Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-06-14
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 14 juin 1891 14 juin 1891
Description : 1891/06/14 (N7765). 1891/06/14 (N7765).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
N° 7765 - ixmanche 14 Juin 1891
À~%-
CINQ centimes le numéro
28 Praiçlal an - 99 - N. 7705
RÉDACTION
<8, RUE DE VALOIS, là
S'ApSSftBflLAW SECfSÉTMRE ftË là RÉDACTION
De 4 à 6 hcuirs du soir
Et àe 9 heures du soir à.minuit
1:,£9 MANUSCRITS NOJ* INSÉJUÎS ÎSB SERONT PAS UENDUS
i.. ADMINISTRATION
• >. 18, EUE DE VALOIS, 18
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>¥ Adresser lettres et mandats
..,1 A VADMINISTRATEUR-GÉ, RANT
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MM. Ch. LAGRANGE, CERF et 09
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PARIS
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UN AN ,. 18 -
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REMISE DE BARRETTE
Exce lient issitne Prxses, insignemunus
rjuo in conspectu vestro.
Vous m'offrez de continuer, et vous
ajoutez couramment : « Cum permis-
sione domini Pl'œsidis. si bonum sem-
blatur domino Prœsidi. clisterium
donare. » Et vous concluez avec une
facilité non moins courante : Dignus
est iittraî-è-
C'est que vous croyez que la chose
se passe au Théâtre-Français et que le
Prœses est le président de la cérémonie
du Malade imag inaire. Vous vous
trompez. Le Prœses est le président de
la République française.
C'est à M. Carnot que Fablégat du
pape vient de parler latin. @ Je prie Mon-
signor Jules Celli de ne pas croire que
je lui reproche d'avoir employé une
langue morte; je trouve, au contraire,
très logique que la langue soit comme
le dogme qu'elle exprime.
L'occasion de ce discours latin était
la remise de la barrette à M. Rotelli,
pro-nonce apostolique à Paris, dont le
pape a fait un cardinal il y a aujour-
d'hui treize jours.
La chose se passait à l'Elysée. A dix
heures du matin, le comte d'Ormesson,
introducteur des ambassadeurs, était
allé, avec un escadron de cavalerie,
prendre M. Rotelli à la nonciature, rue
de Varennes. Pour le recevoir plus
solennellement, le Prœses avait à ses
côtés, avec les officiers de sa maison
militaire, le ministre des affaires étran-
gères et le ministre des cultes.
M. J. Celli a prononcé son discours
latin. M. Carnot lui a répondu en fran-
çais ; après quoi, le président, suivi des
deux ministres et de sa maison, s'est
rendu à la chapelle, où bientôt ont été
introduits M. Rotelli, l'ablégat aposto-
lique et le comte Louis Negroni, garde-
noble. L'ablégat a lu le bref pontifical
et a présenté la barrette, laquelle est
un bonnet rouge, mais en satin, ce qui
corrige. M. Carnot en a coiffé M. Ro-
telli. Puis M. Rotelli a été revêtu d'un
manteau de pourpre dont la magnifi-
cence aurait étonné les guenilles des
apôtres. Puis il a parlé, en français.
M. Carnot lui a répondu, et l'a retenu
a déjeuner, avec les ministres et les
autres personnes qui avaient participé
à la petite fête.
Après le déjeuner, M. Rotelli a été
reconduit à la nonciature avec le céré-
monial qui était allé le chercher.
La représentation dont l'Elysée a
été le théâtre n'est que la bagatelle de la
porte. Le nouveau cardinal ira complé-
ter sa gloire à Rome.
Il y sera reçu, à la gare, par une
riche cavalcade qui n'étonnerait pas
mal non plus le modeste ânon sur lequel
Jésus a fait son entrée à Jérusalem.
Cette cavalcade le mènera chez le
cardinal-patron, où le barbier du pape
lui fera la tonsure cardinalesque, d'un
diamètre de quatre pouces. Le lende-
main, deux cardinaux-diacres vien-
dront le chercher et le mèneront dans
cette prison dont la paille humide l'est
peut-être un peu moins que celle de
l'étable de Bethléem : au Vatican.
Les cardinaux y seront réunis. Là,
le Prœses sera le pape. M. Rotelli sa-
luera les cardinaux à trois reprises,
montera les marches du trône ponti-
fical, baisera le pape, d'abord aux pieds,
puis à la figure, redescendra, baisera
tous les cardinaux, et fera trois fois le
tour de la chapelle pendant que les mu-
siciens de la Sixtine chanteront le Te
Deum avec la voix qu'on leur sait.
Puis il viendra s'agenouiller devant
le maître-autel. On profitera de ce mo-
ment pour lui rabattre sur la tête le
capuchon de sa chape. Cela l'aidera à
se coucher sur le ventre. Il restera dans
cette posture à peu près une demi-,
heure.
Le cardinal-doyen le relèvera, le di-
rigera vers le pape, aux pieds duquel il
l'agenouillera, et le désencapuchonnera.
C'est alors que le pape le coiffera du
chapeau, lequel est rouge, mais en ve-
lours, et le velours a la même propriété
désinfectante que le satin, il n'y a qu'en
laine que les coiffures rouges sont sub-
versives et impies.
Avec le chapeau, le pape lui donnera
un titre, et encore un anneau d'or en-
châssé d'un saphir. Et alors seulement
M. Rotelli possédera tout de bon et
complètement la dignité que Jules Janin
attribuait au homard.
AUGUSTE VACQUERIE.
————————————— 4>
COULISSES DES CHAMBRES
LA COMMISSION DU BUDGET
Dans la séance qu'a tenue hier la com-
mission du budget, le président, M. Casi-
mir-Perier, s'est plaint de la lenteur avec
laquelle cette commission procède cette
année à ses travaux. Il a constaté que, sur
vingt-cinq rapports particuliers auxquels
doit donner lieu le budget de 1892, six
seulement ont été présentés et approuvés,
six sont en voie d'élaboration et treize ne
sont pas commencés.
En cet état, le président a fait observer
qu'il importait d'apporter une plus grande
activité aux travaux si l'on voulait pouvoir
déposer tous les rapports avant les va-
cances d'été et mettre la Chambre en état
de discuter le budget de 1892 à la reprise
de ses travaux en octobre prochain.
Ajoutons que les membres de la com-
mission étant pour la plupart très inexacts
et se rendant très irrégulièrement aux
convocations qui leur sont adressées, le
président va mettre en vigueur l'article 21
du règlement de la Chambre, aux termes
duquel, après chaque séance de la com-
mission du budget, le Journal officiel doit
enregistrer le nom des membres qui as-
sistaient à cette séance et de ceux qui
étaient absents.
X
LA RÉFORME DE L'IMPOT DES BOISSONS
Nous avons dit que la sous-commission
des recettes avait refusé d'incorporer dans
le budget de 1892 la réforme de l'impôt
des boissons qu'elle préfère réaliser par
voie de projet de loi distinct. Dans sa
séance d'hier la commission du budget a
pris une décision contraire.
M. Jamais a soutenu la nécessité de
cette incorporation qui, suivant lui, serait
le seul moyen pratique de faire aboutir la
réforme des boissons.
M. Cavaignac, rapporteur général, s'est
opposé à l'incorporation. Il a fait observer
que la réforme des boissons devait se faire
isolément : elle se compense par elle-
même et n'a aucune répercussion sur le
budget.
Si on la joint au budget, elle compli-
quera celui-ci et en retardera la discus-
sion et le vote dans les deux Chambres et
déterminera peut-être un double avorte-
ment.
La commission, malgré ces raisons, s'est
rangée à l'avis de M. Jamais et a décidé
l'incorporation par 14 voix contre 7.
