerce de nos nationaux. Un
traité de commerce particulier sera, dans
ce but, consenti par la Chine au profit de
ktFrance.
La Chine s'engage, en outre, d'une ma-
nière expresse à retirer immédiatement
toutes ses troupes du Tonkin.
Ce traité, qui avait été préalablement
soumis à la ratification de la cour de
Pékin, a été signé dimanche soir, àTien-
Tsin, par le plénipotentiaire français et le
plénipotentiaire chinois.
La signature a été suivie d'un grand
dîner offert par Li-Hong-Chang à M. Four-
nier et au consul de France.
Hier soir, Li-Hong-Chang a dîné au con-
sulat de France qui était pavoisé aux cou-
leurs nationales françaises et chinoises et
magnifiquement illuminé.
M. Jules Ferry, après avoir fait part de
cette nouvelle au président de la Républi-
que, a immédiatement convoqué ses col-
lègues du cabinet.
Le Journal officzel doit publier ce ma Lin
la note suivante :
« C'est hier 11 mai, à cinq heures du soir,
que le vice-roi du Petcheli, muni des
pleins pouvoirs de la cour de Pékin, et le
commandant Fournier, qui avait reçu
trois jours avant les pleins pouvoirs du
gouvernement de la République, ont signé
à Tien-Tsin une convention en quatre ar-
ticles qui met fin au différend existant en-
tre la France et la Chine.
» Par l'article 1", la France s'engage à
respecter et à protéger, s'il en est besoin,
les frontières sud de la Chine limitrophes
du Tonkin.
» De son côté, la Chine, rassurée sur l'in-
tégrité et la sécurité de ses frontières sud,
s'engage à retirer les garnisons chinoises
du Tonkin. Elle s'engage en outre « à res
pecter dans le présent et dans l'avenir les
traités directement faits ou à faire entre la
France et la cour d'Annam (article 2) ».
» L'article 3 porte qu'« en reconnaissance
de l'attitude conciliante de la Chine et
pour rendre hommage à la sagesse patrio-
tique de Son Excellence Li dans la négo-
ciation de cette convention, la France re-
nonce à demander une indemnité à la
Chine ».
» Celle-ci s'oblige en retour à admettre
sur toute l'étendue de la frontière sud li-
mitrophe du Tonkin la liberté du trafic des
marchandises « entre l'Annam et la France
d'une part et la Chine de l'autre ».
» Il sera conclu à cet effet un traité de
commerce et de tarifs « dans l'esprit le
plus conciliant de la part des négociateurs
chinois et dans des conditions aussi avan-
tageuses que possible pour le commerce
français ».
» Enfin, aussitôt la convention signée,
les deux gouvernements nommeront leurs
plénipotentiaires qui se réuniront dans le
délai de trois mois pour traiter définitive-
ment sur les bases ainsi arrêtées.
» L'amiral Lespès est parti pour Tien-
Tsin avec un des navires de sa division.
Aussitôt son arrivée, le commandant
Fournier partira pour la France porteur
de l'instrument original de la convention. »
Le Times, si chinois au commencement
de l'expédition, passe de notre côté main-
tenant que la Chine est obligée de céder.
Il dit, que « la conclusion du traité est
due à l'habileté de ceux qui, de part et
d'autre, ont conduit les négociations » et
que « son acceptation fera honneur au
ministère français et à la France ».
« C'est un fait assurément remarqua-
ble », ajoute-t-il, « que la Chine ait non-
seulement accordé à la France tout et
même plus qu'elle n'avait réclamé avant
le commencement des hostilités, mais
qu'elle ait adopté une politique libérale à
l'égard du commerce européen juste au
moment où elle venait d'être obligée de
s'incliner devant la volonté d'une grande
puissance européenne. »
Le journal anglais « espère que le gou-
vernement français, qui a fait preuve de
1 bon sens et de modération en s'abstenant
d'insister sur le paiement d'une indemnité
ou sur des garanties matérielles, justifiera
l'autorité qu'il a procurée à ht PtONtedane
le Tonkin et l'Annam, ainsi que les conces-
sions commerciales qu'il a obtenues de la
Chine, par l'adoption d'une politique libé-
rale et éclairée, en ce qui concerne les
droits de douane et les facilités du trafic».
Libéralisme des droits de douane, faci-
lités du trafic, c'est-à-dire les coudées
franches du commerce anglais, voilà l'es-
sentiel. Quant à une indemnité de guerre
pour les dépenses auxquelles nous a obli-
gés la Chine, l'Angleterre nous conseille
de ne pas insister. Nous ne nous souve-
nons pas qu'elle ait donné en 1871 le même
conseil à la Prusse.
———————
LE SCRUTIN DE LISTE
Dans les dernières élections munici-
pales, quelques batailles, un nombre
immense de calomnies et enfin deux
ou trois gifles ont condamné à tout
jamais le scrutin d'arrondissement et le
vote uninominal. C'est donc avec
plaisir que je vois prise en consi-
dération et rapportée la proposition de
M. Constans sur le scrutin de liste.
Je ne veux pas douter du bon
accueil que lui fera la Chambre. Elle
en doit sentir, elle-même , la néces-
sité.
Le vote uninominal et le scrutin de
quartier ont donné dix représentants
à la monarchie. Ils ont fait triompher
des candidats royalistes à Marseille où,
pour ma part, je n'en avais jamais vu,
à Arles, à Nantes, et dans beaucoup
d'autres endroits. Ils ont faussé aussi le
sentiment de plusieurs grandes villes.
Le moment est venu de les supprimer
définitivement.
Leur fureur s'exerce d'ailleurs pl us vo-
lontiers sur les hommes intelligents ou
remarquables, — sauf exception, bien
entendu. Prenez un exemple : les der-
nières élections municipales. Vous
verrez que les hommes qu'on désignait
à juste titre parmi les plus éminents
du parti autonomiste ont perdu leurs
sièges : M. Yves Guyol, M. IIovelacquc,
M. Eiaux, M. Joffrin, etc. Vous verrez
aussi que dans le parti municipal pres-
que tous les plus en vue et les plus
connus ont subi des éch es cruels ou
n'ont passé qu'au second tour.
Qui est cause de cela? Le mode de
scrutin. Plus vous rétrécissez le collège
électoral, plus vous rétrécissez l'élu.
Plus, au contraire, vous élargissez le
collège électoral, plus vous avez chance
de faire entrer dans les Assemblées
des hommes supérieurs. Or, c'est un
avantage pour les Assemblées que de
posséder des hommes supérieurs de
toutes nuances : ceux-là seuls élèvent
les discussions, remuent les idées et
forcent leurs collègues au travail.
