Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-05-30
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 30 mai 1894 30 mai 1894
Description : 1894/05/30 (N8846). 1894/05/30 (N8846).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75410498
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/12/2012
*• 8846 3 Mercredi 80 liai 1894
CINQ centimes le numéro
11 Prairial an 102 — H* 8 8
RÉDACTION
131, BUE MONTMABTBB, 131
S'ADRESSER AU SECR£TAIRE DE U RÉDACTION ,h
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
£ £ * KAOTSCSHTC nox IHSKBÉ8 HE araont PAS BSJfWË?
TLE RAPPEL -
ADMINISTRATION
131, RUB MONTMABTRfî, 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMU'HST,RATEUa-Gli:RA.B'l
ANNONCES
MM. Ch. LAGfiANGE, CERF et g.
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
- tm vois 2 PE.
BOAS KOIS.;. 5 —
SIX MOIS. 9 FR.
UN AN 18 •—
Rédacteur en chef : AUGUSTE YACQUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
DM MOIS 2 PB.
TROIS MOIS. 6 -
six MOIS. 7. lin»
UN AK 20 —
,r Nous prions ceux de nos lecteurs dont
Ulmnemenl expire Le 31 mai de
> renouveler le plus vite possible afin
f éviter une interruption dans la récep-
tion du journal.
'Joindre une des dernières tondes à
thaque renouvettemeni.
VOIR A LA 38 PAGE
,. LA NOMENCLATURE DES
NOUVELLES PRIMES GRATUITES
que nous offrons -1 nos abonnés
rLa Formatioii des ministères
Une idée :
: Si, au lieu d'être nommés par le
président de la République, les minis-
tres étaient nommés par la Chambre?
C'est la Chambre qui défait les mi-
nistères, pourquoi ne serait-ce pas
elle qui les ferait?
Qu'est-ce qui fait qu'à chaque ren-
versement de cabinet il y a une crise?
C'est que ceux à qui le président de
la République offre la mission de com-
poser un gouvernement, refusent.
Pourquoi refusent-ils?
Ce n'est évidemment pas par dédain
du pouvoir. On ne calomnie pas les
hommes en général ni les députés en
particulier en ne leur attribuant pas
e mépris des grandeurs et en suppo-
sant que Tantale n'avait pas plus faim
des fruits vers lesquels il tendait inu-
tilement les mains que les représen-
tants des comités électoraux n'ont
ïaim des portefeuilles.
Mais au moment de saisir le maro-
quin de leurs rêves, ils regardent la
Chambre, ils passent en revue les
groupes, ils voient ceux qui leur sou-
rient et ceux qui leur montrent les
dents, ils trouvent ceux-ci plus en
nombre que les autres, et ils se disent:
- Je ne monterais aujourd'hui que
pour tomber demain 1
- Ils sont peu tentés par la perspective
ne se casser le nez.
Très bien. Mais alors les crises se
prolongent. Le président de la Répu-
blique va de l'un à l'autre, revient à
l'un, retourne à l'autre, se heurte par-
tout à des refus. On s'épuiserait à
compter combien de fois M. Bourgeois
a refusé la présidence du conseil.
Et M. Dupuy, et M. Brisson, et M.
Peytral, et M. Burdeau, et je ne sais
plus qui !
— Nous voudrions bien, ont-ils ré-
pondu tous ; mais la Chambre ne vou-
drait pas.
Il y aurait un moyen de faire que la
Chambre voulût.
— La dissolution ! dit le Soleil.
J'ai dit moi-même, l'autre jour, que,
dans l'état actuel des choses, la Cham-
bre s'acculait à la dissolution.
Le directeur du Soleilrappelle que
« dans le pays le plus parlementaire
du monde, en Angleterre, le second
Pitt est resté au pouvoir pendant plu-
sieurs mois en présence d'une majorité
hostile dans la Chambre des commu-
nes. Il était régulièrement battu tous
les jours, il ne donnait pas pour cela
sa démission. Il avait la dissolution
dans sa poche. Quand le moment lui
parut venu, il fit appel au pays, qui lui
donna raison. »
Oui, mais M. Edouard Hervé le rap-
pelle aussi, les ministres du maréchal
de Mac-Mahon firent comme le second
Pitt, ils en appelèrent au pays — qui
leur donna tort.
Que faire alors? En rappeler, et, si
le pays persévérait, en re-rappeler jus-
qu'à ce qu'il cédât? Ce conseil fut
donné au maréchal. Il préféra se dé-
mettre.
La dissolution serait la destitution
de M. Carnot.
Puisque le président de la Républi-
que a tant de peine à faire un minis-
tère qui soit accepté par la Chambre
et que même ceux qu'elle accepte ne
tardent pas à cesser de lui plaire, puis-
que son consentement est nécessaire
à leur existence, — ne serait-il pas
plus simple qu'elle les fit elle-même,
qu'elle les prît à son goût, qu'elle les
choisît comme elle choisit son prési-
dent, ses secrétaires et ses questeurs ?
Vous me demanderez à quoi alors
servirait le président de la Répu-
blique?
Mais, comme je n'ai jamais trouvé
que la République eût besoin d'un
président, cette question ne me gêne
pas.
AUGUSTE VACQUERIB.
LES GROUPES RADICAUX
L'extrême gauche et la gauche radi-
cale de la Chambre se sont réunies hier
en commun pour délibérer sur la situa-
tion. Tous les orateurs qui ont pris part
à la discussion ont blâmé les divers re-
présentants du parti radical qui, appelés
à l'Elysée, ont successivement décliné la
mission que leur offrait le président de
la République de constituer le nouveau
ministère. Comme sanction du débat,
divers ordres du jour de blâme ont été
proposés ; finalement la réunion a
chargé les bureaux des deux groupes
d'adopter un texte commun. La rédac-
tion qui a prévalu est un désaveu indi-
rect dans la forme; en voici la teneur :
Les groupes radicaux réunis, persi tant
dans leurs précédents ordres du jour et
constatant l'existence dans la Chambre
d'une majorité décidée à poursuivre la
réalisation des réformes démocratiques et
sociales,
Déclarent :
Qu'ils ne soutiendro t qu'un gouverne-
ment constitué conformément aux règles
parlementaires, et résolu à suivre la poli-"
tique réformatrice dont ils restent prêts à
assumer la responsabilité.
Le RAPPEL commence aujourd'hui
dans son feuilleton la publication de
LES
QUARANTE-CINQ
PAR
ALEXANDRE DUMAS
Dans cette nouvelle suite d'amu-
santes et saisissantes aventures, on
retrouvera les principaux personna-
ges qui ont animé le précédent roman
de leur passion, de leur verve et de
leur drôlerie, et au premier plan,
parmi eux, les deux figures légen-
daires de Chicot et de Gorenflot.
LA CRISE MINISTERIELLE
La crise est entrée hier dans une phase
nouvelle : nous sommes sortis de la pé-
riode des consultations officieuses et
des appels successifs à l'Elysée. Hier, à
quatre heures de l'après-midi, M. Charles
Dupuy a accepté officiellement la mis-
sion de former le nouveau cabinet.
Dans la matinée, le président de la
Chambre, qui était encore dans sa pé-
riode d'examen et d'étude de la situation,
avait reçu MM. Burdeau et Poincaré,
qui tous deux s'étaient récusés de nou-
veau en ce qui concerne le portefeuille
des finances.
M. Poincaré s'était offert comme in-
termédiaire auprès de M. Boulanger,
sénateur du même département que le
sien, la Meuse, pour lui persuader d'ac-
cepter le portefeuille des finances. Mais
M. Boulanger avait répondu par un refus
formel.
C'est dans ces conditions que s'ouvrit
la séance de la Chambre que M. Charles
Dupuy avait résolu de présider.
