Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1895-07-09
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 09 juillet 1895 09 juillet 1895
Description : 1895/07/09 (N9251). 1895/07/09 (N9251).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7541270c
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
9251 z. Mardi 9 Juillet 1895
Cinq Centimes — Faris et Départements — Cinq Centimes 21 Messidor an 103— IqO 9231 "r - •
RÉDACTION »
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131, RUE MONTMARTRE, 131 f
S'ADRESSER au SECRETAIRE DE LA RÉDACTIOO"
De >J- à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir a minuit
-
^L £ 3 MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SEILONT PAS BQDt18
1
ADMINISTRATION
:¡ < 131, RUE KOHTMARTJUI, 131
4 Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR
;,Jt"-
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CEItp et Ofr
L 6, place de la Bourse, 6
et AUX BUREAUX DU JOURNAL
-. --- ABONNEMENTS POUR PARIS
UN MOIS 2 FR.
TROIS MOIS 5 —
SIX MOIS.. 9 FB.
UN AN. 18-
Fondateur : AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS POUR DÉPARTEMENTS ----,.
UN MOIS. 2 FB.
TROIS MOIS.. 6 —»
SIX 11011. lin.
mr an 20 —
tETTRES LIBRES
Mon cher Lefèvre,
Mon avant-dernière « Lettre libre »,
dans laquelle je signalais l'impuis-
sance ministérielle et parlementaire
produite par le vent de calomnie qui
souffle à travers la France depuis
quelques années, m'a valu un envoi
intéressant : celui de deux numéros de
la France du Sud-Ouest, dont l'un
contient la reproduction d'une partie
de ma Lettre et l'autre une interview
qui m'est communiquée dans le but
évident de corroborer mes observa-
tions.
Le correspondant parisien du jour-
nal de Bordeaux raconte qu'il est allé
voir, au sujet du canal des Deux-
Mers, l'honorable M. Gellibert des Se-
guins, député de laCharente et rappor-
teur du projet. Il le trouva fort épris
du travail réclamé par tout le Sud-
Ouest de la France, et très désireux de
voir aboutir promptement le « projet
qu'il va soutenir devantses collègues M.
Comme pour l'exécution de ce tra-
vail il faudra de gros capitaux, le cor-
respondant du journal bordelais fut,
tout naturellement, amené à deman-
der au rapporteur quels moyens finan-
ciers il compte préconiser. La réponse
est topique, je la reproduis textuelle-
ment : « Je dois vous dire que je n'ai
pas voulu m'en occuper. Le ministre
lui-même, qui est favorable en tous
points au projet, n'ose pas émettre une
opinion. C'est que, voyez-vous, ces
affaires-là deviennent délicates ! Après
les scandales que vous savez, mieux
vaut simplement poser la question aux
Chambres que de s'exposer à des insi-
nuations malveillantes.
x
Ainsi, voilà de grands travaux dont
une commission parlementaire re-
connaît l'utilité et même l'urgence,
puisque le rapporteur est d'avis d'en
saisir la Chambre le plus tôt possible,
Je ministre des travaux publicsest éga-
lement « favorable en tous points »;
cependant, ni la commission, ni le
ministre n'osent aborder la question
des moyens financiers auxquels il fau-
dra recourir pour l'exécution.Commis-
sion, rapporteur et ministre ont peur
de la malveillance ; ils se borneront à
« poser la question aux Chambres ».
Dans de pareilles conditions, il est
peu probable qu'il se trouve des dé-
putés plus audacieux que le ministre,
la commission et le rapporteur. Alors
même qu'il y en aurait, l'attitude du
gouvernement et des commissaires
serait bien faite pour les refroidir. Ils
sont prévenus d'avance qu'il ne leur
viendra d'en haut aucun concours. On
craindrait, en les soutenant, de se
compromettre avec eux. Et l'on ne
fera rien, on laissera les populations
du Sud-Ouest dans l'attente indéfinie
du canal de leur rêve, parce qu'on a
peur des attaques. Tout le monde sait
d'avance qu'elles seront calomnieuses,
mais on ne les redoute pas moins; car
on sait aussi qu'il y a des gens prêts à
les ramasser, un jour donné, afin de
combattre un concurrent possible à
quelque portefeuille ministériel.
La calomnie, en effet, est devenue
t'arme quotidienne des ambitions. Nos
ftobespierristes, pour être de moindre
taille que leurs ancêtres, n'en sont pas
moins âpres et n'ont pas davantage de
scrupules ; mais, l'humanité ayant, de-
puis cent ans, fait des progrès, et nos
mœurs ne permettant plus de décapi-
ter ses rivaux, on se borne à les désho-
norer, si possible. Et on le peut assez
aisément, grâce à la sottise du public.
x
Il est impossible pourtant que les
affaires, les travaux et les intérêts les
plus considérables de notre pauvre
France soient arrêtés par la peur que
chacun a des calomnies de son voisin.
Si le Sud-Ouest a besoin d'un canal, si
Je Nord requiert un chemin de fer, si
le Sud, l'Est ou l'Ouest ne sauraient,
sans voir péricliter leur commerce,
leur industrie, leur agriculture, atten-
dre plus longtemps des voies de com-
munication ou des ports, il est inad-
missible que la peur inspirée aux pou-
voirs publics par une poignée de dif-
famateurs, les en prive indéfiniment.
Les populations les plus dévouées à la
République se dégoûteraient vite d'un
régime sous lequel le gouvernement
et les Chambres ne seraient pas assez
robustes pour supporter les responsa-
bilités du pouvoir.
C'est d'abord au gouveraenent qu'il
appartient de réagir contre cet ef-
froyable abaissement des caractères.
Quoique les députés et les sénateurs,
en briguant les suffrages de leurs con-
citoyens, se soient moralement enga-
gés a faire passer les intérêts du QaII
avant le souci de leur propre tranquil-
lité, il est aisé' de comprendre qu'ils
hésitent devant les menaces de la ca-
lomnie et qu'ils reculent devant cer-
taines responsabilités. Tous les mor-
tels ne sont pas tenus d'avoir la
poitrine ceinte du triple airain dont
parle le poète romain. Mais de pa-
reilles frayeurs ne sont pas excusables
chez ceux d'entre les sénateurs et les
députés qui ont la prétention de gou-
verner la France.
Les fonctions ministérielles ne sont
pas obligatoires. Ceux qui les solli-
citent doivent avoir la taille qu'elles
exigent.
Il ne leur est pas permis d'ignorer
que le portefeuille ministériel ne con-
tient pas seulement des avantages ma-
tériels et des honneurs, mais encore,
et avant tout, des devoirs et des res-
ponsabilités, auxquels rien ne sous-
trait les ministres, et qu'ils ne peuvent
écarter sans commettre un acte de vé-
ritable félonie à l'égard du peuple dont
ils ont, volontairement, pris en char-
geles intérêts et les destinées.
Le pays a besoin de chemins de fer,
de canaux, de lignes de navigation, de
travaux et de services publics de toute
nature ; il a besoin d'établissements de
crédit solides et durables. Il a besoin
de vivre matériellement, industrielle-
ment. C'est sur les pouvoirs publics
qu'il compte pour lui assurer tout cela;
c'est au gouvernement qu'il le de-
mande, parce que c'est de lui seul qu'il
le peut attendre. Le gouvernement n'a
pas le droit d'écarter ces demandes
sous prétexte qu'il craint la calomnie
et la diffamation.
Celui qui n'a pas le cœur assez solide
pour dédaigner les attaques de l'envie,
de l'ambition rivale, de la méchanceté
ou de la sottise, celui-là n'est pas digne
d'aspirer aux honneurs et aux charges
du pouvoir ; il n'a pas les épaules assez
larges pour le gouvernement ; qu'il se
contente de défendre la veuve et l'or-
phelin, ou de vendre de la chandelle.
Encore, doit-il se dire, qu'on l'accuse-
ra, très probablement, de dépouiller
l'orphelin, de séduire la veuve et de
tromper le client sur le poids ou la
qualité de la chandelle.
x
La peur exagérée de la calomnie,
dont les représentants du pays et les
ministres donnent chaque jour le
spectacle, n'a pas seulement pour con-
séquence de rendre impossibles une
foule de travaux urgents; elle encou-
rage les calomniateurs, les fait naître
en quelque sorte, et rend l'existence
de toutes les grandes entreprises du
pays aussi difficile que celle du gou-
vernement.
Ni les compagnies de chemins de
fer, ni la Banque de France, ni le
Crédit foncier, ni les autres établisse-
ments de crédit, ni les compagnies de
navigation, etc. ne peuvent, en dépit
de quelques procès de presse, se croire
protégés contre les calomnies, le chan-
tage quand le gouvernement lui-même
donne l'exemple de la peur.
