Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-05-31
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 31 mai 1894 31 mai 1894
Description : 1894/05/31 (N8847). 1894/05/31 (N8847).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7541050x
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
tf* 8847 — .T"d; f Mai tR04
12 Prairial anioz — 1110 W4,
CINQ centimes le numéro
RÉDAtTIOI
131, isi
fADRESSER AU SECRÉTAIRE DE U RÉDACTION
De 4 h 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
pl IUMSQBR8 nx DIstds NB SEEOOT PAS BBSBC
LE RAPPEL
ADMINISTRATION
131, BUE MONTMABTBE, 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINIST,RATEUR.GÉRAN'
ANNONCES
MIL Ch. LAGRANGE, CERF et 9
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
> IV MO» 2 PB.
BOU.OIL. 5 —
SIX KOIS 9 FB.
mu 18 —
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACOUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Ull MOIS 2 FB.
TROIS MOIS. 6 -
six MOIS lin,
UN AH 20 —
Nous prions ceux de nos lecteurs dont
flllbonnemnt expire le 31 mai de
'le renouveler le plus vite possible afin
il'éviter une interruption dans (a récep-
tion du journal.
1 Joindre une des dernières bandes à
hoçue renouvellement.
VQIR A LA 38 PAGE
LA NOMENCLATURE DES
ROUELLES PRIMES GRATUITES
que nous offrons à nos abonnés
Le ministre llupuy
La crise ministérielle a pris fin hier
après sept jours de durée. A six heures
du soir, M. Charles Dupuy achevait de
constituer son cabinet qui est ainsi com-
posé :
Présidence du conseil
Intérieur et Cultes. - DUPUY
Finances POINCARE
Justice. GUÉRIN
Affaires étrangères. HANOTAUX
Guerre. CI MERCIER
Marine FÉLIX FAURE
Colonies. DELCASSÉ
Instruction publique et
Beaux-Arts LEYGUES
Travaux publics BARTHOU
Commerce. LOURTIES
Agriculture VIGER
Le nouveau cabinet contient, on le
voit, sept députés, deux sénateurs, MM.
Guérin et Lourties, et. deux membres ne
faisant pas partie du Padement, MM.
Hanotaux et le général Mercier. Sur les
onze membres, six n'ont jamais été mi-
nistres, ce sont MM. Delcassé et Félix
Faure — qui ont été toutefois sous-se-
crétaires d'Etat — et MM. Hanotaux,
Leygues, Barthou et Lourties qui n'ont
fait p rtie d'aucun ministère à aucun
titre.
Si l'on excepte le ministre de laguerre
qui n'a pas d'antétédénts politiques, le
cabinet qui est d'une complète homogé-
néité, apparti, nt tout entier à l'ancienne
nuance de l'union républicaine qui exis-
tait dans les précédenteb législatures.
Un fait à signaler c'est la jeunesse de
plusieurs des membres iu cabinet : MM.
Poincaré et Leygues sont âgés de trente-
cinq ans, M. Barthou de trente-deux
ans. M. Charles Dupuy a quarante-trois
ans et M. Delcassé quarante-deux ans.
Du cabinet Casimir-Perier, seuls MM.
Viger et le général Mercier passent dans
le cabinet nouveau.
Au point de vue biographique, il y a
peu de choses.qui ne soient déjàconnues,
à signaler au sujet des membres qui ont
déjà été ministres.
M. Ch. Dupuy, député de la Haute-
oire, après avoir été ministre de l'ins-
truction publique, est devenu président
tu conseil, ministre de l'intérieur le 4
avril 1893, il a gardé le pouvoir en cette
qualité environ huit mois, et en décem-
bre dernier a fait place à M. Casimir-
Perier qu'il a remplacé à la présidence
de la Chambre.
M. Guérin, sénateur de Vaucluse, a
{té une seule fois ministre, comme garde
des sceaux du premier cabinet Dupuy.
M. Poincaré, député de la Meuse, éga-
lement n'a été ministre qu'une seule fois,
également dans le premier cabinet Du-
puy, où il avait le portefeuille de l'ins-
truction publique.
Actuellement M. Poincaré était rap-
porteur général de la commission du
budget. g
Le général Mercier n'a été ministre
que dans le cabinet Casimir-Perier.
M. Viger, député du Loiret, a été sans
interruption ministre de l'agriculture
dans les cabinets Ribot, Dupuy et Casi-
mir-Perier depuis dix-huit mois.
M. Félix Faure, député de la Seine-
Inférieure, et M. Delcassé, député de
l'Ariège, ont été tous deux sous-secré-
taire d'Etat des colonies.
M. Félix Faure est depuis la Répu-
blique le quatrième ministre civil de la
marine; ses prédécesseurs ont été MM.
Gougeard, Cavaignac et Burdeau. Mem-
bre de la commission du budget à plu-
sieurs reprises, M. Félix Faure est en
outre actuellement vice-président de la
Chambre.
M. Leygues, député de Lot-et-Garonne,
qui succède à M. Spuller à l'instruction
publique, est un des membres les plus
distingués de la commission du budget,
qui lui a confié cette année le rapport du
budget des beaux-arts.
M. Barthou, député des Basses-Pyré-
nées, le plus jeune des nouveaux mi-
nistres, s'est déjà fait une place à la
Chambre comme orateur politique. On
se souvient du grand débat d'il y a cinq
mois sur le socialisme, où il répondit
avec éclat à M. Jaurès qui exposait la
doctrine des socialistes.
M. Gabriel Hanotaux, le nouveau mi-
nistre des affaires étrangères, a appar-
tenu à.laChambre des députés de 1885
à 1889, comme représentant de l'Aisne.
Il sortait de la carrière diplomatique
lorsqu'il alla siéger au palais Bourbon,
et y est rentré en 1889 lorsqu'il renonça
à la vie parlementaire.
Il a géré l'ambassade de France à
Constantinople comme conseiller d'am-
bassade. Devenu ministre plénipoten-
tiaire de lre classe, il occupe actuelle-
ment les fonctions de directeur des con-
sulats et des affaires commerciales aux
affaires étrangères. En outre, il y a quel-
ques semaines à peine, M. Hanotaux
allait à Bruxelles comme délégué du
gouvernement français pour traiter de
cette question du Congo qui est devenue
depuis si grosse, et pour la discussion
de laquelle il fera preuve d'une compé-
tence particulière.
Le nouveau ministère en se formant
va donc déterminer la vacance de la
présidence et d'une vice-présidence à la
Chambre et de trois sièges à la com-
mission du budget dont celui de rappor-
teur général. -
Les affaires étrangères avaient été
offertes par télégramme à M. Cambon, à
Constantinople, qui a refusé. M. Charles
Dupuy les a offertes alors à M. Hanotaux
qui a demandé jusqu'à ce matin pour
faire connaître sa réponse.
M. Charles Dupuy s'est rendu dans la
soirée à l'Elysée et a présenté ses col-
lègues à M. Carnot.
Les ministres se réuniront ce matin à
l'Elysée à dix heures, M. Carnot signera
les décrets de nomination qui paraîtront
jeudi matin au Journal officiel.
On annonce que pour ses débuts le
nouveau ministère sera interpellé de-
main à la Chambre par M. Le Hérissé
sur la nouvelle question Turpin.
On assure, d'autre part, que le député
socialiste Vaillant compte demander la
discussion de l'interpellation qu'il a
déposée lundi dernier au sujet des me-
sures de police prises dimanche auPère-
Lachaise.