Dans l'après-midi, le président de la
Chambre, après avoir vainement tenté de
rencontrer M. Boulanger, se rendit à
l'Elysée et à la suite d'un'e conférence
nouvelle avec le président de la Républi-
que consentit à se charger officiellement
de la mission de former le ministère.
M. Poincaré rendit visite à M. Carnot,
qui insista auprès de lui pour qu'il
acceptât l'offre du portefeuille des finan-
ces que lui avait faite M. Ch. Dupuy.
De son côté le président de la Cham-
bre rentré au palais Bourbon commen-
çait officiellement ses négociations.
Réserve faite de la réponse définitive
de M. Poincaré, M. Ch. Dupuy s'est déjà
assuré le concours de MM. Félix Faure,
Delcassé et Barthou.
Ce matin M. Ch. Dupuy rendra visite
à M. Challemel-Lacour, président du
Sénat, puis il continuera ses négociations
qu'il espère terminor de manière à cons-
tituer son cabinet pour après-demain
jeudi.
Jusqu'ici aucune attribution définitive
de portefeuille n'est encore faite. La ré-
partition se fera lorsque tous les con-
cours recherchés seront acquis.
DERNIÈRE HEURE
Dans la soirée d'hier, M. Poincaré a
fait connaître à M. Charles Dupuy qu'il
acceptait le portefeuille des finances.
- '.-
A LA CHAMBRE
Deux heures. La séance est ouverte.
M. Dupuy préside. Commentaires. Gela
veut-il dire qu'il renonce, passe la main?
Des gens bien informés assurent que
non, au contraire que Si combinaison est
aux trois quarts bâtie. Soit. On tire au
sort les bureaux. M. d'Hulst lit un rap-
port d'élection. M. Vaillant demande à
interpeller le ministre de l'intérieur sur
l'interdiction de la manifestation de di-
manche. Exclamations. — Mais il n'y a
pas de gouvernement ! s'écrie, de cette
voix invraisemblable qu'on lui connaît,
M. de Baudry d'Asson. — Bien entendu,
répond M. Dupuy avec un sourire af-
fable; aussi M. Vaillant ne dépose-t-il sa
demande d'interpellation que pour
prendre date. — Et M. Vaillant, sur les
hauteurs de l'extrême gauche, incline
affirmativement sa tête en broussaille
qu'éclaire le reflet de menaçantes lu-
nettes.
Voilà donc le futur ministre de l'inté-
rieur d avance interpellé, quel qu'il
doive être, sur les actes de son prédéces-
seur. Joli!
Maintenant, il s'agit de fixer le jour de
la prochaine séance. M. de Douville-
Maillefeu demande la parole. Frémisse-
ment d'attention. Avez-vous jamais vu
M. de Douville-Maillefeu gravir les de-
grés de la tribune? C'est un rudement
beau spectacle. Avec quelle ampleur,
avec quelle majesté M. de Douville-
Maillefeu accomplit cette ascension 1 Il
sait que tous les regards sont fixés sur
lui, et son abdomen se gonfle. Lente-
ment, solennellement, il hisse le poids
considérable de son corps alternative-
ment sur l'une et l'autre jambe. Et sa
tête dodeline légèrement sous l'effort des
pensées dont elle est pleine. C'est très
bien.
Avec une noble simplicité, il venait
hier demander à la Chambre de s'ajour-
nera huitaine. De violentes protestations
se sont élevées: — Pourquoi pas à un
mois? a-t-on demandé. — Mais M. d el
Douville-Maillefeu a fait, à cette plaisan-
terie, l'accueil glacé d'un homme dont
les lèvres ne s'entrouvrent jamais, même
pour le sourire. Du reste, sa proposition
a été repoussée à la presque unanimité.
A mains levées, la Chambre a fixé sa
prochaine séance à jeudi.
On s'en va. Mais M. Pourquery de
Boisserin s'élance à la tribune.
Rumeurs. M. Pourquery de Boisserin
demande le retrait de l'ordre du jour de
la loi sur les pontonniers. M. Fouquet
.appuie. MM. Le Hérissé et Reille com-
battent. Finalement on vote; les ponton-
niers resteront à l'ordre du jour.
Et dans la, salle des Pas-Perdus re-
prennent les conversations, les papo-
tages. M. Dupuy trouvera-t-il un mi-
nistre des finances? Ses négociations
aboutiront-elles à un échec? En ce cas
M. Carnot, comme on le lui conseille,
fera-t-il appeler M. Goblet ?. Il faisait
joliment bon sous les arbres des Champs-
Elysées. Mais la pluie s'est remise à
tomber. Quel printemps, mes amis !
quel printemps!.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
-
AU SÉNAT
La séance du Sénat a duré exactement
cinq minutes. « Messieurs, a dit M. Challe-
mel-Lacour, les raisons qui nous avaient
fait nous ajourner à aujourd'hui persis-
tent. » Et le Sénat, comme la Chambre,
s'est ajourné à jeudi.
1 ———
UNE tURIEUSE AUOESTATION
Voici une affaire qui semblait devoir
prendre les proportions d'un énorme
procès criminel, et que les dépêches
ramènent à des proportions plus modes-
tes. Elle reste pourtant mystérieuse et
bizarre.
On parlait d'abord de l'arrestation, à
Dunkerque, venant d'Amérique, d'un
individu qui aurait, à Buenos-Ayres, tué
une femme et coupé le cadavre en mor-
ceaux. On se demandait si l'on n'était
pas en présence de Jack l'Eventreur, car
dans le crime constaté à Buenos-Ayres
on relevait des détails identiques à ceux
qui avaient été relevés dans les crimes
de Whitechapel.
Il faut, croit-on, actuellement en ra-
battre. Quoi qu'il en soit? les détails qui
nous sont transmis télégraphiquement
sont intéressants et curiqux; et il est fa-
cile de se convaincre, en lisant les dépê-
ches qui suivent, que tout n'est pas dit
sur l'événement.
Voici les télégrammes :
Dunkerque, 28 mai.
Le nommé Jean Tremblier a été arrêté ce
matin à neuf heures à l'arrivée du paquebot
Paraguay.
Jean Tremblier est soupçonné d'être l'au-
teur d'un crime commis sur une personne
trouvée assassinée dans une rue deBuenos-
Ayre:.
Il s'était embarqué à Buenos-Ayres le 2
mai sous le nom de Jean Tremblier, comme
passager de seconde classe, sur le steamer
Paraguay.
C'est ",ur la demande du consul de la
République argentine à Dunkerque qu'il a
éLé arrêté. Tremblier est originaire de Péri-
gueux, où il a un parent qui reçoit sa cor-
respondance.
Jean Tremblier est âgé de vingt ans ; il est
né à Bordeaux.
A peine débarqué, il fut arrêté par le
commis aire central, assisté de quatre
agents.
Comme il manifestait une vive surprise,
on lui expliqua les motifs de son arresta-
tion.
Il répondit qu'il avait entendu parler
d'une femme coupée en morceaux, avant
son départ de Buenos-Ayre-, où il s'occu-
pait de commerce et d'affaires de Bourse.
Il ne comprend pas qu'on puisse l'accuser
de ce crime.
Il avait sur lui 80 fr. en or, et mille pias-
tres dans une malle ; il apporte également
15 colis.
L'inculpé sera amené au parquet à deux
heures. Il est assez élégamment vêtu d'un
complet gris. Il est toujours très calme et
très froid.
Les colis de Tremblier ont été visités par
la douane.
Toutes les parois denses quatorze malles
étaient tapissées de sous argentins recou
verts d'une mince planchette. La somme
ainsi dissimulée s'élevait à 5,000 franot
environ.
