Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-04-01
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 avril 1885 01 avril 1885
Description : 1885/04/01 (N5500). 1885/04/01 (N5500).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7542448j
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/12/2012
N. 5500 - Mercredi 1er Xvril 1885 Le numéro : lOc. — Départements: IL 5; o. 12 Germinal an 93 - N8 5500
ADMINISTRATION
48, HUE DE VALOIS, 48
JLB ORNEMENTS
"PARIS
Trois mois .10 »
Six mois. 20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois. 13 59
S ix moi s. « 22 M
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE Il
«ABSUNISTRATEtlE.- G ERANT
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la RéaacnoD.
De 4 à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
Xes manuscrits non insérés ne seront pas reniât
ANNONCES
SUT. Ch. LAGRANGE, CERF et C.
6, l'ace de la Bourse, 6
LA CHUTE DU MINISTÈRE
Comme la chose était prévue, le mi-
nistère est renversé.
La Chambre n'a pas même voulu lui
permettre de demander les crédits
qu'elle est prête à voter.
M. Jules Ferry a eu beau déclarer que
« pour ne mêler à un débat qui devait
demeurer exclusivement patriotique et
national aucune considération d'ordre
secondaire, pour réunir dans un effort
commun tous ceux qui, sur quelque
banc qu'ils siègent et à quelque opinion
qu'ils appartiennent, font passer avant
tout la grandeur du pays et l'honneur
du drapeau, il ne considèrerait nul-
lement le vote des crédits comme
un vote de confiance », M. Clé-
menceau lui a signifié, aux applaudis-
sements de la Chambre, qu' « on ne
voulait plus discuter avec lui les grands
intérêts de la patrie » et qu' « on n'a-
vait plus devant soi des ministres, mais
des accusés ».
Commençons par discuter les cré-
dits, voulait le ministère. Commençons
par discuter votre responsabilité, ont
répondu 308 voix contre 161.
— Nous comprenons ce que cela veut
dire, a dit-le président du conseil. Et,
se levant de leur banc, tous les minis-
tres sont allés porter leur démission au
président de la République.
Leur démission n'a pas calmé la
Chambre, et deux députés, un de gau-
che et un de droite, ont proposé leur
mise en accusation et demandé l'ur-
gence. Il y a eu 161 voix pour et 304
voix contre.
Le ministère chassé, il va falloir le
remplacer. Qui se dévouera? Qui sera
à la taille de la tâche?
La commission des crédits a été im-
médiatement nommée. C'est à l'unani-
mité qu'elle proposera et que la Cham-
bre votera tout ce qui sera nécessaire
pour les vaillants de là-bas et pour le
drapeau.
Agissons vite et énergiquement, mais
avec sang-froid. Si grave que soit la
situation, il n'y a pas lieu de s'affoler.
La retraite de Lang-Son n'est pas la
retraite de Russie et Bang-Bo n'est pas
Sedan.
AUGUSTE v ACQUERIB.
A LA CHAMBRE
Justice est faite ; mais, hélas ! @ à quel
prix et combien de temps et d'efforls
faudra-t-il pour réparer tant de fautes
accumulées ? Si l'on s'arrêtait à cette
réflexion, on serait trop dur pour ces
homnits que vient de frapper une ma-
jorité, hier encore complice, et qui a
attendu un tel échec pour tenir compte
du sentiment public. Pour nous qui n'a-
vons cessé de voir dans ce ministère
un danger national, qui navons cessé
de le combattre de toutes nos forces, il
nous répugne de nous expliquer encore
sur son compte, et nous voudrions pou-
voir dire qu il est tombé à peu près di-
gnement. Ce n'est malheureusement
pas exact.
Comme si rien ne s'était passé d'ex-
traordinaire, comme si nous étions
dans des circonstances normales, M.
Jules Ferry est venu, au début de la
séance, qui ne s'est ouverte qu'à trois
heures, lire à la tribune le projet relatif
à la demande de crédits dont le résumé
a été donné hier. M. le président du
conseil voulait bien ajouter que, pour
mettre tout le monde à l'aise, il ne
considèrerait pas le vote comme un té-
moignage de confiance. L'expédient
pour se cramponner au pouvoir était
peut-être ingénieux, mais il était peu
digne, et M. Clémenceau, M. Raoul Du-
val et M. Ribot ont durement rappelé
les ministres au sentiment de la situa-
tion.
« Nous n'avons rien à discuter avec
vous, a dit éloquemment M. Clémen-
ceau. Nous ne pouvons plus vous con-
sidérer, à aucun degré, comme mem-
bres d'un gouvernement, et provisoi
rement vous n'êtes plus pour nous que
des accusés. » M. Ribot a fait une dé-
claration analogue en déposant un
ordre du jour de condamnation pour
les fautes commises et en ajoutant,
comme le précédent orateur, qu'il vo-
terait tous les crédits nécessaires avec
un cabinet digne de la confiance du
pays. M. Clémenceau et M. Ribot
avaient déposé chacun un ordre du
jour. M. Jules Ferry a essayé de parer
le coup en réclamant, pour sa demande
de crédits, la priorité.
Le sentiment de la Chambre n'est
plus douteux pour personne et la de-
mande du ministère est repoussée par
plus de 300 voix contre 150 environ.
M. Jules Ferry a enfin compris. Il se
lève pour dire quelques mots qu'on
n'entend pas. On lui crie : A la tri-
bune ! Il y monte et déclare que le mi-
nistère ne peut se méprendre sur l'in-
tention de la Chambre et qu'il va porter
sa démission au président de la Répu-
blique. Il est sorti suivi de tous ses
collègues. Tout cela s'est passé en
moins d'une heure.
»
co
L'interpellation déposée n'avait plus
d'objet et les ordres, du jour ont été
retirés.
Deux membres, M. Delafogse et M.
Laisant, sont venus déposer chacun
une proposition de mise en accusation
du cabinet démissionnaire, motivés sur
la violation de la Constitution et une
altération systématique de la vérité.
L'urgence ayant été demandée, elle n'a
été appuyée que par 161 voix. Les deux
propositions suivront donc le cours or-
dinaire et seront renvoyées à la commis-
sion d'initiative, qui fera son rapport.
Après cette exécution préliminaire,
on s'est immédiatement occupé des cré-
dits, et la Chambre a décidé de se reti-
rer dans ses bureaux pour la nomina-
tion d'une commission. Il y a bien là
un inconvénient, puisque le débat pu-
blic n'a pas précédé la discussion des
bureaux et qu'on ne peut pas savoir
exactement ce que veut la Chambre.
Mais le sentiment dominant, indiqué
d'ailleurs en séance par tous les ora-
teurs, était de hâter le plus possible
l'envoi des secours. Il convient, du
reste, de ne pas oublier, comme pa-
raissent le faire quelques personnes,
que, pour l'expédition courante des
affaires, on n'est jamais sans mi-
nistres. Un cabinet renversé est tou-
jours intérimaire jusqu'à la nomination
du cabinet qui lui succède. C'est ce que
M. Clémenceau a dit à la séance, en
parlant des ordres que le général Le-
wal pourra avoir à expédier. Mais quel-
ques personnes, attribuant à l'orateur
une pensée que nous savons n'être pas
la sienne croyaient qu'il lui semblait
possible de conserver, dans lé futur
cabinet, le titulaire actuel du ministère
de la guerre. M. Clémenceau, et avec
raison, est d'un avis tout opposé, et il
pense, comme nous et comme tous
ceux qui voudront bien y réfléchir un
moment, que le principe de la solidarité
ministérielle doit recevoir ici son entière
et complète application. Il est temps
de rentrer dans les règles constitution-
nelles et parlementaires et on ne peut
oublier que si, à la démission du gé-
néral Campenon, M. Jules Ferry s'était
heurté au refus du général Lewal, il
eût sans doute fallu renoncer à pour-
suivre l'aventure dans les conditions
néfastes que nous connaissons main-
tenant. Enfin, et bien que la demande
de mise en accusation n'ait pas obtenu
l'urgence, elle n'en pèse pas moins sur
le cabinet dont aucun membre ne peut
rester aux affaires. Le pays, d'ailleurs,
s'attend à un changement de politique
complet et il ne peut l'avoir que par
un changement de personnel complet
aussi.