X
LE PORT DE ROCHEFORT
Le ministre de la marine s'est rendu
hier à la commission de la marine pour
donner son avis sur une proposition des
députés de la Charente-Inférieure tendant
à ouvrir les crédits nécessaires à l'appro-
fondissement de la Charente en vue d'ou-
rir l'accès de notre port militaire de Ro-
chefort aux cuirassés.
Il résulte des explications fournies à la
commission qu'actuellement le port do
Rochefort est celui de nos ports de guerre
qui est le plus complètement à l'abri d'un
bombardement. Malheureusement l'accès
en est à peu près fermé à nos grands cui-
rassés. Seuls les navires de six mètres
peuvent y accéder en tous temps.
Il s'agirait de creuser tant dans l'estuaire
que dans le lit même de la Charente un
chenal ayant 14 kilomètres de longueur,
40 mètres de largeur et 7 mètres de pro-
fondeur. La dépense est évaluée à trois
millions. Si l'entreprise réussit dans l'es-
tuaire, au même titre que dans lo lit
même du fleuve où le succès du travail est
certain, on pourrait être conduit à com-
pléter le travail par* un approfondissement
plus grand qui permettrait l'accès perma-
nent du port aux navires de guerre du plus
fort tonnage.
La commission discutera la question
dans une séance ultérieure. Cette question
est d'autant, plus intéressante, en effet,
que si l'on ne décidait pas la création du
chenal, on serait conduit nécessairement
à supprimer le port de Rochefort qui de-
viendrait désormais sans utilité.
X
LES PRIMES AUX SÉRICICULTEURS
On sait que dans sa séance de jeudi, la
Chambre a renvoyé le projet de loi sur les
primes et encouragements à la séricicul-
ture à un nouvel examen de la commis.
sion des douanes et de la commission du
budget.
Ces deux commissions se sont réunies
hier et se sont mises d'accord pour pré-
senter à la. Chambre, aujourd'hui, le sys-
tème suivant.
Une prime de 50 centimes par kilo g de
cocons produits sera donnée aux sérici-
culteurs français.
Il sera donné aux filateurs de soie fran-
çaise une prime de 50 francs par vieille
bassine, 200 francs par bassine nouvelle et
250 francs par bassine transformée.
La durée de la loi est fixée à six années.
On calcule que la dépense annuelle qui en
résultera pour le Trésor sera de 4 à 5 mil-
lions par an.
Les deux commissions ont été d'accord
pour recommander au ministre de deman-
der par voie d'inscription de crédits au
budget de l'agriculture pour 1892 les
sommes nécessaires pour organiser des
stations séricicoles et l'enseignement de
la sériciéulture.
Ajoutons que l'on ne parait pas devoir
s'arrêter de sitôt dans cette voie des en-
couragements à certaines industries faites
aux dépens des contribuables. Après la loi
sur les sucres, après le projet en délibéra-
tion sur la sériciculture, voici qu'on an-
nonce maintenant le dépôt prochain par
le gouvernement d'un projet de loi des-
tiné à donner des primes à l'industrie du
lin, toujours aux frais du Trésor, c'est-à-
dire des contribuables.
X
LA POLICE SUBURBAINE
Les conseillers généraux de la banlieue
de Paris sont venus hier à la commission
du budget pour demander le rétablisse-
ment de la subvention de 100,000 fr. que
l'Etat leur accordait pour la police subur-
baine et qui leur a été supprimée depuis
trois ans.
Ils ont fait observer que, privés de toute
action sur la police, ils sont tenus d'en
rembourser tous les frais à l'Etat, alors
que Paris et Lyon, qui sont dans le même
cas au point de vue de l'indépendance des
services de police, reçoivent une subven-
tion de l'Etat.
La commission statuera dans une pro-
chaine séance.
M. DE LESSEPS POURSUIVI
Nous avons dit hier qu'il était question
de poursuites contre M. de Lesseps et
certains administrateurs de la Compagnie
du canal de Panama.
Nous n'avions, étant donnée la personna-
lité considérable de M. de Lesseps, voulu
rien affirmer prématurément et nous
avions préféré attendre que des poursuites
fussent définitivement décidées avant d'en
parler d'une manière plus précise.
Aujourd'hui nous le pouvons faire. M.
Quesnay de Beaurepaire a signé hier te
réquisitoire introductif d'instance contre
M. Ferdinand de Lesseps, président du
conseil d'administration de la Compagnie
du canal de Panama et différents adminis-
trateurs, entre autres MM. Victor de Les-
seps, Cottu, Fontane et le baron Poisson.
M. Prmet, ancien juge d'instruction,
conseiller à la cour, est chargé de suivre
l'affaire.
Ces poursuites sont la conséquence du
vote émis par la Chambre des députés le
21 juin 1890 prononçant le renvoi au mi-
nistre de la justice des pétitions adressées
à la Chambre par les actionnaires de la
compagnie de Panama demandant d'éta-
blir les responsabilités pénales encourues
par les administrateurs.
On sait que M. Ferdinand de Lesseps est
grand'croix de la Légion d'honneur. Cette
dignité ne le rend justiciable que de la
cour d'appel.
C'est donc devant cette haute juridiction
que sera appelée l'affaire, si toutefois elle
est appelée. Car nous devons ajouter qu'il
résulte de nos renseignements particuliers
que toutes les formalités accomplies au-
raientbienpul'êtredans le seul but d'inter-
rompre la prescription.
, LE PARI'MUTUEL
Le ministre de l'agriculture vient d'instituer
la commission consultative pour l'examen des
conditions de fixation et d'attribution des pré-
lèvements à faire sur les produits du pari
mutuel en faveur des œuvres de bienfaisance.
Cette commission est en outre chargée de
vérifier annuellement la répartition des fonds
qui aura été faite en exécution des prescrip-
tions du décret prévu par l'article a de la loi
du 3 juin 1891.
Nous citerons parmi les personnes qui en
font partie : MM. Th. Roussel, Lareinty, Ca-
mescasse, Morel, sénateurs; Baile, Riotteau,
de Kerjégu, députés; Viguier, président du
conseil général do la Seine ; Lcvraud, prési-
dent du conseil municipal de Paris; Lanjalley,
directeur de la comptabilité publique au mi-
nistère des finances; Monod, directeur de
l'Assistance publique et de l'hygiène au mi-
nistère de l'intérieur; Bouffet, directeur de
l'administration départementale et communale
au ministère de l'intérieur; Peyron, directeur
de l'Assistance publique de Paris; de Cormette,
directeur des haras au ministère de l'agricul-
ture; Revoil, chef de cabinet du ministre de
l'agriculture ; de Kergorlay, comriiissaire de la
Société d'encouragement; le prince de Sagan,
président de la Société des steeple-chase ; de
Cornulier, président de la Société du demi-
sang; Cabaret, chef du bureau du secrétariat,
au ministère de l'agriculture, etc.
La commission comprendra également deux
inspecteurs des finances.
Elle sera présidée, en l'absence du ministre,
par M. Th. Roussel, sénateur, vice-président i
du conseil supérieur de l'Assistance publique.
LA COMPAGNIE DES OMNIBUS
LA RÉUNION D'HIER
Presque tous les délégués des dépôts
avaient répondu hier à l'appel du syndicat
et se trouvaient à l'heure fixée, salle Gen-
ton, 118, avenue Kléber.
Il y avait environ cent vingt personnes
dans la salle.
La réunion a commencé à deux heures
et demie ; le bureau était composé de la
façon suivante : président, M. Boulanger;
assesseurs, MM. Boscas et Renault. A côté
du président et des vice-présidents du syn-
dicat des omnibus se tenaient les autres
membres du syndicat.
