Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-02-18
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 18 février 1885 18 février 1885
Description : 1885/02/18 (N5458). 1885/02/18 (N5458).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/12/2012
r t-l' 5458 Jffercreciî 18 février 1885 lie numéro : lOc. — Départements : ©• '- 30 pluviôse an 93 — N* 5458
JUDMINISTEATION"
4.8, RUE DE VALOIS, 4S
-
ABONNEMENTS
TATIS
Broïsmots. 10 »
Sixmois.20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois. 13 50
Siamois. 27 a
Abesser lettres et mandats
A M. ERNEST LEFEVRk
ADMCÎISTRATETTRGÉKAMX
3L JE Hi c^i JP ]P JE
REDACTION
tMcesser au Secrétaire 3e la RéJacnon,
lJe fe à 6 heures dit soit,
48, HUE DE VALOIS, 15
les manuscrits noninséres ne seront pas rencma
ANNONCES
h. Ch. IAGRANGE, CERF et CO
6, }ace de la Bourse, 6
LA DATE DES FUTURES ÉLECTIONS
Dans l'automne de l'année 1881, la
situation parlementaire de la France
était singulière. Il y avait une Chambre
des députés dont les pouvoirs expire-
raient le 28 octobre, et il y avait une
autrhambre des députés élue depuis
le 20 août.
Il est vrai qu'aucune des deux ne
siégeait. On avait clos la session de la
vieille avant l'élection de la jeune et on
ne devait la rappeler que pour signer
son acte de décès le jour où la jeune
viendrait prendre sa place. De sorte
qu'on avait deux Chambres des députés
-- et qu'on n'en avait pas une.
Cette combinaison bizarre aurait pu
produire un cas embarrassant. Suppo-
sez qu'entre le 20 août et le 28 octobre
M. Jules Grévy fut mort ou eût donné
sa démission. Il aurait fallu réunir im-
médiatement le Congrès pour choisir
un autre président de la Républi-
que. Laquelle des deux Chambres
des députés .aurait-on dû adjoindre
au Sénat : celle qui n'existait plus
moralement ou celle qui n'existait
pas encore matériellement? Ou bien
les aurait-on convoquées toutes les
deux ?
- On n'a pas eu cet embarras, M. Grévy
n'est pas mort. Il n'a pas non plus fait
comme ses deux prédécesseurs, qui se
sont retirés, M. Thiers par colère et
M. de Mac-Mahon par découragement.
M. Grévy s'est jadis démis de la prési-
dence de la Chambre, mais il n'a pas
éprouvé le besoin de renoncer à la pré-
sidence de la République. La coexi-
stence de deux Chambres des députés
n'a pas eu l'inconvénient qu'elle aurait
pu avoir.
C'est pourquoi un certain nombre de
personnes voient dans cette coexis-
tence la solution de la question du
scrutin de liste.
La principale cause de la répugnance
de la Chambre à voter dès à présent
le scrutin de liste, c'est la crainte que
ce vote ne soit son arrêt de mort. Elle
sent très bien la difficulté qu'il y aura
pour une Chambre issue du scrutin
d'arrondissement à survivre à la con-
damnation du scrutin d'arrondissement
par elle-même. Elle n'aura pas plus tôt
dit : Scrutin de liste, qu'elle entendra
ce cri universel: Elections! Eh bien,
pourquoi ne pas faire en 1885 ce qui
s'est fait en 1881 ? Pourquoi la nomina-
tion d'une nouvelle Chambre suppri-
merait-elle à l'ancienne les huit mois
ju'il lui reste à vivre?
Ceux qui proposent cet aimable
moyen de donner satisfaction au cri
public sans retrancher aux jhxmorabîes
notes du palais Bourbon un jour de
leur mandat ni un sou de leurs appoin-
tements ne s'aperçoivent pas que le
moment n'est plus le même. En 1881,
On était à la fin d'août quand on a pu
faire les élections sans défaire la vieille
Chambre, et nous sommes au milieu
de février. En août, le Parlement est
en vacances : qu'il y ait une Chambre,
qu'il y en ait deux, qu'il n'y en ait pas du
tout, ça ne faitpas une énorme différence.
Mais il est impossible de laisser le pays
sans Parlement de février en octobre.
D'où il suit que la solution parla simulta-
néité de deux Chambres des députés
ferait rire de ceux qui en parleraient
sérieusement.
Mais alors comment obtenir de la
Chambre actuelle le vote immédiat du
scrutin de liste ? car elle résistera à
l'accorder si elle croit qu'elle y perdra
une semaine de ses pouvoirs ou de son
traitement.
Rien de plus simple, dit un journal
du centre-gauche. « La Chambre peut,
par la rédaction même du projet qu'elle
adoptera, se garantir contre toute sur-
prise. Rien he l'empêche de déterminer
pour l'avenir le moment précis des élec-
tions législatives. Il est très aisé de
décider que les électeurs sont convo-
qués de plein droit pour le dimanche
qui précèdera l'expiration d'une période
pleine de quatre ans comptée à partir
du jour de l'élection de la Chambre en
fonctions. » C'est très aisé sans doute ;
mais que devient le droit de dissolu-
tion que la Constitution donne au pré-
sident de la République?
Oh ! M. Grévy n'en usera jamais !
Soit, mais M. Grévy n'est pas éternel.
Bah! il durera toujours jusqu'au 28 oc-
tobre. Nous comptons bien qu'il durera
au delà. Donc, la Chambre peut être
tranquille quant à elle, et ce n'est pas
des Chambres futures qu'elle se soucie.
Et puis, dit la République française,
ne compliquons pas les choses ; ne
confondons pas les questions ; à chaque
jour sa peine; c'est assez pour aujour-
d'hui de vider la grosse affaire du scru-
tin; no,us, viderons le reste plus tard.
Faisons notre scrutin et laissons faire aux dieux!
Les dieui, ce sont MM. Jules Ferry,
Waldeck-Rousseau, Rouvier, Ranc, etc.
Nous aussi nous sommes pour que
la Chambre s'occupe le plus tôt possible
du mode de scrutin, et nous ne nous
préoccupons que fort médiocrement des
précautions qu'elle prendra ou ne
prendra pas contre l'abréviation de son
temps. Quand la question aura été bien
débattue entre les dieux, les députés,
le président de la République, etc., il y
aura peut-être quelqu'un qui deman-
dera la parole : le pays.
i AUGUSTE VACQCERIE.
■III I I I ■■■■■' I — ———^— I .1 ■ I. I ■ '■ III ■ —."«i
COULISSES DES CHAMBRES
On sait que le gouvernement est con-
voqué pour après-demain jeudi à la com-
mission de la réforme électorale à la
Chambre afin de donner son avis sur cer-
taines questions que cette commission
doit lui poser et lui a communiquées par
l'intermédiaire de son président.
La commission accepte la mise à l'ordre
du jour de la réforme électorale le plus
tôt possible ; mais elle estime que cette
mise à l'ordre du jour ne pourra être
obtenue que si l'on fixe dans le projet
lui-même la date des élections générales
de manière à fournir aux partisans de la
durée intégrale du mandat de la Chambre
une garantie contre l'éventualité d'une
dissolution anticipée.
C'est surtout sur ce point qu'elle désire
connaître l'avis du gouvernement, et c'est
en prévision des déclarations à faire à ce
sujet que le conseil des ministres s'est
réuni hier exceptionnellement.