Nous espérons n'avoir plus à parler
des ministres déchus; il n'est pas dans
nos habitudes de nous attaquer aux
vaincus; mais nous espérons aussi que
ceux qui, jusqu'à ce jour, les ont sou-
tenus, malgré tous les avertissements,
et qui, de concert avec eux, ont acculé
la France à la situation où nous som-
mes en ce moment ; nous espérons que
ces hommes comprendront qu'ils sont
condamnés par l'opinion publique au-
tant et plus que les ministres eux-
mêmes. Nous espérons qu'ils médite-
ront le mot si juste et si terrible de
M. Ribot : « La première humiliation
qu'ait subie la République, elle vous la
doit! »
A. GAULIER.
I II ■ 1
Au Sénat, M. Le Royer, qui est au fau-
teuil, communique àsescollègues la nouvelle
de l'échec de nos troupes au Tonkin et il
leur donne connaissance du projet de de-
mande de crédit. M. Léon Say, sans s'op-
poser au vole, déclare qu'une explication
est nécessaire, car le gouvernement n'a
jamais fait connaître toute la vérité. Il
attendra qu'un ministre soit présent pour
déposer une interpellation. On suspend la
séance, mais à la reprise on apprend qu'il
n'y a plus de ministère. — Á. G
g INI. I I — I I I.III
COULISSES DES CHAMBRES
En raison de l'importance de la grave
journée d'hier, nous allons retracer dans
un rapide récit les incidents qui se sont
succédé depuis la matinée et qui ont
amené le renversement du cabinet.
Les ministres, qui avaient tenu conseil
dimanche soir, se sont réunis hier matin
à l'Elysée, où ils ont confirmé leurs déci-
sions de la veille et fait signer par le pré-
sident de la République la demande de
crédits de 200 millions, qui devait être
déposée à la Chambre dans l'après-riiidi.
Il avait été convenu que l'on séparerait
la question ministérielle de la question
militaire, et que M. Jules Ferry demande-
rait le vote immédiat des crédits, sauf à
s'expliquer ensuite sur la situation du
cabinet.
C'est dans ces conditions que l'on se
trouvait aux premières heures à la Cham-
bre. Contre l'usage, bien avant l'heure
fixée pour la séance, les députés arrivaient
en grand nombre au palais Bourbon, con-
voqués qu'ils étaient à leurs groupes res-
pectifs, tant de droite que de gauche. Il
s'agissait d'arrêter la ligne de conduite à
suivre à la séance. Le sort du cabinet était
prévu ; il était facile de voir que sa chute
était certaine. C'était plutôt sur l'ordre du
débat qu'on devait s'entendre.
Les quatre groupes de gauche, dans une
première réunion, ont donné mandat à
leurs bureaux respectifs de conférer en-
semble en vue d'engager une action com-
mune. L'union républicaine avait, en
outre, émis l'avis qu'il y aurait lieu de
convoquer une réunion plénière de la ma-
jorité républicaine. Mais cette proposition
n'a pas eu de suite, ainsi qu'on le verra
plus loin.
Les quatre bureaux, après examen fait
de la situation, ont reconnu qu'il impor-
tait avant tout de régler la question mi-
nistérielle, afin que les crédits pussent
être votés à l'unanimité. M. Ribot a in-
sisté vivement sur ce point; il se proposait
même de prendre l'initiative en ce sens
devant la Chambre, si sa proposition n'a-
vait pas été accueillie.
Après un court débat, la réunion des
quatre bureaux a décidé qu'on demande-
rait à M. Jules Ferry de déclarer à la
Chambre qu'en déposant la demande de
crédits il accomplissait le dernier acte de
son cabinet.
De la sorte il n'y aurait plus eu qu'à
voter sur les crédits.
M. Develle, président de l'union démo-
cratique, fut chargé de se rendre auprès
du président du conseil pour lui trans-
mettre la demande des bureaux. Mais M.
Jules Ferry répondit qu'il ne pouvait ac-
cueillir cette demande et qu'il ne se reti-
rerait qu'après un vote de la Chambre.
Les quatre groupes reprirent ensuite
leurs réunions isolées et reçurent commu-
nication de la délibération de leurs bu-
reaux.
L'extrême gauche décida que M. Clé-
menceau déposerait son interpellation avec
un ordre du jour servant de conclusion,
et dont on trouvera le texte au compte-
rendu de la séance. En même temps, l'ex-
trême gauche s'associa tout entière à une
proposition de mise en accusation dont
MM. Laisant et Salis avaient pris l'initia-
tive.
Les trois autres groupes se bornèrent à
recevoir la communication de leurs pré-
sidents respectifs, se réservant de se dé-
terminer d'après les incidents de la séance
publique. Celle-ci fut trè- courte, comme
on le verra au compte-rendu. Quoique
fixée à deux heures, elle fut retardée jus-
qu'à trois heures pour le président, qui
voulait ainsi permettre aux groupes de se
concerter préalablement et d'aborder la
délibération avec' des résolutions fer-
mes.
Pendant ce temps, les couloirs du palais
Bourbon étaient le théâtre d'une agitation
comme notre histoire parlementaire en
olîre peq d'exemples. Il faut remonter aux
journées du 24 mai 1873 ou du 26 jan-
vier 1882 pour retrouver le souvenir d'un
spectacle pareil. La salle des Pas-Perdus
était encombrée d'anciens députés, de
sénateurs, de fonctionnaires, qui se mê-
laient aux représentants de la presse.
Les abords du palais, su ? le quai, étaient
assiégés par une foule nombreuse avide
de nouvelles et qui rendait l'accès de la
Chamb e très difficile.
A trois heures et demie, c'est-à-dire
après une demi-heure seulement de déli-
bération, la Chambre rendait le vote par
lequel le ministère était renversé.
Immédiatement, les ministres se réunis-
saient dans un bureau et signaient leur
démission, que M. Jules Ferry portait
quelques secondes après à M. Grévy, à
l'Elysée.
La journée s'est complétée par l'élection
de la commission chargée d'examiner la
demande de 200 millions.
La délibération des bureaux a été. fort
courte, le sentiment de la Chambre étant
unanime. Voici les noms des élus dans
l'ordre des bureaux :
M M. Sarrien, Floquet, Develle, Labus-
sière, Maunoury, Jules Roche, de Lanes-
san, Georges P rin, Germain (de l'Ain),
Rameau et Lockroy.
Tous ces membres sans exception sont
d'avis de voter immédiatement tous les
crédits nécessaires pour venir au secours
de notre armée du Tonkin. Il y a sur ce
point unanimité absolue. Il y a également
unanimité pour réserver la question des
autres opérations à engager ultérieure-
ment, jusqu'à ce que le nouveau minis-
tère soit constitué et qu'on puisse délib;-
rer en connaissance de cause, sans em-
piéter sur l'initiative du gouvernement.
