Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-04-02
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 02 avril 1885 02 avril 1885
Description : 1885/04/02 (N5501). 1885/04/02 (N5501).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7542449z
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/12/2012
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DU SANG-FROID
L'opinion commence à se calmer. Il
faut la louer do l'émotion patriotique
dont elle a été saisie en apprenait
l'évacuation de Lang-Son et la blessure
du général Négrier. Il n'y aurait plus
de patriotisme si l'on restait tranquille
devant la blessure d'un de nos meilleurs
généraux et le recul de notre drapeau.
Mais il ne faut pas que le patriotisme
aille jusqu'à faire douter de la solidité
de la patrie. : *
Que les ennemis de la République
exagèrent, pour l'exploiter, la mauvaise
situation où nous ont mis momentané-
ment les affaires du Tonkin, ils jouent
leur jeu. Le ministère a été renversé :
— Que nous importe le ministère, di-
sent-ils. Ceux qui l'ont jeté bas étaient
ses complices, il ne suffit pas d'avoir
expulsé M. Jules Ferry du pouvoir, il
faut mainténant expulser sa majorité de
la Chambre. Et la majorité n'est pas la
vraie coupable; la vraie coupable, c'est
la République. « L'expédition du Ton-
, km, les sacrifices auxquels nous sommes
condamnés, nous permettent de juger
non-seulement M. Ferry, non-seulement
la majorité qui, durant deux ans, l'a suivi
et encouragé dans ses fautes, mais le
système tout entier, le système politique
qui nous régit. La République perd le
pays, la République le tue. » Rempla-
cez la République par la monarchie,
mettez à l'Elysée, en attendant qu'on
ait rebâti les Tuileries, au lieu de M.
Grévy" Philippe VII, et à l'instant
même les Pavillons-Noirs vont devenir
blancs ou tricolores, et la Chine va
nous offrir Lang-Son, Formose et tout
ce que nous désirerons.
C'est l'intérêt de la réaction, à la
veille des élections générales, de grossir
, et de noircir les choses et de déclarer la
trie en danger. « La journée d'hier
rappelait, à s'y méprendre, les derniers
jours de l'empire » , gémit l'un. -
« Nous sommes au 4 septembre ! »
décrie l'autre.
- Le 4 septembre, la frontière était
crevée, les Prussiens étaient en Fran-
ce, le chef du gouvernement se ren-
dait à l'ennemi et lui livrait l'armée.
A l'heure qu'il est, nous n'avons pas
entendu dire que les Chinois aientbom-
bardé Strasbourg, que M. Grévy ait
iivré cent vingt-cinq mille hommes à
l'armée du Kouang-Si et que les Pavil-
lons-Noirs investissent Paris. Ce!a
nous semble constituer une certaine
différence. e
Les royalistes et les bonapartistes
sont dans leur rôle en essayant de faire
croire aux électeurs que la situation
sst désespérée si l'on ne rehisse pas la
monarchie sur le trône d'où elle est
,ombée sept fois en moins d'un siècle.
C'est à nous républicains à montrer
).ai\ notre sang-froid l'inanité de ces
lamentations intéressées. ,\
Un journal que son royalisme n'em-
pêche pas d'être loyal, le Soleil, réduit
i une plus juste mesure la retraite de
Lang-Son :
« Les dernières dépêches reçues du
Tonkin prouvent que la situation n'est
pas désespérée. Grâce à Dieu, le général
de Négrier, dont la mort eût été un deuil
pour l'armée et pour la France, n'est
pas mort; il est blessé moins grièvement
qu'on ne l'avait cru d'abord, et l'on peut
espérer qu'il sera bientôt en état de re-
prendre sa" place à la tête de ses soldats
qui ont en lui une pleine confiance.
Voilà déjà une bonne nouvelle. D'autre
part, les Chinois semblent n'avoir pour-
suivi que mollement la brigade de Né-
grier. Nos troupes n'ont pas été cernées;
leur mouvement de retraite sur Chu ne
s'estpas changé en déroute; et si l'on a été
obligé d'abandonner le convoi et l'artil-
lerie, — ce qui est possible vu le mau-
vais état des routes, ou plutôt des sen-
tiers, qui mènent de Lang-Son à Chu,-
on a certainement pu sauver les blessés
et ne laisser aucun homme vivant entre
les mains des Chinois. C'est l'essentiel,
car on sait trop le sort que les Chinois
réservent à leurs prisonniers. A Chu,
la brigade de Négrier aura trouvé un
millier d'hommes de renforts; elle sera
à l'entrée du Delta, et par conséquent à
proximité des canonnières françaises.
Il nous semble impossible que dans ces
conditions elle soit débordée par les
masses chinoises qui composent l'ar-
-
mée dite du Kouang-Si. »
Envisageons les choses avec fermeté.
L'affaire de Khartoum est plus grave
pour l'Angleterre que l'affaire de Lang-
Son pour la France. Elle se complique
de la querelle avec la Russie. Battue
dans la Haute-Egypte, exposée à se
battre dans la Haute Asie, l'Angleterre
ne s'est pas.affolée. Elle a dit : c'est un
écchec, eh bien, réparons-le; et elle a
envoyé les troupes nécessaires. Ne
soyons pas moins virils que les An-
glais. àâ
- Encouragés par des avantages suc-
cessifs, nos soldats se sont avancés
trop loin et se sont trop dispersés : ils
ont brusquement vu fondre sur eux des
masses écrasantes; ils ont eu beau lut-
ter héroïquement, ils ont dû rétrogra-
der et reperdre une partie du terrain
qu'ils avaient gagné. Ils peuvent êtro
poursuivis et menacés ; il faut qu'on
aille à leur secours, tout de suite ; sur
ce point, tout le monde est d'accord.
Ce devoir - qui est le premier de tous —
accompli, on verra s'il faut ou non jeter
une armée au cœur de la Chine. Faisons
ce que demande l'intérêt du pays, mais
faisons-le sans effarement et comme il
sied à un grand peuple qu'un échec af-
flige et n'abat pas. Surtout ne laissons
pas dire que la France est humiliée et
que son honneur est compromis quand
ses soldats se battent à vingt contre un
et n'ont une défaite qu'après dix vic-
toires I
AUGUSTE VACQUERIE.
-————————
COULISSES DES CHAMBRES
Ainsi qu'on le verra par le compte-
rendu -de la séance publique, les deux
Chambres ont voté hier sans débat et à
l'unanimité un premier crédit de cinquante
millions pour les premières mesures à
prendre dans le but de venir en aide à
notre armée du Tonkin.
Ce vote a été précédé à la Chambre
d'une réunion de la commission des cré-
dits. C'est cette commission qui a décidé
de détacher ce premier crédit de la de-
mande de 200 millions pour faire face aux
nécessités les plus urgentes. Elle a décidé
de voter le reste des 200 millions et même
plus, lorsque le nouveau ministère, une
fois constitué, aurait fait connaître ses
projets.
La séance de la commission a été mar-
quée par un incident intéressant. M. Geor-
ges Perin, rappelant que les précédentes
commissions s'éiaient, sur la demande du
gouvernement, engagées au secret, a fait
ressortir combien, à en juger par l'expé-
riencey de pareils engagements pouvaient
être préjudiciables à 1 intérêt national. Il
a cité comme exemple le silence gardé
sur deux documents communiqués au
mois de novembre dernier à la précédente
commission et qui, s'ils eussent été con-
nus, auraient peut-être influé considéra-
blement sur les décisions de la Chambre
en montrant les dangers de la campagne
entreprise en dehors du Delta.