Si l'idée de Girardin était applicable,
la France formant un seul collège, c'est
à cette idée qu'il faudrait se rallier. Le
petit scrutin, au contraire, diminue
tout. Il supprime les intérêts généraux
au profit des intérêts particuliers et, s'il
continuait à sévir sur nous, il ferait de
la Chambre une parlotte.
EDOUARD LOCKROY.
————————— —————————
LE LABORATOIRE MUNICIPAL
Le laboratoire municipal vient de pu-
blier la statistique des opérations aux-
quelles il s'est livré pendant le mois d'a-
vril. Il nous apprend que ses experts-ins-
pecteurs ont visité 3,318 établissements et
marchés, dressé 25 contraventions et fait
procéder à la destruction des marchan-
dises avariées suivantes : viandes et pois-
sons, 69 kil. 500; légumes et fruits, 28
kilog.; confitures et sirops, 37 kit 500,
champignons et tomates, 30 kil. 800 ; vi
naigres et saumures, 16kil.; huile, 3 kil.
Puis, entrant dans le détail des analyses,
il nous apprend, par exemple, que sur 671
échantillons de vin, il en a trouvé 99 bons,
44 amers, acides ou moisis, 88 ayant une
saveur désagréable, 165 plâtrés, 219 addi-
tionnés d'eau, 33 falsifiés par adjonction
de piquette, 42 par sucrage ou vinage, 18
par addition d'acide salicylique, etc., etc.
Mon intention n'est pas d'incriminer
une institution qui est entrée dans nos
mœurs et rend chaque jour de grands ser-
vices, je me demande simplement si elle
ne serait pas susceptible de quelques amé-
liorations et si tout est actuellement pour
le mieux dans le meilleur des laboratoires
municipaux. Tout d'abord j'avouerai que
je ne vois pas bien la nécessité de ces bul-
letins publics et mensuels.Que les experts -
inspecteurs, que les chimistes déploient
dans l'accomplissement de leur tâche le
plus grand zèle, qu'on punisse avec la der-
nière rigueur les débitants peu scrupuleux
qui font courir des dangers à la santé pu-
blique, il n'y a à cela que des avantages.
Mais pourquoi étaler nos plaies avec cette
complaisance et fournir nous-mêmes des
armes à nos concurrents ? D'autant que le
public est dupe d'un trompe-l'œil.En effet,
à moins de supposer que les experts du
laboratoire soient exclusivement recrutés
parmi les crétins des Alpes, il faut admet-
tre qu'ils ne saisissent que les substances
douteuses, et non les spécimens qui leur
semblent réunir toutes les conditions vou-
lues de salubrité et de pureté. Si donc
quelque chose doit surprendre, ce n'est pas
que sur 19 échantillons de vinaigre, par
exemple, il n'y en ait que 4 de bons, mais
que sur 19 échantillons saisis il n'y en ait
que 15 de falsifiés.
On peut se demander également, en ce
qui concerne le vin, si les proportions
exigées par le laboratoire ne sont pas
quelque peu arbitraires et si elles ne
portent pas une atteinte sérieuse à la
viticulture nationale. Un nombre très res-
treint de nos vins du centre, de rOrléa-
nais, de la Touraine, possède les 10 de-
grès d'alcool et les 20 centigrammes ré-
glementaires d'extrait sec. Mais les grands
crus-du Médoc né les possèdent plus, par
cette excellente raison que l'alcool s'est
peu à peu transformé en éther, c'est-à-
dire en bouquet ! Voilà ainsi tout une
catégorie de vins français exclus de la
consommation parisienne, au grand bé-
néfice des vins espagnols et italiens. C'est
de la protection à rebours.
Depuis que le laboratoire fonctionne, il
s'est passé des faits étranges. On a vu un
débitant condamné à Paris pour avoir
vendu du vin qui n'avait pas le degré
voulu, et condamné par le tribunal de
Montpellier à prendre livraison de ce
même vin jugé mauvais à Paris. Ce sont
là des anomalies choquantes et iniques,
et il serait bon qu'une loi intelligente
intervînt pour déterminer, en matière de
plâtrage, de vinage, etc., ce qui est dé-
fendu et ce qui est permis. Eu attendant,
la réforme du laboratoire s'impose au
nouveau conseil. Il y va, qu'on y songe
bien, non-seulement de l'intérêt des mar-
chands de vins, des épiciers, mais de
l'intérêt plus général de l'agriculture et du
commerce français.
FRÉDÉRIC MONTARGIS.
COULISSES DESCHAMBRES
-
Deux sous-commissions du budget se
sont réunies hier à la Chambre pour con-
tinuer leurs études des budgets particu-
liers des ministères.
La 1" sous-commission a commencé à
entendre l'exposé de M. Rousseau relati-
vement au budget des travaux publics.
Elle a ainsi passé en revue les 27 pré1-
miers chapitres de ce budget, soit environ
la moitié.
Les réductions déjà opérées sur ce buâ*
get s'élèvent actuellement à 4 millions et
demi. Mais les chapitres restant à examl-
ner ne paraissent pas devoir donner lieu 1
d'autres réductions. ;
Sur ces 4 millions et demi, 4 million^
environ sont fournis par le chiffre des an-
nuités dues par l'Etat aux compagnies de
chemins de fer. Ainsi que nous l'avons
déjà expliqué, les annuités payées aux
compagnies pour remboursement des
avances qu'elles ont faites à l'Etat depuis
les contrats de 1885 jusqu'à aujourd'hui
ont été calculées à l'origine sur le taux de
5.75 010. et auj ourd'hui on les ramène ail:
taux réel d'émission, qui est assez sensi
blement inférieur à ce chiffre. De ce chef^
il y aura une somme de 2 millions environ
que les compagnies devront rembourser lUI
Trésor, ou, ce qui revient au même résul-
tat, qu'elles devront recevoir en moin9
sur les sommes qui leur sont dues en
1885.
D'autre part, il y a lieu de réduire de
2 millions 112 les prévisions d'annuités
dues par l'Etat aux compagnies pour pose
de secondes voies sur un certain nombre
de lignes, les travaux de cet ordre à exér
cuter en i885 ne devant pas s'élever au
chiffre indiqué au projet de budget.
C'est ainsi que sur ce chapitre la sous-
commission réalise une économie totale
de 4 millions 1[2.
La troisième sous-commission a conti-
nué l'étude du budget de la guerre. En
dehors des 10 millions d'économies qu'ont
espère réaliser en 1885 par suite de la
substitution de l'entreprise directe la
gestion des officiers d'administration pourr
la fourniture des vivres et fourrages, M*
Ballue, rapporteur, a proposé hier sut
d'autres chapitres, notamment ceux d,
l'état-major, du matériel du génie et d&
l'artillerie, de la prime d'entretien, etc.,
une série de réductions s'élevant en tota-î
lité à 8 millions. La commission statuerai
aujourd'hui sur ces propositions.