——— ———
LA CHAMBRE ET LE PAYS
Quelques jours avant la chute du
ministère, le 20 mai, un ministre
d'alors, M. Spuller, a prononcé, à
Chaulnes, un discours intéressant,
dans lequel nous notons ces paroles
prophétiques :
— « De jour en jour, à moins qu'à
un tournant de la politique nous ne
trouvions quelque chausse-trappe où
nous pourrons tomber et succom.
ber. »
Et, après avoir énuméré les ques-
tions et les interpellations dont le mi-
nistère avait été criblé (22 interpella-
tions et 25 questions, en cinq mois et
demi), le ministre de l'instruction pu-
blique concluait :
— « Comment avons-nous pu vivre
et durer? Comment avons-nous
échappé jusqu'à présent aux surprises
du scrutin? Je me le demande. »
Les ministres ne devaient pas y
échapper longtemps, aux surprises du
scrutin et aux chausses-trappes. Qua-
rante-huit heures après, ils n'étaient
plus ministres.
Pourquoi?
Si nous en croyons l'ex-ministre, ils
avaient le pays avec eux. Ils l'avaient
même plus qu'aucun ministère ne
l'avait eu encore :
— « Notre situation est très forte
dans le pays. J'irai plus loin: je ne
crois pas qu'au point de vue de l'opi-
nion, aucun autre cabinet ait eu de-
puis longtemps la force et l'autorité
qui nous est donnée par tous les répu-
blicains répandus sur tout le territoire
et qui composent l'immense majorité
de la France. »
Et un ministère qui avait avec lui
l'immense majorité du pays a suc-
combé à la première surprise et s'est
cassé le cou dans la première chausse-
trappe?
C'est que, s'il avait avec lui la
France, il avait contre lui la Chambre:
— « Notre situation, si forte dans le
pays, est précaire et menacée dans la
Chambre. »
Qnel motif la Chambre avait-elle
donc de les menacer? S'étaient-ils
insurgés contre elle? Au contraire:
— « Nous sommes avant tout des
parlementaires, nous savons ce qui
est dû aux représentants du peuple ».
Et c'est par le respect dû à la
Chambre que M. Spuller explique la
formation du ministère dont il a fait
partie.
Après les élections d'octobre 1893,
le président de la République crut de-
voir maintenir le ministère en exer-
cice. La Chambre - nouvelle ne s'y
prêta pas. Il fallait un nouveau ca-
binet. Appelé par M. Carnot, M.
Spuller déclara que le premier cabinet
de la législature devait être constitué
par la Chambre elle-même. Elle ve-
nait de prendre pour son président
M. Casimir-Perier : c'était donc M.
Gasimir-P erier que M. Carnot devait
prendre pour président du conseil.
Ainsi fut fait.
M. Spuller peut donc dire que le
ministère dont il a fait partie a été
l'œuvre de la Chambre.
Eh bien, la Chambre a défait son
œuvre. Son propre ministère a cessé
de lui plaire, elle l'a rendu. M. Spuller
est convaincu qu'en cessant de plaire
à la Chambre, le ministère Perier-
Spuller n'avait pas cessé de plaire au
pays :
-« Le pays nous juge; il distin-
gue ceux qui gaspillent le temps de
la nation et ceux qui lui consacrent
leurs efforts; nous savons bien, quant
à nous, que nous nwons rien à perdre
à cette comparaison. »
Ce serait donc la Chambre qui
aurait tout à y perdre? Il y aurait donc
contradiction flagrante entre le pays
et la Chambre?
La solution serait donc, comme je
le disais l'autre semaine, la disso-
lution ?
AUGUSTE VACQUERIE.
LE NOUVEAU CABINET
Au fond, simple chassé-croisé que
cette crise aujourd'hui terminée. M. Du-
puy repasse à M.'Casimir-Perier l'habit
noir du président. Car il est fort vrai-
semblable que M. Casimir-Perier va être
rappelé au fauteuil. Nous pourrons nous
croire plus jeunes de six mois. Douce
iUusion 1
Ce n'est un mystère pour personne
que, si celle-ci s'est dénouée, c'est grâce
à l'acceptation de M. Poincaré. Dans le
public, on pourra peut-être s'étonner, car
M. Poincaré est un des jeunes, un des
tout jeunes de la Chambre et sa physio-
nomie est encore peu connue au delà du
monde politique. Quoi! le refus de M.
Poincaré eût pu faire avorter la combi-
naison?. W il vous plaît, combien comp-
tez-vous de ministres des finances pos-
sibles sur les 900 membres du Parle-
ment? J'en vois, moi, huit, tout en
gros : M. Burdeau qui sort d'en prendre;
MM. Rouvier, Léon Say et Ribot, aux-
quels, pour des raisons diverses, on ne
songe pas, pour le moment, à faire
appel, M. Clamageran qui n'en veut à
aucun prix, MM. Boulanger et Peytral
qui se sont récusés; M. Poincaré qui a
bien voulu. — Cherchez ailleurs.
Le choix est, du reste, excellent. M.
Poincaré a beau être né le 20 août 1860,
— oh! la jeunesse, que c'est beau 1 — il
n'en est pas moins un homme avec le-
quel et sur lequel il faut compter. C'est
un travailleur acharné, un esprit ferme
et précis, de parole claire et pénétrante,
d'attitude loyale. Il a étudié avec passion
les questions financières. Avant d'être
pour la deuxième fois rapporteur géné-
ral du budget, il avait été, à deux repri-
ses, rapporteur du ministère des finan-
ces. Un spécialiste. Ajoutez : le plus ai-
mable, le plus courtois des hommes.
Deux autres aimables auxquels il sied
de souhaiter la bienvenue, c'est M. Del-
cassé et M. Barthou. M. Delcassé n'avait
encore été que sous-secrétaire d'Etat;
c'est pour la première fois que M. Bar-
thou aborde le pouvoir. Remarquez-vous
comme ce ministère est jeune ? J'ai dit
plus haut l'âge de M. Poincaré. M. Del-
cassé est de 1852; quant à M. Barthou,
il est le Benjamin de la combinaison, né
le 25 août 1862 ! Et à côté nous voyons
encore un nouveau, et un jeune, M.
Leygues, né en 1857, cette année si par-
ticulièrement féconde en, hommes poli-
tiques et en journalistes, et à qui nous
devons MM. Jonnart, Doumer, Pichon,
Pétrot, Alexandre Hepp, Mario Sermet.
sans compter le célèbre Charles Ter-
ront. et j'en passe !.
Deux membres seulement du cabinet
Casimir-Perier persistent* le général
Mercier et M. Viger, qui est en train de
devenir aussi inamovible à l'agriculture
que jadis M. Cochery l'était aux postes.
Et songez que, précisément, M. Cochery
était député du Loiret, comme -M.
Viger.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
Voir à la S4 page la suite de notre
feuilleton
TAPE-DUR
UNE NOUVELLE AFFAIRE TURPIN
Un acte de trahison
Les déclarations de Turpin
Un engin de guerre vendu à la Triplice
Chez M. de Ramel
L'opinion de M. Cardane
Réponse de M. Casimir-Perier
Au ministère de la guerre
A la Chambre.— A la Société de panclastite
La vie de Turpin
On se rappelle le fameux procès in-
tenté à Turpin et à Triponé pour avoir,
disait l'accusation, entrepris de vendre
la mélinite à une maison anglaise.
