Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-06-12
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 12 juin 1891 12 juin 1891
Description : 1891/06/12 (N7763). 1891/06/12 (N7763).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7540881x
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
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REDACTION
18, RUE DE VALOIS, 13
S'ADRESSIR AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 4 4 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
LES MANUSCRITS NOM INSÉRÉS NB SERONT PAS BBNDUS
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'* 'W Dg valûis» i&
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"<~~L AdMj^^ttres et mandats
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-
A ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et Q8
- 6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
on mois 2 rot.
T.OIS 801S. S —
SIX MOIS.* 9 FR.
ON AN 18 —
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQUERIE *
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS 2 FK.
TROIS MOIS. fi 6 —
SIX MOIS 11 FR.
UN AN. 20 —
A V ! S
Nous prions ceux de nos lecteurs dont
Fabonnement expire le 15 juin de le
renouveler le plus vite possible afin d'é-
viter une. interruption dans la réception
du journal.
Joindre une des dernières bandes à
chaque renouvellement.
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LA NOMENCLATURE DES
NOUVELLES PRIMES GRATUITES
que nous offrons à nos abonnés
FBANÇOISE CHATTE
Une dame veuve du quartier de la
Folie-Méricourt, Mme Vachot, a besoin
d'une bonne. Elle s'adresse à un bureau
de placement. Le jour même, elle voit
arriver une jeune fille, jolie, d'air mo-
deste et honnête, Françoise Chatté. Elle
lui dit de revenir le lendemain, parce
qu'à ce moment elle est occupée avec
une élève (elle est professeur de piano),
et court ,' à - sa leçon. Quand, la leçon
donnée, elle revient dans sa chambre,
elle n'y retrouve plus une bague qu'elle
y avait laissée. ;
Elle va aussitôt dénoncer Françoise
au commissaire du quartier.
Le commissaire fait venir la jeune
Elle.
— Vous êtes une voleuse!
— Moi! s'écrie Françoise. C'est faux!
— Vous avez volé une bague !
Elle nie énergiquement — et finit par
avouer. Oui, elle a volé la bague de
Mme Vachot. — Alors, rendez-la. —
Je ne l'ai plus. — Qu'en avez-vous fait?
— Je l'ai vendue. — A qui? — A un
marchand ambulant que je ne connais
pas.
— C'est bien. En voiture pour Saint-
Lazare !
Elle y était depuis quinze jours,
quand, un matin, en remuant un vase
sur sa cheminée, Mme Vachot en fait
tomber — sa bague.
Elle retourne chez le commissaire et
lui déclare que ce qu'elle lui avait dé-
claré la première fois était faux. Oui,
mais l'ordonnance de renvoi devant la
police correctionnelle était rendue, et il
fallait que « justice suivît son cours ».
C'est pourquoi Françoise Chatté était
avant-hier, à la onzième chambre, pré- ;
sidée par M. Labrouste, sur le banc des
accusés. "- s- ,
Il était difficile de la condamner pour
vol d'une bague qui n'avait pas été
volée. Elle a été acquittée et remise en
liberté. Le président lui a demandé
pourquoi elle avait avoué un vol qu'elle
n'avait pas commis. Elle a répondu :
— C'est parce que le commissaire de
police m'afaitpeur. Il m'a dit: « Avouez!
avouez donc, ça vaudra mieux pour
vous ; si vous n'avouez pas, vous en au-
rez pour trois ans ». Alors, voyant ça,
j'ai dit : Eh bien, oui, c'est moi.
Qu'est-ce que vous dites de ce com-
missaire de police
Sans autre preuve, que la dénoncia-
tion d'une femme qui n'a pas retrouvé
nné bague, sans qu'auèlin témoin l'ait
vu prendre, sans s'informer, sans rien
connaître des antécédents de Françoise
(elle n'avait jamais subi de condamna-
tion et tous les renseignements lui ont
été favorables au double point de vue
de la probité et de la moralité, le prési-
dent l'a dit à l'audience), ce commis-
saire n'admet pas un seul moment
qu'elle n'ait pas volé la bague ! et,
comme elle nie, il lui arrache par
l'intimidation l'aveu d'un délit dont
elle est innocente! Et, ravi de sa vic-
toire, il expédie l'innocente à Saint-
Lazare.
C'est, en moindre, l'histoire de Ro-
salie Doize, qu'un juge d'instruction
contraignit à s'accuser d'un meurtre
imaginaire. Cette fois, il ne s'agit que
d'un vol, mais le procédé est le même.
Et il y a des gens qui sont convaincus
que la torture est abolie en France'
Après cela, il est possible que le com-
missaire de la Folie-Méricourt ait cru
réellement que Françoise, si elle n'a-
vouait pas. en aurait pour trois ans ;
qu'innocente ou coupable,— le tribunal
n'y regarderait pas de si près,—elle était
sûre du maximum. Alors, ce n'est plus
seulement des commissaires que ça fait
l'éloge, c'est aussi des juges.
Le président de la onzième chambre
a grondé Mme Vachot. -,
- Vous avez été bien légère, ma-
dame.
- Ma bague était dans un vase où
je ne mets jamais rien. Il m'est imposa
sible de comprendre comment elle était
là ; ce n'est pas moi qui l'y ai mise.
— Elle ne s'y est pas mise toute
seule.
Et ç'a été tout. Pour l'autre coupable,
le commissaire, ç'a été encore moins. Je
ne vois pas que sa « légèreté », à lui, ait
été remarquée par le président.
Telle est la réparation que reçoit de
celle qui l'a dénoncée et de celui qui
l'a torturée une honnête jeune fille qui
a passé quinze jours en prison, qui pen-
dant quinze jours a été une voleuse, et
à qui il en restera un casier judiciaire
mentionnant une « prévention de vol
suivie d'acquittement ».
— Comprends-tu cela, toi? ;
demande, dans un drame célèbre, un
ouvrier à un autre. Et l'autre répond :
— Non, c'est de la justice.
AUGUSTE VACQUERIE.
: —: !——
em haiti
A la nouvelle de la mort de M. Rigaud et
des incidents qui se sont produits à Haïti, le
gouvernement a demandé à notre agent diplo-
matique de lui adresser un rapport circons-
tancié, et il lui a prescrit, sans s'ingérer dans
les affaires intérieures de l'île, de prendre, de
concert avec l'amiral Cuverville, toutes les
mesures jugées nécessaires pour garantir la
sécurité de nos nationaux.
LA CENSURE DRAMATIQUE ;
-
M. Bourgeois, ministre de l'instruction
publique et des beaux-arts, s'est rendu
hier à la commission de la Chambre qui
examine la proposition relative à la sup-
pression de la censure dramatique- Voici
le résumé des observations qu'il a pré-
sentées.
Le ministre a d'abord examiné quelles
seraient les conséquences de la suppres-
sion de la censure. Cette suppression cons-
tituerait-elle un progrès dans le sens de
la liberté? Oui, si le pouvoir de police
était supprimé en même temps. Sinon,
non.
Dans le cas contraire, ce serait, en effet,
l'arbitraire après au lieu de l'arbitraire
avant, et avec cette aggravation qu'il se-
rait exercé par un pouvoir de police, au
lieu de l'être par un pouvoir de censure
littéraire confié à des hommes de lettres.
Et cela après que des capitaux auraient
été engagés et des dépenses faites. j
Donc, a conclu M. Bourgeois, la sup-
pression pure et simple de la censure ne
donnerait pas moins d'arbitraire, pas plus
de liberté et causerait plus de dom-
mages.