—o—
M. Wurtz, l'éminent chimiste qui était;
en même temps sénateur inamovible, vienfci
de mourir. Le siège qu'il laisse vacant aa':
Sénat sera rempli d'ici à deux mois. Pac
une contradiction bizarre, en effet, laî
Constitution qui nous régit interdit deî
procéder, dans l'année qui précède direct
tement le renouvellement partiel, aurem-i
placement des sénateurs des départements'
dont le siège devient vacant et elle n'étend
pas cette prohibition au remplacement des
inamovibles.
M. Wurtz devra donc être remplacé
dans les délais légaux. Ce sera à la gauchôi
républicaine que reviendra le soin de choi-
sir le candidat pour ce siège, conformé*;
ment au roulement établi entre les trois?
groupes républicains du Sénat.
Par contre, treize sièges de sénateurs]
des départements actuellement vacantsf
au Sénat devront rester inoccupés jus-j
qu'au premier dimanche de janvier 1885fj
époque du prochain renouvellement par
tiel.
PROPOSITION DE M. CHARLES FERR)
Dans les derniers jours de la session;"*
M. Charles Ferry a déposé sur le bureau
de la Chambre « une proposition à la-
quelle, vu son origine, il est permis de
croire que le cabinet n'est pas contraire
et qui mériterait fort d'être votée d'ur-
gence et à l'unanimité. Il s'agit de rai]
suppression des loteries, ou plutôt de
l'exécution de la loi qui les interdit et*
dont on ne tient aucun compte.
M. Charles Ferry ne pouvait faire;
meilleur usage de son droit d'initiative,
car les abus contre lesquels il proteste
atteignent véritablement des propor-
tions scandaleuses. Pendant de longues
années, la France n'a pas connu ces
appels immoraux à la naïveté publique;
il a fallu la bande des décembristes
pour exhiber le lingot d'or et remettre
en honneur ces mœurs d'autrefois. De,;
Feuilleton du RAPPEL
DU 14 MAI
1
UNE
FILLE D'AMÉRIQUE
CHAPITRE PREMIER
Une jeune greffe sur an vieux tronc
Dans la partie de la rue de Chaillot, qui
n'était, il y a vingt ans, qu'un chaos de
masures noires et de constructions fraî-
ches espacées de grands terrains vagues,
on pouvait remarquer à cette époque un
petit hôtel récemment bâti, placé alors
comme en amorce à l'angle d'un carré de
lots à vendre, et qui excitait dans le quar-
tier une certaine curiosité.
C'était un de ces pavillons comme il s'en
construisait alors et comme il s'en est
Construit depuis par centaines : un sous-
sol desservi par une petite tranchée circu-
laire: un rez-de-chaussée surélevé de .quel-
ques marches ; deux autres étages, dont le
second mansardé ; trois fenêtres de façade
à chaque étage, et la porte cochère sur le
côté. La maison, bien qu'elle fût neuve,
semblait complètement abandonnée, et
comme tombée en déshérence. Elle restait
perpétuellement close, comme un logis
dont le maître n'est pas là. Jamais, à au-
cune heure, à aucun moment, on ne
voyait une persienne ouverte. Les appuis
des fenêtres, primitivement, avaient dû
offrir à l'extérieur d'élégantes serrureries
dorées, et la fenêtre du milieu, au pre-
mier, donnait sur un balcon dans le goût
coquet des appuis. Mais les contrevents,
toujours fermés, étaient devenus noirs
de poussière accumulée, les reflets d'or
et d'acier des appuis et du balcon ache-
vaient de s'éteindre sous l'envahisse-
ment d'une teinte sale de vieille ferraille,
et, du haut en bas de la façade, la pluie,
en délayant la rouille, avait sillonné la
muraille encore blanche de multitudes de
petites rigoles rousses. Les vitres du sous-
sol disparaissaient, derrière leurs bar-
reaux, sous des taies d'ordure et de toiles
d'araignée; jamais le balai ni l'éponge
d'un domestique ne devaient avoir passé là,
non plus que sur la porte cochère, toute
couverte, dans le bas, d'une croûte de
boue sèche et toute éclaboussée de la
boue liquide de la rue.
Le matin, régulièrement, un laitier dé-
valait la rue de Chaillot dans sa voiture,
en soufflant dans son cornet
Quand il arrivait devant le petit hôtel, il
s'arrêtait, descendait de sa cariole avec
une carafe cachetée, appelait, et donnait
un coup de poing contre la porte.
Un bruit de chaîne, alors, ne tardait pas
à se faire entendre; la porte s'entr'ouvrait,
et une voix inquiète, mais encore assez
bien timbrée, une de ces Voix de vieil-
lards qui ont comme des chevrote-
ments autoritaires, demandait par l'entre-
bâillement :
— C'est bien vous?
A la réponse du laitier, le bruit de chaîne
recommençait ; la porte se rouvrait après
s'être refermée, puis un bras passait, une
main décharnée au bout d'un poignet
maigre serré dans une manche de drap
râpé dont le parement collant était bou-
tonné jusqu'au coude. Le bras saisissait la
carafe, rentrait, ressortait, payait, et la
porte retombait.
Si inhabité qu'il parût, l'hôtel, en effet,
ne l'était pas. Tous les matins, sans faute,
on voyait entrer cette carafe de lait ca-
chetée, et tous les soirs, invariablement,
on en voyait sortir, vers l'heure du
dîner, un vieux monsieur, d'une mise à la
fois coquette et surannée.
C'était un petit vieillard, droit, maigre,
rasé, les cheveux tout,.blancs, et régulière-
l ment blême. Quand on l'observait un peu.
on finissait par lui trouver, -en réalité,
moins l'air d'un vieillard que d'un être
prématurément caduc et vieilli. Ses yeux
bleus, d'un bleu faïence et très bril-
lants, contenaient comme une espèce de
jeunesse. Mais le visage était flétri, passé,
exsangue au point d'en être funèbre, et
plutôt plissé encore que ridé. On eût dit
qu'il n'avait plus une goutte de sang, ni
un souffle de force dans son petit corps
nerveux et vide, et ses mains décharnées,
avec leurs longs doigts blafards qu'elles
déployaient comme mécaniquement, ses
mains pâles avaient cent ans. Raide, bou-
tonné jusqu'au menton dans une vieille
redingote à jupe plissée prise à la taille,
sous laquelle il était sanglé comme dans
un corset, coiffé d'un vieux chapeau haut
de forme légèrement conique et large de
bords, sous lequel ses cheveux blancs
tranchaient comme une calotte, poussant
avec une dignité de mannequin ses pe-
tites jambes, le long desquelles flottait
un pantalon à la hussarde, poussiéreux,
conquérant, automatique, une canne d'an-
cêtre à la main èt une grosse bague d'or
au doigt, il avait l'air d'une figure de cire
en marche.