Aujourd'hui Turpin, qui a été gracié
par le gouvernement français bien avant
l'expiration de sa peine, et dont on n'a-
vait pas entendu parler depuis quelque
temps, fait une triste réapparition. Un
rédacteur de la Patrie l'a vu à l'étranger,
a obtenu de lui une interview sensation-
nelle qu'il a publiée hier et qui provo-
quera, dans ce pays si patriote, une vive
émotion. Turpin a avoué, en effet, avoir
livré à une grande puissance militaire
un engin formiftble de guerre, inventé
par lui et qui, dit-il, est tel que la nation
qui le possède est absolument sûre de
la victoire.
Nous n'avons aucune raison de douter
de l'exactitude du récit de notre con-
frère, d'autant que les faits qu'il a
contés ont été confirmés, hier dans la
soirée, par diverses personnes que
Turpin avait mises en cause, et no-
tamment MM. de Ramel, député, et J.
Cardane, rédacteur au Figaro. Il resterait
donc acquis que, dans un but de lucre
et par esprit de vengeance, Turpin a
trahi la France et n'a pas hésité à vendre
ses découvertes à l'ennemi. Or, dans
l'espèce, l'ennemi n'est autre, d'après
la Patrie, qu'une puissance de la tri-
plice.
Voici maintenant ce que Turpin a dit
à notre confrère :
Je ne suis plus Français. Je suis quel-
qu'un sans patrie. J'ai trop souffert, là-bas.
Je suis allé jusqu'au bout du martyre.
Mais, tenez, je vai., vous conter tout, —
tout, jusqu'à cet acte décisif de ma vie, qui
date d'hier même, et par lequel j'ai renié
définitivement la France, trop ingrate, trop
dure pour moi. Et vous pourrez redire tout
cela, publiquement. Ce n'est pas moi le vrai
coupable, ce sont ceux, dont je vais vous
donner les noms, qui m'ont chassé de ma
patrie, qui m'ont jeté dans le bras de l'é-
tranger, où il a bien fallu, fatalement, que
je tombe.
A ce moment, Turpin est revenu sur
son procès, sur sa détention à Etampes,
sur les souffrances qu'il a endurées. Puis
il a parlé de ses dossiers :
«Tenez! tenez! » et il jetait devant moi
des liasses qui portaient ces titres: Do-sier
de Freycinet, dossier Mathieu, dossier De-
loye, dossier Triponé.
Celui-là — me disait-il en me montrant
un do sier — celui-là contient l'honneur
d'un général français.
Eh bien! j'ai gardé le silence. Je ne vou-
lais pas livrer mon pays à de nouveaux
scan laies. Je me remis paisiblement aŒ
travail pour la France. J
Depuis dix années, j'avais l'idée d'un ar-
mement nouveau; depuis dix années je
peinais nuit et jour sur le problème. Je
trouvai, pendant ce temps même où j'étais
en prison, la solution définitive. Il n'y man-
quait que la sanction de quelques expé-
riences que je puis faire à ma sortie. Elles
étaient concluantes, éclatantes.
J'avais découvert un puissant engin de
guerre, comprenant à la fois l'emploi do
nouveaux explosifs, de nouveaux projec-
tiles, dont l'ensemble était de nature à
transformer complètement une partie do
l'armement, aussi bien dans la marine que
dans l'armée de terre, dans l'attaque et
dans la défense.
Les effets en étaient foudroyants. La na-
tion qui, seule en possession de ce secret,
réalisait aussitôt l'armement néce saire, te-
nait en sa puissance le sort de l'Europe.
Il prétend avoir voulu doter la France
de ce formidable engin, mais tout le
monde l'aurait rebuté, surtout le minis-
tre de la guerre, général Mercier, qui
lui aurait répondu « dédaigneusement ».
Déjà, cependant, des puissances étran-
gères lui avaient fait des propositions
qu'il avait repoussées.
Alors, a-t il ajouté, un certain M. Bois,
un agent officieux de l'Ely-ée, — qu'on dé-
savouera peut-être, par raison d'Etat, mais
sur les démarches duquel je vous commu-
niquerai tout à l'heure des documents pro.
bants, — un certain M. Bois, par l'intermé-
diaire tout amical, tout dévoué, tout pa-
triotique de votre confrère du Figaro, M.
Cardane, et aussi de Pierre Denis, entra en
pourparlers avec moi. Il me proposa de
livrer moa secret, "oùs pli cacheté, à M.
Carnot, président de la République, et au
général Borius. Le président et le généra!
devaient s'engager au silence, sous leur
parole d'honneur.
Mais j'étais devenu défiant. Je ne voulus
rien écrire. Je consenti- simplement à
voir M. Carnot, à lui confier verbalement
ma découverte.
Alors M. Bois me fit une autre proposi-
tion : il me demanda de me rencontrer
quelque part, dans Paris, avec le général
Burius; ce devait être, en quelque sorte, la
prélude, la préface de mon entrevue avec
M. Carnot. Le général Borius voulait s'as-
surer, en causant avec moi, que « j'étais un
homme calme, sérieux, nullement déséqui-
libré, et qu'il pourrait m'introduire auprès
de M. Carnot, sans danger pour celui-ci. »
Cela confinait au grotesque. J'acceptai
cependant cette entrevue préalable avec le
général Borius, et j'attendis qu'on me fixât
le fameux rendez-vous. On ne me le fixa
pas.
M. de Ramel, au dire de Turpin, serai
intervenu en sa faveur. Et pendant
qu'une grande puissance militaire de
l'Europe faisait auprès de l'inventeur les
sollicitations les plus pressantes , M
Casimir-Perier écrivait à M. de Ramel la
lettre suivante dont notre sympathique
confrère Cardane, du Figaro, possède,
paraît-il, la copie :
PRÉSIDENCE DU CONSEIL
Paris 15 mai, 1894.
Monsieur Casimir-Perier à Monsieur de
Ramel, député.
Monsieur et cher collègue,
La nouvelle invention que vous me
gnalez est, avant tout, du ressort du mi-
nistre de la guerre Aussi en-ai-je touché
quelques mot- au général Mercier. Ce court
entretien me dicte ma réponse. Je regrette
que M. Turpin ait cru devoir écrire au
général Deloye, directeur de l'artillerie, à la
date du 20 avril jernier, une lettre qui ne
permet pas au département de la guerre de
te mettre à nouveau en rapport avec cet
inventeur.
Agréez, monsieur et cher collègue, Iftg
assurances de ma haute considération.
Là-dessus, Turpin traite avec l'étran-
ger. Laissons-le parler :
Dans un coup d'affolement, toute ma vi<
perdue, toutes mes espérances détruites,
FeuiUoton du RAPPEL
DU 31 MAI
2
LES #
J QUARANTE-CI NO
1
La porte Saint-Antoine
- Suite -
A la vue ae cette nouvelle précaution
ce la porte fermée, un long murmure
d'étonnement et quelques cris d'effroi
s'élevèrent de la foule compacte qui
encombrait les abords de la barrière.
— Faites faire le cercle l cria la voix
fmpérative d'un officier.
La manœuvre fut opérée à l'instant
même, mais non sans encombre : les
gens à chevalet les gens en charrette,
forcés de rétrograder, écrasèrent çà et là
quelques pieds, et enfoncèrent à droite
et à gauche quelques côtes dans la
foule.
Les femmes criaient, les hommes ju-
raient; ceux qui pouvaient fuir fuyaient
en se renversant les uns sur les autres.
— Les Lorrains t les Lorrains t cria une 1
voix au milieu de tout ce tumulte.
To r le Rappel d'hier. J
Le cri le plus terrible, emprunté au
pâle vocabulaire de la peur, n'eût pas
produit un effet plus prompt et plus dé-
cisif que ce cri ;
— Les Lorrains ! ! [
— Eh bien ! voyez-vous ? voyez-vous ?
s'écria Miton tremblant, les Lorrains,
les Lorrains, fuyons !