C'est sur la nature dees opérations que
les avis sont partagés. M. Georges Perin
propose qu'une fois l'honneur national
vengé par un succès on évacue le Tonkin;
d'autres sont d'avis de porter la lutte sur
un point de la Chine à déterminer, d'ac-
cord avec le gouvernement. C'est cette
question qui demeure réservée ; mais les
crédits et les renforts pour le Tonkin vont
être votés immédiatement.
La commission se réunit aujourd'hui, à
une heure, pour statuer sur cette pre-
mière et urgente question.
DERNIÈRE HEURE
Ainsi que nous le disons plus haut, les
ministres ont remis leur démission à la
suite du vote de la Chambre. Le Journal
officiel doit l'annoncer ce matin par la
note suivante :
« Le président du conseil et les minis-
» très ont remis leur démission entre les
» mains de M. le président de la Répu-
» blique, qui l'a acceptée.
» Les ministres demeurent chargés de
» l'expédition des affaires courantes jus-
» qu'à la nomination de leurs succès
» seurs. »
M. Jules Ferry est venu à l'Elysée, en
compagnie de M. Waldeck-Rousseau, pour
remettre ses pouvoirs et ceux de ses col
lègues au président de la République. Il
s'est entretenu pendant trois quarts
d'heure avec M. Grévy.
A l'issue de cet entretien, M. Grévy a
fait appeler M. Henri Brisson et lui a of-
fert la mission de former le nouveau ca-
binet.
Le président de la Chambre a décliné
cette offre en déclarant qu'il ne croyait
pas pouvoir se charger de composer un
ministère.
Le président de la République a fait
alors appeler M. de Freycinet, qui s'est
rendu à l'Elysée à neuf heures du soir.
M. de Freycinet, à qui la mission de
former le cabinet a été offerte, l'a accep-
tée, mais non encore officiellement. Il a
demandé un délai de vingt-quatre heures
avant de donner une réponse ferme, afin
de pouvoir conférer avec les membres
qu'il jugerait pouvoir être ses collabora-
teurs. Mais on considère comme certain
qu'il acceptera définitivement la tâche de
constituer le cabinet.
Aucune combinaison n'est encore arrê-
tée et toutes les listes qui ont été publiées
dès hier soir ou qui pourraient l'être ce
matin sont de pures fantaisies.
Tout ce que l'on peut dire de certain,
c'est que M. de Freycinet a l'intention de
former un cabinet d'union des gauches
dans lequel tous les groupes de la majo-
rité républicaine auraient des représen-
tants, goit dans des postes de ministres.
soit dans des postes de sous-secrétaires
d'Etat.
L'union républicaine a, paraît-il, pro-
mis son concours au nouveau cabinet, par
l'organe de ses principaux représentants
Deux au moins des ministres actuels, et
peut-être trois, seraient invités à rester
dans la combinaison, mais probablement
avec d'autres portefeuilles que ceux qu'ils
détiennent actuellement; ce sont MM.
Fallières, Rouvier et Raynal.
Pour les autres postes ministériels, on
parle de MM. Spuller, Sarrien, Sadi-Car-
not, etc.
On parle également de MM. de Lanes-
san et Granet pour des postes de sous-se-
crétaires d'Etat.
Si la combinaison réussit, on croit
qu'elle sera arrêtée dans la journée d'au-
jourd'hui; et, si c'est possible, on l'an-
noncera aux Chambres au cours de la
séance, vu l'urgence des événements.
Les anciens ministres se réunissent ce
matin en conseil de cabinet aux affaires
étrangères, sous la présidence de M. Ferry
pour expédier les affaires et continuer à
prendre toutes les mesures que commande
la situation en dehors des décisions plus
générales et plus graves que le nouveau
cabinet sera appelé à arrêter.
Nous disions l'autre jour que ce n'était
pas le ministère Ferry qui avait commencé
la guerre, mais que sa responsabilité
datait du jour où, inquièle des con-
séquences que pouvait avoir pour elle la
trahison de Bac-Lé, la Chine lui avait of-
fert des conditions acceptables et où il les
avait repoussées.
Ce n'est pas la première fois que l'af-
faire aurait pu s'arranger.
Elle aurait été arrangée dès 1883 si l'on
n'avait pas déchiré le traité Bourrée. Les
avertissements n'avaient pourtant pas
manqué. Le 17 mars 1883, M. Bourrée
adressait de Sanghaï la dépêche suivante
au ministre des affaires étrangères d'a-
lors, M. Challemel-Lacour :
le souhaite vivement que l'événement me
donne tort, monsieur le ministre, mais je
ne puis me défendre d'éprouver les plus vivet
appréhensions, quand je vois ce qui se fait et
ce qui se prépare autour de moi ici ; quand,
supputant les chances d'un conflit qui me
parait devenu, inévitable, je cherche à mettre
en balance ce qu'il nous coûtera et les avan-
tages que nous sommes appelés à en retirer.
Le gouvernement chinois ne perd d'ailleura
pas de temps pour s'assurer la possession
d'un gage utile à tout événement, car, si je
suis bien renseigné, et je crois l'être, l'ordre
va être donné (s'il ne l'est déjà) aux troupes
impériales de rentrer au Tonkin et de repren-
dre les positions qu'elles y occupaient au mois
le décembre dernier. Nous allons donc avoir à
les déloger tout-d'abord. C'est la guerre. Et, en
admet ant que les opérations se localisent dans
les districts septentrionaux de l'Annam, il faut
s'attendre à avoir de ce côté sur les bras dos
masses considérables que nous pénétrerons fa-
cilement, mais qui tiendront tout le pays, en-
veloppant nos colonnes et entravant leurs
uouvements. Il est permis de compter tout
d'abord sur de faciles succès. Mais la latte
prendra un caractère plus sérieux, à mesure
que des contingents exercés arriveront du Nord,
pourvus d'armes à tir rapide et d'une excel-
lente artillerie.
Cette guerre, qu'on le remarque bien, n'ex-
posera la Chine à aucun revers décisif, puis-
qu'il ne saurait entrer dans notre esprit d'at-
taquer désormais les formidables ouvrages
qui couvrent Pékin. Elle pourra donc se pro-
longer indétiniment, en nous imposant des
sacritices de plus en plus lourds, et, quand
nous voudrons en finir, et nous composer par
uu traité indispensable une sécurité quelcon-
que dans la vallée du fleuve Rouge, nous nous
retrouverons en présence des difficultés
mêmes que je signale aujourd'hui et qu'il est
plus facile de nier que de supprimer. - -
Alors, le maximum de ce que nous pourrions
obtenir du gouvernement chinois serait pré-
cisément ce qu'il nous offrait hier encore
dans le projet d'arrangement que je tous ai
soumis, et dont il voudra, à ce moment, nous
faire payer cher les avantages.
.———————— ————————
LES FONDS SECRETS
Dans les indiscrétions si intéressantes
que M. Andrieux croit devoir publier dans
son journal, allusion a été faite au cas
d'un député, M. Joseph Fabre, dont l'é-
lection aurait été tout entière payée par
les fonds secrets. Cette nouvelle avait sur-
pris les amis, et ils sont nombreux, de
l'honorable député; aussi ont-ils lu avec
une satisfaction très vive l'explication
qu'il a immédiatement adressée à la L gue.
Voici en deux mots l'histoire de M. Fabre,
et aux détails qu'il a donnés lui-même j'en
ajouterai quelques-uns que la modestie
lui ordonnait de cacher.