M. Renault a pris îe premier la parole
pour expliquer qu'il y avait lieu de rem-
placer l'un des secrétaires, M. Contensouzac.
Cette proposition a été votée à l'unani-
nimité. j
M. Moreau a ensuite exposé à l'assem-
blée les résultats des démarches faites par
le bureau du syndicat auprès de la Com-
pagnie des omnibus, c'est-à-dire les ré-
formes obtenues.
Les réformes
Nous n'avons pas besoin d'énumérér ici
les concessions faites par la compagnie,
attendu que nous en avons donné le texte
exact dans notre numéro d'hier. Il nous
suffira de faire figurer dans ce compte-
rendu les commentaires faits par M. Mo-
reau sur chaque point ainsi que les ob-
servations présentées par des assistants.
A propos de la journée de douze heures,
de la reconnaissance du syndicat et de la
réintégration des révoqués, aucune ob-
jection n'a été soulevée. A noter toutefois
que les employés des dépôts se sont plaints
de travailler pendant quinze heures. Il
leur a été justement répondu que les ré-
formes ne devaient être appliquées que le
18 de ce mois et que, jusqu'à cette date,
personne n'avait le droit de se plaindre.
Pas d'observations également sur les
intérêts à 3 0/0 du cautionnement et la
modication de la caisse de secours; tous j
les délégués présents se sont déclarés en-
chantés de ces concessions.
Les amendes
La compagnie consent, on le sait, à
verser le produit des amendes dans la
caisse de secours. Au sujet de cet article,
M. Moreau a complété ainsi qu'il suit le
programme des réformes acceptés par la
compagnie.
« Dorénavant, la police secrète de la
compagnie ne fera plus que signaler les
délinquants au lieu de leur infliger elle-
même des amendes ».
De cette manière, disparaît le gros grief
articulé contre les agents secrets par les
employés des Omnibus.
Un incident
M. Moreau passe ensuite à la transfor-
mation de la prime d'ancienneté en salaire
fixe. A ce moment, la réunion qui avait
été jusque-là fort calme est devenue hou-
loùse. Plusieurs surnuméraires cochers
qui avaient pu pénétrer dans la salle ont
protesté contre le nouveau régime qui les
place dans une situation plus mauvaise.
M. Moreau a eu quelque peine à leur
faire comprendre que rien n'était changé
pour eux en ce qui concerne la prime.
Chaque fois, en effet, qu'ils remplaceront
un titulaire pendant toute une journée,
ils. seront payés comme ce titulaire.
A diverses reprises M. Moreau a dû ré-
péter cette explication. Mais les surnumé-
raires, pour lesquels il parlait, continuant
à interrompre, le secrétaire du syndicat
leur a alors dit qu'ils devraient présenter
leurs observations quand il en serait arrivé
à la question des salaires. L'incident a été
clos sur ces paroles.
La suite des réformes
Les heures de repos, la retraite da
800 fr., les secours de maladie et les heu-
res des repas n'ont donné lieu à aucune dis-
cussion. Mais M. Moreau a fait ressortir
tous les avantages qui découlent de ces
réformes, notamment du nouveau système
de retraites.
Lorsqu'il arrive aux salaires des surnu-
méraires, les interruptions recommencent.
Ceux qui sont là maltraitent fort la com-
pagnie. En vain, M. Moreau les prie da
garder le silence, en vain le président
agite sa sonnette.
Enfin, une tranquillité relative renaît o(
M. Moreau peut s'expliquer.
Il dit que trois hypothèses sont à envi.
sager: ou bien les surnuméraires feront
des remplacements pendant toute una
journée et ils seront payés, dans ce cas,
comme les titulaires, ou bien ils ne vien-
dront au dépôt que pour assurer le service
et alors ils seront rétribués à raison de 30
ou 40 centimes l'heure.
Y a-t-il lieu d'accepter les 30 centimes.
offerts par la compagnie ou de continuer
à en exiger 40? M. Moreau croit qu'il est
inutile d'insister davantage auprès des ad-
ministrateurs. A l'unanimité, l'assembléa;
se prononce pour les 30 centimes. Cette
question est donc réglée.
Reste une troisième hypothèse : Les
surnuméraires feront des tiercements,
c'est-à-dire relèveront jusqu'à la fin de la
journée les cochers et conducteurs qui
auront travaillé 12 heures.
C'est sur' cette hypothèse que la discus-
sion devient vive. M. Moreau répond à un
interrupteur qui lui dit que les surnumé-
raires, au lieu de gagner 5 et 6 fr., n'en
gagneront plus que 4 fr. 50 le premier
jour, 3 fr. 60 le second et 2 fr. le troisième,
et ainsi de suite, M. Moreau répond par
d'autres chiffres que l'assemblée regarde
comme plus précis et qui sont en effet les
seuls justes, puisqu'il est absolument con-
venu que les surnuméraires faisant le tier-
cement seront rétribués à la course sur la
tarif de la journée du titulaire. M. Moream
fait immédiatement un calcul et prouva
que le surnuméraire qui travaillera dix
heures, par exemple, en remplacement,
d'un titulaire gagnant 6 fr. 50, aura entre
5 fr. 40 et 5 fr. 50.
Donc les surnuméraires ne perdent rien
dans le nouveau système. Ils assurent le
service et sont payés; ils font des tierce-
ments, ils le sont également.
Mais les surnuméraires ne sont pas de
cet avis. M. Boscas, cocher, est obligé
d'intervenir. Tout le monde parle à la fois.
Enfin, le silence se fait de nouveau et M.
Moreau peut terminer son énumération
sans être interrompu.
Les employés des dépôts
L'augmentation des salaires des em-
ployés des dépôts est subordonnée par 1;:
compagnie à l'abandon par les contrôleurs
cochers et conducteurs de leur jour de
congé rétribué, qui occasionne une dt.
pense annuelle de 180,000 fr. Or, ces der-
niers ne veulent pas y renoncer.
M. Lefevre, délégué des dépôts, explique
à ses camarades qu'il a plaidé lui-même
leur cause et qu'il a été soutenu énergi.
quement par le syndicat. Il voit dans cette
manœuvre de la compagnie un effort fai:
pour diviser le syndicat, et engage 1er
employés des dépôts à ne pas tomber dan:
le piège.
M. Mormiche, autre délégué, donne le
même conseil.
M. Moreau ajoute autre chose. Il montre-
les sollicitations pressantes du syndicat;
il répète ce qu'il a dit à la compagnie :
qu'elle n'a qu'à mieux payer ses employés
des dépôts pour avoir un personne! plus
capable; elle pourra ainsi rédure ce per-
sonnel et sans inconvénient, ce qui fait.
que l'augmentation consentie par elle sera
vite rattrapée.
Les employés des dépôts manifestent
leur mécontentement. Quelques-uns, tout
en protestant de leur confiance dans le
Feuilleton du RAPPEL
,; DU U JUIN
33
LEONARD AUBRY
TROISIÈME PARTIE ?
PASSION
II (suite)
Natalis ne dit pas un mot, il tomba à
genoux.
Marthe, debout, fixa sur lui, de haut,
un regard triste et grave, plein de dou-
Jeur et plein de pitié. Mais elle ne pro-
nonça pas non plus une parole. Elle quitta
l'atelier et rejoignit Daniel.