D'après ce que l'on dit, le conseil n'au-
rait pas encore arrêté définitivement ses
résolutions au sujet de cette question. Il
persiste à réclamer une prompte discus-
sion du scrutin de liste pour deux rai-
sons : d'abord pour que le pays soit fixé
une fois pour toutes sur le nouveau mode
éloctoral et puisse s'organiser en consé-
quence, et ensuite pour que l'on puisse
prononcer l'interdiction des élections par-
tielles jusqu'au renouvellement intégral
de la Chambre.
Quant à la question de l'époque de la
séparation de la Chambre, le sentiment
du gouvernement n'est pas douteux. A
plusieurs reprises déjà nous l'avons indi-
qué; le ministère ne demanderait pas
mieux que les élections générales se fis-
sent le plus tôt possible. Quant au moyen
par lequel ce résultat pourrait être ob-
tenu, on ne voit guère celui qui pourrait
être suivi.
Le seul moyen légal est celui de la dis-
solution; mais on sait, à n'en pas douter,
que le président de la République est ré-
solu à n'y pas recourir et que ses minis-
tres sont également résolus à ne pas lui
demander d'exercer celte prérogative
constitutionnelle, à moins que la Chambre
— ce qui parait très improbable — ne l'en
sollicit3 elle-même.
Si d'autre part on se déterminait à ins-
crire dans le projet de scrutin de liste une
date pour les renouvellements successifs
de la Chambre, il faudrait, pour que cette
disposition n'écartât pas cette année la
possibilité d'élections assez prochaines,
que la date choisie ne fût pas trop éloi-
gnée. Si l'on fixait, en effet, par un arti-
cle organique à fin septembre ou au com-
mencement d'octobre, comme la commis-
sion le propose, la date des renouvelle-
ments de la Chambre-tous les quatre ans,
on s'interdirait par là même de faire cette
année les élections, à une date plus rap-
prochée.
Nous ignorons ce que le gouvernement
a décidé hier à ce sujet ; mais son opinion
connue antérieurement ferait douter qu'il
consentît à une disposition de ce genre.
A c tte question se rattache directement
celle de la manière de fixer les limites lé-
gales du mandat de la Chambre.
Cette question est très controversée;
nous l'avons signalée déjà et hier encore
nous en rappelions les termes. Il s'agit de
savoir si le mandat de la Chambre com-
mence à courir du jour de l'élection, ou
du jour de l'entrée effective en fonctions.
La loi organique du 30 novembre 1875
se borne à "ire que la Chambre est élue
pour quatre ans. Aucun autre article légis-
latif ou constitutionnel ne vient éclairer
ou compléter celui-là. L'interprétation
peut donc se donner libre carrière.
Si c'est le jour de l'élection qui est le
point de départ de l'existence de la Cham-
bre, il s'ensuit que la Chambre actuelle
élue le 21 août 1881 et définitivement con-
stituée lè 4 septembre de la même année
par les scrutins de ballottage, verrait ses
pouvoirs expirer le 4 septembre 1885.
Il faudrait donc faire les élections en
juillet ou en août pour élire la nouvelle
Chambre afin qu'il n'y ait pas d'interrègne
parlementaire.
Si c'est au contraire le jour de l'entrée
en fonctions qui est le point de départ de
l'existence légale de la Chambre, l'Assem-
blée actuelle a le droit de durer jusqu'au
28 octobre 1885 puisqu'elle n'a commencé
à délibérer que le 28 octobre 1881.
Les adversaires du premier système y
opposent des raisons de fait et des raisons
de droit.
En fait, ils font observer que la Cham-
bre de 1877 a si bien duré jusqu'au 28 oc-
tobre 1881, que les députés non réélus
aux élections générales du 21 août 1881
ont continué à recevoir leur indemnité du
21 août .1881 au 28 octobre suivant, ce
qui n'aurait pu avoir lieu si les élections
générales avaient eu pour effet de les des-
saisir de leur ancien mandat avant le
28 octobre.
En droit, les mêmes adversaires de ce
système font observer que cette interpré-
tation aurait pour résultat de permettre
au pouvoir exécutif d'abréger à son gré la
dernière année d'une législature, en
fixant les élections à une date très antici-
pée, à la seule condition d'observer la
règle constitutionnelle, qui exige que
chaque session ordinaire ait une durée de
einq mois au moins.
Dans la dernière année, le gouverne-
ment, par ce système, pourrait donc, en
fixant les élections générales assez tôt,
supprimer sept mois du mandat de la
Chambre. Celle-ci dès lors n'aurait plus
siégé duraht quatre ans, mais lfuiant
quatre sessions.
Telle est la question qui se pose et que
la commission du scrutin de liste et, après,
la Chambre vont être appelées à résoudre
d'ici à quelques jours.
La commission , quoique convoquée
jeudi pour entendre le gouvernement, se
réunira d'avance demain pour délibérer
de nouveau. Il s'agit d'examiner si l'on
ne pourrait disjoindre la question de mise
à l'ordre du jour de la loi de celle de la
fixation de la date des élections g énérales.
—o—
L?s ministres des finances et de l'agri-
culture sont convoqués pour demain mer-
credi à la Chambre, à la commission des
tarifs, pour s'expliquer au sujet du contre-
projet que M. Germain a présenté à la
Chambre samedi dernier au cours de la
discussion des droits sur les céréales et
les bestiaux.
Les deux ministres repoussent cet amen-
dement, M. Méline, parce qu'il le déclare
inefficace pour l'agriculture, et M. Tirard
parce qu'il compromettrait notre situation
financière.
On sait que ce contre-projet a pour ob-
jet d'écarter les droits sur les céréales et
les bestiaux, en supprimant le principal
de l'impôt foncier sur les propriétés non
bâties et en doublant, par contre, les
droits sur l'alcool.
Un fait des plus graves, relatif aux émi-
grés espagnols, a été porté à la connais-
sance de M. Edouard Lockroy. M. Lockroy
en a immédiatement informé M. le pré-
sident du conseil. Il en attend une ré-
ponse. Suivant ce qu'elle sera, il est pos-
sible que l'interpellation dont nous avons
parlé soit avancée de quelques jours.
LA FLOTTE ET L'ARMÉE
Les efforts excessifs imposés, pai
suite de nos entreprises lointaines, à
notre personnel maritime ne sont pas
ignorés de ceux qui prennent quelque
intérêt à ces questions, et ils savent
aussi que le matériel est soumis à de
très rudes épreuves. Nous croyons ce-
pendant que dans le pays, et même
dans les Chambres, le nombre est bien
petit des personnes dont les calculs ap-
proximatifs ne soient pas fort au-des-
s.ous de la vérité. Peut-être aurions-
,nous hésité à parler de cette situation,
dont nous étions informé depuis quel-
que temps, si plusieurs journaux n'en
avaient fait mention." Pour n'en citer
4u'un, voici ce que dit, dans son, der-
nier numéro, l'Avenir des Colonies, à
propos de la création d'un corps spécial
de torpilleurs, qu'il a proposée :
On objectera à notre projet que le nombre
des officiers de vaisseau est déjà insuffisant,
qu'enlever aujourd'hui ces officiers à leur
corps en les spécialisant serait une mesure
inopportune, nous le savons; nous savons que
le ministère de la marine est aux abois, que
les deux eXDéditions de Madagascar et de
Chine mettent sur les dents le personnel na-
viguant, que le matériel naval se consomme
et sera bientôt hors d'état de servir; nous sa-
vons qu'on racole actuellement des officiers
dans les ports, qu'on supprime à terre des
postes nécessaires, qu'on songe à diminuer
le personnel des défenses mobiles qui sont la
sécurité de nos arsenaux, qu'on réduit le per-
sonnel officier des bâtiments,qu'on lui impose
des fatigues surhumaines, qu'on en arrive aux
expédients qui désorganisent et qui sont les
signes précurseurs d'une catastrophe ; nous
savons tout cela et si nous insistons, c'est
parce que nous sentons qu'une réforme du
personnel s'imposera prochainement et que
nous souhaitons qne dans cette réforme
on tienne compte des nécessités que nous
avons indiquées.