(3e sont ces considérations qui, sans
doute, expliquent l'opinion exprimée ré -
cemment devant la commission actuelle
par MM. Alexandre Dumas et Henry Meil-
hac, et eeilo formulée par Victor Hugo -
dans l'enquête de 1849. C'est ce qui ex-
plique également les législations étran-
gères. , 1
En réalité, la censure actuelle est deve- i
nue extrêmement libérale. Depuis plusieurs
annéesil n'y a eu en tout que quatre piè-
ces définitivement interdites : l'Officier <
bleu, le Pater y la Fille Elisa et l'Homme de ;
Sedan.
Le ministre a ajouté : 1
« Je reconnais que ce n'en est pas moins
l'arbitraire et je voudrais le diminuer;
mais ce ne peut être par la suppression.
) Il.y a, en général, une limite à l'arbi- j
traire: c'est la responsabilité du ministre
dans un pays libre, devant un Parlement
libre et en présence d'une presse libre.
La jurisprudence de la censure est le re-
flet de la politique générale du pays.
» En ce qui me touche particulièrement,
a continué M. Bourgeois, j'ai cherché à
limiter, préciser les cas où j'userais de la
censure.
» J'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer
à ce sujet devant la Chambre, le 29 jan-
vier dernier, dans ma réponse à l'inter-
pellation sur l'interdiction de Thermid&r.
» Je limite le recours à la censure à trois
cas :
» t. Cas-où la sûreté extérieure est in-
téressée ; 3
» 2* Cas de crime ©a délit directement.
coœmw dans l'œuvre même, par exemple
lorsqu'il y a ontrage aux mœurs ou diffa-
ma lion.
» 3' Cas de provocation directe à com-
mettre ces mêmes crimes ou délits, à
troubler l'ordre ou à violer les lois. -
» Mais hors ces trois cas je n'admets
pas de censure préventive. Toutes les opi-
nions littéraires, philosophiques et politi-
ques sont absolument libres.
» Voilà ma jurisprudence. Elle équivaut
à ceci qu'il n'y a vraiment à exercer de
censure préventive que dans les cas:
1® où la nécessité exterieure de la patrie
l'exige ; 2° où la pièce étant jouée, une
poursuite légale pourrait être exercée.
» Il y a progrès vers la liberté dans ce
système, car à l'arbitraire je substitue la
détermination précise des cas où je crois
devoir agir. Je définis et délimite le do-
maine de la liberté des auteurs et celui de
l'action du pouvoir. Je substitue, en un
mot, au régime de l'arbitraire une sorte
de régime de droit. » >
En terminant, le ministre a dit :
« J'ai cherché à aller plus loin et à dé-
terminer les mêmes limites par un texte 1
de loi. Je ne l'ai pas reconnu possible, si
la commission le tente, je crois qu'elle
échouera comme moi. En tous cas je suis
prêt à l'aider dans cette tâche. » ",
Après avoir entendu ces déclarations,
la commission s'est ajournée à une séance
prochaine pour arrêter ses conclusions.
A LA CHAMBRE
Ce n'est pas le tout de décider que l'on
tiendra des séances exceptionnelles spécia-
lement consacrées à l'étude des questions
ouvrières ; il faudrait aussi s'assurer, au
préalable, qu'on aura du travail prêt à
aboutir. La séance d'hier a dû être écourtée
précisément parce qu'on n'avait pas pris
cette précaution élémentaire. Mais, procé-
dons par ordre. D'abord, on a discuté l'in-
terpellation de MM. Dumay, Girodet,
Souhet et Baudin, « sur les mesures que
le ministre des travaux publics compte
prendre vis-à-vis de la compagnie des
houillères de Montlieu qui vient de sus-
pendre brusquement son exploitation en
ne prévenant le personnel que huit jours
à l'avance ».
Avant tout, il eût fallu savoir la cause1
exacte de cette suspension, évidemment1
très regrettable, puisqu'elle va priver de
leurs salaires environ quinze cents per-
sonnes. M. Dumay a déclaré qu'il y avait
flà une manœuvre financière et demandé
la déchéance de la compagnie. Le mi-
nistre, M. Yves Guyot, a répondu que l'ex-
ploitation a été suspendue à Montlieu
parce que la mine est épuisée. Depuis,
1877, les actionnaires n'ont pas touché un ,
sou de dividende et les pertes devenaient
dé jour en jour plus grandes. Cette1 mine
va être mise en adjudication; il convient.
donc pour le moment, d'attendre. Cette
réponse n'a pas été du goût de M. Dumay,
qui est revenu à la charge, faisant appel à
l'énergie du ministre et déposant un ordre
du jour aux termes duquel la compagnie
eût été mise en demeure de reprendre le
travail sous huit jours, à peine de dé-
chéance. L'ordre du jour pur et simple a
été adopté par 390 voix contre 400.
Est venue ensuite la première délibéra-
tion sur les propositions de MM. Jacque-
mart et Thellier de Poncheviile, relative
aux saisies-arrêts des salaires des ouvriers.
Le ministre du commerce et de l'industrie
a demandé l'ajournement, sons ce pré-
texte que le gouvernement doit déposer
prochainement un projet de loi sur l'en-
semble des questions traitées par les deux
propositions ci-dessus mentionnées. Com-
battue par MM. Montaut et de Ponche-
ville, et appuyée par M. Bertrand, la de-
mande d'ajournement a été finalement re-
poussée par 310 voix contre 145.
Et c'est ici que s'est produite l'ani-
croche dont je parlais en commençant. A
petœ avait-on, sans débats, adopté l'ar-
ticle premier, que M. Frédéric Goussot est
vena faire remarquer que l'article 2 se
trouvait en contradiction avec les dispo-
sitions de la loi récemment votée par la
Chambre sur la compétence des juges de
paix. Ces observations ont paru justes, et
le renvoi de l'article 2 à la commission
s'en est suivi. Les articles 3, 4 et 5 ont
passé sans encombre. Mais, succombant
sous le poids des critiques formulées par
MM. Goussot et Bertrand, les articles 6 et 7
ont dû, eux aussi, être renvoyés à la com-
mission, de sorte que l'ajournement, qu'on
venait de repousser, s'est imposé. Cy finit
la séance, ouverte à 3 h. 25 , levée à
4 h. 45.
Aujourd'hui, à deux heures, avant de se
mettre au projet relatif aux encourage-
ments à accorder à la sériciculture, on
discutera la proposition modifiée, comme
on sait, par le Sénat, portant suspension
temporaire d'une partie des droits de
douanes sur les blés et les farines.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
MASSACRE DE IMPÉDlTlON CRAIPEL
L'agence Havas nous transmet la dé-
pêche suivante
Liverpoolr 40 juin.
Des avis particuliers reçus aujourd'hui de
Loango, sud-ouest de l'Afrique, confirment
qu'un terrible désastre a irappé l'expédition
française, qui est partie pour l'intérieur en
juillet dernier, sous la direction de M. Crampel.
Le but de l'expédition ne fut pas divulgué
au moment du départ. On savait qu'elle (le-
vait s'avancer dans la direction de Khartoum.
Rien n'a transpiré sur cette expédition jusqu'à
ce que, il y a quelques jours, le bruit soit par-
venu à Mayumba que tous les membres de
l'expédition avaient été massacrés par les indi-
gènes du pays de Matanga. Les blancs qui se
trouvaient parmi l'expédition ont été mangés
par les cannibales.
Une seconde expédition est partie de Loango
en avril pour s'assurer du sort des explora-
teurs.
Cette dépêche commet évidemment une er-
reur en laissant entendre que l'expédition de
Crampel allait dans la direction de Khartoum.