M. Fabre est un homme de beaucoup de
talent, qui n'a aucune espèce de fortune;
ce phénomène se rencontre encore quel-
quefois. Ses parents étaient concierges au
lycée de Rodez ; l'enfatitétait intelligent,
l'administration lui fit avoir une demi-
bourse. Il fut reçu brillamment à son bac-
calauréat, puis à sa licence, et parvint,
sans avoir passé par l'école, à l'agrégation
Feuilleton du RAPPEL
DU 1er AVRIL
81
LE
SANG BLEU
TROISIÈME" PARTIB
III (suite)
Pour le maire comme pour La Sene-
vière, il n'y avait pas de doute possible :
l'homme qui avait passé là était Feulard.
Le maire jeta à La Senevière un regard
inquiet sur l'expression duquel il n'y avait
pas à se tromper. « Faut-il nommer Feu-
lard? Quel malheur pour ma commune f »
« Faut-il nommer Feulard? » était aussi
le mot qui s'était imposé à La Senevière ;
devait-il le charger de façon à rendre !us-
(Traduction interdite; reproduction auto.
risée pour les journaux qui ont un traité avec
la Société des gens de lettres, mais après la
On de la publication en feuilleton dans le
Rappel.)
Voie le Uavvel du 2 janvier au Il mars*
pect tout, témoignage que celui-ci pour-
rait porter plus tard ; au contraire, ne de-
vait-il pas l'innocenter et par là se le
gagner pour le cas où le vieux braconnier
aurait reconnu celui qui avait tiré? Le
malheur était que le temps manquait
pour examiner ces questions si graves et
décider le parti à prendre. A la vérité, le
maire et lui ne seraient pas seuls à voir
ces empreintes, d'autres les reconnaî-
traient qui n'auraient pas de raisons pour
se taire ; le mieux était donc de parler et
de prendre les devants; ce qu'il fit.
— Ces empreintes sont sans doute celles
d'un ancien garde de M. Guillaumanche
appelé Feulard, qui boîte et se sert d'un
bâton pour marcher; mais comme Feu-
lard était chargé de nourrir et de soigner
it'-- appelants, il est tout naturel qu'il ait
laissé es traces de son passage sur les
bords de Ces étangs; nous en trouverons
bien d'autres ; au reste, c'est un brave
homme incapable d'un crime, M. le maire
vous l'affirmera comme moi.
— Certainement, répondit le maire avec
une certaine hésitation, c'est un habitant
de ma commune.
— Veuillez, monsieur le maire, faire
rechercher ce Feulard, dit le juge d'ins-
truction, et qu'on l'amène au château;
qu'on amène aussi le nommé Papillon.
Il fut facile de suivre le chemin qu'avait
pris Feulard en sortant des roseaux ; au
lieu de venir à la route qui, des étangs
conduit au village, il s'était enfoncé sous
bois dans un fourré sans issue, où bien-
tôt on perdit sa piste dans les feuilles
sèches. Alors, on revint aux bords de
l'étang, et, comme l'avait annoncé La
Senevière, les trous faits dans le gazon ou
dans la tourbe par le bâton de Feulard
apparurent à chaque pas.
Pendant que le juge d'instruction fai-
sait ces constatations, le procureur de la
République s'entretenait avec La Sene-
vière : Quel homme charmant, que ce
comte de La Senevière!
Quand on rentra au château, Papillon
était arrivé, mais Feulard ne l'était pas
encore.
Tout de suite; M. Legrain procéda à
l'interrogatoire de Papillon.
- Vous vous appelez Papillon, vous
avez été condamné pour vol avec effrac-
tion à cinq ans de prison.
— J'ai été reconnu innocent.
— Je vous demande si oui ou non vous
avez été condamné.
- Je l'ai été, mais.
- Cela suffit. Autre chose. Où étiez-
vous hier à neuf heures du soir?
— Dans le fond du Chêne.
— Que faisiez-vous là?
— Je suis charbonnier; je surveillais
mes meules.
- Vous étiez seul?
— J'avais deux de mes gaoçpns avec
moi. ,.
— Ah r ah! deux de vos garçons r Vous
n'avez pas d'autres témoins qui puissent
attester que vous surveilliez vos meules à
neuf heures du soir.
Papillon se troubla.
— Répondez donc. Allons, répondez.
— A neuf heures, à neuf heures? bal-
butia Papillon, je n'avais pas de montre
dans la main.
— Voulez-vous que je change ma ques-
tion. Ou étiez-vous un quart d'heure après
le coucher de la lune?
— A surveiller mes meules.
— Avec vos deux garçons, c'est en-
tendu.
Cette fois, Papillon ne se troubla plus.
— C'est justement à ce moment que Le-
dieu et Sellier, qui venaient de Bézu,
m'ont demandé d'où partaient trois coups
de fusil que nous venions d'entendre,
ceux qui ont tué ce pauvre M. Guillau-
manche.
Le juge d'instruction nota les noms qui
venaient de lui être donnés et déclara à
Papillon qu'il devrait rester à sa disposi-
tion Jusqu"à ce que Ledieu et Sellier eus-
sent confirmé son allégation; on l'enfer-
merait dans une pièce où il ne cpnamuni-
querait avec personne.
Papillon voulut demander de quoi oZ?
l'accusait, mais la peur le paralysa ; ce
n'était pas la première fois qu'on l'accu-
sait sans qu'il eût rien fait, et il savait par
expérience qu'il était inutile de se dé-
fendre.
Pendant cet interrogatoire, Feulard
était arrivé et on l'avait introduit dans le
salon où le procureur se tenait avec La
Senevière. Il avait fait une entrée timide
et embarrassée que la présence de La Sa-
nevière n'avait pas rassurée.
— C'est vous, Feulard? demanda M.
Baticle en le regardant s'avancer en boi-
tant tout bas, plus bas même que de cou-
tume, et en s'appuyant à deux mains sur
son bâton.
— Oui, messieurs, répondit Feulard, en
jetant un coup d'œil furtif du côté de La
Senevière.
— Où étiez-vous hier soir, à neuf
heures?
C'était le moment décisif. La Senevière
n'eut pas la force de tenir ses yeux fixés
sur Feulard.
— A neuf heures, à neuf heures du
soir? demanda Feulard.
— Oui, à neuf heures du soir.
- Dame, je pense que j'étais chez
moi.
— Vous pensez. Pouvez-vous le prou-
ver?
Il prit un air innocent :
— Le prouver?
t - Quelqu'un vous a-t-il vu?
— Queuqu'un; ben sûr, il y a Chaigneux
qui 3 a causai, rapport à sa vache qui
vêlait.
- A quelle heure ?
— A hiTtt heures, à neuf heures, à dix
heures.
Le cœur de LSenevière se desserra.
- Vous voyez, b"écria-t-il, je vous avais
bien dit, monsieur le procureur de la R6-1
publique, que Feulard était un brave
homme; envoyez chercher Chaigneux, il
ne faut pas que le soupçon pèse plus long-
temps sur ce brave Feularri.
— Le soupçon sur mé, et de quoi qu'on
pourrait me soupçonner? Monsieur le
comte me connaît bien.
Chaigneux, qu'un « gendarme alla cher-
cher, attesta en effet que sa vache avait
vêlé la veille au soir; il le jura même,
seulement il fut plus difficile de lui faire
dire qu'il avait causé à Feulard à neuf
heures du soir; dans la soirée, oui pour
sûr; enfin, pressé par Feulard et par La
Senevière, il avait fini par se rappeler que
c'était au coucher de la lune.
Sellier et Ledieu avaient été plus affir-
matifs; au moment où les trois coups de
feu partaient, ils parlaient avec Papillon
et ses deux garçons au fond du Chêne.
Les autres gens qu'on pouvait soup-
çonner de vengeance fournirent aussi des
alibis; seuls, deux braconniers condamnés
pour délits de chasse ne purent pas don-
ner l'emploi de leur soirée d'une façon
satisfaisante, mais ce n'étaient pas de
méchantes gens et les charges contre eux
étaient des plus légères.