Il s'arrêtait quelquefois dans la rue,
quand il rencontrait des enfants, les re -
gardait sévèrement et leur disait de sa voix
brusque :
- El.es-vous sages?
Les enfants éclataient de rire autour du
vieux monsieur qui levait sa canne sur
eux d'un air terrible :
— Petits scélérats î
Mais ils se sauvaient comme une nuée
de moineaux, et le vieillard, alors, s'en
allait, après s'être livré à des moulinets
fébriles qu'il accompagnait d'éclats de
voix et de radotages menaçants. Il descen-
dait la rue lentement, avec une solennité
de statue, et disparaissait du côté des
Champs-Elysées.
Le vieux monsieur, vivait dans une soli-
tude si exceptionnelle, qu'on ne lui avait
jamais connu de domestique, et que, hors
le laitier, on ne lui connaissait même pas
de fournisseur. Il ne lui arrivait même
jamais de lettres ; le facteur ne se rappe-
lait pas en avoir remis dans la maison.
Aussi, les gens du voisinage s'étaient-ils
longtemps demandé, très intrigués, quel
pouvait être ce vieillard,et toutes les conjec-
tures, toutes les hypothèses, tous les can-
cans avaient été faits. Un avare, un ma-
lade, un maniaque, un fou, un homme
frappé d'un grand malheur, on avait
tout supposé. On inclinait à croire, et
avec raison, que c'était un fou. L'hôtel,
englobé de lots à bâtir, avait au premier
étage deux fenêtres donnant par derrière
sur un terrain vague ; ces deux fenê-
tres n'étaient pas munies de persiennes
et recevaient le jour ; c'était là, évidem-
ment, que le vieillard avait établi son ap-
partement. Quant à ses repas, il était clair
qu'il vivait la journée du lait que le lai-
tier lui apportait le matin, et que le soir
il allait dîner dehors. En somme, on n'a-
vait rien su, rien entendu dire, et le quar
tier avait fini par s'habituer à son énigme.
Tout ce qu'on avait pu apprendre, c'est
que le vieux monsieur était le propriétaire
même de l'hôtel, et qu'il devait répondre -
d'après l'état des contributions, au titre et
au nom de vicomte de Glorian-Cassel.
Il y avait environ deux ans que les ha-
bitants de Chaillot voyaient ainsi s'accu-
muler la poussière sur les volets clos de
l'hôtel isolé, quand un fiacre, un matin,
s'arrêta devant.
Ce fut une véritable surprise, mais la
surprise se changea bientôt en stupéfac
tion.
Trois hommes étaient descendus de la
voiture, et on avait reconnu en eux trois
hommes de la police, deux agents et un
commissaire aux délégations judiciaires.¡
La police? Que se passait-il donc? On
commença alors à raconter que le laitier,
la veille, avait déjà frappé, corné, appelé
et sonné sans qu'on lui eût répondu, et
qu'il avait dû remporter sa carafe de lait,
MAURICE TALMEYR.
, (4 suiTe,)
ADMINISTRATION 1
38, HUE DE VALOIS, 43
ABONNEMENTS
ÏARIS
Stois mois .10 »
Six mois. 20 »
DÉPARTEMENTS1
Trois mois. 13 50
SixmoisZI a
;
Acbesser lettres et mamaais -
A M. ERNEST LEFÈVRE » 1
ADMINISTRATEUR GÉRANT m
,
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction.
De kà 6 heures du soit*
18) Rm DE VALOIS, 1$
les manuscrits zou insères ne seront]»as ren<&|g
ANNONCES
3DI, Ch. IAGRANGE, CERF et Ce
6, jpkce de la Bourse, 6
i.
LE BALLOTTAGE
Le lendemain du premier tour de
scrutin, les journaux de la réaction s'é-
criaient :
- « Le parti monarchique conserve
toutes ses positions ! »
Nous leur faisions remarquer que
conserver ses positions quand, pendant
des mois, on a crié soir et matin qu'on
allait donner l'assaut définitif, culbuter
rennemi, prendre la place, c'était la
prendre modestement.
— Soit, nous disaient-ils ; mais ce
n'est qu'un commencement. Attendez à
dimanche prochain ! C'est au scrutin de
ballottage que nous allons donner !
C'est là que nous allons être victorieux
pour de bon et réaliser la menace que
nous vous faisons soir et matin depuis
des mois. Le 11 mai sera un grand jour
et qui éclatera dans l'histoire. Paris
fera amende honorable et demandera
pardon à la monarchie de l'avoir mé-
connue. Paris dira à Philippe VII ce
qui a été dit à Jésus : - Seigneur, je
ne suis pas digne que vous entriez dans
ma maisoH, mais entrez-y tout de
même !
Et l'assaut a été donné. Et, ne s'en
fiant pas à leurs seules forces, les roya-
listes se sont alliés avec les bonapar-
tistes, ils leur ont dit : Passez-nous
l'Aclocque, nous vous passons le Bar-
tholoni. Ils sont devenus les frères
d'armes des héros de Sedan. Les or-
léanistes se sont jetés tendrement dans
les bras de ceux dont le premier ex-
ploit a été de couper la bourse aux
princes d'Orléans.
Résultat :
Sur 32 élections, 29 pour les répu-
blicains, 3 pour les réactionnaires.
A la place des réactionnaires, vous
regarderiez cela comme une défaite,
comme un aplatissement, comme un
écrasement. C'est que vous penseriez
en républicains, en gens habitués à
vaincre ; pour vous en effet, trois élus
sur trente-deux, trois qu'il faudrait
partager avec des associés, c'est-à-dire
un élu et demi, ce serait un triomphe
d'une entière maigreur. Mais il faut
songer que ni les royalistes, ni les bo-
napartistes n'ont été gâtés par les scru-
tins depuis les élections de 1871 faites
quand la France gisait sous le sabre de
la Prusse et, saignée aux quatre mem-
bres, n'avait plus conscience de ce
qu'elle répondait. Et, dame ! un élu et
demi, pour les bonapartistes comme
pour les royalistes, c'est gentil-
Oui, les trois élus que les royalistes
et les bonapartistes ont à se partager
seraient pour les républicains un pau-
vre régal.
Le premier, M. Bartholoni, est un
, revenant ; il représente le quartier Saint-
Thomas-d'Aquin, qu'il représentait déjà;
ici, la réaction ne gagne rien.