N'a-t-on pas vu, récemment, sous
l'influence, sans doute, de cette peur,
un ministre qui venait d'apposer sa
signature sur un contrat avec une
grande Compagnie française, déclarer
à la tribune de la Chambre, dans les
premiers mots de son discours, qu'il
n'attachait aucune importance à sa si-
gnature et qu'on pouvait la déchirer
avec l'acte au bas duquel il l'avait ap-
posée? Que cet acte fût bon ou mau-
vais, je l'ignore et n'en veux rien sa-
voir; je me demande seulement quelle
confiance le gouvernement inspirera
désormais aux gens avec lesquels il
traitera.
Les dangers provoqués par ce déplo-
rable affaissement moral sont d'au-
tant plus grands que ses victimes ne
paraissent pas en avoir la moindre
idée. Elles vivent depuis si longtemps
dans cette atmosphère, qu'elles en sont
empoisonnées sans en sentir la pesti-
lence. Les honnêtes gens y perdent
leur énergie, les affaires sont étouffées,
le pays s'anémie et s'appauvrit,et ceux-
là seuls échappent à l'empoisonnement
général qui l'ont provoqué pour en
tirer profit.
J.-L. DE LANESSAN.
————————————— —————————————
Le Tout à l'Egout,
Le conseil municipal inaugurait hier l'usine
de Colombes, faisant partie du système du
tout à l'égout (épandage d'Achères). M. Pou-
belle s'était joint au conseil municipal, ac-
compagné de son chef de cabinet, M. Colli-
gnon, de M. Hûet, chef de service des tra-
vaux de la ville et de MM. Bechmann, ingé-
nieur en chef du service de l'assainisse-
ment. ,-
A huit heures trois quarts du matin, le
train emportait, de la gare Saint-Lazare à
Argenteuil, les membres du conseil muni-
cipal et leurs invités. Le ministre des tra-
vaux publics était représenté par son chef de
cabinet, M. Flachon ; M. Nastier représen-
tait le ministre de l'intérieur et M. Philippe
le ministre de l'agriculture.
A neuf heures, le train arrive à Argenteuil
et les pompiers et la musique sont rangés
sur le quai de la gare pendaii Je maire
d'Argenteuil souhaite la bienvenue au préfet
de la Seine et au conseil JDunlcipal
Le cortège traverse la ville et monte sur i
aabfttoMsw.aUw vMUr Urina daColom-
bes et le pont d'Argenteuil où M. Poubelle
et M. P. Baudin prononcent des discours.
Après la visite de l'usine, le cortège re-
vient en bateau à la gare d'Argenteuil.
Le train part à onze heures et demie pour
Herblay, où l'on arrive quelques minutes
plus tard. Le cortège traverse la Seine, en
ateau et se rend à la ferme Fromainville où
un déjeuner est servi.
Après le déjeuner a eu lieu la visite des
çhamps d'épuration et du parc agricole d'A-
'Chères.
Au cours de la cérémonie, M. Pierre Bau-
din a remis à MM. Guillaumie, Sabatherie,
Pansier, Pinaud, Mardoux, Berger et Mo-
reau, ouvriers travaillant à l'entreprise, des
médailles commémoratives votées par le
conseil municipal, pour s'être fait remar-
quer par leur dévouement.
———————————— ———————.
UN SCANDALE MILITAIRE
, Il faut — cela est entendu — que la disci-
pline règne dans l'armée. Nous admettons
même qu'elle soit très rigoureuse dans les
bataillons d'Afrique, puisque ces bataillons
sont composés d'hommes qui ont commis
des délits ou qui sont des insubordonnés.
Mais la discipline no doit jamais aller jus-
qu'à la cruauté, et malheureusement la liste
est longue des tortures épouvantables infli-
gées aux soldats des bataillons d'Afrique.
Voici un nouveau fait, monstrueux celui-
là, qui vient do se passer à Souk-el-Arba, au
3e bataillon :
Deux soldats, partis sans congé, sont
venus mercredi dernier se constituer prison-
niers entre les mains du caporal de garde
Gally. Devant un sergent, le caporal ht en-
fermer les deux hommes dans une misérab.e
caban3 où on les attacha la tôte au mur et
les mains liées aux pieds. C'est le supplice
de la crapaudine.
L'un de ces malheureux, Urbain Chédcl,
accablé par la souffrance, demanda à boire.
Le caporal lui fit mettre une pierre et un
morceau de bois dans la bouche en guise de
poire d'angoisse. Quelques instants après, le
patient était mort.
Gally fut bien alors obligé de relâcher
l'autre.
Chédel a été inhumé le lendemain. On
nous apprend qu'à la suite de cet odieux
événement, de nombreuses désertions se
sont produites; le contraire eût été éton-
-riant.
Nous réclamons de la part du ministre de
la guerre une répression sévère. Les gradés
dans les bataillons d'Afrique, en prennent
vraiment trop à leur aise. Depuis cent ans
la torture est abolie. En aucune façon, pour
quelque délit et pour quelque crime que ce
soit, il ne saurait être permis à un caporal
de la rétablir.
L'opinion, d'ailleurs, ne comprendrait pas
qu'on essayât d'une façon ou de l'autre, d'at-
ténuer la terrible responsabilité — il y a eu
mort d'homme — assumée avec une certaine
gaieté de cœur par le caporal Gally. Un
exemple doit être fait.
CH. B.
,.
LA REUSSITE DU VOL PLANÉ
Le ballon crève. — Dans File de Rothschild
Tentative satisfaisante.
Un certificat:,¡,¡L L'avenir t
La journée d'hier sera assurément une de
celles qui dateront dans l'histoire de l'aéro-
nautique, car le résultat de la tentative de
vol plané faite par M. Cappaza accompagné
de M. de Gast, a des mieux réussi et fait
espérer beaucoup.
Comme nous l'avons annoncé le Caliban
est parti de l'usine à gaz du Landit à cinq
heures moins un quart emportant les deux
aéronautes. L'atmosphère était très belle et
les courants presque nuls, seul, un petit
vent d'est souillait.
M. Capazza, un moment, craignit que
cette nouvelle tentative fut sans résultat.
- Paris, répétait-il toujours, Paris, je ne
puis pourtant pas descendre encore sur les
cheminées.
Enfin il résolut de partir quand même, se
promettant, si le vent les poussait sur Paris,
de ne descendre qu'après avoir passé sur la
ville.
Péniblement l'aérostat s'enleva et s'éloi-
gna, toujours visible à l'œil nu pour les
spectateurs qui étaient restés à l'usine à gaz.
Il était cinq heures et demie, lorsqu'un cri
s'éleva :
— Il est crevé t
En effet de la poire renversée surmontant
la nacelle, il ne restait plus que la calotte ;
le parachute, qui lentement, mais visible-
ment descendait, descendait vers la terre.
Un quart d'heure plus tard, il avait disparu.
LE RECIT DE L'AERONAUTE
« J'étais exactement sur le parc aux Prin-
ces, à 3,000 mètres, lorsque j'ai crevé l'aé-
rostat; sans secousse nous sommes passé
de l'ascension en ballon à la descente en
parachute.
» Notre vitesse de descente fut d'environ
2 mètres à la seconde et, continuant à être
porté vers l'ouest, nous fûmes bientôt au-
dessus de la Seine, ne pouvant éviter d'at-
terrir (l) dans l'eau.
» C'est alors que j'ai tenté une expérience
du vol plané.
» Eh bien, avec une manœuvre déplaçant
à peine mon parachute de 10 à 12 degrés, je
suis arrivé à faire un angle de 75 degrés
avec le vent.
» Ce qui fait qu'avec un vent du sud, me
poussant au nord par conséquent, je suis
allé, grâce à ma manœuvre, au nord-est et
j'ai pu atterrir dans l'ile de Rothschild.
» Ma manœuvre a été tellement visible
qu'à notre descente on m'a signé le procès-
verbal suivant :
« Nous, soussignés, déclarons que le para-
» chute allait manifestement tomber dans la
» Seine lorsque, s'inclinant en sens inverse,
» il changea de direction et atterrit dans l'île
» de Rothschild.
» 7 juillet 1895. »
» RIEUDER, caporal des pompiers; LE-
- » CLERCQ, pompier, TH. LAMPIN. »
n Est-ce concluant ?
» Il faut aussi dire que j'avais à ma dispo-
sition un appareil d'une très grande enver-
gure, 364 mètres carrés. »
— Mais, demandons-nous vous avez pu
dévier la ligne du vent ; aurîez-vous pu re-
tarder votre atterrissage ?