Il s'agit d'un rapport de l'état-major
russe et d'une lettre du général de Né-
grier.
Le rapport russe établissait que les for-
ces militaires de l'empire chinois étaient
beaucoup plus considérables qu'on ne le
supposait. -
Quant à la lettre du général de Négrier
elle avait pour but de montrer les difficul-
tés et les dangers de la marche sur Lang-
Son, à cause des difficultés des transports
et du ravitaillement jusqu'à ce qu'on ait
"établi un chemin de fer portatif.
M. Perin a rappelé que la minorité de
la précédente commission avait demandé
à être relevée de son engagement de gar-
der le secret et que la majorité s'y était
refusée.
Aussi M. George; Perin a t-il déclaré
hier qu'il était bien résolu à ne plus pren-
dre d'engagement de ce genre et qu'il en-
tendait se réserver le droit de faire con-
naître au Parlement, s'il estimait que l'in-
térêt national l'exigeât, tous les faits qu'il
pourrait apprendre comme membre de la
commission actuelle.
;
LA CRISE MINISTÉRIELLE
L'espoir qu'on avait conçu de voir le
nouveau cabinet formé dans la iournée
d'hier et se présentant devant les Cham-
bres au cours de la séance ne s'est pas
réalisé. La journée s'est passée en négo-
dations et en pourparlers. A vrai dire, on
ne peut pas dire qu'il y ait eu d'offre
directe de portefeuille à un membre quel-
conque. M. de Freycinet s'est livré à une
sutte d'enquête préparatoire, consultant
les uns sur la situation parlementaire, les
autres sur le concours qu'ils pourraient
lui offrir au cas où ils les appelleraient à
être ses collaborateurs.
Mais les pourparlers n'ont pas eu d'au-
tre caractère et les listes qu'on a continué
de publier sont toutes de fantaisie, aucune
combinaison, comme nous venons de le
dire, n'ayant été encore arrêtée jusqu'à
l'heure où nous écrivons.
L'idée dont s'inspire M. de Freycinet est
de faire un cabinet de conciliation ou,
comme nous l'avons dit hier, d'union des
gauches qui aurait pour programme es-
sentiel de poursuivre le règlement de
j'affaire du Tonkin le plus rapidement
possible et de procéder aux élections gé-
nérales.
M. de Freycinet avait eu primitivement
l'idée de conserver, comme nous l'avons
dit hier, deux ou trois des membres du
cabiuet sortant. Mais il a, paraît-il, renon-
cé à cette idée sur les observations faites
par un certain nombre de personnes que
le maintien en fonctions de quelques-uns
des ministres renversés serait enfreindre
gravement le principe de la responsabilité
ministérielle et méconnaître le vote de la
Chambre. Jusqu'à hier soir, en effet, M. de
Freycinet n'a vu aucun des membres du
cabinet Ferry et n'a fait faire d'oiire à au-
cun d'entre eux.
Beaucoup de noms sont mis en avant
pour les divers portefeuilles vacants. Nous
n'enregistrerons ici que ceux qui étaient
considérés, hier, comme très sérieux.
L'entrée de M. Spuller dans le cabinet
est non seulement probable, on peut la
regarder comme certaine. Elle est la con-
dition, paraît-il, du concours que l'Union
,i •
républicaine, ou du moins la portion prin-
cipale de ce groupe, a promis à M. de
Freycinet. Un ou deux membres du
même « groupe recevraient des porte-
feuilles. 1
Les noms de MM. Floquet, Allain-Targé
et Goblet, et du premier particulièrement,
étaient indiqués hier, avec des raisons
très sérieuses, comme ceux de ministres
futurs. Ils représenteraient dans le cabinet
l'élément gauche radicale.
L'union démocratique aurait pour re-
orésentant dans le ministère M. Sadi-
Carnot et d'autres membres non encore
désignés d'une manière aussi certaine.
Quant aux attributions de portefeuilles
à ces divers membres, toute indication
serait prématurée, cette question étant
secondaire, car il s'agit actuellement de
combinaisons politiques, destinées à assu-
rer la représentation des groupes.
On a prononcé les noms de MM. Léon
Say et Ribot, comme ceux de membres
devant entrer dans le cabinet. A supposer
que des offres leur fussent faites ultérieu-
rement — ce qui n'a pas eu lieu jusqu'ici
— on assure que ces deux membres ne les
accepteraient pas.
Tel est l'état exact de la situation à
l'heure où nous écrivons. On trouvera à
la dernière heure les renseignements sur
les faits qui se seront produits dans la
soirée.
DERNIÈRE HEURE v
M. de Freycinet s'est rendu hier soir, à
neuf heures, à l'Elysée, et a conféré avec
le président de la République jusqu'à près
de onze heures.
Contrairement à l'attente générale, au-
cune solution de la crise n'est encore
sortie de cette entrevue. M. de Freycinet
n'a pas cru pouvoir encore faire savoir
d'un manière officielle s'il acceptait la
mission de former le cabinet. Il ne don-
nera sa réponse à ce sujet que ce matin.
La question, par ses divers côtés, offre,
en effet, des difficultés assez graves qui
n'ont pu être résolues jusqu'ici.
Aussi les questions de personnes et
d'attribution de portefeuilles n'ont-elles
pas pu être abordées à cette heure.
:
Note de l'agence Havas :
Des ordres sont donnés pour faire partir
immédiatement un premier envoi de renforts
à destination du Tonkin.
Ce détachement est composé de 8,000 hom-
mes d'infanterie, 6 batteries d'art lierie, un
escadron de spahis, avec un détachement du
génie, du train d'équipage et de l'administra-
tion.
Quant à la formation d'un corps de 50,000
hommes, elle est subordonnée au vote du
crédit soumis en ce mo uent à la commission
nommée hier par la Chambre.
La Compagnie transatlantique offre de trans-
porter 10,000 hommes en 35 jours auTonkia.
Les embarquements auraient lieu du 4 au
9 avril.
A LA CHAMBRE
-
Au dedans comme au dehors de la
Chambre on s'entretient aqec une égale
passion des mesures à prendre au
Tonkin et des hommes dont les noms
sont mis en avant pour le nouveau mi-
nistère.
De nouvelles de guerre, il paraît qu'il
n'y en a pas et, pour le dire en passant,
cela ne se conçoit pas très bien, puis-
qu'il y a une communication télégra-
phique établie. Quant aux renforts à
envoyer, tout le monde souhaite qu'ils
soient organisés rapidement, mais on
souhaite aussi qu'ils affaiblissent, aussi
peu que possible, nos forces de l'inté-
rieur. Un des moyens qui, selon nous,
permettraient d'atteindre ce résultat,
serait de s'adresser pour les engage-
ments volontaires, et dans une très
large mesure, à l'élément arabe. Bien
des fois, quand il était question de for-
mer l'armée coloniale, si étrangement
oubliée par les adeptes de la prétendue
politique coloniale, bien des fois nous
avons indiqué les trois millions d'Arabes
comme pouvant aider grandement à la
solution du problème, sinon y suffire.
Nous pensons de même aujourd'hui.