La chemise de Tremblier était aussi dou.
blée de sous et l'on a trouvé pour 5,120 Cr.
ct*5r dans une cassette.
Rien ne rend vraisemblable l'accusation
d'assassinat et l'affaire semble avoir été
grossie.
Dunkerque, 28 mal. :
Jean Tremblier, interrogé par le proca*
reur de la République, nie absolument toute
participation au triple assassinat de Buenos*
Ayres.
Son arrestation a été maintenue.
L'abondance des matières nous obligt
à renvoyer à demain la suite de notre
feuilleton
TAPE-DUR
Voir à la 4e page là suite de notre
feuilleton
LA DAME DE MONSOREAU
LES ON-DIT
M. Jules Simon va subir l'opération
'de la cataracte, il a dit à ce sujet à un
rédacteur de l'Agence nationale :
— Je suis aveugle ; mais pourquoi
l'opération ne me réussirait-elle pas
comme à Gladstone?
*
Les représentations du Gant et de Léo-
narda, chez Mme Edmond Adam, sont
terminées.
La dernière représentation de Léo-
narda a été suivie d'un très intéressant
concert, où des chants populaires slaves
recueillis par M. Louis Kouba ont été
présentés aux invités par M. Bour-
gault-Ducoudray, en une minuscule
conférence, pleine de vues originales
sur la formation des chansons popu-
laires. Ils ont eu un succès très vif et
presque chaque chanson a été bissée.
Les chansons slaves étaient chantées
par Mme Elena Sanz, Mme Mérina, M.
Olmann-Black, M. Carol Svodoba, M,
Vallobra.
h
Hier, charmante et brillante soirée
chez Mme Claire de Saint-Victor, la fille
du grand écrivain.
Beaucoup de notabilités et beaucoup
de jolies femmes.
Un des attraits de la soirée était la re-
présentation de deux petites pièces.
La première, le Bouquet, comédie en
uu acte de MM. Meilhac et Halévy, les-
tement enlevée par deux amateurs, MM.
H. Aubépin et P. Barbier, et par Mlles
Gallaix, Ju Gymnase, et Noirez, de TO-
déon, a eu un vif succès de rire.
La seconde, Entre six et sept, était
inédite. Elle est d'un jeune homme,
M. André Godfernaux. Elle est touchante
et délicate. C'est un début qui est déjà
plus qu'une promesse. Nous n'en don-
nons pas l'analyse, parce que nous la
retrouverons prochainement sur un vrai
théâtre, Vaudeville ou Gymnase. Elle y
sera sûrement applaudie comme elle l'a
été hier.
On y a applaudi M. H. Aubépin. Un
autre amateur, M. Ed. Coignet, a joué
avec beaucoup d'aisance et de naturel u"
mari qui mériterait une femme moi
Feuilleton du RAPPEL
DU 30 MAI
> ■ '■ 1
.,
LES
QUARANTE-CINQ
S ;
i !
,. - >
1
La porte Saint-Antoine
Le 26 octobre de l'an 1585, les barrières
'de la porte Saint-Antoine se trouvaient
encore, contre toutes les habitudes, fer-
mées à dix heures et demie du matin.
A dix heures trois quarts, une garde
de vingt Suisses, qu'on reconnaissait à
leur uniforme pour être des Suisses des
petits cantons, c'est-à-dire des meilleurs
amis du roi Henri III, alors régnant, dé-
boucha de la rue de la Mortellerie et
s'avança vers la porte Saint-Antoine qui
ç'ouvrit devant eux et se referma der-
rière eux : une fois hors de cette porte,
ils allèrent se ranger le long des haies
qui, à l'extérieur de la barrière, bor-
daient les enclos épars de chaque côté
de la route, et, par sa seule apparition,
refoula bon nombre de paysans et de pe-
tits bourgeois venant de Montreuil, de
Vincennes ou de Saint-Maur pour entrer
en ville avant midi, entrée qu'ils n'a-
vaient pu opérer, la- porte se trouvant
fermée, comme nous l'avons dit.
S'il est vrai que la foule amène natu-
rellement le désordre avec elle, on eût
pu croire que, par l'envoi de cette garde,
M. le prévôt voulait prévenir le désordre
qui pouvait avoir lieu à la porte Saint-
Antoine.
En effet, la foule était grande ; il arri- !
tait par Jes trois routes convergentes, et
cela à chaque instant, des moines des
couvents de la banlieue, des femmes
assises de côté sur les bâts de leurs ânes,
des paysans dans des charrettes, les-
quelles venaient s'agglomérer à cette
masse déjà considérable que la ferme-
ture inaccoutumée des portes arrêtait à
la barrière. et tous, par leurs questions
plus ou moins pressantes, formaient une
espèce de rumeur faisant basse continue,
tandis que parfois quelques voix, sor-
tant du diapason général, montaient
jusqu'à l'octave de la menace ou de la
plainte.
On pouvait encore remarquer, outre
cette masse d'arrivants qui voulaient
entrer dans la ville, quelques groupes
particuliers qui semblaient en être sor-
tis. Ceux-là, au lieu de plonger leurs
regards dans Paris par les interstices
des barrières, ceux-là dévoraient l'hori-
zon, borné par le couvent des Jacobins,
le prieuré de Vincennes et la Croix Fau-
bin, comme si, par quelqu'une de ces
trois routes formant éventail, il devait
leur arriver quelque messie.
Les derniers groupes ne ressemblaient
pas mal aux tranquilles îlots qui s'élè-
vent au milieu de la Seine, tandis qu'au-
tour d'eux, l'eau, en tourbillonnant et en
jouant, détache, soit une parcelle de
gazon, soit quelque vieux tronc de saule
qui finit par s'en aller au courant après
avoir hésité quelque temps sur les re-
mous.
Ces groupes, sur lesquels nous reve-
nons avec insistance, parce qu'ils méri-
tent toute notre attention, étaient formés,
pour la plupart, par des bourgeois de
Paris fort hermétiquement calfeutrés
dans leurs chausses et leurs pourpoints;
car, nous avions oublié de le dire, le
temps était froid, la bise agaçante, et de
gros nuages, roulant près de terre, sem-
blaient vouloir arracher aux arbres les
dernières feuilles qui s'y balançaient
encore tristement.
Trois de ces bourgeois causaient en-
semble, ou plutôt deux causaient, et le
troisième écoutait. Exprimons mieux !
notre pensée et disons : le troisième ne
paraissait pas même écouter, tant était
grande l'attentfon qu'il mettait à regar-
uôr vers Vincennes. j
OccuDons-nous d'abord de ce dernier.
C'était un homme qui devait être de
haute taille lorsqu'il se tenait debout ;
mais en ce moment ses longues jambes,
dont il semblait ne savoir que faire lors-
qu'il ne les employait pas à leur active
destination, étaient repliées sous lui,
tandis que ses bras, non moins longs
proportionnellement que ses jambes, se
croisaient sur son pourpoint. Adossé à
la haie, convenablement étayé par les
buissons élastiques, it tenait, avec une
obstination qui ressemblait à la pru-
dence d'un homme qui désire n'être
point reconnu, son visage caché derrière
sa large main, risquant seulement un
œil, dont le regard perçant dardait entre
le imédi u m et l'annulaire, écartés.à la
distance strictement nécessaire pour le
passage du rayon visuel.
A côté de ce singulier personnage, un
petit homme grimpé sur une butte,
causait avec un gros homme qui tré-
buchait à la pente de cette même butte,
et se raccrochait à chaque trébuchement
aux boutons du pourpoint de son inter-
locuteur.
C'étaient les deux autres bourgeois,
formant, avec ce personnage assis, le
nombre cabalistique trois , que nous
avons annoncé dans un des paragraphes
précédents.