— Oui, un peu, grâce au ièt dont je ae
, assurèrent pas
suffisamment pour f uu lor-
> fearlô tâ*.
à l'Académie, les ballons en forme de len-
tille, j'arriverai à faire l'expérience opposée
à celle d'aujourd'hui : la déviation ascension-
nelle.
(c Enfin que vous dire, je suis très heu-
reux d'avoir réussi et je crois que c'est là
une nouvelle donnée pour l'aérostation. fi
Quant, à nous qui avons assisté à presque
toutes les phases de l'expérience dhier et
qui avons vu les résultats, nous espérons
que le comité d'aérostation militaire va en-
treprendre au plutôt des essais pour rendre
officiels les résultats obtenus et les utiliser.
EMILE WILLÈME.
LE VESUVE TRAVAILLE
On dirait qu'une Méditerranée de feu
frémit sous l'azur de l'autre et entre-
choque ses vagues de lames, de la
plaine de Florence à celle de l'Attique
et de l'Apennin au Parnasse. Le sol de
la ville des fleurs a oscillé et ses habi-
tants avant de songer à la fuite ont
bravement couru voir si les monu-
ments, orgueil de la cité, étaient tou-
jours debout. Quelques fissures aux
Jancs des nobles murailles, un pan de
cloître écroulé là-haut, à Fiesole, une
douzaine de pièces de musée écornées
et une demi-douzaine de cadavres,
mais l'Amazone se tord au pied du pié-
destal sur lequel le sublime Persée
élève la tête que son glaive trancha; la
griffe de bronze du vieux lion Marzocco
n'a pas lâché l'écusson fleurdelisé ; les
portes du Baptistère ont prévalu contre
l'assaut infernal et le dôme de Prunel-
leschi plane encore sur l'Athènes ita-
lienne et passato il pericolo, gabbato il
santo. Dans l'autre Athènes, cependant,
la muraille sacrée du Parthénon qui
porte le dernier tronçon de la frise des
Panathénées a chancelé, elle qui avait
résisté à la poussée de vingt-cinq siè-
cles et aux bombes de Morosini, et je
viens de voir, de mes yeux, ses archi-
traves de marbre qui s'appuyaient en
détresse sur des échafauds de bois,
après avoir si longtemps
Sous le fronton du temple antique,
Sur le fond bleu du ciel attique,
Juxtaposé leurs rèves blancs.
A Olympie, le phénix des Antiques,
l'Hermès, a dû arc-bouter tragique-
ment la divine cambrure de ses reins
contre des tenons de fer; et à Delphes,
la maison où je passai naguères une
nuit inquiète de ce printemps mouillé,
venait d'être si secouée, quelque huit
jours en çà, qu'elle en était toute zébrée
de lézardes. Une visite à celui qui passe
pour le protagoniste de ce drame mys-
térieux s'imposait. Je suis donc allé
interviewer le Vésuve.
—o—
» Deux heures de trot à travers la lo-
queteuse banlieue de Naples et les or-
nières si poudreuses de Portici et de
Resina; trois heures d'une ascension
lente entre des vignes et des oliviers
luxuriants, des prairies et des basaltes
qui accrochent là, en terre classique,
des coins de sauvage Auvergne, parmi
des gamins infatigables et mendiants,
des photographes obséquieux, de te-
naces camelots, revendeurs de minerais
volcaniques et de sous incrustés dans
la lave, toute une théorie de pifferari
jouant, chantant et sifflant, tout un peu-
ple de parasites qui vit de son volcan
en attendant qu'il en meure, peut-être ;
puis la solitude, les laves pâteuses
dont les lourds remous figés en ronde
bosse, ainsi que la glace au front des
moraines alpestres, ourlent les revers
du Vésuve comme d'une ceinture de
glaciers noirs ; ensuite le vertige déli-
cieux du funiculaire au flanc du cône
terminal, en planant sur le chaotique
et fauve amas des baves du monstre
qui gronde et crache là-haut, au-dessus
de l'immense corsage vert tendre que
lui font les frondaisons printanières,
jusqu'au ruban turquoise du golfe qui
se plisse mollement de Sorrente à Mi-
sène ; enfin le cratère.
On est là, comme sur les derniers
gradins d'un cirque au centre de la
piste duquel s'élèverait un cône sem-
blable à ces amas de poussiers de char-
bons et de détritus minéraux qu'on
trouve aux abords des puits de mine.
Ce petit cône est la cheminée d'éruption
qui a surgi depuis trois mois et dépasse
maintenant de quelques mètres le ni-
veau du cratère ambiant. Soudain, le
haletant panacbe de fumée qui le coiffe
a rougi, un vaste et sourd crépitement
monte vite des mystérieuses profon-
deurs de la montagne, s'achève en une
explosion rèche, semblable au déchire-
ment des mitrailleuses, tandis que de
sa cime égueulée jaillit, parmi des vo-
lutes de vapeurs, toute une mitraille de
blocs incandescents. Celle-ci s'épanouit
dans l'air, exactement comme un bou-
quet de feu d'artifice, et rebondit et
dévale avec un son métallique, à vingt
mètres de nous, sur les flancs du cône
central, cependant qu'une grêle légère
de lapilli nous picote le cou et les
mains. Aucun danger d'ailleurs, du
moins les guides nous l'assurent : au
fait, pourquoi ce sol qui nous cuit main-
tenant la plante des pieds et nous fait
polker, comme coqs sur braise, s'ou-
vrirait-il ici plutôt que là? Restons, en
depit des quelques déserteurs qui filent
à l'anglaise, là-bas; baissons seulement
en visière les bords de nos chapeaux.
Et de songer que ce monstrueux phé-
nomène reste, après tout, un défi à
notre science moderne, si vaine : feu
central, disent les uns, depuis Héra-
clite ; réaction chimique où la mer, tent-
jours voisiné, joue son rôle, oppo.
sent les autres, et nul ne sait.
Le spectacle est fascinant, et je com-
prends Pline et Empgdocle, Elle les
comprend aussi la jolie miss qui, à dix
pas de moi, attend, le Grayon en l'air, la
nouvelle explosion pour continuer son
croquis instantané. Cependant, c'est à
la bouche du volcan un halètement gi-
gantesque, régulier, tout pareil à celui
d'un soufflet de forge, avec des siffle-
ments comme d'un fer rouge plongé
dans l'eau. Des bouffées plus fortes
de temps en temps s'exhalent, avec de
petites détonations : le cyclone projette
et ravale ses boules de feuet semble
jongler avec elles. Attention l le mons-
tre fait son effort périodique : Krrrak l
boum! lititititi! et ainsi toutes les dix
minutes, en moyenne. Et le cône monte
toujours, penchant et s'égueulant en
sens inverse de la r:#,nte Naples, juste
dans la direction de cette - étrange
masse de murailles qui font une tache
sombre derrière nous, à trois mille
pieds en contre-bas, dans la plaine
verte, entre les blancs damiers des
villas de Torre del Greco et de Castella-
mare. Or cette tache grise, c'est Pom-
péi. Ceci a déjà tué cela et tuera.
Allons-y voir.
—o—
J'ai erré au crépuscule à travers la
ville morte ; des ruines robustes ra-
contaient l'orgueil de ses temples et de
son forum, la joie de ses théâtres, la
mollesse de ses bains, l'élégance aris-
tocratique de ses villas, l'éternel char-
latanisme des réclames électorales, les
lourdes gaîtés des corps de garde et
des mauvais lieux et toute cette joie
de vivre, de donner la vie surtout que
commentent à satiété les fameuses
fresques, celle-ci, par exemple, déterrée
hier et dont la fraîcheur de coloris rend
plus insolent encore l'indicible sujet.
Etait-ce chez ces Gréco-Romains déca-
dents candeur du vieux culte phallique
ou perversité foncière que l'étrange et
obsédant état d'âme dont les emblèmes
violent partout le regard, si bien que la
vierge pudique qui baissait les yeux
pour ne pas les voir s'arborer insolem-
ment au front des maisons, les retrou-
vait gravés sur le pavé cynique des
rues ?