Le but qu'elle se proposait était d'atteindre le
lac Tchad.
lES EMPLOYÉS DECIIEM DE FER
M. Guimbert adresse la lettre suivante
aux employés des chemins de fer faisant
partie du syndicat des mécaniciens-ehauf-
feurs-conducteurs de France dont il est le
président :
Chers camarades,
D'après les renseignements qui me par-
viennent, la circulaire de M. Yves Guyot, mi-
lJi" > des travaux publics, en date du 24 avril
189i, invitant MM. les administrateurs des
compagnies de chemins de fer dans un intérêt
= de sécurité, publique, à améliorer vos dures
conditions de travail, de même que les inten-
tions de la commission du travail présidée par
l'honorable M. Ricard, et du Parlement vo-
tant à la m'ajorité de 400 voix contre 3 l'appli-
cation du décret-loi de 1848, semblent être mé-
connues par les compagnies.et notamment par
les chefs de traction de la compagnie, du
P.-L.-M. ; -
Qu'ils ont avec ironie aggravé la durée du
travail en supprimant les repos qui existaient
précédemment pour appliquer les douze
heures ; 1
Que si j'en crois nos collèguës de plusieurs
dépôts, rien n'aurait été changé mais le ser-
vice serait certainement aggravé.
En raison de ce qui précède, je vous prie de
m'envoyer d'urgence, des faits et renseigne-
ments de la plus rigoureuse exactitude sur les
roulements et les circonstances dangereuses.
Avec la copie du roulement graphique, vous
aurez à me donner votre service écrit et vos
observations sur chaque journée de travail, la
présence en service et la durée des absences
de chez vous.
Si, par le fait de l'exagération du service, il
y avait danger pour la sécurité publique, votre
devoir serait d'avertir les commissaires de
surveillance administrative, qui ont reçu Vordrt
de verbaliser. N v ,. f
Je ne saurais trop vous conseiller de con-
server une attitude calme et digne dans ïa si-
tuation qui vous est faite, bien que ces provo-
cations soient insensées.
A. GUI-MBERT.
Nous recevons la note suivante :
Les délégués de la chambre syndicale des
ouvriers et employés des chemins de fer fran-
çais se sont présentés hier à la direc-
tion des chemins de fer de l'Etat. En l'absence
du directeur, en tournée, ils ont été reçus par
M. Matrot, chef de l'exploitation. Us lui ont
demandé si l'administration des chemins de
fer de l'Etat est disposée à reconnaître la cham-
bre syndicale et à accepter son arbitrage dans
les différends qu'elle pourrait avoir avec ses
ouvriers et ses employés.
M. Matrotleur a fait remarquer que le syndicat
n'a pas besoin de demander un acte de re-
connaissance, puisque son existence est con-
sacrée par la loi; il a ajouté qu'en l'absence
du directeur il ne lui était pas possible de ré-
pondre officiellement à la seconde partie de
leur démarche, mais qu'à son avis l'adminis-
tration des chemins de fer de l'Etat ne peut
reconnaître à la chambre syndicale. que les
attributions et la compétence qui lui sont COIl
férées par la loi.
Les délégués ayant insisté particulèrement
pour que l'administration voulût bien exami-
ner les renseignements et les observatioml
que la chambre syndicale pourrait avoir à lut
soumettre, au sujet des mesures disciplinaires
et notamment des révocations, M. Matrot leur
a répondu que l'administration des chemins
de fer de l'Etat s'est toujours fait un de vois
d'examiner, avec la plus grande attention.
toutes les communications qui peuvent lui
être adressées, dans l'intérêt de son personnel
et qu'elle n'a jamais hésité et n'hésitera ja-
mais à donner satisfaction à une demanda re-
connue conforme à la justice et à la vérité.
LA COMPAGNIE DES OMNIBUS
Le syndicat des employés de la Compa-
gnie générale des omnibus nous prie d'in.
sérer l'avis suivant :
Les délégués des dépôts sont invités à se
réunir demain vendredi, à deux heures de
l'après-midi, salle Genton, avenue Kléber, 118,
pour s'entretenir de diverses questions les con-
cernant.
Nous recommandons aux délégués de faire
leur possible pour assister à cette réunion.
(Suivent les signatures,)
C'est aujourd'hui qu'a lieu la seconde
entrevue du syndicat et de la compagnie-
On se rappelle les points restés en litige.;
Le principal de tous est assurément celui
qui concerne le relèvement des salaires-
des employée des dépôts.
Jusqu'à ce jour, la compagnie n'a pas
voulu céder à la réclamation si légitime
de ces 2,000 hommes auxquels elle ne"
donne que trois et quatre francs par jour.
Nous aimons à croire que, cette fois, elle
se montrera plus sage. n est inadmissible
qu'à Paris, des pères de famille qui tra-
vaillent douze heures par jour ne gagnent
qu'un salaire aussi infime. -
La population parisienne, qui a mani-
festé tant de sympathies pour ces em.
ployés, ne pardonnerait pas sa résistance
à la compagnie. Elle considérerait à juste
titre que cette dernière cherche à poussa
à bout une partie de son personnel.
Dans tous les cas, les employés de dépôt
peuvent compter sur le syndicat qui est
de moins en moins disposé à les abandon-
ner.. Et c'est justice. Qui, si ce n'est le
personnel des dépôts, a assuré le succès
de la dernière grève en refusant de pren-
dre momentanément la place des cochers
et des conducteurs?
C. B.
LA RÉUNION
DES EMPLOYÉS
DES TRAMWAYS NORD ET SUD
La réoaioa des employés des tramways
ffford - el Sud, tenue la nuit dernière .à
Yhôte-i Moderne, a eu le résultat que nous
avions prévu et, du reste, conseillé. Tous
ces agents sont entrés dans le syndicat
des Omnibus où ils formeront deux sec-
tions, ayant chacune son secrétaire.
On sait que les employés des tramways
Nord et Sud ne se trouvent pas dans les
mêmes conditions que ceux des Omnibus,,
leurs compagnies ont fait droit déjà à une
partie de leurs revendications, surtout la
Compagnie des tramways Nord, laquelle a-
déjà reçu les délégués des dépôts et a
d'ailleurs fait savoir à son personnel
qu'elle ne serait pas fâchée de le voir se
syndiquer.
Ce sont les employés des tramways Sud
qui sont arrivés les premiers, à partir
d'une heure et en tapissières , comme
leurs camarades des Omnibus. Vers une
heure et demie, il y avait déjà sept ou huit
cents personnes dans la saile. C'est alors
que les agents des dépôts les plus éloignée
du Sud et les agents du Nord se sont pré-
sentés en masse. A deux heures, la presque;
Feuilleton du RAPPEL
DU 12 JUIN
31
LEONARD AUBRY
TROISIÈME PARTIE
PASSION
Il (suite)
Le lendemain lundi, comme on se levait
de table après le diner, la petite bonne
remit à Natalis une lettre qu'un commis-
sionnaire venait d'apporter, et qu'il alla
lire près de la fenêtre.
La lettre était de Daniel :
, « Mon cher Natalis, quand tu liras ce
mot griffonné à la hâte, je roulerai sur la
route de Calais. Tout à l'heure, à quatre
heures, mon oncle est tombé dans ma
chambre :— Mon garçon; il va falloir que
lu partes pour Londres. — Pour Londres !
c'est loin! Quand ça? - Eh! mais, au-
jourd'hui. — Oh l mon oncle, dans quel-
ques jours ! — Non, aujourd'hui, tout de
jsnite. — Demain, au moins ! — Tu pars à
six heures.
1 » Que répondre à une sommation pa-
reille ? Il s'agit d'un de nos modèles con-
: Reproduction interdite. ;
- Voir te 4appel da iHi.Jt.Ù: 10 juin. - :
trefait ou imité par une maison concur-
rente, d'une commande importante à nous
assurer, d'un brevet à prendre, est-ce que
je sais? J'en ai au moins pour dix jours,
peut-être pour vingt ! Mais j'ai grand
besoin pour le moment de ménager cet
oncle tyrannique ; je pars, je suis parti.