Natalis prit son front entre ses mains :
— M'aime-t-elle? ah! je n'en sais tou
jours rien! Mais toi, malheureux, tu l'as
senti à présent, lu n'en peux plus douter!
tu l'aimesl tu l'aimes! ahl comme lu
l'aimes I
w i, i,
1 Reproduction interdite.
91; te &mct du H ,w.aj au 1| juin»
III
Marthe était une âme droite et simple,
claire et pure. Quand elle se retrouva
seule, voici quelles furent ses pensées :
— Natalis ne le lui avait pas dit,
mais elle voyait bien qu'il l'aimait d'a-
mour. C'était un grand malheur. Il de-
vait beaucoup souffrir. Probablement il
l'aimait déjà, ainsi qu'elle avait cru le
sentir, au moment de son prix et de son
duel. L'éloignement avait dû effacer cet
amour, mais il l'avait ressenti de nouveau
en la revoyant. Pauvre Natalis ! qu'il était
à plaindre 1 Ce qu'il aurait de mieux à
faire, ce serait de repartir ; mais il n'avait
pas fait à Marthe d'aveu formel, elle ne pou-
vait guère le lui conseiller.
Quant à elle, elle ne se demanda pas un
seul instant si elle aimait Natalis, puis-
qu'elle savait qu'elle ne devait pas l'aimer.
Elle n'était plus libre. Elle était la femme
de Pierre. De plus, elle était sa grande
obligée. De quelle situation douloureuse
il l'avait tirée! Il avait droit à sa recon-
naissance autant qu'à sa fidélité. Elle n'a-
vait pas d'ailleurs idée qu'elle pût avoir à
se défendre. Tout ce qu'elle se demandait,
c'était comment elle pourrait guérir et
consoler Natalis. Elle pensa que le mieux
serait d'être avec lui comme par le passé,
affectueuse comme l'était Marie, et de lui
rappeler ainsi sans cesse qu'elle était sa
M~T. ,.,'
Natalis, lui, était en proie à la tempête.
La preuve qu'il avait demandée était
faite : il aimait! il était maintenant certain
qu'il aimait! Pour tenir l'engagement qu'il
avait pris avec lui-même, il n'avait donc
plus qu'une chose à faire : partir, retour-
ner à Rome, voyager, aller n'importe où,
mais s'arracher à Paris, s'arracher à Mar-
th e.
S'arracher à Marthe ! ah ! c'était là
justement l'idée qu'il ne pouvait pas sup-
porter. Et il inventa ce beau raisonne-
ment :
— J'aime Marthe, c'est positif, c'est ac-
qnis, n'en parlons plus. Et, là-dessus,
qu'est-ce que je fais? je m'en vais, je me
sauve, je prends bravement la fuite. Mais
si elle m'aime aussi, elle? Car enfin, il est
bien possible qu'elle m'aime! Et même
est-il possible qu'elle ne m'aime pas? C'est
Dante qui le dit :
Amour ne fait pas grâce à l'être aimé d'aimer!
Eh bien, si elle m'aime, je la laisse là, je
l'abandonne. Moi, je vais faire en sorte de
me guérir. Elle, qu'elle se guérisse, si elle
peut, toute seule ! Non, ce serait une lâ-
cheté, je reste. Je reste pour réparer le
mal que j'ai causé. Et voici ce que je vais
faire : Je me montrerai dur et haïssable.
Je la blesserai, je l'irriterai, je feindrai
l'ironie, je jouerai l'amertume. Elle me
méprisera, elle me détestera, et elle sera
sauvée. Alors* mais alors seulement.. je
pourrai partir.
Les gens raisonnables pourront penser
que, si la lame était déjà au cœur de
Marthe, Natalis ne pouvait pas s'y prendre
autrement pour l'enfoncer encore plus.
Mais le délire n'est pas raisonnable, et, de
ce moment, Natalis eut le délire.
Aussi n'eut-il pas grand effort pour
mettre à exécution son ingénieux pro-
gramme. Il changea tout à coup d'humeur,
il devint inégal, quinteux, bizarre. Il ne
touchait plus à sa palette, il ne riait plus
jamais avec Marie, il oubliait parfois d'em-
brasser sa mère.
A sa grande surprise, ses nouvelles fa-
çons d'être ne produisirent pas surMartho
l'effet attendu. Elle restait avec lui calme
et douce, elle ne lui témoignait ni rigueur
ni embarras. Plus il était méchant, plus
elle était bonne ; plus il était ombrageux,
plus elle paraissait tranquille.
S'il y avait dans son cœur quelque chose
qui ressemblait à de l'amour, il est certain
que ce front pur le voilait bien autrement
que le front sombre de Natalis. Un abîme
d'azur défie encore mieux le regard qu'un
abîme de ténèbres ; la nuit ne cache pas
les fleurs aussi bien que le jour cache les
étoiles.
Il s'ensuivit une chose singulière : Na-
talis, au fond, avait compté sur sa douleur
pour tourmenter Marthe et sur la pâleur
de son visage pour teindre de la même
couleur celui de la bien-aimée. Ce fut l'in-
sensibililé, au moins apparente, de Uartb
qui mit Natalis au supplice. Marthe avait
compté, elle, sur sa sérénité pour apaiser
l'exaltation de Natalis. Elle n'avait réussi
qu'à l'exaspérer. « Allons ! elle ne m'aime
pas! » se disait-il. Et sa souffrance, plus
aiguë, se manifestait par une violence plus
grande.
Parfois il prenait son chapeau et s'en
allait errer furieux par les rues. Il connut
alors ces courses vagabondes, familières à
ceux que poursuit la passion ou qui pour-
suivent la pensée.
Ils étaient trois dans la maison qui
ignoraient la cause du mal de Natalis :
Brigitte et Pierre étaient incapables, dans
leur honnêteté naïve, d'avoir le soupçon
d'un tel amour, et Marie était prise tout
entière par les délicieux troubles de son
propre amour naissant. Il y en avait trois
qui savaient : c'étaient — avec Marthe —
Daniel, depuis la lecture de Dante, et Léo-
nard, dont l'observation silencieuse et pé-
nétrante ne laissait rien échapper des
sentiments de ceux qu'il aimait.
M. Giboureau, avisé, lui, dans sa haine,
flairait aussi quelque chose.
Pierre disait à son frère : — Tu t'es par
trop surmené à ce tableau, que tu ne nous
montres toujours pas. Eh! mon garçon,
tu oublies d'être jeune à te tracasser
comme ça la cervelle ! Amuse-toi donc un
peu ! — Et, tout bas : - Que diable I il
doit y avoir, encore de jolies filles à la I
Grande-Chaumière!
Et il disait à Giboureau : - Natalis
m'inquiète. Il est trop sérieux pour son
âge !
L'ex-brigadier savait par expérience
qu'avec Pierre il ne faisait pas bon tou-
cher à personne de la famille, et il se gar-
dait de toute insinuation directe contre
Natalis ; mais il déversait son fiel sur Da-
niel, en qui il pressentait le rival préféré.
Il avait observé que Marthe, pleine de con-
fiance dans le loyal jeune homme, lui
parlait quelquefois à la dérobée : avec les
précautions les plus discrètes et les plus
touchantes, elle lui recommandait Natalis.
— Je ne sais pas plus que toi ce que
peut avoir ton frère, disait Gibour au à
Pierre ; mais gageons que leur M. Daniel
est mieux informé que nous. Est-ce de ça
qu'il chuchote toujours tout bas avec ta
femme ?
— J'ai demandé à Marthe ce qu'ils se
disaient, reprit Pierre, c'est la vérité
qu'elle a rougi.
— Fâche-toi si tu veux, Pierre, je ne
l'aime pas, moi, ce Daniel ! Quant à ta
femme, oh! tu aurais bien tort d'avoir
des craintes, elle est, pour sûr, honnête et
fidèle.
— Mais je n'ai pas de craintes, disait
Pierre.