Et de toute cette ivresse d'être et de
persévérer dans l'être, voici mainte-
nant les derniers témoins. Au milieu du
musée de Pompéi, dans leurs cages de
verre, les moulages des cadavres me
disent, sous la lune qui bleuit leurs
formes spectrales, les agonies d'il y a
deux mille ans. Ils gisent là, dans l'ali-
gnement macabre de cette morgue clas-
sique, chacun avec la particularité tra-
gique de son spasme final : tels na-
guère, dans la mairie de Saint-Mandé,
— vous vous soutenez mon cher Bos ?
les trente et quelques qui eux aussi re-
venaient de la fête et dont les traits et
tous les membres mimaient la suprême
horreur. Ici cette jeune fille, la face
contre terre, le pied gauche crispé contre
le sol, cachant ses yeux de son bras
rond, tandis que les fines torsades de
ses cheveux la coiffent comme d'un bon-
net phrygien, que les tissus légers se
sont troussés et massés sur ses seins
délicats, et qu'un escalier descendant
sous la cage transparente, offre aux
curieux le spectacle troublant de toute
sa forme adorable et de son dernier
soupir. Là, ce chien, les quatre pattes
en l'air, tordu en fer à cheval. Plus
loin, cet épais bourgeois au nez busqué,
qui a l'air de dormir paisiblement, la
tète sur ses deux bras croisés. Il
fuoeo ! vient me crier le vieux et grave
custode, et dehors, juste dans l'axe de
l'arc de Caligula, je vois flamber le
Vésuve, le grand coupable ; et le veil-
lard me prédit une forte éruption pour
cette année : Quando comincia in
questa maniera il fuoeo, signore.
Naples s'est éveillée ooùs la caresse
du soleil levant qui dore ie coteau du
Pausilippe ; les barques glissent sur la
moire d'argent ; des pêcheurs à la main,
nus et ayant à la peatlla patine ambrée
des héros des Priapées de Pompéi, se
glissent entre les roches ; une compa-
gnie de bersaglieri martèle les dalles du
quai de son pas martial à la cadence
rapide ; du creux des ruelles montent
des chants et des accords de guitare ;
aux balcons se profilent des tailles svel-
teg et luisent des yeux noirs-; la vie
universelle reprend son rythme gai ici,
à Napoli, comme là-bas de l'autre côté,
jadis à Pompéi, et nargue le monstre
qui fume et bave là-haut, méditant
quelque formidable ruade, du moins si
j'en crois le vieux « custode » (1). Qui
d'eux ou de leur postérité mourra
dans les spasmes du chien, dans les
affres de la vierge du musée de Pom-
péi, ou glissera philosophiquement du
rêve à la mort, comme le bourgeois au
nez busqué ? Qui viendra contempler le
moulage de leur agonie dans quelque
musée du quarantième siècle?. Bah !
dansez la tarentelle et chantez Santa
Lucia au bord du golfe bleu.
EUGÈNE LINTILHAC.
LE CONGRÈS PÉNITENTIAIRE
Les membres du congrès pénitentiaire
sont allés hier matin à Gaillon, où ils ont
visité la maison de correction de Douaires.
Les détenus formaient la haie sur le pas-
sage des congressistes dont l'arrivée a été
saluée aux sons de la Marseillaise. La visite
terminée, les délégués étrangers ont pris
part à un déjeuner servi sous un superbe
velum dressé dans l'allée principale du péni-
tencier. Au dessert, plusieurs allocutions
ont été prononcées.
Avant de regagner Paris, les délégués ont
visité la maison centrale et l'asile des aliénés
de Gaillon, dont M. le directeur Beaunier
leur a fait les honneurs.
(1) Aux dernières nouvelles, on annonce ■
qj'au Vésuve « deux nouveaux crdtè-
res BÕ ouverts. lançant abondamment de
la lave vers la vole, du funiculaire de Ré-
J>INA,MJ| Y
A MADAGASCAR
Le Journal officiel publie l'état nominatif
des officiers, assimilés et employés militai»
res désignés par le sort pour concourir à la
relève du personnel des troupes et services
du corps expéditionnaire de Madagascar.
Le tour de départ de ces officiers, a.a«îmU
lés et employés militaires sera fixé d'aprèi
leur ordre d'inscription et suivant les bec
soins de la relève.
> - '! • "- J.
Le transport le Vinh-Long vient d'être ddt
signé, à Toulon, pour aller le mois prochain
à Madagascar, y servir de bâteau-hôpitaL
—-—————————
LA GRÈVE GÉNÉRALE
Le congrès du parti ouvrier socialiste ré-
volutionnaire (parti allemaniste) a terminé
hier ses travaux, ainsi que nous l'avions
annoncé.
Dans sa dernière séance, il a fait adhésion
pleine et entière au principe de la grève gé-
nérale. t
La grève générale, c'est la révolution, la
chose est bien entendue, et une révolution
est assez difficile à organiser.
Le vote du congrès allemaniste n'a pas
d'autre importance. Il fallait pourtant le si*
gnaler. , or
ÉLECTIOÎ SIIATORIÀLI DU 1 JUILLET
MAINE-ET-LOIRE
Inscrits : 977 I Votants : 971
MM. de Blois, réact. 602 voit
Joxé, répub. 339
Bulletins blancs 20
Divers 10
M. de Blois est élu
Il s'agissait de remplacer M. le comte
d'Andigné, réactionnaire, décédé, réélu at
renouvellement de 1883 par 708 voix contre
247 au candidat républicain le plus favorisé,
LES ON-DIT
Malgré les pessimistes qui nous pro.
mettaient un été désastreux, les gens
des campagnes — pour ses débuts du
moins — n'en pouvaient rêver un plus
heureux. Rarement la terre avait étalé
pareilles richesses : les épis qui com*
mencent à se dorer sont chargés de
grain, les arbres des vergers ploient
sous les fruits.
Juin, qui vient de finir, nous a donné
en abondance les fraises et les cerises,
et la récolte, Dieu merci 1 n'en est pas
encore épuisée. C'est maintenant la
tour des framboises et des figues, des
abricots et des pêches, des poires pr
coces et des pommes de Calville d été.
Avec juillet, la truite de rivièreappa-
raît plus nombreuse sur nos marchés :
la fauchaison des prés permet la pêche
à l'écrevisse. - mais c'est surtout le
moment de sentir le poisson entre la
tête et la queue.
Il est vrai que les produits de toutes
les saisons arrivent en même temps à
Paris, qu'ils s'y confondent, que les
muguets du printemps s'y mêlent aux
chrysanthèmes de l'automne et que les
petits pois y fleurissent au cœur de
l'hiver. Mais on aura beau forcer la na.
ture, ses produits naturels seront tou-
jours les plus savoureux et c'est un fait
depuis longtemps reconnu que
Qui veut.bon navet,
Le sème en juillet.
.#
Pourquoi ne faut-il pas arroser lei
fleurs en plein soleil ?
Réponse du docteur Decaisne qui fut
un des meilleurs botanistes du Jardin
des Plantes :
«Les plantes sont comme les hom-
mes et elles souffrent des mêmes ma*
ladies. Si, pendant que nous sommes
en grande sueur, on nous asperge
d'eau asel longtemps pour que la ré-
action se produire, nous attrapons une
pleurésie ou uno hronchite. Il on est do
même pour ies (leurs. Or, celles-ci, au
soleil, ont leur transpiration particu-
lière ; elles sont en état de moiteur. Et
bien, si à ce moment on les baigne dans
l'eau, elles n'ont pas toujours la force
de réagir et on les enrhume tellement
qu'elles peuvent en mourir ».
On peut ajouter ceci : les gouttes
d'eau qui restent, après l'arrosage, sur
les feuilles font lentilles et le soleil
dont elles décuplent la force, brûle leg
fleurs. -
*-**
Le président de la République Ef
Mme Félix Faure offriront, le 11 juillet,
un dîner aux officiers généraux et aux
chefs de corps de l'armée, de Paris, qui
prendront part à la revue du 14 juillet
i
Encore un coin du vieux Paris qui va
prochainement disparaître — je n'ose
ajouter: sous le pic des démolisseurs-
C'est la rue Gozlin, autrefois rue
Sainte-Marguerite, ouverte sur les fos^
sés qui entouraient au sud l'abbaye
Saint-Germain-des-Prés. >
L'ancien nom de cette rue, qui date:
de 1390, lui venait de l'enseigne d'un
armurier établi au coin de la rue des
Ciseaux, à YYmaige Sainte-Marguerite*
et où se trouve aujourd'hui un charcu-
tier qui a remplacé l'image de la sainta
par celle d'un cochon, agrémentée de
cette légende : « Tout est bon de la tête
aux pieds. »
Pendant longtemps la maison voisina
a prêté son abri à un café-concert, sous
l'invocation de Rabelais, où l'on chan-
tait plus de gauloiseries que de roman-
ces sentimentales. Il y à une dizaine
d'années que ce joyeux concefi a dLi,
paru. ;
C'est 4 la poterne du sud que î tivéqueT
Gozlin, le patron de la rue, fut bîessé
mortellement en dtfendaftt contre les
Cinq Centimes — Faris et Départements — Cinq Centimes 21 Messidor an 103— IqO 9231 "r - •
RÉDACTION »
k
131, RUE MONTMARTRE, 131 f
S'ADRESSER au SECRETAIRE DE LA RÉDACTIOO"
De >J- à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir a minuit
-
^L £ 3 MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SEILONT PAS BQDt18
1
ADMINISTRATION
:¡ < 131, RUE KOHTMARTJUI, 131
4 Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATEUR
;,Jt"-
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CEItp et Ofr
L 6, place de la Bourse, 6
et AUX BUREAUX DU JOURNAL
-. --- ABONNEMENTS POUR PARIS
UN MOIS 2 FR.