En citant ces lignes, le Télégraphe,
qui lui-même plusteurs fois déjà a traité
la question, « croit pouvoir conclure
que, si l'on n'avise pas, nous marchons
rapidement à la ruine de notre flotte ».
Quoi qu'il en soit de cette prédiction,
il paraît certain ique pas un des bâti-
ments engagés dans l'extrême Orient
ne pourra, se passer de longues et coû-
teuses réparations. Soit par suite du
mauvais temps, soit par la nécessité
fréquente d'obtenir des vitesses supé-
rieures aux moyennes prévues par les
constructeurs, tout l'apparèil moteur a
été mis à la plus rude épreuve. Nous
ne voulons pas indiquer de chiffres :
tous ceux que nous donnerions paraî-
traient ridicules d'exagération et ils
sont sans doute au-dessous de la réa"
lité. D'ailleurs si, comme il en est ques-
tion, M. le ministre de la marine doit
être interrogé à ce sujet un jour très
prochain, nous ne croyons pas qu'il
songe à dissimuler la vérité, ni à dé-
guiser l'importance des sacrifices nou-
veaux qu'il devra réclamer au Parle-
ment.
Est-ce comme compensation partielle
à ces dépenses non prévues que, sur le
budget de la guerre, M. le général Le-
wal paraît désireux de réaliser certaines
économies ? Nous ne savons, mais bien
que la réduction des services adminis-
tratifs, dont il semble partisan, ne puisse
équilibrer les dépenses extraordinaires
de la marine, il faut féliciter le général
Lewal de songer à cette réforme.
Il y a déjà plusieurs années qu'elle a
été étudiée avec le plus grand soin dans
un de nos corps d'armée, le 10", si
nous ne nous trompons, et les expé-
riences de cette époque ont dû laisser
quelques traces. La presse militaire en
a parlé, et plus d'une fois d'ailleurs elle
a mis les trop faibles effectifs de nos
régiments en regard des cadres et des
effectifs beaucoup trop complets des
sections d'administration. Sans parler
d'une dépense superflue que l'Allema-
gne ne fait pas, il y a dans cette orga-
nisation une tentation permanente
pour les hommes du contingent de ne
pas servir réellement. Les épaulettes
blanches absorbent le meilleur de la
classe, quand ou ne devrait-recruter ce
corps qu'avec les hommes reconnus
impropres à tout autre service. Si le
général Lewal veut résolûment opérer
cette réforme, il en résultera une éco-
nomie et un surcroit de force pour l'ar-
mée. A ce double titre, son projet mé-
rite d'être appuyé, et peut-être s'il
réussit, cessera-t-on de voir dans
nos hôpitaux militaires plus d'infir-
miers que de malades.
A. GAULIER.
— « ■—» - ■ ■ ■!!■■■■■■ i m
LA PRISE DE LANG-SON
Il semble qu'une véritable course au
clocher soit engagée à cette heure entre
les grandes puissances. Les Russes mar-
chent sur Hérat, les Anglais sur Berber,
les Italiens ont l'air de projeter quelque
chose du çôté de Souakim. Toujours est-
ai que nous venons d'arriver bons premiers
dans ce steeple-chase international. De-
puis le 13 février, à midi, le drapeau tri-
colore flotte sur la citadelle de Lang-Son.
Ce brillant fait d'armes achève la con-
quête du Tonkin; il nous met en posses-
sion des territoires dont le traité de Tien-
Tsin nous faisait les maîtres sur le papier.
Le guet-apens de Bac-Lé est vengé, la per-
fidie chinoise est punie. Espérons que
cette victoire sera la dernière, et que, sa-
tisfaits de ce que nous avons, nous senti-
rons le besoin de nous arrêter dans une
voie glorieuse sans doute, mais qui n'est
pas sans périls.
Ce n'est pas qu'il faille compter, je crois,
sur un retour de la Chine. Le Tsung-Ii.
Yamen ne se fait évidemment aucune illn.
sion sur l'issue définitive de la campagne,
non plus que sur la valeur de ses troupes
et la compétence de ses généraux. Un
homme comme Li-Hung-Chang n'est ni un
ignorant ni un imbécille, et si déchu qu'on
le suppose de sa faveur passée, il a en-
core assez d'autorité en haut lieu pour
faire entendre de sages avis. Mais la Chine,
suivant l'expression même de ses manda-
taires, a « à sauver sa face ». Elle peut
difficilement inscrire dans un instrument
diplomatique l'abandon de titres qu'elle
n'a jamais songé, d'ailleurs, à faire valoir
sérieusement.
Un de nos confrères le disait très juste
ment ; il en est du Céleste-Empire comme
de la Curie romaine ; ici et là la forme
l'emporte sur le fond. Si on n'avait pas fait
la faute d'appeler l'attention de la Chine
sur un pays dont elle avait fait son deuil
depuis plus de deux siècles, si on ne lui
avait pas demandé une renonciation écrite et
formelle, il est probable qu'elle aurait pris
son parti des faits accomplis. L'empereur
eût continué à comprendre le Tonkin
parmi les dépendances de sa couronne ;
qu'importe ? La reine Victoria n'est-ejle.
pas reine de France et de quelques. autFes
lieux?
Nous avons eu la mauvaise idée de trai-
ter avec la Chine qui, diplomatiquement,
sinon militairement, était « une quantité
négligeable». Le traité de Tien-Tsin a
amené l'incident de Bac-Lé et par suite la
diversion sur Formose. Ne ne nous lais-
sons pas jouer une seconde fois, et, puis-
que notre objectif est atteint, dépêchons-
nous, le plus tôt qu'il sera possible, de
rentrer chez nous.
FRÉDÉRIC MONTARGIS.
Dépêches de Londres :
Londres, 16 février.
Deux mille individus sans travail se sont
réunie, cette après-midi, dans Downing-Street,
pour faire une démonstration pendant la
séance du cabinet. Les entrées des bureaux
ministériels étaient gardées par un grand
nombre de policemeu.
La foule n'était pas encore dispersée à cinq
heures.
Londres, 16 février, soir.
La foule qui s'était i assemblée dans Downing-
Street a causé quelques désordres, mais la
police a pu la disperser sans difficulté.
Ce n'est donc pas seulement en Répu-
blique qu'il y a des ouvriers sans travail,
et la monarchie ne garantit donc pas du
chômage et de la misère.
Les deux prévenus Cunningham et Bur-
ton, accusés de complicité dans les tenta-
tives d'explosion par la dynamite, qui ont
eu lieu à Londres, ont comparu de nou-
veau devant le magistrat de Bow-Street.
Un nouveau témoin a déclaré avoir vu
Cunningham et deux autres individus dans
un coupé du chemin de fer métropolitain,
quelques minutes avant l'explosion du mois
de janvier. Le témoin voulait entrer dans
le coupé, mais Cunningham et ses compa-
gnons l'en empêchèrent.
Le conducteur du train a déclaré éga-
lement avoir vu Cunningham dans le train
d'où la matière explosible a été jetée.
.——=———— cb ——————
LES ON-DIT
M. Henri Prévost, maire du 6e arrondis-
sement de Paris, vient de mourir subite-
ment dans son domicile de la rue de Vau-
girard, 55. Il avait bravement combattu
pendant le siège de Paris, et avait été
décoré pour sa belie conduite. Il ayait fait
partie des comités républicains oendant
l'ordre moral.