— Oui, maître Miton, disait le petit
homme au gros; oui, je le dis et je le
répète, qu'il y aura cent mille personnes
autour de l'échafaud de Salcède, cent
mille au moins. Voyez, sans compter
ceux qui sont déjà sur la place deGrève,
ou qui se rendent à cette place des diffé-
rents quartiers de Paris, voyez que de
gens ici, et ce n'est qu'une porte 1 Jugez
donc, puisqu'en comptant, bien, nous en
trouverions seize, des portes.
— Cent mille, c'est beaucoup, com-
père Friard, répondit le gros homme;
beaucoup, croyez-moi, suivront mon
exemple, et n'iront pas voir écarteler ce
malheureux Salcède, dans la crainte
d'un hourvari, et ils auront raison.
— Mattre Miton, maître Miton, prenez
5'arde, répondit le petit homme, vous
parlez là comme un politique. Il n'y aura
rien, absolument rien, je vous en ré-
ponds.
Puis, voyant que son interlocuteur se-
couait la tête d'un air do doute i
— N'est-ce pas, monsieur? continua-t-
il en se retournant vers l'homme aux
longs bras et aux longues jambes qui, au
lieu de continuer à regarder du côté de
Vincennes, venait, sans ôter sa main de
dessus son visage, venait, disons-nous,
de faire un quart de conversion et de
choisir la barrière pourpoint de mire de
son attention.
— Plaît-il ? demanda celui-ci, comme
s'il n'eût entendu que l'interpellation qui
lui était adressée et non les paroles pré-
cédant cette interpellation, qui avaient
été adressées au second bourgeois.
— Je dis qu'il n'y aura rien en Grève
aujourd'hui.
— Je crois que vous vous trompez, et
qu'il y aura l'écartèlement de Salcède,
répondit tranquillement l'homme aux
longs bras.
— Oui, sans doute : mais j'écoute qu'il
n'y aura aucun bruit à propos de cet
écartèlement.
— Il y aura le bruit des coups de fouet
que l'on donnera aux chevaux.
— Vous ne m'entendez pas. Par bruit,
j'entends émeute; or, je dis qu'il n'y
aura aucune émeute en Grève ; s'il avait
dû y avoir émeute, le roi n'aurait pas
fait décorer une loge à l'hôtel de ville
pour assister au supplice avec les deux
reines et une partie de la cour.
— Est-ce que les rois savent jamais
quand il doit y avoir des émeutes? dit en
haussant les épaules, avec un air de
souveraine pitié, l'homme aux longs bras
et aux longues jambes.
- Ohl ont fit maître Miton en se
penchant à l'oreille de son interlocu-
teur, voilà un homme qui parle d'un
singulier ton : le connaissez-vous, com-
père ?
— Non, répondit le petit homme.
— Eh bien, pourquoi lui parlez-vous
donc alors?
— Je lui parle pour lui parler.
— Et vous avez tort; vous voyez bien
qu'il n'est point d'un naturel causeur.
— Il me semble cependant, reprit le
compère Friard assez haut pour être en-
tendu de l'homme aux longs bras, qu'un
des grands bonheurs de la vie est d'é-
changer sa pensée. t
— Avec ceux qu'on connaît; très bien
répondit maître Miton, mais avec ceux
que l'on ne connaît pas.
— Tous les hommes ne sont-ils pas
frères? comme dit le curé de Saint-Leu,
ajouta le compère Friard d'un ton per-
suasif.
— C'est-à-dire qu'ils l'étaient primiti-
vement; mais, dans des temps comme
les nôtres, la parenté s'est singulière-
ment relâchée, compère Friard. Causez
donc avec moi, si vous tenez absolument
à causer, et laissez cet étranger à ses
préoccupations.
— C'est que je vous connais depuis
longtemps, vous, comme vous dites, et
je sais d'avance ce que vous me répon-
drez ; tandis qu'au contraire, peut-être,
cet inconnu aurait-il quelque chose de
nouveau à me dire.
— Chut 1 il vous écoute.
— Tant mieux, s'il nous écoute ; peut-
être me répondra-t-il. Ainsi donc, con-
tinua le compère Friard en se tournant
vers l'inconnu, vous pensez qu'il y aura
du bruit en Grève ?
- Moi, je n'ai pas dit un mot de cela.
— Je ne prétends pas que vous l'ayez
dit, continua Friard d'un ton qu'il es-
sayait de rendre fin : je prétends que
vous le pensez, voilà tout.
— Et sur quoi appuyez-vous cette cer-
titude, seriez-vous sorcier, monsieur
Friard ?
— Tiens! il me connaît! s'écria le
bourgeois au comble de l'étonnement, et
d'où me connaît-il?
— Ne vous ai-je pas nommé deux ou
trois fois, compère? dit Miton en haus-
sant les épaules comme un homme hon-
teux devant un étranger du peu d'intel-
ligence de son interlocuteur.
— Ah! c'est vrai, reprit Friard, faisant
un effort pour comprendre, et compre-
nant, grâce à cet effort; c'est, sur ma
parole, vrai; eh bien! puisqu'il me con-
naît, il va me répondre. Eh bien! mon-
sieur, continua-t-il en se retournant vers
l'inconnu, je pense que vous pensez qu'il
y aura du bruit en Grève, attendu que si
vous ne le pensiez pas, vous y seriez, et
qu'au contraire vous êtes ici. ah !
Ce ah ! prouvait que le compère Friard
avait atteint, dans sa déduction, les bor-
nes les plus éloignées de sa logique et
4a son worii, i
— Mais vous, monsieur Friard, puis-
que vous pensez le contraire de ce que
vous pensez que je pense, répondit l'in-
connu, en appuyant sur les mots pro-
noncés déjà par son interrogateur et
répétés par lui, pourquoi n'y êtes-vous
pas, en Grève? Il me semble cependant
que le spectacle est assez réjouissant
pour que les amis du roi s'y foulent.
Après cela, peut-être me répondrez-voile
que vous n êtes pas des amis du roi,
mais de ceux de M. de Guise, et que
vous attendez ici les Lorrains qui, dit-on,
doivent faire invasion dans Paris pour
délivrer M. de Salcède.
- Non, monsieur, répondit vivement
le petit pomme, visiblement effrayé de
ce que supposait l'inconnu; non, mon-
sieur, j'attends ma femme, Mlle Nicole
Friard, qui est allée reporter vingt-quatre
nappes au prieuré des Jacobins, ayant
l'honneur d'être la blanchisseuse parti-
culière de dom Modeste Gorenflot, abbé
du dit prieuré des Jacobins. Mais, pour
en revenir au hourvari dont parlait le
compère Miton, e.t auquel je ne crois pas,
ni vous non plus, à ce que vous dites,
du moins.
— Compère, compère! s'écria Miton.
regardez donc ce qui se passe.
Maître Friard suivit la direction indi-
quée par le doigt de son compagnon, et
vit qu'outre les barrières, dont la ferme-
ture préoccupait déjà si sérieusement
les esprits, on fermait encore la porte.
Cette porte fermée, une partie des
Suisses vint s'établir en avant du fossé.
—Comment' comment! s'écria Friard
pâlissant, ce n'est point assez de la bar-
rière, et voilà qu'on ferme la porte main«
tenant!
- Eh bien! que vous disais-je? répon-
dit Miton pâlissant à son tour.
- C'est drôle, n'est-ce pas? fit l'in-
connu en riant.
Et en riant il découvrit, entre la barbi
de ses moustaches et celle de son men-
ton, une double rangée de dents blanches
et aiguës qui paraissaient merveilleuse-
ment aiguisées par l'habitude de s'e.
servir au moins quatre fois par jour
ALEXANDRE DUMAS.
tA ,u't're.)