TROIS MOIS 5 —
SIX MOIS.. 9 FB.
UN AN. 18-
Fondateur : AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS POUR DÉPARTEMENTS ----,.
UN MOIS. 2 FB.
TROIS MOIS.. 6 —»
SIX 11011. lin.
mr an 20 —
tETTRES LIBRES
Mon cher Lefèvre,
Mon avant-dernière « Lettre libre »,
dans laquelle je signalais l'impuis-
sance ministérielle et parlementaire
produite par le vent de calomnie qui
souffle à travers la France depuis
quelques années, m'a valu un envoi
intéressant : celui de deux numéros de
la France du Sud-Ouest, dont l'un
contient la reproduction d'une partie
de ma Lettre et l'autre une interview
qui m'est communiquée dans le but
évident de corroborer mes observa-
tions.
Le correspondant parisien du jour-
nal de Bordeaux raconte qu'il est allé
voir, au sujet du canal des Deux-
Mers, l'honorable M. Gellibert des Se-
guins, député de laCharente et rappor-
teur du projet. Il le trouva fort épris
du travail réclamé par tout le Sud-
Ouest de la France, et très désireux de
voir aboutir promptement le « projet
qu'il va soutenir devantses collègues M.
Comme pour l'exécution de ce tra-
vail il faudra de gros capitaux, le cor-
respondant du journal bordelais fut,
tout naturellement, amené à deman-
der au rapporteur quels moyens finan-
ciers il compte préconiser. La réponse
est topique, je la reproduis textuelle-
ment : « Je dois vous dire que je n'ai
pas voulu m'en occuper. Le ministre
lui-même, qui est favorable en tous
points au projet, n'ose pas émettre une
opinion. C'est que, voyez-vous, ces
affaires-là deviennent délicates ! Après
les scandales que vous savez, mieux
vaut simplement poser la question aux
Chambres que de s'exposer à des insi-
nuations malveillantes.
x
Ainsi, voilà de grands travaux dont
une commission parlementaire re-
connaît l'utilité et même l'urgence,
puisque le rapporteur est d'avis d'en
saisir la Chambre le plus tôt possible,
Je ministre des travaux publicsest éga-
lement « favorable en tous points »;
cependant, ni la commission, ni le
ministre n'osent aborder la question
des moyens financiers auxquels il fau-
dra recourir pour l'exécution.Commis-
sion, rapporteur et ministre ont peur
de la malveillance ; ils se borneront à
« poser la question aux Chambres ».
Dans de pareilles conditions, il est
peu probable qu'il se trouve des dé-
putés plus audacieux que le ministre,
la commission et le rapporteur. Alors
même qu'il y en aurait, l'attitude du
gouvernement et des commissaires
serait bien faite pour les refroidir. Ils
sont prévenus d'avance qu'il ne leur
viendra d'en haut aucun concours. On
craindrait, en les soutenant, de se
compromettre avec eux. Et l'on ne
fera rien, on laissera les populations
du Sud-Ouest dans l'attente indéfinie
du canal de leur rêve, parce qu'on a
peur des attaques. Tout le monde sait
d'avance qu'elles seront calomnieuses,
mais on ne les redoute pas moins; car
on sait aussi qu'il y a des gens prêts à
les ramasser, un jour donné, afin de
combattre un concurrent possible à
quelque portefeuille ministériel.
La calomnie, en effet, est devenue
t'arme quotidienne des ambitions. Nos
ftobespierristes, pour être de moindre
taille que leurs ancêtres, n'en sont pas
moins âpres et n'ont pas davantage de
scrupules ; mais, l'humanité ayant, de-
puis cent ans, fait des progrès, et nos
mœurs ne permettant plus de décapi-
ter ses rivaux, on se borne à les désho-
norer, si possible. Et on le peut assez
aisément, grâce à la sottise du public.
x
Il est impossible pourtant que les
affaires, les travaux et les intérêts les
plus considérables de notre pauvre
France soient arrêtés par la peur que
chacun a des calomnies de son voisin.
Si le Sud-Ouest a besoin d'un canal, si
Je Nord requiert un chemin de fer, si
le Sud, l'Est ou l'Ouest ne sauraient,
sans voir péricliter leur commerce,
leur industrie, leur agriculture, atten-
dre plus longtemps des voies de com-
munication ou des ports, il est inad-
missible que la peur inspirée aux pou-
voirs publics par une poignée de dif-
famateurs, les en prive indéfiniment.
Les populations les plus dévouées à la
République se dégoûteraient vite d'un
régime sous lequel le gouvernement
et les Chambres ne seraient pas assez
robustes pour supporter les responsa-
bilités du pouvoir.
C'est d'abord au gouveraenent qu'il
appartient de réagir contre cet ef-
froyable abaissement des caractères.
Quoique les députés et les sénateurs,
en briguant les suffrages de leurs con-
citoyens, se soient moralement enga-
gés a faire passer les intérêts du QaII
avant le souci de leur propre tranquil-
lité, il est aisé' de comprendre qu'ils
hésitent devant les menaces de la ca-
lomnie et qu'ils reculent devant cer-
taines responsabilités. Tous les mor-
tels ne sont pas tenus d'avoir la
poitrine ceinte du triple airain dont
parle le poète romain. Mais de pa-
reilles frayeurs ne sont pas excusables
chez ceux d'entre les sénateurs et les
députés qui ont la prétention de gou-
verner la France.
Les fonctions ministérielles ne sont
pas obligatoires. Ceux qui les solli-
citent doivent avoir la taille qu'elles
exigent.
Il ne leur est pas permis d'ignorer
que le portefeuille ministériel ne con-
tient pas seulement des avantages ma-
tériels et des honneurs, mais encore,
et avant tout, des devoirs et des res-
ponsabilités, auxquels rien ne sous-
trait les ministres, et qu'ils ne peuvent
écarter sans commettre un acte de vé-
ritable félonie à l'égard du peuple dont
ils ont, volontairement, pris en char-
geles intérêts et les destinées.
Le pays a besoin de chemins de fer,
de canaux, de lignes de navigation, de
travaux et de services publics de toute
nature ; il a besoin d'établissements de
crédit solides et durables. Il a besoin
de vivre matériellement, industrielle-
ment. C'est sur les pouvoirs publics
qu'il compte pour lui assurer tout cela;
c'est au gouvernement qu'il le de-
mande, parce que c'est de lui seul qu'il
le peut attendre. Le gouvernement n'a
pas le droit d'écarter ces demandes
sous prétexte qu'il craint la calomnie
et la diffamation.
Celui qui n'a pas le cœur assez solide
pour dédaigner les attaques de l'envie,
de l'ambition rivale, de la méchanceté
ou de la sottise, celui-là n'est pas digne
d'aspirer aux honneurs et aux charges
du pouvoir ; il n'a pas les épaules assez
larges pour le gouvernement ; qu'il se
contente de défendre la veuve et l'or-
phelin, ou de vendre de la chandelle.
Encore, doit-il se dire, qu'on l'accuse-
ra, très probablement, de dépouiller
l'orphelin, de séduire la veuve et de
tromper le client sur le poids ou la
qualité de la chandelle.
x
La peur exagérée de la calomnie,
dont les représentants du pays et les
ministres donnent chaque jour le
spectacle, n'a pas seulement pour con-
séquence de rendre impossibles une
foule de travaux urgents; elle encou-
rage les calomniateurs, les fait naître
en quelque sorte, et rend l'existence
de toutes les grandes entreprises du
pays aussi difficile que celle du gou-
vernement.
Ni les compagnies de chemins de
fer, ni la Banque de France, ni le
Crédit foncier, ni les autres établisse-
ments de crédit, ni les compagnies de
navigation, etc. ne peuvent, en dépit
de quelques procès de presse, se croire
protégés contre les calomnies, le chan-
tage quand le gouvernement lui-même
donne l'exemple de la peur.