Feuilleton du RAPPEL
DU 18 FÉVRIER
45
LE
SANG BLEU
DEUXIEME PARTIE
rv
:'-
Il fut bientôt de règle que « le brave
Juste » vînt tous les jours à la Senevière ;
quand ce n'était pas pour déjeuner Ou
ilinlr sur une invitation de Gv»lïaumanche,
s'était pour jouer à VeCarté avec Mme de
Colbosc.
Penda vingt-cinq années, un des plus
-
(Traduction interdite; reproduction auto-
risée pour les journaux qui ont un traité avec
la Société des gens de lettres, mais après la
~Bn de la publication en feuUletoa dans le
Voir le du 2 janvier au 17 février. -
durs sacrifices de celle-ci avait été de re-
noncer aux cartes qu'elle aimait passion-
nément; mais comment s'exposer à perdre
l'argent qu'elle n'avait pas, ou comment
avouer sa détresse en ne jouant pas de
l'argent. Elle avait donc renoncé au jeu.
Mais depuis le mariage d'Hériberte, elle
avait eu la joie de le reprendre, et les car-
tes creusaient tous les mois une assez
grosse brèche à sa pension sans qu'elle s'en
plaignît, car en belle joueuse qu'elle était,
elle faisait passer le plaisir du jeu avant celui
du gain. En quittant Condé pour la Se-
nevière, elle avait cru que pendant son
séjour chez sa fille elle n'aurait guère l'oc-
casion d'entendre le aic-aac des cartes :
Hériberte n'avait jamais voulu jouer;
Guillaumanche faisait profession de mé-
priser le jeu ; d'ailleurs l'eût-il aimé
qu'elle ne se fût jamais abaissée à accep-
ter pour partenaire un homme cumme
lui; c'eût été déshonorer les cartes. Elle
était donc arrivée résignée à cette priva-
tion, ne comptant que sur quelques ha-
sards heureux qui lui apporteraient de
temps en temps peut-être une Moirée de
whist.
s JJais l'assiduité « d»^ brave Juste » à la
Senevière avait "JJangé complètement la
situation : il aimait les cartes, « le brave
Juste x. , aU moins autant qu'elle les ai-
m~ elle-même, et bien qu'on ne devinât
i Das où il pourrait dénicher son enjeu, il
s'était très gracieusement offert le jour où
elle avait manifesté le regret de n'avoir
personne pour lui faire vis-à-vis. Et il
avait déiiiché cet enjeu, modeste il est
vrai, mais d'autant plus suffisant qu'il
avait constamment gagné,sinon toutes les
parties, ce qui eût été par trop extraordi-
naire en même temps que par trop décou-
rageant, au moins de façon à ne se retirer
jamais sans un certain bénéfice.
Tous les jours Mme de Colbosc avait
donc la joie de s'asseoir devant un tapis
vert après son déjeuner et de donner des
cartes au comte de la Senevière ou de lui
en refuser. Pendant que les autres avaient
la niaiserie de se fatiguer en d'inutiles
promenades, brûlés par le soleil, aveuglés
par la lumière, elle s'installait dans une
pièce à l'ombre, et les fenêtres ouvertes,
respirant l'air frais qu'apportait la brise,
regardant au loin le rayonnement de la
chaleur sur les chaumes et sur les blés
encore debout, elle abattait tranquille-
ment ses cartes; le silence n'était troublé
que par les quelques mots sacramentels
qu'ils échangeaient de temps en temps :
« En donnez-vous? Combien?—Le roi. »
— Le brave Juste ! disait-elle en racon-
tant ses malheurs ; ce que c'est que è,étre
né ; où trouverait-on un jeusè homme
qui viendrait s'enfermer tous les jours
avec une vieille femme, ailleurs que dans
notre monde?
Il est vrai qu'elle ajoutait aussitôt :
— Sans doute il aime les cartes et c'é-
tait pour lui une dure pénitence que d'en
être privé.
Quoiqu'il aimât réellement les cartes,
comme le disait Mme de Colbosc, et quoi-
que le bénéfice avec lequel il se retirait
chaque jour arrivât à propos pour sa dé-
tresse, il n'aurait certes pas été aussi
assidu « le brave Juste », s'il n'avait eu
pour l'attirer que les charmes de la con-
versation de la marquise et les tenta-
tions d'un éternel écarté avec une vieille
femme. -
Mais il y avait une jeune femme à la
Senevière, et celle-là avait fait travailler
son imagination.
Elle n'était vraiment pas mal cette voi-
sine ! Assurément il avait aimé mieux que
ça, des femmes de plus de chic, qui avaient
une autre désinvolture, plus de brillant,
plus d'éclat mondain et qui par leur situa-
tion, leurs relations pouvaient faire hon-
neur à leur amant; mais à la campagne il
ne fallait pas être trop difficile et dans tous
les cas elle valait mieux que les paysannes
après lesquelles il courait et qu'il n'attra-
pait pas toujours d'ailiers.
Qu'il n'attrapât point celle-là, la pensée
ne lui en éVîA't même pas venue; elle n'é-
tait peiili une de ces vulgaires paysannes
ignorantes ou sottes ;, mieux que personne
elle savait ce qu'il était, ce qu'il valait ; et
dans les hommes qu'elle recevait elle n'en
trouverait point qui, comme lui, fût son
égal par la naissance. Ne semblait-il pas
qu'ils eussent été faits l'un pour l'autre;
dans leur voisinage n'y avait-il pas comme
une sorte de prédestination ?
Une autre pensée encore qui ne lui était
pas venue davantage lorsqu'il avait com-
mencé à s'occuper d'elle, c'était qu'elle
pût aimer son mari.
Guillaumanche!
Le nom disait tout : ce parvenu, ce ba-
lourd, ce fils de paysan, ce député!
D'ailleurs, qu'une femme aimât son
mari, il ne croyait pas à cela, ce serait
ridicule, et par sa naissance Hériberte
était à l'abri du ridicule. A la vérité, elle
l'avait épousé ce mari. Mais au lieu de
l'en blâmer, il l'en estimait. Ce mariage
était celui d'une fille avisée, elle avait dû
compter sur des compensations au sacri-
fice qu'elle s'imposait en devenant Mme
Guillaumanche. Il lui en offrirait quelques-
unes.
C'était l'année précédente qu'il avait
ainsi arrangé les choses au moment où,
pour la première fois, Mme Guillaumanche
était venue habiter la Senevière. Il met-
trait à profit la saison qu'elle allait passer
à la campagne, à s'ennuyer, à se dépiter
auprès de ce mari ridicule.
Malheureusement cette .saison avait été
trop courte pour qu'il pût mettre son plan
à exécution ; au lieu de quelques mois sur
lesquels il comptait, il n'avait eu que
quelques semaines, Guillaumanche ayant
voyagé avec sa femme et sa fille pendant
presque tout l'été ; et ce n'était pas en
quelques semaines qu'il pouvait trouver
les occasions favorables qu'il lui fallait.
Mais l'arrivée de Mme de Colbosc l'an-
née suivante avait complètement changé
les mauvaises conditions de l'année pré-
cédente : au lieu d'un séjour de quelques
semaines, Guillaumanche devait rester à
la Senevière jusqu'au commencement de
novembre; au lieu d'être invité deux ou
trois fois, il le serait presque chaque jour,
les occasions favorables ne lui manque-
raient donc pas, car lorsqu'il ne déjeunait
pas au château, il y dînait; il n'allait
Certes pas se conduire en vulgaire parasite
qui ne vient dans une maison que pour
s'asseoir à la table de la salle à mange.