« Je t'investis auprès de ta sœur, ma
charmante ennemie, des hautes fonctions
de parlementaire. Elle m'a fortement battu
hier; mais que, dans son orgueil de vic-
torieuse, elle n'aille pas voir dans mon
départ une fuite! C'est simplement un
armistice que je te charge de conclure ; et
dis-lui bien que, tant que je vais être loin,,
je ne resterai pas un jour, pas une heure,
sans penser à ma rentrée et à l'éclatante
revanche que je compte prendre sur elle. »
Natalis, après avoir lu, allait communi-
quer à tous la lettre de Daniel, et à Marie
la première, pour qui évidemment elle
était surtout écrite. Mais il surprit le
regard inquiet de sa sœur, et il se ravisa.
Marie avait cru reconnaître le pli ou
l'écriture de Daniel, et ses yeux interro-
geaient avidement Natalis.
Il mit la lettre dans sa poche et se tut.
— Est-ce que cette lettre n'est pas de
ton abominable ami? ne puL s'empêcher
de dire Marie.
- Non, elle est de Jules Monin, un ca-
marade d'atelier.
Il lui était venu subitement la pensée de
compléter par cette épreuve sur Marie
l'épreuve qu'il allait tenter sur Marthe.
Était-il donc si cruel de faire ainsi
souffrir? Non, il souffrait,
Marie fut, jours savants, comme une
,'
âme en peine. Daniel venait assez souvent
dans la semaine ; on ne le vit pas de plu-
sieurs jours. Marie prit sur elle de deman-
der à Natalis : — Qu'est-ce donc que de-
vient l'aimable M. Daniel? — Je ne sais,
fit négligemment Natalis; il est, comme
moi, très occupé sans doute.
Le dimanche, au déjeuner, il dit à sa
mère : — Daniel m'a fait savoir qu'il ne
viendrait pas diner aujourd'hui ; il est allé
faire, je pense, quelque commission pour
son oncle. — Il ne t'en a pas dit davan-
tage? demanda Marie. — Eh! il n'a pas de
comptes à nous rendre.
La seconde semaine s'écoula encore
sans nouvelles de l'absent. Marie mit en
avant Marthe.
— Est-ce que M. Daniel est malade?
— Pas que je sache.
Marie trouva que son frère, si occupé
qu'il fût, était vraiment bien indifférent
pour son ami.
— Daniel serait-il fâché contre moi? se
disait-elle. Ne suis-je pas allée trop loin,
l'autre soir? L'ai-je sérieusement blessé?
Il ne reviendra peut-être plus !
Cependant, Natalis, grâce à l'ardeur de
son travail, avait terminé son tableau.
Mais il ne voulait le laisser voir, disait-il,
que lorsqu'il l'aurait, après un temps,
revu et retouché.
Une après-midi, Marthe et Marie se
trouvaient dans l'atelier; Natalis, qui feuil-
letait un carton de gravures, aperçut dans
le jardin, à travers la vitre, Daniel se diri-
geant vers le pavillon.
Il pâlit,- comme Je joueur devant la
carte qui contient sa fortune. L'heure
qu'il avait préparée était venue.
— Ah 1 voici Daniel ! dit-il d'une voix
dont il sefforçait de dissimuler l'émotion.
A ce nom, Marie tressaillit, et, d'un
mouvement plus fort que sa volonté, se
leva vivement, courut à la porte, et l'avait
ouverte avant que Daniel eût posé le pied
sur le seuil.
— Merci! lui dit l'arrivant avec son plus
gracieux sourire.
Mais Marie, quand Daniel fut là, quand
elle le vit, quand elle l'eut, se souvint de
son chagrin passé, se repentit de sa joie
présente, et, moitié interdite, moitié dé-
pitée :
— Oh ! pardon, monsieur, je n'ouvrais
pas pour vous faire entrer, j'ouvrais pour
sortir.
— Est-ce parce que j'entre?
— Simple coïncidence. Vous savez, nous
sympathisons toujours. en sens inverse.
— Quoi ! reprise des hostilités, déjà?
J'espérais que cette trêve de dix-sept
jours.
— Dix-sept jours! Qu'est-ce que vous
dites là? Comment! il y a dix-sept jours
que vous êtes absent! Est-ce possible? Je
ne m'en étais pas aperçue. Dernièrement,
c'est vrai, quelqu'un demandait de vos
nouvelles. Mais dix-sept jours!. comme
le temps passe!. Excusez-moi, je sortais
comme vous entriez.
Et elle sortit, craignant d'être trahie par
son amertume même.
— Y comprends-tu quelque chose? de-,
manda à Natalis. D&Jiiel stupéfait.,' - ¿ :
,. -.,.: v. :.. ";' ':. ".,'J ;
V - -, -,
— Eh ! c'est, je crois, que j'aurai oublié
de lui montrer ta lettre.
— Comment ! elle ne l'a pas lue !
Natalis prit la lettre dans son tiroir :
— Porte-la-lui. Accuse-moi tant que tu
voudras. Va, et ramène-nous-la.
Daniel prit la lettre èt courut après
Marie.
Marthe n'avait jamais attaché beau-
coup de gravité à leurs querelles.
— C'est curieux dit-elle en riant. Ils
ont l'air de se détester, et je suis sùre
qu'au fond Marie a pour M. Daniel beau-
coup d'amitié !
Natalis respira fortement avant de ré-
pondre :
- Ce n'est pas de l'amitié que Marie a
pour Daniel, c'est de l'amour.
Marthe releva la tête :
— De l'amour?.:.
— Oui, de l'amour. Cela t'étonne, mais
c'est ainsi. Oh! je crois que Marie ne s'en
doute pas elle-même. On aime, et on peut
très bien ignorer qu'on aime. Où, quand,
comment la passion est-elle née en vous?
de quoi s'est-elle faite? de quelles impres-
sions, de quels rêves? On n'en sait rien,
on ne s'en est pas aperçu. Ta poitrine res-
pire, tu n'y fais pas attention, seulement
tu vis. De même ton cœur bat, — tu
aimes!
— De quel ton tu me dis ça, Natalis (
— Tu ne connais rien à ces choses, toi,
Marthe. Mais si tu pouvais regarder dans
le cœur de Marie comme dans le tien, tu
le verrai rempli. de cet amour. Sa vie,
"ri)1iüt,.t,. et la vie de Daniel. De lui, .:
tout l'intéresse, tout la charme. Quand il
est là, elle se sent bien, elle le regarda
elle l'écoute, elle est heureuse. Quand il
est absent. mais non, il n'est jamais.
absent pour elle, son image lui est à tous
moments présente; elle se rappelle ce
qu'il a dit, ce qu'il a fait; elle pense à tout
ce qui est de lui, à ce qu'il veut, à ce qu'if
attend, à ce qu'il projette; elle s'occupe
de lui plus que de n'importe qui au monde.
Et tout ça, dont elle ne se rend pas
compte, ce n'est pas seulement l'amitié.
c'est l'amour, c'est l'amour .-
Marthe écoutait, toute surprise, tout
émue :
— C'est l'amour ?.. ah! tu crois?.. Et tu
crois qu'on peut ignorer son propre
amour?. Mais tu me parles avec une ani-
mation !. Pourquoi? qu'as-tu ?
Natalis semblait égaré. Il la regardait
fixement, et il allait répondre, — quand
Daniel rentra, l'air maussade :
— Elle ne veut pas me croire ! Elle pré-
tend que je viens seulement de te remettre
cette lettre.
— Elle croira à la parole de Marthe, à
la mienne. Dis-lui qu'elle vienne. : j
- Eh ! je le lui ai demandé' vingt fois 1
Laissons un peu passer son caprice.
Natalis se dit : Allons ! je tiens l'occa-
sion, ne nous arrêtons pas à moitié che.
min, poussons jusqu'au bout l'épreuve.
¡ - PAUL MEUIUCB.
* •
(A suivre.) ,."