Qu'on offre aux indigènes, avec une
prime plus forte, la garantie d'une con-
cession, à leur retour en Afrique et,
bien entendu, le droit complet de ci-
toyen français, puisqu'ils auraient dé-
fendu notre drapeau. Très rapidèment
on aura une douzaine de mille hommes,
dont l'instruction militaire ne sera pas
longue, puisque ce sont des soldats de
race. Pour les troupes qu'il faudrait ab-
solument prendre en France et que
nous souhaitons voir réduire au mini-
mum, les corps éloignés de la frontière
de l'est, le 10* et le 15e par exemple, de-
vront seuls contribuer.
L'accord, qui est complet sur les ré-
solutions énergiques à prendre, l'est
également en ce qui concerne le futur
gouvernement. OU ne tient essentielle-
ment à personne, mais on ne comprend
pas que certains noms soient pronon-
cés, on ne comprend pas que des mem-
bres du ministère chassé osent conser-
ver l'espoir de reparaître devant la
Chambre et devant le pays, tant qu'ils
n'auront pas rendu leurs comptes. Cha-
que jour, en effet, la responsabilité de
ces hommes de malheur apparaît plus
terrible. On sait maintenant, dans la
public, ce que la commission a été
longtemps seule à savoir, au temps des
délibérations secrètes. On sait que lors-
que le ministère parla de la marche sur
Lang-Son, les généraux, et le général
Négrier, notamment, émirent un avis
absolument défavorable, condamnant
cette marche comme inutile et dange-
reuse. Est-ce là ce que le Temps, mo-
niteur incorrigible de la politique d'a-
venture, ose appeler, après M. J. Ferry,
des échecs imprévus? Imprévus, oui, de
ceux qui, sourds à tous les avis, ont
marché en aveugles à une catastrophe
inévitable. Et ce sont les hommes res-
ponsables de pareils malheurs, de ces
humiliations imméritées qu'on voudrait
ramener aux affaires ! Allons donc !
Mais le chef du cabinet, quel qu'il soit,
qui - aurait l'imprudence - de - les - - prendre
avec lui serait, à la sortie du palais
Bourbon, accueilli par la foule comme
l'a été M. Jules Ferry lundi soir, comme
l'ont été tous les opportunistes qu'on a
pu reconnaître. L'opinion a encore
marché, depuis ce jour, et on aurait
grand tort de la supposer plus indul-
gente pour les coupahles. -
Au commencement de la séance et à
propos de la lecture du procès-verbal,
ce sentiment s'est traduit à la tribune
sans que personne osât protester sur
les bancs de l'ancienne majorité. M.
Paul de Cassagnac s'est plaint de l'i-
nexactitude du compte-rendu sténo-
graphique du Journal officiel, qui n'a
pas rempli sa mission et n'a pas rendu
la physionomie vraie de la séance
d'hier. Il ne fait pas comprendre au
public la colère patriotique avec la-
quelle on a, non seulement condamné,
mais chassé le ministère.
M. de Cassagnac a ajouté qu'il ne
voulait pas, en prêtant la main à ces
omissions volontaires et à ces inexacti-
tudes calculées, préparer le retour aux
affaires d'une partie de ceux que la
Chambre a chassés hier.
Bien qu'exprimées par un membre
de la droite, ces paroles répondaient au
sentiment des républicains qui ont
renversé le ministère d'aventure. M.
Brisson n'a d'ailleurs pas contesté que
le compte-rendu reproduisît imparfai-
tement le mouvement d'indignation qui
a mis fin au cabinet.
M. Floquet, rapporteur de la commis-
sion des crédits, est venu ensuite dé-
poser son rapport, qui, par provision,
accorde 25 millions à la guerre et au-
taut à la marine en attendant la consti-
tution d'un nouveau ministère. Le lan-
gage patriotique de M. Floquet a été
fort applaudi. M. Raoul Duval ayant
demandé la parole sur l'article 1er, les
anciens centriers; sans savoir même cé
qu'il allait dire, ont fait avec leurs pu-
pitres un tapage infernal. De vives al-
tercations se sont échangées entre les
bancs où siège M. Truelle et l'opposi-
tion. On distingue ce mot à l'a-
dresse de l'ex-majorité des ordres
du jour de confiance et des votes
complaisants : « Vous n'avez plus
droit qu'au silence ». M. Raoul Duval
a fini par se faire entendre. Il voulait
seulement déclarer que, dans un senti-
ment de patriotisme, ses amis votaient
tous les crédits demandés. M. Margaine,
lui avait mal compris le langage de
1 orateur, a réclamé la parole, mais
M. Brisson lui a expliqué qu'il se mé- *
prenait absolument. M. Margaine s'est
borné à déclarer alors qu'ayant voté
contre les premiers crédits demandés
pour le Tonkin, il s'était cru obligé de t
voter tous les autres. L'explication eu
appellerait certainement une autre moins
énigmatique.
A. GAULIBR.
- ————————
Le Sénat s'est occupé de la loi sur le
scrutin de liste et notamment de l'arti-
cle 5 que la commission propose de déta-
cher. Cet article supprime toute élection
partielle dans les six mois qui précèdent
les élections générales. Il est urgent, si
l'on veut que les délais n'expirent pas,
pour certains collèges, que la loi soit pro-
mulguée au plus tôt. Il faut même que
pour l'arrondissement de Saint-Etienne,
dont les électeurs sont déjà convoqués,
l'élection ait lieu le 5 avril.
On a voté ensuite à l'unanimité, comme
à la Chambre, et sous réserve de toute
appréciation, les crédits provisoires pour
le Tonkin. M. Buzérian s'est permis contre
les députés une critique rendue plus in- N
correcte encore par les applaudissements
de la gauche et du centre gauche. M. Bo-
zérian aurait voulu qu'on votât au palais
Bourbon, sans savoir pourquoi ni à quelle
fin, le total des crédits demandés par l'ex-
cabinet. A quoi bon? Ce sont là des ma-
nifestations faciles, auxquelles le vrai pa-
triotisme n'a absolument rien à voir. -
A. G.
■ — «©■ ■ !iIfff-
COUR D'ASSISES ET JURY
L'affaire Francey-Brisebard est déjà de
l'histoire ancienne, et, en présence des
événements du Tonkin et de la crise mi-
nistérielle, le public a sans doute mieux à
faire que d'épiloguer sur l'arrêt de la cour
d'assises d'Auxerre. Cet arrêt soulève ce-
pendant une question assez intéressante,
celle de savoir jusqu'à quel point un ac-
cusé acquitté par le jury peut être frappé
par la cour d'une peine pécuniaire. D'ex-
cellents esprits trouvent qu'il y a là une
contradiction. Si je suis coupable, con-
damnez-moi ; si vous m'acquittez, c'est
que je ne suis pas coupable, et alors da
quel droit m'infligez-vous une amende de
8,OUO francs?