- Fuir, et où cela? demanda Friard.
- Dans cet enclos, s'écria Miton en
se déchirant les mains pour saisir les
épines de cette haie contre laquelle était
moelleusement assis l'inconnu.
— Dans cet enclos, dit Friard ; cela
vons est plus aisé à dire qu'à faire,
maître Miton. Je ne vois pas de trou
pour entrer dans cet enclos, et vous
n'avez cas la Drétention de franchir cette
haie qui est plus haute que moi. - - -
— Je tâcherai, dit Miton, je tâcherai.
Et il fit de nouveaux efforts.
- Ah f prenez donc garde, ma bonne
femme! cria Friard du ton de détresse
d'un homme qui commence à perdre la
tête, votre âne me marche sur les talons.
Ouf! monsieur le cavalier, faites donc
attention, votre cheval va ruer. Tudieu!
charretier, mon ami, vous me fourrez
le brancard de votre charrette dans les
côtes.
Pendant que maître Miton se cram-
ponnait aux branches de la haie pour
passer par-dessus, et que le compère
Friard cherchait vainement une ouver-
ture pour se glisser par-dessous, l'in-
connu s'était levé, avait purenjent et
simplement ouvert le compas ae ses
longues jambes, et d'un simple mouve-
ment, pareil à celui que fait un cavalier
pour se mettre en sellek Il avait eaiambé j
la haie sans qu'une seule branche effleu-
rât son haut-de-chausses.
Maître Miton l'imita en déchirant le
sien en trois endroits ; mais il n'en fut
point ainsi du compère Friard qui, ne
pouvant passer ni par-dessous ni par-
dessus, et, de plus en plus menacé d'être
écrasé par la foule, poussait des cris
déchirants, lorsque l'inconnu allongea
son grand bras, le saisit à la fois par sa
fraise et par le collet de son pourpoint,
et, l'enlevant, le transporta de l'autre côté
de la haie avec la même facilité qu'il eût
fait d'un enfant.
- Oh ! oh ! oh ! s'écria maître Miton,
réjoui de ce spectacle, et suivant des
yeux l'ascension et la descente de son
ami maître Friard, vous avez l'air de
l'enseigne du Grand-Absalon.
— Ouf ! s'écria Friard en touchant le
sol, que j'aie l'air de tout ce que vous
voudrez, me voilà de l'autre côté de la
haie, et grâce à monsieur.
Puis, se redressant pour regarder l'in-
connu à la poitrine duquel il atteignait à
peine :
- Ah 1 monsieur, continua-t-il, que
d'actions de grâces ! Monsieur, vous êtes
un véritable hercule, parole d'honneur,
foi de Jean Friard 1 Votre nom, monsieur,
le nom démon sauveur, le nom de mon.
ami ?
Et le brave homme prononça en
effet ce dernier mot avec l'effusion
d'un cœur profondément reconnaissant.
— Je m'appelle Briquet, monsieur, ré-
pondit l'inconnu, Robert Briquet, pour
vous servir.
— Et vous m'avez déjà considérable-
ment servi, monsieur Robert Briquet,
l'ose le dire; obi ma femme voua bQ-
nira. Mais, à propos, ma pauvre femme!
Oh 1 mon Dieu, mon Dieu 1 elle va être
étouffée dans cette foule. Ah! maudits
Suisses, qui ne sont bons qu'à faire
écraser les gens 1
Le compère Friard achevait à peine
cette apostrophe, qu'il sentit tomber sur
son épaule une main lourde comme celle
d'une statue de pierre.
Il se retourna pour voir quel était l'au-
dacieux qui prenait avec lui une pareille
liberté.
Cette main était celle d'un Suisse.
— Foulez-fous qu'on vous assomme,
mon bedit ami? dit le robuste soldat.
— Ah! nous sommes cernés 1 s'écria
Friard.
— Sauve aui neut! aiouta Miton.
Et tous deux, grâce à la haie franchie,
ayant l'espace devant eux, gagnèrent le
large, poursuivis par le regard railleur
et le rire silencieux de l'homme aux
longs bras et aux longues jambes qui,
les ayant perdus de vue, s'approcha du
Suisse qu'on venait de placer là en ve-
dette.
— La main est bonne, compagnon,
dit-il, à ce qu'il paraît?
— Mais foui, moussieu, pas mauvaise,
pas mauvaise.
— Tant mieux, car c'est chose impor-
tant surtout si les Lorrains venaient,
comme on le dit.
— Ils ne fiennent pas.
- Non?
- Bas di tout.
- D'où vient donc alors que l'on
ferme cetts porte? Je né êôffipifends pas.
— Fous pas besoin di gombrendre,
répliqua le Suisse en iliant aux éclats de
sa Dlaisanterie. i
— C'être chuste, mon gamarate, très
chuste, dit Robert Briquet, merci.
Et Robert Briquet s'éloigna du Suisse
pour se rapprocher d'un autre groupe,
tandis que le digne Helvétien, cessant de
rire, murmurait :
— Bei Gottl ich glaube er soottet mei-
ner. Was ist das fur ein Mann, der sich
erlaubt einen Schweizer seiner kœnigli-
chen Majestaet auszulachen?
Ce qui, traduit en français, voulait
dire :
« Vrai Dieu! je crois que c'est lui qui
se moque de moi. Qu'est-ce que c'est
donc que cet homme qui ose se moquer
d'un Suisse de sa majesté? »
II
Ce qui se passait à l'extérieur de la
porte Saint-Antoine
Un de ces groupes était formé d'un
nombre considérable de citoyens surpris
hors de la ville par cette fermeture
inattendue des portes. Ces citadins en-
touraient quatre ou cinq cavaliers d'une
tournure fort martiale et que la clôture
de ces portes gênait fort, à ce qu'il pa-
raît, car ils criaient de tous leurs pou-
mons : -
— La porte! la porte!
Lesquels cris, répétés par tous les
assistants , avec des recrudescences
d'emportement, occasionnaient, dans ces
moments-là, un bruit d'enfer.
Robert Briquet s'avança vers ce groupe
et se mit à crier plus haut qu'aucun da
ceux qui le composaient :
- La porte 1 la oorte 1
Il en résulta qu'un des cavaliers,
charmé de cette puissance vocale, se re.
tourna de son côté, le salua et lui dit :
— N'est-ce pas honteux, monsieur,
qu'on ferme une porte de ville en plein
jour, comme si les Espagnols ou les An..
glais assiégaient Paris ?
Robert Briquet regarda avec attention
celui qui lui adressait la parole et qui
était un homme de quarante à quarante-
cinq ans.
Cet homme, en outre, paraissait être
le chef de trois ou quatre autres cava-
liers qui l'entouraient.
Cet examen donna sans doute con-
fiance à Robert Briquet, car aussitôt il
s'inclina à son tour et répondit :
— Ah! monsieur, vous avez raison, dix
fois raison, vingt fois raison; mais,
ajouia-t-il, sans être trop curieux, ose-
rais-je vous demander quel motif vous
soupçonnez à cette mesure?
— Pardieu! dit un assistant, la crainte
qu'ils ont qu'on ne leur mange leur
Salcède.
- Cap de Biousl dit une voix; triste
mangeaille!
Robert Briquet se retourna du côté
d'où venait cette voix dont l'accent lui
indiquait un garçon renforcé, et il aper-
çut un jeune homme de vingt à vingt-
cinq ans qui appuyait sa main sur la
croupe du cheval de celui qui lui avait
paru le chef des autres.
Le jeune homme était nu-tête; sans
doute il avait perdu son chapeau dans
la bagarre.