HECTOR MALOT.
(A iuivre.)
ADMINISTRATION
48, HUE DE VALOIS, 48
JLB ORNEMENTS
"PARIS
Trois mois .10 »
Six mois. 20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois. 13 59
S ix moi s. « 22 M
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE Il
«ABSUNISTRATEtlE.- G ERANT
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la RéaacnoD.
De 4 à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
Xes manuscrits non insérés ne seront pas reniât
ANNONCES
SUT. Ch. LAGRANGE, CERF et C.
6, l'ace de la Bourse, 6
LA CHUTE DU MINISTÈRE
Comme la chose était prévue, le mi-
nistère est renversé.
La Chambre n'a pas même voulu lui
permettre de demander les crédits
qu'elle est prête à voter.
M. Jules Ferry a eu beau déclarer que
« pour ne mêler à un débat qui devait
demeurer exclusivement patriotique et
national aucune considération d'ordre
secondaire, pour réunir dans un effort
commun tous ceux qui, sur quelque
banc qu'ils siègent et à quelque opinion
qu'ils appartiennent, font passer avant
tout la grandeur du pays et l'honneur
du drapeau, il ne considèrerait nul-
lement le vote des crédits comme
un vote de confiance », M. Clé-
menceau lui a signifié, aux applaudis-
sements de la Chambre, qu' « on ne
voulait plus discuter avec lui les grands
intérêts de la patrie » et qu' « on n'a-
vait plus devant soi des ministres, mais
des accusés ».
Commençons par discuter les cré-
dits, voulait le ministère. Commençons
par discuter votre responsabilité, ont
répondu 308 voix contre 161.
— Nous comprenons ce que cela veut
dire, a dit-le président du conseil. Et,
se levant de leur banc, tous les minis-
tres sont allés porter leur démission au
président de la République.
Leur démission n'a pas calmé la
Chambre, et deux députés, un de gau-
che et un de droite, ont proposé leur
mise en accusation et demandé l'ur-
gence. Il y a eu 161 voix pour et 304
voix contre.
Le ministère chassé, il va falloir le
remplacer. Qui se dévouera? Qui sera
à la taille de la tâche?
La commission des crédits a été im-
médiatement nommée. C'est à l'unani-
mité qu'elle proposera et que la Cham-
bre votera tout ce qui sera nécessaire
pour les vaillants de là-bas et pour le
drapeau.
Agissons vite et énergiquement, mais
avec sang-froid. Si grave que soit la
situation, il n'y a pas lieu de s'affoler.
La retraite de Lang-Son n'est pas la
retraite de Russie et Bang-Bo n'est pas
Sedan.
AUGUSTE v ACQUERIB.
A LA CHAMBRE
Justice est faite ; mais, hélas ! @ à quel
prix et combien de temps et d'efforls
faudra-t-il pour réparer tant de fautes
accumulées ? Si l'on s'arrêtait à cette
réflexion, on serait trop dur pour ces
homnits que vient de frapper une ma-
jorité, hier encore complice, et qui a
attendu un tel échec pour tenir compte
du sentiment public. Pour nous qui n'a-
vons cessé de voir dans ce ministère
un danger national, qui navons cessé
de le combattre de toutes nos forces, il
nous répugne de nous expliquer encore
sur son compte, et nous voudrions pou-
voir dire qu il est tombé à peu près di-
gnement. Ce n'est malheureusement
pas exact.
Comme si rien ne s'était passé d'ex-
traordinaire, comme si nous étions
dans des circonstances normales, M.
Jules Ferry est venu, au début de la
séance, qui ne s'est ouverte qu'à trois
heures, lire à la tribune le projet relatif
à la demande de crédits dont le résumé
a été donné hier. M. le président du
conseil voulait bien ajouter que, pour
mettre tout le monde à l'aise, il ne
considèrerait pas le vote comme un té-
moignage de confiance. L'expédient
pour se cramponner au pouvoir était
peut-être ingénieux, mais il était peu
digne, et M. Clémenceau, M. Raoul Du-
val et M. Ribot ont durement rappelé
les ministres au sentiment de la situa-
tion.
« Nous n'avons rien à discuter avec
vous, a dit éloquemment M. Clémen-
ceau. Nous ne pouvons plus vous con-
sidérer, à aucun degré, comme mem-
bres d'un gouvernement, et provisoi
rement vous n'êtes plus pour nous que
des accusés. » M. Ribot a fait une dé-
claration analogue en déposant un
ordre du jour de condamnation pour
les fautes commises et en ajoutant,
comme le précédent orateur, qu'il vo-
terait tous les crédits nécessaires avec
un cabinet digne de la confiance du
pays. M. Clémenceau et M. Ribot
avaient déposé chacun un ordre du
jour. M. Jules Ferry a essayé de parer
le coup en réclamant, pour sa demande
de crédits, la priorité.
Le sentiment de la Chambre n'est
plus douteux pour personne et la de-
mande du ministère est repoussée par
plus de 300 voix contre 150 environ.
M. Jules Ferry a enfin compris. Il se
lève pour dire quelques mots qu'on
n'entend pas. On lui crie : A la tri-
bune ! Il y monte et déclare que le mi-
nistère ne peut se méprendre sur l'in-
tention de la Chambre et qu'il va porter
sa démission au président de la Répu-
blique. Il est sorti suivi de tous ses
collègues. Tout cela s'est passé en
moins d'une heure.
»
co
L'interpellation déposée n'avait plus
d'objet et les ordres, du jour ont été
retirés.
Deux membres, M. Delafogse et M.
Laisant, sont venus déposer chacun
une proposition de mise en accusation
du cabinet démissionnaire, motivés sur
la violation de la Constitution et une
altération systématique de la vérité.
L'urgence ayant été demandée, elle n'a
été appuyée que par 161 voix. Les deux
propositions suivront donc le cours or-
dinaire et seront renvoyées à la commis-
sion d'initiative, qui fera son rapport.
Après cette exécution préliminaire,
on s'est immédiatement occupé des cré-
dits, et la Chambre a décidé de se reti-
rer dans ses bureaux pour la nomina-
tion d'une commission. Il y a bien là
un inconvénient, puisque le débat pu-
blic n'a pas précédé la discussion des
bureaux et qu'on ne peut pas savoir
exactement ce que veut la Chambre.
Mais le sentiment dominant, indiqué
d'ailleurs en séance par tous les ora-
teurs, était de hâter le plus possible
l'envoi des secours. Il convient, du
reste, de ne pas oublier, comme pa-
raissent le faire quelques personnes,
que, pour l'expédition courante des
affaires, on n'est jamais sans mi-
nistres. Un cabinet renversé est tou-
jours intérimaire jusqu'à la nomination
du cabinet qui lui succède. C'est ce que
M. Clémenceau a dit à la séance, en
parlant des ordres que le général Le-
wal pourra avoir à expédier. Mais quel-
ques personnes, attribuant à l'orateur
une pensée que nous savons n'être pas
la sienne croyaient qu'il lui semblait
possible de conserver, dans lé futur
cabinet, le titulaire actuel du ministère
de la guerre. M. Clémenceau, et avec
raison, est d'un avis tout opposé, et il
pense, comme nous et comme tous
ceux qui voudront bien y réfléchir un
moment, que le principe de la solidarité
ministérielle doit recevoir ici son entière
et complète application. Il est temps
de rentrer dans les règles constitution-
nelles et parlementaires et on ne peut
oublier que si, à la démission du gé-
néral Campenon, M. Jules Ferry s'était
heurté au refus du général Lewal, il
eût sans doute fallu renoncer à pour-
suivre l'aventure dans les conditions
néfastes que nous connaissons main-
tenant. Enfin, et bien que la demande
de mise en accusation n'ait pas obtenu
l'urgence, elle n'en pèse pas moins sur
le cabinet dont aucun membre ne peut
rester aux affaires. Le pays, d'ailleurs,
s'attend à un changement de politique
complet et il ne peut l'avoir que par
un changement de personnel complet
aussi.