PAUL MEURlCa.
(AivimA; -. <
À~%-
CINQ centimes le numéro
28 Praiçlal an - 99 - N. 7705
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Et àe 9 heures du soir à.minuit
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UN MOIS 2 F».
TROIS MOIS. 5 -
SIX MOIS. 9 FR.
UN AN ,. 18 -
Rédacteur en - chef : AUGUSTE VÀCÛDERIE -
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS .., 2 FR.
TXOIS MOIS .r 6 —
SIX MOIS 11 FR.
UN AN. 20 —
AVIS
Nous prions ceux de nos lecteurs dont
Fabonnement expire le 15 juin de le
renouveler le plus vite passible afin d'é-
viter une intermptian dans la réception
du journal.
Joindre une des dernières bandes à
chaque renouvellement.
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LA NOMENCLATURE DES
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REMISE DE BARRETTE
Exce lient issitne Prxses, insignemunus
rjuo in conspectu vestro.
Vous m'offrez de continuer, et vous
ajoutez couramment : « Cum permis-
sione domini Pl'œsidis. si bonum sem-
blatur domino Prœsidi. clisterium
donare. » Et vous concluez avec une
facilité non moins courante : Dignus
est iittraî-è-
C'est que vous croyez que la chose
se passe au Théâtre-Français et que le
Prœses est le président de la cérémonie
du Malade imag inaire. Vous vous
trompez. Le Prœses est le président de
la République française.
C'est à M. Carnot que Fablégat du
pape vient de parler latin. @ Je prie Mon-
signor Jules Celli de ne pas croire que
je lui reproche d'avoir employé une
langue morte; je trouve, au contraire,
très logique que la langue soit comme
le dogme qu'elle exprime.
L'occasion de ce discours latin était
la remise de la barrette à M. Rotelli,
pro-nonce apostolique à Paris, dont le
pape a fait un cardinal il y a aujour-
d'hui treize jours.
La chose se passait à l'Elysée. A dix
heures du matin, le comte d'Ormesson,
introducteur des ambassadeurs, était
allé, avec un escadron de cavalerie,
prendre M. Rotelli à la nonciature, rue
de Varennes. Pour le recevoir plus
solennellement, le Prœses avait à ses
côtés, avec les officiers de sa maison
militaire, le ministre des affaires étran-
gères et le ministre des cultes.
M. J. Celli a prononcé son discours
latin. M. Carnot lui a répondu en fran-
çais ; après quoi, le président, suivi des
deux ministres et de sa maison, s'est
rendu à la chapelle, où bientôt ont été
introduits M. Rotelli, l'ablégat aposto-
lique et le comte Louis Negroni, garde-
noble. L'ablégat a lu le bref pontifical
et a présenté la barrette, laquelle est
un bonnet rouge, mais en satin, ce qui
corrige. M. Carnot en a coiffé M. Ro-
telli. Puis M. Rotelli a été revêtu d'un
manteau de pourpre dont la magnifi-
cence aurait étonné les guenilles des
apôtres. Puis il a parlé, en français.
M. Carnot lui a répondu, et l'a retenu
a déjeuner, avec les ministres et les
autres personnes qui avaient participé
à la petite fête.
Après le déjeuner, M. Rotelli a été
reconduit à la nonciature avec le céré-
monial qui était allé le chercher.
La représentation dont l'Elysée a
été le théâtre n'est que la bagatelle de la
porte. Le nouveau cardinal ira complé-
ter sa gloire à Rome.
Il y sera reçu, à la gare, par une
riche cavalcade qui n'étonnerait pas
mal non plus le modeste ânon sur lequel
Jésus a fait son entrée à Jérusalem.
Cette cavalcade le mènera chez le
cardinal-patron, où le barbier du pape
lui fera la tonsure cardinalesque, d'un
diamètre de quatre pouces. Le lende-
main, deux cardinaux-diacres vien-
dront le chercher et le mèneront dans
cette prison dont la paille humide l'est
peut-être un peu moins que celle de
l'étable de Bethléem : au Vatican.
Les cardinaux y seront réunis. Là,
le Prœses sera le pape. M. Rotelli sa-
luera les cardinaux à trois reprises,
montera les marches du trône ponti-
fical, baisera le pape, d'abord aux pieds,
puis à la figure, redescendra, baisera
tous les cardinaux, et fera trois fois le
tour de la chapelle pendant que les mu-
siciens de la Sixtine chanteront le Te
Deum avec la voix qu'on leur sait.
Puis il viendra s'agenouiller devant
le maître-autel. On profitera de ce mo-
ment pour lui rabattre sur la tête le
capuchon de sa chape. Cela l'aidera à
se coucher sur le ventre. Il restera dans
cette posture à peu près une demi-,
heure.
Le cardinal-doyen le relèvera, le di-
rigera vers le pape, aux pieds duquel il
l'agenouillera, et le désencapuchonnera.
C'est alors que le pape le coiffera du
chapeau, lequel est rouge, mais en ve-
lours, et le velours a la même propriété
désinfectante que le satin, il n'y a qu'en
laine que les coiffures rouges sont sub-
versives et impies.
Avec le chapeau, le pape lui donnera
un titre, et encore un anneau d'or en-
châssé d'un saphir. Et alors seulement
M. Rotelli possédera tout de bon et
complètement la dignité que Jules Janin
attribuait au homard.
AUGUSTE VACQUERIE.
————————————— 4>
COULISSES DES CHAMBRES
LA COMMISSION DU BUDGET
Dans la séance qu'a tenue hier la com-
mission du budget, le président, M. Casi-
mir-Perier, s'est plaint de la lenteur avec
laquelle cette commission procède cette
année à ses travaux. Il a constaté que, sur
vingt-cinq rapports particuliers auxquels
doit donner lieu le budget de 1892, six
seulement ont été présentés et approuvés,
six sont en voie d'élaboration et treize ne
sont pas commencés.
En cet état, le président a fait observer
qu'il importait d'apporter une plus grande
activité aux travaux si l'on voulait pouvoir
déposer tous les rapports avant les va-
cances d'été et mettre la Chambre en état
de discuter le budget de 1892 à la reprise
de ses travaux en octobre prochain.
Ajoutons que les membres de la com-
mission étant pour la plupart très inexacts
et se rendant très irrégulièrement aux
convocations qui leur sont adressées, le
président va mettre en vigueur l'article 21
du règlement de la Chambre, aux termes
duquel, après chaque séance de la com-
mission du budget, le Journal officiel doit
enregistrer le nom des membres qui as-
sistaient à cette séance et de ceux qui
étaient absents.
X
LA RÉFORME DE L'IMPOT DES BOISSONS
Nous avons dit que la sous-commission
des recettes avait refusé d'incorporer dans
le budget de 1892 la réforme de l'impôt
des boissons qu'elle préfère réaliser par
voie de projet de loi distinct. Dans sa
séance d'hier la commission du budget a
pris une décision contraire.
M. Jamais a soutenu la nécessité de
cette incorporation qui, suivant lui, serait
le seul moyen pratique de faire aboutir la
réforme des boissons.
M. Cavaignac, rapporteur général, s'est
opposé à l'incorporation. Il a fait observer
que la réforme des boissons devait se faire
isolément : elle se compense par elle-
même et n'a aucune répercussion sur le
budget.
Si on la joint au budget, elle compli-
quera celui-ci et en retardera la discus-
sion et le vote dans les deux Chambres et
déterminera peut-être un double avorte-
ment.
La commission, malgré ces raisons, s'est
rangée à l'avis de M. Jamais et a décidé
l'incorporation par 14 voix contre 7.