ALEXANDRE DUMAS.
(4 suivre.)
12 Prairial anioz — 1110 W4,
CINQ centimes le numéro
RÉDAtTIOI
131, isi
fADRESSER AU SECRÉTAIRE DE U RÉDACTION
De 4 h 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
pl IUMSQBR8 nx DIstds NB SEEOOT PAS BBSBC
LE RAPPEL
ADMINISTRATION
131, BUE MONTMABTBE, 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINIST,RATEUR.GÉRAN'
ANNONCES
MIL Ch. LAGRANGE, CERF et 9
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
> IV MO» 2 PB.
BOU.OIL. 5 —
SIX KOIS 9 FB.
mu 18 —
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACOUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Ull MOIS 2 FB.
TROIS MOIS. 6 -
six MOIS lin,
UN AH 20 —
Nous prions ceux de nos lecteurs dont
flllbonnemnt expire le 31 mai de
'le renouveler le plus vite possible afin
il'éviter une interruption dans (a récep-
tion du journal.
1 Joindre une des dernières bandes à
hoçue renouvellement.
VQIR A LA 38 PAGE
LA NOMENCLATURE DES
ROUELLES PRIMES GRATUITES
que nous offrons à nos abonnés
Le ministre llupuy
La crise ministérielle a pris fin hier
après sept jours de durée. A six heures
du soir, M. Charles Dupuy achevait de
constituer son cabinet qui est ainsi com-
posé :
Présidence du conseil
Intérieur et Cultes. - DUPUY
Finances POINCARE
Justice. GUÉRIN
Affaires étrangères. HANOTAUX
Guerre. CI MERCIER
Marine FÉLIX FAURE
Colonies. DELCASSÉ
Instruction publique et
Beaux-Arts LEYGUES
Travaux publics BARTHOU
Commerce. LOURTIES
Agriculture VIGER
Le nouveau cabinet contient, on le
voit, sept députés, deux sénateurs, MM.
Guérin et Lourties, et. deux membres ne
faisant pas partie du Padement, MM.
Hanotaux et le général Mercier. Sur les
onze membres, six n'ont jamais été mi-
nistres, ce sont MM. Delcassé et Félix
Faure — qui ont été toutefois sous-se-
crétaires d'Etat — et MM. Hanotaux,
Leygues, Barthou et Lourties qui n'ont
fait p rtie d'aucun ministère à aucun
titre.
Si l'on excepte le ministre de laguerre
qui n'a pas d'antétédénts politiques, le
cabinet qui est d'une complète homogé-
néité, apparti, nt tout entier à l'ancienne
nuance de l'union républicaine qui exis-
tait dans les précédenteb législatures.
Un fait à signaler c'est la jeunesse de
plusieurs des membres iu cabinet : MM.
Poincaré et Leygues sont âgés de trente-
cinq ans, M. Barthou de trente-deux
ans. M. Charles Dupuy a quarante-trois
ans et M. Delcassé quarante-deux ans.
Du cabinet Casimir-Perier, seuls MM.
Viger et le général Mercier passent dans
le cabinet nouveau.
Au point de vue biographique, il y a
peu de choses.qui ne soient déjàconnues,
à signaler au sujet des membres qui ont
déjà été ministres.
M. Ch. Dupuy, député de la Haute-
oire, après avoir été ministre de l'ins-
truction publique, est devenu président
tu conseil, ministre de l'intérieur le 4
avril 1893, il a gardé le pouvoir en cette
qualité environ huit mois, et en décem-
bre dernier a fait place à M. Casimir-
Perier qu'il a remplacé à la présidence
de la Chambre.
M. Guérin, sénateur de Vaucluse, a
{té une seule fois ministre, comme garde
des sceaux du premier cabinet Dupuy.
M. Poincaré, député de la Meuse, éga-
lement n'a été ministre qu'une seule fois,
également dans le premier cabinet Du-
puy, où il avait le portefeuille de l'ins-
truction publique.
Actuellement M. Poincaré était rap-
porteur général de la commission du
budget. g
Le général Mercier n'a été ministre
que dans le cabinet Casimir-Perier.
M. Viger, député du Loiret, a été sans
interruption ministre de l'agriculture
dans les cabinets Ribot, Dupuy et Casi-
mir-Perier depuis dix-huit mois.
M. Félix Faure, député de la Seine-
Inférieure, et M. Delcassé, député de
l'Ariège, ont été tous deux sous-secré-
taire d'Etat des colonies.
M. Félix Faure est depuis la Répu-
blique le quatrième ministre civil de la
marine; ses prédécesseurs ont été MM.
Gougeard, Cavaignac et Burdeau. Mem-
bre de la commission du budget à plu-
sieurs reprises, M. Félix Faure est en
outre actuellement vice-président de la
Chambre.
M. Leygues, député de Lot-et-Garonne,
qui succède à M. Spuller à l'instruction
publique, est un des membres les plus
distingués de la commission du budget,
qui lui a confié cette année le rapport du
budget des beaux-arts.
M. Barthou, député des Basses-Pyré-
nées, le plus jeune des nouveaux mi-
nistres, s'est déjà fait une place à la
Chambre comme orateur politique. On
se souvient du grand débat d'il y a cinq
mois sur le socialisme, où il répondit
avec éclat à M. Jaurès qui exposait la
doctrine des socialistes.
M. Gabriel Hanotaux, le nouveau mi-
nistre des affaires étrangères, a appar-
tenu à.laChambre des députés de 1885
à 1889, comme représentant de l'Aisne.
Il sortait de la carrière diplomatique
lorsqu'il alla siéger au palais Bourbon,
et y est rentré en 1889 lorsqu'il renonça
à la vie parlementaire.
Il a géré l'ambassade de France à
Constantinople comme conseiller d'am-
bassade. Devenu ministre plénipoten-
tiaire de lre classe, il occupe actuelle-
ment les fonctions de directeur des con-
sulats et des affaires commerciales aux
affaires étrangères. En outre, il y a quel-
ques semaines à peine, M. Hanotaux
allait à Bruxelles comme délégué du
gouvernement français pour traiter de
cette question du Congo qui est devenue
depuis si grosse, et pour la discussion
de laquelle il fera preuve d'une compé-
tence particulière.
Le nouveau ministère en se formant
va donc déterminer la vacance de la
présidence et d'une vice-présidence à la
Chambre et de trois sièges à la com-
mission du budget dont celui de rappor-
teur général. -
Les affaires étrangères avaient été
offertes par télégramme à M. Cambon, à
Constantinople, qui a refusé. M. Charles
Dupuy les a offertes alors à M. Hanotaux
qui a demandé jusqu'à ce matin pour
faire connaître sa réponse.
M. Charles Dupuy s'est rendu dans la
soirée à l'Elysée et a présenté ses col-
lègues à M. Carnot.
Les ministres se réuniront ce matin à
l'Elysée à dix heures, M. Carnot signera
les décrets de nomination qui paraîtront
jeudi matin au Journal officiel.
On annonce que pour ses débuts le
nouveau ministère sera interpellé de-
main à la Chambre par M. Le Hérissé
sur la nouvelle question Turpin.
On assure, d'autre part, que le député
socialiste Vaillant compte demander la
discussion de l'interpellation qu'il a
déposée lundi dernier au sujet des me-
sures de police prises dimanche auPère-
Lachaise.