C'est peut-être confondre deux choses
tout à fait différentes : la culpabilité de
l'accusé d'une part, d'autre part le fait
lui-même et le tort que ce fait a pu causer
à des tiers. En déclarant Mme Francey
innocente, le jury n'a pas entendu dire
qu'elle n'a pas tué l'architecte Brisebard,
l'acte était patent, Jlvoué; il a entendu
simplement qu'elle n'était pas coupable
de l'avoir tué, c'est-à-dire que, pour des
raisons qu'il n'est point obligé d'énu-
mérer, il la dispensait des peines af-
fectées par la loi à l'acte qu'elle avait
commis. Mais le fait n'en subsiste pas
moins; M. Brisebard n'en est pas moins
mort, et sa mère qu'il nourrissait n'en est
pas moins privée de son soutien. Abstrac-
tion faite de l'intention criminelle, il sub-
siste un dommage, et de ce qu'un dom-
mage est volontaire ce n'est pas une - raison
pour ne pas le réparer. -
Toute la question est de savoir si l'ap-
Feuilleton du RAPPEL
DU 2 AVRIL
32
? LE
• SANG BLEU
TROISIÈME PARTIS
¡
IV
Quand Nicole avait appris l'arrivée de
la justice elle s'était imaginé que ces gen-
darmes ne quitteraient pas le château sans
emmener avec eux les assassins de son
père ; ces magistrats qu'elle avait entrevus
(Traduction interdite; reproduction auto-
l'leée pour les journaux qui ont un traité avec
ia Société des gens de lettres, mais après la
In de la publication en feuilleton dans le
Voir
Voir 10 Rappti du a iaavier au tu avril
tout pleins de gravité et d'importance, ce
terrible médecin si inquiétant avec son
sourire de compassion, ces gendarmes
dont on entendait à chaque instant les
chevaux passer en trottant ou s'arrêter
brusquement avec des cliquetis de sabre
devant la chambre où elle veillait, tout ce
déploiement de forces devait, semblait-il,
produire un résultat certain.
Sa conviction se traduisait par une ques-
tion qu'elle adressait de temps en temps
à Hériberte :
— Quand ils auront trouvé, on viendra
te prévenir, n'esL-ce pas?
Sa surprise avait été cruelle quand, le
soir, après le diner auquel Mme de Col-
bosc seule avait assisté, tout ce personnel
était reparti sans qu'on fût venu avertir
Hériberte.
— Ils n'arrêtent pas l'assassin 1
Elle avait voulu qu'on lui expliquât ce
qu'ils avaient fait pendant toute cet!e
journée; à quoi avaient abouti ces allées
et venues des gens dont on avait entendu
les pas lourds et traînants au rez-de-
chaussée; pourquoi ces gendarmes avaient
cavalcadé depuis le matin? Mais Hériberte
ne savait rien et ne demandait rien ; quant
à Mme deColbosc, au lieu de lui répondre
lorsqu'elle avait été interrogée, elle lui
avait tourné le dgq au plus vite; ainsi re-
poussée, n'ayant personne qui l'écoutât,
elle était revenue au lit de son père, ob-
sédée, affolée par la question que son
cœur et ses lèvres répétaient sans cesse
depuis la veille, qu'elle avait cru que les
magistrats résoudraient lorsqu'elle les
avait vus, et qui, après leur départ comme
avant leur arrivée, était sans réponse.
— Qui l'a tué ?
Et cependant elle faisait tout pour écar-
ter cette question, se disant que ce n'é-
tait point le moment pour l'examiner;
c'était à son père qu'elle devait penser,
c'était lui seul qu'elle devait voir, c'était
sa tendresse, sa bonté, son amour qu'elle
devait évoquer et non les idées horribles
qui malgré elle l'assaillaient.
Avant de partir, les magistrats avaient
donné le permis d'inhumation ; le mari et
le père étaient rendus aux siens, et l'en-
terrement devait se faire le surlendemain,
non dans la chapelle du château qui de-
puis trois cents ans servait de sépulture
aux La Senevière, — Hériberte et Mme de
Colbosc s'étaient trouvées d'accord pour
n'en pas vouloir, — mais dans le cimetière
du village attenant au parc; dans quel-
ques heures son père lui serait enlevé,
jusque-là elle devait être à lui seul.
M. de Colbosc, qui était accouru, au-
près de sa nièce aussitôt qu'il avait appris
l'assassinat, et qui était resté au château,
avait fait comprendre à Nicole que, pour
n'avoir pas arrêté l'assassin le jour même,
la justice ne renonçait pas à le trouver.
— Il faut la laisser à ses prudentes len-
teurs, lui avait-il dit avec une compassion
affectueuse, et ne pas croire que, parce
qu'on ne voit pas sa main, elle n'agit pas;
soyez assurée, ma pauvre enfant, qu'il y a
des oreilles qui écoutent comme il y a des
yeux qui regardent pour elle; rien de ce
qui se dit, lien de ce qui se passe ne sera
perdu; c'est tout le monde qui fait l'en-
quête d'un crime; c'est d'un fait en appa
rence insignifiant, c'est d'un mot échappé
par hasard et recueilli que jaillit la lu-
mière- *
Elle se dit que sans doute il avait rai-
son ; elle le savait homme sage, son père
l'avait en grande estime, il s'était toujours
montré bon et affectueux pour elle, elle
devait le croire.
D'ailleurs, à mesure qu'approchait le
moment de la séparation, elle s'anéantis-
sait dans cette séparation même dont
d'instant en instant elle sentait plus cruel-
lement l'horreur : ce n'était plus dans
deux jours, c'éiait dans quelques heures,
c'était dans quelques minutes.
Encore quelques pas derrière le cercueil
de son père. et elle entrait dans réalise :
encore quelques chants, et l'office s'ache-
vait ; encore quelques pelletées de terre,
et la tombe était comblée ; dans ses yeux
il n'y avait que des larmes, dans son cœur
que des sanglots, dans son esprit que la
prostration, le vide, l'imbécillité de la
douleur.
Du côté de son père comme du côté de
sa mère, ses seuls parents étaient des cou-
sins qu'elle connaissait à peine ; aucun
d'eux n'était venu à l'enterrement ; ce fut
la main de M. de Colbosc qui prit la sienne
paternellement lorsque la cérémonie fut
achevée.
— Appuyez-vous sur moi, mon enfant,
j'étais l'ami de votre père, je serai le vô-
tre; c'est moi qui veux vous ramener chez
vous.
Elle fit le chemin du cimetière au châ-
teau entre le comte et la comtesse, qui
lui parlèrent sans qu'elle entendit ce qu'ils
lui disaient ; ce qu'elle ttcomprit à peu
près, c'est qu'avant son départ le comte
voulait avoir un entretien d'affaires avec
elle : sans doute il serait mention de l'as-
sassin.
Elle s'était trompée. Lorsque le soir,
ua peu avant l'heure fixée pour le départ
de M. de Colbosc, on lui demanda de
descendre, elle trouva celui-ci en com-
pagnie de sa femaje, de ses deux (U. 4d
nés, d hériberte et de la marquise.
— Mon enfant, dit le comte en venant à
elle, je n'ai pas d'autres droits à invoquer
auprès de vous que ceux que me donnaient
l'amitié et l'estime que j'avais pour votre
père. Mais je crois que ceux-là suffisent
pour que vous trouviez légitime que je
m'occupe de vous. Vous êtes seule, sans
parents.
Elle eut un sanglot.
— En attendant que votre conseil de
famille prenne une décision, que voulez-
vous ? rester avec Hériberte ou que je
vous conduise-dans un couvent?
A travers ses larmes, elle regarda Héri-
berte assez longtemps sans répondre, la
gorge serrée par l'émotion.
— Si mon père avait pu parier avant de
mourir, il m'aurait remise à Hériberte,
dit-elle enfin.
Puis, venant à Hériberte :
— Si tu veux que je reste avec toi,
moi, je le veux ; lui mort, je n'ai pkuf
que toi.
Hériberte lui passa le bras autour du
cou et elles s'embrassèrent.