CINQ centimes le numéro
11 Prairial an 102 — H* 8 8
RÉDACTION
131, BUE MONTMABTBB, 131
S'ADRESSER AU SECR£TAIRE DE U RÉDACTION ,h
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
£ £ * KAOTSCSHTC nox IHSKBÉ8 HE araont PAS BSJfWË?
TLE RAPPEL -
ADMINISTRATION
131, RUB MONTMABTRfî, 131
Adresser lettres et mandats
A L'ADMU'HST,RATEUa-Gli:RA.B'l
ANNONCES
MM. Ch. LAGfiANGE, CERF et g.
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
- tm vois 2 PE.
BOAS KOIS.;. 5 —
SIX MOIS. 9 FR.
UN AN 18 •—
Rédacteur en chef : AUGUSTE YACQUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
DM MOIS 2 PB.
TROIS MOIS. 6 -
six MOIS. 7. lin»
UN AK 20 —
,r Nous prions ceux de nos lecteurs dont
Ulmnemenl expire Le 31 mai de
> renouveler le plus vite possible afin
f éviter une interruption dans la récep-
tion du journal.
'Joindre une des dernières tondes à
thaque renouvettemeni.
VOIR A LA 38 PAGE
,. LA NOMENCLATURE DES
NOUVELLES PRIMES GRATUITES
que nous offrons -1 nos abonnés
rLa Formatioii des ministères
Une idée :
: Si, au lieu d'être nommés par le
président de la République, les minis-
tres étaient nommés par la Chambre?
C'est la Chambre qui défait les mi-
nistères, pourquoi ne serait-ce pas
elle qui les ferait?
Qu'est-ce qui fait qu'à chaque ren-
versement de cabinet il y a une crise?
C'est que ceux à qui le président de
la République offre la mission de com-
poser un gouvernement, refusent.
Pourquoi refusent-ils?
Ce n'est évidemment pas par dédain
du pouvoir. On ne calomnie pas les
hommes en général ni les députés en
particulier en ne leur attribuant pas
e mépris des grandeurs et en suppo-
sant que Tantale n'avait pas plus faim
des fruits vers lesquels il tendait inu-
tilement les mains que les représen-
tants des comités électoraux n'ont
ïaim des portefeuilles.
Mais au moment de saisir le maro-
quin de leurs rêves, ils regardent la
Chambre, ils passent en revue les
groupes, ils voient ceux qui leur sou-
rient et ceux qui leur montrent les
dents, ils trouvent ceux-ci plus en
nombre que les autres, et ils se disent:
- Je ne monterais aujourd'hui que
pour tomber demain 1
- Ils sont peu tentés par la perspective
ne se casser le nez.
Très bien. Mais alors les crises se
prolongent. Le président de la Répu-
blique va de l'un à l'autre, revient à
l'un, retourne à l'autre, se heurte par-
tout à des refus. On s'épuiserait à
compter combien de fois M. Bourgeois
a refusé la présidence du conseil.
Et M. Dupuy, et M. Brisson, et M.
Peytral, et M. Burdeau, et je ne sais
plus qui !
— Nous voudrions bien, ont-ils ré-
pondu tous ; mais la Chambre ne vou-
drait pas.
Il y aurait un moyen de faire que la
Chambre voulût.
— La dissolution ! dit le Soleil.
J'ai dit moi-même, l'autre jour, que,
dans l'état actuel des choses, la Cham-
bre s'acculait à la dissolution.
Le directeur du Soleilrappelle que
« dans le pays le plus parlementaire
du monde, en Angleterre, le second
Pitt est resté au pouvoir pendant plu-
sieurs mois en présence d'une majorité
hostile dans la Chambre des commu-
nes. Il était régulièrement battu tous
les jours, il ne donnait pas pour cela
sa démission. Il avait la dissolution
dans sa poche. Quand le moment lui
parut venu, il fit appel au pays, qui lui
donna raison. »
Oui, mais M. Edouard Hervé le rap-
pelle aussi, les ministres du maréchal
de Mac-Mahon firent comme le second
Pitt, ils en appelèrent au pays — qui
leur donna tort.
Que faire alors? En rappeler, et, si
le pays persévérait, en re-rappeler jus-
qu'à ce qu'il cédât? Ce conseil fut
donné au maréchal. Il préféra se dé-
mettre.
La dissolution serait la destitution
de M. Carnot.
Puisque le président de la Républi-
que a tant de peine à faire un minis-
tère qui soit accepté par la Chambre
et que même ceux qu'elle accepte ne
tardent pas à cesser de lui plaire, puis-
que son consentement est nécessaire
à leur existence, — ne serait-il pas
plus simple qu'elle les fit elle-même,
qu'elle les prît à son goût, qu'elle les
choisît comme elle choisit son prési-
dent, ses secrétaires et ses questeurs ?
Vous me demanderez à quoi alors
servirait le président de la Répu-
blique?
Mais, comme je n'ai jamais trouvé
que la République eût besoin d'un
président, cette question ne me gêne
pas.
AUGUSTE VACQUERIB.
LES GROUPES RADICAUX
L'extrême gauche et la gauche radi-
cale de la Chambre se sont réunies hier
en commun pour délibérer sur la situa-
tion. Tous les orateurs qui ont pris part
à la discussion ont blâmé les divers re-
présentants du parti radical qui, appelés
à l'Elysée, ont successivement décliné la
mission que leur offrait le président de
la République de constituer le nouveau
ministère. Comme sanction du débat,
divers ordres du jour de blâme ont été
proposés ; finalement la réunion a
chargé les bureaux des deux groupes
d'adopter un texte commun. La rédac-
tion qui a prévalu est un désaveu indi-
rect dans la forme; en voici la teneur :
Les groupes radicaux réunis, persi tant
dans leurs précédents ordres du jour et
constatant l'existence dans la Chambre
d'une majorité décidée à poursuivre la
réalisation des réformes démocratiques et
sociales,
Déclarent :
Qu'ils ne soutiendro t qu'un gouverne-
ment constitué conformément aux règles
parlementaires, et résolu à suivre la poli-"
tique réformatrice dont ils restent prêts à
assumer la responsabilité.
Le RAPPEL commence aujourd'hui
dans son feuilleton la publication de
LES
QUARANTE-CINQ
PAR
ALEXANDRE DUMAS
Dans cette nouvelle suite d'amu-
santes et saisissantes aventures, on
retrouvera les principaux personna-
ges qui ont animé le précédent roman
de leur passion, de leur verve et de
leur drôlerie, et au premier plan,
parmi eux, les deux figures légen-
daires de Chicot et de Gorenflot.
LA CRISE MINISTERIELLE
La crise est entrée hier dans une phase
nouvelle : nous sommes sortis de la pé-
riode des consultations officieuses et
des appels successifs à l'Elysée. Hier, à
quatre heures de l'après-midi, M. Charles
Dupuy a accepté officiellement la mis-
sion de former le nouveau cabinet.
Dans la matinée, le président de la
Chambre, qui était encore dans sa pé-
riode d'examen et d'étude de la situation,
avait reçu MM. Burdeau et Poincaré,
qui tous deux s'étaient récusés de nou-
veau en ce qui concerne le portefeuille
des finances.
M. Poincaré s'était offert comme in-
termédiaire auprès de M. Boulanger,
sénateur du même département que le
sien, la Meuse, pour lui persuader d'ac-
cepter le portefeuille des finances. Mais
M. Boulanger avait répondu par un refus
formel.
C'est dans ces conditions que s'ouvrit
la séance de la Chambre que M. Charles
Dupuy avait résolu de présider.