Nous espérons n'avoir plus à parler
des ministres déchus; il n'est pas dans
nos habitudes de nous attaquer aux
vaincus; mais nous espérons aussi que
ceux qui, jusqu'à ce jour, les ont sou-
tenus, malgré tous les avertissements,
et qui, de concert avec eux, ont acculé
la France à la situation où nous som-
mes en ce moment ; nous espérons que
ces hommes comprendront qu'ils sont
condamnés par l'opinion publique au-
tant et plus que les ministres eux-
mêmes. Nous espérons qu'ils médite-
ront le mot si juste et si terrible de
M. Ribot : « La première humiliation
qu'ait subie la République, elle vous la
doit! »
A. GAULIER.
I II ■ 1
Au Sénat, M. Le Royer, qui est au fau-
teuil, communique àsescollègues la nouvelle
de l'échec de nos troupes au Tonkin et il
leur donne connaissance du projet de de-
mande de crédit. M. Léon Say, sans s'op-
poser au vole, déclare qu'une explication
est nécessaire, car le gouvernement n'a
jamais fait connaître toute la vérité. Il
attendra qu'un ministre soit présent pour
déposer une interpellation. On suspend la
séance, mais à la reprise on apprend qu'il
n'y a plus de ministère. — Á. G
g INI. I I — I I I.III
COULISSES DES CHAMBRES
En raison de l'importance de la grave
journée d'hier, nous allons retracer dans
un rapide récit les incidents qui se sont
succédé depuis la matinée et qui ont
amené le renversement du cabinet.
Les ministres, qui avaient tenu conseil
dimanche soir, se sont réunis hier matin
à l'Elysée, où ils ont confirmé leurs déci-
sions de la veille et fait signer par le pré-
sident de la République la demande de
crédits de 200 millions, qui devait être
déposée à la Chambre dans l'après-riiidi.
Il avait été convenu que l'on séparerait
la question ministérielle de la question
militaire, et que M. Jules Ferry demande-
rait le vote immédiat des crédits, sauf à
s'expliquer ensuite sur la situation du
cabinet.
C'est dans ces conditions que l'on se
trouvait aux premières heures à la Cham-
bre. Contre l'usage, bien avant l'heure
fixée pour la séance, les députés arrivaient
en grand nombre au palais Bourbon, con-
voqués qu'ils étaient à leurs groupes res-
pectifs, tant de droite que de gauche. Il
s'agissait d'arrêter la ligne de conduite à
suivre à la séance. Le sort du cabinet était
prévu ; il était facile de voir que sa chute
était certaine. C'était plutôt sur l'ordre du
débat qu'on devait s'entendre.
Les quatre groupes de gauche, dans une
première réunion, ont donné mandat à
leurs bureaux respectifs de conférer en-
semble en vue d'engager une action com-
mune. L'union républicaine avait, en
outre, émis l'avis qu'il y aurait lieu de
convoquer une réunion plénière de la ma-
jorité républicaine. Mais cette proposition
n'a pas eu de suite, ainsi qu'on le verra
plus loin.
Les quatre bureaux, après examen fait
de la situation, ont reconnu qu'il impor-
tait avant tout de régler la question mi-
nistérielle, afin que les crédits pussent
être votés à l'unanimité. M. Ribot a in-
sisté vivement sur ce point; il se proposait
même de prendre l'initiative en ce sens
devant la Chambre, si sa proposition n'a-
vait pas été accueillie.
Après un court débat, la réunion des
quatre bureaux a décidé qu'on demande-
rait à M. Jules Ferry de déclarer à la
Chambre qu'en déposant la demande de
crédits il accomplissait le dernier acte de
son cabinet.
De la sorte il n'y aurait plus eu qu'à
voter sur les crédits.
M. Develle, président de l'union démo-
cratique, fut chargé de se rendre auprès
du président du conseil pour lui trans-
mettre la demande des bureaux. Mais M.
Jules Ferry répondit qu'il ne pouvait ac-
cueillir cette demande et qu'il ne se reti-
rerait qu'après un vote de la Chambre.
Les quatre groupes reprirent ensuite
leurs réunions isolées et reçurent commu-
nication de la délibération de leurs bu-
reaux.
L'extrême gauche décida que M. Clé-
menceau déposerait son interpellation avec
un ordre du jour servant de conclusion,
et dont on trouvera le texte au compte-
rendu de la séance. En même temps, l'ex-
trême gauche s'associa tout entière à une
proposition de mise en accusation dont
MM. Laisant et Salis avaient pris l'initia-
tive.
Les trois autres groupes se bornèrent à
recevoir la communication de leurs pré-
sidents respectifs, se réservant de se dé-
terminer d'après les incidents de la séance
publique. Celle-ci fut trè- courte, comme
on le verra au compte-rendu. Quoique
fixée à deux heures, elle fut retardée jus-
qu'à trois heures pour le président, qui
voulait ainsi permettre aux groupes de se
concerter préalablement et d'aborder la
délibération avec' des résolutions fer-
mes.
Pendant ce temps, les couloirs du palais
Bourbon étaient le théâtre d'une agitation
comme notre histoire parlementaire en
olîre peq d'exemples. Il faut remonter aux
journées du 24 mai 1873 ou du 26 jan-
vier 1882 pour retrouver le souvenir d'un
spectacle pareil. La salle des Pas-Perdus
était encombrée d'anciens députés, de
sénateurs, de fonctionnaires, qui se mê-
laient aux représentants de la presse.
Les abords du palais, su ? le quai, étaient
assiégés par une foule nombreuse avide
de nouvelles et qui rendait l'accès de la
Chamb e très difficile.
A trois heures et demie, c'est-à-dire
après une demi-heure seulement de déli-
bération, la Chambre rendait le vote par
lequel le ministère était renversé.
Immédiatement, les ministres se réunis-
saient dans un bureau et signaient leur
démission, que M. Jules Ferry portait
quelques secondes après à M. Grévy, à
l'Elysée.
La journée s'est complétée par l'élection
de la commission chargée d'examiner la
demande de 200 millions.
La délibération des bureaux a été. fort
courte, le sentiment de la Chambre étant
unanime. Voici les noms des élus dans
l'ordre des bureaux :
M M. Sarrien, Floquet, Develle, Labus-
sière, Maunoury, Jules Roche, de Lanes-
san, Georges P rin, Germain (de l'Ain),
Rameau et Lockroy.
Tous ces membres sans exception sont
d'avis de voter immédiatement tous les
crédits nécessaires pour venir au secours
de notre armée du Tonkin. Il y a sur ce
point unanimité absolue. Il y a également
unanimité pour réserver la question des
autres opérations à engager ultérieure-
ment, jusqu'à ce que le nouveau minis-
tère soit constitué et qu'on puisse délib;-
rer en connaissance de cause, sans em-
piéter sur l'initiative du gouvernement.
C'est sur la nature dees opérations que
les avis sont partagés. M. Georges Perin
propose qu'une fois l'honneur national
vengé par un succès on évacue le Tonkin;
d'autres sont d'avis de porter la lutte sur
un point de la Chine à déterminer, d'ac-
cord avec le gouvernement. C'est cette
question qui demeure réservée ; mais les
crédits et les renforts pour le Tonkin vont
être votés immédiatement.