HECTOR MALOT.
(À MfOMj
JUDMINISTEATION"
4.8, RUE DE VALOIS, 4S
-
ABONNEMENTS
TATIS
Broïsmots. 10 »
Sixmois.20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois. 13 50
Siamois. 27 a
Abesser lettres et mandats
A M. ERNEST LEFEVRk
ADMCÎISTRATETTRGÉKAMX
3L JE Hi c^i JP ]P JE
REDACTION
tMcesser au Secrétaire 3e la RéJacnon,
lJe fe à 6 heures dit soit,
48, HUE DE VALOIS, 15
les manuscrits noninséres ne seront pas rencma
ANNONCES
h. Ch. IAGRANGE, CERF et CO
6, }ace de la Bourse, 6
LA DATE DES FUTURES ÉLECTIONS
Dans l'automne de l'année 1881, la
situation parlementaire de la France
était singulière. Il y avait une Chambre
des députés dont les pouvoirs expire-
raient le 28 octobre, et il y avait une
autrhambre des députés élue depuis
le 20 août.
Il est vrai qu'aucune des deux ne
siégeait. On avait clos la session de la
vieille avant l'élection de la jeune et on
ne devait la rappeler que pour signer
son acte de décès le jour où la jeune
viendrait prendre sa place. De sorte
qu'on avait deux Chambres des députés
-- et qu'on n'en avait pas une.
Cette combinaison bizarre aurait pu
produire un cas embarrassant. Suppo-
sez qu'entre le 20 août et le 28 octobre
M. Jules Grévy fut mort ou eût donné
sa démission. Il aurait fallu réunir im-
médiatement le Congrès pour choisir
un autre président de la Républi-
que. Laquelle des deux Chambres
des députés .aurait-on dû adjoindre
au Sénat : celle qui n'existait plus
moralement ou celle qui n'existait
pas encore matériellement? Ou bien
les aurait-on convoquées toutes les
deux ?
- On n'a pas eu cet embarras, M. Grévy
n'est pas mort. Il n'a pas non plus fait
comme ses deux prédécesseurs, qui se
sont retirés, M. Thiers par colère et
M. de Mac-Mahon par découragement.
M. Grévy s'est jadis démis de la prési-
dence de la Chambre, mais il n'a pas
éprouvé le besoin de renoncer à la pré-
sidence de la République. La coexi-
stence de deux Chambres des députés
n'a pas eu l'inconvénient qu'elle aurait
pu avoir.
C'est pourquoi un certain nombre de
personnes voient dans cette coexis-
tence la solution de la question du
scrutin de liste.
La principale cause de la répugnance
de la Chambre à voter dès à présent
le scrutin de liste, c'est la crainte que
ce vote ne soit son arrêt de mort. Elle
sent très bien la difficulté qu'il y aura
pour une Chambre issue du scrutin
d'arrondissement à survivre à la con-
damnation du scrutin d'arrondissement
par elle-même. Elle n'aura pas plus tôt
dit : Scrutin de liste, qu'elle entendra
ce cri universel: Elections! Eh bien,
pourquoi ne pas faire en 1885 ce qui
s'est fait en 1881 ? Pourquoi la nomina-
tion d'une nouvelle Chambre suppri-
merait-elle à l'ancienne les huit mois
ju'il lui reste à vivre?
Ceux qui proposent cet aimable
moyen de donner satisfaction au cri
public sans retrancher aux jhxmorabîes
notes du palais Bourbon un jour de
leur mandat ni un sou de leurs appoin-
tements ne s'aperçoivent pas que le
moment n'est plus le même. En 1881,
On était à la fin d'août quand on a pu
faire les élections sans défaire la vieille
Chambre, et nous sommes au milieu
de février. En août, le Parlement est
en vacances : qu'il y ait une Chambre,
qu'il y en ait deux, qu'il n'y en ait pas du
tout, ça ne faitpas une énorme différence.
Mais il est impossible de laisser le pays
sans Parlement de février en octobre.
D'où il suit que la solution parla simulta-
néité de deux Chambres des députés
ferait rire de ceux qui en parleraient
sérieusement.
Mais alors comment obtenir de la
Chambre actuelle le vote immédiat du
scrutin de liste ? car elle résistera à
l'accorder si elle croit qu'elle y perdra
une semaine de ses pouvoirs ou de son
traitement.
Rien de plus simple, dit un journal
du centre-gauche. « La Chambre peut,
par la rédaction même du projet qu'elle
adoptera, se garantir contre toute sur-
prise. Rien he l'empêche de déterminer
pour l'avenir le moment précis des élec-
tions législatives. Il est très aisé de
décider que les électeurs sont convo-
qués de plein droit pour le dimanche
qui précèdera l'expiration d'une période
pleine de quatre ans comptée à partir
du jour de l'élection de la Chambre en
fonctions. » C'est très aisé sans doute ;
mais que devient le droit de dissolu-
tion que la Constitution donne au pré-
sident de la République?
Oh ! M. Grévy n'en usera jamais !
Soit, mais M. Grévy n'est pas éternel.
Bah! il durera toujours jusqu'au 28 oc-
tobre. Nous comptons bien qu'il durera
au delà. Donc, la Chambre peut être
tranquille quant à elle, et ce n'est pas
des Chambres futures qu'elle se soucie.
Et puis, dit la République française,
ne compliquons pas les choses ; ne
confondons pas les questions ; à chaque
jour sa peine; c'est assez pour aujour-
d'hui de vider la grosse affaire du scru-
tin; no,us, viderons le reste plus tard.
Faisons notre scrutin et laissons faire aux dieux!
Les dieui, ce sont MM. Jules Ferry,
Waldeck-Rousseau, Rouvier, Ranc, etc.
Nous aussi nous sommes pour que
la Chambre s'occupe le plus tôt possible
du mode de scrutin, et nous ne nous
préoccupons que fort médiocrement des
précautions qu'elle prendra ou ne
prendra pas contre l'abréviation de son
temps. Quand la question aura été bien
débattue entre les dieux, les députés,
le président de la République, etc., il y
aura peut-être quelqu'un qui deman-
dera la parole : le pays.
i AUGUSTE VACQCERIE.
■III I I I ■■■■■' I — ———^— I .1 ■ I. I ■ '■ III ■ —."«i
COULISSES DES CHAMBRES
On sait que le gouvernement est con-
voqué pour après-demain jeudi à la com-
mission de la réforme électorale à la
Chambre afin de donner son avis sur cer-
taines questions que cette commission
doit lui poser et lui a communiquées par
l'intermédiaire de son président.
La commission accepte la mise à l'ordre
du jour de la réforme électorale le plus
tôt possible ; mais elle estime que cette
mise à l'ordre du jour ne pourra être
obtenue que si l'on fixe dans le projet
lui-même la date des élections générales
de manière à fournir aux partisans de la
durée intégrale du mandat de la Chambre
une garantie contre l'éventualité d'une
dissolution anticipée.
C'est surtout sur ce point qu'elle désire
connaître l'avis du gouvernement, et c'est
en prévision des déclarations à faire à ce
sujet que le conseil des ministres s'est
réuni hier exceptionnellement.
D'après ce que l'on dit, le conseil n'au-
rait pas encore arrêté définitivement ses
résolutions au sujet de cette question. Il
persiste à réclamer une prompte discus-
sion du scrutin de liste pour deux rai-
sons : d'abord pour que le pays soit fixé
une fois pour toutes sur le nouveau mode
éloctoral et puisse s'organiser en consé-
quence, et ensuite pour que l'on puisse
prononcer l'interdiction des élections par-
tielles jusqu'au renouvellement intégral
de la Chambre.