N'a-t-on pas vu, récemment, sous
l'influence, sans doute, de cette peur,
un ministre qui venait d'apposer sa
signature sur un contrat avec une
grande Compagnie française, déclarer
à la tribune de la Chambre, dans les
premiers mots de son discours, qu'il
n'attachait aucune importance à sa si-
gnature et qu'on pouvait la déchirer
avec l'acte au bas duquel il l'avait ap-
posée? Que cet acte fût bon ou mau-
vais, je l'ignore et n'en veux rien sa-
voir; je me demande seulement quelle
confiance le gouvernement inspirera
désormais aux gens avec lesquels il
traitera.
Les dangers provoqués par ce déplo-
rable affaissement moral sont d'au-
tant plus grands que ses victimes ne
paraissent pas en avoir la moindre
idée. Elles vivent depuis si longtemps
dans cette atmosphère, qu'elles en sont
empoisonnées sans en sentir la pesti-
lence. Les honnêtes gens y perdent
leur énergie, les affaires sont étouffées,
le pays s'anémie et s'appauvrit,et ceux-
là seuls échappent à l'empoisonnement
général qui l'ont provoqué pour en
tirer profit.
J.-L. DE LANESSAN.
————————————— —————————————
Le Tout à l'Egout,
Le conseil municipal inaugurait hier l'usine
de Colombes, faisant partie du système du
tout à l'égout (épandage d'Achères). M. Pou-
belle s'était joint au conseil municipal, ac-
compagné de son chef de cabinet, M. Colli-
gnon, de M. Hûet, chef de service des tra-
vaux de la ville et de MM. Bechmann, ingé-
nieur en chef du service de l'assainisse-
ment. ,-
A huit heures trois quarts du matin, le
train emportait, de la gare Saint-Lazare à
Argenteuil, les membres du conseil muni-
cipal et leurs invités. Le ministre des tra-
vaux publics était représenté par son chef de
cabinet, M. Flachon ; M. Nastier représen-
tait le ministre de l'intérieur et M. Philippe
le ministre de l'agriculture.
A neuf heures, le train arrive à Argenteuil
et les pompiers et la musique sont rangés
sur le quai de la gare pendaii Je maire
d'Argenteuil souhaite la bienvenue au préfet
de la Seine et au conseil JDunlcipal
Le cortège traverse la ville et monte sur i
aabfttoMsw.aUw vMUr Urina daColom-
bes et le pont d'Argenteuil où M. Poubelle
et M. P. Baudin prononcent des discours.
Après la visite de l'usine, le cortège re-
vient en bateau à la gare d'Argenteuil.
Le train part à onze heures et demie pour
Herblay, où l'on arrive quelques minutes
plus tard. Le cortège traverse la Seine, en
ateau et se rend à la ferme Fromainville où
un déjeuner est servi.
Après le déjeuner a eu lieu la visite des
çhamps d'épuration et du parc agricole d'A-
'Chères.
Au cours de la cérémonie, M. Pierre Bau-
din a remis à MM. Guillaumie, Sabatherie,
Pansier, Pinaud, Mardoux, Berger et Mo-
reau, ouvriers travaillant à l'entreprise, des
médailles commémoratives votées par le
conseil municipal, pour s'être fait remar-
quer par leur dévouement.
———————————— ———————.
UN SCANDALE MILITAIRE
, Il faut — cela est entendu — que la disci-
pline règne dans l'armée. Nous admettons
même qu'elle soit très rigoureuse dans les
bataillons d'Afrique, puisque ces bataillons
sont composés d'hommes qui ont commis
des délits ou qui sont des insubordonnés.
Mais la discipline no doit jamais aller jus-
qu'à la cruauté, et malheureusement la liste
est longue des tortures épouvantables infli-
gées aux soldats des bataillons d'Afrique.
Voici un nouveau fait, monstrueux celui-
là, qui vient do se passer à Souk-el-Arba, au
3e bataillon :
Deux soldats, partis sans congé, sont
venus mercredi dernier se constituer prison-
niers entre les mains du caporal de garde
Gally. Devant un sergent, le caporal ht en-
fermer les deux hommes dans une misérab.e
caban3 où on les attacha la tôte au mur et
les mains liées aux pieds. C'est le supplice
de la crapaudine.
L'un de ces malheureux, Urbain Chédcl,
accablé par la souffrance, demanda à boire.
Le caporal lui fit mettre une pierre et un
morceau de bois dans la bouche en guise de
poire d'angoisse. Quelques instants après, le
patient était mort.
Gally fut bien alors obligé de relâcher
l'autre.
Chédel a été inhumé le lendemain. On
nous apprend qu'à la suite de cet odieux
événement, de nombreuses désertions se
sont produites; le contraire eût été éton-
-riant.
Nous réclamons de la part du ministre de
la guerre une répression sévère. Les gradés
dans les bataillons d'Afrique, en prennent
vraiment trop à leur aise. Depuis cent ans
la torture est abolie. En aucune façon, pour
quelque délit et pour quelque crime que ce
soit, il ne saurait être permis à un caporal
de la rétablir.
L'opinion, d'ailleurs, ne comprendrait pas
qu'on essayât d'une façon ou de l'autre, d'at-
ténuer la terrible responsabilité — il y a eu
mort d'homme — assumée avec une certaine
gaieté de cœur par le caporal Gally. Un
exemple doit être fait.
CH. B.
,.
LA REUSSITE DU VOL PLANÉ
Le ballon crève. — Dans File de Rothschild
Tentative satisfaisante.
Un certificat:,¡,¡L L'avenir t
La journée d'hier sera assurément une de
celles qui dateront dans l'histoire de l'aéro-
nautique, car le résultat de la tentative de
vol plané faite par M. Cappaza accompagné
de M. de Gast, a des mieux réussi et fait
espérer beaucoup.
Comme nous l'avons annoncé le Caliban
est parti de l'usine à gaz du Landit à cinq
heures moins un quart emportant les deux
aéronautes. L'atmosphère était très belle et
les courants presque nuls, seul, un petit
vent d'est souillait.
M. Capazza, un moment, craignit que
cette nouvelle tentative fut sans résultat.
- Paris, répétait-il toujours, Paris, je ne
puis pourtant pas descendre encore sur les
cheminées.
Enfin il résolut de partir quand même, se
promettant, si le vent les poussait sur Paris,
de ne descendre qu'après avoir passé sur la
ville.
Péniblement l'aérostat s'enleva et s'éloi-
gna, toujours visible à l'œil nu pour les
spectateurs qui étaient restés à l'usine à gaz.
Il était cinq heures et demie, lorsqu'un cri
s'éleva :
— Il est crevé t
En effet de la poire renversée surmontant
la nacelle, il ne restait plus que la calotte ;
le parachute, qui lentement, mais visible-
ment descendait, descendait vers la terre.
Un quart d'heure plus tard, il avait disparu.
LE RECIT DE L'AERONAUTE
« J'étais exactement sur le parc aux Prin-
ces, à 3,000 mètres, lorsque j'ai crevé l'aé-
rostat; sans secousse nous sommes passé
de l'ascension en ballon à la descente en
parachute.
» Notre vitesse de descente fut d'environ
2 mètres à la seconde et, continuant à être
porté vers l'ouest, nous fûmes bientôt au-
dessus de la Seine, ne pouvant éviter d'at-
terrir (l) dans l'eau.
» C'est alors que j'ai tenté une expérience
du vol plané.
» Eh bien, avec une manœuvre déplaçant
à peine mon parachute de 10 à 12 degrés, je
suis arrivé à faire un angle de 75 degrés
avec le vent.
» Ce qui fait qu'avec un vent du sud, me
poussant au nord par conséquent, je suis
allé, grâce à ma manœuvre, au nord-est et
j'ai pu atterrir dans l'ile de Rothschild.
» Ma manœuvre a été tellement visible
qu'à notre descente on m'a signé le procès-
verbal suivant :
« Nous, soussignés, déclarons que le para-
» chute allait manifestement tomber dans la
» Seine lorsque, s'inclinant en sens inverse,
» il changea de direction et atterrit dans l'île
» de Rothschild.
» 7 juillet 1895. »
» RIEUDER, caporal des pompiers; LE-
- » CLERCQ, pompier, TH. LAMPIN. »
n Est-ce concluant ?
» Il faut aussi dire que j'avais à ma dispo-
sition un appareil d'une très grande enver-
gure, 364 mètres carrés. »
— Mais, demandons-nous vous avez pu
dévier la ligne du vent ; aurîez-vous pu re-
tarder votre atterrissage ?