——— ———
LA CHAMBRE ET LE PAYS
Quelques jours avant la chute du
ministère, le 20 mai, un ministre
d'alors, M. Spuller, a prononcé, à
Chaulnes, un discours intéressant,
dans lequel nous notons ces paroles
prophétiques :
— « De jour en jour, à moins qu'à
un tournant de la politique nous ne
trouvions quelque chausse-trappe où
nous pourrons tomber et succom.
ber. »
Et, après avoir énuméré les ques-
tions et les interpellations dont le mi-
nistère avait été criblé (22 interpella-
tions et 25 questions, en cinq mois et
demi), le ministre de l'instruction pu-
blique concluait :
— « Comment avons-nous pu vivre
et durer? Comment avons-nous
échappé jusqu'à présent aux surprises
du scrutin? Je me le demande. »
Les ministres ne devaient pas y
échapper longtemps, aux surprises du
scrutin et aux chausses-trappes. Qua-
rante-huit heures après, ils n'étaient
plus ministres.
Pourquoi?
Si nous en croyons l'ex-ministre, ils
avaient le pays avec eux. Ils l'avaient
même plus qu'aucun ministère ne
l'avait eu encore :
— « Notre situation est très forte
dans le pays. J'irai plus loin: je ne
crois pas qu'au point de vue de l'opi-
nion, aucun autre cabinet ait eu de-
puis longtemps la force et l'autorité
qui nous est donnée par tous les répu-
blicains répandus sur tout le territoire
et qui composent l'immense majorité
de la France. »
Et un ministère qui avait avec lui
l'immense majorité du pays a suc-
combé à la première surprise et s'est
cassé le cou dans la première chausse-
trappe?
C'est que, s'il avait avec lui la
France, il avait contre lui la Chambre:
— « Notre situation, si forte dans le
pays, est précaire et menacée dans la
Chambre. »
Qnel motif la Chambre avait-elle
donc de les menacer? S'étaient-ils
insurgés contre elle? Au contraire:
— « Nous sommes avant tout des
parlementaires, nous savons ce qui
est dû aux représentants du peuple ».
Et c'est par le respect dû à la
Chambre que M. Spuller explique la
formation du ministère dont il a fait
partie.
Après les élections d'octobre 1893,
le président de la République crut de-
voir maintenir le ministère en exer-
cice. La Chambre - nouvelle ne s'y
prêta pas. Il fallait un nouveau ca-
binet. Appelé par M. Carnot, M.
Spuller déclara que le premier cabinet
de la législature devait être constitué
par la Chambre elle-même. Elle ve-
nait de prendre pour son président
M. Casimir-Perier : c'était donc M.
Gasimir-P erier que M. Carnot devait
prendre pour président du conseil.
Ainsi fut fait.
M. Spuller peut donc dire que le
ministère dont il a fait partie a été
l'œuvre de la Chambre.
Eh bien, la Chambre a défait son
œuvre. Son propre ministère a cessé
de lui plaire, elle l'a rendu. M. Spuller
est convaincu qu'en cessant de plaire
à la Chambre, le ministère Perier-
Spuller n'avait pas cessé de plaire au
pays :
-« Le pays nous juge; il distin-
gue ceux qui gaspillent le temps de
la nation et ceux qui lui consacrent
leurs efforts; nous savons bien, quant
à nous, que nous nwons rien à perdre
à cette comparaison. »
Ce serait donc la Chambre qui
aurait tout à y perdre? Il y aurait donc
contradiction flagrante entre le pays
et la Chambre?
La solution serait donc, comme je
le disais l'autre semaine, la disso-
lution ?
AUGUSTE VACQUERIE.
LE NOUVEAU CABINET
Au fond, simple chassé-croisé que
cette crise aujourd'hui terminée. M. Du-
puy repasse à M.'Casimir-Perier l'habit
noir du président. Car il est fort vrai-
semblable que M. Casimir-Perier va être
rappelé au fauteuil. Nous pourrons nous
croire plus jeunes de six mois. Douce
iUusion 1
Ce n'est un mystère pour personne
que, si celle-ci s'est dénouée, c'est grâce
à l'acceptation de M. Poincaré. Dans le
public, on pourra peut-être s'étonner, car
M. Poincaré est un des jeunes, un des
tout jeunes de la Chambre et sa physio-
nomie est encore peu connue au delà du
monde politique. Quoi! le refus de M.
Poincaré eût pu faire avorter la combi-
naison?. W il vous plaît, combien comp-
tez-vous de ministres des finances pos-
sibles sur les 900 membres du Parle-
ment? J'en vois, moi, huit, tout en
gros : M. Burdeau qui sort d'en prendre;
MM. Rouvier, Léon Say et Ribot, aux-
quels, pour des raisons diverses, on ne
songe pas, pour le moment, à faire
appel, M. Clamageran qui n'en veut à
aucun prix, MM. Boulanger et Peytral
qui se sont récusés; M. Poincaré qui a
bien voulu. — Cherchez ailleurs.
Le choix est, du reste, excellent. M.
Poincaré a beau être né le 20 août 1860,
— oh! la jeunesse, que c'est beau 1 — il
n'en est pas moins un homme avec le-
quel et sur lequel il faut compter. C'est
un travailleur acharné, un esprit ferme
et précis, de parole claire et pénétrante,
d'attitude loyale. Il a étudié avec passion
les questions financières. Avant d'être
pour la deuxième fois rapporteur géné-
ral du budget, il avait été, à deux repri-
ses, rapporteur du ministère des finan-
ces. Un spécialiste. Ajoutez : le plus ai-
mable, le plus courtois des hommes.
Deux autres aimables auxquels il sied
de souhaiter la bienvenue, c'est M. Del-
cassé et M. Barthou. M. Delcassé n'avait
encore été que sous-secrétaire d'Etat;
c'est pour la première fois que M. Bar-
thou aborde le pouvoir. Remarquez-vous
comme ce ministère est jeune ? J'ai dit
plus haut l'âge de M. Poincaré. M. Del-
cassé est de 1852; quant à M. Barthou,
il est le Benjamin de la combinaison, né
le 25 août 1862 ! Et à côté nous voyons
encore un nouveau, et un jeune, M.
Leygues, né en 1857, cette année si par-
ticulièrement féconde en, hommes poli-
tiques et en journalistes, et à qui nous
devons MM. Jonnart, Doumer, Pichon,
Pétrot, Alexandre Hepp, Mario Sermet.
sans compter le célèbre Charles Ter-
ront. et j'en passe !.
Deux membres seulement du cabinet
Casimir-Perier persistent* le général
Mercier et M. Viger, qui est en train de
devenir aussi inamovible à l'agriculture
que jadis M. Cochery l'était aux postes.
Et songez que, précisément, M. Cochery
était député du Loiret, comme -M.
Viger.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
Voir à la S4 page la suite de notre
feuilleton
TAPE-DUR
UNE NOUVELLE AFFAIRE TURPIN
Un acte de trahison
Les déclarations de Turpin
Un engin de guerre vendu à la Triplice
Chez M. de Ramel
L'opinion de M. Cardane
Réponse de M. Casimir-Perier
Au ministère de la guerre
A la Chambre.— A la Société de panclastite
La vie de Turpin
On se rappelle le fameux procès in-
tenté à Turpin et à Triponé pour avoir,
disait l'accusation, entrepris de vendre
la mélinite à une maison anglaise.
Aujourd'hui Turpin, qui a été gracié
par le gouvernement français bien avant
l'expiration de sa peine, et dont on n'a-
vait pas entendu parler depuis quelque
temps, fait une triste réapparition. Un
rédacteur de la Patrie l'a vu à l'étranger,
a obtenu de lui une interview sensation-
nelle qu'il a publiée hier et qui provo-
quera, dans ce pays si patriote, une vive
émotion. Turpin a avoué, en effet, avoir
livré à une grande puissance militaire
un engin formiftble de guerre, inventé
par lui et qui, dit-il, est tel que la nation
qui le possède est absolument sûre de
la victoire.