Quant à la question de l'époque de la
séparation de la Chambre, le sentiment
du gouvernement n'est pas douteux. A
plusieurs reprises déjà nous l'avons indi-
qué; le ministère ne demanderait pas
mieux que les élections générales se fis-
sent le plus tôt possible. Quant au moyen
par lequel ce résultat pourrait être ob-
tenu, on ne voit guère celui qui pourrait
être suivi.
Le seul moyen légal est celui de la dis-
solution; mais on sait, à n'en pas douter,
que le président de la République est ré-
solu à n'y pas recourir et que ses minis-
tres sont également résolus à ne pas lui
demander d'exercer celte prérogative
constitutionnelle, à moins que la Chambre
— ce qui parait très improbable — ne l'en
sollicit3 elle-même.
Si d'autre part on se déterminait à ins-
crire dans le projet de scrutin de liste une
date pour les renouvellements successifs
de la Chambre, il faudrait, pour que cette
disposition n'écartât pas cette année la
possibilité d'élections assez prochaines,
que la date choisie ne fût pas trop éloi-
gnée. Si l'on fixait, en effet, par un arti-
cle organique à fin septembre ou au com-
mencement d'octobre, comme la commis-
sion le propose, la date des renouvelle-
ments de la Chambre-tous les quatre ans,
on s'interdirait par là même de faire cette
année les élections, à une date plus rap-
prochée.
Nous ignorons ce que le gouvernement
a décidé hier à ce sujet ; mais son opinion
connue antérieurement ferait douter qu'il
consentît à une disposition de ce genre.
A c tte question se rattache directement
celle de la manière de fixer les limites lé-
gales du mandat de la Chambre.
Cette question est très controversée;
nous l'avons signalée déjà et hier encore
nous en rappelions les termes. Il s'agit de
savoir si le mandat de la Chambre com-
mence à courir du jour de l'élection, ou
du jour de l'entrée effective en fonctions.
La loi organique du 30 novembre 1875
se borne à "ire que la Chambre est élue
pour quatre ans. Aucun autre article légis-
latif ou constitutionnel ne vient éclairer
ou compléter celui-là. L'interprétation
peut donc se donner libre carrière.
Si c'est le jour de l'élection qui est le
point de départ de l'existence de la Cham-
bre, il s'ensuit que la Chambre actuelle
élue le 21 août 1881 et définitivement con-
stituée lè 4 septembre de la même année
par les scrutins de ballottage, verrait ses
pouvoirs expirer le 4 septembre 1885.
Il faudrait donc faire les élections en
juillet ou en août pour élire la nouvelle
Chambre afin qu'il n'y ait pas d'interrègne
parlementaire.
Si c'est au contraire le jour de l'entrée
en fonctions qui est le point de départ de
l'existence légale de la Chambre, l'Assem-
blée actuelle a le droit de durer jusqu'au
28 octobre 1885 puisqu'elle n'a commencé
à délibérer que le 28 octobre 1881.
Les adversaires du premier système y
opposent des raisons de fait et des raisons
de droit.
En fait, ils font observer que la Cham-
bre de 1877 a si bien duré jusqu'au 28 oc-
tobre 1881, que les députés non réélus
aux élections générales du 21 août 1881
ont continué à recevoir leur indemnité du
21 août .1881 au 28 octobre suivant, ce
qui n'aurait pu avoir lieu si les élections
générales avaient eu pour effet de les des-
saisir de leur ancien mandat avant le
28 octobre.
En droit, les mêmes adversaires de ce
système font observer que cette interpré-
tation aurait pour résultat de permettre
au pouvoir exécutif d'abréger à son gré la
dernière année d'une législature, en
fixant les élections à une date très antici-
pée, à la seule condition d'observer la
règle constitutionnelle, qui exige que
chaque session ordinaire ait une durée de
einq mois au moins.
Dans la dernière année, le gouverne-
ment, par ce système, pourrait donc, en
fixant les élections générales assez tôt,
supprimer sept mois du mandat de la
Chambre. Celle-ci dès lors n'aurait plus
siégé duraht quatre ans, mais lfuiant
quatre sessions.
Telle est la question qui se pose et que
la commission du scrutin de liste et, après,
la Chambre vont être appelées à résoudre
d'ici à quelques jours.
La commission , quoique convoquée
jeudi pour entendre le gouvernement, se
réunira d'avance demain pour délibérer
de nouveau. Il s'agit d'examiner si l'on
ne pourrait disjoindre la question de mise
à l'ordre du jour de la loi de celle de la
fixation de la date des élections g énérales.
—o—
L?s ministres des finances et de l'agri-
culture sont convoqués pour demain mer-
credi à la Chambre, à la commission des
tarifs, pour s'expliquer au sujet du contre-
projet que M. Germain a présenté à la
Chambre samedi dernier au cours de la
discussion des droits sur les céréales et
les bestiaux.
Les deux ministres repoussent cet amen-
dement, M. Méline, parce qu'il le déclare
inefficace pour l'agriculture, et M. Tirard
parce qu'il compromettrait notre situation
financière.
On sait que ce contre-projet a pour ob-
jet d'écarter les droits sur les céréales et
les bestiaux, en supprimant le principal
de l'impôt foncier sur les propriétés non
bâties et en doublant, par contre, les
droits sur l'alcool.
Un fait des plus graves, relatif aux émi-
grés espagnols, a été porté à la connais-
sance de M. Edouard Lockroy. M. Lockroy
en a immédiatement informé M. le pré-
sident du conseil. Il en attend une ré-
ponse. Suivant ce qu'elle sera, il est pos-
sible que l'interpellation dont nous avons
parlé soit avancée de quelques jours.
LA FLOTTE ET L'ARMÉE
Les efforts excessifs imposés, pai
suite de nos entreprises lointaines, à
notre personnel maritime ne sont pas
ignorés de ceux qui prennent quelque
intérêt à ces questions, et ils savent
aussi que le matériel est soumis à de
très rudes épreuves. Nous croyons ce-
pendant que dans le pays, et même
dans les Chambres, le nombre est bien
petit des personnes dont les calculs ap-
proximatifs ne soient pas fort au-des-
s.ous de la vérité. Peut-être aurions-
,nous hésité à parler de cette situation,
dont nous étions informé depuis quel-
que temps, si plusieurs journaux n'en
avaient fait mention." Pour n'en citer
4u'un, voici ce que dit, dans son, der-
nier numéro, l'Avenir des Colonies, à
propos de la création d'un corps spécial
de torpilleurs, qu'il a proposée :
On objectera à notre projet que le nombre
des officiers de vaisseau est déjà insuffisant,
qu'enlever aujourd'hui ces officiers à leur
corps en les spécialisant serait une mesure
inopportune, nous le savons; nous savons que
le ministère de la marine est aux abois, que
les deux eXDéditions de Madagascar et de
Chine mettent sur les dents le personnel na-
viguant, que le matériel naval se consomme
et sera bientôt hors d'état de servir; nous sa-
vons qu'on racole actuellement des officiers
dans les ports, qu'on supprime à terre des
postes nécessaires, qu'on songe à diminuer
le personnel des défenses mobiles qui sont la
sécurité de nos arsenaux, qu'on réduit le per-
sonnel officier des bâtiments,qu'on lui impose
des fatigues surhumaines, qu'on en arrive aux
expédients qui désorganisent et qui sont les
signes précurseurs d'une catastrophe ; nous
savons tout cela et si nous insistons, c'est
parce que nous sentons qu'une réforme du
personnel s'imposera prochainement et que
nous souhaitons qne dans cette réforme
on tienne compte des nécessités que nous
avons indiquées.