— Oui, un peu, grâce au ièt dont je ae
, assurèrent pas
suffisamment pour f uu lor-
> fearlô tâ*.
à l'Académie, les ballons en forme de len-
tille, j'arriverai à faire l'expérience opposée
à celle d'aujourd'hui : la déviation ascension-
nelle.
(c Enfin que vous dire, je suis très heu-
reux d'avoir réussi et je crois que c'est là
une nouvelle donnée pour l'aérostation. fi
Quant, à nous qui avons assisté à presque
toutes les phases de l'expérience dhier et
qui avons vu les résultats, nous espérons
que le comité d'aérostation militaire va en-
treprendre au plutôt des essais pour rendre
officiels les résultats obtenus et les utiliser.
EMILE WILLÈME.
LE VESUVE TRAVAILLE
On dirait qu'une Méditerranée de feu
frémit sous l'azur de l'autre et entre-
choque ses vagues de lames, de la
plaine de Florence à celle de l'Attique
et de l'Apennin au Parnasse. Le sol de
la ville des fleurs a oscillé et ses habi-
tants avant de songer à la fuite ont
bravement couru voir si les monu-
ments, orgueil de la cité, étaient tou-
jours debout. Quelques fissures aux
Jancs des nobles murailles, un pan de
cloître écroulé là-haut, à Fiesole, une
douzaine de pièces de musée écornées
et une demi-douzaine de cadavres,
mais l'Amazone se tord au pied du pié-
destal sur lequel le sublime Persée
élève la tête que son glaive trancha; la
griffe de bronze du vieux lion Marzocco
n'a pas lâché l'écusson fleurdelisé ; les
portes du Baptistère ont prévalu contre
l'assaut infernal et le dôme de Prunel-
leschi plane encore sur l'Athènes ita-
lienne et passato il pericolo, gabbato il
santo. Dans l'autre Athènes, cependant,
la muraille sacrée du Parthénon qui
porte le dernier tronçon de la frise des
Panathénées a chancelé, elle qui avait
résisté à la poussée de vingt-cinq siè-
cles et aux bombes de Morosini, et je
viens de voir, de mes yeux, ses archi-
traves de marbre qui s'appuyaient en
détresse sur des échafauds de bois,
après avoir si longtemps
Sous le fronton du temple antique,
Sur le fond bleu du ciel attique,
Juxtaposé leurs rèves blancs.
A Olympie, le phénix des Antiques,
l'Hermès, a dû arc-bouter tragique-
ment la divine cambrure de ses reins
contre des tenons de fer; et à Delphes,
la maison où je passai naguères une
nuit inquiète de ce printemps mouillé,
venait d'être si secouée, quelque huit
jours en çà, qu'elle en était toute zébrée
de lézardes. Une visite à celui qui passe
pour le protagoniste de ce drame mys-
térieux s'imposait. Je suis donc allé
interviewer le Vésuve.
—o—
» Deux heures de trot à travers la lo-
queteuse banlieue de Naples et les or-
nières si poudreuses de Portici et de
Resina; trois heures d'une ascension
lente entre des vignes et des oliviers
luxuriants, des prairies et des basaltes
qui accrochent là, en terre classique,
des coins de sauvage Auvergne, parmi
des gamins infatigables et mendiants,
des photographes obséquieux, de te-
naces camelots, revendeurs de minerais
volcaniques et de sous incrustés dans
la lave, toute une théorie de pifferari
jouant, chantant et sifflant, tout un peu-
ple de parasites qui vit de son volcan
en attendant qu'il en meure, peut-être ;
puis la solitude, les laves pâteuses
dont les lourds remous figés en ronde
bosse, ainsi que la glace au front des
moraines alpestres, ourlent les revers
du Vésuve comme d'une ceinture de
glaciers noirs ; ensuite le vertige déli-
cieux du funiculaire au flanc du cône
terminal, en planant sur le chaotique
et fauve amas des baves du monstre
qui gronde et crache là-haut, au-dessus
de l'immense corsage vert tendre que
lui font les frondaisons printanières,
jusqu'au ruban turquoise du golfe qui
se plisse mollement de Sorrente à Mi-
sène ; enfin le cratère.
On est là, comme sur les derniers
gradins d'un cirque au centre de la
piste duquel s'élèverait un cône sem-
blable à ces amas de poussiers de char-
bons et de détritus minéraux qu'on
trouve aux abords des puits de mine.
Ce petit cône est la cheminée d'éruption
qui a surgi depuis trois mois et dépasse
maintenant de quelques mètres le ni-
veau du cratère ambiant. Soudain, le
haletant panacbe de fumée qui le coiffe
a rougi, un vaste et sourd crépitement
monte vite des mystérieuses profon-
deurs de la montagne, s'achève en une
explosion rèche, semblable au déchire-
ment des mitrailleuses, tandis que de
sa cime égueulée jaillit, parmi des vo-
lutes de vapeurs, toute une mitraille de
blocs incandescents. Celle-ci s'épanouit
dans l'air, exactement comme un bou-
quet de feu d'artifice, et rebondit et
dévale avec un son métallique, à vingt
mètres de nous, sur les flancs du cône
central, cependant qu'une grêle légère
de lapilli nous picote le cou et les
mains. Aucun danger d'ailleurs, du
moins les guides nous l'assurent : au
fait, pourquoi ce sol qui nous cuit main-
tenant la plante des pieds et nous fait
polker, comme coqs sur braise, s'ou-
vrirait-il ici plutôt que là? Restons, en
depit des quelques déserteurs qui filent
à l'anglaise, là-bas; baissons seulement
en visière les bords de nos chapeaux.
Et de songer que ce monstrueux phé-
nomène reste, après tout, un défi à
notre science moderne, si vaine : feu
central, disent les uns, depuis Héra-
clite ; réaction chimique où la mer, tent-
jours voisiné, joue son rôle, oppo.
sent les autres, et nul ne sait.
Le spectacle est fascinant, et je com-
prends Pline et Empgdocle, Elle les
comprend aussi la jolie miss qui, à dix
pas de moi, attend, le Grayon en l'air, la
nouvelle explosion pour continuer son
croquis instantané. Cependant, c'est à
la bouche du volcan un halètement gi-
gantesque, régulier, tout pareil à celui
d'un soufflet de forge, avec des siffle-
ments comme d'un fer rouge plongé
dans l'eau. Des bouffées plus fortes
de temps en temps s'exhalent, avec de
petites détonations : le cyclone projette
et ravale ses boules de feuet semble
jongler avec elles. Attention l le mons-
tre fait son effort périodique : Krrrak l
boum! lititititi! et ainsi toutes les dix
minutes, en moyenne. Et le cône monte
toujours, penchant et s'égueulant en
sens inverse de la r:#,nte Naples, juste
dans la direction de cette - étrange
masse de murailles qui font une tache
sombre derrière nous, à trois mille
pieds en contre-bas, dans la plaine
verte, entre les blancs damiers des
villas de Torre del Greco et de Castella-
mare. Or cette tache grise, c'est Pom-
péi. Ceci a déjà tué cela et tuera.
Allons-y voir.
—o—
J'ai erré au crépuscule à travers la
ville morte ; des ruines robustes ra-
contaient l'orgueil de ses temples et de
son forum, la joie de ses théâtres, la
mollesse de ses bains, l'élégance aris-
tocratique de ses villas, l'éternel char-
latanisme des réclames électorales, les
lourdes gaîtés des corps de garde et
des mauvais lieux et toute cette joie
de vivre, de donner la vie surtout que
commentent à satiété les fameuses
fresques, celle-ci, par exemple, déterrée
hier et dont la fraîcheur de coloris rend
plus insolent encore l'indicible sujet.
Etait-ce chez ces Gréco-Romains déca-
dents candeur du vieux culte phallique
ou perversité foncière que l'étrange et
obsédant état d'âme dont les emblèmes
violent partout le regard, si bien que la
vierge pudique qui baissait les yeux
pour ne pas les voir s'arborer insolem-
ment au front des maisons, les retrou-
vait gravés sur le pavé cynique des
rues ?