Dans l'après-midi, le président de la
Chambre, après avoir vainement tenté de
rencontrer M. Boulanger, se rendit à
l'Elysée et à la suite d'un'e conférence
nouvelle avec le président de la Républi-
que consentit à se charger officiellement
de la mission de former le ministère.
M. Poincaré rendit visite à M. Carnot,
qui insista auprès de lui pour qu'il
acceptât l'offre du portefeuille des finan-
ces que lui avait faite M. Ch. Dupuy.
De son côté le président de la Cham-
bre rentré au palais Bourbon commen-
çait officiellement ses négociations.
Réserve faite de la réponse définitive
de M. Poincaré, M. Ch. Dupuy s'est déjà
assuré le concours de MM. Félix Faure,
Delcassé et Barthou.
Ce matin M. Ch. Dupuy rendra visite
à M. Challemel-Lacour, président du
Sénat, puis il continuera ses négociations
qu'il espère terminor de manière à cons-
tituer son cabinet pour après-demain
jeudi.
Jusqu'ici aucune attribution définitive
de portefeuille n'est encore faite. La ré-
partition se fera lorsque tous les con-
cours recherchés seront acquis.
DERNIÈRE HEURE
Dans la soirée d'hier, M. Poincaré a
fait connaître à M. Charles Dupuy qu'il
acceptait le portefeuille des finances.
- '.-
A LA CHAMBRE
Deux heures. La séance est ouverte.
M. Dupuy préside. Commentaires. Gela
veut-il dire qu'il renonce, passe la main?
Des gens bien informés assurent que
non, au contraire que Si combinaison est
aux trois quarts bâtie. Soit. On tire au
sort les bureaux. M. d'Hulst lit un rap-
port d'élection. M. Vaillant demande à
interpeller le ministre de l'intérieur sur
l'interdiction de la manifestation de di-
manche. Exclamations. — Mais il n'y a
pas de gouvernement ! s'écrie, de cette
voix invraisemblable qu'on lui connaît,
M. de Baudry d'Asson. — Bien entendu,
répond M. Dupuy avec un sourire af-
fable; aussi M. Vaillant ne dépose-t-il sa
demande d'interpellation que pour
prendre date. — Et M. Vaillant, sur les
hauteurs de l'extrême gauche, incline
affirmativement sa tête en broussaille
qu'éclaire le reflet de menaçantes lu-
nettes.
Voilà donc le futur ministre de l'inté-
rieur d avance interpellé, quel qu'il
doive être, sur les actes de son prédéces-
seur. Joli!
Maintenant, il s'agit de fixer le jour de
la prochaine séance. M. de Douville-
Maillefeu demande la parole. Frémisse-
ment d'attention. Avez-vous jamais vu
M. de Douville-Maillefeu gravir les de-
grés de la tribune? C'est un rudement
beau spectacle. Avec quelle ampleur,
avec quelle majesté M. de Douville-
Maillefeu accomplit cette ascension 1 Il
sait que tous les regards sont fixés sur
lui, et son abdomen se gonfle. Lente-
ment, solennellement, il hisse le poids
considérable de son corps alternative-
ment sur l'une et l'autre jambe. Et sa
tête dodeline légèrement sous l'effort des
pensées dont elle est pleine. C'est très
bien.
Avec une noble simplicité, il venait
hier demander à la Chambre de s'ajour-
nera huitaine. De violentes protestations
se sont élevées: — Pourquoi pas à un
mois? a-t-on demandé. — Mais M. d el
Douville-Maillefeu a fait, à cette plaisan-
terie, l'accueil glacé d'un homme dont
les lèvres ne s'entrouvrent jamais, même
pour le sourire. Du reste, sa proposition
a été repoussée à la presque unanimité.
A mains levées, la Chambre a fixé sa
prochaine séance à jeudi.
On s'en va. Mais M. Pourquery de
Boisserin s'élance à la tribune.
Rumeurs. M. Pourquery de Boisserin
demande le retrait de l'ordre du jour de
la loi sur les pontonniers. M. Fouquet
.appuie. MM. Le Hérissé et Reille com-
battent. Finalement on vote; les ponton-
niers resteront à l'ordre du jour.
Et dans la, salle des Pas-Perdus re-
prennent les conversations, les papo-
tages. M. Dupuy trouvera-t-il un mi-
nistre des finances? Ses négociations
aboutiront-elles à un échec? En ce cas
M. Carnot, comme on le lui conseille,
fera-t-il appeler M. Goblet ?. Il faisait
joliment bon sous les arbres des Champs-
Elysées. Mais la pluie s'est remise à
tomber. Quel printemps, mes amis !
quel printemps!.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
-
AU SÉNAT
La séance du Sénat a duré exactement
cinq minutes. « Messieurs, a dit M. Challe-
mel-Lacour, les raisons qui nous avaient
fait nous ajourner à aujourd'hui persis-
tent. » Et le Sénat, comme la Chambre,
s'est ajourné à jeudi.
1 ———
UNE tURIEUSE AUOESTATION
Voici une affaire qui semblait devoir
prendre les proportions d'un énorme
procès criminel, et que les dépêches
ramènent à des proportions plus modes-
tes. Elle reste pourtant mystérieuse et
bizarre.
On parlait d'abord de l'arrestation, à
Dunkerque, venant d'Amérique, d'un
individu qui aurait, à Buenos-Ayres, tué
une femme et coupé le cadavre en mor-
ceaux. On se demandait si l'on n'était
pas en présence de Jack l'Eventreur, car
dans le crime constaté à Buenos-Ayres
on relevait des détails identiques à ceux
qui avaient été relevés dans les crimes
de Whitechapel.
Il faut, croit-on, actuellement en ra-
battre. Quoi qu'il en soit? les détails qui
nous sont transmis télégraphiquement
sont intéressants et curiqux; et il est fa-
cile de se convaincre, en lisant les dépê-
ches qui suivent, que tout n'est pas dit
sur l'événement.
Voici les télégrammes :
Dunkerque, 28 mai.
Le nommé Jean Tremblier a été arrêté ce
matin à neuf heures à l'arrivée du paquebot
Paraguay.
Jean Tremblier est soupçonné d'être l'au-
teur d'un crime commis sur une personne
trouvée assassinée dans une rue deBuenos-
Ayre:.
Il s'était embarqué à Buenos-Ayres le 2
mai sous le nom de Jean Tremblier, comme
passager de seconde classe, sur le steamer
Paraguay.
C'est ",ur la demande du consul de la
République argentine à Dunkerque qu'il a
éLé arrêté. Tremblier est originaire de Péri-
gueux, où il a un parent qui reçoit sa cor-
respondance.
Jean Tremblier est âgé de vingt ans ; il est
né à Bordeaux.
A peine débarqué, il fut arrêté par le
commis aire central, assisté de quatre
agents.
Comme il manifestait une vive surprise,
on lui expliqua les motifs de son arresta-
tion.
Il répondit qu'il avait entendu parler
d'une femme coupée en morceaux, avant
son départ de Buenos-Ayre-, où il s'occu-
pait de commerce et d'affaires de Bourse.
Il ne comprend pas qu'on puisse l'accuser
de ce crime.
Il avait sur lui 80 fr. en or, et mille pias-
tres dans une malle ; il apporte également
15 colis.
L'inculpé sera amené au parquet à deux
heures. Il est assez élégamment vêtu d'un
complet gris. Il est toujours très calme et
très froid.
Les colis de Tremblier ont été visités par
la douane.
Toutes les parois denses quatorze malles
étaient tapissées de sous argentins recou
verts d'une mince planchette. La somme
ainsi dissimulée s'élevait à 5,000 franot
environ.