En citant ces lignes, le Télégraphe,
qui lui-même plusteurs fois déjà a traité
la question, « croit pouvoir conclure
que, si l'on n'avise pas, nous marchons
rapidement à la ruine de notre flotte ».
Quoi qu'il en soit de cette prédiction,
il paraît certain ique pas un des bâti-
ments engagés dans l'extrême Orient
ne pourra, se passer de longues et coû-
teuses réparations. Soit par suite du
mauvais temps, soit par la nécessité
fréquente d'obtenir des vitesses supé-
rieures aux moyennes prévues par les
constructeurs, tout l'apparèil moteur a
été mis à la plus rude épreuve. Nous
ne voulons pas indiquer de chiffres :
tous ceux que nous donnerions paraî-
traient ridicules d'exagération et ils
sont sans doute au-dessous de la réa"
lité. D'ailleurs si, comme il en est ques-
tion, M. le ministre de la marine doit
être interrogé à ce sujet un jour très
prochain, nous ne croyons pas qu'il
songe à dissimuler la vérité, ni à dé-
guiser l'importance des sacrifices nou-
veaux qu'il devra réclamer au Parle-
ment.
Est-ce comme compensation partielle
à ces dépenses non prévues que, sur le
budget de la guerre, M. le général Le-
wal paraît désireux de réaliser certaines
économies ? Nous ne savons, mais bien
que la réduction des services adminis-
tratifs, dont il semble partisan, ne puisse
équilibrer les dépenses extraordinaires
de la marine, il faut féliciter le général
Lewal de songer à cette réforme.
Il y a déjà plusieurs années qu'elle a
été étudiée avec le plus grand soin dans
un de nos corps d'armée, le 10", si
nous ne nous trompons, et les expé-
riences de cette époque ont dû laisser
quelques traces. La presse militaire en
a parlé, et plus d'une fois d'ailleurs elle
a mis les trop faibles effectifs de nos
régiments en regard des cadres et des
effectifs beaucoup trop complets des
sections d'administration. Sans parler
d'une dépense superflue que l'Allema-
gne ne fait pas, il y a dans cette orga-
nisation une tentation permanente
pour les hommes du contingent de ne
pas servir réellement. Les épaulettes
blanches absorbent le meilleur de la
classe, quand ou ne devrait-recruter ce
corps qu'avec les hommes reconnus
impropres à tout autre service. Si le
général Lewal veut résolûment opérer
cette réforme, il en résultera une éco-
nomie et un surcroit de force pour l'ar-
mée. A ce double titre, son projet mé-
rite d'être appuyé, et peut-être s'il
réussit, cessera-t-on de voir dans
nos hôpitaux militaires plus d'infir-
miers que de malades.
A. GAULIER.
— « ■—» - ■ ■ ■!!■■■■■■ i m
LA PRISE DE LANG-SON
Il semble qu'une véritable course au
clocher soit engagée à cette heure entre
les grandes puissances. Les Russes mar-
chent sur Hérat, les Anglais sur Berber,
les Italiens ont l'air de projeter quelque
chose du çôté de Souakim. Toujours est-
ai que nous venons d'arriver bons premiers
dans ce steeple-chase international. De-
puis le 13 février, à midi, le drapeau tri-
colore flotte sur la citadelle de Lang-Son.
Ce brillant fait d'armes achève la con-
quête du Tonkin; il nous met en posses-
sion des territoires dont le traité de Tien-
Tsin nous faisait les maîtres sur le papier.
Le guet-apens de Bac-Lé est vengé, la per-
fidie chinoise est punie. Espérons que
cette victoire sera la dernière, et que, sa-
tisfaits de ce que nous avons, nous senti-
rons le besoin de nous arrêter dans une
voie glorieuse sans doute, mais qui n'est
pas sans périls.
Ce n'est pas qu'il faille compter, je crois,
sur un retour de la Chine. Le Tsung-Ii.
Yamen ne se fait évidemment aucune illn.
sion sur l'issue définitive de la campagne,
non plus que sur la valeur de ses troupes
et la compétence de ses généraux. Un
homme comme Li-Hung-Chang n'est ni un
ignorant ni un imbécille, et si déchu qu'on
le suppose de sa faveur passée, il a en-
core assez d'autorité en haut lieu pour
faire entendre de sages avis. Mais la Chine,
suivant l'expression même de ses manda-
taires, a « à sauver sa face ». Elle peut
difficilement inscrire dans un instrument
diplomatique l'abandon de titres qu'elle
n'a jamais songé, d'ailleurs, à faire valoir
sérieusement.
Un de nos confrères le disait très juste
ment ; il en est du Céleste-Empire comme
de la Curie romaine ; ici et là la forme
l'emporte sur le fond. Si on n'avait pas fait
la faute d'appeler l'attention de la Chine
sur un pays dont elle avait fait son deuil
depuis plus de deux siècles, si on ne lui
avait pas demandé une renonciation écrite et
formelle, il est probable qu'elle aurait pris
son parti des faits accomplis. L'empereur
eût continué à comprendre le Tonkin
parmi les dépendances de sa couronne ;
qu'importe ? La reine Victoria n'est-ejle.
pas reine de France et de quelques. autFes
lieux?
Nous avons eu la mauvaise idée de trai-
ter avec la Chine qui, diplomatiquement,
sinon militairement, était « une quantité
négligeable». Le traité de Tien-Tsin a
amené l'incident de Bac-Lé et par suite la
diversion sur Formose. Ne ne nous lais-
sons pas jouer une seconde fois, et, puis-
que notre objectif est atteint, dépêchons-
nous, le plus tôt qu'il sera possible, de
rentrer chez nous.
FRÉDÉRIC MONTARGIS.
Dépêches de Londres :
Londres, 16 février.
Deux mille individus sans travail se sont
réunie, cette après-midi, dans Downing-Street,
pour faire une démonstration pendant la
séance du cabinet. Les entrées des bureaux
ministériels étaient gardées par un grand
nombre de policemeu.
La foule n'était pas encore dispersée à cinq
heures.
Londres, 16 février, soir.
La foule qui s'était i assemblée dans Downing-
Street a causé quelques désordres, mais la
police a pu la disperser sans difficulté.
Ce n'est donc pas seulement en Répu-
blique qu'il y a des ouvriers sans travail,
et la monarchie ne garantit donc pas du
chômage et de la misère.
Les deux prévenus Cunningham et Bur-
ton, accusés de complicité dans les tenta-
tives d'explosion par la dynamite, qui ont
eu lieu à Londres, ont comparu de nou-
veau devant le magistrat de Bow-Street.
Un nouveau témoin a déclaré avoir vu
Cunningham et deux autres individus dans
un coupé du chemin de fer métropolitain,
quelques minutes avant l'explosion du mois
de janvier. Le témoin voulait entrer dans
le coupé, mais Cunningham et ses compa-
gnons l'en empêchèrent.
Le conducteur du train a déclaré éga-
lement avoir vu Cunningham dans le train
d'où la matière explosible a été jetée.
.——=———— cb ——————
LES ON-DIT
M. Henri Prévost, maire du 6e arrondis-
sement de Paris, vient de mourir subite-
ment dans son domicile de la rue de Vau-
girard, 55. Il avait bravement combattu
pendant le siège de Paris, et avait été
décoré pour sa belie conduite. Il ayait fait
partie des comités républicains oendant
l'ordre moral.