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S'adresser au. Secrétaire de la Réctactiozt
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^Xes manuscrits non insérés ne seront las rendVl
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j ANNONCES ^;
5 2HJL Ch. IAGRANGE, CERF et ço
6, étce de la. Bourse, 6
DU SANG-FROID
L'opinion commence à se calmer. Il
faut la louer do l'émotion patriotique
dont elle a été saisie en apprenait
l'évacuation de Lang-Son et la blessure
du général Négrier. Il n'y aurait plus
de patriotisme si l'on restait tranquille
devant la blessure d'un de nos meilleurs
généraux et le recul de notre drapeau.
Mais il ne faut pas que le patriotisme
aille jusqu'à faire douter de la solidité
de la patrie. : *
Que les ennemis de la République
exagèrent, pour l'exploiter, la mauvaise
situation où nous ont mis momentané-
ment les affaires du Tonkin, ils jouent
leur jeu. Le ministère a été renversé :
— Que nous importe le ministère, di-
sent-ils. Ceux qui l'ont jeté bas étaient
ses complices, il ne suffit pas d'avoir
expulsé M. Jules Ferry du pouvoir, il
faut mainténant expulser sa majorité de
la Chambre. Et la majorité n'est pas la
vraie coupable; la vraie coupable, c'est
la République. « L'expédition du Ton-
, km, les sacrifices auxquels nous sommes
condamnés, nous permettent de juger
non-seulement M. Ferry, non-seulement
la majorité qui, durant deux ans, l'a suivi
et encouragé dans ses fautes, mais le
système tout entier, le système politique
qui nous régit. La République perd le
pays, la République le tue. » Rempla-
cez la République par la monarchie,
mettez à l'Elysée, en attendant qu'on
ait rebâti les Tuileries, au lieu de M.
Grévy" Philippe VII, et à l'instant
même les Pavillons-Noirs vont devenir
blancs ou tricolores, et la Chine va
nous offrir Lang-Son, Formose et tout
ce que nous désirerons.
C'est l'intérêt de la réaction, à la
veille des élections générales, de grossir
, et de noircir les choses et de déclarer la
trie en danger. « La journée d'hier
rappelait, à s'y méprendre, les derniers
jours de l'empire » , gémit l'un. -
« Nous sommes au 4 septembre ! »
décrie l'autre.
- Le 4 septembre, la frontière était
crevée, les Prussiens étaient en Fran-
ce, le chef du gouvernement se ren-
dait à l'ennemi et lui livrait l'armée.
A l'heure qu'il est, nous n'avons pas
entendu dire que les Chinois aientbom-
bardé Strasbourg, que M. Grévy ait
iivré cent vingt-cinq mille hommes à
l'armée du Kouang-Si et que les Pavil-
lons-Noirs investissent Paris. Ce!a
nous semble constituer une certaine
différence. e
Les royalistes et les bonapartistes
sont dans leur rôle en essayant de faire
croire aux électeurs que la situation
sst désespérée si l'on ne rehisse pas la
monarchie sur le trône d'où elle est
,ombée sept fois en moins d'un siècle.
C'est à nous républicains à montrer
).ai\ notre sang-froid l'inanité de ces
lamentations intéressées. ,\
Un journal que son royalisme n'em-
pêche pas d'être loyal, le Soleil, réduit
i une plus juste mesure la retraite de
Lang-Son :
« Les dernières dépêches reçues du
Tonkin prouvent que la situation n'est
pas désespérée. Grâce à Dieu, le général
de Négrier, dont la mort eût été un deuil
pour l'armée et pour la France, n'est
pas mort; il est blessé moins grièvement
qu'on ne l'avait cru d'abord, et l'on peut
espérer qu'il sera bientôt en état de re-
prendre sa" place à la tête de ses soldats
qui ont en lui une pleine confiance.
Voilà déjà une bonne nouvelle. D'autre
part, les Chinois semblent n'avoir pour-
suivi que mollement la brigade de Né-
grier. Nos troupes n'ont pas été cernées;
leur mouvement de retraite sur Chu ne
s'estpas changé en déroute; et si l'on a été
obligé d'abandonner le convoi et l'artil-
lerie, — ce qui est possible vu le mau-
vais état des routes, ou plutôt des sen-
tiers, qui mènent de Lang-Son à Chu,-
on a certainement pu sauver les blessés
et ne laisser aucun homme vivant entre
les mains des Chinois. C'est l'essentiel,
car on sait trop le sort que les Chinois
réservent à leurs prisonniers. A Chu,
la brigade de Négrier aura trouvé un
millier d'hommes de renforts; elle sera
à l'entrée du Delta, et par conséquent à
proximité des canonnières françaises.
Il nous semble impossible que dans ces
conditions elle soit débordée par les
masses chinoises qui composent l'ar-
-
mée dite du Kouang-Si. »
Envisageons les choses avec fermeté.
L'affaire de Khartoum est plus grave
pour l'Angleterre que l'affaire de Lang-
Son pour la France. Elle se complique
de la querelle avec la Russie. Battue
dans la Haute-Egypte, exposée à se
battre dans la Haute Asie, l'Angleterre
ne s'est pas.affolée. Elle a dit : c'est un
écchec, eh bien, réparons-le; et elle a
envoyé les troupes nécessaires. Ne
soyons pas moins virils que les An-
glais. àâ
- Encouragés par des avantages suc-
cessifs, nos soldats se sont avancés
trop loin et se sont trop dispersés : ils
ont brusquement vu fondre sur eux des
masses écrasantes; ils ont eu beau lut-
ter héroïquement, ils ont dû rétrogra-
der et reperdre une partie du terrain
qu'ils avaient gagné. Ils peuvent êtro
poursuivis et menacés ; il faut qu'on
aille à leur secours, tout de suite ; sur
ce point, tout le monde est d'accord.
Ce devoir - qui est le premier de tous —
accompli, on verra s'il faut ou non jeter
une armée au cœur de la Chine. Faisons
ce que demande l'intérêt du pays, mais
faisons-le sans effarement et comme il
sied à un grand peuple qu'un échec af-
flige et n'abat pas. Surtout ne laissons
pas dire que la France est humiliée et
que son honneur est compromis quand
ses soldats se battent à vingt contre un
et n'ont une défaite qu'après dix vic-
toires I
AUGUSTE VACQUERIE.
-————————
COULISSES DES CHAMBRES
Ainsi qu'on le verra par le compte-
rendu -de la séance publique, les deux
Chambres ont voté hier sans débat et à
l'unanimité un premier crédit de cinquante
millions pour les premières mesures à
prendre dans le but de venir en aide à
notre armée du Tonkin.
Ce vote a été précédé à la Chambre
d'une réunion de la commission des cré-
dits. C'est cette commission qui a décidé
de détacher ce premier crédit de la de-
mande de 200 millions pour faire face aux
nécessités les plus urgentes. Elle a décidé
de voter le reste des 200 millions et même
plus, lorsque le nouveau ministère, une
fois constitué, aurait fait connaître ses
projets.
La séance de la commission a été mar-
quée par un incident intéressant. M. Geor-
ges Perin, rappelant que les précédentes
commissions s'éiaient, sur la demande du
gouvernement, engagées au secret, a fait
ressortir combien, à en juger par l'expé-
riencey de pareils engagements pouvaient
être préjudiciables à 1 intérêt national. Il
a cité comme exemple le silence gardé
sur deux documents communiqués au
mois de novembre dernier à la précédente
commission et qui, s'ils eussent été con-
nus, auraient peut-être influé considéra-
blement sur les décisions de la Chambre
en montrant les dangers de la campagne
entreprise en dehors du Delta.