X
LE PORT DE ROCHEFORT
Le ministre de la marine s'est rendu
hier à la commission de la marine pour
donner son avis sur une proposition des
députés de la Charente-Inférieure tendant
à ouvrir les crédits nécessaires à l'appro-
fondissement de la Charente en vue d'ou-
rir l'accès de notre port militaire de Ro-
chefort aux cuirassés.
Il résulte des explications fournies à la
commission qu'actuellement le port do
Rochefort est celui de nos ports de guerre
qui est le plus complètement à l'abri d'un
bombardement. Malheureusement l'accès
en est à peu près fermé à nos grands cui-
rassés. Seuls les navires de six mètres
peuvent y accéder en tous temps.
Il s'agirait de creuser tant dans l'estuaire
que dans le lit même de la Charente un
chenal ayant 14 kilomètres de longueur,
40 mètres de largeur et 7 mètres de pro-
fondeur. La dépense est évaluée à trois
millions. Si l'entreprise réussit dans l'es-
tuaire, au même titre que dans lo lit
même du fleuve où le succès du travail est
certain, on pourrait être conduit à com-
pléter le travail par* un approfondissement
plus grand qui permettrait l'accès perma-
nent du port aux navires de guerre du plus
fort tonnage.
La commission discutera la question
dans une séance ultérieure. Cette question
est d'autant, plus intéressante, en effet,
que si l'on ne décidait pas la création du
chenal, on serait conduit nécessairement
à supprimer le port de Rochefort qui de-
viendrait désormais sans utilité.
X
LES PRIMES AUX SÉRICICULTEURS
On sait que dans sa séance de jeudi, la
Chambre a renvoyé le projet de loi sur les
primes et encouragements à la séricicul-
ture à un nouvel examen de la commis.
sion des douanes et de la commission du
budget.
Ces deux commissions se sont réunies
hier et se sont mises d'accord pour pré-
senter à la. Chambre, aujourd'hui, le sys-
tème suivant.
Une prime de 50 centimes par kilo g de
cocons produits sera donnée aux sérici-
culteurs français.
Il sera donné aux filateurs de soie fran-
çaise une prime de 50 francs par vieille
bassine, 200 francs par bassine nouvelle et
250 francs par bassine transformée.
La durée de la loi est fixée à six années.
On calcule que la dépense annuelle qui en
résultera pour le Trésor sera de 4 à 5 mil-
lions par an.
Les deux commissions ont été d'accord
pour recommander au ministre de deman-
der par voie d'inscription de crédits au
budget de l'agriculture pour 1892 les
sommes nécessaires pour organiser des
stations séricicoles et l'enseignement de
la sériciéulture.
Ajoutons que l'on ne parait pas devoir
s'arrêter de sitôt dans cette voie des en-
couragements à certaines industries faites
aux dépens des contribuables. Après la loi
sur les sucres, après le projet en délibéra-
tion sur la sériciculture, voici qu'on an-
nonce maintenant le dépôt prochain par
le gouvernement d'un projet de loi des-
tiné à donner des primes à l'industrie du
lin, toujours aux frais du Trésor, c'est-à-
dire des contribuables.
X
LA POLICE SUBURBAINE
Les conseillers généraux de la banlieue
de Paris sont venus hier à la commission
du budget pour demander le rétablisse-
ment de la subvention de 100,000 fr. que
l'Etat leur accordait pour la police subur-
baine et qui leur a été supprimée depuis
trois ans.
Ils ont fait observer que, privés de toute
action sur la police, ils sont tenus d'en
rembourser tous les frais à l'Etat, alors
que Paris et Lyon, qui sont dans le même
cas au point de vue de l'indépendance des
services de police, reçoivent une subven-
tion de l'Etat.
La commission statuera dans une pro-
chaine séance.
M. DE LESSEPS POURSUIVI
Nous avons dit hier qu'il était question
de poursuites contre M. de Lesseps et
certains administrateurs de la Compagnie
du canal de Panama.
Nous n'avions, étant donnée la personna-
lité considérable de M. de Lesseps, voulu
rien affirmer prématurément et nous
avions préféré attendre que des poursuites
fussent définitivement décidées avant d'en
parler d'une manière plus précise.
Aujourd'hui nous le pouvons faire. M.
Quesnay de Beaurepaire a signé hier te
réquisitoire introductif d'instance contre
M. Ferdinand de Lesseps, président du
conseil d'administration de la Compagnie
du canal de Panama et différents adminis-
trateurs, entre autres MM. Victor de Les-
seps, Cottu, Fontane et le baron Poisson.
M. Prmet, ancien juge d'instruction,
conseiller à la cour, est chargé de suivre
l'affaire.
Ces poursuites sont la conséquence du
vote émis par la Chambre des députés le
21 juin 1890 prononçant le renvoi au mi-
nistre de la justice des pétitions adressées
à la Chambre par les actionnaires de la
compagnie de Panama demandant d'éta-
blir les responsabilités pénales encourues
par les administrateurs.
On sait que M. Ferdinand de Lesseps est
grand'croix de la Légion d'honneur. Cette
dignité ne le rend justiciable que de la
cour d'appel.
C'est donc devant cette haute juridiction
que sera appelée l'affaire, si toutefois elle
est appelée. Car nous devons ajouter qu'il
résulte de nos renseignements particuliers
que toutes les formalités accomplies au-
raientbienpul'êtredans le seul but d'inter-
rompre la prescription.
, LE PARI'MUTUEL
Le ministre de l'agriculture vient d'instituer
la commission consultative pour l'examen des
conditions de fixation et d'attribution des pré-
lèvements à faire sur les produits du pari
mutuel en faveur des œuvres de bienfaisance.
Cette commission est en outre chargée de
vérifier annuellement la répartition des fonds
qui aura été faite en exécution des prescrip-
tions du décret prévu par l'article a de la loi
du 3 juin 1891.
Nous citerons parmi les personnes qui en
font partie : MM. Th. Roussel, Lareinty, Ca-
mescasse, Morel, sénateurs; Baile, Riotteau,
de Kerjégu, députés; Viguier, président du
conseil général do la Seine ; Lcvraud, prési-
dent du conseil municipal de Paris; Lanjalley,
directeur de la comptabilité publique au mi-
nistère des finances; Monod, directeur de
l'Assistance publique et de l'hygiène au mi-
nistère de l'intérieur; Bouffet, directeur de
l'administration départementale et communale
au ministère de l'intérieur; Peyron, directeur
de l'Assistance publique de Paris; de Cormette,
directeur des haras au ministère de l'agricul-
ture; Revoil, chef de cabinet du ministre de
l'agriculture ; de Kergorlay, comriiissaire de la
Société d'encouragement; le prince de Sagan,
président de la Société des steeple-chase ; de
Cornulier, président de la Société du demi-
sang; Cabaret, chef du bureau du secrétariat,
au ministère de l'agriculture, etc.
La commission comprendra également deux
inspecteurs des finances.
Elle sera présidée, en l'absence du ministre,
par M. Th. Roussel, sénateur, vice-président i
du conseil supérieur de l'Assistance publique.
LA COMPAGNIE DES OMNIBUS
LA RÉUNION D'HIER
Presque tous les délégués des dépôts
avaient répondu hier à l'appel du syndicat
et se trouvaient à l'heure fixée, salle Gen-
ton, 118, avenue Kléber.
Il y avait environ cent vingt personnes
dans la salle.
La réunion a commencé à deux heures
et demie ; le bureau était composé de la
façon suivante : président, M. Boulanger;
assesseurs, MM. Boscas et Renault. A côté
du président et des vice-présidents du syn-
dicat des omnibus se tenaient les autres
membres du syndicat.