La commission se réunit aujourd'hui, à
une heure, pour statuer sur cette pre-
mière et urgente question.
DERNIÈRE HEURE
Ainsi que nous le disons plus haut, les
ministres ont remis leur démission à la
suite du vote de la Chambre. Le Journal
officiel doit l'annoncer ce matin par la
note suivante :
« Le président du conseil et les minis-
» très ont remis leur démission entre les
» mains de M. le président de la Répu-
» blique, qui l'a acceptée.
» Les ministres demeurent chargés de
» l'expédition des affaires courantes jus-
» qu'à la nomination de leurs succès
» seurs. »
M. Jules Ferry est venu à l'Elysée, en
compagnie de M. Waldeck-Rousseau, pour
remettre ses pouvoirs et ceux de ses col
lègues au président de la République. Il
s'est entretenu pendant trois quarts
d'heure avec M. Grévy.
A l'issue de cet entretien, M. Grévy a
fait appeler M. Henri Brisson et lui a of-
fert la mission de former le nouveau ca-
binet.
Le président de la Chambre a décliné
cette offre en déclarant qu'il ne croyait
pas pouvoir se charger de composer un
ministère.
Le président de la République a fait
alors appeler M. de Freycinet, qui s'est
rendu à l'Elysée à neuf heures du soir.
M. de Freycinet, à qui la mission de
former le cabinet a été offerte, l'a accep-
tée, mais non encore officiellement. Il a
demandé un délai de vingt-quatre heures
avant de donner une réponse ferme, afin
de pouvoir conférer avec les membres
qu'il jugerait pouvoir être ses collabora-
teurs. Mais on considère comme certain
qu'il acceptera définitivement la tâche de
constituer le cabinet.
Aucune combinaison n'est encore arrê-
tée et toutes les listes qui ont été publiées
dès hier soir ou qui pourraient l'être ce
matin sont de pures fantaisies.
Tout ce que l'on peut dire de certain,
c'est que M. de Freycinet a l'intention de
former un cabinet d'union des gauches
dans lequel tous les groupes de la majo-
rité républicaine auraient des représen-
tants, goit dans des postes de ministres.
soit dans des postes de sous-secrétaires
d'Etat.
L'union républicaine a, paraît-il, pro-
mis son concours au nouveau cabinet, par
l'organe de ses principaux représentants
Deux au moins des ministres actuels, et
peut-être trois, seraient invités à rester
dans la combinaison, mais probablement
avec d'autres portefeuilles que ceux qu'ils
détiennent actuellement; ce sont MM.
Fallières, Rouvier et Raynal.
Pour les autres postes ministériels, on
parle de MM. Spuller, Sarrien, Sadi-Car-
not, etc.
On parle également de MM. de Lanes-
san et Granet pour des postes de sous-se-
crétaires d'Etat.
Si la combinaison réussit, on croit
qu'elle sera arrêtée dans la journée d'au-
jourd'hui; et, si c'est possible, on l'an-
noncera aux Chambres au cours de la
séance, vu l'urgence des événements.
Les anciens ministres se réunissent ce
matin en conseil de cabinet aux affaires
étrangères, sous la présidence de M. Ferry
pour expédier les affaires et continuer à
prendre toutes les mesures que commande
la situation en dehors des décisions plus
générales et plus graves que le nouveau
cabinet sera appelé à arrêter.
Nous disions l'autre jour que ce n'était
pas le ministère Ferry qui avait commencé
la guerre, mais que sa responsabilité
datait du jour où, inquièle des con-
séquences que pouvait avoir pour elle la
trahison de Bac-Lé, la Chine lui avait of-
fert des conditions acceptables et où il les
avait repoussées.
Ce n'est pas la première fois que l'af-
faire aurait pu s'arranger.
Elle aurait été arrangée dès 1883 si l'on
n'avait pas déchiré le traité Bourrée. Les
avertissements n'avaient pourtant pas
manqué. Le 17 mars 1883, M. Bourrée
adressait de Sanghaï la dépêche suivante
au ministre des affaires étrangères d'a-
lors, M. Challemel-Lacour :
le souhaite vivement que l'événement me
donne tort, monsieur le ministre, mais je
ne puis me défendre d'éprouver les plus vivet
appréhensions, quand je vois ce qui se fait et
ce qui se prépare autour de moi ici ; quand,
supputant les chances d'un conflit qui me
parait devenu, inévitable, je cherche à mettre
en balance ce qu'il nous coûtera et les avan-
tages que nous sommes appelés à en retirer.
Le gouvernement chinois ne perd d'ailleura
pas de temps pour s'assurer la possession
d'un gage utile à tout événement, car, si je
suis bien renseigné, et je crois l'être, l'ordre
va être donné (s'il ne l'est déjà) aux troupes
impériales de rentrer au Tonkin et de repren-
dre les positions qu'elles y occupaient au mois
le décembre dernier. Nous allons donc avoir à
les déloger tout-d'abord. C'est la guerre. Et, en
admet ant que les opérations se localisent dans
les districts septentrionaux de l'Annam, il faut
s'attendre à avoir de ce côté sur les bras dos
masses considérables que nous pénétrerons fa-
cilement, mais qui tiendront tout le pays, en-
veloppant nos colonnes et entravant leurs
uouvements. Il est permis de compter tout
d'abord sur de faciles succès. Mais la latte
prendra un caractère plus sérieux, à mesure
que des contingents exercés arriveront du Nord,
pourvus d'armes à tir rapide et d'une excel-
lente artillerie.
Cette guerre, qu'on le remarque bien, n'ex-
posera la Chine à aucun revers décisif, puis-
qu'il ne saurait entrer dans notre esprit d'at-
taquer désormais les formidables ouvrages
qui couvrent Pékin. Elle pourra donc se pro-
longer indétiniment, en nous imposant des
sacritices de plus en plus lourds, et, quand
nous voudrons en finir, et nous composer par
uu traité indispensable une sécurité quelcon-
que dans la vallée du fleuve Rouge, nous nous
retrouverons en présence des difficultés
mêmes que je signale aujourd'hui et qu'il est
plus facile de nier que de supprimer. - -
Alors, le maximum de ce que nous pourrions
obtenir du gouvernement chinois serait pré-
cisément ce qu'il nous offrait hier encore
dans le projet d'arrangement que je tous ai
soumis, et dont il voudra, à ce moment, nous
faire payer cher les avantages.
.———————— ————————
LES FONDS SECRETS
Dans les indiscrétions si intéressantes
que M. Andrieux croit devoir publier dans
son journal, allusion a été faite au cas
d'un député, M. Joseph Fabre, dont l'é-
lection aurait été tout entière payée par
les fonds secrets. Cette nouvelle avait sur-
pris les amis, et ils sont nombreux, de
l'honorable député; aussi ont-ils lu avec
une satisfaction très vive l'explication
qu'il a immédiatement adressée à la L gue.
Voici en deux mots l'histoire de M. Fabre,
et aux détails qu'il a donnés lui-même j'en
ajouterai quelques-uns que la modestie
lui ordonnait de cacher.
M. Fabre est un homme de beaucoup de
talent, qui n'a aucune espèce de fortune;
ce phénomène se rencontre encore quel-
quefois. Ses parents étaient concierges au
lycée de Rodez ; l'enfatitétait intelligent,
l'administration lui fit avoir une demi-
bourse. Il fut reçu brillamment à son bac-
calauréat, puis à sa licence, et parvint,
sans avoir passé par l'école, à l'agrégation
Feuilleton du RAPPEL
DU 1er AVRIL
81
LE
SANG BLEU
TROISIÈME" PARTIB
III (suite)
Pour le maire comme pour La Sene-
vière, il n'y avait pas de doute possible :
l'homme qui avait passé là était Feulard.