Le deuxième, M. Georges Berry,
remplace M. Edouard Hervé, royaliste
comme lui ; ici la réaction me fait va-
guement l'effet, non-seulement de ne
pas gagner, mais de perdre. Le succès
du royaliste est accueilli avec réserve
par les royalistes même. « M. Georges
Berry ne compte point parmi nos amis
politiques M, dit le bloniteur, qui ne voit
qu' « un fait digne d'attention » dans
l'aventure de « ce royaliste ennemi des
nuances et des compromis, même les
plus nécessaires, tombant comme la fou-
dre dans un des quartiers les plus riches
et les plus commerçants de Paris ». Et
le journal orléaniste n'épargne pas à M.
Georges Berry qu'il n'a dû son élection
qu'à la belle conduite de M. Picot, qui,
« bien qu'attaché à la République, a
refusé, malgré toutes les sollicitations
dont il a été l'objet, d'écrire une ligne,
de prononcer un mot, pendant la pé-
riode du ballottage, contre le candidat
monarchiste «.Nouvelle manière d'être
républicain.
Le troisième réactionnaire élu, M.
Lerolle. — Oh! celui-ci est un vain-
queur sérieux, un tombeur de la Répu-
blique; lui, aucun Picot ne l'a servi;
lui, c'est un républicain qu'il remplace;
il est vrai qu'on a exploité contre M.
Hovelacque un mot sur l'armée et que
l'élection était dans le quartier de l'E-
c oie-Militaire, de sorte que le vote a été
plus militaire que politique; n'importe,
c'est un siège que la monarchie prend
à la République. — Oui, mais, au mo-
ment où la monarchie prenait à la Ré-
publique le siège de M. Hovelaque, la
République prenait à la monarchie le
siège de M. Aclocque.
Telles sont les trois élections que le
parti royaliste est en train de partager
fraternellement avec le parti du Deux-
Décembre.
« Tout compte fait », dit M. Edouard
Hervé dans le Soleil, « le nouveau con-
seil ressemblera beaucoup à l'a ncien ».
Tout ce qu'aura arraché la coalition
des royalistes et des bonapartistes, ce
sera d'avoir un conseiller de plus. Elle
en avait neuf, elle en aura dix. Un con-
seiller gagné en trois ans, la République
française calcule qu'à ce compte il ne
faudrait plus à la réaction, pour
avoir un à peu près de majorité à
l'Hôtel de Ville, que quatrevingt-dix
ans. Il lui en faudrait même cent
quatrevingts, le conseiller que gagne-
rait la réaction tous les trois ans devant
se partager entre l'empire et la royauté,
qui ne pourraient exister simultané-
ment. Le comte de Paris monterait
sur le trône en l'an 2064.
AUGUSTE VACQUERIE.
« i.I«
LA PAIX AVEC LA CHINE
Le ministre des affaires étrangères a
reçu la nouvelle que le gouvernement chi-
nois avait ratifié un traité négocié par M.
Fournier, capitaine de vaisseau, représen-
tant la France et qui avait à cet effet des
pouvoirs spéciaux, et Li-Hong-Chang, re-
présentant la Chine.
Ce traité porte que la Chine reconnaît
le protectorat de la France sur Je Tonkin
et l'Annam, tels que ces territoires sont
actuellement délimités, c'est-à-dire en y
comprenant Cao-Bang et Lang-Son.
Les trois provinces du Yunnam, du
Kuang-Si et du Kuang-Tung seront ouver-
tes au commerce de nos nationaux. Un
traité de commerce particulier sera, dans
ce but, consenti par la Chine au profit de
ktFrance.
La Chine s'engage, en outre, d'une ma-
nière expresse à retirer immédiatement
toutes ses troupes du Tonkin.
Ce traité, qui avait été préalablement
soumis à la ratification de la cour de
Pékin, a été signé dimanche soir, àTien-
Tsin, par le plénipotentiaire français et le
plénipotentiaire chinois.
La signature a été suivie d'un grand
dîner offert par Li-Hong-Chang à M. Four-
nier et au consul de France.
Hier soir, Li-Hong-Chang a dîné au con-
sulat de France qui était pavoisé aux cou-
leurs nationales françaises et chinoises et
magnifiquement illuminé.
M. Jules Ferry, après avoir fait part de
cette nouvelle au président de la Républi-
que, a immédiatement convoqué ses col-
lègues du cabinet.
Le Journal officzel doit publier ce ma Lin
la note suivante :
« C'est hier 11 mai, à cinq heures du soir,
que le vice-roi du Petcheli, muni des
pleins pouvoirs de la cour de Pékin, et le
commandant Fournier, qui avait reçu
trois jours avant les pleins pouvoirs du
gouvernement de la République, ont signé
à Tien-Tsin une convention en quatre ar-
ticles qui met fin au différend existant en-
tre la France et la Chine.
» Par l'article 1", la France s'engage à
respecter et à protéger, s'il en est besoin,
les frontières sud de la Chine limitrophes
du Tonkin.
» De son côté, la Chine, rassurée sur l'in-
tégrité et la sécurité de ses frontières sud,
s'engage à retirer les garnisons chinoises
du Tonkin. Elle s'engage en outre « à res
pecter dans le présent et dans l'avenir les
traités directement faits ou à faire entre la
France et la cour d'Annam (article 2) ».
» L'article 3 porte qu'« en reconnaissance
de l'attitude conciliante de la Chine et
pour rendre hommage à la sagesse patrio-
tique de Son Excellence Li dans la négo-
ciation de cette convention, la France re-
nonce à demander une indemnité à la
Chine ».
» Celle-ci s'oblige en retour à admettre
sur toute l'étendue de la frontière sud li-
mitrophe du Tonkin la liberté du trafic des
marchandises « entre l'Annam et la France
d'une part et la Chine de l'autre ».
» Il sera conclu à cet effet un traité de
commerce et de tarifs « dans l'esprit le
plus conciliant de la part des négociateurs
chinois et dans des conditions aussi avan-
tageuses que possible pour le commerce
français ».
» Enfin, aussitôt la convention signée,
les deux gouvernements nommeront leurs
plénipotentiaires qui se réuniront dans le
délai de trois mois pour traiter définitive-
ment sur les bases ainsi arrêtées.
» L'amiral Lespès est parti pour Tien-
Tsin avec un des navires de sa division.
Aussitôt son arrivée, le commandant
Fournier partira pour la France porteur
de l'instrument original de la convention. »
Le Times, si chinois au commencement
de l'expédition, passe de notre côté main-
tenant que la Chine est obligée de céder.
Il dit, que « la conclusion du traité est
due à l'habileté de ceux qui, de part et
d'autre, ont conduit les négociations » et
que « son acceptation fera honneur au
ministère français et à la France ».