M. Renault a pris îe premier la parole
pour expliquer qu'il y avait lieu de rem-
placer l'un des secrétaires, M. Contensouzac.
Cette proposition a été votée à l'unani-
nimité. j
M. Moreau a ensuite exposé à l'assem-
blée les résultats des démarches faites par
le bureau du syndicat auprès de la Com-
pagnie des omnibus, c'est-à-dire les ré-
formes obtenues.
Les réformes
Nous n'avons pas besoin d'énumérér ici
les concessions faites par la compagnie,
attendu que nous en avons donné le texte
exact dans notre numéro d'hier. Il nous
suffira de faire figurer dans ce compte-
rendu les commentaires faits par M. Mo-
reau sur chaque point ainsi que les ob-
servations présentées par des assistants.
A propos de la journée de douze heures,
de la reconnaissance du syndicat et de la
réintégration des révoqués, aucune ob-
jection n'a été soulevée. A noter toutefois
que les employés des dépôts se sont plaints
de travailler pendant quinze heures. Il
leur a été justement répondu que les ré-
formes ne devaient être appliquées que le
18 de ce mois et que, jusqu'à cette date,
personne n'avait le droit de se plaindre.
Pas d'observations également sur les
intérêts à 3 0/0 du cautionnement et la
modication de la caisse de secours; tous j
les délégués présents se sont déclarés en-
chantés de ces concessions.
Les amendes
La compagnie consent, on le sait, à
verser le produit des amendes dans la
caisse de secours. Au sujet de cet article,
M. Moreau a complété ainsi qu'il suit le
programme des réformes acceptés par la
compagnie.
« Dorénavant, la police secrète de la
compagnie ne fera plus que signaler les
délinquants au lieu de leur infliger elle-
même des amendes ».
De cette manière, disparaît le gros grief
articulé contre les agents secrets par les
employés des Omnibus.
Un incident
M. Moreau passe ensuite à la transfor-
mation de la prime d'ancienneté en salaire
fixe. A ce moment, la réunion qui avait
été jusque-là fort calme est devenue hou-
loùse. Plusieurs surnuméraires cochers
qui avaient pu pénétrer dans la salle ont
protesté contre le nouveau régime qui les
place dans une situation plus mauvaise.
M. Moreau a eu quelque peine à leur
faire comprendre que rien n'était changé
pour eux en ce qui concerne la prime.
Chaque fois, en effet, qu'ils remplaceront
un titulaire pendant toute une journée,
ils. seront payés comme ce titulaire.
A diverses reprises M. Moreau a dû ré-
péter cette explication. Mais les surnumé-
raires, pour lesquels il parlait, continuant
à interrompre, le secrétaire du syndicat
leur a alors dit qu'ils devraient présenter
leurs observations quand il en serait arrivé
à la question des salaires. L'incident a été
clos sur ces paroles.
La suite des réformes
Les heures de repos, la retraite da
800 fr., les secours de maladie et les heu-
res des repas n'ont donné lieu à aucune dis-
cussion. Mais M. Moreau a fait ressortir
tous les avantages qui découlent de ces
réformes, notamment du nouveau système
de retraites.
Lorsqu'il arrive aux salaires des surnu-
méraires, les interruptions recommencent.
Ceux qui sont là maltraitent fort la com-
pagnie. En vain, M. Moreau les prie da
garder le silence, en vain le président
agite sa sonnette.
Enfin, une tranquillité relative renaît o(
M. Moreau peut s'expliquer.
Il dit que trois hypothèses sont à envi.
sager: ou bien les surnuméraires feront
des remplacements pendant toute una
journée et ils seront payés, dans ce cas,
comme les titulaires, ou bien ils ne vien-
dront au dépôt que pour assurer le service
et alors ils seront rétribués à raison de 30
ou 40 centimes l'heure.
Y a-t-il lieu d'accepter les 30 centimes.
offerts par la compagnie ou de continuer
à en exiger 40? M. Moreau croit qu'il est
inutile d'insister davantage auprès des ad-
ministrateurs. A l'unanimité, l'assembléa;
se prononce pour les 30 centimes. Cette
question est donc réglée.
Reste une troisième hypothèse : Les
surnuméraires feront des tiercements,
c'est-à-dire relèveront jusqu'à la fin de la
journée les cochers et conducteurs qui
auront travaillé 12 heures.
C'est sur' cette hypothèse que la discus-
sion devient vive. M. Moreau répond à un
interrupteur qui lui dit que les surnumé-
raires, au lieu de gagner 5 et 6 fr., n'en
gagneront plus que 4 fr. 50 le premier
jour, 3 fr. 60 le second et 2 fr. le troisième,
et ainsi de suite, M. Moreau répond par
d'autres chiffres que l'assemblée regarde
comme plus précis et qui sont en effet les
seuls justes, puisqu'il est absolument con-
venu que les surnuméraires faisant le tier-
cement seront rétribués à la course sur la
tarif de la journée du titulaire. M. Moream
fait immédiatement un calcul et prouva
que le surnuméraire qui travaillera dix
heures, par exemple, en remplacement,
d'un titulaire gagnant 6 fr. 50, aura entre
5 fr. 40 et 5 fr. 50.
Donc les surnuméraires ne perdent rien
dans le nouveau système. Ils assurent le
service et sont payés; ils font des tierce-
ments, ils le sont également.
Mais les surnuméraires ne sont pas de
cet avis. M. Boscas, cocher, est obligé
d'intervenir. Tout le monde parle à la fois.
Enfin, le silence se fait de nouveau et M.
Moreau peut terminer son énumération
sans être interrompu.
Les employés des dépôts
L'augmentation des salaires des em-
ployés des dépôts est subordonnée par 1;:
compagnie à l'abandon par les contrôleurs
cochers et conducteurs de leur jour de
congé rétribué, qui occasionne une dt.
pense annuelle de 180,000 fr. Or, ces der-
niers ne veulent pas y renoncer.
M. Lefevre, délégué des dépôts, explique
à ses camarades qu'il a plaidé lui-même
leur cause et qu'il a été soutenu énergi.
quement par le syndicat. Il voit dans cette
manœuvre de la compagnie un effort fai:
pour diviser le syndicat, et engage 1er
employés des dépôts à ne pas tomber dan:
le piège.
M. Mormiche, autre délégué, donne le
même conseil.
M. Moreau ajoute autre chose. Il montre-
les sollicitations pressantes du syndicat;
il répète ce qu'il a dit à la compagnie :
qu'elle n'a qu'à mieux payer ses employés
des dépôts pour avoir un personne! plus
capable; elle pourra ainsi rédure ce per-
sonnel et sans inconvénient, ce qui fait.
que l'augmentation consentie par elle sera
vite rattrapée.
Les employés des dépôts manifestent
leur mécontentement. Quelques-uns, tout
en protestant de leur confiance dans le
Feuilleton du RAPPEL
,; DU U JUIN
33
LEONARD AUBRY
TROISIÈME PARTIE ?
PASSION
II (suite)
Natalis ne dit pas un mot, il tomba à
genoux.
Marthe, debout, fixa sur lui, de haut,
un regard triste et grave, plein de dou-
Jeur et plein de pitié. Mais elle ne pro-
nonça pas non plus une parole. Elle quitta
l'atelier et rejoignit Daniel.