Il s'agit d'un rapport de l'état-major
russe et d'une lettre du général de Né-
grier.
Le rapport russe établissait que les for-
ces militaires de l'empire chinois étaient
beaucoup plus considérables qu'on ne le
supposait. -
Quant à la lettre du général de Négrier
elle avait pour but de montrer les difficul-
tés et les dangers de la marche sur Lang-
Son, à cause des difficultés des transports
et du ravitaillement jusqu'à ce qu'on ait
"établi un chemin de fer portatif.
M. Perin a rappelé que la minorité de
la précédente commission avait demandé
à être relevée de son engagement de gar-
der le secret et que la majorité s'y était
refusée.
Aussi M. George; Perin a t-il déclaré
hier qu'il était bien résolu à ne plus pren-
dre d'engagement de ce genre et qu'il en-
tendait se réserver le droit de faire con-
naître au Parlement, s'il estimait que l'in-
térêt national l'exigeât, tous les faits qu'il
pourrait apprendre comme membre de la
commission actuelle.
;
LA CRISE MINISTÉRIELLE
L'espoir qu'on avait conçu de voir le
nouveau cabinet formé dans la iournée
d'hier et se présentant devant les Cham-
bres au cours de la séance ne s'est pas
réalisé. La journée s'est passée en négo-
dations et en pourparlers. A vrai dire, on
ne peut pas dire qu'il y ait eu d'offre
directe de portefeuille à un membre quel-
conque. M. de Freycinet s'est livré à une
sutte d'enquête préparatoire, consultant
les uns sur la situation parlementaire, les
autres sur le concours qu'ils pourraient
lui offrir au cas où ils les appelleraient à
être ses collaborateurs.
Mais les pourparlers n'ont pas eu d'au-
tre caractère et les listes qu'on a continué
de publier sont toutes de fantaisie, aucune
combinaison, comme nous venons de le
dire, n'ayant été encore arrêtée jusqu'à
l'heure où nous écrivons.
L'idée dont s'inspire M. de Freycinet est
de faire un cabinet de conciliation ou,
comme nous l'avons dit hier, d'union des
gauches qui aurait pour programme es-
sentiel de poursuivre le règlement de
j'affaire du Tonkin le plus rapidement
possible et de procéder aux élections gé-
nérales.
M. de Freycinet avait eu primitivement
l'idée de conserver, comme nous l'avons
dit hier, deux ou trois des membres du
cabiuet sortant. Mais il a, paraît-il, renon-
cé à cette idée sur les observations faites
par un certain nombre de personnes que
le maintien en fonctions de quelques-uns
des ministres renversés serait enfreindre
gravement le principe de la responsabilité
ministérielle et méconnaître le vote de la
Chambre. Jusqu'à hier soir, en effet, M. de
Freycinet n'a vu aucun des membres du
cabinet Ferry et n'a fait faire d'oiire à au-
cun d'entre eux.
Beaucoup de noms sont mis en avant
pour les divers portefeuilles vacants. Nous
n'enregistrerons ici que ceux qui étaient
considérés, hier, comme très sérieux.
L'entrée de M. Spuller dans le cabinet
est non seulement probable, on peut la
regarder comme certaine. Elle est la con-
dition, paraît-il, du concours que l'Union
,i •
républicaine, ou du moins la portion prin-
cipale de ce groupe, a promis à M. de
Freycinet. Un ou deux membres du
même « groupe recevraient des porte-
feuilles. 1
Les noms de MM. Floquet, Allain-Targé
et Goblet, et du premier particulièrement,
étaient indiqués hier, avec des raisons
très sérieuses, comme ceux de ministres
futurs. Ils représenteraient dans le cabinet
l'élément gauche radicale.
L'union démocratique aurait pour re-
orésentant dans le ministère M. Sadi-
Carnot et d'autres membres non encore
désignés d'une manière aussi certaine.
Quant aux attributions de portefeuilles
à ces divers membres, toute indication
serait prématurée, cette question étant
secondaire, car il s'agit actuellement de
combinaisons politiques, destinées à assu-
rer la représentation des groupes.
On a prononcé les noms de MM. Léon
Say et Ribot, comme ceux de membres
devant entrer dans le cabinet. A supposer
que des offres leur fussent faites ultérieu-
rement — ce qui n'a pas eu lieu jusqu'ici
— on assure que ces deux membres ne les
accepteraient pas.
Tel est l'état exact de la situation à
l'heure où nous écrivons. On trouvera à
la dernière heure les renseignements sur
les faits qui se seront produits dans la
soirée.
DERNIÈRE HEURE v
M. de Freycinet s'est rendu hier soir, à
neuf heures, à l'Elysée, et a conféré avec
le président de la République jusqu'à près
de onze heures.
Contrairement à l'attente générale, au-
cune solution de la crise n'est encore
sortie de cette entrevue. M. de Freycinet
n'a pas cru pouvoir encore faire savoir
d'un manière officielle s'il acceptait la
mission de former le cabinet. Il ne don-
nera sa réponse à ce sujet que ce matin.
La question, par ses divers côtés, offre,
en effet, des difficultés assez graves qui
n'ont pu être résolues jusqu'ici.
Aussi les questions de personnes et
d'attribution de portefeuilles n'ont-elles
pas pu être abordées à cette heure.
:
Note de l'agence Havas :
Des ordres sont donnés pour faire partir
immédiatement un premier envoi de renforts
à destination du Tonkin.
Ce détachement est composé de 8,000 hom-
mes d'infanterie, 6 batteries d'art lierie, un
escadron de spahis, avec un détachement du
génie, du train d'équipage et de l'administra-
tion.
Quant à la formation d'un corps de 50,000
hommes, elle est subordonnée au vote du
crédit soumis en ce mo uent à la commission
nommée hier par la Chambre.
La Compagnie transatlantique offre de trans-
porter 10,000 hommes en 35 jours auTonkia.
Les embarquements auraient lieu du 4 au
9 avril.
A LA CHAMBRE
-
Au dedans comme au dehors de la
Chambre on s'entretient aqec une égale
passion des mesures à prendre au
Tonkin et des hommes dont les noms
sont mis en avant pour le nouveau mi-
nistère.
De nouvelles de guerre, il paraît qu'il
n'y en a pas et, pour le dire en passant,
cela ne se conçoit pas très bien, puis-
qu'il y a une communication télégra-
phique établie. Quant aux renforts à
envoyer, tout le monde souhaite qu'ils
soient organisés rapidement, mais on
souhaite aussi qu'ils affaiblissent, aussi
peu que possible, nos forces de l'inté-
rieur. Un des moyens qui, selon nous,
permettraient d'atteindre ce résultat,
serait de s'adresser pour les engage-
ments volontaires, et dans une très
large mesure, à l'élément arabe. Bien
des fois, quand il était question de for-
mer l'armée coloniale, si étrangement
oubliée par les adeptes de la prétendue
politique coloniale, bien des fois nous
avons indiqué les trois millions d'Arabes
comme pouvant aider grandement à la
solution du problème, sinon y suffire.
Nous pensons de même aujourd'hui.