Feuilleton du RAPPEL
DU 18 FÉVRIER
45
LE
SANG BLEU
DEUXIEME PARTIE
rv
:'-
Il fut bientôt de règle que « le brave
Juste » vînt tous les jours à la Senevière ;
quand ce n'était pas pour déjeuner Ou
ilinlr sur une invitation de Gv»lïaumanche,
s'était pour jouer à VeCarté avec Mme de
Colbosc.
Penda vingt-cinq années, un des plus
-
(Traduction interdite; reproduction auto-
risée pour les journaux qui ont un traité avec
la Société des gens de lettres, mais après la
~Bn de la publication en feuUletoa dans le
Voir le du 2 janvier au 17 février. -
durs sacrifices de celle-ci avait été de re-
noncer aux cartes qu'elle aimait passion-
nément; mais comment s'exposer à perdre
l'argent qu'elle n'avait pas, ou comment
avouer sa détresse en ne jouant pas de
l'argent. Elle avait donc renoncé au jeu.
Mais depuis le mariage d'Hériberte, elle
avait eu la joie de le reprendre, et les car-
tes creusaient tous les mois une assez
grosse brèche à sa pension sans qu'elle s'en
plaignît, car en belle joueuse qu'elle était,
elle faisait passer le plaisir du jeu avant celui
du gain. En quittant Condé pour la Se-
nevière, elle avait cru que pendant son
séjour chez sa fille elle n'aurait guère l'oc-
casion d'entendre le aic-aac des cartes :
Hériberte n'avait jamais voulu jouer;
Guillaumanche faisait profession de mé-
priser le jeu ; d'ailleurs l'eût-il aimé
qu'elle ne se fût jamais abaissée à accep-
ter pour partenaire un homme cumme
lui; c'eût été déshonorer les cartes. Elle
était donc arrivée résignée à cette priva-
tion, ne comptant que sur quelques ha-
sards heureux qui lui apporteraient de
temps en temps peut-être une Moirée de
whist.
s JJais l'assiduité « d»^ brave Juste » à la
Senevière avait "JJangé complètement la
situation : il aimait les cartes, « le brave
Juste x. , aU moins autant qu'elle les ai-
m~ elle-même, et bien qu'on ne devinât
i Das où il pourrait dénicher son enjeu, il
s'était très gracieusement offert le jour où
elle avait manifesté le regret de n'avoir
personne pour lui faire vis-à-vis. Et il
avait déiiiché cet enjeu, modeste il est
vrai, mais d'autant plus suffisant qu'il
avait constamment gagné,sinon toutes les
parties, ce qui eût été par trop extraordi-
naire en même temps que par trop décou-
rageant, au moins de façon à ne se retirer
jamais sans un certain bénéfice.
Tous les jours Mme de Colbosc avait
donc la joie de s'asseoir devant un tapis
vert après son déjeuner et de donner des
cartes au comte de la Senevière ou de lui
en refuser. Pendant que les autres avaient
la niaiserie de se fatiguer en d'inutiles
promenades, brûlés par le soleil, aveuglés
par la lumière, elle s'installait dans une
pièce à l'ombre, et les fenêtres ouvertes,
respirant l'air frais qu'apportait la brise,
regardant au loin le rayonnement de la
chaleur sur les chaumes et sur les blés
encore debout, elle abattait tranquille-
ment ses cartes; le silence n'était troublé
que par les quelques mots sacramentels
qu'ils échangeaient de temps en temps :
« En donnez-vous? Combien?—Le roi. »
— Le brave Juste ! disait-elle en racon-
tant ses malheurs ; ce que c'est que è,étre
né ; où trouverait-on un jeusè homme
qui viendrait s'enfermer tous les jours
avec une vieille femme, ailleurs que dans
notre monde?
Il est vrai qu'elle ajoutait aussitôt :
— Sans doute il aime les cartes et c'é-
tait pour lui une dure pénitence que d'en
être privé.
Quoiqu'il aimât réellement les cartes,
comme le disait Mme de Colbosc, et quoi-
que le bénéfice avec lequel il se retirait
chaque jour arrivât à propos pour sa dé-
tresse, il n'aurait certes pas été aussi
assidu « le brave Juste », s'il n'avait eu
pour l'attirer que les charmes de la con-
versation de la marquise et les tenta-
tions d'un éternel écarté avec une vieille
femme. -
Mais il y avait une jeune femme à la
Senevière, et celle-là avait fait travailler
son imagination.
Elle n'était vraiment pas mal cette voi-
sine ! Assurément il avait aimé mieux que
ça, des femmes de plus de chic, qui avaient
une autre désinvolture, plus de brillant,
plus d'éclat mondain et qui par leur situa-
tion, leurs relations pouvaient faire hon-
neur à leur amant; mais à la campagne il
ne fallait pas être trop difficile et dans tous
les cas elle valait mieux que les paysannes
après lesquelles il courait et qu'il n'attra-
pait pas toujours d'ailiers.
Qu'il n'attrapât point celle-là, la pensée
ne lui en éVîA't même pas venue; elle n'é-
tait peiili une de ces vulgaires paysannes
ignorantes ou sottes ;, mieux que personne
elle savait ce qu'il était, ce qu'il valait ; et
dans les hommes qu'elle recevait elle n'en
trouverait point qui, comme lui, fût son
égal par la naissance. Ne semblait-il pas
qu'ils eussent été faits l'un pour l'autre;
dans leur voisinage n'y avait-il pas comme
une sorte de prédestination ?
Une autre pensée encore qui ne lui était
pas venue davantage lorsqu'il avait com-
mencé à s'occuper d'elle, c'était qu'elle
pût aimer son mari.
Guillaumanche!
Le nom disait tout : ce parvenu, ce ba-
lourd, ce fils de paysan, ce député!
D'ailleurs, qu'une femme aimât son
mari, il ne croyait pas à cela, ce serait
ridicule, et par sa naissance Hériberte
était à l'abri du ridicule. A la vérité, elle
l'avait épousé ce mari. Mais au lieu de
l'en blâmer, il l'en estimait. Ce mariage
était celui d'une fille avisée, elle avait dû
compter sur des compensations au sacri-
fice qu'elle s'imposait en devenant Mme
Guillaumanche. Il lui en offrirait quelques-
unes.
C'était l'année précédente qu'il avait
ainsi arrangé les choses au moment où,
pour la première fois, Mme Guillaumanche
était venue habiter la Senevière. Il met-
trait à profit la saison qu'elle allait passer
à la campagne, à s'ennuyer, à se dépiter
auprès de ce mari ridicule.
Malheureusement cette .saison avait été
trop courte pour qu'il pût mettre son plan
à exécution ; au lieu de quelques mois sur
lesquels il comptait, il n'avait eu que
quelques semaines, Guillaumanche ayant
voyagé avec sa femme et sa fille pendant
presque tout l'été ; et ce n'était pas en
quelques semaines qu'il pouvait trouver
les occasions favorables qu'il lui fallait.
Mais l'arrivée de Mme de Colbosc l'an-
née suivante avait complètement changé
les mauvaises conditions de l'année pré-
cédente : au lieu d'un séjour de quelques
semaines, Guillaumanche devait rester à
la Senevière jusqu'au commencement de
novembre; au lieu d'être invité deux ou
trois fois, il le serait presque chaque jour,
les occasions favorables ne lui manque-
raient donc pas, car lorsqu'il ne déjeunait
pas au château, il y dînait; il n'allait
Certes pas se conduire en vulgaire parasite
qui ne vient dans une maison que pour
s'asseoir à la table de la salle à mange.
HECTOR MALOT.
(À MfOMj
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