La chemise de Tremblier était aussi dou.
blée de sous et l'on a trouvé pour 5,120 Cr.
ct*5r dans une cassette.
Rien ne rend vraisemblable l'accusation
d'assassinat et l'affaire semble avoir été
grossie.
Dunkerque, 28 mal. :
Jean Tremblier, interrogé par le proca*
reur de la République, nie absolument toute
participation au triple assassinat de Buenos*
Ayres.
Son arrestation a été maintenue.
L'abondance des matières nous obligt
à renvoyer à demain la suite de notre
feuilleton
TAPE-DUR
Voir à la 4e page là suite de notre
feuilleton
LA DAME DE MONSOREAU
LES ON-DIT
M. Jules Simon va subir l'opération
'de la cataracte, il a dit à ce sujet à un
rédacteur de l'Agence nationale :
— Je suis aveugle ; mais pourquoi
l'opération ne me réussirait-elle pas
comme à Gladstone?
*
Les représentations du Gant et de Léo-
narda, chez Mme Edmond Adam, sont
terminées.
La dernière représentation de Léo-
narda a été suivie d'un très intéressant
concert, où des chants populaires slaves
recueillis par M. Louis Kouba ont été
présentés aux invités par M. Bour-
gault-Ducoudray, en une minuscule
conférence, pleine de vues originales
sur la formation des chansons popu-
laires. Ils ont eu un succès très vif et
presque chaque chanson a été bissée.
Les chansons slaves étaient chantées
par Mme Elena Sanz, Mme Mérina, M.
Olmann-Black, M. Carol Svodoba, M,
Vallobra.
h
Hier, charmante et brillante soirée
chez Mme Claire de Saint-Victor, la fille
du grand écrivain.
Beaucoup de notabilités et beaucoup
de jolies femmes.
Un des attraits de la soirée était la re-
présentation de deux petites pièces.
La première, le Bouquet, comédie en
uu acte de MM. Meilhac et Halévy, les-
tement enlevée par deux amateurs, MM.
H. Aubépin et P. Barbier, et par Mlles
Gallaix, Ju Gymnase, et Noirez, de TO-
déon, a eu un vif succès de rire.
La seconde, Entre six et sept, était
inédite. Elle est d'un jeune homme,
M. André Godfernaux. Elle est touchante
et délicate. C'est un début qui est déjà
plus qu'une promesse. Nous n'en don-
nons pas l'analyse, parce que nous la
retrouverons prochainement sur un vrai
théâtre, Vaudeville ou Gymnase. Elle y
sera sûrement applaudie comme elle l'a
été hier.
On y a applaudi M. H. Aubépin. Un
autre amateur, M. Ed. Coignet, a joué
avec beaucoup d'aisance et de naturel u"
mari qui mériterait une femme moi
Feuilleton du RAPPEL
DU 30 MAI
> ■ '■ 1
.,
LES
QUARANTE-CINQ
S ;
i !
,. - >
1
La porte Saint-Antoine
Le 26 octobre de l'an 1585, les barrières
'de la porte Saint-Antoine se trouvaient
encore, contre toutes les habitudes, fer-
mées à dix heures et demie du matin.
A dix heures trois quarts, une garde
de vingt Suisses, qu'on reconnaissait à
leur uniforme pour être des Suisses des
petits cantons, c'est-à-dire des meilleurs
amis du roi Henri III, alors régnant, dé-
boucha de la rue de la Mortellerie et
s'avança vers la porte Saint-Antoine qui
ç'ouvrit devant eux et se referma der-
rière eux : une fois hors de cette porte,
ils allèrent se ranger le long des haies
qui, à l'extérieur de la barrière, bor-
daient les enclos épars de chaque côté
de la route, et, par sa seule apparition,
refoula bon nombre de paysans et de pe-
tits bourgeois venant de Montreuil, de
Vincennes ou de Saint-Maur pour entrer
en ville avant midi, entrée qu'ils n'a-
vaient pu opérer, la- porte se trouvant
fermée, comme nous l'avons dit.
S'il est vrai que la foule amène natu-
rellement le désordre avec elle, on eût
pu croire que, par l'envoi de cette garde,
M. le prévôt voulait prévenir le désordre
qui pouvait avoir lieu à la porte Saint-
Antoine.
En effet, la foule était grande ; il arri- !
tait par Jes trois routes convergentes, et
cela à chaque instant, des moines des
couvents de la banlieue, des femmes
assises de côté sur les bâts de leurs ânes,
des paysans dans des charrettes, les-
quelles venaient s'agglomérer à cette
masse déjà considérable que la ferme-
ture inaccoutumée des portes arrêtait à
la barrière. et tous, par leurs questions
plus ou moins pressantes, formaient une
espèce de rumeur faisant basse continue,
tandis que parfois quelques voix, sor-
tant du diapason général, montaient
jusqu'à l'octave de la menace ou de la
plainte.
On pouvait encore remarquer, outre
cette masse d'arrivants qui voulaient
entrer dans la ville, quelques groupes
particuliers qui semblaient en être sor-
tis. Ceux-là, au lieu de plonger leurs
regards dans Paris par les interstices
des barrières, ceux-là dévoraient l'hori-
zon, borné par le couvent des Jacobins,
le prieuré de Vincennes et la Croix Fau-
bin, comme si, par quelqu'une de ces
trois routes formant éventail, il devait
leur arriver quelque messie.
Les derniers groupes ne ressemblaient
pas mal aux tranquilles îlots qui s'élè-
vent au milieu de la Seine, tandis qu'au-
tour d'eux, l'eau, en tourbillonnant et en
jouant, détache, soit une parcelle de
gazon, soit quelque vieux tronc de saule
qui finit par s'en aller au courant après
avoir hésité quelque temps sur les re-
mous.
Ces groupes, sur lesquels nous reve-
nons avec insistance, parce qu'ils méri-
tent toute notre attention, étaient formés,
pour la plupart, par des bourgeois de
Paris fort hermétiquement calfeutrés
dans leurs chausses et leurs pourpoints;
car, nous avions oublié de le dire, le
temps était froid, la bise agaçante, et de
gros nuages, roulant près de terre, sem-
blaient vouloir arracher aux arbres les
dernières feuilles qui s'y balançaient
encore tristement.
Trois de ces bourgeois causaient en-
semble, ou plutôt deux causaient, et le
troisième écoutait. Exprimons mieux !
notre pensée et disons : le troisième ne
paraissait pas même écouter, tant était
grande l'attentfon qu'il mettait à regar-
uôr vers Vincennes. j
OccuDons-nous d'abord de ce dernier.
C'était un homme qui devait être de
haute taille lorsqu'il se tenait debout ;
mais en ce moment ses longues jambes,
dont il semblait ne savoir que faire lors-
qu'il ne les employait pas à leur active
destination, étaient repliées sous lui,
tandis que ses bras, non moins longs
proportionnellement que ses jambes, se
croisaient sur son pourpoint. Adossé à
la haie, convenablement étayé par les
buissons élastiques, it tenait, avec une
obstination qui ressemblait à la pru-
dence d'un homme qui désire n'être
point reconnu, son visage caché derrière
sa large main, risquant seulement un
œil, dont le regard perçant dardait entre
le imédi u m et l'annulaire, écartés.à la
distance strictement nécessaire pour le
passage du rayon visuel.
A côté de ce singulier personnage, un
petit homme grimpé sur une butte,
causait avec un gros homme qui tré-
buchait à la pente de cette même butte,
et se raccrochait à chaque trébuchement
aux boutons du pourpoint de son inter-
locuteur.
C'étaient les deux autres bourgeois,
formant, avec ce personnage assis, le
nombre cabalistique trois , que nous
avons annoncé dans un des paragraphes
précédents.