; CtNQcê'Dti¡-sl&::iî\Ítriê:t(j
.;:.:W.'IlW4::::.-?:;.,.
REDACTION
18, RUE DE VALOIS, 13
S'ADRESSIR AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 4 4 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
LES MANUSCRITS NOM INSÉRÉS NB SERONT PAS BBNDUS
(a .-' L'
ï 4
'* 'W Dg valûis» i&
Ii.
1
"<~~L AdMj^^ttres et mandats
E AT E U ft-GÉft A NT
&P9■' - - - : > -.
-
A ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et Q8
- 6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
on mois 2 rot.
T.OIS 801S. S —
SIX MOIS.* 9 FR.
ON AN 18 —
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQUERIE *
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS 2 FK.
TROIS MOIS. fi 6 —
SIX MOIS 11 FR.
UN AN. 20 —
A V ! S
Nous prions ceux de nos lecteurs dont
Fabonnement expire le 15 juin de le
renouveler le plus vite possible afin d'é-
viter une. interruption dans la réception
du journal.
Joindre une des dernières bandes à
chaque renouvellement.
VOIR A LA 4S PAGE
LA NOMENCLATURE DES
NOUVELLES PRIMES GRATUITES
que nous offrons à nos abonnés
FBANÇOISE CHATTE
Une dame veuve du quartier de la
Folie-Méricourt, Mme Vachot, a besoin
d'une bonne. Elle s'adresse à un bureau
de placement. Le jour même, elle voit
arriver une jeune fille, jolie, d'air mo-
deste et honnête, Françoise Chatté. Elle
lui dit de revenir le lendemain, parce
qu'à ce moment elle est occupée avec
une élève (elle est professeur de piano),
et court ,' à - sa leçon. Quand, la leçon
donnée, elle revient dans sa chambre,
elle n'y retrouve plus une bague qu'elle
y avait laissée. ;
Elle va aussitôt dénoncer Françoise
au commissaire du quartier.
Le commissaire fait venir la jeune
Elle.
— Vous êtes une voleuse!
— Moi! s'écrie Françoise. C'est faux!
— Vous avez volé une bague !
Elle nie énergiquement — et finit par
avouer. Oui, elle a volé la bague de
Mme Vachot. — Alors, rendez-la. —
Je ne l'ai plus. — Qu'en avez-vous fait?
— Je l'ai vendue. — A qui? — A un
marchand ambulant que je ne connais
pas.
— C'est bien. En voiture pour Saint-
Lazare !
Elle y était depuis quinze jours,
quand, un matin, en remuant un vase
sur sa cheminée, Mme Vachot en fait
tomber — sa bague.
Elle retourne chez le commissaire et
lui déclare que ce qu'elle lui avait dé-
claré la première fois était faux. Oui,
mais l'ordonnance de renvoi devant la
police correctionnelle était rendue, et il
fallait que « justice suivît son cours ».
C'est pourquoi Françoise Chatté était
avant-hier, à la onzième chambre, pré- ;
sidée par M. Labrouste, sur le banc des
accusés. "- s- ,
Il était difficile de la condamner pour
vol d'une bague qui n'avait pas été
volée. Elle a été acquittée et remise en
liberté. Le président lui a demandé
pourquoi elle avait avoué un vol qu'elle
n'avait pas commis. Elle a répondu :
— C'est parce que le commissaire de
police m'afaitpeur. Il m'a dit: « Avouez!
avouez donc, ça vaudra mieux pour
vous ; si vous n'avouez pas, vous en au-
rez pour trois ans ». Alors, voyant ça,
j'ai dit : Eh bien, oui, c'est moi.
Qu'est-ce que vous dites de ce com-
missaire de police
Sans autre preuve, que la dénoncia-
tion d'une femme qui n'a pas retrouvé
nné bague, sans qu'auèlin témoin l'ait
vu prendre, sans s'informer, sans rien
connaître des antécédents de Françoise
(elle n'avait jamais subi de condamna-
tion et tous les renseignements lui ont
été favorables au double point de vue
de la probité et de la moralité, le prési-
dent l'a dit à l'audience), ce commis-
saire n'admet pas un seul moment
qu'elle n'ait pas volé la bague ! et,
comme elle nie, il lui arrache par
l'intimidation l'aveu d'un délit dont
elle est innocente! Et, ravi de sa vic-
toire, il expédie l'innocente à Saint-
Lazare.
C'est, en moindre, l'histoire de Ro-
salie Doize, qu'un juge d'instruction
contraignit à s'accuser d'un meurtre
imaginaire. Cette fois, il ne s'agit que
d'un vol, mais le procédé est le même.
Et il y a des gens qui sont convaincus
que la torture est abolie en France'
Après cela, il est possible que le com-
missaire de la Folie-Méricourt ait cru
réellement que Françoise, si elle n'a-
vouait pas. en aurait pour trois ans ;
qu'innocente ou coupable,— le tribunal
n'y regarderait pas de si près,—elle était
sûre du maximum. Alors, ce n'est plus
seulement des commissaires que ça fait
l'éloge, c'est aussi des juges.
Le président de la onzième chambre
a grondé Mme Vachot. -,
- Vous avez été bien légère, ma-
dame.
- Ma bague était dans un vase où
je ne mets jamais rien. Il m'est imposa
sible de comprendre comment elle était
là ; ce n'est pas moi qui l'y ai mise.
— Elle ne s'y est pas mise toute
seule.
Et ç'a été tout. Pour l'autre coupable,
le commissaire, ç'a été encore moins. Je
ne vois pas que sa « légèreté », à lui, ait
été remarquée par le président.
Telle est la réparation que reçoit de
celle qui l'a dénoncée et de celui qui
l'a torturée une honnête jeune fille qui
a passé quinze jours en prison, qui pen-
dant quinze jours a été une voleuse, et
à qui il en restera un casier judiciaire
mentionnant une « prévention de vol
suivie d'acquittement ».
— Comprends-tu cela, toi? ;
demande, dans un drame célèbre, un
ouvrier à un autre. Et l'autre répond :
— Non, c'est de la justice.
AUGUSTE VACQUERIE.
: —: !——
em haiti
A la nouvelle de la mort de M. Rigaud et
des incidents qui se sont produits à Haïti, le
gouvernement a demandé à notre agent diplo-
matique de lui adresser un rapport circons-
tancié, et il lui a prescrit, sans s'ingérer dans
les affaires intérieures de l'île, de prendre, de
concert avec l'amiral Cuverville, toutes les
mesures jugées nécessaires pour garantir la
sécurité de nos nationaux.
LA CENSURE DRAMATIQUE ;
-
M. Bourgeois, ministre de l'instruction
publique et des beaux-arts, s'est rendu
hier à la commission de la Chambre qui
examine la proposition relative à la sup-
pression de la censure dramatique- Voici
le résumé des observations qu'il a pré-
sentées.
Le ministre a d'abord examiné quelles
seraient les conséquences de la suppres-
sion de la censure. Cette suppression cons-
tituerait-elle un progrès dans le sens de
la liberté? Oui, si le pouvoir de police
était supprimé en même temps. Sinon,
non.
Dans le cas contraire, ce serait, en effet,
l'arbitraire après au lieu de l'arbitraire
avant, et avec cette aggravation qu'il se-
rait exercé par un pouvoir de police, au
lieu de l'être par un pouvoir de censure
littéraire confié à des hommes de lettres.
Et cela après que des capitaux auraient
été engagés et des dépenses faites. j
Donc, a conclu M. Bourgeois, la sup-
pression pure et simple de la censure ne
donnerait pas moins d'arbitraire, pas plus
de liberté et causerait plus de dom-
mages.