Nous n'avons aucune raison de douter
de l'exactitude du récit de notre con-
frère, d'autant que les faits qu'il a
contés ont été confirmés, hier dans la
soirée, par diverses personnes que
Turpin avait mises en cause, et no-
tamment MM. de Ramel, député, et J.
Cardane, rédacteur au Figaro. Il resterait
donc acquis que, dans un but de lucre
et par esprit de vengeance, Turpin a
trahi la France et n'a pas hésité à vendre
ses découvertes à l'ennemi. Or, dans
l'espèce, l'ennemi n'est autre, d'après
la Patrie, qu'une puissance de la tri-
plice.
Voici maintenant ce que Turpin a dit
à notre confrère :
Je ne suis plus Français. Je suis quel-
qu'un sans patrie. J'ai trop souffert, là-bas.
Je suis allé jusqu'au bout du martyre.
Mais, tenez, je vai., vous conter tout, —
tout, jusqu'à cet acte décisif de ma vie, qui
date d'hier même, et par lequel j'ai renié
définitivement la France, trop ingrate, trop
dure pour moi. Et vous pourrez redire tout
cela, publiquement. Ce n'est pas moi le vrai
coupable, ce sont ceux, dont je vais vous
donner les noms, qui m'ont chassé de ma
patrie, qui m'ont jeté dans le bras de l'é-
tranger, où il a bien fallu, fatalement, que
je tombe.
A ce moment, Turpin est revenu sur
son procès, sur sa détention à Etampes,
sur les souffrances qu'il a endurées. Puis
il a parlé de ses dossiers :
«Tenez! tenez! » et il jetait devant moi
des liasses qui portaient ces titres: Do-sier
de Freycinet, dossier Mathieu, dossier De-
loye, dossier Triponé.
Celui-là — me disait-il en me montrant
un do sier — celui-là contient l'honneur
d'un général français.
Eh bien! j'ai gardé le silence. Je ne vou-
lais pas livrer mon pays à de nouveaux
scan laies. Je me remis paisiblement aŒ
travail pour la France. J
Depuis dix années, j'avais l'idée d'un ar-
mement nouveau; depuis dix années je
peinais nuit et jour sur le problème. Je
trouvai, pendant ce temps même où j'étais
en prison, la solution définitive. Il n'y man-
quait que la sanction de quelques expé-
riences que je puis faire à ma sortie. Elles
étaient concluantes, éclatantes.
J'avais découvert un puissant engin de
guerre, comprenant à la fois l'emploi do
nouveaux explosifs, de nouveaux projec-
tiles, dont l'ensemble était de nature à
transformer complètement une partie do
l'armement, aussi bien dans la marine que
dans l'armée de terre, dans l'attaque et
dans la défense.
Les effets en étaient foudroyants. La na-
tion qui, seule en possession de ce secret,
réalisait aussitôt l'armement néce saire, te-
nait en sa puissance le sort de l'Europe.
Il prétend avoir voulu doter la France
de ce formidable engin, mais tout le
monde l'aurait rebuté, surtout le minis-
tre de la guerre, général Mercier, qui
lui aurait répondu « dédaigneusement ».
Déjà, cependant, des puissances étran-
gères lui avaient fait des propositions
qu'il avait repoussées.
Alors, a-t il ajouté, un certain M. Bois,
un agent officieux de l'Ely-ée, — qu'on dé-
savouera peut-être, par raison d'Etat, mais
sur les démarches duquel je vous commu-
niquerai tout à l'heure des documents pro.
bants, — un certain M. Bois, par l'intermé-
diaire tout amical, tout dévoué, tout pa-
triotique de votre confrère du Figaro, M.
Cardane, et aussi de Pierre Denis, entra en
pourparlers avec moi. Il me proposa de
livrer moa secret, "oùs pli cacheté, à M.
Carnot, président de la République, et au
général Borius. Le président et le généra!
devaient s'engager au silence, sous leur
parole d'honneur.
Mais j'étais devenu défiant. Je ne voulus
rien écrire. Je consenti- simplement à
voir M. Carnot, à lui confier verbalement
ma découverte.
Alors M. Bois me fit une autre proposi-
tion : il me demanda de me rencontrer
quelque part, dans Paris, avec le général
Burius; ce devait être, en quelque sorte, la
prélude, la préface de mon entrevue avec
M. Carnot. Le général Borius voulait s'as-
surer, en causant avec moi, que « j'étais un
homme calme, sérieux, nullement déséqui-
libré, et qu'il pourrait m'introduire auprès
de M. Carnot, sans danger pour celui-ci. »
Cela confinait au grotesque. J'acceptai
cependant cette entrevue préalable avec le
général Borius, et j'attendis qu'on me fixât
le fameux rendez-vous. On ne me le fixa
pas.
M. de Ramel, au dire de Turpin, serai
intervenu en sa faveur. Et pendant
qu'une grande puissance militaire de
l'Europe faisait auprès de l'inventeur les
sollicitations les plus pressantes , M
Casimir-Perier écrivait à M. de Ramel la
lettre suivante dont notre sympathique
confrère Cardane, du Figaro, possède,
paraît-il, la copie :
PRÉSIDENCE DU CONSEIL
Paris 15 mai, 1894.
Monsieur Casimir-Perier à Monsieur de
Ramel, député.
Monsieur et cher collègue,
La nouvelle invention que vous me
gnalez est, avant tout, du ressort du mi-
nistre de la guerre Aussi en-ai-je touché
quelques mot- au général Mercier. Ce court
entretien me dicte ma réponse. Je regrette
que M. Turpin ait cru devoir écrire au
général Deloye, directeur de l'artillerie, à la
date du 20 avril jernier, une lettre qui ne
permet pas au département de la guerre de
te mettre à nouveau en rapport avec cet
inventeur.
Agréez, monsieur et cher collègue, Iftg
assurances de ma haute considération.
Là-dessus, Turpin traite avec l'étran-
ger. Laissons-le parler :
Dans un coup d'affolement, toute ma vi<
perdue, toutes mes espérances détruites,
FeuiUoton du RAPPEL
DU 31 MAI
2
LES #
J QUARANTE-CI NO
1
La porte Saint-Antoine
- Suite -
A la vue ae cette nouvelle précaution
ce la porte fermée, un long murmure
d'étonnement et quelques cris d'effroi
s'élevèrent de la foule compacte qui
encombrait les abords de la barrière.
— Faites faire le cercle l cria la voix
fmpérative d'un officier.
La manœuvre fut opérée à l'instant
même, mais non sans encombre : les
gens à chevalet les gens en charrette,
forcés de rétrograder, écrasèrent çà et là
quelques pieds, et enfoncèrent à droite
et à gauche quelques côtes dans la
foule.
Les femmes criaient, les hommes ju-
raient; ceux qui pouvaient fuir fuyaient
en se renversant les uns sur les autres.
— Les Lorrains t les Lorrains t cria une 1
voix au milieu de tout ce tumulte.
To r le Rappel d'hier. J
Le cri le plus terrible, emprunté au
pâle vocabulaire de la peur, n'eût pas
produit un effet plus prompt et plus dé-
cisif que ce cri ;
— Les Lorrains ! ! [
— Eh bien ! voyez-vous ? voyez-vous ?
s'écria Miton tremblant, les Lorrains,
les Lorrains, fuyons !
- Fuir, et où cela? demanda Friard.