— Oui, maître Miton, disait le petit
homme au gros; oui, je le dis et je le
répète, qu'il y aura cent mille personnes
autour de l'échafaud de Salcède, cent
mille au moins. Voyez, sans compter
ceux qui sont déjà sur la place deGrève,
ou qui se rendent à cette place des diffé-
rents quartiers de Paris, voyez que de
gens ici, et ce n'est qu'une porte 1 Jugez
donc, puisqu'en comptant, bien, nous en
trouverions seize, des portes.
— Cent mille, c'est beaucoup, com-
père Friard, répondit le gros homme;
beaucoup, croyez-moi, suivront mon
exemple, et n'iront pas voir écarteler ce
malheureux Salcède, dans la crainte
d'un hourvari, et ils auront raison.
— Mattre Miton, maître Miton, prenez
5'arde, répondit le petit homme, vous
parlez là comme un politique. Il n'y aura
rien, absolument rien, je vous en ré-
ponds.
Puis, voyant que son interlocuteur se-
couait la tête d'un air do doute i
— N'est-ce pas, monsieur? continua-t-
il en se retournant vers l'homme aux
longs bras et aux longues jambes qui, au
lieu de continuer à regarder du côté de
Vincennes, venait, sans ôter sa main de
dessus son visage, venait, disons-nous,
de faire un quart de conversion et de
choisir la barrière pourpoint de mire de
son attention.
— Plaît-il ? demanda celui-ci, comme
s'il n'eût entendu que l'interpellation qui
lui était adressée et non les paroles pré-
cédant cette interpellation, qui avaient
été adressées au second bourgeois.
— Je dis qu'il n'y aura rien en Grève
aujourd'hui.
— Je crois que vous vous trompez, et
qu'il y aura l'écartèlement de Salcède,
répondit tranquillement l'homme aux
longs bras.
— Oui, sans doute : mais j'écoute qu'il
n'y aura aucun bruit à propos de cet
écartèlement.
— Il y aura le bruit des coups de fouet
que l'on donnera aux chevaux.
— Vous ne m'entendez pas. Par bruit,
j'entends émeute; or, je dis qu'il n'y
aura aucune émeute en Grève ; s'il avait
dû y avoir émeute, le roi n'aurait pas
fait décorer une loge à l'hôtel de ville
pour assister au supplice avec les deux
reines et une partie de la cour.
— Est-ce que les rois savent jamais
quand il doit y avoir des émeutes? dit en
haussant les épaules, avec un air de
souveraine pitié, l'homme aux longs bras
et aux longues jambes.
- Ohl ont fit maître Miton en se
penchant à l'oreille de son interlocu-
teur, voilà un homme qui parle d'un
singulier ton : le connaissez-vous, com-
père ?
— Non, répondit le petit homme.
— Eh bien, pourquoi lui parlez-vous
donc alors?
— Je lui parle pour lui parler.
— Et vous avez tort; vous voyez bien
qu'il n'est point d'un naturel causeur.
— Il me semble cependant, reprit le
compère Friard assez haut pour être en-
tendu de l'homme aux longs bras, qu'un
des grands bonheurs de la vie est d'é-
changer sa pensée. t
— Avec ceux qu'on connaît; très bien
répondit maître Miton, mais avec ceux
que l'on ne connaît pas.
— Tous les hommes ne sont-ils pas
frères? comme dit le curé de Saint-Leu,
ajouta le compère Friard d'un ton per-
suasif.
— C'est-à-dire qu'ils l'étaient primiti-
vement; mais, dans des temps comme
les nôtres, la parenté s'est singulière-
ment relâchée, compère Friard. Causez
donc avec moi, si vous tenez absolument
à causer, et laissez cet étranger à ses
préoccupations.
— C'est que je vous connais depuis
longtemps, vous, comme vous dites, et
je sais d'avance ce que vous me répon-
drez ; tandis qu'au contraire, peut-être,
cet inconnu aurait-il quelque chose de
nouveau à me dire.
— Chut 1 il vous écoute.
— Tant mieux, s'il nous écoute ; peut-
être me répondra-t-il. Ainsi donc, con-
tinua le compère Friard en se tournant
vers l'inconnu, vous pensez qu'il y aura
du bruit en Grève ?
- Moi, je n'ai pas dit un mot de cela.
— Je ne prétends pas que vous l'ayez
dit, continua Friard d'un ton qu'il es-
sayait de rendre fin : je prétends que
vous le pensez, voilà tout.
— Et sur quoi appuyez-vous cette cer-
titude, seriez-vous sorcier, monsieur
Friard ?
— Tiens! il me connaît! s'écria le
bourgeois au comble de l'étonnement, et
d'où me connaît-il?
— Ne vous ai-je pas nommé deux ou
trois fois, compère? dit Miton en haus-
sant les épaules comme un homme hon-
teux devant un étranger du peu d'intel-
ligence de son interlocuteur.
— Ah! c'est vrai, reprit Friard, faisant
un effort pour comprendre, et compre-
nant, grâce à cet effort; c'est, sur ma
parole, vrai; eh bien! puisqu'il me con-
naît, il va me répondre. Eh bien! mon-
sieur, continua-t-il en se retournant vers
l'inconnu, je pense que vous pensez qu'il
y aura du bruit en Grève, attendu que si
vous ne le pensiez pas, vous y seriez, et
qu'au contraire vous êtes ici. ah !
Ce ah ! prouvait que le compère Friard
avait atteint, dans sa déduction, les bor-
nes les plus éloignées de sa logique et
4a son worii, i
— Mais vous, monsieur Friard, puis-
que vous pensez le contraire de ce que
vous pensez que je pense, répondit l'in-
connu, en appuyant sur les mots pro-
noncés déjà par son interrogateur et
répétés par lui, pourquoi n'y êtes-vous
pas, en Grève? Il me semble cependant
que le spectacle est assez réjouissant
pour que les amis du roi s'y foulent.
Après cela, peut-être me répondrez-voile
que vous n êtes pas des amis du roi,
mais de ceux de M. de Guise, et que
vous attendez ici les Lorrains qui, dit-on,
doivent faire invasion dans Paris pour
délivrer M. de Salcède.
- Non, monsieur, répondit vivement
le petit pomme, visiblement effrayé de
ce que supposait l'inconnu; non, mon-
sieur, j'attends ma femme, Mlle Nicole
Friard, qui est allée reporter vingt-quatre
nappes au prieuré des Jacobins, ayant
l'honneur d'être la blanchisseuse parti-
culière de dom Modeste Gorenflot, abbé
du dit prieuré des Jacobins. Mais, pour
en revenir au hourvari dont parlait le
compère Miton, e.t auquel je ne crois pas,
ni vous non plus, à ce que vous dites,
du moins.
— Compère, compère! s'écria Miton.
regardez donc ce qui se passe.
Maître Friard suivit la direction indi-
quée par le doigt de son compagnon, et
vit qu'outre les barrières, dont la ferme-
ture préoccupait déjà si sérieusement
les esprits, on fermait encore la porte.
Cette porte fermée, une partie des
Suisses vint s'établir en avant du fossé.
—Comment' comment! s'écria Friard
pâlissant, ce n'est point assez de la bar-
rière, et voilà qu'on ferme la porte main«
tenant!
- Eh bien! que vous disais-je? répon-
dit Miton pâlissant à son tour.
- C'est drôle, n'est-ce pas? fit l'in-
connu en riant.
Et en riant il découvrit, entre la barbi
de ses moustaches et celle de son men-
ton, une double rangée de dents blanches
et aiguës qui paraissaient merveilleuse-
ment aiguisées par l'habitude de s'e.
servir au moins quatre fois par jour
ALEXANDRE DUMAS.
tA ,u't're.)
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