(3e sont ces considérations qui, sans
doute, expliquent l'opinion exprimée ré -
cemment devant la commission actuelle
par MM. Alexandre Dumas et Henry Meil-
hac, et eeilo formulée par Victor Hugo -
dans l'enquête de 1849. C'est ce qui ex-
plique également les législations étran-
gères. , 1
En réalité, la censure actuelle est deve- i
nue extrêmement libérale. Depuis plusieurs
annéesil n'y a eu en tout que quatre piè-
ces définitivement interdites : l'Officier <
bleu, le Pater y la Fille Elisa et l'Homme de ;
Sedan.
Le ministre a ajouté : 1
« Je reconnais que ce n'en est pas moins
l'arbitraire et je voudrais le diminuer;
mais ce ne peut être par la suppression.
) Il.y a, en général, une limite à l'arbi- j
traire: c'est la responsabilité du ministre
dans un pays libre, devant un Parlement
libre et en présence d'une presse libre.
La jurisprudence de la censure est le re-
flet de la politique générale du pays.
» En ce qui me touche particulièrement,
a continué M. Bourgeois, j'ai cherché à
limiter, préciser les cas où j'userais de la
censure.
» J'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer
à ce sujet devant la Chambre, le 29 jan-
vier dernier, dans ma réponse à l'inter-
pellation sur l'interdiction de Thermid&r.
» Je limite le recours à la censure à trois
cas :
» t. Cas-où la sûreté extérieure est in-
téressée ; 3
» 2* Cas de crime ©a délit directement.
coœmw dans l'œuvre même, par exemple
lorsqu'il y a ontrage aux mœurs ou diffa-
ma lion.
» 3' Cas de provocation directe à com-
mettre ces mêmes crimes ou délits, à
troubler l'ordre ou à violer les lois. -
» Mais hors ces trois cas je n'admets
pas de censure préventive. Toutes les opi-
nions littéraires, philosophiques et politi-
ques sont absolument libres.
» Voilà ma jurisprudence. Elle équivaut
à ceci qu'il n'y a vraiment à exercer de
censure préventive que dans les cas:
1® où la nécessité exterieure de la patrie
l'exige ; 2° où la pièce étant jouée, une
poursuite légale pourrait être exercée.
» Il y a progrès vers la liberté dans ce
système, car à l'arbitraire je substitue la
détermination précise des cas où je crois
devoir agir. Je définis et délimite le do-
maine de la liberté des auteurs et celui de
l'action du pouvoir. Je substitue, en un
mot, au régime de l'arbitraire une sorte
de régime de droit. » >
En terminant, le ministre a dit :
« J'ai cherché à aller plus loin et à dé-
terminer les mêmes limites par un texte 1
de loi. Je ne l'ai pas reconnu possible, si
la commission le tente, je crois qu'elle
échouera comme moi. En tous cas je suis
prêt à l'aider dans cette tâche. » ",
Après avoir entendu ces déclarations,
la commission s'est ajournée à une séance
prochaine pour arrêter ses conclusions.
A LA CHAMBRE
Ce n'est pas le tout de décider que l'on
tiendra des séances exceptionnelles spécia-
lement consacrées à l'étude des questions
ouvrières ; il faudrait aussi s'assurer, au
préalable, qu'on aura du travail prêt à
aboutir. La séance d'hier a dû être écourtée
précisément parce qu'on n'avait pas pris
cette précaution élémentaire. Mais, procé-
dons par ordre. D'abord, on a discuté l'in-
terpellation de MM. Dumay, Girodet,
Souhet et Baudin, « sur les mesures que
le ministre des travaux publics compte
prendre vis-à-vis de la compagnie des
houillères de Montlieu qui vient de sus-
pendre brusquement son exploitation en
ne prévenant le personnel que huit jours
à l'avance ».
Avant tout, il eût fallu savoir la cause1
exacte de cette suspension, évidemment1
très regrettable, puisqu'elle va priver de
leurs salaires environ quinze cents per-
sonnes. M. Dumay a déclaré qu'il y avait
flà une manœuvre financière et demandé
la déchéance de la compagnie. Le mi-
nistre, M. Yves Guyot, a répondu que l'ex-
ploitation a été suspendue à Montlieu
parce que la mine est épuisée. Depuis,
1877, les actionnaires n'ont pas touché un ,
sou de dividende et les pertes devenaient
dé jour en jour plus grandes. Cette1 mine
va être mise en adjudication; il convient.
donc pour le moment, d'attendre. Cette
réponse n'a pas été du goût de M. Dumay,
qui est revenu à la charge, faisant appel à
l'énergie du ministre et déposant un ordre
du jour aux termes duquel la compagnie
eût été mise en demeure de reprendre le
travail sous huit jours, à peine de dé-
chéance. L'ordre du jour pur et simple a
été adopté par 390 voix contre 400.
Est venue ensuite la première délibéra-
tion sur les propositions de MM. Jacque-
mart et Thellier de Poncheviile, relative
aux saisies-arrêts des salaires des ouvriers.
Le ministre du commerce et de l'industrie
a demandé l'ajournement, sons ce pré-
texte que le gouvernement doit déposer
prochainement un projet de loi sur l'en-
semble des questions traitées par les deux
propositions ci-dessus mentionnées. Com-
battue par MM. Montaut et de Ponche-
ville, et appuyée par M. Bertrand, la de-
mande d'ajournement a été finalement re-
poussée par 310 voix contre 145.
Et c'est ici que s'est produite l'ani-
croche dont je parlais en commençant. A
petœ avait-on, sans débats, adopté l'ar-
ticle premier, que M. Frédéric Goussot est
vena faire remarquer que l'article 2 se
trouvait en contradiction avec les dispo-
sitions de la loi récemment votée par la
Chambre sur la compétence des juges de
paix. Ces observations ont paru justes, et
le renvoi de l'article 2 à la commission
s'en est suivi. Les articles 3, 4 et 5 ont
passé sans encombre. Mais, succombant
sous le poids des critiques formulées par
MM. Goussot et Bertrand, les articles 6 et 7
ont dû, eux aussi, être renvoyés à la com-
mission, de sorte que l'ajournement, qu'on
venait de repousser, s'est imposé. Cy finit
la séance, ouverte à 3 h. 25 , levée à
4 h. 45.
Aujourd'hui, à deux heures, avant de se
mettre au projet relatif aux encourage-
ments à accorder à la sériciculture, on
discutera la proposition modifiée, comme
on sait, par le Sénat, portant suspension
temporaire d'une partie des droits de
douanes sur les blés et les farines.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
MASSACRE DE IMPÉDlTlON CRAIPEL
L'agence Havas nous transmet la dé-
pêche suivante
Liverpoolr 40 juin.
Des avis particuliers reçus aujourd'hui de
Loango, sud-ouest de l'Afrique, confirment
qu'un terrible désastre a irappé l'expédition
française, qui est partie pour l'intérieur en
juillet dernier, sous la direction de M. Crampel.
Le but de l'expédition ne fut pas divulgué
au moment du départ. On savait qu'elle (le-
vait s'avancer dans la direction de Khartoum.
Rien n'a transpiré sur cette expédition jusqu'à
ce que, il y a quelques jours, le bruit soit par-
venu à Mayumba que tous les membres de
l'expédition avaient été massacrés par les indi-
gènes du pays de Matanga. Les blancs qui se
trouvaient parmi l'expédition ont été mangés
par les cannibales.
Une seconde expédition est partie de Loango
en avril pour s'assurer du sort des explora-
teurs.
Cette dépêche commet évidemment une er-
reur en laissant entendre que l'expédition de
Crampel allait dans la direction de Khartoum.