Qu'on offre aux indigènes, avec une
prime plus forte, la garantie d'une con-
cession, à leur retour en Afrique et,
bien entendu, le droit complet de ci-
toyen français, puisqu'ils auraient dé-
fendu notre drapeau. Très rapidèment
on aura une douzaine de mille hommes,
dont l'instruction militaire ne sera pas
longue, puisque ce sont des soldats de
race. Pour les troupes qu'il faudrait ab-
solument prendre en France et que
nous souhaitons voir réduire au mini-
mum, les corps éloignés de la frontière
de l'est, le 10* et le 15e par exemple, de-
vront seuls contribuer.
L'accord, qui est complet sur les ré-
solutions énergiques à prendre, l'est
également en ce qui concerne le futur
gouvernement. OU ne tient essentielle-
ment à personne, mais on ne comprend
pas que certains noms soient pronon-
cés, on ne comprend pas que des mem-
bres du ministère chassé osent conser-
ver l'espoir de reparaître devant la
Chambre et devant le pays, tant qu'ils
n'auront pas rendu leurs comptes. Cha-
que jour, en effet, la responsabilité de
ces hommes de malheur apparaît plus
terrible. On sait maintenant, dans la
public, ce que la commission a été
longtemps seule à savoir, au temps des
délibérations secrètes. On sait que lors-
que le ministère parla de la marche sur
Lang-Son, les généraux, et le général
Négrier, notamment, émirent un avis
absolument défavorable, condamnant
cette marche comme inutile et dange-
reuse. Est-ce là ce que le Temps, mo-
niteur incorrigible de la politique d'a-
venture, ose appeler, après M. J. Ferry,
des échecs imprévus? Imprévus, oui, de
ceux qui, sourds à tous les avis, ont
marché en aveugles à une catastrophe
inévitable. Et ce sont les hommes res-
ponsables de pareils malheurs, de ces
humiliations imméritées qu'on voudrait
ramener aux affaires ! Allons donc !
Mais le chef du cabinet, quel qu'il soit,
qui - aurait l'imprudence - de - les - - prendre
avec lui serait, à la sortie du palais
Bourbon, accueilli par la foule comme
l'a été M. Jules Ferry lundi soir, comme
l'ont été tous les opportunistes qu'on a
pu reconnaître. L'opinion a encore
marché, depuis ce jour, et on aurait
grand tort de la supposer plus indul-
gente pour les coupahles. -
Au commencement de la séance et à
propos de la lecture du procès-verbal,
ce sentiment s'est traduit à la tribune
sans que personne osât protester sur
les bancs de l'ancienne majorité. M.
Paul de Cassagnac s'est plaint de l'i-
nexactitude du compte-rendu sténo-
graphique du Journal officiel, qui n'a
pas rempli sa mission et n'a pas rendu
la physionomie vraie de la séance
d'hier. Il ne fait pas comprendre au
public la colère patriotique avec la-
quelle on a, non seulement condamné,
mais chassé le ministère.
M. de Cassagnac a ajouté qu'il ne
voulait pas, en prêtant la main à ces
omissions volontaires et à ces inexacti-
tudes calculées, préparer le retour aux
affaires d'une partie de ceux que la
Chambre a chassés hier.
Bien qu'exprimées par un membre
de la droite, ces paroles répondaient au
sentiment des républicains qui ont
renversé le ministère d'aventure. M.
Brisson n'a d'ailleurs pas contesté que
le compte-rendu reproduisît imparfai-
tement le mouvement d'indignation qui
a mis fin au cabinet.
M. Floquet, rapporteur de la commis-
sion des crédits, est venu ensuite dé-
poser son rapport, qui, par provision,
accorde 25 millions à la guerre et au-
taut à la marine en attendant la consti-
tution d'un nouveau ministère. Le lan-
gage patriotique de M. Floquet a été
fort applaudi. M. Raoul Duval ayant
demandé la parole sur l'article 1er, les
anciens centriers; sans savoir même cé
qu'il allait dire, ont fait avec leurs pu-
pitres un tapage infernal. De vives al-
tercations se sont échangées entre les
bancs où siège M. Truelle et l'opposi-
tion. On distingue ce mot à l'a-
dresse de l'ex-majorité des ordres
du jour de confiance et des votes
complaisants : « Vous n'avez plus
droit qu'au silence ». M. Raoul Duval
a fini par se faire entendre. Il voulait
seulement déclarer que, dans un senti-
ment de patriotisme, ses amis votaient
tous les crédits demandés. M. Margaine,
lui avait mal compris le langage de
1 orateur, a réclamé la parole, mais
M. Brisson lui a expliqué qu'il se mé- *
prenait absolument. M. Margaine s'est
borné à déclarer alors qu'ayant voté
contre les premiers crédits demandés
pour le Tonkin, il s'était cru obligé de t
voter tous les autres. L'explication eu
appellerait certainement une autre moins
énigmatique.
A. GAULIBR.
- ————————
Le Sénat s'est occupé de la loi sur le
scrutin de liste et notamment de l'arti-
cle 5 que la commission propose de déta-
cher. Cet article supprime toute élection
partielle dans les six mois qui précèdent
les élections générales. Il est urgent, si
l'on veut que les délais n'expirent pas,
pour certains collèges, que la loi soit pro-
mulguée au plus tôt. Il faut même que
pour l'arrondissement de Saint-Etienne,
dont les électeurs sont déjà convoqués,
l'élection ait lieu le 5 avril.
On a voté ensuite à l'unanimité, comme
à la Chambre, et sous réserve de toute
appréciation, les crédits provisoires pour
le Tonkin. M. Buzérian s'est permis contre
les députés une critique rendue plus in- N
correcte encore par les applaudissements
de la gauche et du centre gauche. M. Bo-
zérian aurait voulu qu'on votât au palais
Bourbon, sans savoir pourquoi ni à quelle
fin, le total des crédits demandés par l'ex-
cabinet. A quoi bon? Ce sont là des ma-
nifestations faciles, auxquelles le vrai pa-
triotisme n'a absolument rien à voir. -
A. G.
■ — «©■ ■ !iIfff-
COUR D'ASSISES ET JURY
L'affaire Francey-Brisebard est déjà de
l'histoire ancienne, et, en présence des
événements du Tonkin et de la crise mi-
nistérielle, le public a sans doute mieux à
faire que d'épiloguer sur l'arrêt de la cour
d'assises d'Auxerre. Cet arrêt soulève ce-
pendant une question assez intéressante,
celle de savoir jusqu'à quel point un ac-
cusé acquitté par le jury peut être frappé
par la cour d'une peine pécuniaire. D'ex-
cellents esprits trouvent qu'il y a là une
contradiction. Si je suis coupable, con-
damnez-moi ; si vous m'acquittez, c'est
que je ne suis pas coupable, et alors da
quel droit m'infligez-vous une amende de
8,OUO francs?