« C'est un fait assurément remarqua-
ble », ajoute-t-il, « que la Chine ait non-
seulement accordé à la France tout et
même plus qu'elle n'avait réclamé avant
le commencement des hostilités, mais
qu'elle ait adopté une politique libérale à
l'égard du commerce européen juste au
moment où elle venait d'être obligée de
s'incliner devant la volonté d'une grande
puissance européenne. »
Le journal anglais « espère que le gou-
vernement français, qui a fait preuve de
1 bon sens et de modération en s'abstenant
d'insister sur le paiement d'une indemnité
ou sur des garanties matérielles, justifiera
l'autorité qu'il a procurée à ht PtONtedane
le Tonkin et l'Annam, ainsi que les conces-
sions commerciales qu'il a obtenues de la
Chine, par l'adoption d'une politique libé-
rale et éclairée, en ce qui concerne les
droits de douane et les facilités du trafic».
Libéralisme des droits de douane, faci-
lités du trafic, c'est-à-dire les coudées
franches du commerce anglais, voilà l'es-
sentiel. Quant à une indemnité de guerre
pour les dépenses auxquelles nous a obli-
gés la Chine, l'Angleterre nous conseille
de ne pas insister. Nous ne nous souve-
nons pas qu'elle ait donné en 1871 le même
conseil à la Prusse.
———————
LE SCRUTIN DE LISTE
Dans les dernières élections munici-
pales, quelques batailles, un nombre
immense de calomnies et enfin deux
ou trois gifles ont condamné à tout
jamais le scrutin d'arrondissement et le
vote uninominal. C'est donc avec
plaisir que je vois prise en consi-
dération et rapportée la proposition de
M. Constans sur le scrutin de liste.
Je ne veux pas douter du bon
accueil que lui fera la Chambre. Elle
en doit sentir, elle-même , la néces-
sité.
Le vote uninominal et le scrutin de
quartier ont donné dix représentants
à la monarchie. Ils ont fait triompher
des candidats royalistes à Marseille où,
pour ma part, je n'en avais jamais vu,
à Arles, à Nantes, et dans beaucoup
d'autres endroits. Ils ont faussé aussi le
sentiment de plusieurs grandes villes.
Le moment est venu de les supprimer
définitivement.
Leur fureur s'exerce d'ailleurs pl us vo-
lontiers sur les hommes intelligents ou
remarquables, — sauf exception, bien
entendu. Prenez un exemple : les der-
nières élections municipales. Vous
verrez que les hommes qu'on désignait
à juste titre parmi les plus éminents
du parti autonomiste ont perdu leurs
sièges : M. Yves Guyol, M. IIovelacquc,
M. Eiaux, M. Joffrin, etc. Vous verrez
aussi que dans le parti municipal pres-
que tous les plus en vue et les plus
connus ont subi des éch es cruels ou
n'ont passé qu'au second tour.
Qui est cause de cela? Le mode de
scrutin. Plus vous rétrécissez le collège
électoral, plus vous rétrécissez l'élu.
Plus, au contraire, vous élargissez le
collège électoral, plus vous avez chance
de faire entrer dans les Assemblées
des hommes supérieurs. Or, c'est un
avantage pour les Assemblées que de
posséder des hommes supérieurs de
toutes nuances : ceux-là seuls élèvent
les discussions, remuent les idées et
forcent leurs collègues au travail.
Si l'idée de Girardin était applicable,
la France formant un seul collège, c'est
à cette idée qu'il faudrait se rallier. Le
petit scrutin, au contraire, diminue
tout. Il supprime les intérêts généraux
au profit des intérêts particuliers et, s'il
continuait à sévir sur nous, il ferait de
la Chambre une parlotte.
EDOUARD LOCKROY.
————————— —————————
LE LABORATOIRE MUNICIPAL
Le laboratoire municipal vient de pu-
blier la statistique des opérations aux-
quelles il s'est livré pendant le mois d'a-
vril. Il nous apprend que ses experts-ins-
pecteurs ont visité 3,318 établissements et
marchés, dressé 25 contraventions et fait
procéder à la destruction des marchan-
dises avariées suivantes : viandes et pois-
sons, 69 kil. 500; légumes et fruits, 28
kilog.; confitures et sirops, 37 kit 500,
champignons et tomates, 30 kil. 800 ; vi
naigres et saumures, 16kil.; huile, 3 kil.
Puis, entrant dans le détail des analyses,
il nous apprend, par exemple, que sur 671
échantillons de vin, il en a trouvé 99 bons,
44 amers, acides ou moisis, 88 ayant une
saveur désagréable, 165 plâtrés, 219 addi-
tionnés d'eau, 33 falsifiés par adjonction
de piquette, 42 par sucrage ou vinage, 18
par addition d'acide salicylique, etc., etc.
Mon intention n'est pas d'incriminer
une institution qui est entrée dans nos
mœurs et rend chaque jour de grands ser-
vices, je me demande simplement si elle
ne serait pas susceptible de quelques amé-
liorations et si tout est actuellement pour
le mieux dans le meilleur des laboratoires
municipaux. Tout d'abord j'avouerai que
je ne vois pas bien la nécessité de ces bul-
letins publics et mensuels.Que les experts -
inspecteurs, que les chimistes déploient
dans l'accomplissement de leur tâche le
plus grand zèle, qu'on punisse avec la der-
nière rigueur les débitants peu scrupuleux
qui font courir des dangers à la santé pu-
blique, il n'y a à cela que des avantages.
Mais pourquoi étaler nos plaies avec cette
complaisance et fournir nous-mêmes des
armes à nos concurrents ? D'autant que le
public est dupe d'un trompe-l'œil.En effet,
à moins de supposer que les experts du
laboratoire soient exclusivement recrutés
parmi les crétins des Alpes, il faut admet-
tre qu'ils ne saisissent que les substances
douteuses, et non les spécimens qui leur
semblent réunir toutes les conditions vou-
lues de salubrité et de pureté. Si donc
quelque chose doit surprendre, ce n'est pas
que sur 19 échantillons de vinaigre, par
exemple, il n'y en ait que 4 de bons, mais
que sur 19 échantillons saisis il n'y en ait
que 15 de falsifiés.
On peut se demander également, en ce
qui concerne le vin, si les proportions
exigées par le laboratoire ne sont pas
quelque peu arbitraires et si elles ne
portent pas une atteinte sérieuse à la
viticulture nationale. Un nombre très res-
treint de nos vins du centre, de rOrléa-
nais, de la Touraine, possède les 10 de-
grès d'alcool et les 20 centigrammes ré-
glementaires d'extrait sec. Mais les grands
crus-du Médoc né les possèdent plus, par
cette excellente raison que l'alcool s'est
peu à peu transformé en éther, c'est-à-
dire en bouquet ! Voilà ainsi tout une
catégorie de vins français exclus de la
consommation parisienne, au grand bé-
néfice des vins espagnols et italiens. C'est
de la protection à rebours.