Et de toute cette ivresse d'être et de
persévérer dans l'être, voici mainte-
nant les derniers témoins. Au milieu du
musée de Pompéi, dans leurs cages de
verre, les moulages des cadavres me
disent, sous la lune qui bleuit leurs
formes spectrales, les agonies d'il y a
deux mille ans. Ils gisent là, dans l'ali-
gnement macabre de cette morgue clas-
sique, chacun avec la particularité tra-
gique de son spasme final : tels na-
guère, dans la mairie de Saint-Mandé,
— vous vous soutenez mon cher Bos ?
les trente et quelques qui eux aussi re-
venaient de la fête et dont les traits et
tous les membres mimaient la suprême
horreur. Ici cette jeune fille, la face
contre terre, le pied gauche crispé contre
le sol, cachant ses yeux de son bras
rond, tandis que les fines torsades de
ses cheveux la coiffent comme d'un bon-
net phrygien, que les tissus légers se
sont troussés et massés sur ses seins
délicats, et qu'un escalier descendant
sous la cage transparente, offre aux
curieux le spectacle troublant de toute
sa forme adorable et de son dernier
soupir. Là, ce chien, les quatre pattes
en l'air, tordu en fer à cheval. Plus
loin, cet épais bourgeois au nez busqué,
qui a l'air de dormir paisiblement, la
tète sur ses deux bras croisés. Il
fuoeo ! vient me crier le vieux et grave
custode, et dehors, juste dans l'axe de
l'arc de Caligula, je vois flamber le
Vésuve, le grand coupable ; et le veil-
lard me prédit une forte éruption pour
cette année : Quando comincia in
questa maniera il fuoeo, signore.
Naples s'est éveillée ooùs la caresse
du soleil levant qui dore ie coteau du
Pausilippe ; les barques glissent sur la
moire d'argent ; des pêcheurs à la main,
nus et ayant à la peatlla patine ambrée
des héros des Priapées de Pompéi, se
glissent entre les roches ; une compa-
gnie de bersaglieri martèle les dalles du
quai de son pas martial à la cadence
rapide ; du creux des ruelles montent
des chants et des accords de guitare ;
aux balcons se profilent des tailles svel-
teg et luisent des yeux noirs-; la vie
universelle reprend son rythme gai ici,
à Napoli, comme là-bas de l'autre côté,
jadis à Pompéi, et nargue le monstre
qui fume et bave là-haut, méditant
quelque formidable ruade, du moins si
j'en crois le vieux « custode » (1). Qui
d'eux ou de leur postérité mourra
dans les spasmes du chien, dans les
affres de la vierge du musée de Pom-
péi, ou glissera philosophiquement du
rêve à la mort, comme le bourgeois au
nez busqué ? Qui viendra contempler le
moulage de leur agonie dans quelque
musée du quarantième siècle?. Bah !
dansez la tarentelle et chantez Santa
Lucia au bord du golfe bleu.
EUGÈNE LINTILHAC.
LE CONGRÈS PÉNITENTIAIRE
Les membres du congrès pénitentiaire
sont allés hier matin à Gaillon, où ils ont
visité la maison de correction de Douaires.
Les détenus formaient la haie sur le pas-
sage des congressistes dont l'arrivée a été
saluée aux sons de la Marseillaise. La visite
terminée, les délégués étrangers ont pris
part à un déjeuner servi sous un superbe
velum dressé dans l'allée principale du péni-
tencier. Au dessert, plusieurs allocutions
ont été prononcées.
Avant de regagner Paris, les délégués ont
visité la maison centrale et l'asile des aliénés
de Gaillon, dont M. le directeur Beaunier
leur a fait les honneurs.
(1) Aux dernières nouvelles, on annonce ■
qj'au Vésuve « deux nouveaux crdtè-
res BÕ ouverts. lançant abondamment de
la lave vers la vole, du funiculaire de Ré-
J>INA,MJ| Y
A MADAGASCAR
Le Journal officiel publie l'état nominatif
des officiers, assimilés et employés militai»
res désignés par le sort pour concourir à la
relève du personnel des troupes et services
du corps expéditionnaire de Madagascar.
Le tour de départ de ces officiers, a.a«îmU
lés et employés militaires sera fixé d'aprèi
leur ordre d'inscription et suivant les bec
soins de la relève.
> - '! • "- J.
Le transport le Vinh-Long vient d'être ddt
signé, à Toulon, pour aller le mois prochain
à Madagascar, y servir de bâteau-hôpitaL
—-—————————
LA GRÈVE GÉNÉRALE
Le congrès du parti ouvrier socialiste ré-
volutionnaire (parti allemaniste) a terminé
hier ses travaux, ainsi que nous l'avions
annoncé.
Dans sa dernière séance, il a fait adhésion
pleine et entière au principe de la grève gé-
nérale. t
La grève générale, c'est la révolution, la
chose est bien entendue, et une révolution
est assez difficile à organiser.
Le vote du congrès allemaniste n'a pas
d'autre importance. Il fallait pourtant le si*
gnaler. , or
ÉLECTIOÎ SIIATORIÀLI DU 1 JUILLET
MAINE-ET-LOIRE
Inscrits : 977 I Votants : 971
MM. de Blois, réact. 602 voit
Joxé, répub. 339
Bulletins blancs 20
Divers 10
M. de Blois est élu
Il s'agissait de remplacer M. le comte
d'Andigné, réactionnaire, décédé, réélu at
renouvellement de 1883 par 708 voix contre
247 au candidat républicain le plus favorisé,
LES ON-DIT
Malgré les pessimistes qui nous pro.
mettaient un été désastreux, les gens
des campagnes — pour ses débuts du
moins — n'en pouvaient rêver un plus
heureux. Rarement la terre avait étalé
pareilles richesses : les épis qui com*
mencent à se dorer sont chargés de
grain, les arbres des vergers ploient
sous les fruits.
Juin, qui vient de finir, nous a donné
en abondance les fraises et les cerises,
et la récolte, Dieu merci 1 n'en est pas
encore épuisée. C'est maintenant la
tour des framboises et des figues, des
abricots et des pêches, des poires pr
coces et des pommes de Calville d été.
Avec juillet, la truite de rivièreappa-
raît plus nombreuse sur nos marchés :
la fauchaison des prés permet la pêche
à l'écrevisse. - mais c'est surtout le
moment de sentir le poisson entre la
tête et la queue.
Il est vrai que les produits de toutes
les saisons arrivent en même temps à
Paris, qu'ils s'y confondent, que les
muguets du printemps s'y mêlent aux
chrysanthèmes de l'automne et que les
petits pois y fleurissent au cœur de
l'hiver. Mais on aura beau forcer la na.
ture, ses produits naturels seront tou-
jours les plus savoureux et c'est un fait
depuis longtemps reconnu que
Qui veut.bon navet,
Le sème en juillet.
.#
Pourquoi ne faut-il pas arroser lei
fleurs en plein soleil ?
Réponse du docteur Decaisne qui fut
un des meilleurs botanistes du Jardin
des Plantes :
«Les plantes sont comme les hom-
mes et elles souffrent des mêmes ma*
ladies. Si, pendant que nous sommes
en grande sueur, on nous asperge
d'eau asel longtemps pour que la ré-
action se produire, nous attrapons une
pleurésie ou uno hronchite. Il on est do
même pour ies (leurs. Or, celles-ci, au
soleil, ont leur transpiration particu-
lière ; elles sont en état de moiteur. Et
bien, si à ce moment on les baigne dans
l'eau, elles n'ont pas toujours la force
de réagir et on les enrhume tellement
qu'elles peuvent en mourir ».
On peut ajouter ceci : les gouttes
d'eau qui restent, après l'arrosage, sur
les feuilles font lentilles et le soleil
dont elles décuplent la force, brûle leg
fleurs. -
*-**
Le président de la République Ef
Mme Félix Faure offriront, le 11 juillet,
un dîner aux officiers généraux et aux
chefs de corps de l'armée, de Paris, qui
prendront part à la revue du 14 juillet
i
Encore un coin du vieux Paris qui va
prochainement disparaître — je n'ose
ajouter: sous le pic des démolisseurs-
C'est la rue Gozlin, autrefois rue
Sainte-Marguerite, ouverte sur les fos^
sés qui entouraient au sud l'abbaye
Saint-Germain-des-Prés. >
L'ancien nom de cette rue, qui date:
de 1390, lui venait de l'enseigne d'un
armurier établi au coin de la rue des
Ciseaux, à YYmaige Sainte-Marguerite*
et où se trouve aujourd'hui un charcu-
tier qui a remplacé l'image de la sainta
par celle d'un cochon, agrémentée de
cette légende : « Tout est bon de la tête
aux pieds. »
Pendant longtemps la maison voisina
a prêté son abri à un café-concert, sous
l'invocation de Rabelais, où l'on chan-
tait plus de gauloiseries que de roman-
ces sentimentales. Il y à une dizaine
d'années que ce joyeux concefi a dLi,
paru. ;
C'est 4 la poterne du sud que î tivéqueT
Gozlin, le patron de la rue, fut bîessé
mortellement en dtfendaftt contre les
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