- Dans cet enclos, s'écria Miton en
se déchirant les mains pour saisir les
épines de cette haie contre laquelle était
moelleusement assis l'inconnu.
— Dans cet enclos, dit Friard ; cela
vons est plus aisé à dire qu'à faire,
maître Miton. Je ne vois pas de trou
pour entrer dans cet enclos, et vous
n'avez cas la Drétention de franchir cette
haie qui est plus haute que moi. - - -
— Je tâcherai, dit Miton, je tâcherai.
Et il fit de nouveaux efforts.
- Ah f prenez donc garde, ma bonne
femme! cria Friard du ton de détresse
d'un homme qui commence à perdre la
tête, votre âne me marche sur les talons.
Ouf! monsieur le cavalier, faites donc
attention, votre cheval va ruer. Tudieu!
charretier, mon ami, vous me fourrez
le brancard de votre charrette dans les
côtes.
Pendant que maître Miton se cram-
ponnait aux branches de la haie pour
passer par-dessus, et que le compère
Friard cherchait vainement une ouver-
ture pour se glisser par-dessous, l'in-
connu s'était levé, avait purenjent et
simplement ouvert le compas ae ses
longues jambes, et d'un simple mouve-
ment, pareil à celui que fait un cavalier
pour se mettre en sellek Il avait eaiambé j
la haie sans qu'une seule branche effleu-
rât son haut-de-chausses.
Maître Miton l'imita en déchirant le
sien en trois endroits ; mais il n'en fut
point ainsi du compère Friard qui, ne
pouvant passer ni par-dessous ni par-
dessus, et, de plus en plus menacé d'être
écrasé par la foule, poussait des cris
déchirants, lorsque l'inconnu allongea
son grand bras, le saisit à la fois par sa
fraise et par le collet de son pourpoint,
et, l'enlevant, le transporta de l'autre côté
de la haie avec la même facilité qu'il eût
fait d'un enfant.
- Oh ! oh ! oh ! s'écria maître Miton,
réjoui de ce spectacle, et suivant des
yeux l'ascension et la descente de son
ami maître Friard, vous avez l'air de
l'enseigne du Grand-Absalon.
— Ouf ! s'écria Friard en touchant le
sol, que j'aie l'air de tout ce que vous
voudrez, me voilà de l'autre côté de la
haie, et grâce à monsieur.
Puis, se redressant pour regarder l'in-
connu à la poitrine duquel il atteignait à
peine :
- Ah 1 monsieur, continua-t-il, que
d'actions de grâces ! Monsieur, vous êtes
un véritable hercule, parole d'honneur,
foi de Jean Friard 1 Votre nom, monsieur,
le nom démon sauveur, le nom de mon.
ami ?
Et le brave homme prononça en
effet ce dernier mot avec l'effusion
d'un cœur profondément reconnaissant.
— Je m'appelle Briquet, monsieur, ré-
pondit l'inconnu, Robert Briquet, pour
vous servir.
— Et vous m'avez déjà considérable-
ment servi, monsieur Robert Briquet,
l'ose le dire; obi ma femme voua bQ-
nira. Mais, à propos, ma pauvre femme!
Oh 1 mon Dieu, mon Dieu 1 elle va être
étouffée dans cette foule. Ah! maudits
Suisses, qui ne sont bons qu'à faire
écraser les gens 1
Le compère Friard achevait à peine
cette apostrophe, qu'il sentit tomber sur
son épaule une main lourde comme celle
d'une statue de pierre.
Il se retourna pour voir quel était l'au-
dacieux qui prenait avec lui une pareille
liberté.
Cette main était celle d'un Suisse.
— Foulez-fous qu'on vous assomme,
mon bedit ami? dit le robuste soldat.
— Ah! nous sommes cernés 1 s'écria
Friard.
— Sauve aui neut! aiouta Miton.
Et tous deux, grâce à la haie franchie,
ayant l'espace devant eux, gagnèrent le
large, poursuivis par le regard railleur
et le rire silencieux de l'homme aux
longs bras et aux longues jambes qui,
les ayant perdus de vue, s'approcha du
Suisse qu'on venait de placer là en ve-
dette.
— La main est bonne, compagnon,
dit-il, à ce qu'il paraît?
— Mais foui, moussieu, pas mauvaise,
pas mauvaise.
— Tant mieux, car c'est chose impor-
tant surtout si les Lorrains venaient,
comme on le dit.
— Ils ne fiennent pas.
- Non?
- Bas di tout.
- D'où vient donc alors que l'on
ferme cetts porte? Je né êôffipifends pas.
— Fous pas besoin di gombrendre,
répliqua le Suisse en iliant aux éclats de
sa Dlaisanterie. i
— C'être chuste, mon gamarate, très
chuste, dit Robert Briquet, merci.
Et Robert Briquet s'éloigna du Suisse
pour se rapprocher d'un autre groupe,
tandis que le digne Helvétien, cessant de
rire, murmurait :
— Bei Gottl ich glaube er soottet mei-
ner. Was ist das fur ein Mann, der sich
erlaubt einen Schweizer seiner kœnigli-
chen Majestaet auszulachen?
Ce qui, traduit en français, voulait
dire :
« Vrai Dieu! je crois que c'est lui qui
se moque de moi. Qu'est-ce que c'est
donc que cet homme qui ose se moquer
d'un Suisse de sa majesté? »
II
Ce qui se passait à l'extérieur de la
porte Saint-Antoine
Un de ces groupes était formé d'un
nombre considérable de citoyens surpris
hors de la ville par cette fermeture
inattendue des portes. Ces citadins en-
touraient quatre ou cinq cavaliers d'une
tournure fort martiale et que la clôture
de ces portes gênait fort, à ce qu'il pa-
raît, car ils criaient de tous leurs pou-
mons : -
— La porte! la porte!
Lesquels cris, répétés par tous les
assistants , avec des recrudescences
d'emportement, occasionnaient, dans ces
moments-là, un bruit d'enfer.
Robert Briquet s'avança vers ce groupe
et se mit à crier plus haut qu'aucun da
ceux qui le composaient :
- La porte 1 la oorte 1
Il en résulta qu'un des cavaliers,
charmé de cette puissance vocale, se re.
tourna de son côté, le salua et lui dit :
— N'est-ce pas honteux, monsieur,
qu'on ferme une porte de ville en plein
jour, comme si les Espagnols ou les An..
glais assiégaient Paris ?
Robert Briquet regarda avec attention
celui qui lui adressait la parole et qui
était un homme de quarante à quarante-
cinq ans.
Cet homme, en outre, paraissait être
le chef de trois ou quatre autres cava-
liers qui l'entouraient.
Cet examen donna sans doute con-
fiance à Robert Briquet, car aussitôt il
s'inclina à son tour et répondit :
— Ah! monsieur, vous avez raison, dix
fois raison, vingt fois raison; mais,
ajouia-t-il, sans être trop curieux, ose-
rais-je vous demander quel motif vous
soupçonnez à cette mesure?
— Pardieu! dit un assistant, la crainte
qu'ils ont qu'on ne leur mange leur
Salcède.
- Cap de Biousl dit une voix; triste
mangeaille!
Robert Briquet se retourna du côté
d'où venait cette voix dont l'accent lui
indiquait un garçon renforcé, et il aper-
çut un jeune homme de vingt à vingt-
cinq ans qui appuyait sa main sur la
croupe du cheval de celui qui lui avait
paru le chef des autres.
Le jeune homme était nu-tête; sans
doute il avait perdu son chapeau dans
la bagarre.
ALEXANDRE DUMAS.
(4 suivre.)
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