Depuis que le laboratoire fonctionne, il
s'est passé des faits étranges. On a vu un
débitant condamné à Paris pour avoir
vendu du vin qui n'avait pas le degré
voulu, et condamné par le tribunal de
Montpellier à prendre livraison de ce
même vin jugé mauvais à Paris. Ce sont
là des anomalies choquantes et iniques,
et il serait bon qu'une loi intelligente
intervînt pour déterminer, en matière de
plâtrage, de vinage, etc., ce qui est dé-
fendu et ce qui est permis. Eu attendant,
la réforme du laboratoire s'impose au
nouveau conseil. Il y va, qu'on y songe
bien, non-seulement de l'intérêt des mar-
chands de vins, des épiciers, mais de
l'intérêt plus général de l'agriculture et du
commerce français.
FRÉDÉRIC MONTARGIS.
COULISSES DESCHAMBRES
-
Deux sous-commissions du budget se
sont réunies hier à la Chambre pour con-
tinuer leurs études des budgets particu-
liers des ministères.
La 1" sous-commission a commencé à
entendre l'exposé de M. Rousseau relati-
vement au budget des travaux publics.
Elle a ainsi passé en revue les 27 pré1-
miers chapitres de ce budget, soit environ
la moitié.
Les réductions déjà opérées sur ce buâ*
get s'élèvent actuellement à 4 millions et
demi. Mais les chapitres restant à examl-
ner ne paraissent pas devoir donner lieu 1
d'autres réductions. ;
Sur ces 4 millions et demi, 4 million^
environ sont fournis par le chiffre des an-
nuités dues par l'Etat aux compagnies de
chemins de fer. Ainsi que nous l'avons
déjà expliqué, les annuités payées aux
compagnies pour remboursement des
avances qu'elles ont faites à l'Etat depuis
les contrats de 1885 jusqu'à aujourd'hui
ont été calculées à l'origine sur le taux de
5.75 010. et auj ourd'hui on les ramène ail:
taux réel d'émission, qui est assez sensi
blement inférieur à ce chiffre. De ce chef^
il y aura une somme de 2 millions environ
que les compagnies devront rembourser lUI
Trésor, ou, ce qui revient au même résul-
tat, qu'elles devront recevoir en moin9
sur les sommes qui leur sont dues en
1885.
D'autre part, il y a lieu de réduire de
2 millions 112 les prévisions d'annuités
dues par l'Etat aux compagnies pour pose
de secondes voies sur un certain nombre
de lignes, les travaux de cet ordre à exér
cuter en i885 ne devant pas s'élever au
chiffre indiqué au projet de budget.
C'est ainsi que sur ce chapitre la sous-
commission réalise une économie totale
de 4 millions 1[2.
La troisième sous-commission a conti-
nué l'étude du budget de la guerre. En
dehors des 10 millions d'économies qu'ont
espère réaliser en 1885 par suite de la
substitution de l'entreprise directe la
gestion des officiers d'administration pourr
la fourniture des vivres et fourrages, M*
Ballue, rapporteur, a proposé hier sut
d'autres chapitres, notamment ceux d,
l'état-major, du matériel du génie et d&
l'artillerie, de la prime d'entretien, etc.,
une série de réductions s'élevant en tota-î
lité à 8 millions. La commission statuerai
aujourd'hui sur ces propositions.
—o—
M. Wurtz, l'éminent chimiste qui était;
en même temps sénateur inamovible, vienfci
de mourir. Le siège qu'il laisse vacant aa':
Sénat sera rempli d'ici à deux mois. Pac
une contradiction bizarre, en effet, laî
Constitution qui nous régit interdit deî
procéder, dans l'année qui précède direct
tement le renouvellement partiel, aurem-i
placement des sénateurs des départements'
dont le siège devient vacant et elle n'étend
pas cette prohibition au remplacement des
inamovibles.
M. Wurtz devra donc être remplacé
dans les délais légaux. Ce sera à la gauchôi
républicaine que reviendra le soin de choi-
sir le candidat pour ce siège, conformé*;
ment au roulement établi entre les trois?
groupes républicains du Sénat.
Par contre, treize sièges de sénateurs]
des départements actuellement vacantsf
au Sénat devront rester inoccupés jus-j
qu'au premier dimanche de janvier 1885fj
époque du prochain renouvellement par
tiel.
PROPOSITION DE M. CHARLES FERR)
Dans les derniers jours de la session;"*
M. Charles Ferry a déposé sur le bureau
de la Chambre « une proposition à la-
quelle, vu son origine, il est permis de
croire que le cabinet n'est pas contraire
et qui mériterait fort d'être votée d'ur-
gence et à l'unanimité. Il s'agit de rai]
suppression des loteries, ou plutôt de
l'exécution de la loi qui les interdit et*
dont on ne tient aucun compte.
M. Charles Ferry ne pouvait faire;
meilleur usage de son droit d'initiative,
car les abus contre lesquels il proteste
atteignent véritablement des propor-
tions scandaleuses. Pendant de longues
années, la France n'a pas connu ces
appels immoraux à la naïveté publique;
il a fallu la bande des décembristes
pour exhiber le lingot d'or et remettre
en honneur ces mœurs d'autrefois. De,;
Feuilleton du RAPPEL
DU 14 MAI
1
UNE
FILLE D'AMÉRIQUE
CHAPITRE PREMIER
Une jeune greffe sur an vieux tronc
Dans la partie de la rue de Chaillot, qui
n'était, il y a vingt ans, qu'un chaos de
masures noires et de constructions fraî-
ches espacées de grands terrains vagues,
on pouvait remarquer à cette époque un
petit hôtel récemment bâti, placé alors
comme en amorce à l'angle d'un carré de
lots à vendre, et qui excitait dans le quar-
tier une certaine curiosité.