Le but qu'elle se proposait était d'atteindre le
lac Tchad.
lES EMPLOYÉS DECIIEM DE FER
M. Guimbert adresse la lettre suivante
aux employés des chemins de fer faisant
partie du syndicat des mécaniciens-ehauf-
feurs-conducteurs de France dont il est le
président :
Chers camarades,
D'après les renseignements qui me par-
viennent, la circulaire de M. Yves Guyot, mi-
lJi" > des travaux publics, en date du 24 avril
189i, invitant MM. les administrateurs des
compagnies de chemins de fer dans un intérêt
= de sécurité, publique, à améliorer vos dures
conditions de travail, de même que les inten-
tions de la commission du travail présidée par
l'honorable M. Ricard, et du Parlement vo-
tant à la m'ajorité de 400 voix contre 3 l'appli-
cation du décret-loi de 1848, semblent être mé-
connues par les compagnies.et notamment par
les chefs de traction de la compagnie, du
P.-L.-M. ; -
Qu'ils ont avec ironie aggravé la durée du
travail en supprimant les repos qui existaient
précédemment pour appliquer les douze
heures ; 1
Que si j'en crois nos collèguës de plusieurs
dépôts, rien n'aurait été changé mais le ser-
vice serait certainement aggravé.
En raison de ce qui précède, je vous prie de
m'envoyer d'urgence, des faits et renseigne-
ments de la plus rigoureuse exactitude sur les
roulements et les circonstances dangereuses.
Avec la copie du roulement graphique, vous
aurez à me donner votre service écrit et vos
observations sur chaque journée de travail, la
présence en service et la durée des absences
de chez vous.
Si, par le fait de l'exagération du service, il
y avait danger pour la sécurité publique, votre
devoir serait d'avertir les commissaires de
surveillance administrative, qui ont reçu Vordrt
de verbaliser. N v ,. f
Je ne saurais trop vous conseiller de con-
server une attitude calme et digne dans ïa si-
tuation qui vous est faite, bien que ces provo-
cations soient insensées.
A. GUI-MBERT.
Nous recevons la note suivante :
Les délégués de la chambre syndicale des
ouvriers et employés des chemins de fer fran-
çais se sont présentés hier à la direc-
tion des chemins de fer de l'Etat. En l'absence
du directeur, en tournée, ils ont été reçus par
M. Matrot, chef de l'exploitation. Us lui ont
demandé si l'administration des chemins de
fer de l'Etat est disposée à reconnaître la cham-
bre syndicale et à accepter son arbitrage dans
les différends qu'elle pourrait avoir avec ses
ouvriers et ses employés.
M. Matrotleur a fait remarquer que le syndicat
n'a pas besoin de demander un acte de re-
connaissance, puisque son existence est con-
sacrée par la loi; il a ajouté qu'en l'absence
du directeur il ne lui était pas possible de ré-
pondre officiellement à la seconde partie de
leur démarche, mais qu'à son avis l'adminis-
tration des chemins de fer de l'Etat ne peut
reconnaître à la chambre syndicale. que les
attributions et la compétence qui lui sont COIl
férées par la loi.
Les délégués ayant insisté particulèrement
pour que l'administration voulût bien exami-
ner les renseignements et les observatioml
que la chambre syndicale pourrait avoir à lut
soumettre, au sujet des mesures disciplinaires
et notamment des révocations, M. Matrot leur
a répondu que l'administration des chemins
de fer de l'Etat s'est toujours fait un de vois
d'examiner, avec la plus grande attention.
toutes les communications qui peuvent lui
être adressées, dans l'intérêt de son personnel
et qu'elle n'a jamais hésité et n'hésitera ja-
mais à donner satisfaction à une demanda re-
connue conforme à la justice et à la vérité.
LA COMPAGNIE DES OMNIBUS
Le syndicat des employés de la Compa-
gnie générale des omnibus nous prie d'in.
sérer l'avis suivant :
Les délégués des dépôts sont invités à se
réunir demain vendredi, à deux heures de
l'après-midi, salle Genton, avenue Kléber, 118,
pour s'entretenir de diverses questions les con-
cernant.
Nous recommandons aux délégués de faire
leur possible pour assister à cette réunion.
(Suivent les signatures,)
C'est aujourd'hui qu'a lieu la seconde
entrevue du syndicat et de la compagnie-
On se rappelle les points restés en litige.;
Le principal de tous est assurément celui
qui concerne le relèvement des salaires-
des employée des dépôts.
Jusqu'à ce jour, la compagnie n'a pas
voulu céder à la réclamation si légitime
de ces 2,000 hommes auxquels elle ne"
donne que trois et quatre francs par jour.
Nous aimons à croire que, cette fois, elle
se montrera plus sage. n est inadmissible
qu'à Paris, des pères de famille qui tra-
vaillent douze heures par jour ne gagnent
qu'un salaire aussi infime. -
La population parisienne, qui a mani-
festé tant de sympathies pour ces em.
ployés, ne pardonnerait pas sa résistance
à la compagnie. Elle considérerait à juste
titre que cette dernière cherche à poussa
à bout une partie de son personnel.
Dans tous les cas, les employés de dépôt
peuvent compter sur le syndicat qui est
de moins en moins disposé à les abandon-
ner.. Et c'est justice. Qui, si ce n'est le
personnel des dépôts, a assuré le succès
de la dernière grève en refusant de pren-
dre momentanément la place des cochers
et des conducteurs?
C. B.
LA RÉUNION
DES EMPLOYÉS
DES TRAMWAYS NORD ET SUD
La réoaioa des employés des tramways
ffford - el Sud, tenue la nuit dernière .à
Yhôte-i Moderne, a eu le résultat que nous
avions prévu et, du reste, conseillé. Tous
ces agents sont entrés dans le syndicat
des Omnibus où ils formeront deux sec-
tions, ayant chacune son secrétaire.
On sait que les employés des tramways
Nord et Sud ne se trouvent pas dans les
mêmes conditions que ceux des Omnibus,,
leurs compagnies ont fait droit déjà à une
partie de leurs revendications, surtout la
Compagnie des tramways Nord, laquelle a-
déjà reçu les délégués des dépôts et a
d'ailleurs fait savoir à son personnel
qu'elle ne serait pas fâchée de le voir se
syndiquer.
Ce sont les employés des tramways Sud
qui sont arrivés les premiers, à partir
d'une heure et en tapissières , comme
leurs camarades des Omnibus. Vers une
heure et demie, il y avait déjà sept ou huit
cents personnes dans la saile. C'est alors
que les agents des dépôts les plus éloignée
du Sud et les agents du Nord se sont pré-
sentés en masse. A deux heures, la presque;
Feuilleton du RAPPEL
DU 12 JUIN
31
LEONARD AUBRY
TROISIÈME PARTIE
PASSION
Il (suite)
Le lendemain lundi, comme on se levait
de table après le diner, la petite bonne
remit à Natalis une lettre qu'un commis-
sionnaire venait d'apporter, et qu'il alla
lire près de la fenêtre.
La lettre était de Daniel :
, « Mon cher Natalis, quand tu liras ce
mot griffonné à la hâte, je roulerai sur la
route de Calais. Tout à l'heure, à quatre
heures, mon oncle est tombé dans ma
chambre :— Mon garçon; il va falloir que
lu partes pour Londres. — Pour Londres !
c'est loin! Quand ça? - Eh! mais, au-
jourd'hui. — Oh l mon oncle, dans quel-
ques jours ! — Non, aujourd'hui, tout de
jsnite. — Demain, au moins ! — Tu pars à
six heures.
1 » Que répondre à une sommation pa-
reille ? Il s'agit d'un de nos modèles con-
: Reproduction interdite. ;
- Voir te 4appel da iHi.Jt.Ù: 10 juin. - :
trefait ou imité par une maison concur-
rente, d'une commande importante à nous
assurer, d'un brevet à prendre, est-ce que
je sais? J'en ai au moins pour dix jours,
peut-être pour vingt ! Mais j'ai grand
besoin pour le moment de ménager cet
oncle tyrannique ; je pars, je suis parti.