Le maire jeta à La Senevière un regard
inquiet sur l'expression duquel il n'y avait
pas à se tromper. « Faut-il nommer Feu-
lard? Quel malheur pour ma commune f »
« Faut-il nommer Feulard? » était aussi
le mot qui s'était imposé à La Senevière ;
devait-il le charger de façon à rendre !us-
(Traduction interdite; reproduction auto.
risée pour les journaux qui ont un traité avec
la Société des gens de lettres, mais après la
On de la publication en feuilleton dans le
Rappel.)
Voie le Uavvel du 2 janvier au Il mars*
pect tout, témoignage que celui-ci pour-
rait porter plus tard ; au contraire, ne de-
vait-il pas l'innocenter et par là se le
gagner pour le cas où le vieux braconnier
aurait reconnu celui qui avait tiré? Le
malheur était que le temps manquait
pour examiner ces questions si graves et
décider le parti à prendre. A la vérité, le
maire et lui ne seraient pas seuls à voir
ces empreintes, d'autres les reconnaî-
traient qui n'auraient pas de raisons pour
se taire ; le mieux était donc de parler et
de prendre les devants; ce qu'il fit.
— Ces empreintes sont sans doute celles
d'un ancien garde de M. Guillaumanche
appelé Feulard, qui boîte et se sert d'un
bâton pour marcher; mais comme Feu-
lard était chargé de nourrir et de soigner
it'-- appelants, il est tout naturel qu'il ait
laissé es traces de son passage sur les
bords de Ces étangs; nous en trouverons
bien d'autres ; au reste, c'est un brave
homme incapable d'un crime, M. le maire
vous l'affirmera comme moi.
— Certainement, répondit le maire avec
une certaine hésitation, c'est un habitant
de ma commune.
— Veuillez, monsieur le maire, faire
rechercher ce Feulard, dit le juge d'ins-
truction, et qu'on l'amène au château;
qu'on amène aussi le nommé Papillon.
Il fut facile de suivre le chemin qu'avait
pris Feulard en sortant des roseaux ; au
lieu de venir à la route qui, des étangs
conduit au village, il s'était enfoncé sous
bois dans un fourré sans issue, où bien-
tôt on perdit sa piste dans les feuilles
sèches. Alors, on revint aux bords de
l'étang, et, comme l'avait annoncé La
Senevière, les trous faits dans le gazon ou
dans la tourbe par le bâton de Feulard
apparurent à chaque pas.
Pendant que le juge d'instruction fai-
sait ces constatations, le procureur de la
République s'entretenait avec La Sene-
vière : Quel homme charmant, que ce
comte de La Senevière!
Quand on rentra au château, Papillon
était arrivé, mais Feulard ne l'était pas
encore.
Tout de suite; M. Legrain procéda à
l'interrogatoire de Papillon.
- Vous vous appelez Papillon, vous
avez été condamné pour vol avec effrac-
tion à cinq ans de prison.
— J'ai été reconnu innocent.
— Je vous demande si oui ou non vous
avez été condamné.
- Je l'ai été, mais.
- Cela suffit. Autre chose. Où étiez-
vous hier à neuf heures du soir?
— Dans le fond du Chêne.
— Que faisiez-vous là?
— Je suis charbonnier; je surveillais
mes meules.
- Vous étiez seul?
— J'avais deux de mes gaoçpns avec
moi. ,.
— Ah r ah! deux de vos garçons r Vous
n'avez pas d'autres témoins qui puissent
attester que vous surveilliez vos meules à
neuf heures du soir.
Papillon se troubla.
— Répondez donc. Allons, répondez.
— A neuf heures, à neuf heures? bal-
butia Papillon, je n'avais pas de montre
dans la main.
— Voulez-vous que je change ma ques-
tion. Ou étiez-vous un quart d'heure après
le coucher de la lune?
— A surveiller mes meules.
— Avec vos deux garçons, c'est en-
tendu.
Cette fois, Papillon ne se troubla plus.
— C'est justement à ce moment que Le-
dieu et Sellier, qui venaient de Bézu,
m'ont demandé d'où partaient trois coups
de fusil que nous venions d'entendre,
ceux qui ont tué ce pauvre M. Guillau-
manche.
Le juge d'instruction nota les noms qui
venaient de lui être donnés et déclara à
Papillon qu'il devrait rester à sa disposi-
tion Jusqu"à ce que Ledieu et Sellier eus-
sent confirmé son allégation; on l'enfer-
merait dans une pièce où il ne cpnamuni-
querait avec personne.
Papillon voulut demander de quoi oZ?
l'accusait, mais la peur le paralysa ; ce
n'était pas la première fois qu'on l'accu-
sait sans qu'il eût rien fait, et il savait par
expérience qu'il était inutile de se dé-
fendre.
Pendant cet interrogatoire, Feulard
était arrivé et on l'avait introduit dans le
salon où le procureur se tenait avec La
Senevière. Il avait fait une entrée timide
et embarrassée que la présence de La Sa-
nevière n'avait pas rassurée.
— C'est vous, Feulard? demanda M.
Baticle en le regardant s'avancer en boi-
tant tout bas, plus bas même que de cou-
tume, et en s'appuyant à deux mains sur
son bâton.
— Oui, messieurs, répondit Feulard, en
jetant un coup d'œil furtif du côté de La
Senevière.
— Où étiez-vous hier soir, à neuf
heures?
C'était le moment décisif. La Senevière
n'eut pas la force de tenir ses yeux fixés
sur Feulard.
— A neuf heures, à neuf heures du
soir? demanda Feulard.
— Oui, à neuf heures du soir.
- Dame, je pense que j'étais chez
moi.
— Vous pensez. Pouvez-vous le prou-
ver?
Il prit un air innocent :
— Le prouver?
t - Quelqu'un vous a-t-il vu?
— Queuqu'un; ben sûr, il y a Chaigneux
qui 3 a causai, rapport à sa vache qui
vêlait.
- A quelle heure ?
— A hiTtt heures, à neuf heures, à dix
heures.
Le cœur de LSenevière se desserra.
- Vous voyez, b"écria-t-il, je vous avais
bien dit, monsieur le procureur de la R6-1
publique, que Feulard était un brave
homme; envoyez chercher Chaigneux, il
ne faut pas que le soupçon pèse plus long-
temps sur ce brave Feularri.
— Le soupçon sur mé, et de quoi qu'on
pourrait me soupçonner? Monsieur le
comte me connaît bien.
Chaigneux, qu'un « gendarme alla cher-
cher, attesta en effet que sa vache avait
vêlé la veille au soir; il le jura même,
seulement il fut plus difficile de lui faire
dire qu'il avait causé à Feulard à neuf
heures du soir; dans la soirée, oui pour
sûr; enfin, pressé par Feulard et par La
Senevière, il avait fini par se rappeler que
c'était au coucher de la lune.
Sellier et Ledieu avaient été plus affir-
matifs; au moment où les trois coups de
feu partaient, ils parlaient avec Papillon
et ses deux garçons au fond du Chêne.
Les autres gens qu'on pouvait soup-
çonner de vengeance fournirent aussi des
alibis; seuls, deux braconniers condamnés
pour délits de chasse ne purent pas don-
ner l'emploi de leur soirée d'une façon
satisfaisante, mais ce n'étaient pas de
méchantes gens et les charges contre eux
étaient des plus légères.
HECTOR MALOT.
(A iuivre.)
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