C'est peut-être confondre deux choses
tout à fait différentes : la culpabilité de
l'accusé d'une part, d'autre part le fait
lui-même et le tort que ce fait a pu causer
à des tiers. En déclarant Mme Francey
innocente, le jury n'a pas entendu dire
qu'elle n'a pas tué l'architecte Brisebard,
l'acte était patent, Jlvoué; il a entendu
simplement qu'elle n'était pas coupable
de l'avoir tué, c'est-à-dire que, pour des
raisons qu'il n'est point obligé d'énu-
mérer, il la dispensait des peines af-
fectées par la loi à l'acte qu'elle avait
commis. Mais le fait n'en subsiste pas
moins; M. Brisebard n'en est pas moins
mort, et sa mère qu'il nourrissait n'en est
pas moins privée de son soutien. Abstrac-
tion faite de l'intention criminelle, il sub-
siste un dommage, et de ce qu'un dom-
mage est volontaire ce n'est pas une - raison
pour ne pas le réparer. -
Toute la question est de savoir si l'ap-
Feuilleton du RAPPEL
DU 2 AVRIL
32
? LE
• SANG BLEU
TROISIÈME PARTIS
¡
IV
Quand Nicole avait appris l'arrivée de
la justice elle s'était imaginé que ces gen-
darmes ne quitteraient pas le château sans
emmener avec eux les assassins de son
père ; ces magistrats qu'elle avait entrevus
(Traduction interdite; reproduction auto-
l'leée pour les journaux qui ont un traité avec
ia Société des gens de lettres, mais après la
In de la publication en feuilleton dans le
Voir
Voir 10 Rappti du a iaavier au tu avril
tout pleins de gravité et d'importance, ce
terrible médecin si inquiétant avec son
sourire de compassion, ces gendarmes
dont on entendait à chaque instant les
chevaux passer en trottant ou s'arrêter
brusquement avec des cliquetis de sabre
devant la chambre où elle veillait, tout ce
déploiement de forces devait, semblait-il,
produire un résultat certain.
Sa conviction se traduisait par une ques-
tion qu'elle adressait de temps en temps
à Hériberte :
— Quand ils auront trouvé, on viendra
te prévenir, n'esL-ce pas?
Sa surprise avait été cruelle quand, le
soir, après le diner auquel Mme de Col-
bosc seule avait assisté, tout ce personnel
était reparti sans qu'on fût venu avertir
Hériberte.
— Ils n'arrêtent pas l'assassin 1
Elle avait voulu qu'on lui expliquât ce
qu'ils avaient fait pendant toute cet!e
journée; à quoi avaient abouti ces allées
et venues des gens dont on avait entendu
les pas lourds et traînants au rez-de-
chaussée; pourquoi ces gendarmes avaient
cavalcadé depuis le matin? Mais Hériberte
ne savait rien et ne demandait rien ; quant
à Mme deColbosc, au lieu de lui répondre
lorsqu'elle avait été interrogée, elle lui
avait tourné le dgq au plus vite; ainsi re-
poussée, n'ayant personne qui l'écoutât,
elle était revenue au lit de son père, ob-
sédée, affolée par la question que son
cœur et ses lèvres répétaient sans cesse
depuis la veille, qu'elle avait cru que les
magistrats résoudraient lorsqu'elle les
avait vus, et qui, après leur départ comme
avant leur arrivée, était sans réponse.
— Qui l'a tué ?
Et cependant elle faisait tout pour écar-
ter cette question, se disant que ce n'é-
tait point le moment pour l'examiner;
c'était à son père qu'elle devait penser,
c'était lui seul qu'elle devait voir, c'était
sa tendresse, sa bonté, son amour qu'elle
devait évoquer et non les idées horribles
qui malgré elle l'assaillaient.
Avant de partir, les magistrats avaient
donné le permis d'inhumation ; le mari et
le père étaient rendus aux siens, et l'en-
terrement devait se faire le surlendemain,
non dans la chapelle du château qui de-
puis trois cents ans servait de sépulture
aux La Senevière, — Hériberte et Mme de
Colbosc s'étaient trouvées d'accord pour
n'en pas vouloir, — mais dans le cimetière
du village attenant au parc; dans quel-
ques heures son père lui serait enlevé,
jusque-là elle devait être à lui seul.
M. de Colbosc, qui était accouru, au-
près de sa nièce aussitôt qu'il avait appris
l'assassinat, et qui était resté au château,
avait fait comprendre à Nicole que, pour
n'avoir pas arrêté l'assassin le jour même,
la justice ne renonçait pas à le trouver.
— Il faut la laisser à ses prudentes len-
teurs, lui avait-il dit avec une compassion
affectueuse, et ne pas croire que, parce
qu'on ne voit pas sa main, elle n'agit pas;
soyez assurée, ma pauvre enfant, qu'il y a
des oreilles qui écoutent comme il y a des
yeux qui regardent pour elle; rien de ce
qui se dit, lien de ce qui se passe ne sera
perdu; c'est tout le monde qui fait l'en-
quête d'un crime; c'est d'un fait en appa
rence insignifiant, c'est d'un mot échappé
par hasard et recueilli que jaillit la lu-
mière- *
Elle se dit que sans doute il avait rai-
son ; elle le savait homme sage, son père
l'avait en grande estime, il s'était toujours
montré bon et affectueux pour elle, elle
devait le croire.
D'ailleurs, à mesure qu'approchait le
moment de la séparation, elle s'anéantis-
sait dans cette séparation même dont
d'instant en instant elle sentait plus cruel-
lement l'horreur : ce n'était plus dans
deux jours, c'éiait dans quelques heures,
c'était dans quelques minutes.
Encore quelques pas derrière le cercueil
de son père. et elle entrait dans réalise :
encore quelques chants, et l'office s'ache-
vait ; encore quelques pelletées de terre,
et la tombe était comblée ; dans ses yeux
il n'y avait que des larmes, dans son cœur
que des sanglots, dans son esprit que la
prostration, le vide, l'imbécillité de la
douleur.
Du côté de son père comme du côté de
sa mère, ses seuls parents étaient des cou-
sins qu'elle connaissait à peine ; aucun
d'eux n'était venu à l'enterrement ; ce fut
la main de M. de Colbosc qui prit la sienne
paternellement lorsque la cérémonie fut
achevée.
— Appuyez-vous sur moi, mon enfant,
j'étais l'ami de votre père, je serai le vô-
tre; c'est moi qui veux vous ramener chez
vous.
Elle fit le chemin du cimetière au châ-
teau entre le comte et la comtesse, qui
lui parlèrent sans qu'elle entendit ce qu'ils
lui disaient ; ce qu'elle ttcomprit à peu
près, c'est qu'avant son départ le comte
voulait avoir un entretien d'affaires avec
elle : sans doute il serait mention de l'as-
sassin.
Elle s'était trompée. Lorsque le soir,
ua peu avant l'heure fixée pour le départ
de M. de Colbosc, on lui demanda de
descendre, elle trouva celui-ci en com-
pagnie de sa femaje, de ses deux (U. 4d
nés, d hériberte et de la marquise.
— Mon enfant, dit le comte en venant à
elle, je n'ai pas d'autres droits à invoquer
auprès de vous que ceux que me donnaient
l'amitié et l'estime que j'avais pour votre
père. Mais je crois que ceux-là suffisent
pour que vous trouviez légitime que je
m'occupe de vous. Vous êtes seule, sans
parents.
Elle eut un sanglot.
— En attendant que votre conseil de
famille prenne une décision, que voulez-
vous ? rester avec Hériberte ou que je
vous conduise-dans un couvent?
A travers ses larmes, elle regarda Héri-
berte assez longtemps sans répondre, la
gorge serrée par l'émotion.
— Si mon père avait pu parier avant de
mourir, il m'aurait remise à Hériberte,
dit-elle enfin.
Puis, venant à Hériberte :
— Si tu veux que je reste avec toi,
moi, je le veux ; lui mort, je n'ai pkuf
que toi.
Hériberte lui passa le bras autour du
cou et elles s'embrassèrent.
J-, l
r HECTOR MALOT. :.
i.
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