« Je t'investis auprès de ta sœur, ma
charmante ennemie, des hautes fonctions
de parlementaire. Elle m'a fortement battu
hier; mais que, dans son orgueil de vic-
torieuse, elle n'aille pas voir dans mon
départ une fuite! C'est simplement un
armistice que je te charge de conclure ; et
dis-lui bien que, tant que je vais être loin,,
je ne resterai pas un jour, pas une heure,
sans penser à ma rentrée et à l'éclatante
revanche que je compte prendre sur elle. »
Natalis, après avoir lu, allait communi-
quer à tous la lettre de Daniel, et à Marie
la première, pour qui évidemment elle
était surtout écrite. Mais il surprit le
regard inquiet de sa sœur, et il se ravisa.
Marie avait cru reconnaître le pli ou
l'écriture de Daniel, et ses yeux interro-
geaient avidement Natalis.
Il mit la lettre dans sa poche et se tut.
— Est-ce que cette lettre n'est pas de
ton abominable ami? ne puL s'empêcher
de dire Marie.
- Non, elle est de Jules Monin, un ca-
marade d'atelier.
Il lui était venu subitement la pensée de
compléter par cette épreuve sur Marie
l'épreuve qu'il allait tenter sur Marthe.
Était-il donc si cruel de faire ainsi
souffrir? Non, il souffrait,
Marie fut, jours savants, comme une
,'
âme en peine. Daniel venait assez souvent
dans la semaine ; on ne le vit pas de plu-
sieurs jours. Marie prit sur elle de deman-
der à Natalis : — Qu'est-ce donc que de-
vient l'aimable M. Daniel? — Je ne sais,
fit négligemment Natalis; il est, comme
moi, très occupé sans doute.
Le dimanche, au déjeuner, il dit à sa
mère : — Daniel m'a fait savoir qu'il ne
viendrait pas diner aujourd'hui ; il est allé
faire, je pense, quelque commission pour
son oncle. — Il ne t'en a pas dit davan-
tage? demanda Marie. — Eh! il n'a pas de
comptes à nous rendre.
La seconde semaine s'écoula encore
sans nouvelles de l'absent. Marie mit en
avant Marthe.
— Est-ce que M. Daniel est malade?
— Pas que je sache.
Marie trouva que son frère, si occupé
qu'il fût, était vraiment bien indifférent
pour son ami.
— Daniel serait-il fâché contre moi? se
disait-elle. Ne suis-je pas allée trop loin,
l'autre soir? L'ai-je sérieusement blessé?
Il ne reviendra peut-être plus !
Cependant, Natalis, grâce à l'ardeur de
son travail, avait terminé son tableau.
Mais il ne voulait le laisser voir, disait-il,
que lorsqu'il l'aurait, après un temps,
revu et retouché.
Une après-midi, Marthe et Marie se
trouvaient dans l'atelier; Natalis, qui feuil-
letait un carton de gravures, aperçut dans
le jardin, à travers la vitre, Daniel se diri-
geant vers le pavillon.
Il pâlit,- comme Je joueur devant la
carte qui contient sa fortune. L'heure
qu'il avait préparée était venue.
— Ah 1 voici Daniel ! dit-il d'une voix
dont il sefforçait de dissimuler l'émotion.
A ce nom, Marie tressaillit, et, d'un
mouvement plus fort que sa volonté, se
leva vivement, courut à la porte, et l'avait
ouverte avant que Daniel eût posé le pied
sur le seuil.
— Merci! lui dit l'arrivant avec son plus
gracieux sourire.
Mais Marie, quand Daniel fut là, quand
elle le vit, quand elle l'eut, se souvint de
son chagrin passé, se repentit de sa joie
présente, et, moitié interdite, moitié dé-
pitée :
— Oh ! pardon, monsieur, je n'ouvrais
pas pour vous faire entrer, j'ouvrais pour
sortir.
— Est-ce parce que j'entre?
— Simple coïncidence. Vous savez, nous
sympathisons toujours. en sens inverse.
— Quoi ! reprise des hostilités, déjà?
J'espérais que cette trêve de dix-sept
jours.
— Dix-sept jours! Qu'est-ce que vous
dites là? Comment! il y a dix-sept jours
que vous êtes absent! Est-ce possible? Je
ne m'en étais pas aperçue. Dernièrement,
c'est vrai, quelqu'un demandait de vos
nouvelles. Mais dix-sept jours!. comme
le temps passe!. Excusez-moi, je sortais
comme vous entriez.
Et elle sortit, craignant d'être trahie par
son amertume même.
— Y comprends-tu quelque chose? de-,
manda à Natalis. D&Jiiel stupéfait.,' - ¿ :
,. -.,.: v. :.. ";' ':. ".,'J ;
V - -, -,
— Eh ! c'est, je crois, que j'aurai oublié
de lui montrer ta lettre.
— Comment ! elle ne l'a pas lue !
Natalis prit la lettre dans son tiroir :
— Porte-la-lui. Accuse-moi tant que tu
voudras. Va, et ramène-nous-la.
Daniel prit la lettre èt courut après
Marie.
Marthe n'avait jamais attaché beau-
coup de gravité à leurs querelles.
— C'est curieux dit-elle en riant. Ils
ont l'air de se détester, et je suis sùre
qu'au fond Marie a pour M. Daniel beau-
coup d'amitié !
Natalis respira fortement avant de ré-
pondre :
- Ce n'est pas de l'amitié que Marie a
pour Daniel, c'est de l'amour.
Marthe releva la tête :
— De l'amour?.:.
— Oui, de l'amour. Cela t'étonne, mais
c'est ainsi. Oh! je crois que Marie ne s'en
doute pas elle-même. On aime, et on peut
très bien ignorer qu'on aime. Où, quand,
comment la passion est-elle née en vous?
de quoi s'est-elle faite? de quelles impres-
sions, de quels rêves? On n'en sait rien,
on ne s'en est pas aperçu. Ta poitrine res-
pire, tu n'y fais pas attention, seulement
tu vis. De même ton cœur bat, — tu
aimes!
— De quel ton tu me dis ça, Natalis (
— Tu ne connais rien à ces choses, toi,
Marthe. Mais si tu pouvais regarder dans
le cœur de Marie comme dans le tien, tu
le verrai rempli. de cet amour. Sa vie,
"ri)1iüt,.t,. et la vie de Daniel. De lui, .:
tout l'intéresse, tout la charme. Quand il
est là, elle se sent bien, elle le regarda
elle l'écoute, elle est heureuse. Quand il
est absent. mais non, il n'est jamais.
absent pour elle, son image lui est à tous
moments présente; elle se rappelle ce
qu'il a dit, ce qu'il a fait; elle pense à tout
ce qui est de lui, à ce qu'il veut, à ce qu'if
attend, à ce qu'il projette; elle s'occupe
de lui plus que de n'importe qui au monde.
Et tout ça, dont elle ne se rend pas
compte, ce n'est pas seulement l'amitié.
c'est l'amour, c'est l'amour .-
Marthe écoutait, toute surprise, tout
émue :
— C'est l'amour ?.. ah! tu crois?.. Et tu
crois qu'on peut ignorer son propre
amour?. Mais tu me parles avec une ani-
mation !. Pourquoi? qu'as-tu ?
Natalis semblait égaré. Il la regardait
fixement, et il allait répondre, — quand
Daniel rentra, l'air maussade :
— Elle ne veut pas me croire ! Elle pré-
tend que je viens seulement de te remettre
cette lettre.
— Elle croira à la parole de Marthe, à
la mienne. Dis-lui qu'elle vienne. : j
- Eh ! je le lui ai demandé' vingt fois 1
Laissons un peu passer son caprice.
Natalis se dit : Allons ! je tiens l'occa-
sion, ne nous arrêtons pas à moitié che.
min, poussons jusqu'au bout l'épreuve.
¡ - PAUL MEUIUCB.
* •
(A suivre.) ,."
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