C'était un de ces pavillons comme il s'en
construisait alors et comme il s'en est
Construit depuis par centaines : un sous-
sol desservi par une petite tranchée circu-
laire: un rez-de-chaussée surélevé de .quel-
ques marches ; deux autres étages, dont le
second mansardé ; trois fenêtres de façade
à chaque étage, et la porte cochère sur le
côté. La maison, bien qu'elle fût neuve,
semblait complètement abandonnée, et
comme tombée en déshérence. Elle restait
perpétuellement close, comme un logis
dont le maître n'est pas là. Jamais, à au-
cune heure, à aucun moment, on ne
voyait une persienne ouverte. Les appuis
des fenêtres, primitivement, avaient dû
offrir à l'extérieur d'élégantes serrureries
dorées, et la fenêtre du milieu, au pre-
mier, donnait sur un balcon dans le goût
coquet des appuis. Mais les contrevents,
toujours fermés, étaient devenus noirs
de poussière accumulée, les reflets d'or
et d'acier des appuis et du balcon ache-
vaient de s'éteindre sous l'envahisse-
ment d'une teinte sale de vieille ferraille,
et, du haut en bas de la façade, la pluie,
en délayant la rouille, avait sillonné la
muraille encore blanche de multitudes de
petites rigoles rousses. Les vitres du sous-
sol disparaissaient, derrière leurs bar-
reaux, sous des taies d'ordure et de toiles
d'araignée; jamais le balai ni l'éponge
d'un domestique ne devaient avoir passé là,
non plus que sur la porte cochère, toute
couverte, dans le bas, d'une croûte de
boue sèche et toute éclaboussée de la
boue liquide de la rue.
Le matin, régulièrement, un laitier dé-
valait la rue de Chaillot dans sa voiture,
en soufflant dans son cornet
Quand il arrivait devant le petit hôtel, il
s'arrêtait, descendait de sa cariole avec
une carafe cachetée, appelait, et donnait
un coup de poing contre la porte.
Un bruit de chaîne, alors, ne tardait pas
à se faire entendre; la porte s'entr'ouvrait,
et une voix inquiète, mais encore assez
bien timbrée, une de ces Voix de vieil-
lards qui ont comme des chevrote-
ments autoritaires, demandait par l'entre-
bâillement :
— C'est bien vous?
A la réponse du laitier, le bruit de chaîne
recommençait ; la porte se rouvrait après
s'être refermée, puis un bras passait, une
main décharnée au bout d'un poignet
maigre serré dans une manche de drap
râpé dont le parement collant était bou-
tonné jusqu'au coude. Le bras saisissait la
carafe, rentrait, ressortait, payait, et la
porte retombait.
Si inhabité qu'il parût, l'hôtel, en effet,
ne l'était pas. Tous les matins, sans faute,
on voyait entrer cette carafe de lait ca-
chetée, et tous les soirs, invariablement,
on en voyait sortir, vers l'heure du
dîner, un vieux monsieur, d'une mise à la
fois coquette et surannée.
C'était un petit vieillard, droit, maigre,
rasé, les cheveux tout,.blancs, et régulière-
l ment blême. Quand on l'observait un peu.
on finissait par lui trouver, -en réalité,
moins l'air d'un vieillard que d'un être
prématurément caduc et vieilli. Ses yeux
bleus, d'un bleu faïence et très bril-
lants, contenaient comme une espèce de
jeunesse. Mais le visage était flétri, passé,
exsangue au point d'en être funèbre, et
plutôt plissé encore que ridé. On eût dit
qu'il n'avait plus une goutte de sang, ni
un souffle de force dans son petit corps
nerveux et vide, et ses mains décharnées,
avec leurs longs doigts blafards qu'elles
déployaient comme mécaniquement, ses
mains pâles avaient cent ans. Raide, bou-
tonné jusqu'au menton dans une vieille
redingote à jupe plissée prise à la taille,
sous laquelle il était sanglé comme dans
un corset, coiffé d'un vieux chapeau haut
de forme légèrement conique et large de
bords, sous lequel ses cheveux blancs
tranchaient comme une calotte, poussant
avec une dignité de mannequin ses pe-
tites jambes, le long desquelles flottait
un pantalon à la hussarde, poussiéreux,
conquérant, automatique, une canne d'an-
cêtre à la main èt une grosse bague d'or
au doigt, il avait l'air d'une figure de cire
en marche.
Il s'arrêtait quelquefois dans la rue,
quand il rencontrait des enfants, les re -
gardait sévèrement et leur disait de sa voix
brusque :
- El.es-vous sages?
Les enfants éclataient de rire autour du
vieux monsieur qui levait sa canne sur
eux d'un air terrible :
— Petits scélérats î
Mais ils se sauvaient comme une nuée
de moineaux, et le vieillard, alors, s'en
allait, après s'être livré à des moulinets
fébriles qu'il accompagnait d'éclats de
voix et de radotages menaçants. Il descen-
dait la rue lentement, avec une solennité
de statue, et disparaissait du côté des
Champs-Elysées.
Le vieux monsieur, vivait dans une soli-
tude si exceptionnelle, qu'on ne lui avait
jamais connu de domestique, et que, hors
le laitier, on ne lui connaissait même pas
de fournisseur. Il ne lui arrivait même
jamais de lettres ; le facteur ne se rappe-
lait pas en avoir remis dans la maison.
Aussi, les gens du voisinage s'étaient-ils
longtemps demandé, très intrigués, quel
pouvait être ce vieillard,et toutes les conjec-
tures, toutes les hypothèses, tous les can-
cans avaient été faits. Un avare, un ma-
lade, un maniaque, un fou, un homme
frappé d'un grand malheur, on avait
tout supposé. On inclinait à croire, et
avec raison, que c'était un fou. L'hôtel,
englobé de lots à bâtir, avait au premier
étage deux fenêtres donnant par derrière
sur un terrain vague ; ces deux fenê-
tres n'étaient pas munies de persiennes
et recevaient le jour ; c'était là, évidem-
ment, que le vieillard avait établi son ap-
partement. Quant à ses repas, il était clair
qu'il vivait la journée du lait que le lai-
tier lui apportait le matin, et que le soir
il allait dîner dehors. En somme, on n'a-
vait rien su, rien entendu dire, et le quar
tier avait fini par s'habituer à son énigme.
Tout ce qu'on avait pu apprendre, c'est
que le vieux monsieur était le propriétaire
même de l'hôtel, et qu'il devait répondre -
d'après l'état des contributions, au titre et
au nom de vicomte de Glorian-Cassel.
Il y avait environ deux ans que les ha-
bitants de Chaillot voyaient ainsi s'accu-
muler la poussière sur les volets clos de
l'hôtel isolé, quand un fiacre, un matin,
s'arrêta devant.
Ce fut une véritable surprise, mais la
surprise se changea bientôt en stupéfac
tion.
Trois hommes étaient descendus de la
voiture, et on avait reconnu en eux trois
hommes de la police, deux agents et un
commissaire aux délégations judiciaires.¡
La police? Que se passait-il donc? On
commença alors à raconter que le laitier,
la veille, avait déjà frappé, corné, appelé
et sonné sans qu'on lui eût répondu, et
qu'il avait dû remporter sa carafe de lait,
MAURICE TALMEYR.
, (4 suiTe,)
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