Natalis prit son front entre ses mains :
— M'aime-t-elle? ah! je n'en sais tou
jours rien! Mais toi, malheureux, tu l'as
senti à présent, lu n'en peux plus douter!
tu l'aimesl tu l'aimes! ahl comme lu
l'aimes I
w i, i,
1 Reproduction interdite.
91; te &mct du H ,w.aj au 1| juin»
III
Marthe était une âme droite et simple,
claire et pure. Quand elle se retrouva
seule, voici quelles furent ses pensées :
— Natalis ne le lui avait pas dit,
mais elle voyait bien qu'il l'aimait d'a-
mour. C'était un grand malheur. Il de-
vait beaucoup souffrir. Probablement il
l'aimait déjà, ainsi qu'elle avait cru le
sentir, au moment de son prix et de son
duel. L'éloignement avait dû effacer cet
amour, mais il l'avait ressenti de nouveau
en la revoyant. Pauvre Natalis ! qu'il était
à plaindre 1 Ce qu'il aurait de mieux à
faire, ce serait de repartir ; mais il n'avait
pas fait à Marthe d'aveu formel, elle ne pou-
vait guère le lui conseiller.
Quant à elle, elle ne se demanda pas un
seul instant si elle aimait Natalis, puis-
qu'elle savait qu'elle ne devait pas l'aimer.
Elle n'était plus libre. Elle était la femme
de Pierre. De plus, elle était sa grande
obligée. De quelle situation douloureuse
il l'avait tirée! Il avait droit à sa recon-
naissance autant qu'à sa fidélité. Elle n'a-
vait pas d'ailleurs idée qu'elle pût avoir à
se défendre. Tout ce qu'elle se demandait,
c'était comment elle pourrait guérir et
consoler Natalis. Elle pensa que le mieux
serait d'être avec lui comme par le passé,
affectueuse comme l'était Marie, et de lui
rappeler ainsi sans cesse qu'elle était sa
M~T. ,.,'
Natalis, lui, était en proie à la tempête.
La preuve qu'il avait demandée était
faite : il aimait! il était maintenant certain
qu'il aimait! Pour tenir l'engagement qu'il
avait pris avec lui-même, il n'avait donc
plus qu'une chose à faire : partir, retour-
ner à Rome, voyager, aller n'importe où,
mais s'arracher à Paris, s'arracher à Mar-
th e.
S'arracher à Marthe ! ah ! c'était là
justement l'idée qu'il ne pouvait pas sup-
porter. Et il inventa ce beau raisonne-
ment :
— J'aime Marthe, c'est positif, c'est ac-
qnis, n'en parlons plus. Et, là-dessus,
qu'est-ce que je fais? je m'en vais, je me
sauve, je prends bravement la fuite. Mais
si elle m'aime aussi, elle? Car enfin, il est
bien possible qu'elle m'aime! Et même
est-il possible qu'elle ne m'aime pas? C'est
Dante qui le dit :
Amour ne fait pas grâce à l'être aimé d'aimer!
Eh bien, si elle m'aime, je la laisse là, je
l'abandonne. Moi, je vais faire en sorte de
me guérir. Elle, qu'elle se guérisse, si elle
peut, toute seule ! Non, ce serait une lâ-
cheté, je reste. Je reste pour réparer le
mal que j'ai causé. Et voici ce que je vais
faire : Je me montrerai dur et haïssable.
Je la blesserai, je l'irriterai, je feindrai
l'ironie, je jouerai l'amertume. Elle me
méprisera, elle me détestera, et elle sera
sauvée. Alors* mais alors seulement.. je
pourrai partir.
Les gens raisonnables pourront penser
que, si la lame était déjà au cœur de
Marthe, Natalis ne pouvait pas s'y prendre
autrement pour l'enfoncer encore plus.
Mais le délire n'est pas raisonnable, et, de
ce moment, Natalis eut le délire.
Aussi n'eut-il pas grand effort pour
mettre à exécution son ingénieux pro-
gramme. Il changea tout à coup d'humeur,
il devint inégal, quinteux, bizarre. Il ne
touchait plus à sa palette, il ne riait plus
jamais avec Marie, il oubliait parfois d'em-
brasser sa mère.
A sa grande surprise, ses nouvelles fa-
çons d'être ne produisirent pas surMartho
l'effet attendu. Elle restait avec lui calme
et douce, elle ne lui témoignait ni rigueur
ni embarras. Plus il était méchant, plus
elle était bonne ; plus il était ombrageux,
plus elle paraissait tranquille.
S'il y avait dans son cœur quelque chose
qui ressemblait à de l'amour, il est certain
que ce front pur le voilait bien autrement
que le front sombre de Natalis. Un abîme
d'azur défie encore mieux le regard qu'un
abîme de ténèbres ; la nuit ne cache pas
les fleurs aussi bien que le jour cache les
étoiles.
Il s'ensuivit une chose singulière : Na-
talis, au fond, avait compté sur sa douleur
pour tourmenter Marthe et sur la pâleur
de son visage pour teindre de la même
couleur celui de la bien-aimée. Ce fut l'in-
sensibililé, au moins apparente, de Uartb
qui mit Natalis au supplice. Marthe avait
compté, elle, sur sa sérénité pour apaiser
l'exaltation de Natalis. Elle n'avait réussi
qu'à l'exaspérer. « Allons ! elle ne m'aime
pas! » se disait-il. Et sa souffrance, plus
aiguë, se manifestait par une violence plus
grande.
Parfois il prenait son chapeau et s'en
allait errer furieux par les rues. Il connut
alors ces courses vagabondes, familières à
ceux que poursuit la passion ou qui pour-
suivent la pensée.
Ils étaient trois dans la maison qui
ignoraient la cause du mal de Natalis :
Brigitte et Pierre étaient incapables, dans
leur honnêteté naïve, d'avoir le soupçon
d'un tel amour, et Marie était prise tout
entière par les délicieux troubles de son
propre amour naissant. Il y en avait trois
qui savaient : c'étaient — avec Marthe —
Daniel, depuis la lecture de Dante, et Léo-
nard, dont l'observation silencieuse et pé-
nétrante ne laissait rien échapper des
sentiments de ceux qu'il aimait.
M. Giboureau, avisé, lui, dans sa haine,
flairait aussi quelque chose.
Pierre disait à son frère : — Tu t'es par
trop surmené à ce tableau, que tu ne nous
montres toujours pas. Eh! mon garçon,
tu oublies d'être jeune à te tracasser
comme ça la cervelle ! Amuse-toi donc un
peu ! — Et, tout bas : - Que diable I il
doit y avoir, encore de jolies filles à la I
Grande-Chaumière!
Et il disait à Giboureau : - Natalis
m'inquiète. Il est trop sérieux pour son
âge !
L'ex-brigadier savait par expérience
qu'avec Pierre il ne faisait pas bon tou-
cher à personne de la famille, et il se gar-
dait de toute insinuation directe contre
Natalis ; mais il déversait son fiel sur Da-
niel, en qui il pressentait le rival préféré.
Il avait observé que Marthe, pleine de con-
fiance dans le loyal jeune homme, lui
parlait quelquefois à la dérobée : avec les
précautions les plus discrètes et les plus
touchantes, elle lui recommandait Natalis.
— Je ne sais pas plus que toi ce que
peut avoir ton frère, disait Gibour au à
Pierre ; mais gageons que leur M. Daniel
est mieux informé que nous. Est-ce de ça
qu'il chuchote toujours tout bas avec ta
femme ?
— J'ai demandé à Marthe ce qu'ils se
disaient, reprit Pierre, c'est la vérité
qu'elle a rougi.
— Fâche-toi si tu veux, Pierre, je ne
l'aime pas, moi, ce Daniel ! Quant à ta
femme, oh! tu aurais bien tort d'avoir
des craintes, elle est, pour sûr, honnête et
fidèle.
— Mais je n'ai pas de craintes, disait
Pierre.
PAUL MEURlCa.
(AivimA; -. <
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